Extrait du Livret militaire de Prosper:
Rappelé le 28 août 1939 par ordre individuel, affecté au 212e RRI, commandant le 29e compagnie cycliste
Rappelé à l’activité par à la suite du décret de mobilisation générale du 1er septembre 1939, affecté au 212e RRI, commandant le 25e compagnie
Disparu le 16 juin 1940
Prisonnier le 17 juin 1940, interné à l’Oflag xiii
Oflag xiii : Ouvert à côté de Nuremberg en Bavière pendant la campagne de France pour les officiers français.Rapatrié le 27 mars 1941
Démobilisé le 13 septembre 1941
Le général d’armée Huntziger, commandant en chef les forces terrestres, ministre, Secrétaire d’Etat à la Guerre, cite à l’ordre de la division
Tailleur Prosper, capitaine, commandant le 7e bataillon du 212e régiment régional.
Excellent commandant de Bataillon, au cours du combat d’Estouy, le 16 juin 1940, est retourné lui-même en arrière pour ramener dans nos lignes deux mitrailleurs blessés de son Bataillon. A été lui-même blessé au cours de cette action et fait prisonnier le même jour au passage de la Loire.
Le 22 novembre 1940
Signé Huntziger
Nuremberg, 15 décembre 1940
Ma chérie
Hier une lettre de Lilette datée du 10 novembre m'a apporté de vos nouvelles. Une lettre bien faite où je n'ai vu qu'une seule correction de maman. Je suis sûr que notre petite bonne femme continue à bien travailler, voilà pour me faire plaisir. De toi, je n'ai toujours que ta lettre du 1er novembre reçue le 28, mais on nous laisse espérer une sérieuse amélioration du courrier. Tout ira bien si la correspondance est aussi activée que les colis le sont actuellement. J'ai en effet depuis le 10-12 reçu 2 colis de ma mère, 6 de toi, tous les deux de 5 kg, en outre 1 colis de tante Touche et un colis de notre cousine E. Nicolas ; enfin 1 colis de Vilacique. Je n'ai pu remercier tante et cousine que par une carte officielle. Je te charge de mieux le faire en mon nom. Voici le détail de tes envois… Le chandail est parfait, je le porte avec grand plaisir, le cache nez soyeux, les gants et les bas très appréciés bien que légèrement grands ; la pipe idéale, très douce ; cigarettes et tabac sauveur. J'ai bien ce qu'il me faut pour me couvrir, il fait un froid supportable.
Adresse-moi simplement le second caleçon chaud et les deux chemises de flanelle de coton. Ajoute un bon béret pointure 56, diamètre extérieur 22. Tes colis sont bien faits et très bien composés, les conserves délicieuses, de bonne marque. Quelle joie de recevoir tout cela mais quelle appréhension devant tant de choses à la pensée que vous devez vous priver. Je sais que tu ne laisseras pas nos filles manquer de rien, mais toi… et nos vieux.
Je te défends de m'envoyer du sucre, je n'en n'ai pas le besoin. Herbin reçoit maintenant autant de colis que moi, nous partageons tous. Je me prépare à la fête de Noël. Je serai par la pensée au milieu de vous, particulièrement à la messe de minuit. Ayons toujours confiance, toute cela aura bien une fin. Herbin et son ami Delgéry sont charmants pour moi. Nous faisons de longs bavardages à grandes enjambées tout au long de la portion de route où nous pouvons aller et l’on aperçoit le sommet de quelques arbres.
Tendresses pour vous trois.
Prosper
Nuremberg, 22 décembre 1940
Ma chérie
M. Lenfand qui me remplace provisoirement à la Direction vient de m'écrire que tu peux toucher ma délégation de traitement à la Direction des contributions directes à Toulouse. Ne manque pas de t'y présenter et d’y demander tout ton arriéré. Renseigne-moi, car à ce sujet tu ne m'as pas encore répondu ni d’ailleurs si tu avais reçu mes cinq à six lettres expédiées d’Orléans. Elles étaient importantes et l’une d’elle contenait mes vœux de bonne fête. J'ai enfin aujourd’hui un petit paquet de lettres. Quel drôle de courrier. J'ai eu avec ta lettre du 27 octobre et celle du 22 novembre. Elle contient pour moi tes dernières nouvelles. J'ai aussi eu une lettre, datée du 7 novembre, venant de Prats. La dernière de ma mère était du 27 octobre, juste après les inondations. Tu comprendras ma joie d’avoir de nouveau de ses nouvelles. Si cela ne t'ennuie pas, tu pourrais lui communiquer mes lettres. Le nombre de correspondances dont le départ est autorisé vient d’être réduit à deux lettres et deux cartes par mois. Je te réserverai mes lettres. Le nombre de colis jusqu'à présent était pratiquement illimité et va être réduit à partir du premier janvier 1941. Nous ne savons pas encore quel sera le nombre des envois autorisés. Je t'enverrai toutes les étiquettes officielles qui permettront les envois. Tu les utiliseras soigneusement et les partagera avec ma mère.
Je ne crois pas avoir encore gouté à tes conserves. Je suppose en effet que ce sont celles dont les boites ne portent aucune étiquette. Je les ai en réserve. Je te renseignerais dans ma prochaine lettre. Toutes les boites déjà consommées ont été délicieuses et de qualité égale. Recommande à maman de m'envoyer un écusson à découdre sur mon ancien noir de chasseur alpin, écusson avec cor de chasse et numéro 32 brodé en argent sur tissus noir de préférence.
Noël dans deux jours. Je pense intensivement à vous tous. Confiance toujours. Toutes les épreuves ensemble, tous les travaux, tous les mérites, toutes les vertus ensemble, ensemble travaillent et prient pour tout le monde ensemble, ensemble ! Je demande simplement à voir rire, jouer, grandir, être maman mes chères filles.
Je me porte très bien.
Bon Noël à tous. Bien tendrement.
Prosper
Nuremberg, 3 janvier 1941
Ma chérie,
Aujourd’hui, journée le colis n° 3 me sont annoncé. J'ai déjà vu le premier, il est de ma mère, du 29 novembre. Cela me donne de ses nouvelles qui étaient toujours du 7 novembre. Beaux colis qui nous donnent avec de bonnes choses un heureux signe de votre existence. Ceux de ce soir seront sans doute les tiens. J'ai reçu le 27 décembre un colis de vivre (5 kg) de M. et Mme Eschalier. Braves gens. Ecris-leur ; je n'ai pu leur envoyer que la carte officielle. J'en envoie régulièrement à la réception de chacun de vos colis. Je reprends ma lettre interrompue. Je viens de recevoir ton colis, le… du 2 décembre. Encore les nouvelles muettes et quel beau colis ! Que de choses ! Merci encore pour tout cela. Il y a, entre autres objets, une grosse boite de veau et deux chemises très chaudes que je suis heureux d’avoir, bien que je résiste très bien au froid. La température s'est radoucie. Après un temps sec (de -10° à -18°) il neige, mais le vent souffle peu et nous nous demandons si nous ne préférons pas le temps sec. On ne peut jamais être satisfait. Le paysage sous la neige n'est guère plus monotone. Nous sommes en pleine campagne. En dehors du service de garde et d’administration nous ne voyons jamais personne, aussi, Mme Rossignol nous a bien amusés quand elle écrit à son mari : qu'il devrait au moins se distraire en circulant dans la grande cité allemande. Le moral reste très bon. J'ai deux excellents amis, Herbin et Delgary, ce dernier également parisien. Je me suis décidé à jouer aux cartes avec eux à la veillée. Grand père trouverait ici beaucoup de partenaires. Je continue aussi à travailler. Je regrette de ne pas avoir de livres de droit. Fais de ton mieux. J'ai reçu deux ouvrages administratifs par Vilacigne qui aujourd’hui m'a fait remettre un autre petit colis de vivres. Encore un bon camarade. Adresse-moi moins de tabac et plus de cigarettes. Merci pour les superbes semelles. Garde-moi un peu de chacun des tiens. Vont-ils bien ? Surtout grand père et grand-mère ? Ma mère et ma tante ont-elles peur de l’hiver ? Et toi, ma chérie, es-tu aussi en bonne santé que je le voudrais ?
Mille bien tendres baisers pour toi et nos chers enfants.
Bien affectueusement à tous.
Prosper
Bien chère maman, bien chère tata
Tu dois penser que je te néglige. J'ai beaucoup de travail. Ce ne sont pas des affaires graves qui me donnent du souci ou me créent des difficultés mais elles sont sérieuses et m'absorbent beaucoup.
Il est entendu que nous irons vous voir à la fin de l’année, nous passerons à Prats soit les fêtes de Noël soit celles du premier de l’An. Je ne pourrais guère rester avec vous plus de 2 à 3 jours plein étant donné qu'en fin et début d’année notre service est affreusement chargé.
Annie n'a eu qu'une attaque très faible d’oreillons. Les deux côtés se sont pris mais elle n'a souffert que pendant deux jours. Nous la gardons cependant à la maison car il nous est interdit par les règlements sanitaires de l’envoyer au Lycée. Elle ne demande pas mieux.
Mimi est débarrassée de ses démangaïsons. Mais elle surveille sévèrement son alimentation.
Je me porte bien. Lilette travaille comme une malheureuse. Elle commence à avoir de meilleures notes. Au… il semble que ses professeurs lui tenaient rigueur de son origine parisienne et voulaient lui montrer qu'elle n'était pas meilleure que les anciennes élèves de Carcassonne. Elle était découragée. Avec cela, elle n'a aucune amie. Les élèves de sa classe la surprennent par leur genre, leur parlé et surtout leur éducation libertine. Elle a du mal à s'acclimater et souvent nous la trouvons qui s'est cachée dans sa chambre pour pleurer. Cela donne du souci à Mim et à moi.
Le temps est très variable tantôt sec et froid tantôt tiède et humide.
Cela a réveillé mes rhumatismes. Toutes les parties du corps y passent successivement.
La petite bonne n'est pas une vraie perle. Il faut beaucoup de patiente à Mimi.
Le ravitaillement va assez bien mais ce n'est pas la grande abondance de jadis. On trouve mais il faut toujours chercher. Voulez-vous des pâtes alimentaires, Je vous porterai du sucre et des bonbons.
Gillette a été très sensible à ton envoi, Adolphe doit t'envoyer le sucre.
Je n'ai pas eu le temps de regarder le dossier de la reconstruction immobilière. Il me semble à première vue que le versement est incomplet.
N'oublie pas avec tata de vous faire inscrire pour le tabac. Achète-moi du tabac en paquet. Vous avez droit chacune à un paquet par mois à partir du 1er décembre. Je t'ai demandé l’adresse du cordonnier pour lui envoyer par la poste la paire de chaussures qu'il m'a réparée. Je la porterai ici les jours de pluie.
Dites-moi bien ce qu'il vous manque pour manger. Les poules pondent-elles ? Je pris note pour les grains. En faut-il avant notre voyage à Prats ?
Je vous embrasse bien tendrement. Une foule de baisers à ma maman.
Prosper
24 août 1941
Bien chère maman
Je vous adresse encore ce que j'appelle une longue carte. Dites-moi bien en me répondant j'ai reçu ta longue carte de tel jour ainsi je saurais si je dois persister par cette voie. Ma présente lettre a dû vous parvenir car le moyen employé était bon.
Je vous ai déjà annoncé réception du colis contenant les vêtements. Merci encore. Il était au grand complet ; les saucissons sont d’une qualité exceptionnelle ; le pâté constituera la pièce maîtresse d’un de nos repas de fête car nous sommes bien en période de vaches maigres. Nous avons régulièrement de la viande une fois par semaine, de la charcuterie une fois par quinzaine, nous voilà presque végétariens à 100%
Il ne me faut guère, en effet, songer aux produits de la basse-cour. La poule se vend 200 fr. le kilo, le lapin 75 fr. Le… fait totalement défaut, les œufs à peu près de même.
Fort heureusement, les légumes verts sont abondants et les cartes d’alimentation nous permettent régulièrement l’achat chez le boulanger, le crémier et l’épicier… quantités de produits représentés par les tickets. Nous ne souffrons pas de cette situation, il est à croire que jadis les français mangeaient trois fois trop. Pour nous permettre cependant d’améliorer notre ordinaire, expédiez-nous si possible, par envoi de 10 kg chacun toutes les pommes de terre que tu pourras dans la…
Je te demande peut-être quelque chose d’absolument impossible, n'hésites pas à me dire s'il en est ainsi. Si possible, expédie-nous également des légumes secs et des pâtes alimentaires (sœur de Catherine). Mme Denise avait promis à mimi de lui céder du miel l’an dernier, peut-elle tenir sa promesse ?
Ma situation de prisonnier en congé de captivité va être revue et je compte être bientôt complétement libéré en qualité d’ancien combattant de la guerre de 14-18. Je pensais l’être le 14 août lors de mon dernier pointage – je dois me soumettre à cette formalité du pointage une fois par mois – Dès ma libération complète, je présenterai ma demande de laisser-passer pour la zone libre mais je ne pourrais m'y rendre que seul, sans ma petite famille et pour très peu de jours, juste pour vous embrasser. Espérons que ce sera bientôt.
Pour trouver une alimentation un peu plus riche qu'à Paris, nous avons fait le projet d’aller passer 15 à 20 jours sur les bords de la Loire entre Saumur et Angers, exactement à Rosiers-sur-Loire. Je vous confirmerai notre séjour en Maine-et-Loire dès que nos projets seront près de se réaliser.
Tout le monde, grands et petits, vous embrasse bien affectueusement, je joins à tous ces baisers, toutes mes tendresses.
Prosper
Paris, le 26 décembre 1941
Ma chère maman,
Ma précédente carte ne contenant pas mes vœux de nouvel an. Vous savez ce que je souhaite de tout cœur et que finisse la dure épreuve qui accable notre pays et qu'il me soit donné de regagner le midi dans des conditions que nous désirons tous.
Pour toi, chère maman, et pour tata, je souhaite la santé afin que je vous garde longtemps. J'ai confiance à cet égard car c'est la seule chose que je demande à Dieu avec insistance. En remplissant mes devoirs pour Noël, toute la maisonnée a demandé cela.
Mimi vous adresse une carte de son côté. J'ai pris possession de mon nouveau poste, cela ira bien.
Je vous embrasse bien tendrement.
Prosper
Samedi, 7 novembre 1941
Bien chère maman
Je viens de relire tes cartes. Je ne crois pas avoir oublié de répondre à beaucoup de questions. C'était bien Vilacique appelé auprès de son père malade qui m'a rapporté le certificat. Malgré mes démarches, je n'ai pas encore mon laisser-passer.
Prenez patience, je compte toujours vous arriver aux environs du 20 novembre. J'ai été peiné d’apprendre la mort de l’amiral Bouquet si peu âgé. Je me suis encore demandé comment avec ton âge tu pouvais faire à pied le chemin de La Coste. Je voudrais avoir une vieillesse comme la tienne.
Lilette travaille avec assez de courage malgré son échec en 4e ; toujours ses débuts d’année scolaire sont moins bons que les derniers trimestres, cependant dans l’ensemble cela peut aller. Il faut qu'elle se fasse à ses nouveaux professeurs. Roger passe ses dimanches avec nous. Il semble heureux d’être en famille. Il ne nous quitte pas.
Le froid est moins vif, le soleil se montre. A Prats, vous avez peut-être encore une température douce jusqu'à Noël.
Je vous embrasse bien tendrement.
Mille baisers à ma maman.
Prosper
Paris, le 16 novembre 1941
Bien chère maman
Encore un peu de patience et je serai près de vous. Je m'étais imaginé que les demandes nécessaires pour obtenir mon laisser-passer seraient moins longues. Comptez sur ma venue, je me mettrais en route sans perdre un jour dès que j'aurai le fameux carton signé des autorités d’occupation. J'ai hâte de vous embrasser, de vous voir de mes yeux. Il y a si longtemps que je ne vous ai pas serré dans mes bras.
Nous allons tous très bien, le froid à cessai mais il fait très humide. Fort heureusement, le lycée n'est pas loin et les classes sont chauffées. Quand je pense que vous n'avez pas de bois pour votre feu… Nous ici, nous avons à la maison de quoi faire un petit feu dans la salle à manger pendant 2 à 3 mois. Mon bureau à la direction est chauffé !
Bien tendrement à ma chère maman.
Prosper
Paris, le 24 novembre 1941
Bien chère maman
Sois certaine, chère maman, que ma visite est toute proche. Le laisser-passer m'a été promis, je l’attends d’un jour à l’autre, mais rien ne va vite maintenant. Je me mettrais en route dès que j'aurais ce fameux papier.
Encore un peu patience et je vous apporterai des nouvelles toutes fraiches de la maisonnée. Ne t'inquiète pas pour les envois, nous avons maintenant une ration suffisante de pommes de terre. Il nous manquerait à la rigueur une petite réserve. Je me chargerai de la charcuterie que tu pourras me donner.
Ta dernière carte est du 13 novembre. Il doit faire encore très doux à Prats ; ici l’hiver parait avoir rebroussé chemin, mais il pleut.
Mimi rend visite aux cousines. Nous pouvons continuer à recevoir Roger. Il joue tout le temps avec Annie qui ne le quitte pas d’une semelle. Il est très doux avec les enfants. Son père nous a envoyé un colis de châtaignes. Lilette travaille assez bien ; toujours son trimestre de début est moins bon que ceux qui suivent.
Nous vous embrassons bien affectueusement. Bonnes bises à ma maman.
Prosper
Lundi 1er décembre 1941
Bien chère maman
J'ai reçu le 29 ta carte du 24 postée le 25. Comme tu le supposais, elle m'a encore trouvé à Paris. Je continue à chaque courrier à attendre l’autorisation de me rendre en zone libre. J'ai eu tort de croire que cela irait vite et ma faute a été de vous parler du 15 novembre. Mon désir de vous revoir m'a fait trop vite espérer un résultat. Quoiqu'il en soit, ma visite à Prats est maintenant très prochaine, cela ne me parait faire aucun doute, bien qu'il soit imprudent d’affirmer quelque chose tant que le précieux papier n'est pas arrivé. Patiente encore un peu ma chère maman.
Hier, dimanche, comme d’habitude, Roger nous a tenu compagnie. C'est un brave garçon qui fait figure de grand frère pour Lilette et Annie, surtout pour cette dernière. Jeudi nous avons reçu les cousines à déjeuner grâce à mes colis reçus de la Charente, d’où moyennant finance nous avons pour nous faire ravitailler.
On pourrait se passer de ce ravitaillement supplémentaire mais il n'est pas moins très précieux. Je t'expliquerai cela. Surtout je vais savoir comment vous vivez. Je n'oublie pas le parapluie.
Bien tendres baisers.
Prosper
Le 25 décembre 1941
Chère bonne maman, chère tata
Voici Noël passé, non pas un joyeux Noël comme ceux d’antan mais une fête malgré tout plus gaie que celle de l’an dernier puisque Prosper était près de nous. Nous avons eu le plaisir d’avoir à notre table les cousines Coderch et le jeune Roger. Le repas fut sobre et l’atmosphère agréable, nous avons parlé de vous, des jours heureux où nous avions le bonheur d’être tous réunis. Nous heureuses d’avoir de vos nouvelles par Prosper. Cela a été une bien grande joie pour lui de pouvoir vous embrasser. Et voici 1941 bien près de sa fin, que nous réserve l’année suivante ? Demandons-lui entre mille autres choses de vous permettre de nous retrouver aux grandes vacances et de vivre quelques jours réunis en famille
Mimi
Samedi 20 décembre 1941
Bien chère maman
Le voyageur et les colis sont arrivés en parfait état. Ceux-ci ont été accueillis avec des cris de joie. Le voyage a été… n'a pas été trop fatiguant. Les wagons dans ces grands express sont assez bien chauffés ; malheureusement les compagnons de route ne manquent pas.
Pendant mon absence, Annie a eu de nouveau une petite crise et s'est remise maintenant. Nous avons cessé de l’envoyer en classe, elle reprendra au printemps. Les cousines viennent souvent tenir compagnie à Mimi et ont été très aimables…
Nous voilà, grâce à vous pourvus de provisions pour quelques temps, la cuisinière a moins d’inquiétudes.
Je… suis heureux de vous avoir embrassées.
Tendre baisers à ma maman et aussi à tata.
Prosper
Le 30 décembre 1941
Chère bonne maman, chère tata
Voilà l’année 1941 presque terminée et la grande fête de Noël passée. Hélas, nous n'avons pas vécu beaucoup de temps ensemble pendant ces 12 mois. J'espère que l’année suivante nous ne serons plus ainsi séparés. Je vous remercie d’avoir bien voulu aider le Père Noël qui n'était pas très riche cette année. J'ai été bien exigeante mais il m'a tout de même envoyé tout ce que je désirais : une montre, une boite de peinture, un diabolo et un livre très intéressant : l’Odyssée.
Annie aussi mérite car dans les premiers jours de décembre elle lui écrivait une longue lettre. Il lui a envoyé donc une belle poupée de Blanche Neige, une grande boite de perles en bois, un petit panier rempli également de perles et enfin des livres d’images à colorier et des bonbons.
N'avez-vous pas trop froid à Prats de Mollo ? Ici, il y a aujourd’hui moins 4°. Les poules et les lapins se portent-ils bien ? Donnez-moi de leurs nouvelles. Je pense souvent à vous et espère vous revoir bientôt.
Je vous souhaite une bonne année et vous envoie les vœux bien affectueux de votre petite fille.
Lilette
Dimanche 4 janvier 1942
Bien chère maman
J'ai reçu vos deux premières cartes, la première mercredi dernier.
Merci chère maman de vous bons vœux. Je suis heureux de trouver plus de confiance dans ta correspondance. Soyez sans inquiétude, je puis venir au moindre appel. Surtout n'oubliez pas de relancer le marchand de bois afin que vous ayez toujours une bonne avance de chauffage. Avez-vous reçu l’adresse et les renseignements demandés à Amélie-les-Bains ?
Annie va bien mieux. Si elle voulait manger régulièrement, tout le reste n'aurait aucune importance. Elle n'a jamais perdu sa vitalité ; c'est et cela restera un petit démon qui se fait pardonner par ses câlineries.
Les fermiers ont-ils accepté une solution pour les deux porcs ? Que disent-ils au sujet du bétail à payer aux prix actuels ?
Paris, le 10 janvier 1942
Bien chère maman
Nous avons eu aujourd’hui vos deux cartes du 5 janvier. Voilà que de nouveaux vos nouvelles arrivent régulièrement ce qui est bien et bon. Tu ne me donnes pas de nouvelles de tata. Son rhume a-t-il duré ?
Annie est guérie. Si son intestin supporte bien son bon appétit revenu, son poids aura vite fait d’augmenter. Elle ne cesse pas d’être un démon. Elle se refusait à apprendre son alphabet puis en huit jours elle a retenu plus de 20 lettres. Elle n'a qu'un désir maintenant c'est d’apprendre à lire mails il lui faudrait un alphabet nouveau chaque jour.
Le temps très doux en décembre semble devenir plus rigoureux. Nos chambres sans feu sont à 7°, on y dort bien mais le lever et le coucher sont dans la journée deux moments forts désagréables. As-tu pu faire rentrer un peu plus de bois ? Je travaille très bien dans ma nouvelle direction. Cela ira mieux par la suite.
Prosper
Paris, le 17 février 1942
Bien chère maman
J'ai reçu ta carte dans laquelle tu me conseilles d’écrire de mon côté pour appuyer ta demande de ciment. Je fais cette lettre par le même courrier.
Nous allons bien. Grace à quelques petites provisions nous ne souffrons pas trop de l’absence à peu près totale de légumes de toutes sortes. On ne trouve guère, de temps en temps, que des navets. Je te demanderai à la fin de l’hiver de nous envoyer les 50 kg de pommes de terre pour lesquelles je t'ai laissé un bon de transport. Tu nous rendras un fier service si tu peux abattre un second cochon et nous le réserver. Fais-ton possible.
Lilette va bien, elle travaille de son mieux. Elle a été onzième sur 40 en français. Au cours de ce mois-ci, elle va avoir presque toutes ses compositions. Elle a beaucoup grandi et se transforme déjà. Annie se porte bien malgré ses caprices à table, elle aussi grandi mais reste assez maigre.
Le temps est très… dans l’ensemble l’hiver est assez froid mais très sec. Mimi va bien, elle est comme toi, elle a beaucoup d’engelures.
Prosper
Dimanche 22 février 1941
Bien chère maman
Nous avons reçu ta carte adressée à mimi. Nous imaginons le travail qu'à du vous donner cet énorme animal. Cela nous réjouit de vous savoir d’aussi abondantes provisions. Si vous pouvez en cuisiner un autre, si vraiment vous pouvez le faire sans trop de fatigues, faites le second sacrifice d’un autre habillé de soie. Je m'occupe de faire renouveler mon laisser-passer.
Nous avons à Paris M. et Mme Douay dont vous devez vous souvenir. Vous les avez vu à Montpellier. M. Douay est préfet et remplit de hautes fonctions ici à Paris auprès du préfet de police. Ils sont venus nous voir et ont repris avec nous leurs relations. Les enfants se voient le jeudi à la préfecture où mimi les accompagne.
Soignez-vous : les poules doivent commencer à donner des œufs, mangez-en beaucoup. Roger vient le samedi matin et soir. Il n'est pas désagréable. Son père nous a envoyé un autre coli qui a ressemblé comme un frère au premier.
J'ai adressé une carte à Perpignan pour le ciment. J'écrirai de nouveau si tu me le demandes.
Nous allons tous très bien. Tendresses.
Prosper
Paris, le 28 février 1942
Bien chère maman,
J'ai aujourd’hui samedi ta carte du 22 février. Tu dois recevoir mes cartes. Je les envoie assez régulièrement, au moins une par semaine. Je viens encore d’écrire à Perpignan pour les tuyaux de ciment. J'ai en effet appris au ministère de l’Agriculture qu'il fallait s'adresser à M. Triffaut, ingénieur du génie rural, 49 boulevard Clémenceau. Je me suis empressé de le faire et lui ai demandé de t'envoyer les bons de ciment. Tu me tiendras au courant. J'irais le voir à mon prochain passage à Perpignan car il parait qu'il peut me faire allouer une nouvelle indemnité sur les fonds de l’équipement rural pour nous travaux d’abduction d’eau potable à La Coste. S'il y a une urgence au sujet de cette indemnité, je l’ai prié de t'adresser toutes les explications utiles pour la constitution des premières pièces du dossier.
Nous allons très bien. Merci chère maman d’avoir pensé à nous envoyer si vite un colis de charcuterie, il sera très bien venu. Rien ne presser pour les pommes de terre. Nous pouvons attendre jusqu'aux premiers jours d’avril.
Bien tendres baisers à ma chère maman.
Prosper
Jeudi 3 mars 1942, midi 30
Bien chère maman, chère tata
Nous allons très bien. J'apprends que les journaux de la zone libre donnent des nouvelles au sujet du bombardement de la banlieue. Je m'empresse de vous écrire pour vous tranquilliser. Il semble que les usines ont été recherchées par les coups. Vous savez que notre quartier est très éloigné de tout centre industriel.
Soyez-donc sans inquiétudes. Je me hâte de courir à mon bureau. Je viens déjeuner à la maison en coup de vent.
Bien tendres baisers.
Prosper
Dimanche 8 mars, 1942
Bien chère maman,
Nous avons ta carte du 27 février reçue jeudi 28, même jour que le sac de pomme de terre. Merci, elles sont superbes. Pas une seule n'est abimée. Quant au colis de bonnes choses, il est arrivé aujourd’hui en aussi bon état qu'à l’instant de son départ. Depuis la réception du sac de pommes de terre, nous attendions le colis avec impatience, nous commencions à nous demander si un gourmand employé ne l’avait pas intercepté. Il n'en a rien été. Les enfants sont heureux. Les bas de Lilette sont parfaits, elle est ravie et va t'écrire. Ils vont parfaitement, surtout ceux dont le point est uni. Ceux dont les point est contrarié et forme un… sont un peu haut sur la jambe, deux doigts de trop. Lilette fera un petit revers. Mimi a été enchantée car Lilette n'avait pas de bas, faute d’autre chose.
J'ai reçu une réponse du comité d’organisation des bâtiments et des travaux publics qui me renvoient à M. Chancel, directeur régional de la reconstruction immobilière, 1 rue Alsace Lorraine. Je persiste à croire que c'est M. Duffaut, ingénieur du génie rural qui est compétent. Ce dernier a dû vous écrire. J'attends sa réponse.
Nous allons bien, ne vous souciez pas des bombardements, je vous l’ai déjà écrit.
Prosper
Le 12 mars 1942
Chère bonne maman, chère tata
Je ne voulais pas encore vous remercier de votre délicieux envoi, et pourtant ils ont été appréciés à leur juste valeur.
Tout est très bon et améliore considérablement notre ordinaire. Les chaussettes de Lilette sont parfaites, elle les a entrainées pour aller chez Mme Douay où il y avait une réunion de huit fillettes. Votre grande est heureuse, elle a des amis autour d’elle. En classe, cela va assez bien, le latin et l’anglais restent faibles. Il est vrai que voilà qu'elles ne vont en classe que le matin, les classes n'étant pas toutes chauffées, on a établi un roulement afin de ne pas exposer les enfants à prendre mal. C'est peut-être très bien au point de vue santé mais au point de vue scolaire, c'est lamentable. Annie est toujours à la maison, son appétit est nettement déficient, je la sors dès que le temps le permet. C'est jours-ci nous avons eu un adoucissement de la température, aussi le feu a été arrêté ; il faut songer à l’hiver prochain.
Notre bon souvenir à Mme Bringaren
Affectueusement,
Mimi
Dimanche 14 mars 1942
Bien chère maman
Nous avons eu jeudi dernier ta carte du 6 mars. Vous savez déjà que les deux colis sont arrivés à bon port. Nous nous régalons avec les bonnes choses que contenaient le plus petit. Tout est délicieux, les pâtés sont arrivés intacts. Les boudins blancs et noirs n'ont jamais été aussi bien… Merci encore pour tout cela ; tout était utile et tout est grandement apprécié.
Nous allons très bien. Il a fait aujourd’hui la première journée de printemps ; nous sommes allés nous promener au bois de Boulogne. Tous les parisiens s'y étaient donné rendez-vous. Il faisait 15° pourvu que cela dure.
Nous n'avons pas manqué de charbon, sauf 15 jours. Nous faisions le feu dans une seule pièce. C'est…
J'irai vous voir dès les premiers jours de mai, je ne puis le faire avant.
Prosper
Oasis, 22 mars 1942
Bien chère maman
Votre dernière carte est du 12 reçue le 17. Elles mettent toujours 5 à 6 jours. Tout le monde va bien. Annie semble avoir plus d’appétit. Nous avons de temps en temps des œufs frais qu'elle apprécie beaucoup, cela l’aide à prendre du poids. Dans l’ensemble, elle ne se porte pas trop mal. Elle est d’une vivacité débordante, mais n'est pas grosse, elle a grandi. Lilette est presque une jeune fille. Mimi a repris son poids d’avant-guerre mais elle vient d’avoir un gros rhume et un peu la grippe. Elle ne s'est guère soignée. Je me porte bien et si le travail continue, tout ira pour le mieux. J'ai obtenu le renouvellement de mon permis de circulation en zone libre.
J'irai vous voir au début de mai. Le printemps cette année a été exact. Le 21 il était là. Il y a… au bois de Boulogne, nous y avons passé l’après-midi. Roger ira à Castres pour les fêtes de Pâques. Bien tendres baisers à ma maman.
Nous n'oublions pas nos devoirs à Pâques.
Prosper
Paris, le 29 mars 1942
Bien chère maman
Mimi et les enfants se sont rendues chez les cousines leur rendre visite. Je reste à la maison où j'ai du travail. Je vais avoir un mois très chargé. C'est la période pendant laquelle je dois préparer les rapports sur le travail des agents et arrêter leurs notes annuelles. Je suis toujours sans directeur et le remplace en fait sinon en titre. Nous allons toujours très bien, Annie a meilleur appétit, elle reprend du poids. N'ayez pas d’inquiétudes à notre égard et si vos journaux parlent d’alertes à Paris, dites-vous bien que nous quartier ne risque rien. Les sirènes ne font que retarder notre coucher certains soirs.
Si vous le pouvez, envoyez-nous un autre petit colis. N'envoyez pas de graisse. Nous avons encore devant nous une vessie et demie, cet hiver nous avons pu avoir un peu de beurre ce qui nous a permis de garder encore la petite vessie des gros envois de l’année dernière. Elle est intacte et nous venons de la commencer.
Roger est parti hier pour Castres. Je l’ai chargé de nous expédier de là-bas, de la graisse, des salsifis et de la saccharine. Je vous porterai du sucre de Toulouse. Gilette m'en donnera. Adresse-leur un petit colis de charcuterie.
Bien tendre baiser
Prosper
Mardi 7 avril 1942
Bien chère maman
Dimanche, nos Pâques faites et notre déjeuner expédié, nous sommes allés passer l’après-midi au bois de Boulogne. Notre promenade a été interrompue par la pluie et pour ne pas être trempée, il nous a fallu chercher un abri dans les tribunes du champ de course d’Auteuil, où nous avons fait figure de turfistes.
Hier lundi, les Douay (M. Douay a le rang de préfet) sont venus passer l’après-midi à la maison comme ils le faisaient à Montpellier. Nous avons joué au bridge. Les enfants, ils ont deux filles, se sont follement amusées. J'ai plaint les locataires du dessous. Tout cela est dit pour vous prouver que nous allons bien et que nous vivons normalement malgré les alertes dont les journaux de la zone libre doivent vous parler.
…
Nous attendons le colis. La grosse pièce sera bien accueillie, nous avons moins de respect pour celle qui est restée entamée. Je comprends ta colère à l’égard de ces services qui sans cesse se renvoient la balle. Je vais écrire…
Je vous embrasser bien tendrement.
Prosper
Dimanche 12 avril 1942
Bien chère maman
J'ai adressé cette semaine une lettre au comité de la reconstruction immobilière rue Alsace Lorraine ; mon intervention sera peut-être utile. C'est à toi que l’on répondra.
Nous avons eu aujourd’hui une journée de plein été. Nous en avons profité pour aller en… jusqu'au parc de Sceaux. Les arbres fruitiers sont déjà couverts de fleurs. Dans le midi, le printemps doit régner en maître. Il doit faire très chaud au jardin. Méfie-toi du fort soleil et couvre-toi après avoir travaillé.
A la direction, je suis en plein travail. J'achève les feuilles de notes et les rapports annuels. Je veille chaque soir tard pour arriver dans les délais. Les cinq directions de la Seine font chaque année une course de vitesse. Demain Lilette va reprendre ses classes. Nous hésitons à y renvoyer Annie. Elle n'est pas malade, si elle voulait manger tout souci serait écarté. Elle continue à être vive comme un petit démon. Tu as dû recevoir de la saccarine et les graisses demandées. J'ai chargé deux personnes de zone libre de t'envoyer ce que tu me demandais.
Roger en vacances à Castres n'a pas songé à nous envoyer une carte. Viendra-t-il avec quelques provisions ? Je crois que nous ne pourrons pas continuer à le recevoir régulièrement car il est difficile de composer un menu.
…
Prosper
Chère bonne-maman, chère tata
Que devez-vous penser de votre petite-fille qui a attendu si longtemps pour vous remercier de vos belles chaussettes bleues que vous lui avez envoyées. Elles m'ont rendue bien service et je suis bien contente que vous puissiez me faire des socquettes. Je vous en remercie à l’avance.
Je suis en vacances depuis quelques jours. Papa a dû vous dire que ma petite amie de Montpellier habite Paris depuis quelques temps ; nous allons ensemble aux Tuileries et au Bois de Boulogne patiner avec sa sœur Chantal.
Le matin, j'aide maman et je fais mes devoirs. En ce moment, comme je vais au catéchisme avec persévérance je suis très occupée à arranger mon cahier de catéchisme ; il y a un examen à la rentrée des vacances et j'ai un cahier qu'il faut illustrer. S'il est bien, nous avons notre moyenne augmentée.
Je tricote aussi pour moi un pull au point de rivière. Quand vous m'écrirez, vous me donnerez des nouvelles du petit fermier et des habitants de votre jardin.
Je pense toujours à vous et vous embrasse bien tendrement.
Lilette