Méditérannée sur l'Inflexible
13 mois Création novembre 2010

Toulon, le 18 juillet 1849, rue Traverse de la Comédie N° 1

Casimir a 36 ans, il est sur l’Inflexible du 28 juillet 1849 au 1 septembre 1850, 13 mois et 9 jours

Ma chère mère,

Je suis arrivé hier soir à Toulon, après avoir beaucoup souffert de la chaleur pendant mon voyage. Je me suis séparé du Capitaine Pistre à Cette, à mon grand contentement, ce brave cher homme devient monotone avec ses récriminations sur les Saint-Ponais dont il passe la vie à chiffrer les fortunes.

Je me suis enfin présenté à l’autorité maritime. J’aurais dû arriver deux jours plus tôt, j’ai manqué deux magnifiques embarquements ; je suis le premier à marcher, aussi suis-je inquiet sur ma destination.

J’ai vu Roquemaurel à moitié chemin de Marseille. Il va se faire mettre un râtelier dont il a le plus grand besoin. On prétend qu’il va faire le tour du monde avec la corvette la Capricieuse. J’ai dans l’idée que s’il part il n’en reviendra pas, tant sa santé est gravement atteinte.

L’Escadre part après demain pour Naples, ou pour Gaëte. Le bruit courait que la Brigade Vaillant avait poursuivi et dispersé Garibaldi à qui on avait enlevé la caisse contenant 8 à 10.000.000 de valeurs. Le Général Oudinot a été hué à son entrée dans Rome par quatre ou cinq cents démocrates, il les a chargés avec son escorte.

Quelques assassinats ont eu lieu après l’occupation, on a pris des mesures sévères. À Civita-Vechia, où s’embarquent tous les émeutiers qu’on renvoie, on a formé une Brigade de polices armées d’un nerf de bœuf et d’un sabre. Ils emploient le premier de ces instruments pour dissiper les rassemblements, ils sont rarement dans la nécessité de recourir au second. On dispose des vaisseaux en pontons, pour y loger les prisonniers.

Mon scélérat d’ami qui devait m’apporter un boisseau de chapelets bénis par le Pape, ne m’en a gardé que deux, les voulez-vous ?

Dès que je connaîtrai ma destination je vous en informerai en attendant je me porte bien et me fatigue beaucoup à défaire mes caisses. J’ai trouvé un uniforme mangé par les mites et du linge pourri. À cela près tout le reste s’est assez bien conservé.

Je vois avec douleur qu’on n’arme aucun bateau à Toulon, si, par hasard, le Ministre pensait à moi, ce dont je commence à douter bien fort, je serais bien ennuyé d’aller prendre un bateau à Lorient ou à Brest.

Je suis épouvanté à l’idée de remonter en diligence et de faire des malles.

Adieu ma chère mère. J’écrirai à Henri dès que je saurai pour lui quelque chose, embrassez Eliza, Mathilde, Amélie de ma part. Mes compliments à Ronel, Gaïx, Hauterive.

Je vous embrasse affectueusement

Votre fils

Le Suffren et l’Inflexible

Le Suffren et l’Inflexible étaient deux « sister ship »

C’est à cette époque que l’on vit se modifier la silhouette traditionnelle des derniers vaisseaux à voile. Jusqu’alors, et dans toutes les marines, les navires avaient des formes rentrantes. Cette rentrée présentait un certain nombre d’inconvénients, notamment celui de diminuer la largeur des ponts et des batteries supérieures, ce qui réduisait la place disponible pour la manœuvre des voiles et des canons.

Autour des années 1820, une tendance s’affirma dans les milieux navals en faveur des murailles droites. Ce fut, en fait, une véritable polémique qui opposa le lieutenant de vaisseau Gicquel des Touches à l’ingénieur Tupinier, alors directeur des ports et arsenaux. En plus des arguments techniques, des Touches affirmait curieusement que la rentrée de la coque était un expédient inventé par les Anglais pour parer à leur infériorité face aux Français dans les combats d’abordage, créant entre les vaisseaux un fossé infranchissable.

Une première frégate sans rentrée ni bouteilles, la Jeanne d’Arc, fut construite suivant ce principe nouveau, et à sa suite toute une flotte de vaisseaux de haut bord, plus grands et plus puissants que leurs prédécesseurs, tel le Suffren : lancé à Cherbourg en 1829, il avait 90 canons, 60,27 m de long, 16,28 m de large, et des murailles droites, ce qui veut dire qu’il était aussi large au pont qu’à la flottaison.

On prit alors conscience que ce système n’avait pas que des avantages. Les navires à murailles droites avaient une stabilité médiocre, fatiguaient sous le poids des canons, et leurs ponts prenaient bientôt une inquiétante forme d’arc. L’artillerie, par contre, disposait de plus de place grâce à l’élargissement du pont supérieur, dont l’ampleur leur permettait en outre de donner aux haubans un plus grand épatement ; d’où une meilleure tenue de la mâture.

Toulon, le 27 juillet 1849

Mon cher Louis,

Je pars demain matin pour l’Escadre Baudin qui est à Hyères, mais je ne sais pas sur quel vaisseau je serai embarqué, Aussi je ne puis te donner ma nouvelle adresse.

Nous avons eu un conseil de guerre pour juger un officier de Perpignan, Monsieur Bolinier, qui a perdu un bateau à vapeur ; il a été acquitté à 5 voix contre 3, mais un considérant du jugement est venu lui enlever le bénéfice de cet acquittement : le Conseil a reconnu qu’il avait négligé ses devoirs. Le pauvre garçon est enterré pour la marine.

Les nouvelles de Paris me sont défavorables, aussi suis-je décidé à renoncer à une demande de commandement. Ce n’est plus fort gai aujourd’hui avec les Conseils de guerre qui se multiplient.

J’ai reçu une proposition de mariage à bout portant par deux fois. Je pourrais bien me laisser aller. C’est pour la belle-sœur d’un de mes grands amis, je connais la fortune, j’ai vu un fort bon et beau portrait de la jeune personne de 22 ans. Elle peint à merveille. J’ai vu deux toiles d’elle qui sont remarquables et elle joue fort bien du piano. On l’a dit un peu petite. La femme de mon ami est absente – à son retour je pourrai voir le fond de cette affaire qui est de 200.000 frs en terres.

Ne va pas conter ce que je te dis là aux Gaïx ni aux Villeneuve et même à Mme de Bonne. Cette proposition me parait devoir être prise en considération et je suis sûr qu’avant de m’en parler, mon ami et sa femme avaient mûri le projet.

Adieu, Mon Cher Louis, fais mes compliments à tes voisins, donne de mes nouvelles à Ax et à Ronel.

Mille choses à Amélie – Je t’embrasse affectueusement

Ton frère

Toulon, le 4 août 1849, à bord de l’Inflexible

Mon cher Louis,

Sans connaître le vaisseau sur lequel j’embarquais, je suis tombé sur l’Inflexible commandé par Monsieur de Mouléon, homme très comme il faut et avec qui nous avons tous d’excellents rapports. Je suis l’officier le plus ancien du bord, ce qui me donne un logement de choix, dans lequel j’ai beaucoup de jour et beaucoup d’air. mais cela me donne aussi la présidence de la table qui est fort gaie et fort bruyante. J’ai déjà fait voter des fonds pour m’acheter une sonnette.

Je crains que le nouvel Amiral ne fasse quelques mutations dans les États major, je le crains d’autant plus que je suis un des officiers peu ancien de l’escadre et que beaucoup de vieux sont entassée sur le même vaisseau.

J’ai envoyé à tous les diables mes idées de commandement, cela donne trop de peine à obtenir. Les bâtiments que j’aurais désirés sont donnés, je considère les autres comme des tuiles. J’ai été deux bons jours à me remettre à un service actif, j’étais sur les dents, le troisième, à présent cela va tout seul, le pli est repris.

Je n’écris pas à ma mère, dont je serais fort embarrassé de mettre l’adresse à Ax. Charge-toi de lui donner de mes nouvelles.

Nous serons à Toulon pour quelques jours. L’amiral Parceval aura besoin de s’établir chez lui, et peut-être de changer d’embarquements : le Friedland contre le Souverain, qui ayant été aménagé pour le Prince de Joinville, doit tenter un homme si amoureux du confortable.

Vous aurez sans doute l’Amiral Baudin propriétaire en Languedoc. Sa femme et lui m’ont fait beaucoup de questions sur le prix des terres dans nos parages, la nature des récoltes et la situation politique et religieuse de nos populations. Je leur ai fait peur des coteries protestantes et catholiques, du vent d’autan et de la démocratie. Je ne sais trop s’ils profiteront de mes observations.

Adieu, Mon cher Louis,

Toulon, le 25 août 1849, à bord de l’Inflexible

Monsieur le maréchal,

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La bienveillance que vous m’avez toujours témoignée m’enhardit à venir encore vous parler de moi, et à vous prier de demander à Monsieur le ministre de la marine la réparation d’un oubli commis à mon préjudice par les bureaux du personnel de la marine.

Cet oubli m’a été fatal en ce qu’il m’a empêché d’obtenir le commandement que vous aviez bien voulu demander pour moi, mais il le serait bien davantage à mes yeux s’il pouvait vous faire penser que mon zèle et mes manières de servir se justifient par votre haute protection.

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Monsieur le Ministre de la marine n’a pas pu me confier un commandement parce que je n’étais pas compris dans le tableau dressé par le conseil d’amirauté. Ignorant le motif qui m’en avait fait exclure, j’ai dû, tout en le déplorant, accepter cette décision du conseil. Toutefois, j’ai cherché à en connaître les motifs et j’ai appris avec certitude qu’il n’existait aucune demande dans mon dossier et qu’ainsi le conseil n’avait pas eu à s’occuper de moi.

Je me suis donc adressé à l’ancien directeur du personnel qui m’a assuré avoir eu entre les mains, deux dépêches du commandant de la station d’Haïti (avril 1848) dans lesquelles cet officier supérieur demandait pour moi un commandement au Ministre.

Il y a peu de jours que Monsieur le Capitaine de vaisseau Jannin, commandant de la Danaïde, m’a fait savoir qu’il venait d’en adresser une autre au Ministre dans le même but et que cette fois, il l’avait fait apostiller par le gouverneur général des Antilles. Ces pièces qui auraient dû être analysées au personnel ont été envoyées aux archives. M. le Ministre de la marine pourrait les faire retrouver et acquérir ainsi la conviction que sa responsabilité ne serait nullement compromise en me confiant un bâtiment, et en attendant, me faire porter d’office sur les tableaux de l’amirauté dont il a un à sa disposition.

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Je ne doute pas, M. le maréchal, que si vous priez le Ministre de vouloir bien faire présenter ces pièces, il ne revienne de l’opinion défavorable qu’à dû lui inspirer l’absence totale de notes sur mon compte, ce qui l’a sans doute empêché de m’attacher à son état-major comme il vous en avait manifesté l’intention.

J’ose espérer, M. le Maréchal, que vous voudrez bien excuser mon importunité, et me donner cette nouvelle marque de votre bienveillance qui ne pourra rien ajouter à ma profonde gratitude.

Veuillez Monsieur le Maréchal, faire agréer mes hommages respectueux à Madame la Maréchale.

Monsieur le Maréchal, votre très humble et très obéissant serviteur

Casimir de Bonne

Toulon, le 21 août 1849, à bord de l’Inflexible

Mon cher Louis,

Tu m’as trouvé, dans ma dernière lettre, assez content de mon embarquement. Je suis aujourd’hui dans des perplexités sans fin, car nous sommes menacés de la plus affreuse tuile qui puisse tomber sur un Etat-Major. Monsieur L’amiral Vaillant, gredin sans foi et même sans politesse, nous fait espérer qu’il mettra son pavillon sur l’Inflexible ; depuis le commandant qu’il envahit jusqu’aux enseignes qu’il déplace, ce n’est qu’un concert de malédictions ou je fais ma partie, je t’assure, car je perds un fort joli logement de Capitaine de frégate.

Je ne te parlerai pas plus de mes projets de mariage pour moi que pour Henri, je ne sais ce que je t’en ai déjà dit, et avant de pousser même une reconnaissance, je dois attendre l’arrivée de Madame qui est dans sa famille jusqu’au mois d’octobre. Ainsi, d’ici là, fais des suppositions comme Eliza.

Je te dirai que les chapelets bénits par le Pape ne m’ont pas paru bon teint. Ils avaient tous des médailles françaises. La couleur locale manquait ; je n’ai pas cru à leur vertu.

On prétend que le Pape est plus entêté qu’une mule. Messieurs Oudinot de Corcelles et Trehouard, qui ont été à Gaëte, dernièrement, prétendent qu’on ne peut rien en tirer.

On nous fait grand peur du choléra. Il ne meurt pas quelqu’un en ville, qu’on ne prouve que ce soit de cette maladie. J’en ai eu une attaque, fort légère il est vrai, puisqu’elle a été guérie par deux forts verres de punch. J’avais été pris dimanche soir pendant un quart de huit heures à minuit ou j’avais souffert du froid. Il ventait du reste à décorner les bœufs.

Si tu rencontres Daussac, Dis-lui que beaucoup de monde me demande de ses nouvelles. Mes compliments à Amélie, à Gaïx et Hauterive, etc.

Je t’embrasse tendrement.

Toulon, le 27 août 1849, à bord de l’Inflexible

Mon cher Louis,

Enfer et damnation l Je suis joué comme un conscrit. Le Conseil d’Amirauté m’a mis dedans de la façon la plus imprévue. Ces vieux Satrapes ont trouvé moyen de faire disparaître les pièces qui me concernaient, et ainsi de ne pas me porter sur le tableau d’avancement ni de commandement. Je tiens à les enfoncer et ta messe arrive bien à propos pour mettre le feu sous le ventre au vieux maréchal et tirer pieds et ongles de ce négrophile de Tracy, qui avec ses manière mielleuses et bienveillantes, s’imagine m’endormir.

Voici comment j’ai su mon affaire. La mère Jannin est arrivée à Toulon avec son fils, qu’elle m’a envoyé à bord pour me dire d’aller la voir. Elle m’a montré des lettres de son mari desquelles il résulte que trois demandes ont été faites pour moi, et la dernière chaudement apostillée par l’Amiral Bruat. J’ai alors écrit à Paris à Lapelin, aide de camp du Ministre, et voici sa réponse : « tu n’es pas sur les listes d’avancement ni de commandement, j’ai voulu savoir pourquoi. de Plas, membre du Conseil d’Amirauté m’a dit qu’à son grand étonnement, il n’existe aucune demande à ton dossier ».

J’ai alors recouru à Roquemaurel qui m’a dit avoir eu, dans les mains les deux demandes du commandant Jannin, et les avoir envoyées au bureau des officiers militaires pour en prendre note. Ces demandes faisaient partie de dix dépêches sur papier bleu petit format, suivant l’habitude des commandants qui correspondent avec le Ministre, par postes anglaises. Les bureaucrates auront trouvé tout simple de ne pas faire l’instruction et d’envoyer ces pièces aux archives, où elles dorment sans doute.

J’ai écrit au Maréchal pour lui expliquer pourquoi sa recommandation a été stérile pendant aussi longtemps et le prie de signaler ces faits au père Tracy pour les faire vérifier et me faire porter d’office sur la liste, comme il en a le droit et comme il me l’a promis.

Je tiens assez peu à un commandement car il n’y en a pas de fameux à donner en ce moment et j’ai pris mon parti de l’Inflexible où je suis fort bien. Toutefois on prétend que nous allons débarquer et passer avec armes et bagages sur le Souverain ou l’Amiral Parceval mettrait son pavillon. Si je devais conserver mon ancienneté à bord du Souverain ce serait une bonne fortune pour moi, mais si je deviens second ou troisième lieutenant, je n’ai rien à gagner à ce métier.

Ton cousin peut venir sur l’Inflexible si bon lui semble je me charge de le faire embarquer. Il pourrait attendre à bord un embarquement sur la Capricieuse qui ira, dit-on, en Chine commandée par Roquemaurel à qui je le ferais prendre, s’il a envie d’y aller. L’envie de la Chine commence à me venir aussi. Je pense qu’étant second du commandant de la Station, je pourrais être Capitaine de frégate au retour dans trois ans. Cela vaut la peine d’y penser. Il est bon d’avoir plusieurs cordes à son arc.

Le cousin, Casimir de Sauhnac sorti de l’Ecole Navale avec le grade d’Aspirant en 1849, fit la campagne de Chine comme lieutenant de vaisseau, il était en I870 à bord du « Bouvet » lors du combat que celui-ci livra au « Météor » en vue de la Havane, seul combat qui ait eu lieu sur mer pendant la guerre Franco-Allemande (I870-I871) il prit en 1880 sa retraite comme Capitaine de frégate.

Tache d’incruster dans la tête des Viviers que je vais à terre fort rarement, accablé comme je le suis de service. J’ai du reste quitté mon logement à terre depuis le 20.

Nous avons colloque l’amiral Vaillant sur l’Inflexible aujourd’hui. Nous voilà tranquilles. J’ai fait la connaissance de ce grand bellâtre de Monsieur Galibert et de Monsieur Lassource, aussi de Castres tous les deux.

Adieu, Mon cher Louis. Va bientôt à Saint-Amans et donne-moi des nouvelles de ma lettre au maréchal. Insinue que je souhaiterais, de grand cœur, un poste à Paris eu attendant un commandement qui ne peut que m’arriver par sa toute puissante protection.

Je t’embrasse tendrement

31 août 1849, recommandation Maréchal Soult

Soult-Berg Saint-Amans – Tarn

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Monsieur le Ministre (de Tracy), dans le mois d’avril dernier j’ai eu l’honneur d’appeler de nouveau votre bienveillant intérêt sur M. de Bonne, Lieutenant de Vaisseau ; mais il parait que vous n’avez pu faire en sa faveur ce que j’avais demandé pour lui. Seulement, vous vous êtes borné à le replacer en activité à bord de l’inflexible.

J’ai reçu, il y a quelques jours, du même officier une nouvelle lettre, en date du 25 de ce mois ; j’ai l’honneur de vous la remettre. Peut-être d’après les détails qu’il me donne, trouverez-vous occasion de lui être plus favorable que la première fois. Je le désire de tout mon cœur, car, outre qu’il appartient à une très bonne famille du pays, je le crois digne d’obtenir de nouvelles marques de votre bienveillance. Dans cet espoir, j’ai l’honneur M. le Ministre de me rappeler à votre bon souvenir et de vous prier de recevoir toutes les marques de mon sincère attachement.

Mgr de Dalmatie

Toulon, le 19 septembre 1849, à bord de l’Inflexible,

Mon cher Louis,

J’ai reçu ta lettre et en même temps une de Charles (le Curé) et une autre de Mathilde qui me donnent des détails sur leurs entrevues respectives avec le Maréchal [Soult], à qui j’ai écrit dernièrement, comme je te l’avais annoncé. Je ne sais trop ce que deviendra cette affaire ; en tous les cas, renferme-toi dans mes premières instructions si tu as l’occasion de voir cette illustre épée.

La Danaïde est arrivée avant hier et j’ai eu une explication avec le commandant Jannin, d’où il résulte que les pièces se sont sans doute égarées dans les bureaux ; mais le rapport de fin de campagne va contenir un chapitre fort long sur mes mérites et mes vertus.

Nous avons été en partance pendant 2 jours avec un corps expéditionnaire de 1000 hommes pour le Maroc, nous devions prendre d’autres troupes en passant à Oran. Hier on nous a débarqué tout notre monde, l’expédition n’a pas lieu à mon grand regret, car, étant le plus ancien à bord, et nos canonnières tirant à merveille, il y avait quelque chose à obtenir.

Ton oncle, Monsieur de Saunhac, m’a écrit hier pour me parler de son fils et de son embarquement. Je lui ai annoncé que la Capricieuse commandée par Monsieur Armand de Gorse n’allait pas en Chine et que Monsieur de Mouléon devait demander son fils à l’Amiral pour l’embarquer sur l’Inflexible.

Le choléra est ici, dit-on ; les gens bien informés prétendent que les morts ne sont que des cholériques marseillais. En attendant on ne s’en émeut guère. Nous allons évoluer au large,

Le Pape est toujours récalcitrant. Cette affaire devient bien épineuse.

Mes compliments affectueux à Amélie. Je t’embrasse.

Hyères, le 10 octobre 1849

Mon cher Louis,

J’ai reçu ta dernière lettre ainsi que les deux instructions pour le choléra, auxquelles je me conformais déjà, tant me douter que j’avais l’approbation d’un professeur de la faculté de médecine de Paris, pour mélanger le rhum avec le thé ; c’est sans doute d’après le précepte de Boileau qu’il faut ainsi unir le grave au doux, le fort et le faible, le plaisant et le sévère.

À propos de sévère ton oncle le président m’en a fait faire une sévère, il a amené son fils à Toulon et j’apprends qu’il est sur l’escadre à bord du léna je crois. Me voilà bien planté avec Monsieur de Mouléon à qui j’avais demandé son embarquement sur l’Inflexible. Je vais tacher de me dépêtrer en donnant beaucoup de torts à ton oncle et à son fils. C’est plus désagréable avec Monsieur de Mouléon qu’avec un autre, car il est très formaliste et une justice à lui rendre c’est qu’il est plein de formes lui-même.

Madame de Viviez m’a écrit aussi pour m’occuper de l’embarquement de son fils avec Monsieur de Grancey son ami. Ce Monsieur de Grancey est sur le Jemmapes et je me suis immédiatement adressé au Capitaine de frégate, second de ce vaisseau, qui m’a dit qu’ils avaient déjà quatorze élèves, et qu’il ne pouvait en prendre un quinzième, mais qu’il donnerait toute espèce de facilité pour une mutation. J’en causerai avec le sous-chef d’état-major. Ces jeunes gens ont des idées fort singulières, ils sont comme les bœufs, ils vont deux à deux.

Revenons au choléra. Le 7 octobre, Toulon et ses faubourgs, avaient déjà perdu 900 personnes. C’est ce-que le sous-préfet écrivait hier à notre commandant en lui disant qu’il lui donnait les chiffres de la mairie. La maladie diminue avec rapidité ; le dernier chiffre est 25 pour la journée du 8, mais est-il exact ? Il est permis d’en douter car eu faisant la somme des différents chiffres donnés publiquement jusqu’au ? On n’arriverait pas certainement à 900. Il est donc permis de croire qu’on déguise encore l’intensité du mal dans le but de rassurer la population qui a déserté.

Nous sommes toujours à Hyères sans bouger, Nous appareillons quatre fois par semaine, mais nous revenons au mouillage à midi, ce qui nous fait l’effet d’une promenade de santé.

Adieu, Mon cher Louis, j’attends de revenir à Toulon pour expédier mon rhum ; je commence à revenir de l’idée qu’il se conserve mieux en fut qu’en bouteille. J’en avais de l’un et de l’autre acheté le même jour. Celui en bouteille est devenu bien meilleur un goût de mes camarades et au mien.

Aussi je te prie quand tu iras à Saint-Pons de faire mettre en bouteilles un petit baril d’eau de vie qui est au fruitier. Le plus vieux est le plus près du mur, les deux autres ont été mélangée d’eau de vie plus jeune.

Fais mes compliments affectueux à Amélie, Léon, Justine et Madame de Bonne. Si Maurice est en congé Dis-lui bien des choses de ma part.

Ne m’oublie pas à Hauterive et à Gaïx.

Nous avons eu cette nuit un fort coup de vent d’est qui s’est terminé par un orage très violent. Le tonnerre est tombé à quelques mètres du bord. J’ai été réveillé en sursaut croyant qu’on me tirait un coup de canon clans les oreilles.

Je t’embrasse de tout mon cœur, ton affectionné frère.

À la mer, le 25 octobre 1849, à bord de l’Inflexible

Mon cher Louis,

En mettant le nez à mon sabord, ce matin, il m’a semblé voir l’ile de Malte et l’idée m’est venue que l’amiral enverrait peut-être un courrier dans ce port pour prendre ses lettres, il nous a en effet informés qu’il avait cette idée. Je m’empresse de t’écrire, par cette voie, pour te dire ou nous sommes et pour te donner à deviner ou nous allons. Il est très clair d’après notre position que nous allons dans le Levant, puisque le Levant commence après la Sicile. Irons-nous dans l’Adriatique, aux Dardanelles ou à Athènes. Quoiqu’il en soit, nous n’avons plus de vivres. J’ai nourri mes administrés pendant 10 jours, malgré qu’on ne nous ait fait prendre des vivres que pour huit ; c’est une belle conduite, eh bien les estomacs sont si ingrats que je crains de voir renouveler à mon égard les horribles scènes du naufrage de la Méduse : j’ai peur d’être dévoré. J’ai des commensaux qui ont des dents et des estomacs de requins. Heureusement que mon ami Clément va à Malte avec le Descartes et je le prie de m’envoyer deux moutons, etc., etc.

Je serais toutefois ingrat envers la providence si je ne te disais qu’elle nous a envoyé la Manne céleste sous la forme de cailles, la nuit dernière. mais que sont trois cailles pour 856 hommes. Aussi le commandant se les est-il adjugées.

La navigation d’escadre que je n’avais faite qu’à bord d’un vaisseau Amiral, et en qualité d’enseigne, est quelque chose d’assommant ; il faut nuit et jour avoir les cordes sur les bras et manœuvrailler constamment. C’est à devenir chèvre.

L’Amiral donne l’ordre à son contre-amiral d’ouvrir ses plis à l’instant. Nous pensons qu’il va se rendre dans l’Adriatique. Je voudrais bien qu’il nous emmenât avec lui, je me rappelle encore le séjour que j’ai fait à Trieste en 1839.

Voilà le rhum de Léon, le tien et le mien qui va courir encore Dieu sait pour combien de temps. Si c’est jusqu’à la conclusion de la question d’Orient, cela sera long. Autant vaudraient les Calendes grecques. mais à quoi bon tout ce mystère pour nous conduire dans le Levant. Nos équipages sont incomplets ! Les rechanges ne sont faits que pour deux mois !

Adieu, mon crier Louis, mes compliments aux amis, connaissances etc. Je me porte à merveille, mais cela ne durera pas si je suis encore pour longtemps au régime du lard salé et des haricots secs.

Je t’embrasse affectueusement

Dis à Amélie qu’il m’a été impossible de communiquer avec son cousin (de Saunhac) depuis ma dernière lettre on n’a pas mis d’embarcation à la mer. Je l’ai recommandé à un lieutenant de vaisseau à son bord qui, dans le temps, m’avait été recommandé au même titre.

Ourlac, le 18 novembre 1849, à bord de l’Inflexible

Mon cher Louis,

Si je ne me trompe je t’ai écrit à notre passage à Malte, que nous avons vu, sans toucher. Depuis lors nous sommes bêtement venus à Gurlac, où nous avons de la peine à nous approvisionner d’eau et où il faut faire venir nos vivres de Smyrne. Nous recommençons la grande question d’Orient, que je croyais renvoyée à quelques années d’ici, au milieu des complications européennes, quoiqu’il eût soit on parait fort affairé, on attend toujours d’importantes nouvelles et les plus petites niaiseries prennent des proportions colossales.

À notre arrivée ici nous ne pensions qu’à repartir, car tout était, disait-on, fini. mais l’empereur de Russie s’est mis dans une grande-colère prétendant que l’Escadre anglaise avait franchi les Dardanelles, et qu’il serait censé céder à des menaces. Voici ce qui s’était passé : Les Anglais mouillés à Ténédos ont essuyé un furieux coup de vent de s.o. que nous avons essuyé, nous aussi, au moment d’entrer à Navarin. Nous avons immédiatement pris le large et tenu la mer pendant 46 heures. Les Anglais ont été se mettre à l’abri dans l’intérieur du détroit au mouillage des terres blanches qui se trouve à deux lieues avant d’arriver aux châteaux d’Asie et d’Europe. L’amiral Parker qui commande la flotte anglaise, est loin d’être un homme entreprenant, il a été à la remorque de l’Amiral Baudin dans toutes les affaires de Naples et de Sicile, n’osant jamais prendre une décision sans son avis et trop heureux qu’il voulut bien penser pour lui. Du reste il s’en retourna à Athènes et à Malte.

L’Inflexible va, dit-on, rentrer à Toulon pour faire des réparations. On a constaté la vétusté de ses ponts, quand l’Amiral voulait nous faire passer avec lui sur le Souverain et le Génie maritime ne nous-croit plus capable de tirer un coup de canon sans nous défoncer.

J’ai vu hier ton cousin de Saunhac. Il est à bord de l’Hercule, où il se trouve, m’a-t-il dit, fort bien. Il me parait animé d’un saint zèle pour le service, il n’a pas voulu venir diner à bord de l’Inflexible parce qu’il se trouvait de quart le jour de mon invitation. Il a été faire un petit voyage à Smyrne et voudrait beaucoup faire une longue campagne. Du reste il se porte fort bien.

Nous sommes sans lettre et sans journaux depuis notre départ de Toulon. Nous ne savons absolument rien de ce qui se passe en France. J’apprends à l’instant un changement de Ministère. de Tracy s’en va, Fould arrive. Je me soucie autant de l’un que de l’autre, ils ne peuvent ou ne veulent rien faire pour moi.

Si tu vois Daussac Dis-lui que l’entourage Parceval me demande souvent de ses nouvelles. Nous espérons aller bientôt à Smyrne. On s’excède ici et sans aucune réussite.

Compliments affectueux à Amélie, souvenirs à Hauterive et Gaïx Je t’embrasse,

Contrairement à ce que penses Casimir, c’est l’Amiral Romain-Desfossés (1798-1864) qui devient ministre de la marine après Tracy .

Victor Destutt, marquis de Tracy (1781 -1864), polytechnicien, participe aux campagnes de Napoléon, député entre 1822 et 1848. Proche de la tendance de gauche, il sera opposant modéré à la monarchie de juillet. Un an ministre de la marine entre 20 décembre 1848 et le 31 octobre 1849 dans le gouvernement d’Odilon Barrot. Se retirera de la vie politique en 1851.

Ourlac, le 27 décembre 1849, à bord de l’Inflexible

Mon cher Louis,

Je n’ai pas répondu aussi vite que je l’aurais voulu à ta dernière lettre, mais notre ordre de rappel devant arriver par le paquebot du 20 et comme je ne pouvais t’écrire que le 17, j’attendais pour t’annoncer la solution de la question d’Orient et notre retour en France. Ni l’une ni l’autre de ces deux choses ne s’est réalisée. La question d’Orient menace encore de se perpétuer pendant cent cinquante ans avec les Egyptiens, les Druses, les Moldaves et les Valaques. Tous les jours surgit une nouvelle phase. Toutefois, l’Escadre doit rentrer dans le mois de février, mais l’Inflexible qui est le plus vieux des vaisseaux et qui a le commandant le moins ancien est menacé de rester ici. Pourquoi ? Je n’en sais rien.

Je suis allé faire un voyage de trois jours à Smyrne. J’en ai rapporté une courbature et une forte fièvre, qui ont heureusement cédé à une cuite complète et au repos. J’ai appris par les officiers de l’Hercule que ton jeune cousin avait été malade, légèrement du reste. Il est à cette heure parfaitement portant.

J’ai reçu une lettre de faire-part de la famille de Saint-Martin. Il n’est pas d’usage de répondre aux lettres imprimées. J’ai déjà chargé ma mère de dire aux membres de cette famille, qu’elle aurait l’occasion de voir, toute la part que j’avais prise à ce douloureux événement, si tu vois quelqu’un avant elle charge toi de ma commission.

Nous sommes toujours à Ourlac, où il pleut presque toujours et vente quelque fois. Nous avons eu notre chaloupe bêtement coulée, il y a quelques jours, et un brave homme noyé.

Je n’ai pas de nouvelles d’Henri depuis un siècle, je sais seulement qu’il n’est pas venu en congé, comme il se l’était proposé.

Je te souhaite une bonne année, ainsi qu’à Amélie, Fais-moi le plaisir de me rappeler au souvenir des honnêtes habitants de Castres qui ne m’ont pas tout à l’ait oublié et me portent quelque intérêt, je mets en première ligne Monsieur de Villeneuve.

Je t’embrasse de tout mon cœur,

Smyrne, le 6 janvier 1850, à bord de l’Inflexible

Mon cher Louis

J’ai reçu le 31 décembre seulement ta lettre du 6

Nous sommes à Smyrne depuis une heure, Nous avons mis trois jours pour faire les six lieux qui nous en séparaient, et encore, ce matin, l’Amiral nous a-t-il fait remorquer par les bateaux à vapeur. Nous avons des temps affreux depuis quelques jours. Toutes les montagnes sont couvertes de neige, et il est tombe de la pluie eu quantité. Après quelques jours de séjour ici, nous partirons pour France. Il est bien question de laisser un vaisseau, mais je ne crois pas que ce soit l’Inflexible on nous l’aurait déjà dit officiellement et notre vaisseau est trop vieux pour faire un service bien actif.

Le tonnerre nous est tombé à bord le jour du premier de l’un, pendant notre diner, et malgré la pluie qui durait depuis 36 heures à incendié notre voile de petit hunier. Il a laissé des traces tout le long du mât de misaine, comme si l’on avait brûlé une traînée de poudre. Il est descendu par deux chaines dans l’hôpital où il a renversé deux hommes. L’un d’eux a eu une orchite à la suite. J’espère que cet accident remettra tous les commandants de l’Escadre dans les prescriptions du règlement, qui exige qu’on ait les paratonnerres en place en tout temps, prescriptions que le mode avait laissé tomber en désuétude. Il est heureux que cet accident n’ait pas eu d’autres suites, nous avons eu la veille et le lendemain deux hommes tombés de la muse d’Artimon, qui en ont été quittes pour une saignée et qui se promenaient le lendemain. J’espère eue ce sera là notre contingent de malheur pour 1850.

L’orchite aiguë est une infection des testicules causée soit par des bactéries soit par le virus des oreillons.

J’espère voir le cousin d’Amélie un peu plus fréquemment pendant notre séjour à Smyrne, on fera trêve d’exercices et le temps ne sera pas aussi mauvais qu’à Ourlac.

Adieu, Mon cher Louis, donne de mes nouvelles à Saint-Pons, Rappelle-moi au bon souvenir d’Amélie, complimente partout

Porte-toi bien – je t’embrasse affectueusement.

Smyrne, le 17 janvier 1850, à bord de l’Inflexible

Mon cher Louis,

L’homme propose et l’Amiral dispose. C’est la réflexion que j’ai malheureusement faite quand notre vaisseau a reçu l’ordre de prendre sa station au Pirée avec je ne sais trop quel Amiral qu’on va nous expédier de France. Nous ne pouvons pas toutefois rester fort longtemps ici, car nos ponts sont dans un état pitoyable. Dix ou huit mois les rendront aussi minces que des feuilles de papier, heureux si nous ne passons pas au travers.

Ton jeune cousin est un jeune sauvage qu’il m’a été impossible de voir à bord de l’Inflexible, même en service. Je lui ai fait promettre de venir diner avec moi à jour fixe – je l’ai vainement attendu. J’espère qu’il se défera de cette trop grande timidité. Il ne s’est pas soucié de rester dans le levant. Il est au reste fort bien à bord de l’Hercule, ou je l’ai vivement recommandé à trois lieutenants de vaisseau de ma promotion dont l’un est notre compatriote ou à peu prés. Il a été un peu malade mais il est fort bien maintenant ; je le rencontre à terre courant les bazars et achetant un tas de bric à brac. Je pense qu’il veut fonder une maison à Rodez.

Je viens de donner commission pour m’acheter un joli cheval que je veux embarquer pour l’avoir au Pirée. Je ne sais trop si je pourrai conclure cette affaire je n’ai que deux jours devant moi. Je cours en outre la chance qu’il se casse les jambes à bord, et que mes collègues ne le rendent fourbu, sans préjudice de ce que je pourrai y faire par moi-même.

Je suis plus empêtré que jamais par mon rhum, à mon arrivée au Pirée je le ferai mettre en caisse et je verrai de le faire parvenir à l’adresse de ma mère ou à la tienne avec mes instructions pour la répartition.

Adieu, Mon cher Louis, donne de mes nouvelle à Saint-Pons, embrasse pour moi ma mère, mes sœurs, compliments etc. Je t’embrasse affectueusement,

Smyrne, le 17 février 1850

Mon cher Louis,

Par ma lettre du 17 janvier je t’adressais…

J’apprends, avec assez de désagrément, que ce courrier a été en partie égaré (même les dépêches de l’Amiral). Comme je serais forcé de perdre environ 1.600 frs que me représentaient mes coupons, je te prie si tu ne les as pas reçus de réclamer énergiquement auprès de Monsieur Ottmayer et à Marseille. J’envoyais par ce même courrier une lettre au directeur de ce dernier bureau de poste pour cet objet. Nous sommes sans nouvelles de nos familles et sans journaux depuis le 6 janvier. On s’obstine, en France, à attendre l’escadre qui est encore rentrée au mouillage avant hier à deux lieues d’ici et à ne pas vouloir comprendre que l’Inflexible en est détaché.

Nous sommes dans l’incertitude sur notre sort, en attendant nous sommes une troisième fois rentrés à Smyrne où nous attendons les ordres. Les affaires de Grèce paraissent arrangées. Les Anglais n’y auront pas gagné un sol, mais beaucoup d’impopularité.

Nous avons appris les émeutes des parisiens au sujet des arbres de la liberté. Je continue à croire que la tranquillité ne se rétablira jamais en France au milieu de ces conflits politiques, soulevés par les choses les moins importantes. Je t’embrasse, etc.

Le Pirée, le 18 avril 1850, à bord de l’Inflexible

Mon cher Louis,

Nous sommes à présent au Pirée, où se tiennent les conférences entre Messieurs Gros et Wyre. Les affaires ne paraissent pas marcher trop vite, malgré la fréquence de leurs entrevues. Je suis fâché d’avoir quitté Smyrne où j’avais déjà pris mes habitudes. Néanmoins, j’ai été satisfait de revoir la Grèce que j’avais quittée il y a une quinzaine d’années.

L’aperçu en est magnifique : la culture des terres, le commerce vous crèvent les yeux, mais si on va au fond des choses, on voit que tout cela, le commerce excepté, n’existe qu’à la surface. La marine marchande a pris un grand développement. C’est là, je croie, le véritable grief de l’Angleterre contre ce petit pays, qui menace de lui enlever le fret de la Méditerranée. Les casseroles et les draps de lit de Monsieur Pacifico n’ont été qu’un prétexte. Les 800.000 frs que réclame l’Angleterre sont largement achetés par la dépense que fait ici son Escadre, qu’il a fallu augmenter. mais son but est atteint. Le commerce Grec, que les pertes de l’agriculture avait déjà fait souffrir, a reçu un second coup par cet incompréhensible blocus. C’est en sortant de diner chez le moi avec ses capitaines, que l’Amiral Packer s’est rendu chez Monsieur Londos, Ministre, pour lui annoncer que si dans 4 heures il n’avait pas reçu pleine et entière satisfaction, il emploierait les moyens violents. Il aurait pu ne pas être aussi brutal dans sa manière de procéder et attendre d’avoir digéré son diner. C’est fort ennuyeux pour nous – le séjour du Pirée est loin de valoir celui de Smyrne, et puis on a pris quelques une de nos officiers pour des Anglais – on leur a crié « Goddam, Goddam » – on leur faisait les cornée et on leur a lâché dessus des chiens qu’ils ont été obligés de charger avec des cannes à épée. Nous allons à terre en bourgeois depuis ce moment. Depuis qu’on nous a mis les galons sur les manches de nos redingotes, notre uniforme ressemble à celui des Anglais – il serait piquant d’être assassiné pour le compte des anglais. Je ne voudrais pas pour mon compte me trouver dans cette fâcheuse position.

Vous n’avez pas fait de bien belles choses, en France, aux dernières élections. Je me fais payer exactement tous les mois dans la crainte d’une nouvelle révolution. J’ai l’idée ferme que je ne m’établirai pas en France après mon service. J’irai chercher la paix ailleurs, et je le ferais dès aujourd’hui si je pensais que la Sociale nous prendra nos retraites, ce qui pourrait bien nous arriver en même temps qu’elle.

Mille choses à Amélie Je t’embrasse affectueusement,

À la mer, le, 28 avril 1850, à bord de l’Inflexible

Mon cher Louis,

Le Vauban est venu nous porter ordre de rentrer en France. Ecris moi donc à Toulon où ta lettre arrivera sans doute plus tôt que moi,

Les affaires de Grèce n’avancent pas le moins du monde, malgré les longues conférences des plénipotentiaires, Les Anglais sont fort entêtés et le Roi de Grèce aussi.

Je ne sais trop ce que nous allons faire à Toulon. Ma première version du désarmement de l’Inflexible parait ne plus être aussi exacte, et nous rentrerions purement et simplement dans l’escadre. Je verrai de m’en tirer et de réaliser mon rêve d’occuper un poste sédentaire jusqu’à ma retraite en renonçant de bon cœur à Satan à ses pompes et à ses œuvres.

Nous partons demain matin à cinq heures pour Toulon ou nous serons dans 15 ou 20 jours. J’espère alors pouvoir dresser mes batteries car les renseignements que tu me donnes sur les aboutissants que nous pouvons avoir auprès de Monsieur d’Hautpoul et de La Hitte m’affriandent beaucoup, mais il faut se trouver sur les lieux pour en profiter.

Mes compliments à Amélie, je t’embrasse

8 mai 1850, recommandation Maréchal Soult

Monsieur le Ministre,

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Monsieur de Bonne, Lieutenant de vaisseau a 20 années de service et plusieurs de grade. Sa santé est altérée et il sollicite de vous de vouloir bien lui donner la direction du port de Bay., place qui dit-on est bientôt vacante, si elle ne l’est déjà, à la suite de la retraite du titulaire. Je vous serai infiniment reconnaissant de ce que vous voudrez bien faire pour M. de Bonne, je lui porte, ainsi qu’à sa famille, le plus vif intérêt. Veuillez agréer Monsieur le ministre, l’expression de tous mes sentiments de haute considération.

M.Soult de Dalmatie – Représentant

Toulon, le 29 mai 1950

Mon cher Louis,

J’ai trouvé à mon arrivée ta lettre et le projet de Milhaud

J’ai pu débarquer, sans avarie, le cheval Djérid que j’avais acheté à Smyrne. Je compte, à mon prochain congé, faire avec lui une entrée sensationnelle à Lostange, tu peux en aviser Ludovic. J’éprouve des difficultés pour débarquer le rhum. Le certificat d’origine est très vieux, il avait été fait pour la Danaïde et non pour l’Inflexible ; mais je vais à terre demain, je verrai le directeur de la douane.

Nous partons jeudi ou vendredi pour Naples. Néanmoins, écris-moi le plus tôt possible ici, car des retards peuvent venir tous les jours. Le télégraphe est interrompu par le brouillard. J’ai pour Enseigne de vaisseau Monsieur Bouffard de Castres qu’on a embarqué aujourd’hui.

Peux-tu te mettre en relations avec le Lieutenant-colonel de Plas, frère du premier aide de camp du Ministre de la marine, actuellement en garnison à Castres. Léon qui est troupier, l’aura sans doute attiré chez lui.

Rappelle-moi au bon souvenir des habitants d’Hauterive et de Gaïx Je t’embrasse affectueusement.

Toulon, le 1er juin 1850, à bord de l’Inflexible

Mon cher Louis,

J’ai écrit à Léon, il y a deux jours, pour lui annoncer l’envoi de 50 bouteilles de rhum, dont 25 lui sont destinées, les autres 25 sont la moitié pour toi et moitié pour ma mère à qui tu les remettras en temps opportun. J’ai fait mettre dans la caisse qui les contient un petit paquet en papier convenant des chapelets bénis par le Pape et qui sont à l’adresse de ma mère.

Nous partons demain pour Naples à moins que d’ici là il ne nous arrive un contre ordre. Nous sommes tous étonnés que ce vaisseau n’ait pas désarmé à son retour.

J’ai reçu une lettre fort obligeante de Justin Guiraud. Mais ce qu’a répondu le Ministre de la Marine à Monsieur de Balzac fait que je désirerais apprendre quelque chose des démarches de Monsieur d’Hautpoul, avant de répondre à Justin Guiraud. Aussi feindrais-je d’avoir reçu sa lettre plus tard, car je ne sais plus qui croire et ne sais à quoi me résoudre.

Monsieur Jannin qui a toujours été pour moi un ami plutôt qu’un chef pendant 4 années que j’ai servi sous ses ordres, m’a fait à Toulon les plus belles protestations. Mais depuis qu’il est à Paris je n’ai plus entendu parler de lui. Je ne sais s’il a fait quelque demande, mais je n’ai pas encore figuré sur les listes de l’Amirauté, il aurait été bien important pour moi d’être à Paris pendant le mois de juin, mais pourquoi donc veut-on garder Monsieur Arnoux à Bayonne ?

Je suis fâché que le théâtre San-Carlo soit maintenant fermé, j’aurais bien désiré entendre de la musique italienne en Italie. Il me reste un dédommagement le Vésuve, la baie de Naples ainsi que la ville et ses environs. Peut-être païenne, patrie de la princesse Isabelle, et où se marie Robert-le-Diable au cinquième acte de son opéra.

Maudit soit le télégraphe qui viendrait nous apporter un ordre de rester ici.

Adieu, Mon cher Louis, donne de mes nouvelles à ma mère et à mes sœurs, mille compliments à Amélie – respects – civilités – amitiés -compliments d’usage aux amis et connaissances de Castres et des environs

Je t’embrasse affectueusement.