1918
32e bataillon de Chasseurs alpins Création mai 2020

Janvier

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…dans la tranchée et qui lutte contre le Boche à chaque minute [je] préférerai la plus terrible des fins que l’asservissement à l’Allemagne.

Bonne maman chérie, cette année votre petit soldat, chasseur enragé, diable bleu dans l’Ain a le plaisir de vous envoyer de son abri de première ligne ses meilleurs vœux.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

Flandres entre Dunkerque et Ypres

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1er janvier – Le bataillon fait étape de Zuydcoote au camp de Rinck (sud-est de Ostdunkerque-les-Bains)

3 janvier – Continuation de l’instruction, un champ de tir est organisé au bord de la mer, la nuit, le bataillon fournit des équipes de travailleurs employés à la construction des lignes de défense nouvelle.

10 janvier – Dans la nuit du 10 au 11, le bataillon relève le 102e  à Nieuport-ville.

11 janvier – Le bataillon commence une série de travaux défensifs sous Nieuport.

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20 janvier – Dans la nuit du 20 au 21, le bataillon relève le 102e BCP dans le secteur de Saint-Georges.

22 janvier – Vers 20 heures, après un violent bombardement sur tout le front du bataillon, l’ennemi partant de ses tranchées 14 et 1 800 opère une tentative sur la ligne de surveillance. Notre ligne a été évacuée à temps conformément aux ordres reçus et notre contre-attaque entame aisément l’ennemi. Pas de pertes.

23 janvier – Tirs d’artillerie assez nourris sur divers points du secteur. Le bataillon travaille activement à la fortification de quelques positions. Les réseaux de fils de fer sont partout doublés ou triplés. De nombreuses patrouilles circulent chaque nuit entre les lignes… L’ennemi ne sort pas…

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5 janvier 1918

Bien chère maman

Mon petit mot habituel pour vous envoyer toute ma tendresse.

Le climat est très doux et je suis sûr que vous avez plus froid que nous. Je ne suis pas à plaindre car j'ai un abri bien chauffé pour me coucher. Malheureusement, les pauvres simples soldats qui sont à leur tour de garde en 1e ligne sont bien moins favorisés. Heureusement que comme je vous le dis, le temps est doux. Il y a du brouillard.

Les nougats étaient excellents, ils ne sont plus.

Bons baisers à toutes les trois, mes plus tendres caresses à ma petite maman.

Prosper

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Bien chère maman

Une simple petite carte. Situation inchangée, bon repos, temps splendide. A bientôt ma permission.

Prosper

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8 janvier 1918

Bien chère maman

Mon petit mot habituel. Mon travail va être diminué car le capitaine chef de l’état-major du colonel est rentré de permission et va un peu me soulager. Notre travail se répartit ainsi :

Enfin… échange de renseignements.

Pendant la permission du capitaine, je le remplaçais auprès du colonel, je suis très heureux de le voir rentrer.

Je vous embrasse bien affectueusement à toutes les trois.

Prosper

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8 janvier 1918

Bien chère maman

J'ai reçu trois lettres de vous aujourd’hui…

Mais que de neige et quel mauvais temps à Prats. Je n'ai connu d’hiver aussi froid et votre colonelle va se transformer en boule de neige et en terrible glaçon à moins que ce grand froid ne la fasse sortir comme les loups des bois.

J'ai un grand travail vous baiser, bien fort et bien gros.

Prosper

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10 janvier 1918

Bien chère maman

Je vais ajouter quelques mots de plus à ma petite carte habituelle. Rien de changé dans notre secteur ni à nos habitudes. Les Boches sont tranquilles. Ils savent sans doute qu'ils ont des chasseurs alpins devant eux. Hier, pour savoir ce que nous avions devant nous, les chasseurs ont fait des prisonniers. Trois beaux fusiliers marins boches sont tombés entre nos mains.

Ils étaient contents de se tirer de leur tranchée et de finir la guerre en France. Pauvres Boches, ils sont bien piteux lorsqu'ils sont près.

Je vois en imagination la couche de neige qui recouvre Prats et les environs, et dire qu'ici, dans le nord il ne gèle même pas. J'ai pataugé aujourd’hui dans la boue. Quel dommage qu'il ne fasse pas froid, tout le sol serait dur au moins.

Je suis très heureux que la colombe finisse par sortir de sa guitoune et qu'elle vous procure quelque passe-temps. Je crains que maintenant elle ne soit plutôt une gêne pour vous.

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La chose curieuse de voir arriver dans votre maison la belle-sœur de mon ancien commandant. Je suis encore étonné.

J'ai fait pour le jour de l’an près d’une quinzaine de cartes et de lettres.

J'ai été très étonné de voir arriver hier une lettre de Mme Gillet qui me félicite, ainsi que Germaine ??, de ma… Je vais leur répondre. De Fernand, pas la moindre carte. Il est à Fontainebleau me dites-vous. Je ne m'explique ce qu'un… peu faire chez les artilleurs. C'est comme si moi, chasseur, j'allais chez des…

Enfin, je devine que ce doit être une embuscade sur le front français qu'il prépare.

Je vais lui écrire qu'on ne fait vraiment la guerre que dans les chasseurs.

Bons baisers à toutes les trois. Mes meilleures caresses à ma petite maman.

Prosper

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11 janvier 1918

Bien chère maman

Je résume aujourd’hui, une seule petite carte. Je n'ai que de bons baisers à vous envoyer, il fait très doux et nous ne sommes pas malheureux. Une pauvre… belge alimente le feu de nos poêles et braseros. Pauvre ville du front, il n'en reste rien, avec ce que les obus démolissent et ce que nous brûlons, les pauvres qui chercheront les maisons n'en trouveront que peu de choses.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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13 janvier 1918

Bien chère maman

J'avais commencé une longue lettre pour aujourd’hui mais un travail nouveau m'oblige à la remettre à demain.

Je me contente de vous envoyer mille baisers et mon bulletin de santé. Rassurez-vous, avec ma vie au grand air, je cours peu de risques d’être malade, du reste, c'est quand je vais en permission que j'en profite pour m'enrhumer.

Encore de bons baisers

Prosper

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Bien chère maman

Un seul petit mot aujourd’hui. Nous venons de faire une reconnaissance tactique très intéressante mais qui ne signifie pas montée en secteur. Je suis très heureux d’être venu dans ce coin de France que je ne connaissais pas et où il y a tant de curieuses choses. La monotonie de cette grande plaine coupée de canaux enveloppée le plus généralement de brouillards n'est pas sans charme. Les villes y sont belles et les maisons propres et confortables. C'est le home que les Anglais ont chez eux qui commence à apparaître dans cette région.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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14 janvier 1918

Bien chère maman

J'ai reçu aujourd’hui la coupure de la semaine paroissiale qui porte ta petite conférence aux naturels de Prats-de-Mollo. Elle est très bien et très sentie. Mais je suis épouvanté par tout le travail que tu te crées.

Pour les garçons, pour les filles, pour les mères. Vous n'en finissez pas et vous n'avez pas un sou. Ne te donne pas trop de travail petite maman. J'ai reçu le pâté et les nougats, le tout excellent. La pâté en particulier était très parfumé, nous avons mangé tout cela à notre petite popote.

Bons baisers à toutes les trois.

Prosper

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Bien chère maman

Je viens d’apprendre une bien bonne chose. Le colis que je vous ai envoyé de Paris lors de mon changement d’arme et en souffrance à Prats-de-Mollo, oui à Prats. Un colis à votre adresse reste entreposé sans que l’on songe à vous prévenir.

Il faut vous dépêcher de le faire délivrer car on vient de m'avertir que j'aurais à payer une majoration de taxe.

Rien de changé à notre situation.

Bons baisers

Prosper

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18 janvier 1918

Bien chère maman

Depuis trois jours je ne vous ai pas écrit. Si à mon retard s'ajoute celui des trains de Prats et autres, vous allez rester plus de cinq jours sans nouvelles.

Je suis désolé, j'aurais dû faire plus attention pour ne pas vous négliger ainsi.

Nous sommes toujours dans notre secteur, malheureusement les canaux grossissent et l’eau monte. Nous nous retirons sur ce qui émerge quand il n'y aura plus rien, nous partirons sans honte. Ne vous faites pas de souci, le Boche ici n'attaquera pas et il nous faudra aller le chercher ailleurs.

Je vous embrasse bien fort.

Prosper

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20 janvier 1918

Bien chère maman

Je suis très heureux que le soleil brille à Prats. La neige enfin va fondre. Je suis aussi très content que vous ayez trouvé dans votre locataire une compagne pour vos promenades. Cela vous donnera des occasions nombreuses de sortir.

Je n'ai que quelques minutes. Je vous embrasse bien tendrement. Lorsque vous recevrez ma lettre, nous ne serons pas bien loin de descendre au repos.

Encore de bons baisers.

Prosper

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23 janvier 1918

Situation inchangée, je vous embrasse bien affectueusement à toutes les trois.

Prosper

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25 janvier 1918

Bien chère maman

Je vous dois une longue lettre car depuis trois jours, je crois, je suis resté sans vous écrire. Je vous en demande bien pardon. Il y a des jours où sur le front on a un rude travail.

Je vous ai envoyé hier ou avant-hier une petite carte pour vous demander de retirer de la consigne de Prats un malheureux colis que je vous ai envoyé il y a deux mois et qui attend désespérément depuis au moins 20 jours à Prats. Je croyais bien que vous l’aviez reçu. L’essentiel, c'est qu'il ne soit pas perdu.

Je suis très heureux que le soleil brille à Prats. Ici, il fait un temps très doux. Nous ne faisons pas de feu dans nos abris et nous vivons dehors une grande partie de notre temps ; pas de pluie, pas de glace, pas de neige, as-t-on vu l’extrême nord comme cela ?

Ma permission approche très rapidement, jusqu'à présent, je ne vois rien qui m'empêche de partir dans quinze jours.

Mais vous savez ! En guerre, il faut toujours compter avec son adversaire.

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Je ne pense pas que le Boche attaque dans notre secteur. S'il le fait, ce ne sera pas une grande affaire. Il y a de l’eau partout, tout est inondé et nous vivons comme des castors sur des remblais et des digues que nous élevons à grand travail.

Nous avons une popote très gaie. Le colonel qui est très amusant a trouvé dans son capitaine, chef d’état-major, un compère étonnant si bien que nos repas sont de continuels éclats de rire.

Nous avons déniché dans les ruines de la ville que nous occupons un piano. Il est bien misérable le pauvre, mais il donne encore quelque chose, nous l’avons démonté et introduit dans un de nos abris, et le capitaine qui est un bon pianiste nous régale après chaque repas des meilleurs morceaux de son répertoire.

Après cela, nous avons bon moral et nous pouvons faire n'importe quoi. Nous n'oublions pas notre travail, soyez en sûre.

Chère maman, votre petit chasseur alpin qui a hâte d’aller vous voir avec son béret et sa culotte bleue vous embrasse de tout son cœur.

Prosper

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30 janvier 1918

Bien chère maman

Je ne veux pas oublier de vous écrire, je serai trop coupable de ne pas le faire. J'ai quelques minutes avant d’aller me coucher. Enfin, je vais pouvoir me coucher. Il est tard : minuit passé. Il y a trop de papier dans cette guerre, c'est prodigieux ce qu'il s'écrit comme papiers inutiles !

Pour toute chose, il faut rapport, contre-rapport, décision, retour, les pièces reviennent doublées et triplées des échelons inférieurs et quadruplées des échelons supérieurs. Enfin, tout cela finira avec la guerre et ce sera un beau cri de soulagement.

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Je vais avoir à remplacer mon camarade chargé des papiers. J'en suis effrayé à l’avance. Rester une journée à faire des papiers, à téléphoner dans cent directions, à rechercher des notes anciennes de 10 jours qui sont déjà enfouies sous mille feuilles de papier, on est vite usé, aussi je m'évaderai le plus souvent possible, pour faire un tour à cheval car nous allons bientôt descendre au repos.

Je tombe de sommeil, je vous embrasse bien affectueusement à toutes les trois. Bien gros baisers à ma petite maman.

Prosper

Février

Repos et instruction

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30 janvier – Dans la nuit du 30 au 31 le bataillon est relevé… Le bataillon est employé aux travaux des nouvelles lignes de défense.

31 janvier – Après une préparation d’artillerie des plus minutieuse, deux reconnaissances offensives sont lancées sur les positions allemandes… abordent la tranchée 1 800 occupée en force avec tous ses bétons intacts et parfaitement défendus. Un violent combat s'engage mais il est impossible à nos chasseurs de pénétrer dans les blocks bétonnés. Notre section se retire sous le feu des mitrailleuses ennemies.
Pertes : un tué.

8 février – Le bataillon à l’effectif de 13 officiers, 37 sous-officiers et 638 hommes s'embarque… Par voie ferrée il est transporté à Rexpoëde ou il cantonne.

9 février – Reprise de l’instruction…

6 mars – A partir de ce jour, le bataillon est employé à la réfection et à la continuation des travaux de la 2e position en avant et autour de Hondschoote.

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2 février 1918

Bien chère maman

Je me hâte de vous envoyer un petit mot. Je n'ai guère de temps, mais je vous embrasse bien fort à toutes les trois.

Nous avons beaucoup de travail parce que nous nous préparons à nous en aller au repos. Ce n'est pas de refus car nous venons de faire un très long séjour en ligne.

Je suis très heureux que tout ce passe bien à Prats et que vous n'ayez pas d’ennuis avec votre locataire.

Bons baisers à toutes les trois.

Prosper

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Secteur postal n° 161, le 5 février 1918

Bien chère maman

Nos préparatifs de départ m'absorbent tellement que je n'ai pas eu le temps ces jours-ci de vous écrire, même une petite carte.

Mes lettres sont longues à vous parvenir car je n'ai pas encore eu de réponse de votre part au sujet de ce fameux colis que je vous ai envoyé lors de mon passage à Paris.

Je suis heureux de pouvoir vous annoncer que ma date de départ en permission se maintient vers le milieu du mois de février. Si je compte bien, je crois qu'il ne s'est écoulé que deux mois et demi depuis mon dernier tour.

Qu'y a-t-il de nouveau dans ce beau Prats ? J'espère que la nature voudra bien sourire un peu pour mon arrivée. Fait-il beau actuellement ? Ici la température est délicieuse. Quoique dans le nord, l’influence de la mer est si grande qu'il ne fait pas froid et que la température est très régulière malgré la saison.

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J'ai des nouvelles fréquentes de mes camarades les Italiens. Ils sont heureux étant dans des dépôts et non en ligne. Comme les montées actuellement en Italie n'ont guère de pertes, ils vont faire un séjour délicieux en Italie.

Je ne regrette rien pour cela, je suis trop heureux d’être dans les chasseurs, ces belles troupes d’élite et bien encadrées.

J'ai répondu à Mme Gillet en lui demandant l’adresse de Fernand Gillet à Fontainebleau mais je ne reçois rien. Pas de nouvelles d’Onzain non plus.

Je termine. Bientôt je vous écrirai de ma confortable chambre bien à l’arrière.

Bons baisers bien forts à toutes les trois.

Prosper

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Secteur postal n° 161, le 7 février 1918

Bien chère maman

Quelques lignes seulement pour vous envoyer de bons baisers.

J'ai hâte de vous voir. Nous descendons au repos dans peu de jours. Lorsque vous recevrez ma lettre nous y serons depuis plusieurs jours. Cette fois-ci c'est la bonne fois.

Prosper

Secteur postal n° 161, le 12 février 1918

Bien chère maman

Reçu votre lettre qui m'annonce l’arrivée de Valentin à Prats. Cette fois encore nous n'aurons pas le plaisir de nous rencontrer dans notre bonne maison.

Je suis obligé de vous envoyer un petit mot seulement. Nous sommes dans un excellent cantonnement. Bien logés, une charmante population, etc. etc.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

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Secteur postal n° 161, le 9 février 1918

Bien chère maman

Nous sommes au repos. Dans un charmant village au nord de la France où nous sommes installés comme des rois.

J'ai une chambre bien propre, très claire chez une vielle demoiselle que mon uniforme noir de chasseur méduse et qui ne sait que faire pour me rendre service.

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Ce soir, j'ai manifesté le désir d’avoir une table dans ma chambre. Je me suis absenté cinq minutes. Lorsque je suis revenu, j'avais une petite table dans ma chambre. On ne peut être servi plus rapidement.

J'ai devancé l’état-major du Groupe et les bataillons pour venir préparer le cantonnement.

J'ai tout préparé. Deux bataillons sont déjà arrivés. J'attends le 3e demain ainsi que le colonel.

Je me sauve bien vite. Il faut que j'envoie mon message téléphoné au colonel, je suis en retard.

Bons baisers bien tendres.

Prosper

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Secteur postal n° 161, le 12 février 1918

Bien chère maman

Je vais essayer de vous écrire une lettre un peu plus longue que d’habitude.

Je ne voudrais pas me plaindre, mais il me que je suis un peu privé de bonnes lettres.

Mon tour de permission approche. Le camarade qui est juste avant moi vient de partir. A son retour, je me sauve et je cours vous embrasser. Nous sommes dans un charmant petit village du nord, bien propre et bien bâti aux rues bien droites et pavées.

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Tout est bien ici. Les gens sont riches, le pays et facile, bien plat, bien fertile, la vie est aisée. Quand je compare nos montagnes sauvages à ces grandes étendues de terrain fertile, je trouve que nous avons bien plus de mérite à vivre sur notre terre que dans ce pays de cocagne.

Je garde malgré cela toute mon affection à nos vielles montagnes et il me tarde bien d’aller leur faire voir mon costume de chasseur alpin.

Le repos, lorsque l’on en a perdu l’habitude par un long séjour en ligne, n'est pas sans vous donner un peu de tristesse. L’on se dit : voilà ce que t'aurais si la guerre était finie. La vie à l’arrière au milieu de sa famille où l’on est choyé et dorloté est bien douce à évoquer.

Cela fait aussi penser au but à atteindre et l’on comprend l’importance de ce mur de poitrines que nous opposons à l’envahisseur et qui défend de si douces et de si chères choses contre la souillure du Boche.

Les pays où nous sommes au repos sont pour nous le seuil de la France lorsque nous quittons les tranchées et ils nous font évoquer tout ce qui compose l’idée de patrie dans nos cœurs.

Nos mères, nos foyers, nos parents âgés, nos femmes de France, les petits enfants de France qui vivent ainsi à l’abri et tranquilles pour leur existence.

La permission serait bien banale si elle se résumait pour nous à quitter le front et à nous placer pendant un temps à l’abri des balles et des obus. Mais elle pour nous un voyage où notre âme se fortifie au contact du courage et du dévouement de celles qui sont à l’arrière, qui, souffrant pour nous dans leur cœur, autant que nous ici dans notre corps.

Bonne petite maman, je t'embrasse bien tendrement et bien fort.

Prosper

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Secteur postal n° 161, le 20 février 1918

Bien chère maman

Une grosse visite d’un grand chef que nous attendons me permet d’écrire en l’attendant.

Je crois que je suis bien en retard pour mes lettres. Je compte que cela fait trois jours de silence complet.

Nous sommes toujours au repos. J'en profite pour bien dormir, bien manger et faire de longues promenades à cheval.

Le colonel est en permission. Ma permission approche mais je ne puis vous dire exactement la date de mon départ.

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J'espère qu'il fera beau temps à Prats comme ici où les journées sont superbes et douces. Vraiment un hiver dans le département du Nord n'est pas terrible. Il fait bien plus froid à Verdun et en Argonne.

Votre locataire doit-elle rester bien longtemps encore ? Est-ce qu'elle ne va pas s'installer pour passer l’été ?

Pas de lettres de Valentin, il est vrai que je ne lui ai pas écrit depuis bien longtemps. Je crois savoir d’après les renseignements que nous pouvons obtenir que peut-être je ne tarderai par à la rejoindre dans son secteur actuel. Ce serait curieux surement que nous cessions ainsi de nous poursuivre. Et dire que nous ne pouvons pas nous trouver en permission.

Je suis toujours heureux d’être passé aux chasseurs alpins. Ce sont de belles troupes que le 3e bataillon du xve groupe. Son moral est excellent, un esprit offensif merveilleux et de braves camarades comme officiers. Surtout de bons chefs de bataillon.

Je ne sais pas si je vous ai écrit que ce mon M. Lahille, le père de notre brave capitaine a eu enfin sa Légion d’Honneur. Cette belle décoration que le fils avait méritée a été donnée au père qui est venu le remplacer au front malgré son âge et donner au régiment un si bel exemple.

Je me hâte de vous embrasser, voilà mon grand-chef qui arrive.

Bonnes caresses à ma maman, bons baisers à ma petite mère.

Prosper

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Secteur postal n° 161, le 21 février 1918

Bien chère maman

Ce ne sera qu'un tout petit mot aujourd’hui pour vous donner de mes nouvelles et vous envoyer mes meilleures caresses. J'ai un gros travail de paperasse. Cela ne me plait guère. Enfin, c'est seulement pour remplacer mon camarade en permission.

Bons baisers à toutes les trois, bien tendrement à ma petite mère.

Prosper

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Secteur Postal, le 26 février 1918

Bien chère maman

Voilà la longue lettre annoncée hier. Je suis obligé de vous annoncer que jusqu'à présent ma permission semble devoir être légèrement retardée.

Je vais suivre en Champagne un cours d’instruction appelé cours d’antenne. C'est pour télégraphier sans fil. Je suis au groupe de chasseurs chargé du service des liaisons et c'est la raison de ces cours. Il ne sera pas bien long, cinq à six jours, après cela, je cours vous embrasser.

Je ne sais pas encore à quelle date il va se placer, si bien que ne puis plus vous fixer aucune date.

Je vais avoir plus de temps devant moi, mon camarade Chaudron, officier adjoint comme moi au Group est rentré de permission.

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Demain, je vais écrire à Onzain et à Valentin et je compte vous faire une plus longue lettre.

Bons baisers bien gros. Votre petit chasseur qui vous embrasse bien fort à toutes les trois.

Prosper

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Secteur postal n° 161, le 27 février 1918

Bien chère maman

Je suis sans travail ! Rien à faire pendant deux jours. Je me repose. Je n'ai pourtant pas fait grand-chose au fond. Le métier d’officier adjoint à la chancellerie, c’est-à-dire aux papiers : réception et expédition du courrier journalier des correspondances affaires administratives et tactiques n'est ennuyeux que parce qu'il oblige à rester constamment près du téléphone pour répondre aux questions posées à toute heure par le commandant.

Je vais pouvoir faire du cheval chaque jour, c'est ma meilleure distraction.

Je suis au groupe des chasseurs, officier de liaison et des renseignements, c’est-à-dire que j'ai sous ma direction tous les moyens de renseignements dont dispose le colonel : téléphone, télégraphie sans fil, télégraphie sans fil par le sol, télégraphie optique, acoustique, pigeons voyageurs, enfin les coureurs. C'est l’emploi de ces moyens de renseignements qui me permette de renseigner le commandant sur tout ce qui se passe soit par observation directe des observatoires, soit en transmettant les renseignements que je reçois des bataillons qui sont sous les ordres du colonel.

Mon métier est intéressant. En secteur, c'est un des plus intéressant. Il me procure une grande liberté car il me permet d’aller partout tout en faisant mon travail.

J'adore me promener dans les secteurs et de faire faire à ma guise le jour qu'il me plait le travail qui me convient. Il est évident malgré tout qu'il y a des limites à cette indépendance. Il ne faut pas oublier que je suis officier et que la consigne est toujours est toujours à tous les échelons et à tous les emplois.

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Le colonel n'est pas encore rentré de sa permission, nous comptons le revoir demain.

Nous attendons avec plaisir, car c'est vraiment un chef aimable et facile pour ses subordonnés, tout en étant ferme.

Je vais, je crois me décider à écrire à Valentin aujourd’hui. Pourtant un gai rayon de soleil vient de traverser les gros nuages qui couvraient le ciel et je ne sais pas si je ne vais pas me laisser tenter et aller faire une agréable promenade à cheval. Je crois que le capitaine Leblanc, adjoint du colonel, va sortir également, dans ce cas je sortirai avec lui.

La neige persiste-t-elle encore à Prats ? Quel dommage que vous ne puissiez pas jouir du climat qu'il fait ici. Vraiment nos montagnes sont très froides, plus froides que le nord de la France.

Je vais aller à mon cours pour la télégraphie sans fil. Après cela je m'évaderai pour aller passer ma permission à Prats.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois bons baisers.

Prosper

Mars

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Hôtel Amiot, dimanche 10 mars 1918

Bien chère maman

Je suis de passage à Paris. Je me rends au cours de télégraphie que je dois suivre à Fère-en-Tardenois.

Dans douze jours, je pars en permission, mon cours finit le 25 mars. C'est à cette date que je prendrais la direction de Prats-de-Mollo en repassant par Paris d’où je vous télégraphierai.

Je serai tout près de Valentin, une quinzaine de km, je vais faire mon possible pour aller le voir.

Bons baisers à toutes les trois.

Prosper

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Cours de radiotélégraphie, le 12 mars 1918

Chère maman

J'ai rejoint mon centre d’instruction, c'est une grande enjambée de faite sur ma permission, car à l’heure actuelle à moins d’évènements bien imprévus, j'aurais ma permission le 26 mars et je vous arriverai quelques jours après.

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Le cours n'a pas l’air d’être bien intéressant. L’installation est mauvaise ; de méchantes baraques mal clauses. Il me semble pourtant qu'il y a trois ans que nous sommes en guerre et que l’on devrait savoir prévoir. Ce n'est pas à nous à faire des observations, je vais passer 12 jours ici. Voilà déjà une journée d’écoulée. Je vais m'arranger pour voir Valentin qui n'est pas très loin et qui doit hier avoir une auto pour venir me prendre.

Fait-il toujours mauvais à Prats et dois-je m'amener avec des raquettes à neige pour circuler dans nos montagnes. Un alpin doit-être intrépide et je me promets de faire de nombreuses expéditions. Je compte que je serais auprès de vous pour Pâques. Je vous télégraphierai mon arrivée à Perpignan vient me prendre. Est-ce que mon oncle est à Perpignan à cette époque de l’année ?

Je vous embrasse bien fort à toutes les trois.

J'ai reçu d’Algérie un colis de dattes, sous l’enveloppe du colis, aucune indication me permettant de reconnaître l’expéditeur. C'est bien ennuyeux de recevoir de ces sortes d’envois, on ne sait guère qui remercier. Le colis n'était pas gros, il est arrivé par la poste.

Bons baisers.

Prosper

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21 mars 1918

Bien chère maman

Rien de nouveau à notre centre d’instruction. J'attends avec impatience l’arrivée de ma permission que mes camarades du Groupe doivent m'envoyer et qu'ils ont du même m'envoyer.

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J'ai grande impatience d’aller vous embrasser, en attendant mes caresses.

Prosper

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Le 23 mars 1918

Bien chère maman

Je ne reçois plus de cartes ni de lettres pour vous. Il y a un ridicule employé du central militaire à Paris qui change l’adresse des lettres que vous m'envoyez et qui malgré la mention cours de radiotélégraghie fait passer mes lettres par le secteur 161.

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Cela fait un retard de huit jours, vous n'aurez plus l’occasion de m'écrire ici car dans trois jours je m'évade.

Je suis heureux que ce stage soit terminé. Je n'y ai pas appris grand-chose et le séjour est très désagréable.

J'ai peu de nouvelles de ma division. Je crois bien que je n'aurais plus à rejoindre là où je l’ai laissée. Je n'en suis pas fâché, c'était un désagréable secteur.

Peu importe s'il fait mauvais à Prats, je serai près de vous et c'est l’essentiel.

Je ne pense pas que l’attaque Boche, la fameuse attaque annoncée, puisse retarder ma permission.

Tendresses

Prosper

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24 mars 1918

Bien chère maman

Trois jours sans pouvoir nous écrire. Tout va bien, excellente santé.

Bons baisers à tous les trois.

Prosper

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Excellente santé, bons baisers à toutes les trois. Pas trop de travail, ne vous en faites pas. Ça va très bien.

Tendresses

Prosper

Ps : Il y aura de très grands retards dans la correspondance.

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Hôtel Amiot, Paris Xe, le 26 mars 1918

Bien chère maman

Je viens de vous télégraphier, ma permission est remise pour quelques temps. Je ne puis savoir au juste pour combien de temps. Hier à la fin de mon cours de radiotélégraphie. J'ai reçu un message téléphoné de mon colonel me demandant de le rejoindre, on a besoin de moi. Les renseignements que j'ai jusqu'à présent me font croire que rien n'est changé de leur situation.

Il s'agit d’aller aider les Anglais qui font face avec peine à une offensive dans la Somme.

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Seulement, il faut se tenir en alerte. C'est la raison pour laquelle je suis rappelé.

D’après la situation, que nous occupions sur le front de bataille actuel, et la mission que nous avions ; je puis vous assurer que ma division est en dehors de la grande bataille qui se livre sur le front britannique.

Il faut suivre les détails avec grande attention, et il faut être prêt lorsque le moment sera venu de frapper dûr.

Les Boches vont s'épuiser dans ces rudes assauts qu'ils livrent à l’heure actuelle, le moment sera bon pour la riposte.

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N'ayons qu'une pensée, les Boches livrent leur dernière grande bataille. Ils vont donner tout leur effort. Triomphons et nous aurons la victoire. Nous verrons venir la paix.

Je suis à Paris pour deux heures. J'admire Paris qui garde un calme remarquable.

Cette nuit, des gothas ne sont pas venues et la fameuse pièce qui tire de la forêt de Saint-Gobain, génée par le vent ne peut pas faire de travail utile, elle ne tire pas.

Les parisiens sont passés vieux poilus et ils parlent autour d’un point de chute sur un obus ou d’une bombe, comme au sujet d’un vulgaire accident d’automobile.

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Je m'embarque dans un instant. Surtout ne vous faites pas de mauvaises raisons.

Il vaut mieux que j'ai toujours ma permission dans ma poche, comme cela, à la moindre accalmie du front anglais, je vous vous embrasser.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois, bons baisers à ma chère petite maman.

Prosper

Ps: Prolongez la vie de toute la volaille que vous voulez sacrifier à mon arrivée !!!

Combats dans la Somme

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23 mars – Le bataillon s'embarque à Calais à 20h… et débarque à 10h à Amiens et cantonne à Bores. Dans l’après-midi, le bataillon alerté est mis en route sur Merville-aux-Bois. Il y arrive à 18h. A 23h, le bataillon reçoit l’ordre d’occuper et d’organiser les positions en avant de Merville-aux-Bois et de Rouvrel.

27 mars – … A 11 h le bataillon se porte suivant les ordres reçus sur Bouchoir pour y relever des éléments anglais. A 13h la relève est suspendue en raison de l’attaque ennemie sur Arvillers. De nouveaux ordres portent alors le bataillon en avant de Mailly-Raineval vers la côte 112… Finalement le bataillon reçoit l’ordre de gagner Le Plessier-Rozainvillers où il s'installe offensivement à l’est du village… Les liaisons sont très difficiles et fort pénibles. La situation est confuse. Quelques batteries anglaises prennent position et exécutent des tirs forts lointains. Les renseignements font défaut.

28 mars – La situation est calme. Mais à midi l’ennemi attaque en rangs serrés. Les feux des mitrailleuses allemandes sont particulièrement nourris. Le bataillon résiste opiniâtrement sur ses positions.

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29 mars – De bonne heure les avions français et allemands exécutent des reconnaissances au-dessus des lignes (du 88 exclusivement déploie une certaine activité). A 17h 25 l’attaque allemande reprend avec plus d’intensité que la veille.

29 mars – A la tombée de la nuit, échelon par échelon, le bataillon se replie au-delà de l’Are où se trouve déjà le 215e RI.
Pertes du 27 au 29 mars 1918 : 8 tués, 67 blessés et 37 disparus.

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30 mars – Le bataillon arrive à Castel au jour et s'y installe… A midi, la pluie tombe, le calme semble renaître pendant quelques heures.

31 mars – Mise en organisation défensive du village de Castel et de la rive droite de l’Arve et ses passages sur cette rivière à l’est du village. Il fait un beau soleil et la matinée est calme. Le soir, violente action d’artillerie du côté de Braches. L’artillerie ennemie est nettement renforcée.

1 avril – Nuit calme, le matin l’artillerie ennemie reprend son tir…

3 avril – Relève à 3 h du matin, quelques obus tombent sans causer de pertes.
Les pertes depuis le 30 mars sont 2 tués, 3 blessés plus 11 évacués. Le bataillon arrive à Cottenchy mais dans la nuit du 3 au 4 il est dirigé sur Bacouël par Sains-en-Amiénois.

Citation

Sous le commandement du chef de Wauthier, a, pendant les opérations du 26 mars au 2 avril 1918, opposé la résistance la plus énergique aux attaques sans cesse renouvelées de masses ennemies très supérieures et fait preuve du plus complet esprit de sacrifice.
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31 mars 1918

Bien chère maman

Excellente santé, gros travail mais très bon moral. Soyez confiant.

Bons baisers.

Prosper

Avril

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2 avril 1918

Bien chère maman

Toujours excellente santé, bien moins de travail.

Ma permission sera très bonne après cela. Bons baisers à toutes les trois.

Prosper

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3 avril 1918

Bien chère maman

Au repos ! Je vais pouvoir vous écrire longuement. Je ne peux encore pas repartir en permission. Je ne veux plus rien vous annoncer du reste. Je suis trop payé pour me méfier.

Santé excellente, pas une égratignure, les balles ont déchiré mes vêtements sans m'atteindre.

Bons baisers à toutes.

Prosper

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8 avril 1918

Bien chère maman

Je suis terriblement en retard, depuis ma lettre nous annonçant notre repos, je ne vous ai rien envoyé. C'est que depuis ce moment, ce n'est pas allé tout seul. En effet, à peine arrivé au repos et sans avoir le temps de déboucler le sac, nous remontons à la rescousse de nos camarades que les Boches attaquaient ferme. L’attaque a été brisée malgré les masses mises en ligne par les allemands. A l’heure actuelle, nous sommes redescendus au repos pour de bon.

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J'ai un bon lit avec des draps. Mais malheureusement, j'ai beaucoup de travail. Je suis tout seul à l’Etat-major avec un nouveau camarade qui n'est pas au courant.

Ma santé est excellente, je mange comme un ogre.

Bons baisers à toutes les trois.

Prosper

Avez-vous reçu contre remboursement une culotte des Magasins du Louvre.

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8 avril 1918

Bien chère maman

Nous sommes au repos, j'ai l’occasion de vous faire parvenir une lettre rapidement par un permissionnaire. La bataille est arrêtée pour nous, nous étions à Moreuil où nous avons très bien bataillé partait-il.

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Notre général est cité à l’ordre de l’Armée, c'est que nous, ses soldats, nous avons fait notre devoir.

Pas encore de permission possible, soyez sans crainte, nous sommes encore loin de remonter en ligne.

Bons baisers à toutes les trois.

Prosper

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Secteur postal, n° 101, le 9 avril 1918

Bien chère maman

J'ai quelques minutes que je vais employer à vous écrire plus longuement que de coutume, comme vous avez dû souffrir chères bonnes mamans de ne recevoir aucune nouvelle de votre petit chasseur.

Vos lettres que je reçois maintenant me disent votre encore votre inquiétude car vous étiez sans nouvelle en les écrivant.

Je suis sain et sauf, chères mamans, vos prières et la grâce que vous avez auprès du Bon Dieu m'ont garanties contre tous les dangers.

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Je remercie Dieu du fond du cœur et mon affection pour vous est encore augmenté si cela est encore possible.

Je suis très heureux de ne pas être allé en permission car maintenant que nous avons donné, dès que l’on nous confie un secteur un peu tranquille et que l’Etat-major du Groupe sera reconstitué, je pourrais partir en permission.

J'attends ce moment avec une grande impatience, il me semble que jamais permission ne me fera plus de plaisir. Vous voyez que dans notre malheur, il vaut mieux que ma permission ait été retardée car ainsi, dans les plus mauvais moments, je pourrais penser que si les choses s'arrangeaient, je pourrais vite partir vous embrasser.

Pauvres mamans, combien de jours êtes-vous restées sans nouvelles.

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J'ai fait mon possible pour vous donner signe de vie, mais la bataille met tant de désordre partout, et les nécessités de l’avant emploient à plein tous les moyens de transport, si bien que les pauvres lettres restent en panne.

Nous avons bataillé pendant huit jours, nous avons fait de notre mieux. Je vous envoie la copie des ordres du jour de nos grands chefs sous les ordres desquels la division La Gauloise a combattu, cela vous donnera une idée de notre rôle dans la mêlée.

Actuellement, nous sommes au repos pour nous reformer, où irons-nous ensuite. Je ne suis, nous sommes soldats et fiers soldats, nous n'oublions pas que le Boche attaque notre front et qu'il tente son dernier effort. Il faut coute que coute l’arrêter. Aussi, à la Grace de Dieu et à la volonté de nos chefs.

Je suis très en retard dans ma correspondance.

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Je vais essayer peu à peu de me liquider de tout cela. J'ai toujours beaucoup de travail au xve groupe. Je suis obligé de faire le travail de trois, de plus le colonel absent est remplacé par un chef de bataillon qui n'est pas au courant de certaines habitudes du groupe si bien que je ne puis m'absenter.

Le colonel blessé est soigné à Rouen. Il va bien et nous rejoindra bientôt.

Notre capitaine est prisonnier, le pauvre doit bien souffrir. Il était blessé à la cuisse. Le lieutenant Chaudron adjoint avec moi au groupe, a été blessé au pied, il va bien.

Toutes les blessures sont par balles, nous n'étions pas loin des Boches ce jour-là. Je ne sais pas comment je m'en suis tiré. J'ai trouvé ensuite la trace de deux balles dans mes bas de capote et une balle dans ma chaussure. Celle-là m'a envoyé par terre, mais sans blessure.

Vous voyez que je suis passé au travers des balles.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes trois, bons baisers à ma bonne petite mère.

Prosper

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12 avril 1918

Bien chère maman

Un petit mot. Excellente santé, bon moral. Nous nous promenons, nous continuons à nous refaire. Pas trop de fatigue. Peut-être vais-je retrouver ma bonne chambre chez ma… vielle demoiselle. Ce n'est pas mauvais.

Soignez-vous bien et ne vous faites pas trop de souci.

Bons baisers à toutes les trois. Je vous aime bien.

Prosper

La bataille de la Lys

L'état-major allemand qui dispose de troupes ramenées de Russie, après le traité de Brest-Litovsk, déclenche une offensive à l'ouest d'Ypres sur le secteur portugais qu'il sait être un point faible du dispositif allié. Initiée le 9 avril, l'attaque allemande connaîtra un certain succès. La 133e DI dont fait partie le 32e BCA est lancé dans la bataille le 16 avril au matin à Méteren pour relever les troupes britanniques. La bataille durera jusqu'au 29 avril date à laquelle les troupes allemandes usées cesseront leurs attaques.

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4 avril – Le bataillon ne reste pas à Bacouël. Il part pour Hébécourt et y fait une halte de 1 h. Le bataillon reçoit l’ordre de se porter à nouveau sur Cottenchy. La pluie tombe sans discontinuer. Les hommes absolument trempés sont fourbus de fatigue. L’attaque ennemie s'intensifie sur côté Morisel-Castel, Bois de l’arrière-cour, Mailly-Raineval, Bois-Senécal.

5 avril – Le bataillon s'établit à Cottenchy… A 23 h arrive l’ordre de relève.

6 et 7 avril – Etapes jusqu'à Offroy.

8 et 9 avril – Repos en cantonnement.

10 avril – Etape jusqu'à Marseille-le-Petit.

11 avril – Le beau temps est enfin revenu. Par Talhay, le bataillon gagne Saint-Omer-en-Chaussée où il embarque à 20 h. Trajet par Amiens, Abbeville, Calais, Dunkerque, Bergues.

12 avril – Débarquement à 11 h à Esquelbecq et cantonnement à Crochte.

13 avril – Le bataillon alerté dans la nuit du 12 au 13 fait mouvement à 5 heures pour Eecke par … Arrivé à Eecke, il reçoit l’ordre de gagner Caëstre et le carrefour de Rouge-Croix. Il y arrive vers 17 heures. Le temps est brumeux. Il s'installe défensivement de part et d’autre de la route de Caëstre – Strazeele, en arrière de Strazeele tenu par les troupes anglaises, prêt à arrêter toute attaque en avant de Strazeele ou de ses abords.

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14 avril – Organisation des positions occupées.

15 avril – Reconnaissances et liaisons avec les troupes anglaises.
Pertes du 13 au 15 avril : 2 tués, 1 blessé, 4 évacués.

16 avril – Le bataillon alerté reçoit l’ordre de se porter en direction de Méteren et d’occuper la ligne… Arrivée à M. à 15 h. La position indiquée est occupée. Les liaisons s'effectuent, mais l’ennemi attaquant Méteren filtre déjà aux lisières Est du village. A 18 h 15 reçoit l’ordre de dépasser les lignes anglaises et d’attaquer à Méteren aux mains de l’ennemi. L’attaque aurait dû se déclencher à 18 h. Le départ s'effectue à 18 h 20 à gauche avec le 116e BCA. L’opération est menée par la 2e compagnie… notre offensive se brise aux lisières de Méteren occupés et organisés par l’ennemi, mais sans avoir nulle part rencontré les lignes anglaises indiquées. Le lieutenant Brum a été tué à quelques pas des premières maisons. Son corps, tombé à genoux, face en avant, continue à servir de cible à l’ennemi qui s'acharne sur lui.
Pertes : 32 blessés, 4 évacués.

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17 avril – Le bataillon s'organise devant les lisières de Méteren… Vers 18 h un bataillon ennemi (263e RI) part à l’attaque de nos positions au Sud… Par infiltration, il occupe les maisons bordant la route Méteren- Flêtre jusqu'à Méteren-Becque mettant ainsi notre première ligne dans une situation critique. En dépit des demandes réitérées, le barrage de notre artillerie ne se déclenche pas. Une contre-attaque menée à fond par le sous-lieutenant Aguettaz chasse les Allemands des maisons un moment tenues. Un grand nombre de tués et quelques prisonniers restent dans nos mains.
Pertes du 17 : 18 tués dont un officier, 35 blessés

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La situation est rétablie à la tombée de la nuit.

Dans la nuit, les chasseurs Bizard et Galley furent sommés d’avoir à se rendre par une troupe qui arrivait sur leurs derrières par la route de Flêtre, se dirigeant vers l’ennemi. En guise de réponse, le chasseur Galley tire sur l’homme de tête et le tua net. C'était un officier allemand. La troupe comprenait deux anglais et douze chasseurs du 102e ACA emmenés comme prisonniers par une vingtaine d’allemands. Ce groupe ennemi avait fait irruption dans nos lignes par le front du 102e DCA, capturant au passage un petit poste, puis il s'était rabattu sur les derrières du bataillon et s'apprêtait à regagner ses positions lorsque la présence d’esprit du chasseur Galley rétablit la situation.

18 avril – L’ennemi s'organise et s'enterre aux limites de Méteren. Quelques rares obus tombent dans le secteur. Le bataillon renforce ses positions….
Pertes du 18 avril : 2 tués, 4 blessés, 5 évacués.

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19 avril – A 23 h, le 12e bataillon australien relève le bataillon sur ses emplacements, étape sur Thieushouck.

20 avril – Cantonnement et repos.

21 avril – Départ de Thieushouck à 11 h, étape par Rossignol et Berthen. Le bataillon en réserve de DI cantonne dans la zone.

22 avril – Départ à 19 h… Godewaersvelde-sur-Eecke où le bataillon cantonne.

23 avril – Repos en réserve de DI. Canons et avions la nuit.

25 avril – Le bataillon alerté à midi gagne la région ouest de Godewaersvelde et s'y installe en cantonnement bivouac.
Pertes du 19 au 25 avril : 2 blessés, 14 évacués.

27 avril – Le bataillon alerté à 1 h part à 3 h et gagne… la région du Monts-des-Cats… en réserve de CA

28 avril – Reconnaissance et jalonnement d’une ligne de points d’appuis jalonnés par le ravin de…

2 mai – Le bataillon relevé par un bataillon du 140e RI va cantonner dans la zone nord du Monts-des-Cats…

3 mai – Le bataillon travaille à l’organisation du centre de résistance du Mont-des-Cats. L’état de dépression physique du bataillon est extrême. La grippe est cause de nombreuses évacuations.
Pertes du 26 avril au 2 mai : 5 tués, 27 blessés, 25 évacués.

8 mai – Le bataillon s'embarque à Saint-Sylvestre-Cappel sur camions-auto et va cantonner à… (Pas-de-Calais).
Pertes de la journée : 2 tués, 4 blessés, 37 évacués.

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14 avril 1918

Bien chère maman

Ma petite carte habituelle avec beaucoup de tendresses pour vous.

Je suis en excellente santé. J'ai beaucoup de travail, qui n'en n'aurait pas lorsqu'on est soldat et que le sort de la France se joue dans une grande bataille.

Je suis sans nouvelle de vous depuis très longtemps. Pourvu que vous receviez mes cartes et que vous soyez sans inquiétude.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

Prosper

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15 avril 1918

Bien chère maman

Je me hâte de vous embrasser. J'ai bien fait de ne pas aller en permission car la prochaine fois, j'aurais deux jours de plus. Vous devinez pourquoi ? Une étoile blanche à ma Crois de Guerre !

Toujours excellente santé.

Rien de nouveau, secteur relativement calme. On ne peut pas demander le calme plat en ces temps d’offensive.

Bons baisers à toutes les trois.

Prosper

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15 avril 1918

Bien chère maman

Un petit mot. Excellente santé, juste une petite carte pour vous envoyer de bons baisers.

Bien tendrement.

Prosper

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18 avril 1918

Bien chère maman

Je ne reçois guère de lettres de vous. J'espère que vous êtes en très bonne santé. Je ne voudrais pas que vous vous fassiez de la peine à mon sujet. Je ne suis pas en ligne. Je vous ai dit hier que nous nous promenions. Ma santé est excellente, je dévore comme un ogre. Notre seule distraction c'est de manger et de dormir. Lorsque nous le pouvons.

Je vous aime bien chère maman et je vous embrasse de tout mon cœur.

Prosper

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20 avril 1918

Bien chère maman

Je veux toujours vous tenir au courant de ma petite santé qui vous donne tant d’inquiétude. Je reçois vos lettres peu… Aujourd’hui 3 du 9. Vous ne recevez pas mes cartes régulièrement non plus. Comme vous devez être malheureuse, soyez sans crainte, ayez confiance.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

Ps: j'ai reçu le colis contenant du linge. Il ne pouvait pas mieux arriver. Mon pauvre linge, mal lavé, mal… est dans un piteux état.

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22 avril 1918

Bien chère maman

Je dois recevoir toutes vos lettres. Soyez sans crainte, nous sommes un peu à l’arrière.

Les Boches sont calmés. Il y a deux jours, nous en avons fait un beau massacre. Excellente santé, bon moral. Je suis un vrai troupier maintenant. Il me manquait les expériences que nous faisons actuellement.

Bons baisers à toutes les trois.

Prosper

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23 avril 1918

Bien chère maman

Soyez sans crainte, nous sommes encore une fois loin des coups. Nous avons bien travaillé, les chasseurs ! Notre général nous a complimentés.

Les Boches sont arrêtés ici aussi.

Où encore maintenant ! C'est comme ils voudront.

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Nous devons avoir chez les Boches une fière réputation car en peu de fois ils viennent de nous trouver, arrivant les premiers au bout de poches qu'ils se plaisent à faire dans les fronts alliés.

Je vais dormir en écraser comme disent les poilus.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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Secteur postal 161, le 25 avril 1918

Bien chers parents

Je vous envoie un petit mot à la hâte, excusez-moi, je vous néglige un peu. Ce n'est pas de ma faute, j'ai beaucoup de travail. Etant toujours sur le front, j'ai communié sur le front dans une guitoune.

Je vous embrasse bien fort.

Prosper

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26 avril 1918

Bien chère maman

Peu de lettres de vous chère maman. J'ai appris avec le plus grand déplaisir que la neige couvre encore nos montagnes. Vous allez encore souffrir de ce tardif retour à l’hiver. Bonne maman doit être désolée de voir ses récoltes si compromises.

Les pauvres gens de Prats vont encore souffrir du manque de produits. Ils ont un si mauvais esprit, que ces accidents sont toujours gros d’importance dans nos régions. Qu'ils se consolent, les dernières grandes batailles se livrent. Prions Dieu et espérons que nous arriverons bien avec son aide à vaincre nos terribles ennemis.

Je suis en excellente santé, bons baisers à vous trois.

Mes plus douces caresses à ma maman

Prosper

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27 avril 1918

Bien chère maman

J'ai du temps devant moi car pour l’instant je n'ai absolument rien à faire. Je suis en liaison de l’Etat-major de mon corps d’armée. Ce secteur est tranquille et je m'ennuie follement, loin de mes camarades qui sont dans un village voisin. De temps en temps, d’un galop de mon cheval, je cours leur dire bonjour, leur porter un petit mot ou un petit ordre. Je suis en pensions à l’Etat-major du C.A.. J'y mange et j'y couche, mais à tous les points de vue, je préférerai cent fois être à mon groupe.

Dans des moments comme cela que nous vivons la camaraderie a une valeur considérable. Entre camarades, l’on se soutient, l’on s'encourage quand les moments sont durs ou que les nouvelles sont mauvaises.

Vous avez sans doute vu sur les journaux que le permissions étaient retardées.

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Cela doit vous causer autant de plaisir qu'à moi.

Cependant, je ne puis prendre ma permission maintenant, vous comprenez pourquoi et vous êtes certainement de mon avis. Je reste le premier à partir lorsque le front sera plus calme et lorsqu'il y aura moins de travail à l’Etat-major du groupe. J'aurais douze jours, cela compensera un peu.

Est-ce que le soleil a fait fondre cette mauvaise neige qui va se décider à partir ?

Il vaut mieux la neige que la gelée à Prats et ou elle ne persiste pas elle ne fait pas grand mal.

Ici, il fait beau, de la brume comme il convient à ce pays du nord, mais le temps reste doux.

Je vous embrasse bien fort chère petite maman. Mes bons baisers pour vous toutes. Je vais écrire un mot à M. Oubadie.

Prosper

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30 avril 1918

Bien chère maman

Je suis toujours heureux de pouvoir vous envoyer de mes nouvelles, ainsi vous devez recevoir presque chaque jour un petit mot et vos chers cœurs ne doivent pas trop souffrir pour moi.

Notre situation est bonne, pas trop de fatigues, notre ligne, malgré les attaques Boches d’hier est maintenue et même améliorée. Cela donne bon moral et fait supporter avec allégresse n'importe quelle fatigue.

Car notre plus grande peine dans cette gigantesque bataille nous est infligée par le spectacle de notre malheureux pays si riche et si beau par ici qui tombe en lambeaux aux mains de l’ennemi et que ses coups, et les nôtres aussi font, martèle sous nos yeux.

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Je peux avouer lorsque je vois ce triste calvaire de ces pauvres gens et je prie Dieu de vous éviter pour jamais pareille chose.

Bonne mère, j'ai reçu hier un petit mot. Ma nouvelle citation me donnera deux jours de plus et j'en suis heureux car c'est deux journées que je passerai de plus auprès de vous lorsque Dieu nous donnera un beau… et nous permettra de nous reposer.

Je vous embrasse bien fort à toutes les trois.

Prosper

Mai

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1er mai 1918

Bien chère maman

Un nouveau mois. Voilà plus de 40 jours que les Boches ont commencé leur offensive et ils n'ont obtenu que des résultats partiels malgré le nombre considérable de leurs divisions.

Depuis trois jours, je suis en liaison du Quartier Général de notre corps d’armée. Je n'ai rien à faire, de temps à autre, je porte un ordre à cheval ou en automobile lorsque cela presse fort. Ce n'est arrivé qu'une fois du reste notre secteur est calme.

Le temps est bon, brume froide mais température supportable. Le mois de mai va changer tout cela. Le beau temps va arriver et faire fleurir les champs et aussi les permissions.

Nous sommes deux à l’Etat-major du groupe, un troisième camarade ne saurait tarder à arriver, à ce moment, je pourrais songer à m'évader pour prendre ma permission.

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Je n'ai pas encore reçu le saucisson. Il ne faudrait pas qu'il arrive pendant que je suis ici. Je vais aller voir souvent mes camarades du groupement sous prétexte de leur porter des ordres pour m'assurer qu'ils ne sont pas en train de dévorer mon colis.

Je vous embrasse bien affectueusement à toutes les trois.

Prosper

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5 mai 1918

Bien chère maman

Un mot seulement, le courrier part et je ne veux pas que vous manquiez de lettre aujourd’hui. Rien de nouveau, peut-être relève prochaine, secteur très calme.

Bons baisers.

Prosper

A l'arrière dans les Vosges

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14 mai – Le bataillon s'embarque pour Belfort (Héricourt).

16 mai – Le bataillon défile à Héricourt où il a débarqué à 17 h.

22 mai – A la nuit, le bataillon se porte sur Roppe et y cantonne.

En réserve lors de la bataille du Matz

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1er juin – Le bataillon à l’effectif de 21 officiers, 36 sous-officiers, 77 caporaux et 626 chasseurs s'embarque de nuit en gare de Fontaines.

2 juin – Trajet en chemin de fer par Vesoul, Chaumont, Bologne, Vitry-le-François, Fère-Champenoise.

3 juin – Débarquement à Esternay à 5 h 30. Le bataillon est transporté par camions-autos et arrive à 10 h 30 à la Ferté-sous-Jouarre où il cantonne.

9 juin – Le bataillon alerté à 21 h se tient prêt à être enlevé par camions-autos.

10 juin – A 19 h embarquement en camions-auto.

11 juin – … le bataillon débarque à Fouilleuse à 5 h… alerté à 9 h, il gagne en réserve de la contre-attaque Mangin le bois de Montigny… Le soir il se déplace et occupe ses positions d’attente… face aux contre-attaques ennemies pouvant se déclencher du nord-est.

14 juin – Le bataillon va cantonner à Cernoy…

15 juin – Reprise de l’instruction.

16 juin – Revue passée par le général Valentin…

21 juin – Le bataillon quitte Cernoy à la nuit et va cantonner à Vaumont en réserve de la DI.

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7 mai 1918

Bien chère maman

Vous allez pouvoir être tranquille, notre période de travail est terminée encore une fois. Nous allons pouvoir nous reposer.

Bien mieux, j'entrevois la possibilité de pouvoir, peut-être dans peu de temps, jouir de cette permission que j'attends depuis tant de mois.

Je ne vous en dis pas plus aujourd’hui, ce sont de bonnes nouvelles, cela va vous suffire.

Bons baisers à toutes les trois, votre petit chasseur.

Prosper

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9 mai 1918, Perpignan

Ma chère cousine

Je retardais à vous écrire croyant pouvoir vous envoyer 1 kg de sucre. Pour le moment cela m'est impossible, je compte que la semaine prochaine on en distribuera si cet employé est assez aimable de m'en donner un peu plus. Toujours je penserai à vous, je le donnerai au… pour vous le remettre.

Vous devez avoir reçu le… que je vous ai envoyé lundi Je voyais le moment que je ne pouvais pas vous l'envoyer

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Il a fallu que j'aille voir dans tous les magasins de Perpignan et j'ai été bien contente d’en trouver. Valentin est toujours à Paris et va bien. Pour nous, notre santé est bonne.

Michel vous envoie un baiser. Donnez bien le bonjour à Prosper et à tante sans oublier Justine.

Recevez chère cousine mes sincères amitiés.

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9 mai 1918

Bien chère maman

Nous sommes au repos et cette fois-ci je crois que c'est pour de bon. Nous avons fait notre part, une belle part. Nous allons souffler, nous nettoyer et vivre un peu au soleil comme des lézards car nous en avons besoin.

Ma permission semble murir de mieux en mieux, ce qu'elle sera bonne à prendre.

Le printemps se sera décidé à sortir à Prats comme ici.

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Ce que nous avons été surpris en arrivant au repos de constater que la campagne avait verdi et que le printemps était à son complet épanouissement. Nous n'avions pas eu le temps de nous en apercevoir.

Nous finirons par connaître toute la France. C'est un nouveau lieu que nous voyons. Il n'est pas très loin de celui que nous venons de quitter mais le caractère en est tout différent. Lorsque j'aurais le plaisir de pouvoir aller vous embrasser, j'emporterai mes cartes et je vous montrerai tout cela. Je crois vous avoir dit que nous avions touché un nouveau colonel en remplacement du colonel de la Giraudière blessé, mais ce nous nouveau colonel avait été également blessé au milieu de nous. Or c'est le colonel de la Giraudière qui nous relève en partie rétabli pour le remplacer

Bons baisers toutes les trois, votre petit diable bleu.

Prosper

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12 mai 1918

Bien chère maman

Je crois que j'ai oublié de vous écrire depuis deux jours. Excusez-moi, il fait si bon être au repos que l’on ne pense plus à rien. Le colonel de la Giraudière nous a rejoint parfaitement remis de sa blessure qui a été très légère. Je suis heureux de voir revenir mon ancien colonel qui me connait bien.

Je vois ma permission approcher tous les jours. Je ne puis encore la prendre. Nous sommes toujours deux officiers au groupe. Lorsque celui qui a été blessé en même temps que le colonel rentrera, je pourrais m'évader, peut-être même avant.

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Nous n'avons pas de nouvelles du capitaine Leblanc blessé et prisonnier.

J'ai reçu une lettre de Valentin, j'ai son nouveau secteur, je vais pouvoir lui écrire.

J'espère pouvoir vous dire à bientôt. Nous nous préparons à un léger déplacement, après cela peut-être aurai-je ma liberté.

Je vous embrasse bien tendrement toutes les trois.

Prosper

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Troyes, 17 mai 1918,

Bien chère maman

Vous saviez où nous étions, nous allons à l’autre bout du front, à l’extrême bout, cela me chagrine.

C'est un coin que je n'ai jamais vu. Le secteur y est très calme et nous y allons pour nous reposer. Je sème mes lettres tout au long de la route.

Vous savez que François Coderch a été dans l’Est un peu de temps, Milacusi froid (sic), c'est là que nous allons.

Bons baisers et à bientôt.

Prosper

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Saint Brieux, le 16 mai 1918

J'espère mon cher Tailleur que vous jouissez d’une excellente santé et que vous profitez dans un cantonnement de repos de loisirs, peut-être rares mais vraiment pas volés que commandent les circonstances.

Je vous serre bien amicalement la main espérant que vous pourrez bénéficier d’une permission qui peut être très attendu, qui vous fera le plus grand bien.

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30 mai 1918

Bien chère maman

Suis en excellente santé ! Nous faisons de la vraie guerre, mais c'est mouvementé. Je vous embrasse bien fort.

Prosper

Ps : je vous envoie deux cartes pour plus de sureté

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30 mai 1918

Bien chère maman

Suis en excellente santé ! Nous faisons de la vraie guerre, mais c'est mouvementé. Je vous embrasse bien fort.

Prosper

Ps : je vous envoie deux cartes pour plus de sureté

Juin

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Paris, le 4 juin 1918

Bien chère maman

J'arrive à l’instant. Juste le temps de bien me laver, j'étais noir comme le chauffeur et je vous écris ce bout de lettre.

Je ne m'aperçois guère que les parisiens craignent pour leur sécurité. Tout est ici comme à l’ordinaire.

Je me hâte, je vais essayer de manger correctement au Le Prince de Galles.

Bon baiser bien doux

Prosper

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Secteur postal n° 161, le 7 juin 1918

Bien chère maman

Vous avez été fort surprise de mon histoire de parrain.

Je suis en train de me demander encore pourquoi ainsi d’un seul coup ce brave capitaine m'a choisi comme filleul.

Son rôle de parrain qu'il m'explique longuement en me raccompagnant après le repas, consiste à se mettre à la disposition de ses filleuls pour les conseillers, les aider dans leurs études et leur servir de correspondant dans la grande ville de Paris.

Ce brave monsieur ingénieur dans la vie civile est actuellement détaché au ministère du ravitaillement.

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Il est instruit, très catholique, aimant beaucoup les vielles choses et les vielles coutumes.

Je lui ai parlé de Prats qu'il m'a promis de venir visiter quand il aurait l’occasion.

Sa famille est parfaite, madame Jarriand est très simple et charmante, ses garçons ont l’air très intelligents. Le plus grand est bachelier et fervent littérateur. Le second est un… bachelier qui prépare sa première partie.

J'ai été reçu dans cette maison avec la plus grande cordialité.

Mais voici ce à quoi je suis maintenant moralement obligé. Je dois donner de mes nouvelles une fois au moins par dizaine et quand je retournerai à Paris à ma prochaine permission passer les saluer.

Je vous ai dit que j'étais le 3e filleul de la maison. Des deux autres, l’un est aviateur, l’autre fantassin comme moi, c'est aussi un citadin actuellement à l’armée d’Orient.

Ces filleuls viennent le voir à leur permission et sont devenu ses amis.

Soyez sans crainte, je ne vais pas me précipiter chez ces gens. Ils sont aimables, c'est entendu, mais je ne les connais guère.

Je vous enverrai les premières lettres que je recevrai, vous pourrez juger.

En attendant, j'ai reçu déjà un premier cadeau, c'est un petit paroissien de poche, soyez édifiée.

Je me hâte de cacheter ma lettre, gros travail. Pas de changement, pays charmant et absolument calme.

Bons baisers à toutes les trois, bonnes bises à ma maman.

Prosper

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10 juin 1918

Bien chère maman

Mon bulletin de santé. Tout va bien. Vous avez vu que les Boches se font casser les dents bien dur, tout est pour le mieux.

Bon baisers. Nous n'avons pas changé de coin.

Prosper

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16 juin 1918

Bien chère maman

Je vous ai promis une longue lettre.

Je me hâte d’abord de vous dire que nous sommes toujours sur le même point du front afin que vous soyez rassurée. Ce point est très calme et nous y menons une vie agréable. Vous n'avez pas lieu d’être inquiète et je ne voudrais pas que vous soyez triste comme au moment de mon départ. Est-ce d’une maman d’un petit chasseur si courageux.

J'ai reçu de vos bonnes lettres mais toutes en paquet, il a fallu que je les classe avant de les lire.

J'étais resté depuis mon retour de permission sans rien recevoir.

La réponse catégorique de … m'a bien surprise. Il vaut mieux en être débarrassé au fond. Je crois bien que les fermiers ne vous manqueront pas, il ne faut pas se presser.

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Je suis très content d’avoir réussi mes commissions et d’avoir contribué un tout petit peu à votre grand travail pour les églises dévastées.

Notre curé gendarme a dû être content mais surtout pas trop de travail pour vous. Il faut vous ménager. Je veux avoir des mamans après la guerre ne serait-ce que pour leur donner du travail et leur créer des soucis.

Je vous avais annoncé le départ du colonel de la Giraudière. C'est chose faite maintenant. Nous avons touché un nouveau colonel quelques heures après. Le puis était tout chaude. Nous avons énormément de la veine. C'est encore un très brave homme qui nous échoit. C'est un bon catholique, extrêmement pratiquant, il communie tous les dimanches.

Je suis encore au groupe, mais si la place qu'il m'y fera ne me satisfait pas, je passerai dans une compagnie.

Le front est stabilisé. Les Boches laissent des plumes dans ces rudes combats et ils finiront bien par se lasser. Du reste, malgré le succès, le moral de leur troupe est très bas. Certains prisonniers disent qu'ils sont persuadés que même s'ils prenaient Paris la guerre ne serait pas finie. Ce n'est pas pour les encourager car ils sont très de la guerre.

Je vous embrasse bien fort. Bons baisers à ma maman.

Prosper

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17 juin 1918

Bien chère maman

Vous me demandez ce que j'ai pu remarquer chez le capitaine Jarriaud lors de ma curieuse visite.

Voilà en deux mots, une belle famille et une grande amabilité.

La maison est très confortable, presque luxueusement meublée, le service est parfait.

Au cours de la conversation, j'ai pu constater que mon nouvel ami avait d’excellentes relations et que madame Jarriaud sans être très mondaine, avait de nombreux amis qu'elle allait voir très régulièrement.

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Je n'ai encore écrit qu'un petit mot au capitaine, je vais, ce soir même, lui envoyer une plus longue missive.

Le Boche souffre encore. Le malheureux a tant voulu courir qu'il n'en peut plus, il faut qu'il se repose.

Voilà les Autrichiens que les Boches ont forcé à une offensive bien mal engagée. Leur communiqué que nous prenons par télégraphe sans fil n'est guère un communiqué de victoire, il est alambiqué, confus. Les Italiens, aidés par les Français et les Anglais sont revenus vite à la charge sur ces malheureux soldats autrichiens. Si les Boches étaient comme ceux-là, nous aurions la part belle.

J'ai trouvé hier en faisant une tournée à cheval des traces de la compagnie de Valentin. Le ballon 70 était passé par là mais je n'ai pu savoir où il était allé.

J'aurais sans doute sous peu le plaisir de le rencontrer.

Rien de nouveau, toujours très calme chez nous.

Bons baisers à toutes les trois.

Prosper

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22 juin 1918

Bien chère maman

Excellent bulletin de santé. Bien plus excellent communiqué. Notre secteur est excessivement calme. Nous avons pris la 1e ligne soyez rassurée. Donnez-moi des nouvelles de tout le monde, bonne maman, Thérèse et des soldats de Prats. Pauvre Bruch, sa perm. n'en sera que plus exaspérée.

Bons baisers.

Prosper

Bien chère maman

Je vous promets une longue lettre pour demain. Je vais avoir du temps, car demain est beau dimanche. Il y a pas mal de temps que nous n'avons pas pu tenir compte des dimanches.

Bons baisers à toutes les trois.

Prosper

Bien chère maman

Bons baisers à toutes les trois. Rien de changé. Excellente santé.

Prosper

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24 juin 1918

Bien chère maman

Mon bulletin de santé habituel. Bons baisers à toutes les trois.

Secteur très tranquille.

Prosper

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Secteur postal n° 161, le 24 juin 1918

Bien chère maman

Il faut que je vous gâte aujourd’hui d’une longue lettre. Vous seriez en droit de vous plaindre autrement.

Je n'ai cependant guère de nouvelles à vous annoncer. Vous savez ce qu'est la vie de secteur : une monotonie déprimante ou une activité accablante. Je préfèrerai le second cas car alors le temps passe plus vite et l’affaire ne dure pas parce qu'on est vite usé et épuisé.

Mon emploi du temps est simple. Une nuit sur deux de garde au PC pour expédier les communications urgentes et faire le nécessaire aux premiers événements et surtout veiller au grain et surveiller les tirs. C'est le quart. Nous prenons le quart dans un bon abris avec une bonne lampe, une table, des bouquins. C'est de là que je vous écris, interrompu de temps en temps par les coups de téléphone me renseignant sur ce qui se passer en 1e ligne.

De temps en temps, une petite visite sur le front, c'est l’extérieur. L’entrée de l’abri où un guetteur placé en permanence surveille les abords.

Sur un point élevé, un observateur surveille au loin et devant nous la 1e ligne, dès qu'il voit quelque chose, il prévient par téléphone et l’on va se renseigner soi-même. Voilà pour la nuit de veille que l’on partage avec un camarade.

Le jour, indépendance presque complète, visite de droite et de gauche pour recueillir les renseignements sur les travaux faits, les ressources possibles en tel ou tel endroit. En plus trois ou quatre heures passées dans un observatoire our surveiller l'ennemi, voir son travail, observer ses mouvements, saisir ses intentions

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Voilà dans son détail mon emploi du temps. Aujourd’hui, j'ai eu l’heureuse occasion de faire une commission à l’arrière. Un bon coup de bicyclette, une bonne promenade ce qui m'a changé les idées et permis de découvrir Valentin. Je ne l’ai pas vu, car il était dans son perchoir à un millier de mètres en l’air, mais le lui ai causé par téléphone. Ce fut une bonne surprise.

Il va partir en permission ce veinard. Je pense qu'il ira vous voir. Je n'ai pas pu traiter cette question. Il est en bonne santé.

Je ne sais pas si je vous ai dit que j'avais répondu à l’abbé Gibrat. J'ai parcouru son petit bouquin. Ces renseignements puisés dans les archives de Prats concordent bien avec ce que les vieux à Prats nous ont raconté de l’ancien temps. Ce petit livre est très intéressant malgré tout.

J'ai une série de messages à passer, je termine ma lettre. Je vous souhaite bonne nuit. Encore deux heures et je vais me coucher jusqu'au matin.

Bons baisers à toutes les trois. Bonnes bises à ma maman.

Prosper

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25 juin 1918

Bien chère maman

Voilà plusieurs jours que je me contente de vous envoyer un très bref bulletin de santé. Nous sommes bien tranquilles malgré cela et c'est simplement parce que nous avons pris un secteur dans le coin que vous savez que je suis… et que je n'ai que quelques instants à vous écrire.

Je vous ai dit que le secteur était très calme, c'est un vieux secteur où les abris sont nombreux.

J'ai reçu une lettre du sire Larzetier. Il demande jusqu'au mois d’août pour s'acquitte de la dette de 1 100 fr. intérêts pour 1917 et 1918.

Je vous envoie cette lettre. J'ai reçu également une lettre de mon parrain. C'est un long grimoire qu'il faut une heure pour lire.

Je vais lui répondre par retour du courrier. C'est un brave homme très instruit qui me rendra beaucoup de services. Je pourrais lui demander des tas de conseils et des tas de renseignements qu'il se fera un grand plaisir de donner.

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Peu de nouvelles de Valentin. Je vous ai dit que j'avais découvert son repaire mais que l’oiseau n'était pas là. Depuis, peu de nouvelles. Je vais lui écrire.

Je vais écrire également à tante Louise, mais pour tout cela, il faut avoir du temps.

Vous ais-je dit que nous avions un nouveau colonel. Il est très gentil. Je reste à l’état-major jusqu'à nouvel ordre mais dès que je pourrais être nommé capitaine en le quittant, je n'hésiterai pas.

Est-ce que Prats se peuple d’étrangers ? Ce doit être bien embêtant comme toujours.

Votre pêcher de truites a-t-il sévis ? Il doit vous en faire manger quelques-unes ?

Comment allez-vous ? Est-ce que bonne-maman retourne à son jardin ? Ne vous fatiguez pas surtout, je ne veux pas que pour un grand prix au concours général des œuvres paroissiales ma maman soit fatiguée et malade.

Je vais gronder maintenant que je suis vieux. J'ai appris avec mes hommes.

Bons baisers à toutes les trois. Tendres caresses à ma maman.

Prosper

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Montpellier, le 26 juin

Mon cher ami

Un petit mot pour te dire que je pars mercredi prochain dans une section de perfectionnement de campagne. Nous allons passer quelques temps au Mont-Valérien puis nous repartirons vers le front. J'espère que tu vas toujours bien.

Reçoit mon cher ami mes meilleures amitiés.

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30 juin 191.

Cher ami

Que deviens-tu ? Il y a assez longtemps que je n'ai pas eu de tes nouvelles. Quant à moi, je suis maintenant au Mont-Valérien, le vrai dépôt de perfectionnement. Nous sommes tous habillés et équipés à neuf, nous avons presque tous nos appareils et nous partirons sur le front dans une quinzaine de jours. Je vais toujours très bien, j'espère qu'il en est de même de toi.

Amiitiés

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Encore compléter ta nomitation et qu'après la guerre quand nous nous reverrons à Prats-de-Mollo ou ailleurs, nous nous trouverons en face d’un brillant officier. Quant à moi, je suis toujours 2e classe et actuellement, je me contente de mon grade. Voilà bientôt deux ans que nous ne nous sommes pas vus et depuis lors que d’événements ! Espérons que nous nous reverrons bientôt et qu'il manquera le moins possible des amis de Prats à l’appel.

Meilleures amitiés.

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plupart des gens ont une certaine insouciance à laquelle j'étais loin de m'attendre. J'aurais cru que les gens seraient un peu anxieux sur le sort des leurs qui sont à la guerre. Dire que l’on s'amuse est un peu exagéré évidemment l’on n'est pas triste à part de nombreuses exceptions naturellement, mais les distractions manquent totalement, seuls les cinémas marchent et d’ailleurs ils sont toujours pleins. Beaucoup de familles ont été affectées par la mort d’un des leurs et ne songent pas à s'amuser. Quant aux évacués, ils cherchent à passer le plus joyeusement possible le peu de temps qu'ils passent au dépôt.

Voici les nouvelles de Prats : toujours sans nouvelles d’Edouard, Maurice infirmier à Dunkerque, Henri infirmier à Perpignan, un des Rondéry disparu (j'ignore lequel, l’aîné je crois), l’autre gravement blessé, Paul Morer engagé depuis peu, pas d’autres nouvelles.

Meilleurs amitiés et donne-moi de tes nouvelles.

Juillet

En réserve de l'offensive du 18 juillet à Villers-Cotterets

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29 juin – Les jours précédents ont été employés à l’étude des cheminements et emplacements

1er juillet – … Le bataillon doit se rendre à Coinel. Au dernier moment la relève est suspendue. Le bataillon demeure à Tricot.

7 juillet – … Le lieutenant Tailleur (E.M. du XVe groupe) vient prendre le commandement de la 3e compagnie.

20 juillet – Les travaux d’organisation de Tricot sont presque terminés. Coupures successives, réseaux de fil de fer, maisons organisées, boyaux et chemins de ronde, éléments de tranchées de flanquement, barricades et réduit ont transformé Tricot en un obstacle redoutable en l’efficacité duquel tout le bataillon, sans exception, a mis son entière confiance.

30 juillet – A la nuit, le bataillon relevé par le 113 BCA, vient cantonner à Léglantiers.
Pertes du 1 au 30 juillet : 2 tués, 17 blessés, 27 évacués.

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1 juillet 1918

Bien chère maman

Je viens de recevoir toute une série de cartes composant la collection de vues du Coral. Je les fais admirer à mes camarades qui me demandent toujours comment sont mes montagnes.

J'attends maintenant une longue lettre. Je sais bien que vous avez beaucoup de travail mais je veux de temps en temps une longue lettre. Monsieur le curé de Prats est très exigeant et il vous demande trop. Il fait cela pour les gens de Prats qui sont encore rebelles à sa parole et qui se font tirer l’oreille, mais pour vous, ce n'est pas la même chose. Avec les travaux du jardin en plus de tout cet ouvrage, cela va faire trop. Vous savez que je veux que vous preniez une bonne à la maison, où une femme de ménage qui fasse beaucoup de besogne. Est-ce fait ? Vous savez ce que je vous ai dit à ce sujet. Voyons si vous me permettez de tenir parole.

Notre secteur est calme. Je n'ai plus guère de choses à faire. Je profite de mes gardes de nuit pour vous écrire. Ce soir, il faut que je réponde à mon parrain qui va s'impatienter. Je ne veux pas avoir de rappel à l’ordre. Il m'a déjà envoyé, non pas un colis, mais un bon bouquin d’économie sociale que j'ai parcouru. Je voudrais encore en lire quelques pages avant de lui répondre et cela va me prendre une ou deux heures.

Je n'ai pas encore écrit à tante Louise.

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J'apprends avec plaisir que votre cousine Thérèse allait mieux et qu'elle commençait à se lever. Dites à tante Juste ce qui est nécessaire en cette occasion.

Notre dentiste militaire et les dentistes du front vont être relevés par ceux de l’arrière, il va falloir que François s'accroche !!

Ceux de l’arrière doivent être bien malheureux quand ils ne font pas tous leurs efforts pour aller au front et qu'ils vivent dans la crainte d’un départ qui les menace.

Je me hâte de vous embrasser un grosse fois à toutes les trois. Votre petit chasseur qui a bon moral et grande confiance.

Prosper

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9 juillet 1918

Bien chère maman

Je ne reçois plus de vos bonnes lettres, voilà quatre jours de passés !!!

Toujours tranquille notre secteur, très tranquille. Vous saurez où nous sommes, soyez sans inquiétude, notre beau pays de montagne boisées est un coin ou le Boche n'attaquera pas.

J'ai vu Valentin avant-hier. Je suis allé le voir à son ballon. Il vient de passer officier de manœuvre, si bien qu'il se contente maintenant de se tenir à terre et de présider à la manœuvre du ballon tout en regardant d'en bas.

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Cela va vous faire plaisir car les dangers seront bien moindres pour lui. Je suis très heureux d’apprendre que Janine a son certificat d’études. Valentin ne devait pas le savoir ou en faire si peu de cas qu'il ne m'en a pas parlé.

Je suis certain que sa mère doit être très fière.

Je me hâte, j'ai plusieurs lettres à faire à mes camarades. Bons baisers pour vous trois. Votre petit soldat.

Prosper

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7 juillet 1918

Bien chère maman

Un petit mot seulement. Je vous ai oubliée pendant deux jours. Ce soir, je vais vous faire une longue lettre. J'ai reçu votre lettre, je suis très heureux que vos santés soient bonnes.

Que faites-vous au sujet du mas ?

Bons baisers bien doux.

Prosper

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17 juillet 1918

Bien chère maman

Un bout de lettre sur mon carnet à ordres. Voilà une offensive de plus de déclenchée. Nous n'y sommes pas. Je ne pense pas que nous puissions y être englobés. Nous sommes trop loin et notre secteur de bois est trop passif.

Les nouvelles sont très bonnes et la première journée a du coûter chaud à ces maudits Boches.

Plus que jamais ils doivent sentir la victoire leur échapper et ils vont redoubler d’efforts avant de s'avouer vaincus. Le jour arrivera bien, patience.

Vous voulez des lettres de mon parrain, je vais vous en envoyer dès que j'y aurai répondu. Cela me donne du travail.

J'ai beaucoup de travail quoique le secteur soit très tranquille.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

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25 juillet 1918

Bien chère maman

Soyez sans crainte, nous sommes en dehors de la bataille actuelle mais nous serons bien près d’y participer.

C'est une très belle victoire pour nos armes, une victoire de nos poilus sur le Boche en guerre de mouvement et une victoire de nos généraux et de nos états-majors sur nos si souvent adversaires.

C'est une victoire qui portera ses fruits et qui va avoir des conséquences énormes.

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En premier lieu, le Boche privé de toutes ses communications avec ses arrières sera certainement obligé d’évacuer cette fameuse poche qu'il a fait dans nos lignes.

Il devra se reporter jusque sur la veste. Ce ne seront pas ses anciennes positions avant son offensive de l’Aisne mais ce sera une grande partie de sol français occupé et un échec complet pour la fameuse et monstrueuse offensive Boche.

Encore un coup comme celui-là et le Boche est battu. Ce que les Autrichiens doivent rire ! Quand les Boches leur disent Piarec, ils doivent répondre Marne !

Prats doit être plein de monde avec la terrible chaleur qui règne dans le midi. Il doit se loger des étrangers jusque sous les toits.

Nous ne souffrons pas trop de la chaleur. Il y a des orages fréquents qui rafraichissent beaucoup la température.

Je suis bien amusé à l’idée de la famille Gillet et Moy partant en caravane pour… et entreprendre la circonvolution de la méditerranée.

Il faut être bien peureux pour craindre de si légères chances de péril.

Je ne sais plus quand s'achèvent les engagements… je pense bien que écris-tu, nous trouverons bien quelqu'un pour le remplacer.

Mais il ne faut pas prendre le mas à moitié maintenant, ce serait une très mauvaise affaire.

Mon capitaine parrain a reçu une petite brochure sur Prats. Il pense que c'est moi qui en ai eu l’idée et s'en montre très heureux. Remercie pour moi Valérie Gibrat. Je lui ai envoyé un petit mot pour son envoi.

Important : Par suite de la suppression du vaguemestre de l’état-major du groupe, il faut adresser mes lettres au 32e bataillon alpin, secteur postal 161 qui est chargé de notre service postal.

Bons baisers à toutes les trois, votre petit chasseur.

Prosper

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25 juillet 1918

Bien chère maman

Un petit mot. Je suis bien en retard pour mes lettres. Soyez tranquille malgré cela. C'est mon remplacement à l’état-major qui me donne du travail. Mon camarade rentre demain. Je avoir plus de liberté.

Bons baisers bien nombreux.

Prosper

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25 juillet 1918

Bien chère maman

Ne vous laissez pas tromper par la grandeur de ma feuille de papier. Ce n'est pas une longue lettre que je vais vous envoyer. Vous devez certainement vous dire qu'il est bizarre qu'étant dans un secteur calme j'ai si peu de temps pour vous écrire. C'est vrai, pourtant je ne chercher pas les occupations en plus, vous pouvez bien le croire.

Rien de nouveau chez nous. Nous suivons haletants les progrès de notre offensive. Il ne tient qu'à un fil que toute la grande offensive Boche ne se transforme en un désastre pour eux. Voilà qui donne du mordant à nos hommes !

Cette offensive si bien réussie de notre part nous permet tous les espoirs.

Je m'étonne que l’on laisse notre bonne division si longtemps inactive.

Quoi de nouveau à Prats ? Les étrangers doivent maintenant loger dans les greniers. Est-ce qu'il y a toujours à peu près les mêmes figures et les éternels habitués du…

Je me sauve, bons baisers à toutes les trois. Quand vous recevrez cette lettre, nous serons un peu en arrière pour souffler.

Prosper

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27 juillet 1918

Ma chère petite maman

Il faut que je confesse, mon luxe de précautions pour vous faire croire que j'étais dans un secteur très tranquille vous ont donné l’éveil et je suis arrivé à vous faire craindre tout le contraire ce qui est exactement donc la vérité toute nue.

A mon retour de permission, je n'ai pas retrouvé mon bataillon dans les Vosges où je l’avais laissé bien au chaud, mais du côté de Château-Thierry où le Boche poussait dur à ce moment. Nous n'avons fait que paraître sur le champ de bataille. Le Boche brusquement attaquait en direction de Compiègne à gauche ; d’un saut nous y allons, mais nous arrivons après la bataille, le Boche avait reçu sur les doigts et il ne bougeait plus.

Depuis, secteur tranquille, très tranquille. C'est là et non en Champagne que j'ai retrouvé Valentin. Vous voilà rassurées maintenant, ne vous imaginez pas que tous les jours, sans cesse, nous partons à la bataille, baïonnette haute, courant sus au Boche. Nous le voudrions bien, ou peut-être rencontrerions nous là-bas le Boche qui dix contre un, nous faisait courir si fort dans la Somme pendant deux jours.

Les résultats de notre offensive sont merveilleux. Le Boche est battu en guerre de mouvement. Nos braves soldats qui sont pourtant restés encroutés dans leurs tranchées depuis trois ans viennent de battre les soldats de Hindenburg qui pourtant ont pu s'exercer en Serbie, en Roumanie, en Russie et en Italie .

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Enfoncés aussi, les généraux Boches. Les plus grands espoirs nous sont permis pour la fin de l’année.

Valentin doit être en permission. Le voilà maintenant qui va en permission deux fois quand j'y vais une fois. Enfin, l’infanterie est toujours à l’honneur !!

Vous ais-je dit que de son côté nous n'aurons plus de souci car il passer officier de manœuvre au treuil de son ballon, il en montera plus dans la nacelle.

Je regrette de ne pas connaître le petit bébé que vous avez à la maison. Quand je pourrai aller en permission, il aura rejoint sa maman.

Etes-vous en bonne santé ? Est-ce que les étrangers ne sont pas trop bruyants ? J'espère que les gens de Prats comprennent le grand travail que l’on fait sur le front actuellement.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois. Bons baisers à ma petite maman.

Prosper

Août

Bataille de Picardie

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8 août – Alerte, le bataillon se porte à la nuit sur Coinel en réserve d’ID.

9 août – L’attaque partie à 16 h progresse normalement. Le 32e BCA reçoit l’ordre de suivre dans le sillage du 401e RI Déployé, il gagne le Hoyron puis Frétoy et y arrive à la nuit avec quelques pertes. Il est prêt à contenir toute contre-attaque ennemie débouchant du bois de Vaux ou du massif de Rollot.

10 août – Vers 14 h, le bataillon se porte sur Rollot, Regibaye et bivouaque dans les bois au sud-ouest d’Onvillers.

11 août – Vers 9 h le bataillon réserve de C.A. se porte sur le bois de Houssoye. A 18 h 45, nouveau départ pour le bois et le parc de Tilloy. Dans le parc, prise de contact avec le 7e BCA et le 5e bataillon du 248e RI Le bataillon se tient en réserve dans le parc.
Pertes du 8 au 11 août : 8 tués, 4 blessés, 18 évacués.

12 août – A 4 h 30 arrive l’ordre de relever le 13e BCA à Tilloloy et à l’est du village.

13 août – Ordre d’attaquer puis contrordre.

14 aoûtA 5 h la compagnie Tailleur exécute un coup de main sur un nœud de tranchées ennemies. Réussite complète. Pas de réaction, pas de blessés.

15 août – Ordre d’attaque. Le PC du bataillon est à l’église de Tilloloy. A 9 h contrordre. Des reconnaissances sont cependant envoyées sur Beuvraignes au nord de la route Tilloloy – Beuvraignes : groupes de la 31e compagnie (Lieutenant Tailleur) sous la direction du sous-lieutenant Aguettaz. Au-delà de la route, groupe de la 1e compagnie (capitaine Henry) sous la direction du lieutenant Jabrillat. Les deux opérations réussissent parfaitement en raison de la soudaineté et de la vigueur de notre mouvement.

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16 août – A 4 h 30, la 3e compagnie et la 2e compagnie partent à l’attaque, pénètrent dans Beuvraignes, y font 50 prisonniers et atteignent les lisières est du village. Mais le 321e RI à droite et le 13e BCA à gauche n'ont pu déboucher. Les allemands contre-attaquent et refoulent en les décimant les survivants des 2e et 3e compagnies. La traversée du terrain qui sépare Beuvraignes des premières lignes françaises est interdite par les mitrailleuses allemandes du Fortin et des Carrières.

Dans Beuvraignes, la lutte dure jusqu'à 17 h. A ce moment, les derniers survivants des 2e et 3e compagnies sont tués ou blessés, l’ennemi rétablit sa ligne de la veille au soir.

17 août – A 5 h 40 le bataillon reçoit un ordre d’attaque prévu pour 5 h 30. L’heure H est retardée sur la demande du commandant Wauthier jusqu'à 9 h 30. A 9 h 30, l’attaque est prononcée par les éléments réunis des 2e et 3e compagnies au nord de la route Tilloloy – Beuvraignes et par la 1e compagnie (lieutenant Jabrillat) au sud de cette route. En liaison avec la 312e RI à droite et la 248e RI à gauche.

La préparation d’artillerie n'a pas été efficace et nos groupes d’assaut se heurtent à des réseaux intacts.

A 18 h les fractions isolées restées au contact de l’ennemi sont repliées dans nos anciennes premières lignes. A ce moment-là, le bataillon est sensiblement réduit à la valeur d’une simple compagnie. Les pertes depuis deux jours ont été excessivement sévères. Le bataillon passe en réserve du XVe groupe.

22 août – Dans la nuit, le bataillon est relevé sur ses emplacements par 1 compagnie du 13e BCA et va cantonner à Viennes près Tilloloy.
Pertes du 16 au 22 août : 39 tués, 128 blessés, 73 intoxiqués au gaz, 99 disparus, plus 5 officiers et 195 hommes évacués,
au total : 13 officiers et 331 hommes hors de combat.

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23 août – Etape sur Bremvillers – Lamotte par Tricot et Maiguelay. Le bataillon arrive à 23 h.

24 août – Repos et instruction.

Citation

Sous le commandement énergique du commandant Wauthier, après avoir conquis le 16 août 1918 une position défendue par de nombreuses mitrailleuses, s'est porté le 17 avec une ardeur admirable à l'assaut d'un village fortement organisé. Emporté par sa témérité et placé dans une situation dangereuse, a dompté l'ennemi par son attitude énergique et réussi à regagner nos lignes en conservant un moral indomptable, après avoir fait plus de 100 prisonniers.

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3 août 1918

Bien chère maman

Je crois que je suis resté bien longtemps sans vous écrire. Je me hâte de réparer mon oubli. Nous venons d’être relevé et sommes au repos. Dans ton petit village assez loin du front vous avez la paix complète.

Malgré cela, j'ai énormément de travail, c'est ce qui m'a fait négliger de vous écrire. Un gros travail du matin au soir. Nous avons un colonel qui exige beaucoup. Il est gentil malgré tout.

Je vous écrirai plus longuement un de ces jours, probablement dimanche, car nous allons faire le dimanche étant au repos.

Bons baisers à toutes les trois.

Prosper

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Secteur postal n° 161, le 5 août 1918

Bien chère maman

Je vous écris en grande tenue car ce soir je soupe avec mes camarades chez le général de division. Oui, rien que mon ordonnance en tremble encore et trouve que cela est très bien quoiqu'il astique toute la journée. Pour mon compte, je ne trouve pas cela si bien que cela. C'est plutôt une rude corvée comme toutes les cérémonies du même genre.

Vous croyez décidément que je suis dans la bataille, pourtant ce n'est pas vrai. Si vous avez vu Valentin vous devez savoir que le secteur est excessivement calme.

Rien de s'y passe, et il s'écoule des journées entières sans plus de dix coups de canon. C'est moins qu'à Paris certains jours.

Je crains que l’arrivée de madame Gillet ne vous donne beaucoup de travail. Si vraiment elle passe le temps qu'elle annonce auprès de vous, cela va trop vous absorber avec les nombreuses tâches que vous vous êtes déjà données.

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Je regrette de ne pas pouvoir obtenir ma permission maintenant.

Prats doit être animé. Il ne faut pas compter m'avoir avant le mois de septembre vus les derniers jours.

Le petit bambin que vous avez à la maison doit être bien gentil. Que raconte-t-on à cet âge ? Est-ce qu'il court dans Prats comme moi ? Il doit être bien diable tout de même et il me semble que je le vois courir à fond de train de votre boudoir nid de pigeon à la salle à manger.

Bonne-maman doit descendre toutes les cinq minutes pour voir ce qui se passe.

Le commandant signale le rassemblement. C'est l’heure du repas. Je bombe la poitrine, je lève la tête et au pas cadencé je me dirige vers le cantonnement du général. Bon appétit.

Je vous embrasse bien fort à toutes les trois et ainsi encore et encore.

Prosper

Légion d'honneur

TAILLEUR (Prosper-Marie-Just), lieutenant (active) au 32e bataillon de chasseurs alpins : officier d'un courage et d'une ténacité remarquables. Le 16 août 1918, a entraîné sa compagnie à l'attaque sous un feu intense, faisant l'admiration de tous par sa superbe attitude, Debout sous le tir des mitrailleuses ennemies, a dirigé l'action de ses groupes de combat et a fait de nombreux prisonniers. A été blessé grièvement au moment où il se jetait de sa personne sur un parti ennemi. Quatre citations.
Journal officiel du 16 janvier 1919

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21 août 1918

Bien chère maman

Mon petit bulletin de santé journalier.

J'ai un gros pansement que je me suis fait faire pour aller me promener et qui me gêne considérablement pour écrire.

Je suis à Rennes, ce n'est pas une ville extraordinaire. Un peu le genre de Perpignan avec moins d’agitation.

Il y fait une chaleur folle. Je me suis remisé dans un café.

Je comptais trouver à Rennes de quoi me rendre convenable car après la bataille je n'ai pu rejoindre ma cantine et je suis en loques.

Rien ici, des magasins insignifiants.

Après demain, je vais demander à aller à Paris.

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Dans huit jours je serai guéri, mon bras ne me fait plus de mal. J'ai eu une grande chance. La balle qui m'a touché au poignet est passée à un doigt de l’articulation, entre les deux os. Rien de cassé, rien de coupé, ni artère ni nerfs.

Vers les premiers jours de septembre je serai avec vous. Soyez tranquilles car à présent je suis hors de la bataille.

Je commandais une compagnie de 200 bons chasseurs que j'ai eu l’honneur de mener 3 fois à l’assaut avant d’être blessé.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Grosses bises à ma maman.

Prosper

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23 août 1918

Bien chère maman

Je suis à Paris pour y faire des achats car les trois derniers mois ont mis à mal ma garde-robe. Je compter aller voir mon parrain à qui j'avais, après ma blessure, lorsque ce matin, au Louvre, je me suis trouvé nez-à-nez avec lui achetant une paire de bretelles.

Il a été très surpris de me trouver ainsi vagabondant à Paris. Il avait pris ses dispositions pour venir me voir demain à mon hôpital. Il va me raccompagner et ensuite, après avoir demandé l’autorisation au médecin, il va m'amener avec lui passer la journée avec sa famille qui est un dans un petit trou de Bretagne au bord de la côte.

Je ne sais pas refuser avec ce diable d’homme. Il dit nous ferons ça et après l’affaire est bouclée.

Ma guérison avance vite, mon bras n'est plus enflé et mes doigts sont souples. A la fin de la semaine prochaine j'aurais ma feuille de route pour aller vous voir.

Vingt jours plus une citation si mon bataillon a le temps de me prévenir d’ici-là.

Je vais aller déjeuner. Bonnes vises à toutes les trois et à bientôt.

Votre petit blessé.

Prosper

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29 août 1918

Bien chère petite maman

Une bonne nouvelle, je suis proposé par mon chef de bataillon pour la Croix de la Légion d’Honneur.

Il ne faut pas se faire trop d’illusions, proposition ne veut pas dire inscription certaine au tableau, mais je suis déjà très fier de cette belle marque d’estime de mon chef de bataillon avec qui je ne suis que depuis deux mois.

Bonne petite mère, voilà qui va vous faire plaisir et je m'en réjouis doucement.

Je serai auprès de vous le 4 ou 5 septembre.

A bientôt, bons baisers à toutes les trois, grosses bises à ma petite mère.

Prosper

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Fougères, le 30 août 1918

Bien chère maman

Mon traitement se termine. C'est la dernière lettre que je vous envoie. Encore, je ne suis pas sûr que je n'arriverai pas à Prats pour vous surprendre en train de lire celle-ci.

J'ai fini mes excursions autour de Fougères. J'attends avec impatience que le docteur me donne ma liberté.

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Ma blessure est fermée, les plaies sont cicatrisées et il n'y a plus que de petites traces rouges qui indiquent le passage de la balle.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois. Grosses caresses à ma maman.

Prosper

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Bien chère maman

Rien qu'une demi-feuille, nous avons un gros travail. Il faut être prêt à partout pour bien recevoir le Boche comme nos camarades de Champagne.

Voilà du bon travail et une attaque qui voit un bon coup.

Bons baisers à toutes les trois, grosses bises à ma petite maman.

Prosper

Septembre

Pas de courrier en septembre, je dois encore aller le vérifier à Vincennes, mais il est à supposer que Prosper a enchainé sa convalescence avec la permission qu'il attendait depuis l'hiver.

Libération de Saint-Quentin

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21 septembre – Attaque à midi, le 1e compagnie (capitaine Clerc) atteint et dépasse la voie ferrée Ham – Saint-Quentin mais se heurte aux défenses intactes des carrières de Sary que le 321e RI n'a pu enlever.

A sa droite, le 2e compagnie (capitaine Valland) débouchant de la lisière Est du bois Margerin se heurte aux défenses intactes de la 1e ligne allemande et ne peut y pénétrer.

Plus à droite, la 102e BCA n'a pu non plus atteindre son objectif, les pertes sont sévères. A la nuit, par ordre, les 1e et 2e compagnies sont ramenées sur leur base de départ.

23 septembre – Le bataillon relevé par en réserve de groupement, le long de la voie ferrée. Les abris sont inexistants. Le bataillon doit supporter de pénibles bombardements par obus lourds et par obus toxiques.

25 septembre – Le bataillon reçoit l’ordre d’attaquer à 15 h partant de la voie ferrée et en direction sud-nord pour réduire la résistance ennemie des Carrières-de-Sary. Le mouvement s'effectue sans trop de pertes. Mais le 312e RI qui était chargé d’enlever la base de départ au profit du 32e BCA n'a pu mener à bien la mission qui lui incombait.

Le 32e BCA atteint les lisières ouest du bois Margerin au moment où une forte contre-attaque ennemie (2 compagnies environ) en atteignait les lisières est, refoulant les survivants du 321e RI.

Sans perdre un instant, le bataillon fonce en avant à la baïonnette, traverse le bois Margerin, tue, capture ou mets en fuite les allemands qui s'y trouvaient et… enfin la lisière est.

26 septembre – Le bataillon opère plusieurs reconnaissances offensives qui permettent de constater que l’ennemi tient toujours solidement les lignes à l’ouest de Saint-Quentin.

29 septembre – Le bataillon retiré de ses positions du bois Margerin où le relève un bataillon du 321e RI est mis en réserve du xve groupe. Il détache une compagnie (capitaine Valland) auprès du 102e BCA et une compagnie (capitaine Clerc) auprès du 116e BCA qui tous deux sont au contact de l'ennemi au nord de l'Epine de Dallon. A ces deux compagnies revient l'honneur de la réussite de l'ultime attaque qui porte notre ligne aux lisières ouest de Saint-Quentin.

31 septembre – Le bataillon est reconstitué en réserve de groupe. Les hommes sont à la limite de leurs forces. Depuis le 17, attaquant, se déplaçant, travaillant, contre-attaquant, accomplissant de rudes corvées, attaquant encore, soumis à un bombardement continuel, privés d’abris et de sommeil, en proie au froid, à la fatigue et aux gaz toxiques, le 32e BCA a été admirable en tout. Faute de routes en état et de cheminements propices, les ravitaillements ont été difficiles. Quand il y a eu un moment de liberté, l’homme a mangé rapidement une ration froide la plupart du temps. N'importe, il a tenu quand même et rien ne sera assez fort pour traduire la valeur de l’effort surhumain qu'il a produit en cette période.

Citation

Bataillon magnifique, doué des plus hautes vertus de la race. Engagé du 16 au 27 septembre 1918 sous le commandement du capitaine Adjudant-Major Fonseca, dans une série d'opérations des plus pénibles, soumis jour et nuit à un martèlement incessant d'obus toxiques et d'obus de gros calibre, a mis en relief ses plus splendides qualités.

Arrêté dans un premier assaut meurtrier, a su, par son initiative et son élan, réduire à néant une forte contre-attaque ennemie dans un moment particulièrement critique, et triompher dans un dernier assaut de la résistance de l’adversaire, avec un élan et une ténacité remarquables.

Octobre

Repos et instruction

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2 octobre – Suivant le mouvement général en avant, le bataillon se porte sur Castres et y cantonne dans les ruines du village.

3 octobre – Le bataillon est reporté aux lisières sud-est de Saint-Quentin en réserve de D.I.

10 octobre – Etape sur Pugny

12 octobre – Le bataillon arrive à Nesle et y cantonne

15 octobre – Arrivée à Trois-Etats (Oise) par T.M. Repos et reprise de l’instruction.

16 octobre – La 1e et la 2e compagnie et la C.M. sont cantonnées à Cernoy. Le bataillon reçoit le renfort de 150 hommes conduits par le sous-lieutenant Aguettaz.

27 octobre – Le bataillon faisant mouvement par voie de terre arrive à Venette (près de Compiègne).

28 octobre – Saint-Léger-aux-Bois, cantonnement

29 octobre – Béthencourt, cantonnement

30 octobre – Castres, cantonnement bivouac

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3 octobre 1918

Bien chère maman

Mon bulletin de santé. J'ai reçu votre première lettre. Soyez sans inquiétude, les retards de la correspondance ne doivent pas vous inquiéter à ce point. Vous êtes comme moi, maintenant vous savez ce que c'est que la guerre.

J'ai rejoint mon bataillon qui est à Saint Quentin même. Mais je n'ai pas rejoint ma compagnie en ligne, le commandant a voulu que je reste avec les voitures. Les compagnies sont très réduites en effectifs et il n'est pas besoin de deux officiers par compagnie.

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Je reste donc à l’arrière, j'ai trouvé des bouquins dans ma cantine, je fais du cheval, en un mot, je m'occupe de mon mieux.

Tenez-moi au courant de tout ce que fait notre fermier afin que j'agisse aussitôt.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois. Bonnes grosses bises à ma maman chérie.

Prosper

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Secteur postal 161, le 6 octobre 1918

Bien chère maman

Bonnes nouvelles vous voyez ! La guerre sera finie avant peu. En attendant nous triturons toujours le Boche qui cède de plus en plus. Si la paix n'est pas signée cette année.

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Nous passerons certainement Noël au bord du Rhin. Soyez sans crainte, je suis toujours avec les voitures et je suis en attendant la relève grand maître de convois de mon bataillon.

Bonnes grosses bises à toutes les trois. Mes meilleures caresses à ma maman.

Prosper

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8 octobre 1918

Bien chère maman

Je ne puis me décider à vous faire une longue lettre et pourtant le temps ne me manque pas.

Je ne puis garder plus longtemps une bonne nouvelle.

Ma Légion d’Honneur est en bonne voie, en très bonne voie.

Comment vont nos amis d’Algérie, j'espère que Germaine ne vous donnera pas de soucis.

Bonnes grosses bises à toutes les trois.

Bonnes caresses à ma bonne maman.

Prosper

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Au repos, le 9 octobre 1918

Bien chère maman

Petite maman chérie, j'ai une bonne fête à te souhaiter et pour cette occasion je vais te faire un magnifique cadeau.

C'est un bijou que j'ai gagné sur le front en combattant suivant les nobles idées que vous m'avez données.

C'est la Croix de la Légion d’Honneur !

Depuis hier soir, je sais officiellement que je suis nommé Chevalier.

Petite mère chérie, tu ne peux t'imaginer combien je suis heureux.

J'ai voulu la gagner pour vous chère maman et pour notre pauvre papa qui a dû apprendre aussi, hier soir au ciel, la bonne nouvelle.

Quand on m'épinglera sur la poitrine le beau ruban rouge, dont j'ai rêvé depuis si longtemps, c'est à papa que je penserai.

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Si je l’ai gagnée, c'est grâce à lui, c'est lui qui l’a méritée, c'est sur sa poitrine qu'elle aurait dû briller, pour sa droiture, son énergie au travail, et son courage immense devant le mal.

Le pauvre cher papa, comme il serait heureux s'il était encore avec nous. Le Bon Dieu veut que ce soit moi qui porte cette belle décoration. C'est la mémoire de mon cher père qui est honorée.

Que votre fête soit bonne chère maman, surtout soyez tranquille, nous partons pour le grand repos.

Vous avez dû voir dans les journaux que les 321e RI et 405e RI étaient rentrés les premiers à Saint-Quentin. C'est une méchante histoire, car nous les chasseurs, nous faisons partie de la même division et nous y sommes rentrés comme eux car nous étions chargés de l’encercler. La tâche n'était pas très simple.

La division est relevée après avoir depuis le 17 du mois de septembre fait reculer le Boche de 15 km.

Voilà pour ce soir, je vous embrasse bien fort. Demain nous embarquerons en auto pour l’intérieur. Bonnes grosses bises à toutes les trois. Bonnes caresses à ma petite mère. Votre petit chevalier.

Tu me ferais plaisir petite mère si tu annonçais à Suzanne Pages que je suis Chevalier de la Légion d’Honneur.

Prosper

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Secteur postal, le 14 octobre 1918

Bien chère maman

Nous allons bien au repos. Soyez rassurés. Prenez votre carte et cherchez le village où Valentin était dernièrement lorsqu'il m'a rencontré. A 7 à 8 km au sud-est, il y a toute une série de petits villages. C'est là que nous allons jouir de nos vacances.

Nous partons dans quelques instants au repos. Les camions qui doivent nous amener ronflent déjà sur la route. Ce sont les bons moments de notre vie de soldat que ceux-là.

Je reçois une de vos lettres, soyez sans crainte, je porte toujours mon masque avec moi et nous savons découvrir maintenant tous les traquenards Boches.

Vous n'avez pas su deviner pourquoi l’on n'avait pas laissé avec les voitures. Ma compagnie est encore debout et j'en ai repris le commandement il y a quatre jours. Si l’on m'avait laissé au repos, c'est simplement par économie d’officiers et ne pas les faire abîmer tous à la fois.

C'est que à l’heure actuelle avec les soldats que j'ai reçus et ma fonction de commandant de compagnie, je suis un capital pour l’état.

Bonnes grosses bises à toutes les trois.

Mon meilleur souvenir à madame Gillet et à Germaine.

J'espère qu'il ne fait pas trop mauvais à Prats et qu'elles n'ont pas trop à souffrir de l’absence de transport pour l’Algérie.

L’on est de… Le Boche est brûlé, sa guerre est ratée. Nous serons en Allemagne avant la prochaine année.

Prosper

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Secteur postal, le 16 octobre 1918

Bien chère maman

Depuis bien longtemps je ne vous ai pas envoyé de longues lettes, je vais vous en commencer une. Je ne sais si je la terminerai ou si je la ferai aussi longue que je désire.

Nous sommes installés dans notre cantonnement de repos. Notre installation n'est ni bonne ni mauvaise, je n'ai pas de lit ni de bonne chambre mais je suis installé assez confortablement dans une maison abandonnée au moment de l’avance Boche et dont les gens ne sont pas encore revenus. J'ai une couchette de soldat faite avec quatre planches, un peu de grillage métallique et de la paille mais avec mon grand sac de couchage que je traine toujours avec moi au repos, j'ai toujours l'illusion d'un cantonnement avec lit.

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J'ai en plus, une table, des chaises, un poêle avec du feu. Que peut-on demander de mieux dans un pauvre hameau de la Somme.

J'ai reçu aujourd’hui un important renfort pour ma compagnie. Nos chasseurs blessés à l’attaque de Beuvraignes me reviennent. Ce sont mes bons, ceux que je connais, que j'ai ramené au combat. Ainsi, le noyau de ma compagnie est constitué et augmenté. C'est avec eux que je vais redonner de l’allant à tout ce monde et refaire ma vielle compagnie.

Le métier de commandant de compagnie est intéressant car nous avons presque charge d’âmes. Nous devons soigner le moral de nos hommes aussi bien que leur bien-être physique.

Toutes les fois que je rassemble ma compagnie en armes et que je les regarde tous à la fois, je suis terriblement ému. Je songe toujours aux combats qui vont nous échoir et où il faudra que j'engage tous ces hommes. De beaucoup, leur vie dépend des ordres que je donnerai et des gestes que je ferai.

Ceux que je dois entraîner, et qui sont là rassemblés en un petit carré de moins de 200 hommes ont des mères, des femmes, des enfants, des affections que les attendent.

L’autre jour, pendant la marche, en descendant de la ligne de feu, je pensais à tout cela devant les hommes, où les jeunes classes 18 dominent, il me semblait que je voyais leur mères, qui les avaient vu partir pour les combats du front, et qu'elles me disaient toutes : ils sont entre vos mains, nous vous les confions.

Crois-tu chère maman qu'après cela, on n'a pas le courage de s'élancer à leur tête et de les entraîner au combat pour la bonne cause et pour l’honneur de la terre de France.

Dire qu'il y a encore des gens qui ont l’esprit assez faussé pour dire que les officiers restent en arrière. Moi je puis dire que cela est impossible.

Petite mère chérie, je vous souhaite le bon soir, il est tard, je viens d’écrire plusieurs dont une à Valentin du côté de Roulers sans doute et une autre à mon pauvre oncle d’Onzain.

Bonnes grosses bises à toutes les trois. Mes amitiés à madame Gillet et à Germaine. Elles doivent encore être auprès de vous car les permissions pour l’Algérie sont supprimées et il ne doit guère y avoir des relatons de ce côté.

Bonnes caresses ma petite maman.

Prosper

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Secteur postal 161, le 20 octobre 1918

Bien chère maman

Merci de ta longue lettre, celle du 14. Bien entendu, il faut laisser dire les gens et ne chercher sa récompense que dans la satisfaction intérieure que l’on éprouve en soi lorsqu'on a fait ce que l’on a pu de mieux.

Je n'ai pas encore reçu officiellement la Croix de la main de notre général.

Il faut une prise d’arme pour cela.

Je me contente de porter un bout de ruban rouge sur la poitrine.

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Je viens de recevoir des félicitations de madame Leblanc. Je ne sais si je vous ai parlé de cette personne. C'est la mère du capitaine qui était avec moi à l’état-major du groupe et qui fut blessé et fait prisonnier dans la Somme. C'est une bonne mère et une bonne française. Je lui ai répondu aujourd’hui.

C'est dimanche ! Il fait un temps affreux. Il y a bien 15 cm de boue sur le sol.

Nous entendrons ce matin la messe dans une petite église grosse comme une coque de noix et aussi pauvre d’aspect qu'une simple grange. Les villages où nous sommes ne sont pas riches et la maison où j'habite, une pauvre chaumière où les murs sont tout délabrés, fait songer au dur labeur des pauvres gens qui par ici cultivent la terre ingrate.

Toujours de bonnes nouvelles et ce n'est pas fini. Avec la grâce de Dieu soutenant toujours l’effort de nos armes, nous serons au Rhin pour Noël.

Il faut être réservé dans sa joie, comme tu le dis chère maman, car cette victoire qui nous éblouit, nous l’avons achetée avec tant de sang et de douleur qu'il faut le regarder avec respect. Elle est faite de la chair de ceux qui sont tombés.

Une trop grande joie serait égoïste. Il ne faut pas oublier ceux qui pleurent et ceux qui ont payé plus cher que nous encore.

C'est ce que tu me dis dans tes lettres, chère maman et je plierai ainsi mes sentiments.

Remercie madame Gillet pour son souvenir.

Je me sauve à ma compagnie où mon sergent-major me relancer pour signer quelques pièces.

Bonnes grosses bises à toutes les trois. Bonnes caresses à ma petite maman.

Prosper

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Secteur postal n° 161, le 23 octobre 1918

Bien chère maman

Je suis très heureux d’avoir pu vous procurer une petite joie ainsi qu'à bonne-maman et à tata.

Je vous remercie à toutes les deux de vos bonnes lettres.

Je n'ai pas pu encore reçu ma Croix, mais mon attente sera récompensée car je serai décoré par le général Fayolle, commandant de l'armée de réserve et qui va venir nous passer en revue.

Nous passons un bon repas.
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Je suis très absorbé par la reconstitution de ma compagnie. J'ai reçu à ma compagnie un de mes anciens officier, un de ceux qui avaient été blessés quelques instants avant moi au moment de l’attaque de Beuvraignes.

Je vous en ai parlé, c'est un gros savoyard courageux comme un lion et tenace comme le lièvre.

Je suis très content de le retrouver car dans ses mains, la section que je lui confierai ira à ses objectifs.

Je fais beaucoup de cheval. Le pays où nous cantonnons est un pays de grande culture aux champs immenses et peu ondulés.

C'est un plaisir de partir d’un bout de la plaine et de courir à l’autre bout au petit galop.

Ma plus grande distraction consiste à forcer avec mon cheval qui va très bien les perdreaux et les lièvres. Je n'ai pas pu en attraper malgré tout quoique je réussisse à les serrer de très près.

Faites bien attention avec la grippe ! Je me demande pourquoi la circulation des gens est permise par temps de grande épidémie. Est-ce que la police départementale devait permettre aux gens de la montagne d’aller se contaminer avec ceux de la plaine. Avec la saleté de Prats, il y a de grandes chances pour que la grippe fasse de sérieux ravages. Faites bien attention. Prenez de temps en temps de la quinine ou de l’aspirine.

Sur le front, nous sommes épargnés, vous avons assez de balles et des obus du reste.

Bonnes grosses bises à toutes les trois. Bonnes grosses caresses à ma maman.

Votre petit soldat.

Prosper

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Secteur postal n° 161, 26 octobre 1918

Bien chère maman

Je ne veux pas rester trop longtemps sans vous écrire surtout que mes camarades me signalent de longs retards dans les transmissions de la correspondance.

Je viens de recevoir une longue lettre de mon oncle Joseph.

C'est la 2e fois que je reçois une de ses lettres. Pauvre oncle, comme il sera seul maintenant. Ses deux grandes filles feront certainement tous leurs efforts pour lui faire accepter cette grande peine.

Il est convenu de cacher à Jean la fâcheuse nouvelle. Je ne sais si le pauvre garçon ne saura pas vite deviner l’affreuse réalité.

Pas de changement pour nous. Nous entraînons nos chasseurs. Nous sentons venir la curée et nos forces sont décuplées.

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Aurons-nous l’honneur d’atteindre les premiers le Rhin ? A-t-on décidé de nous employer plus tôt, je ne le sais. En attendant, nous faisons manœuvre sur manœuvre et nous brûlons sans arrêt nos munitions d’exercice.

Mon parrain a été très heureux de ma promotion. Il m'a envoyé une longue lettre très affectueuse. C'est un terrible censeur aussi faudrait-il être un saint pour suivre ses terribles préceptes.

Madame Gillet doit-être partie de Prats ? Au train où vont les événements, elle aurait plus de… d’attendre la fin de la guerre.

J'espère que la nouvelle indisposition de Germain est très légère.

Soignez-vous bien. Voilà l’hiver, pas d’imprudence. Vous rappelez-vous les recommandations de papa dans toutes ses lettres.

Je suis terriblement en forme. Songez que depuis ma blessure je n'ai rien fait de pénible.

Bonnes grosses caresses bien affectueuses. Bonnes bises à ma maman.

Prosper

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Secteur postal, le 28 octobre 1918

Bien chère maman

Vous vous trompez fort car notre repos n'est pas encore terminé. Nous faisons simplement des marches d’entraînement, cantonnant un jour dans un village, un autre jour dans un autre.

Les voyages pour l’Algérie sont très pénibles maintenant. Nous avons un camarade qui va en permission en Corse ; il vient de rentrer maintenant nous racontant dans quelles conditions précaires on est obligé de naviguer actuellement.

Il était parti au moment de ma blessure et il vient à peine de rejoindre le bataillon.

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J'ai reçu une longue lettre de mon oncle Joseph et de Valentin.

Je ne pense pas que tu ais à répondre au capitaine Jarriand qui m'avait annoncé sa carte. Je lui répondrai moi-même, je dois justement lui écrire.

Faites bien attention à la grippe, l’épidémie qui sévit à Prats ne peut pas être passée si rapidement. Au front, nous sommes épargnés.

Je vous embrasse toutes les trois, de bonnes bises à ma maman.

Prosper

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Secteur postal 161, le 31 octobre 1918

Bien chère maman

Voilà trois jours que je ne vous ai pas envoyé le moindre petit mot. La raison est que pendant ce délai nous avons fait des marches d’entraînement couvrant plus de 120 km.

Ces marches qui sont intéressantes dans les contrées habitées sont un véritable supplice lorsque l’on doit parcourir la zone dévastée par l’ennemi, où les villages démolis se suivent sans trêve et où les champs incultes prennent l’aspect de savanes ou de maquis.

Nous avons échoué ainsi à Saint-Quentin qui maintenant est loin en arrière du front. J'y suis allé ce soir à cheval et sur la grande place j'ai rencontré Martin le boucher de Prats avec qui nous sommes un peu parents.

Il a été fort surpris de me trouver.

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Mon ruban rouge lui a bien plus étonné et je n'ai pas pu m'empêcher de lui dire qu'il fallait bien ça pour rentrer à Prats et prouver à ces mauvais esprits que les vielles familles étaient toujours les premières, même au combat.

Je suis heureux pour vous chère maman et aussi pour toutes celles qui attendent notre retour et peuvent penser à nous, des beaux succès de notre diplomatie qui, nos armes aidant, est arrivée à détacher l’Autriche de l’Allemagne. A l’heure où j'écris ces mots, ce doit être chose faite.

En redressant nos baïonnettes nous pouvons maintenant dire à l’Allemagne : à toi maintenant de passer sous notre joug.

En traversant la zone dévastée semée de tombes des nôtres, il me semblait qu'ils nous faisaient cortège. Nous allons pouvoir les venger, nous faisons maintenant la guerre fraîche et joyeuses car nos cœurs sont remplis d’allégresse.

Mais il faut faire son devoir jusqu'au bout.

Je vous embrasse bien tendrement. Bons baisers à ma maman.

Prosper

Novembre

Armisitice

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1 novembre – Montigny-en-Arrouaise, cantonnement

4 novembre – Vénérolles, Hannappes, cantonnement

5 novembre – Petit-Dorengt. Le bataillon participe activement à la poursuite des arrière-gardes ennemies.

6 novembre – La Haie-Dayenne. Dans la journée, quelques rares obus et quelques coups de mitrailleuses, la progression se poursuit.

7 novembre – La-Flamengrie (Haut-Roubay), la résistance cède et le bataillon progresse maintenant par larges bonds que complique surtout l’état des routes et des sous-bois.

9 novembre – Okain, le bataillon fait quelques prisonniers au cours de la journée.

10 novembre – Baives, il est question de suspension d’armes. La progression se poursuit cependant, plus lente en raison de la résistance maintenant tenace de l’ennemi.

11 novembre – Robechies (Belgique), peu de temps avant 11 h, le bataillon atteint un groupe de fermes où il lui est fait un accueil enthousiaste. Le contact a été conservé avec l’ennemi qui se replie en hâte. La nouvelle de l’armistice est accueillie avec une joie grave pour tous les hommes qui, par la dureté des années qu'ils viennent de vivre, peuvent mesurer toute l’étendue de l’œuvre réalisée par leur vaillance et leur ténacité. Les avant-postes sont maintenus.

12 novembre – Etape sur Salles, en formation d’approche. Repos à Salles où les habitants font un accueil enthousiaste au bataillon.

16 novembre – Etape sur Chimay (Belgique) repos

17 novembre – Frasnes,. Cantonnement

18 novembre – Doische (sur-ouest de Fivet). Cantonnement. Le bataillon fournit la garde de l’important matériel abandonné dans sa fuite par l’ennemi.

5 décembre – Etape sur Marienbourg. Cantonnement

6 décembre – Virelles (environs de Chimay)

7 décembre – Rocquigny (Aisne). Cantonnement

8 décembre – Larouillies (Nord). Cantonnement. Repos

29 décembre – Driscles. Le bataillon fait mouvement sur la région de Lille – Roubaix où l’appelle une mission de garde-frontière.

30 décembre – Dommereuil. Cantonnement

31 décembre – Ruesnes. Cantonnement

1 janvier – Vicogne-les-Valenciennes. Cantonnement

2 janvier – Bachy

3 janvier – Flers et le Sart (entre Lille et Roubaix). Le bataillon perd sa mission et fournit des postes de surveillance aux douaniers de Roubaix à Saint-Amand.
Les opérations de démobilisation commencent par les plus vielles classes.

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3 novembre 1918

Bien chère maman

Nous ne sommes pas en ligne encore. Je suis installé dans un pauvre village reconquis cette année et que les Boches avaient souillé depuis quatre ans.

Partout l’on a trouvé la trace de leur passage : inscriptions, destructions, incendies. Ces pauvres villages si coquets ne sont que d’affreux points de passage que le réseau routier oblige encore à fréquenter et qu'une vielle habitude nous fait toujours habiter.

Certains sont absolument rasés et l’on y a de la peine à retrouver l’emplacement des rues et des immeubles principaux.

D’autres ont encore quelques maisons délabrées que les obus et l’incendie ont dédaignés.

Je suis logé dans la maison d’un tisserand dont il reste à peine une seule pièce habitable, encore était-elle ouverte à tous les vents.

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Mon ordonnance avec le concours de deux chasseurs dévoués a trouvé une porte et une fenêtre. Ils viennent même de m'apporter un poêle et un vieux fauteuil déniché je ne sais où.

Pour me chauffer, je brûle le restant de la maison qui ne peut me servir à m'abriter.

Il est assez tard. Je viens de rêver longuement dans mon fauteuil en fumant et en me grillant les jambes à un bon feu de bois de table en noyer.

J'ai rêvé de la paix. A quoi peut-on rêver actuellement. Elle approche à grands pas cette paix…

Elle sera belle et victorieuse car le Boche ne saurait tarder à mettre bas les armes.

J'ai reçu une lettre de vous ce soir. Je m'étonne bien que madame Gillet réussisse à trouver un bateau pour l’Algérie.

Faites bien attention avec la grippe.

Bonnes grosses bises à toutes les trois. Bonnes caresses à ma maman.

Prosper

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4 novembre 1918

Bien chère maman

Une petite carte aujourd’hui. Hier vous avez été favorisées par une longue lettre.

Je comprends votre joie à l’annonce de nos succès et de la capitulation des trois-quarts de nos ennemis.

Mais la guerre n'est pas finie. Les gens de l’arrière se figurent trop qu'il n'y a qu'à pousser le Boche pour le faire reculer.

Ce n'est point cela. Mais nous sommes résolus à faire notre devoir jusqu'au bout.

Ce n'est pas sur une si belle route que l’on s'arrête.

Bonnes bises

Prosper

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7 novembre 1918

Bien chère maman

Une immense nouvelle. Il y a quelques instants nous étions en avant-garde et je poussais mes patrouilles lorsque brusquement tous les Boches se sont levés faisant camarade et annonçant la fin de la guerre.

Le combat a cessé. Nous nous regardons en chien de faïence n'ayant pas reçu de notre commandement la nouvelle officielle mais je crois bien que la guerre est finie. La guerre finie, quel bonheur et j'ai encore la tête bien solide et la vie sauve.

Bons baisers à vous trois, quelle joie sera la vôtre.

Prosper

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Secteur postal n° 161, le 8 novembre 1918

Bien chère maman

Je vous ai envoyé hier un petit mot précipitamment écrit, nous étions sous le coup d’une grande émotion.

Je vous ai dit en peu de mots de quoi il s'agissait.

Je vais vous donner plus de détail.

J'étais compagnie d’avant-poste, soyez sans crainte avec la reculade Boche, ce n'était pas bien terrible. Nous bataillons devant le Boche de buissons en buissons, de haies en haies et il cédait très facilement le terrain.

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Depuis le matin avec mes chasseurs j'avais gagné quatre kilomètres de ce sol français qui nous est si cher.

Toute allait pour le mieux, j'allais atteindre mon objectif final et passer la nuit en grand-garde, c’est-à-dire avec quelques sentinelles pour me couvrir et le reste de mes hommes dans des maisons auprès du feu, lorsque brusquement dans toute la plaine devant moi je vois des Boches sortir de tous les buissons et avancer au-devant de mes hommes en criant : vive la France ! en chantant la Marseillaise et en hurlant comme des fous la guerre est finie ! Vous jugez ma situation.

Je songeais immédiatement à une terrible ruse pour faire découvrir des hommes et à une immense contre-attaque lancée contre nous.

J'ordonnais aux chasseurs à portée de ma voix de rester tranquille et avec quelques chasseurs étourdis qui s'étaient portés en avant sur la route, je m'avançais au-devant des énergumènes Boches qui gesticulaient toujours. Que voulaient-ils ? Nous ne comprenions pas le Boche, mais l’un d’eux avec un accent terrible, nous lançait à plein poumons : la guerre est finie, Kamrad ! Kamrad !

Nous en laissâmes approcher quelques-uns, nous leur fîmes comprendre que nous ne causerions que lorsqu'ils auraient posés leurs armes.

A notre immense étonnement, ils le firent sans difficulté et viennent en nous tendant les mains.

Je ne touchais pas ces pattes sales et je leur demande de m'envoyer un officier parlant francais.

Ils forcèrent presque un de leurs officiers à venir vers moi sans armes et j'appris alors de sa bouche en un mauvais français qu'ils avaient reçu l’ordre de cesser le feu à 13 h 30 et de rester sur leurs positions.

Nous n'avions pas d’ordre de notre côté et nous n'en eûmes que plus tard, aussi j'invitais le Boche à rentrer chez lui et nous chez nous et à attendre.

C'était absolument comique. Les Boches nous annonçaient la fin de la guerre et ils y croyaient dur comme fer. Ils étaient littéralement fous de joie.

Quand vous saurez la nouvelle officielle envoyée par notre commandement, elle fut moins belle que celle que nous avait annoncé les Boches. C'était simplement une suspension d’armes de 12 heures. Pendant cette suspension d’armes nous pûmes aller chez le Boche et le voir chez lui. C'était très curieux. Nous causions avec nos ennemis sur la route comme si nous étions connus de tout temps. Ils nous accablaient de politesse, allant à dire qu'ils aimaient les français. Les sales gens !

Ils sont tous devenus républicains et ne peuvent plus entendre parler de la guerre, en un mot, ils sont vaincus et las. Il faut que je vous dise où je suis.

J'étais de la bataille pour le passage du canal de la Sambre à l’Oise depuis le 5. Nous poursuivions le Boche, nous sommes partis des environs de Guise et arrivons à Hirson.

J'ai délivré des civils. Les fermiers nous ont sauté au cou et ces pauvres gens qui n'ont plus rien veulent absolument nous gorger de café. Les jours où je suis aux avant-postes j'en bois certainement plus de trois litres par jour.

Soyez sans crainte et heureuse, nous avons l’explication de cette trêve qui nous a donné un avant-gout de la paix, elle a été accordée pour permettre aux délégués boches envoyés auprès de Foch de passer les lignes et de venir traiter. La fin de la guerre est proche ce n'est plus qu'une question d’heures, je crois bien. Bonnes bises à toutes les trois. Bons baisers à ma maman.

Nous faisons la vraie guerre de mouvement dans un pays aux maisons déciminées et intactes bien que nous ne sommes pas mal du tout, il n'y a plus d’artillerie boche qui bat en retraite. Je couche dans un lit.

Prosper

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Secteur postal n° 161, le 9 novembre 1918

Bien chère maman

Nous poursuivons le Boche à fond. Il se sauve à toute vitesse. Aujourd’hui nous avons fait quinze kilomètres à ses trousses. Nous sommes à 2 km de la frontière française, quelle joie !

Les gens que nous délivrons et qui sont tous là se jettent dans nos bras.

C'est un plaisir d’arriver chez eux. Ils veulent nous donner tout ce qu'ils ont et si nous les écoutions nous passerions notre temps à boire du café car le café est leur boisson préférée.

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Aujourd’hui encore des parlementaires. Ils sont encore passés dans nos lignes. Ce matin, revenant du Grand Quartier Général et même à 11 heures sous le drapeau blanc apportant la réponse des Boches.

Il est bien certain que la guerre est bien près de sa fin.

La guerre de mouvement dans la région où nous sommes est très agréable. J'ai encore un lit ce soir et nous sommes en 2e ligne à 2 km du Boche.

Nous soupons avec une nappe et nous avons de la vaisselle.

Bonnes caresses à toutes les trois. Votre petit chevalier.

Prosper

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Secteur postal n° 161, le 10 novembre 1918

Bien chère maman

La poursuite continue très fort. Le Boche ne cesse de se sauver devant nous.

Les civils que nous délivrons nous annoncent tous les jours que l’armée Boche est en pleine déroute et que l’indiscipline règne dans les rangs de l’armée allemande.

Nous sommes en Belgique, le canon tonne très peu. Nous ne sommes pas en avant-garde. Nous avons fait notre tour les jours derniers, c'est maintenant le tour des autres unités de la division. Malgré cela, les avant-postes ne sont pas pénibles.

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Tous les jours nous avons la joie de rentrer dans des villages inconnus. Les gens d’abord craintifs sont ensuite fous de joie. Ils arrachent les écriteaux boches et placent des drapeaux à leurs fenêtres. Quelle joie pour tous.

Nous n'avons plus de fourneaux. Je reçois des lettres régulièrement.

Nous avons tous les jours des nouvelles sensationnelles. Aujourd’hui c'est… Sedan, Charleville. La révolte de la flotte allemande.

Soyez sans crainte. Je vous embrasse très tendrement à toutes les trois. Bonnes bises à ma maman.

Prosper

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Belgique, le 12 novembre

et jour de la Paix

Bien chère maman

Cette paix si attendue est enfin arrivée et nous récompense de nos si durs efforts. Quelle immense joie hier matin lorsqu'on nous a donné l’ordre à onze heures de cesser le feu.

Nous poursuivions toujours les Boches. Nous étions en Belgique, bien décidés à aller jusqu'au Rhin et au-delà. La division en avant-garde de la Ve armée poussait dur aux trousses du Boche. Nous ramassions du matériel, des prisonniers et les gens que nous délivrions nous annonçaient tous la démobilisation complète de l'armée allemande.

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Ils n'avaient jamais vu cela disait-ils. C'est certainement la fin.

C'était bien la fin en effet et aujourd’hui c'est fini. Je devine votre joie, votre bonheur, votre allégresse et cela double mon propre bonheur.

Nous n'allons plus craindre pour ma vie, chère petite maman et vous allez vivre heureuse.

Me voilà arrivé à un carrefour de mon existence. Il faut maintenant que je réfléchisse avant de prendre une décision car une fois la chose bien décidée, il ne faut pas y revenir.

Soyez sans crainte, petite maman, je vais agir avec prudence et avec calme. Voici comment je vais procéder.

Dès que les choses seront un peu plus nettes pour demander à aller à Paris pour causer avec mon directeur général des contributions directes, je lui expliquerai ma situation militaire et la situation qui s'offre pour moi.

Mon grade de lieutenant à titre définitif, ma Croix et ma proposition faite par le commandement depuis quelques jours pour le grade de capitaine.

Cela fait, je lui demanderai quelle situation me sera faite dans l’administration.

J'ai toujours l’intention plus ferme que jamais d’aller au Maroc. Si dans les contributions directes on m'offre une jolie place au Maroc, je l’accepterai. Je n'aurai pas ainsi à courir le bled marocain. Dans le cas contraire, je resterai dans l’armée… de façon à avoir encore quelques temps ma solde. J'irai au Maroc et je m'arrangerai pour m'y créer une situation.

Je me sens une énergie féroce. La guerre a trempé mon tempérament.

Je voudrais bien être auprès de vous maintenant mais je ne puis espérer pouvoir aller vous voir avant quelques jours. Mon tour de permission n'arrivera qu'en décembre.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois. Bonnes grosses bises à ma maman.

Prosper

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Secteur postal n° 161, le 13 novembre 1918

Bien chère petite maman

Un petit mot avant d’aller faire une petite promenade à cheval vers une petite ville de Belgique.

Nous sommes cantonnés dans une petite bourgade de Belgique, bien au chaud, bien logés et couchés dans des lits nous attendons l’ordre de reprendre le mouvement en avant.

Nous espérons bien aller au jusqu'au Rhin pour finir l’occupation de la bande de terrain à 30 km à l’est du Rhin que les troupes allemandes battues doivent évacuer.

Nous remettons de l’ordre dans nos unités. Nous allons habiller nos chasseurs à neuf afin de prendre une allure très martiale et faire figure de conquérants.

Nous sommes très bien reçus partout. Nous sommes vraiment les vainqueurs, l’armée allemande est en pleine déconfiture et la révolution est chez nos ennemis.

Je crois qu'il faut laisser faire la main de Dieu. Le châtiment de ces barbares sera terrible.

On nous annonce que le Kaiser et le Kronprinz sont en fuite ainsi que les anciens dirigeants boches. Le sort de l’empereur de Russie les attend certainement.

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Le temps est superbe, de vraies journées de victoire.

Je serai curieux de voir Prats par ce temps de victoire. J'espère qu'il n'y a pas de fausses notes dans la joie générale.

Malheureusement les pauvres familles qui ont perdu des fils à la guerre verront leur tristesse augmenter au moment du retour des autres.

Je n'ai aucune idée sur ce qui va se passer pour nous à l’armée. Serons-nous libérés rapidement ?

Dès que les trains fonctionneront, j'irais à Paris pour ma situation.

Hier, il a fallu que je donne mon nom comme ayant rempli avant la guerre une fonction administrative publique. Je puis être appelé en Allemagne comme agent du contrôle. Je ne le souhaite pas. Je n'ai pas ce temps à perdre, malgré tout, il faut faire son devoir jusqu'au bout.

Je voudrais pouvoir vous serrer dans mes bras. Il me semble que cela calmerait un peu mon excitation. Quel immense bonheur. Voir la fin de la guerre ! Je puis vous le dire maintenant, je n'avais jamais, avec la vie que je menais au front, songé sans frémir à cette fin que je n'espérai pas voir.

Que Dieu soit loué d’avoir eu pitié de moi et de m'avoir sauvé. Je me sauve, le commandant et un camarade m'attendent pour ma promenade.

Bonnes grosses bises à toutes les trois.

Bonnes caresses à ma petite mère.

Prosper

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Secteur 161, le 23 novembre 1918

Bien chère maman

Depuis ma dernière lettre de Paris je vous ai bien négligée. J'ai quitté Paris lundi matin. Il m'a fallu trois jours de voyage dans des conditions très difficiles pour rejoindre mon bataillon. Vingt-quatre heures de chemin de fer, deux jours de camion-auto, cela n'a rien d’agréable.

J'ai rejoint mon bataillon en Belgique. Marchant de Chimay sur le Nord-Est, ils avaient atteint Gioct, dernière ville française. Nous y sommes toujours, je ne pense que notre division aille plus loin en Belgique et en Allemagne. Nous le regrettons énormément, le bruit court que nous allons être rapprochés de Paris. J'attends avec impatience votre lettre en réponse à celle que je vous ai envoyé de Paris. Je ne ferai rien avant cela.

Je vous embrasse bien affectueusement.

Prosper