Elève en 1829 Création novembre 2010

Introduction de Bernard

Casimir a 17 ans.

Mon grand-père vint en octobre à Juilly conduisant au collège son troisième fils Henri qui devait préparer son examen pour être admis à l’école Militaire de Saint-Cyr ; il fit sortir les deux ainés qui, vu l’éloignement et la grosse dépense, passaient leurs vacances au collège, leur fit visiter un peu Paris et laissant Louis et Henri à Juilly, accompagne Casimir à Brest où il l’embarque le 15 novembre 1829 sur le vaisseau d’instruction l’Orion jusqu’au 7 octobre 1830, soit 10 mois et 22 jours.

Brest, le 14 janvier 1830, à bord de l’Orion

Mon cher papa,

J’ai reçu votre lettre du 29 décembre, elle m’a fait beaucoup de plaisir car il y avait un mois et neuf jours que je n’avais pas reçu la moindre nouvelle. Les habitants de Juilly sont muets, une de mes lettres est restée sans réponse. Je vais leur écrire.

Je suis sorti de l’hôpital, où j’ai passé trois jours ; je puis vous assurer qu’on y est à merveille. Nous sommes dans les mêmes salles que les officiers, c’est tenu avec un soin admirable. J’y suis entré à cause de mon rhume qui était devenu très violent, cependant j’en suis sorti ce qui me fait espérer que je serai bientôt guéri. Je n’ai pas vu Monsieur Duret, je n’ai pas voulu lui faire dire que j’étais à l’hôpital, car si j’avais été soigné par tant de médecins je serais devenu comme Monsieur de Pourceaugnac qui ne pouvait pas se débarrasser de leurs seringues et de leurs lavements. J’espère sortir dimanche chez Monsieur Gueferet. L’Amiral est allé dimanche à bord, je n’y étais pas ; on m’a dit qu’il avait fait la lecture des notes, il n’a point examiné sur les manœuvres, le canon, etc., il a témoigné être content des élèves en général, excepté d’un certain nombre dont il a fait afficher les noms. Ces élèves n’ont eu ce jour-là que deux heures de sortie.

Vous me demandez si j’ai été puni : je puis vous répondre franchement que je n’en ai pas même été menacé jusqu’ici ; je ne sais pas, par exemple, si d’ici à la fin de l’année ce sera la même chose, mais je l’espère. Nous qui sortons des collèges et qui trouvons ici beaucoup plus de liberté nous n’en abusons pas et nous nous en trouvons bien. Le froid n’a pas été si vif que vous pourriez le croire. Nous avons eu beaucoup de neige, mais pas beaucoup de fortes gelées ; nous avons eu deux forts coups de vent, surtout hier, on s’attendait à tout moment que le câble de fer allait casser, on avait fait toutes les dispositions pour en mouiller un autre, mais ça n’a pas été nécessaire. Le mauvais temps ne nous a causé rien de fâcheux si ce n’est pour notre linge qu’on ne nous a remis que trois semaines après l’avoir donné.

Je me suis trouvé court pour mes mouchoirs, cela m’a gêné et me gêne singulièrement. Je ne serais pas fâché d’en avoir une demi-douzaine de plus. L’on ne sait pas encore qui remplacera Monsieur d’Herville. Vous avez dû recevoir ma lettre que je vous ai écrite le 12 décembre par Monsieur Pelage. Il y en avait aussi une pour tata Figuères. Je vous prie de dire mille choses à la Manette, à Maman, à Lisa, Mathilde, Ferdinand et à tout le monde de la maison ; je vous prie aussi de ne pas m’oublier auprès de tata Figuères et de Monsieur Figuères, tata de Bonne, mes cousins et enfin tout le monde qui vous demandera de mes nouvelles. Je vous embrasse et suis pour la vie votre dévoué fils.

P.S.- Je vous prie de m’écrire un peu plus souvent. Vous savez que vous me dites que tous les quinze jours je recevrais et j’écrirais une lettre. Jusqu’ici ce n’a été que tous les mois. Donnez-moi dans vos lettres des nouvelles de Louis Guiraud, c’est un confrère, je vous prie de m’en donner aussi de Félix de Renaud, etc.

Compléments, sur l’école de la Marine

Voir aussi le site de l’espace tradition de l’école navale

Les élèves entrent à dix-sept ans passent deux ans à bord puis deux années à la mer en qualité d’aspirants de deuxième classe. Enfin après un examen et deux autres années de navigation comme aspirants de première classe ils peuvent être promus au grade d’Enseigne de vaisseau.

Une école flottante, installée à Brest sur le vaisseau Orion double Angoulême à partir de 1827, puis le remplace en 1829. Elle deviendra l’École navale le premier novembre 1830.

En 1831, elle est transférée à Brest, sur un navire-école, l’Orion. L’école restera embarquée jusqu’en 1914, date à laquelle elle est transférée à terre

En 1810, l’Empereur Napoléon crée par décret l’Ecole spéciale de la Marine. En fait il s’agissait de deux écoles embarquées sur le Tourville à Brest et le Duquesne à Toulon. Cette disposition rompait radicalement avec l’institution des compagnies des gardes marines qui formaient alors les officiers. Napoléon avait dit à Décrès, son ministre de la marine « Tant que vous ne pourrez pas les élever sous l’eau vous les élèverez sur l’eau. » et il ajoutait qu’une école de la marine dans une caserne serait aussi rationnelle qu’une école de cavalerie sur un vaisseau.

Les Cent jours et la Restauration eurent raison de cette première expérience qui n’eut pas le temps de corriger ses inévitables lacunes. L’on eut alors une idée fortement étayée et solidement argumentée : le ministre de la marine du Bouchage proposa en 1816 à Louis XIVII de créer un collège Royal de la Marine. Ce collège se chargerait de la formation théorique des élèves. La formation pratique serait confiée à des corvettes d’applications.

La ville retenue pour ce collège fut tout naturellement Angoulême en effet, je cite le ministre : « l’esprit y est bon, les vivres y sont abondantes et à des prix raisonnables » et argument imparable : « le nom de cette ville sera d’un bon augure et il excitera les élèves à se rendre un jour digne de l’auguste protection de l’amiral de France ».

Les espoirs placés dans ce collège furent rapidement déçus, le zèle des élèves était notoirement insuffisant et la discipline débonnaire. De moins en moins de familles confiaient leurs enfants à l’institution qui fut la cible des railleries : « une école de la marine construite sur une montagne ».

De « courageuses » réformes furent alors entreprises en 182 : le recrutement ne se limita plus aux familles fidèles au souverain mais par le moyen d’un concours public réalisé par les examinateurs de l’Ecole polytechnique. Pour donner un peu de sel à la formation, des embarcations amenées de Rochefort permirent aux élèves de s’initier à la manœuvre.

Malgré tout, l’opposition restait violente entre les partisans d’une école embarquée et ceux d’une école à terre. Le déficit d’élèves devenant de plus en plus insupportable, par une décision du 07 mai 1827, il fut créé une école parallèle sur le vaisseau l’Orion en rade de Brest. Ce fut une première atteinte au Collège d’Angoulême. Celui-ci reçu le coup de grâce le 1er novembre 1830 quand Louis-Philippe déclara dans une ordonnance que « l’expérience ayant justifié les espérances qu’on avait conçues du système actuellement suivi [] nous avons jugé à propos de pourvoir définitivement à [sa] régularisation » créant ainsi l’École navale.

Vers la fin d’octobre de cette même année 1823, les habitants de Toulon virent rentrer dans leur port, à la suite d’un gros temps et pour réparer quelques avaries, le vaisseau l’Orion qui a été plus tard employé à Brest comme vaisseau-école et qui faisait alors partie de l’escadre de la Méditerranée.

Ce bâtiment, tout éclopé qu’il était, car la mer l’avait malmené, fit de l’effet en entrant dans la rade. Il portait je ne sais plus quel pavillon qui lui valut un salut réglementaire de onze coups de canon, rendus par lui coup pour coup ; total : vingt-deux. On a calculé qu’en salves, politesses royales et militaires, échanges de tapages courtois, signaux d’étiquette, formalités de rades et de citadelles, levers et couchers de soleil salués tous les jours par toutes les forteresses et tous les navires de guerre, ouvertures et fermetures de portes, etc., etc., le monde civilisé tirait à poudre par toute la terre, toutes les vingt-quatre heures, cent cinquante mille coups de canon inutiles. À six francs le coup de canon, cela fait neuf cent mille francs par jour, trois cents millions par an, qui s’en vont en fumée. Ceci n’est qu’un détail. Pendant ce temps-là les pauvres meurent de faim.