Station à Haïti
20 mois Création novembre 2010

Introduction de Bernard

Casimir a 33 ans, il est :

  • à terre du 9 avril 1846 au 10 juillet 1846,

  • sur la Danaïde du 10 juillet 1846 au 9 mai 1848 – Station des Antilles, 20 mois.

Le 9 février 1846, le Lieutenant de vaisseau était nommé Chevalier de la Légion d’Honneur. Débarqué du Labrador en avril il suivait les travaux d’armement de la corvette la Danaïde sur laquelle il était embarqué comme second le 5 août 1846 et repartait pour les Antilles.

Toulon, le 19 septembre 1846, à bord de la Danaïde

Mon cher Louis,

Nous ne sommes pas encore tout à fait partis, mais nous n’en valons guère mieux. Je suis absorbé toute la journée par mon service au point de ne pas pouvoir réunir deux idées étrangères à la Danaïde.

J’ai quelque répit dans la soirée, mais souvent il m’arrive de m’asseoir en arrivant à terre et de me réveiller quelques heures après sans savoir comment je me trouve là. Je suis assez contrarié de partir, mais si cela devait durer je demanderais comme une faveur d’avancer le départ.

Notre absence ne sera pas aussi longue que je le supposais, s’il faut en croire le Ministre de la marine qui est cependant un insigne menteur, quoiqu’il en soit je m’abonne pour deux ans à moins que Fould et le Maréchal [Soult] ne me débrouillent.

Henri a été voir Fould et d’après ce qu’il m’a dit je ne dois pas l’accuser d’ingratitude. Le Directeur du personnel lui avait assuré que la Danaïde était déjà, partie. Il a bien mis un peu de négligence dans mon affaire, mais ce n’est pas sur son amitié que je fais fond mais bien sur son intérêt. Aussi je compte me rattraper eu temps convenable et lui faire solder les intérêts de mon compte.

Nous sommes en appareillage depuis hier, nous attendons seulement les légumes. Le port est tellement bien approvisionné qu’on ne peut nous fournir quelques hectolitres de haricots mangeables. L’Amiral s’est fait envoyer ceux que nous avons rejetés. Il nous a écrit aujourd’hui pour nous dire, dans une magnifique dépêche, qu’il les trouvait bons, et que nous avions agi bien légèrement. Ce qui ne l’empêche pas d’en faire acheter d’autres. À quoi diable un vice-amiral va-t-il s’abaisser….

L’armement de notre corvette a été un scandale administratif. Bien des députés de l’opposition seraient heureux de connaître toutes nos histoires, et l’état de délabrement de nos magasins pour en aborder le Ministre. Surtout s’ils savaient que la Danaïde, qui depuis deux ans figure au budget comme en commission de rade, n’a eu un homme d’équipage à bord que le jour de son armement définitif.

La frégate la Poursuivante est à peu près dans la même position. Où donc va l’argent que les Chambres donnent ?

Nous ne verrons pas l’escadre avant notre départ. Le Prince, par une galanterie digne d’une autre époque, a envoyé le Pluton à Toulon pour y porter tous les hommes mariés. Ils ont trois jours ou plutôt trois nuits pour faire leurs adieux.

Mieux, Mon cher Louis, fais mes affectueux compliments et embrasse Amélie, présente mes respects à Monsieur de Villeneuve et aux habitants de Castres, bien des choses à Gaïx et Hauterive.

Je t’embrasse de tout mon cœur, ton affectueux frère

Port au Prince, le 6 mars 1847, à bord de la Danaïde

Mon cher Louis,

Si je ne craignais de devenir monotone je te dirais que je n’ai encore reçu aucune nouvelle d’aucun de vous depuis mon départ de France. C’est à dire depuis plus de six mois ; j’aime à croire que vous vous portez tous bien et que votre long silence n’est pas le résultat d’événements fâcheux, mais bien de la grande paresse qui vous caractérise tous, mes chers frères et sœurs.

Quoiqu’il en soit, dans le cas ou ma lettre te trouverait vivant, ce que j’espère et désire bien vivement, tu m’obligerais de faire part de ma bonne santé et de mon profond ennui à tous les membres épars de notre nombreuse famille ainsi qu’aux rares amis que nous possédons encore, c’est à dire à Hauterive et à Gaïx.

De grands événements se passent dans ce pays. Richer est mort et Soulo lui a succédé. Tu ignores probablement les destinées de ces deux grands hommes, ce sont l’avant dernier et le dernier président d’Haïti. Je n’ai pas vu le premier, mais j’ai dû voir le second dans son magasin de morue, car, comme Cincinnatus, ce guerrier illustre partageait son temps entre le commandement des armées et le soin de sa boutique. Quoiqu’il en soit, c’est un fort bon nègre, bien luisant, et bête à lier. Seulement il a l’esprit de filer la carte, et de tirer le roi à volonté quand l’occasion lui parait favorable au jeu. C’est quelque chose mais ce n’est pas assez pour faire un bon monarque constitutionnel.

La République lui a fait cadeau d’un magnifique habit commandé pour son prédécesseur. Quelqu’un a cru pouvoir lui faire remarquer qu’il était exactement pareil à celui du Duc de Nemours, et il a été blessé de la comparaison, et s’est écrié : « moë gadé lui pou péti ténue, gand tenue moë com oi oui phlip » – J’espère qu’avant peu il se percera le nez, pour y mettre une croix d’honneur, comme ses ancêtres, qu’à probablement vus Monsieur de Lapeyrouse.

Somme toute, je ne donnerais pas deux sous d’une créance de Saint-Domingue. Nous avons la sottise de tenir trois bâtiments ici qui y dépensent de l’argent et qui seraient bien mieux placés à la Martinique ou dans une colonie française. Cette station n’a été inventée que pour le bénéfice de quelques fournisseurs mulâtres, et du commandant supérieur qui acquiert des droits à devenir contre-amiral. Du reste une partie de nos dépenses se fait à la Martinique, mais comme l’administration met du sien partout voici quelques échantillons de l’économie qu’on apporte dans ce service ;

On achète des farines à la Louisiane, ces farines vont en France, reviennent à la Martinique, et de là, nous parviennent gâtées en partie, alors nous les jetons à la mer quand elles ne sont plus mangeables.

Le bois de chauffage coûte à peu près 2 à 3 frs le stère dans ce paye-ci, mais comme il y a sans doute quelques bénéfices à faire à la Martinique, on nous l’envoyé, et il coûte, à Port-Royal 16 frs, et les bâtiments sont frétés de 30 à 40 frs le tonneau. Un stère de bois rendu à Port au Prince revient à 40 ou 50 frs, quand on peut l’avoir à deux ou trois frs. Puis le contribuable s’étonne, et veut savoir le compte de ces dépenses, alors on lui installe un contrôle qui ne contrôle rien du tout, qui coûte deux millions par un, tout cela avec des chiffres bien réguliers, des additions qui vont jusqu’aux millièmes, des rapports, des délibérations, etc., etc.

Observations – Il m’est arrivé une fois d’avoir de la peine à m’entendre avec ma mère à propos d’un arriéré ; elle ne tient pas de comptes comme tu le fais. Tache de la sonder adroitement et si tu vois la moindre répugnance à admettre les 100 frs de l’année dernière, soit qu’elle ait oublié, soit pour tout autre raison, dis que tu t’es trompé et ne réclame que 300 frs. Quant à Henri tu ne lui demanderas pas mes fonds, mais tu attendras, sans lui en parler, qu’il puisse te les rendre.

2e observation – Mes sœurs n’ont jamais le sous, si elles ont besoin d’argent avance leurs ce dont elles auront besoin et ne leur parle pas du placement que je te prie de faire, car, avec leur conscience absurde, elles croiraient commettre un vol à mon préjudice en m’empêchant de retirer 12 ou 15 frs au bout d’un an de trois on quatre cents francs dont elles pourraient avoir besoin.

Je te demande pardon de la peine que je te donne pour mes affaires, mais si tu en as dans ce pays-ci je me mets à tes ordres.

Embrasse pour moi Amélie Fais mes amitiés

Crois à la sincère affection de ton frère.

Port au Prince, le 22 juin 1847, à bord de la Danaïde

Mon cher Louis

J’ai reçu ta lettre du 26 mars, datée de Rodez, ou tu m’annonces un mélange de bonnes et de mauvaises nouvelles ; l’ouragan qui a gâté tes blés et le projet de mariage d’Henri. Le même courrier m’a apporté la démission de notre Ministre. Je t’avoue que je l’ai appris avec un vif plaisir, car je ne lui pardonne pas la lettre cavalière qu’il écrivit au Maréchal [Soult] qui lui avait demandé un commandement pour moi.

La Danaïde ne va pas au Mexique, j’en suis d’autant plus sûr que notre mission apparente était celle-là. Nous restons ici seuls. La station des Antilles se compose du Pylade (20 canons) Grenadier et Danaïde (24 canons). J’ai beau chercher je ne trouve nulle part les frégates, les corvettes et les Brigs dont Monsieur Guizot a renforcé la station du Mexique, puisque à nous trois nous constituons toutes les forces navales de la France aux Antilles, Saint-Domingue et au Mexique.

Nous avons embarqué hier notre Consul Général qui porte en France on nouveau traité pour le paiement de l’indemnité de Saint-Domingue. Si l’on parvient à le faire exécuter ce sera bien, mais je doute fort que d’ici 18 mois ces Messieurs aient mis assez d’ordre dans leurs dépenses pour pouvoir donner à la France la moitié de leurs revenus.

Les seuls revenus de l’ile, ou plutôt de la partie française, car la partie espagnole est aujourd’hui indépendante et ne veut pas reconnaître la dette, consistent dans les douanes. Ces douanes sont alimentées par le commerce, comme tu le sais. Le commerce baisse tous les jours et les fortes maisons ne se soutiennent que par d’énormes fournitures ou, de concert avec les autorités, elles volent impunément. Ces fournitures devront cesser ou diminuer de beaucoup. En outre les droits seront acquittés en papier sur France, et alors le change de l’or qui donne de si gros produits ici sera réduit à zéro, et la contrebande qui tient les maisons de commerce sera fortement réprimée car il faudra de l’argent dans les coffres de l’État. C’est un cercle vicieux que cette situation. Le commerce étranger jette les hauts cris contre nous. Le gouvernement haïtien a gagné un délai de 18 mois,’ à cette époque il ne paiera pas plus qu’aujourd’hui. Les Chambres seules en France seront satisfaites et, comme toujours, prendront des vessies pour des lanternes.

Ton épaule doit être guérie avec les chaleurs de l’été et les bons soins dont tu dois être l’objet de la part d’Amélie. Je te prie de lui faire mes compliments affectueux et de lui rappeler que je compte toujours sur elle pour mon futur mariage.

Rappelle-moi au souvenir des Villeneuve pour lesquels tu connais mon attachement et aux autres de nos amis qui peuvent encore se souvenir de moi et me porter quelque intérêt.

Adieu, Mon cher Louis, adresse-moi tes lettres au Port au Prince ou nous sommes pour quelque temps sans doute.

Je t’embrasse et suis de près comme de loin ton affectueux frère,

À la mer, en août 1847, à bord de la Danaïde

Mon cher Louis,

J’ai reçu ta lettre du mois de mai datée de Saint-Pons et c’est avec un vif plaisir que j’ai appris que tout le monde allait bien.

J’ai lu avec intérêt ce que tu me dis de mes affaires et je te donne mon approbation et tu as ma bénédiction.

Messieurs Henri et Ferdinand ne m’ont pas fait l’honneur, de m’écrire, ce dernier surtout que j’avais chargé d’une commission pour Fould. Tu dois voir que je ne sais rien de mes affaires maritimes, ou plutôt que je sais ce que tout le monde sait, que les absents ont toujours tort.

Du reste nous commençons à trouver Port au Prince assez agréable. Ce qui me donne à penser que nous en partirons bientôt, car ce n’est que quand on part d’une station qu’on commence à s’y trouver bien. À ce symptôme moral de départ viennent se joindre des correspondances de Paris qui nous font espérer qu’il ne serait pas impossible, que par hasard, on vint à se souvenir de nous dans quelque temps. mais une certitude pour moi c’est que Monsieur Guizot a promis à la chambre : de renforcer la station du Mexique. Il a envoyé en effet une corvette l’Embuscade, mais du même coup il a retiré l’Andromade vaisseau amiral, la psyché, le Thétis, la Blonde, la Kayade, le Cassard, le Pylade, le Mercure, le Hussard, le Tonnerre et le Styx ; c’est maintenant la Danaïde qui commande les trois divisions des Antilles, d’Haïti et du Mexique. Il est difficile de berner les députés avec autant d’aplomb ; il est vrai de dire que le peu de bâtiments qui reste occupe spécialement les bureaux de la marine. On nous envoyé nos vivres de Brest et jusqu’au bois de chauffage, seulement, quelquefois, on oublie d’expédier les bâtiments. Voilà 6 mois que nous n’avons rien reçu. Quant aux vivres, c’est fort égal, on en trouve et à bien meilleur marché que ceux qu’on envoie, mais pour les rechanges c’est déplorable, nous avons fait acheter, il y a quelques jours, quelques aunes de toile, faute de serge, pour faire des gargousses – nous n’avons pas une capsule pour nos pierriers, etc., etc. En revanche on nous envoyé, par la poste anglaise, des instructions nombreuses pour les croisières de la cote d’Afrique.

Nous sommes du reste assez tranquilles. Nous avons tous les soirs de forts grains de pluie qui nous gênent pour aller à terre. À part cela le temps est fort beau depuis 10 h du soir jusqu’à 6 ou 7 heures du lendemain. Le golfe de Port au Prince est détestable à cause de cela. Il a environ 40 lieues de profondeur, et sa convexité est tournée aux vents alises. Les hautes montagnes de l’Ile l’en abritent et la grande chaleur, qu’il y fait par suite, détermine un courant d’air comme dans toutes les baies qui ne sont pas sujettes aux vents périodiques nous avons donc la brise du large, tous les jours, qui vient à l’encontre des vents alizés, les vapeurs amenées par ces deux vents se rencontrent, se condensent en gros nuages qui rafraîchissent l’air, et arrêtent le courant que la raréfaction déterminerait, les vents alizés ne trouvant plus d’obstacle reprennent leur cours et nous arrosent tous les soirs d’une façon déplorable avec accompagnement d’éclairs, de tonnerre et de vent.

Ceci n’a pas lieu pendant 4 mois de l’année, quand le soleil est dans notre latitude ou à peu près en dessus ou en dessous.

Le Président Soulouque (ancien cocher du Chevalier Vialette, ancien mousquetaire de Louis XIV qui vit encore) nous a donné un bal il y, a quelque temps. Le maitre de la maison portait un habit et un gilet de 27.000 frs. La Société était parfaitement composée. Je me suis du reste trouvé en pays de connaissance. Une énorme négresse, en robe de satin blanc, coiffée en cheveux, quelque chose d’horrible enfin, s’est trouvé être une revendeuse à qui j’avais refusé l’autorisation de venir à bord vendre des bananes et des cigares aux matelots. Tu comprends que je ne me suis pas aventuré à la faire danser.

Monsieur le Président a ouvert le bal par un carabinier, sorte de danse qui tient du fandango et de la bamboula et qui consiste en balancements continus mais peu décents. L’air que j’ai pu démêler à travers le charivari de tambours de basque et de triangles, serait la berlequette, mais sur un mouvement excessivement lent. Deux heures après notre arrivée dans le palais, la place n’était plus tenable malgré les fenêtres ouvertes et une brise assez fraîche ; tous les visages pâles ou presque tous ont dû se retirer dans la crainte d’être asphyxiés. Nous avons pourtant eu deux élèves, sortant de l’école, qui ont fait preuve d’un cœur et d’un nez impassible ; ils sont restés jusqu’au bout. Ce sont deux braves. Ils ont eu du reste la récompense de leur hardiesse : le Président les a invités à souper avec lui, et ils ont pu manger de la morue aux piments pour se rafraîchir.

Dis à Léon que je m’occuperai de son affaire, mais que Saint-Domingue ne produit que du café, on y fait peu de rhum, il n’est pas très bon. Si nous passons par la Jamaïque, je lui ferai sa commission, ou bien si nous partons d’ici pour France je la ferai à Port au Prince, mais j’attendrais le dernier moment espérant une occasion meilleure. J’écris à ma mère par ce même courrier, aussi est-il inutile que je te charge de mes compliments pour elle et pour mes sœurs, et tu seras peut-être à Rodez quand ma lettre arrivera.

Mes compliments empressés à Amélie, Rappelle-moi au bon souvenir de nos amis d’Hauterive et de Gaïx.

Adieu, ton affectionné frère.

Port au Prince, le 4 septembre 1847, à bord de la Danaïde

Mon cher Louis,

Je t’écris en toute hâte pour te prier d’envoyer le plus tôt possible trente francs à Ferdinand pour qu’il puisse payer les lettres que je lui écris à Paris, et auxquelles il répond par des occasions parce qu’il n’a pas probablement de quoi les affranchir, chose que je trouve toute simple, mais fort désagréable parce que des lettres écrites au mois de mai et que j’attende impatiemment m’arrivent au mois de septembre. Je suis bien aise de me garantir de pareils retards.

Nous sommes toujours en révolution ici. Le Président Soulouque, homme d’esprit, qu’il n’en fut jamais, a été forcé de faire une tournée dans le nord de l’Ile, et comme il a grand peur des sorcières, il a pensé qu’on profiterait de son absence pour jeter un vanga dans son lit ou dans son jardin.

Tout le monde sait ici que si les deux derniers présidents sont morts dans l’année de leur nomination c’est à cause du vanga. Le dernier principalement a eu la certitude qu’on avait enterré une paire d’épaulettes dans son jardin. C’est ce qui a amené sa maladie et sa mort, et comme ces épaulettes auraient pu nuire à celui-ci il s’est empressé à son avènement de faire retourner le jardin pour les trouver, mais revenons à son départ. Il a donc confié l’hôtel de la présidence à un certain Simili en, ancien commis et aujourd’hui général, et lui a laissé des instructions écrites, et a réglé les attributions des chefs qu’il laissait ici, et, en dehors de ses ministres, il les a engagés à se surveiller les uns les autres, Qu’est-il arrivé ? C’est que dimanche, à la parade, trois généraux ont voulu se faire arrêter mutuellement en s’accusant les uns les autres de vouloir renverser le président. Chacun s’est appuyé sur les siens et voilà les noirs et les gens de couleur en présence. Le président a de suite expédié un de ses ministres qui les a tous fait partir, mais quand il a voulu enlever le commandement du palais à Similien, celui-ci a d’abord résisté. Il l’a envoyé aux arrêts, Similien s’y rendait, lorsque la garde l’a empêché de sortir ne voulant pas qu’on punisse son chef. Alors il a pointé les canons sur le palais, d’où le ministre s’est vite sauvé avec les gros bonnets qui étaient là. Similien campe avec trois régiments sur la place et il a fallu encore en référer au Président. Voilà douze jours qu’il est là, et que la ville entière a peur d’être brûlée, pillée, etc. etc. si, par hasard, la fantaisie lui prend de lâcher ses frères noirs sur la ville.

Tout le monde est ahuri excepté le consul anglais qui n’a pas perdu la carte, et est ailé trouver le ministre, celui que Similien a chassé du palais, en lui disant qu’il le rendait responsable des pertes que ses nationaux éprouveraient, mais encore qu’il réclamerait une indemnité pour les bénéfices probables qu’ils n’auraient pas réalisés. J’espère que c’est entendre le commerce ? Cela peut devenir très tragique ou très drôle. Notre voyage aux Gonaïves se retarde de 15 en 15 jours. Si cette révolte devient une révolution, nous n’aurons plus le temps d’y aller, car alors l’hivernage sera fini, et les craintes pour le mauvais temps pleinement dissipées.

Adieu, Mon cher Louis, mes compliments affectueux à Amélie, je t’embrasse de tout mon cœur.

À la mer, le 7 mars 1848, à bord de la Danaïde

Mon cher Louis,

Je suis rappels en France, mais, comme le diable se mêle toujours de mes affaires, la dépêche de l’amiral qui m’apporte cet ordre est partie d’ici le jour de notre arrivée pour aller nous trouver aux Gonaïves, d’où elle ne reviendra guère que ce soir ou demain, de sorte que je ne puis pas m’instruire sur ma destination ; je ne sais pas si je vais en congé, en Chine, à la Martinique ou en Europe.

Peut-être partirais-je demain, peut-être dans deux ou trois mois seulement, car mon remplaçant qui m’arrive sur la Boussole pourrait bien n’arriver que tard, vu qu’on prétend qu’elle ne vient plus aux Antilles, et nous ne sommes pas assez grand seigneur, ni lui ni moi, pour qu’on nous fasse naviguer en paquebot. Quoiqu’il en soit je croie que Fould, quoiqu’il ait la mémoire longue, finit par la retrouver.

La note du 17 juillet 1848 recopié ci-après indique que Casimir a été rappelé en France sur recommandation d’un député. La Marine, rancunière, lui fera payer les frais de ce retour.

J’ai eu un mois de service à bord de la Danaïde et franchement je trouve que c’est assez, le séjour d’Haïti n’a rien qui doive le faire regretter.

Je ne puis rien te dire pour ton café de la Martinique, ne sachant pas si j’y passerai, ni à Léon pour son rhum, quoique si je pars d’ici par un bâtiment marchand, pour rentrer en France, vos commissions seront faites et bien faites.

Notre frère, le guerrier, doit être à Vincennes en ce moment, et vous êtes sans doute en bonne santé de corps et d’esprit.

Fais bien mes compliments à tout le monde, sœurs, cousins etc. Dis surtout à ma mère combien il me tarde, de la voir

Adieu Louis, je t’embrasse de tout mon cœur.

Ton frère affectueux.

Dossier de la marine

Havre, 10 mai 1848

Citoyen Ministre,

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J’ai l’honneur de vous informer que le citoyen de Bonne, Joseph, Lieutenant de vaisseaux, provenant de la corvette la Danaïde est arrivé en ce port le 9 du mois courant sur le navire de commerce le Casimir. Le 10, une feuille de route a été délivrée à cet officier pour se rendre à Paris.

Salut et Respect, le commissaire Général de la Marine,

Ch. Lagatinerie

Charles-Jean-Jacques Marrier de la Gatinerie (1784 -1868) Commissaire général de la marine

Paris, le 17 juillet 1848

Note, pour la direction du personnel militaire et des mouvements de la Flotte.

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Monsieur de Bonne est revenu en France pour un motif qui ne se rattache nullement au service,
C’est à la recommandation d’un député qu’il a été rappelé

J’ai l’honneur de communiquer à Monsieur le Directeur du Personnel militaire et des mouvements de la flotte la lettre ci-jointe du préfet maritime à Toulon relative à une demande de M. de Bonne, lieutenant de vaisseau, tendant à obtenir ce remboursement des frais de son voyage de Port au Prince au Havre.

D’après les justifications produites par cet officier à l’appui de sa réclamation, le droit qu’il cherche à faire valoir me paraît fort contestable ; mais je crois toutefois devoir me référer à mon collègue qui, voyant une connaissance exacte des précédents de l’affaire, sera beaucoup plus que moi en mesure de se prononcer avec connaissance de cause sur la solution à intervenir.

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C’est à lui aussi qu’il appartient de statuer sur la position qui doit être faire à M. de Bonne depuis le 27 mai dernier ; jour de son débarquement au Havre jusqu’au 27 juin jour de son arrivée à Toulon.

Quant aux frais de route réclamés par le pétitionnaire, ils ne lui seraient dus, dans mon opinion, que si l’ordre lui a été donné de rallier son port, sur le refus qu’aurait fait le Ministre de lui accorder un congé à raison des circonstances du moment ; et je prie Monsieur Rocquemaurel de vouloir bien me fixer sur ce point.

Le directeur des services administratifs.