Prosper en avait peu parlé, en tout cas pas du tout à ses petits-enfants et la mémoire s'était perdue.
Heureusement nous avons Thérèse qui a gardé les lettres de son fils, voici ce qu'elles racontent de leur guerre, celle d'une mère et de son fils unique.
Hubert, 2020
Dans un classeur à Prats-de-Mollo, les lettres avaient été rangées au fil des années de guerre. La correspondance de Prosper est restée dans un placard avant d'être déplacée par Gillette rue des Pyrénées à Toulouse où nous les avons retrouvées en vidant la maison en 2005.
Un tri patient et suivi d'un passage une à une sur le scanner et c'est quatre années de correspondance quasi quotidienne qui reviennent à nous à travers quelques 1 300 feuillets et une petite centaine de photos.
Ce qui saute d'abord aux yeux, c'est bien évidemment l'angoisse de ces parents (François décédera en avril 1916 qui ont vu partir leur unique fils.
C'est l'explication à cette masse de courrier parvenue jusqu'à nous qui est nécessaire à Thérèse pour continuer à vivre et qu'elle n'hésite pas à imposer à Prosper quand elle lui écrit aujourd’hui pas de porteuse de courage, rien n'est venu de toi
.
En août 1914, il faut reconnaître que l’administration des Postes n’est pas prête… Rapidement, le courrier s’entasse dans les dépôts et les cours des casernes…
Il ne faut que quelques semaines pour que la direction des Postes prenne conscience de ce chaos, amplifié par la franchise postale – l’envoi du courrier sans affranchissement – accordée aux familles et aux soldats… Dès lors, la ligne de vie souvent évoquée se créée, et ce dès la fin de l’année 1914. Durant le conflit, cinq millions de correspondances sont postées chaque jour vers l’arrière…
Le défi pour la Poste porte surtout sur deux aspects : le nombre – pour ne pas dire la masse – de correspondances à traiter au départ de la zone des armées et en provenance de l’arrière, et la nécessité de trouver le destinataire sur le front, en raison des mouvements réguliers des régiments et des hommes…
Pour cela, il recrute plus de 2 000 agents auxiliaires dans les premiers mois de guerre, personnel essentiellement féminin et affecté au tri du courrier. Ensuite, par la réquisition des trains et de véhicules automobiles, la mise en place de bureaux de Poste aux armées et d’un personnel mobilisé issu de l’administration des Postes, l’acheminement s’organise.
Stéphanie Trouillard, extraits d'un interview de Laurent Albaret
La formulation est belle et Prosper l’a bien comprise. Voici ce qu'il écrit lors de son départ vers le front en janvier 15 : vos lettres sont tristes chers parents et cela me peine beaucoup. Je vous écrirai aussi souvent que possible
. Il tiendra sa promesse sans se lasser et avril 18 il peut dire : toujours heureux de pouvoir vous envoyer de mes nouvelles, ainsi vous devez recevoir presque chaque jour un petit mot et vos chers cœurs ne doivent pas trop souffrir pour moi
.
Prosper qui vient de nous donner la clé de lecture, il n'écrira jamais rien qui puisse inquiéter Prats et de ce fait il va mentir effrontément tout au long de ces trois années.
Même sous les bombardements les plus violents il continuera d’envoyer des petits mots, griffonnés, de quelques lignes qui évoquent toujours un travail qui l’accapare sans jamais rien dire de ce qui se passe réellement : Je vous ai envoyé hier une longue lettre. Aujourd’hui je serais plus bref. Un petit mot vite tracé. Ecrivez-moi souvent pour me faire plaisir. Je vous embrasse bien bien tendrement
, le 7 août 1915 Prosper est monté en ligne, longue marche d'approche et les derniers kilomètres effectués de nuit pour échapper à la vigilance ennemie. Thérèse aura traduit, sans certitudes.
En 1917, alors qu'il sait que se prépare l’offensive du Chemin des Dames, Prosper avertit : Je ne vous gâte pas depuis quelques jours. L’on prévoit que la correspondance sera retardée volontairement pendant huit jours. Prenez patience.
En 1918, chez les Chasseurs cela ne sera plus possible et Thérèse devra endurer les longs silences rendus angoissants par la lecture des journaux qui égrènent les actions en cours tout au long du front.
Thérèse née au milieu du xixe s'adressait à son fils comme on le faisait en ce temps, ici en août 1914 pour essayer de le dissuader de s'engager :
Prie mon cher enfant, il faut s'humilier devant Dieu et demander grâce pour notre patrie, pour que ces jours de deuils soient diminués.
Nous voyons avec satisfaction que malgré tout, tu restes à la hauteur de ta tâche, que ton cœur est toujours haut comme nous te l’avons enseigné. Après avoir fait ce que doit, reste paisible et attends.
Veille sur ta santé, ne fait rien qui puisse lui nuire, évite de consommer de la glace et quoiqu'il fasse chaud tient toi le ventre bien couvert dans le lit.
Ne veille pas, que faire dans les rues et au café à ressasser toujours les mêmes nouvelles, on finit par s'énerver et en rentrant on ne peut trouver le sommeil
En janvier 1916, pour essayer de le dissuader cette fois d'entrer dans l'aviation, elle suscite en retour la réponse suivante de la part de Prosper :
Votre dernière lettre m'a durement traité.
Je souffre énormément à la pensée que toi, ma chère maman, tu considères mes actions, et mon désir de bien faire comme une punition à tes fautes. Quelles fautes mon Dieu !!
Je t'en prie petite mère, n'écoute pas bonne-maman. A l’heure actuelle, ses dires à ce sujet n'ont pas d’importance.
Tu sais bien que je t'admire, que je t'aime tendrement. Il n'est pas de bonnes choses que tu ne m'ais pas montré en les faisant toi-même. Comme mère, il ne peut pas en exister de meilleure.
Dis-moi, petite mère que ce que tu m'écris dans ta dernière lettre est faux et que tu n'as pas cette pensée.
Une autre chose plus surprenante saute aussi aux yeux à la lecture de cette correspondance, Prosper est heureux, et pour le coup il ne ment pas en 1915 quand il affirme : il fait soleil aujourd’hui, on est heureux de vivre
et toujours pas en 1918 :
. je suis trop heureux d’être dans les chasseurs, ces belles troupes d’élite et bien encadrées
Valentin Cabanat l'a aussi constaté et en fait part à Thérèse en août 1918 : Il prétend qu'il n'a jamais été aussi heureux et il souhaite de mener toujours une vie mouvementée et pleine d’imprévu
.
La guerre va beaucoup rapprocher Prosper de son cousin germain Valentin. Affectés à proximité ils trouveront très régulièrement le moyen de se rencontrer et de passer du temps ensemble.
Il n'était pas un cas unique et c'est une idée que ses contemporains pouvaient lui rappeler comme ici en 1959 à l'occasion de son départ à la retraite :
Surtout pour ceux qui ont vécu cette période, dure certes, mais heureuse tout de même, car nous avions 20 ans.
Discours lors de son départ à la retraite
Tout au long de la guerre Prosper s'appliquera à faire le travail de défendre la France du mieux qu'il pourra, avec la plus grande énergie et un mépris total du danger.
En mai 1916, il écrira :
Dans dix jours je vais avoir droit à deux brisques. Aujourd’hui de plus j'ai bien failli avoir droit à une brisque à droite car une balle de shrapnel est venue me frôler le menton, me cassant à demi une dent et me fendant la lèvre intérieurement. Le tout n'est pas assez fort malheureusement pour que je fasse coudre la brisque !
Je suis heureux car quoique qu'insignifiante, cette écorchure est ma première blessure. J'étais honteux d’être à la guerre depuis dix-huit mois sans avoir encore versé une demi-goutte de sang.
J'en ai versé aujourd’hui une dizaine de gouttes. Me voilà sacré vieux soldat.
Il repensera encore en novembre 1917 : pour moi, j'ai encore constaté la merveilleuse protection qui s'étend sur moi depuis le début de cette triste guerre
.
Et encore en avril 1918 : Je ne sais pas comment je m'en suis tiré. J'ai trouvé ensuite la trace de deux balles dans mes bas de capote et une balle dans ma chaussure. Celle-là m'a envoyé par terre, mais sans blessure
.
Et enfin en août à propos de sa blessure lors de l'assaut de Tilloloy : J'ai eu une grande chance. La balle qui m'a touché au poignet est passée à un doigt de l’articulation, entre les deux os. Rien de cassé, rien de coupé, ni artère ni nerfs
.