Méditérranée sur le Labrador
11 mois Création novembre 2010

Introduction de Bernard

Casimir a 32 ans, il est :

  • à terre du 5 février 1845 au 10 octobre 1845, 12 jours dans la port, 8 mois et 5 jours à terre,

  • sur le Labrador (Frégate à vapeur) du 10 octobre 1845 au 9 avril 1846, 5 mois et 24 jours, 3 jours dans le port.

Débarqué du Cassard le 15 février 1845, Casimir de Bonne est autorisé à se rendre à Paris à l’effet d’y attendre un congé de convalescence demandé en sa faveur.

En avril il revient à Saint-Pons. Sa famille s’est augmentée pendant son absence. Fin 1844, son frère Louis a épousé Amélie de Coignac d’une très vieille famille de Rouergue, très proche parente des Saunhac et des Bonald ; il s’est installé, avec elle a, comme ainé de la famille. Ce mariage ne nuisit en rien à l’intimité des deux frères. Amélie eut de suite beaucoup d’affection pour Casimir qui la lui rendait bien. Aussi continua-t-il jusqu’à son mariage à se considérer à Lostange comme chez lui. Il avait du reste, une fois pour toutes, convenu avec son frère qu’il paierait une pension pour la durée de ses séjours.

Il obtint une prolongation de congé pour aller prendre les eaux à Luchon et regagna Toulon où il s’embarqua le 10 octobre 1845 sur la frégate à vapeur le Labrador commandée par Monsieur Poutier.

J’ai connu dans ma jeunesse Monsieur Poutier qui prit sa retraite cornue capitaine de vaisseau à Toulouse. Il habitait avec sa femme et sa très jolie fille Berthe, un appartement sur les Allées Louis Napoléon (actuellement Allées Jean Jaurès) et nous allions y voir défiler les revues qui se faisaient là sous l’empire.

C’était un vieux loup de mer très grossier qui racontait qu’il était un des derniers survivants du fameux « radeau de la Méduse« , qu’il dotait sa fille en lui donnant le tiers de son portefeuille. Mon père ne l’estimait guère, disait qu’il n’avait jamais mis le pied sur la Méduse, que c’était un vieux malfaiteur qui flouerait toujours quelqu’un, qu’il avait un gros portefeuille mais qu’il garantissait qu’il n’y avait rien dedans.

Port Vendre, le 17 octobre 1845, à bord du Labrador

Ma chère Amélie,

Quelle opinion allez-vous prendre de moi, quand vous trouverez une tache d’huile au haut de ma lettre ? Ne vous pressez pas cependant de porter sur moi un jugement défavorable, la nécessité seule a pu me contraindre à violer aussi ouvertement les réglée du goût et de la bienséance. J’avais hâte de vous écrire pour réparer un oubli que j’ai commis à votre égard ainsi qu’à l’égard de Madame votre mère. Vous devinez sans doute qu’il s’agit du fameux baume de Fier à bras qui doit produire des miracles à Rodez et à Lostange.

Je craignais que la probité d’Alexandre Guiraud ne vous fut devenue suspecte et que vous ne l’eussiez soupçonné de s’être approprié la recette que je devais vous envoyer par lui. Veuillez donc, si vous avez encore quelques soupçons défavorables à sa probité, les rejeter bien loin et me prêter une attention soutenue pendant que je vais vous décrire les admirables propriétés du Baume du Prince de Scylla. Je commence.

Monseigneur le prince de Scylla, ministre plénipotentiaire de Naples a la Cour de Madrid, donna à Monsieur Maleplane, mon camarade, la recette suivante pour préparer une huile efficace pour la guérison des blessures.

Ce prince, dans son ambassade, en Espagne, ayant entendu parler des effets merveilleux de ce remède, fit le voyage de la Biscaye, etc., etc.

Je vous fais grâce d’une histoire de l’autre monde que j’aurais le droit de vous raconter, qu’il vous suffise de savoir que des poules à qui on avait ouvert toutes les artères et percé le cerveau de part en part, ont été guéries, au bout de quelques minutes, par l’application d’une ou deux gouttes d’huile. Il faut avoir soin, après l’application, de garantir la plaie de l’action de l’air.

On dit, mais je ne le crois pas, qu’un homme à qui l’on avait coupé la tête a été guéri au bout d’un temps un peu plus long, il est vrai, et qu’il se porte comme vous et moi.

Voici du reste la recette en question. Mettez, à mesure que vous vous les procurerez, dans 24 onces d’huile les ingrédients suivants :

Le flacon qui contient tous ces ingrédients doit être mis dans le fumier pendant 36 jours. Pour vous servir de cette huile, appliquez-la sur la blessure avec de la charpie, ou une barbe de plume et garantissez la de l’air.

On en avale une goutte ou deux dans de l’eau pour arrêter les crachements de sang.

N.B.- Les plantes ne pouvant pas être récoltées toutes à la fois, et la préparation demandant trente-six jours, il faut au moins trois mois pour la préparer.

Vous devez être étonnée de me savoir à Port-Vendres quand il y a quatre ou cinq jours je vous écrivais de Toulon sans vous annoncer mon départ. J’ai été appréhendé au corps et colloqué sur le Labrador de 420 chevaux, à, propos de chevaux nous sommes venus en chercher ici pour les porter à Oran, avec je ne sais combien de fantassins. Nous partons cette après-midi ; nous ferons un second voyage ; j’irais sans doute à Perpignan voir Monsieur de Blaye ! ! !

Mes compliments affectueux à Louis, bien des choses à Hauterive et à Gaïx, je n’ai pas de place pour finir ma lettre d’une façon convenable et respectueuse, supposez la formule la plus convenable.

Toulon le 9 février 1846, à bord du Labrador

Ma chère Amélie,

J’étais bien sûr que ma lettre vous trouverait partout ailleurs qu’à Lostange. Vous devez geler à Rodez, si j’en juge par le temps qu’il fait ici. Nous venons encore de faire un voyage à Alger avec 400 chevaux. Nous avons eu du vent à décorner les bœufs, en allant et en revenant. Aussi avons-nous été obligés de relâcher à Mahon pour nous rafistoler un peu, car la mer nous démolissait. Je regrette qu’avec votre goût pour les voyages vous n’ayez pas envie de venir à Toulon. Je vous emmènerais à Alger et de là à la Trappe où je viens de faire une courte retraite. Je suis confit en dévotion, et me voilà l’agent du couvent de Staouéli. Le Révérend père Régis m’a confié cinq hectolitres de graines pour des chapelets. Où diable pourra-t-il placer cinq hectolitres de chapelets. À moins de les vendre à ses voisins les Béni zoug zoug, les Cherayes, les Flitas, Benl assar, Mouzaga, etc., etc.

Ce brave père Régis a voulu m’accompagner à la Trappe et me ramener à Alger où je l’ai grisé à bord du Labrador. Du reste j’ai dignement reconnu son hospitalité car il m’avait fait faire un exécrable déjeuner dans sa maudite Trappe. Cet établissement mérite d’être encouragé, et surtout amélioré à l’endroit de la cuisine principalement.

Il faut que tous ces trappistes aient tué père et mère pour faire le métier qu’ils font. C’est pire que le bagne ; ils sont une soixantaine plus maigre les uns que les autres ; je crois qu’ils mangent des clous. Aussi ce que j’ai le plus admiré chez eux, c’est la bonté de leur estomac.

Louis Guiraud m’est arrivé tout estropié tirant la jambe. Je l’ai mis entre les mains de deux médecins de la Marine avec prière de nous en débarrasser. Sa maladie ne l’a pas empêché de faire une fort bonne affaire. Il vient d’acquérir une maison qui lui rapporte 12 000 livres de rentes moyennant 115 000 fr Je voudrais bien avoir 115 000 frs. Voulez-vous me les prêter ?

Monsieur Ferdinand et Monsieur Henri sont muets comme des carpes. Je n’ai pas de leurs nouvelles depuis bien longtemps. À Paris on s’occupe aussi fort peu de moi, je n’ai pas de nouvelles depuis six semaines environ.

Je suis comme le roi Louis-Philippe continuant de recevoir des assurances amicales de la part des puissances, sans que cela amène aucun résultat, Monsieur de Joinville surtout me parait entendre parfaitement la plaisanterie, mais il là prolonge trop, aussi je le donne au diable de bon cœur ainsi que son illustre père et ses Ministres.

Que fait Louis ? A-t-il peint tout le département de l’Aveyron ? Je lui ai envoyé dernièrement quelques, romances de mon camarade Montour. Dites-moi s’il les a reçues.

À propos, et vos coussins ; qui diable a été vous dire qu’on mettait des bottes crottées dessus. mais c’est sur un canapé qu’on les met ; si Louis avait été versé dans la connaissance des mœurs turques, il serait arrivé à conclure qu’on devait tout au plus s’accouder dessus, car dans cet aimable pays on ne confiait pas les chaises, et on s’allonge sur le parquet qu’on a soin, au préalable, de garnir d’un tapis.

Continuez-vous de monter à cheval ? Je vous destine une cravache en caoutchouc blanc qui vient de la Chine. Elle est assez laide, peu commode, mais rare. Voyez de vous en arranger.

Vous me faites bien de l’honneur de croire que je reçois des journaux. mais il y a bien un mois que je n’en ai pas lu un seul. Le meilleur ne vaut pas la corde pour pendre tous ces rédacteurs c’est la plaie de l’époque.

Je suis bien sensible au souvenir de Madame votre mère et de Monsieur votre oncle. Veuillez leur présenter mes respects.

Vous ne voulez pas me marier avec les cinq cent mille francs.que vous savez, je vais être obligé de me marier de la main gauche. Je vous le mets sur la conscience.

Vous avez oublié de me donner des nouvelles de Madame votre sœur et de Monsieur Dax. Avez-vous quelque espoir ?

Je vous embrasse ainsi que Louis, votre affectueux frère.

La trappe de Staouéli

Le 13 août 1843, le maréchal Bugeaud reçoit le père Régis en ces termes : « Il ne nous faut pas des célibataires pour coloniser l’Algérie mais je suis un soldat, j’obéirai. Je vous accepte donc comme les enfants les plus intéressants de la famille coloniale. »

L’idée d’associer des « moines laboureurs » à son œuvre s’impose bientôt à lui. Il deviendra le plus fidèle allié des trappistes dans toutes les difficultés qu’ils auront à surmonter.

Les Cisterciens sont choisis pour leurs qualités d’agriculteurs, leur abnégation et leur courage. mais c’est bien pour y vivre en chrétien que le père François Régis accepte d’être le premier responsable de cette nouvelle Trappe.

Le 19 août 1843 les Trappistes vinrent planter leurs tentes dans les champs de palmiers nains (doum). Le lendemain, ils célébraient une messe en plein air à la mémoire des guerriers tombés à cet endroit en 1830. Ils livraient, aussitôt après, d’autres combats pour construire des bâtiments et implanter des cultures. Les débuts dans ce désert, sous la houlette du révérend père François Régis furent difficiles. Cependant, un demi-siècle plus tard, en 1897, une vaste ferme était dotée d’un moulin à farine, d’élevages de bétail, et de plus de 300 ruches, avec un vignoble de 425 ha, un verger, un jardin et 15 ha de géranium (dont le distillats sont envoyés à Grasse jusqu’à ce que les progrès de la chimie permette de faire autrement).

Le village de Staouéli situé à 5 km de la Trappe et à 22 km à l’ouest d’Alger est créé en 1844, en 1956, c’est une petite ville prospère de 5 300 habitants. De véritables agents guides / recruteurs étaient chargés lors de la fondation d’aller en France faire venir de la main d’œuvre. Souvent ils étaient déjà des notables en France et prospectaient dans leur région d’origine (d’où le recrutement Grassois et les géraniums qui venaient mieux sous le ce climat). Ils se heurtaient à difficulté en France avec les notables locaux qui voyaient d’un mauvais œil partir leur main d’œuvre, avec le clergé qui prêchait contre l’émigration, et à l’arrivée avec les colons qui découvrent « le sol broussailleux et les baraques en planches » qui leur sont attribués. La présence des Trappistes est un élément important pour les retenir. Ces colons, étaient sélectionnés parmi les petits propriétaires en France, ils devaient avoir une « bonne moralité » et un pécule suffisant pour s’installer sur le lot qui leur serait attribué. Une sélection était opérée parmi les candidats avant de faire ensuite le voyage tous ensemble.

En 1904, lors de la séparation de l’église et de l’état, les moines préfèrent vendre pour échapper à l’éventualité d’une expulsion et d’une confiscation. Il est racheté par la famille Borgeaud, citoyens Suisse, naturalisés français par la suite. Elle donna entreprit la construction de hangars, d’écuries mais aussi des caves qui existent en 2008, puisque la région produisait de grandes quantités de vin.

C’est durant l’année des nationalisations en 1963 que l’administration Algérienne remplace l’appellation du domaine Borgeaud par celui de Bouchaoui, un martyr de la révolution. En 1987, la loi 87-19 pouvait être interprétée comme le feu vert à une privatisation non déclarée. Le domaine Bouchaoui, s’est vu fragmenté en une trentaine d’exploitations agricoles collectives (EAC). Depuis cette date, l’agriculture est sérieusement délaissée. Les hangars et les écuries du village aussi.

Hakim Amara de conclure « Le village de Bouchaoui est le modèle par excellence de l’inexistence d’une politique agricole nationale claire. Il est également l’expression vivante du manque d’intérêt que porte l’État à la préservation des sites historiques. »