1916
Argonne puis Verdun Création octobre 2020

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Secteur postal n° 9, le 10 janvier 1916

Bien chers parents,

Je n'ai pas répondu tout de suite à votre dernière lettre parce que je voulais y réfléchir.

Je voudrais pouvoir vous faire comprendre que, ce que je demande est une chose ordinaire, que ce n'est pas pour vous faire de la peine. Que cela ne doit pas vous faire de la peine parce que la chose que je vous demande est normale en elle-même.

Je suis soldat. Vous avez fait tout ce que vous avez pu pour faire de moi un bon petit soldat qui ne devez pas hésiter lorsque le moment serait venu de me battre. Lorsque je suis parti, vous n'avez pas dit que cela vous donne un grand chagrin et pourtant j'ai senti combien vous étiez peinés. J'ai admiré votre courage et cela m'a donné plus d’énergie.

Actuellement, être aviateur c'est être soldat. Au front, on est sous le même drapeau, on court les mêmes risques. Il me semble que j'ai ce qu'il faut pour monter en avion, on demande des aviateurs, ne dois-je pas me présenter que les risques soient plus grands et moindre, cela ne doit pas entrer en ligne de compte. Je ne veux pas faire le fanfaron.

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Vous craignez que l’aviation ne soit funeste, pourquoi nous sommes dans la main de Dieu, rien ne peut nous arriver sans que sa volonté n'intervienne. Alors si la mort doit me prendre dans cette guerre, que je sois sous les bombes où dans les airs, cela est absolument la même chose. Je ne veux pas tenir compte de l’assentiment que vous me donnez dans votre dernière lettre. Vous n'avez pas réfléchi. Je veux que vous vous fassiez à l’idée de ce que je vous demande comme vous vous êtes faits à celle de la guerre et de ma présence au front.

Vous dites qu'après la guerre, je serai encore à la merci d’une panne. Vous oubliez que je fais mon service et que j'ai fait 1 an ½ sur trois et qu'après je serai libre.

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Votre dernière lettre m'a durement traité. Je souffre énormément à la pensée que toi, ma chère maman, tu considères mes actions, et mon désir de bien faire comme une punition à tes fautes. Quelles fautes mon Dieu !! Je t'en prie petite mère, n'écoute pas bonne-maman. A l’heure actuelle, ses dires à ce sujet n'ont pas d’importance. Tu sais bien que je t'admire, que je t'aime tendrement. Il n'est pas de bonnes choses que tu ne m'ais pas montré en les faisant toi-même. Comme mère, il ne peut pas en exister de meilleure.

Dis-moi, petite mère que ce que tu m'écris dans ta dernière lettre est faux et que tu n'as pas cette pensée.

Faites-vous à cette pensée. L’aviation c'est la guerre, la guerre, c'est le pays libéré. La guerre, c'est l’état de vie de tous les petits soldats. Tranchée, guerre de mines, aviation, canonnade. Tout ça c'est la même chose, là ou ailleurs. Nous sommes dans la main de Dieu.

Si je veux changer de vie, ce n'est pas que je sois malheureux. Les sentiments qui me poussent ne sont ni l’orgueil ni le découragement mais simplement un grand besoin de me donner de l’air, de quitter la forêt où l'on étouffe, non que je m'y ennuie où que j'y sois malheureux, mais parce que j'en ai assez.

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Je suis en plein air et malgré cela, j'ai l’impression d’être enfermé dans un réduit tellement la connaissance de tous les points de ce lieu me les rapproche et me les groupe au combat autour de moi.

Parlons un peu d’autre chose. Ici, rien.

L’officier adjoint du colonel est malade. Il est dans une ambulance. C'est moi qui le remplace jusqu'à nouvel ordre, peut-être pour un mois.

J'ai reçu de tante d’Onzain un excellent gâteau, je vais l’en remercier. Valentin m'a écrit lorsqu'il entrait à l’ambulance 5/44. Je ne crois pas que ce soit grave pour la bonne raison que les malades un peu sérieux sont envoyés au moins jusqu'à Bar-le-Duc dans un hôpital.

Je vous embrasse bien affectueusement à tous.

Prosper

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Secteur postal 9, le 18 janvier 1916

Bien chers parents

Il y a bien longtemps que je ne vous ai pas envoyé de longues lettres. La dernière fois que je vous ai écrit longuement, ce fut pour vous causer de la peine. M'avez-vous pardonné ? Votre grand amour pour moi égare votre esprit et vous fait entourer l’aviation de milles périls. Ce n'est pas cela. Lorsqu'un aviateur meurt, vu qu'il y en a peu et que la chose est rare, on le met sur les journaux. Lorsqu'un pauvre petit fantassin passe de vie à trépas, on le cache parce que cela arrive trop souvent.

Ce qui me tente surtout dans l’aviation, ce sont ces dehors brillants, l’éclat des exploits accomplis. Je suis bien enfant, je le sais, j'aime tout ce qui brille.

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La vie de l’aviateur est agréable. Je ne veux pas vous faire de la peine, mais je voudrais arriver à vous faire comprendre que vous vous trompez. Je vous des aviateurs assez souvent et je connais leur genre de vie pour être sûr de ce que je vous dis.

Ne vous fâchez pas chers parents. Je ne fais aucune demande, j'attends que vous acceptiez de bon grès ce que je vous demande.

Ne causons plus de cela. Je vous ai dit que je jouais le rôle d’officier adjoint pendant l’absence du sous-lieutenant Denambride.

Ce n'est pas une sinécure, je paperasse toute la journée et le soir j'ai la tête bourrée à éclater. Il faut penser à trente-six mille choses dans ce drôle de métier.

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Le colonel est content de moi. Cela me change de ma vie de coureur de tranchée et boyaux. Il y a quelques jours, j'étais dehors depuis le jour jusqu'à la nuit. Maintenant, je ne puis pas m'échapper seulement une fois par jour pour aller dans le secteur.

Je remplacerai Denambride jusqu'aux premiers jours de février.

Je vous écris du poste du colonel. Nous sommes tous les deux. J'ai paperassé toute la journée. Il vient de recevoir les journaux et il les lit, moi je griffonne cette lettre. La cabane est pleine de rats et de temps en temps, le colonel se lève et à grands coups de canne sur les planches qui recouvrent les murs, il les met en fuite mais pour peu de temps car ils reviennent vite.

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Le grand-père est furieux, il ronchonne contre les rats qui la nuit l’empêche de dormir.

Pour mon compte particulier, les rats, le canon, les mines qui secouent certain jours les abris comme s'il y avait un cataclysme, tout cela me laisse indifférent, je dors et cela ne m'intéresse pas.

J'ai eu des nouvelles de Valentin, elles sont bonnes. Il compte partir en permission sou peu. J'ai reçu une carte de Mme Gillet.

Voilà, j'espère une longue lettre. Je vous quitte, je vous embrasse bien tendrement à tous. Votre petit soldat.

Prosper

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Secteur 9, le 20 janvier 1916

Bien chers parents

Je reçois votre petit mot. Oui, je sais, je ne vous écris pas souvent de longues lettres. Cela n'est pas de ma faute, j'ai de l’ouvrage, beaucoup d’ouvrage. Ce n'est pas une sinécure mon emploi. Maintenant encore moins.

J'ai répondu à votre longue lettre qui me grondait tant. Je voudrais que vous me pardonniez et que vous réfléchissiez bien à ce que je vous ai demandé.

Ici, il fait beau. Les boches sont tranquilles. Vous avez tort de vous inquiéter au sujet de la mine à 285. Ce n'est pas devant nous.

Ne vous occupez pas de ce qui peut se passer, vous vous feriez du mauvais sang bien à tort, attendez que je me renseigne.

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Vous ne me dites pas ce que vous ne faites ni ce qui se fait à Prats. Vous avez dû avoir beaucoup de travail avec ce fameux… de soie.

Les permissionnaires doivent commencer à revenir à Prats. Cela doit un peu remonter le moral de ces pauvres gens.

Savez-vous que dans peu de temps, je serai près de pouvoir y retourner.

Je vous embrasse bien affectueusement à tous. Votre petit soldat.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 22 janvier 1916

Bien chers parents

Une petite lettre pour vous dire que je suis en excellente santé et que je vous aime bien.

J'attends l’arrivée du facteur qui doit me porter une de vos lettres car voilà deux jours que je n'ai rien reçu.

Je me repose un peu aujourd’hui, je paperasse un peu chez moi et j'en profite pour vous envoyer ce bout de lettre.

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Il n'y a jamais rien de nouveau par ici. Nous connaissons si bien les habitudes de ces messieurs d’en face et eux les notre que tout se passe sans nous étonner et que tout prend un caractère de monotonie extraordinaire.

Vous vous étonnez si je vous écris de si petits mots. Je suis très occupé, je vais par boyaux et tranchées tout le temps de la journée et j'ai de l’ouvrage.

Le mal que je me donne produit bon effet car l’autre jour, le général de brigade m'a témoigné de sa satisfaction.

Je ne me jette pas de pierres dans mon jardin, certes, mais je vous raconte cela pour vous faire plaisir.

Je vous embrasse bien fort à tous.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 26 janvier 1916

Bien chers parents,

Voilà plusieurs jours que je vous promets une longue lettre. Je vais enfin pouvoir vous l’envoyer.

Je viens de recevoir une longue lettre de mon oncle Joseph. Il me remercie d’un petit objet que je lui ai envoyé d’ici par un permissionnaire allant à Onzain.

Vous lui avez écrit au sujet de mon désir d’entrer dans l’aviation.

Il vous a répondu je crois à ce sujet et je constate avec joie qu'il n'a pas les mêmes craintes que vous.

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Vous allez vous laisser convaincre je crois cette fois ci.

En deux mots, je vais vous dire ce qu'est la vie d’un aviateur sur le front.

De bon matin, s'il fait beau, son mécanicien vient le réveiller. L’appareil est prêt, il s'équipe puis s'envole. Deux heures de vol en plein ciel, une petite tournée au-dessus des boches. De beaux virages sur l’aile au nez ébahis des fantassins qui dans la tranchée attrapent un torticolis à le regarder. Sa mission accomplie de cette façon, il rentre au bercail. Son atterrissage en vol plané et c'est fait. Le mécano se précipite, aide l’aviateur à descendre et se charge de l’appareil pendant que le pilote va faire son compte-rendu au commandant de l'escadrille.

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Des jours on est bombardé, on est servi par les flocons blancs des shrapnels, d’autre fois si l’on descend trop bas, on met en colère les fantassins boches qui vous mitraillent. D’autrefois encore, si l’on est trop entreprenant, on se fait poursuivre par un avion adverse. Alors, c'est la jolie bataille à armes égales, un contre un. C'est celui qui a du cran qui chasse l’autre.

Tout cela, c'est s'il fait beau. Lorsque le temps est mauvais, personne ne sort, et c'est la grasse matinée dans un bon lit.

Le vol fait, le restant du jour, il est libre. L’aviateur lit, fait des math, cherche un truc nouveau pour sa machine.

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L’aviateur est le mieux soigné du corps d’armée, le plus admiré, parce qu'il est brave et que sa bravoure le montre en plein ciel.

Chers parents, maintenant que vous commencez à comprendre que l’aviation est la plus belle arme de l’armée, accordez-moi de plein grès ce que je vous demande avec tant d’insistance. Je suis sûr car je vous connais bien que si je réussi, vous serez bien fiers tout en me grondant fort. Je vous aime bien chers parents. Je vous adore. Accordez-moi ce que je vous demande.

Je vous embrasse bien forts à tous.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 30 janvier 1916

Bien chers parents,

Je me dispose à vous écrire une longue lettre, je crois que le vaguemestre me donnera le temps de la finir.

Je n'ai rien reçu depuis mon dernier mot que deux cartes de vous.

Avez-vous reçu une lettre de mon oncle d’Onzain. Il vous dit un mot je crois au sujet de mon désir d’être aviateur. Je ne lui ai pas écris de m'aider à vous convaincre.

Vous voyez que tout ce que je vous ai dit se confirme et est la pure vérité.

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L’aviation est la plus belle arme qu'il soit. Actuellement, être aviateur, c'est faire la guerre en dentelle, malheureusement, les places sont demandées, je voudrais bien réussir.

J'espère chers parents que vous avez chassés ces vilains chagrins que ma première lettre vous a causé.

J'ai reçu il y a quelques jours une lettre de Maurice Payie et une autre de Julien. Ce dernier est toujours auprès de de Salonique.

J'ai repris mes fonctions de pionnier bombardier, major de tranchées. Je continue à courir partout.

C'est mon plaisir, on s'ennuie fortement autrement.

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Soit certaine petite mère que je pense aux Bon Dieu et que si je vous ai envoyé ma première lettre qui vous a tant fâchée, ce n'est pas sans l’avoir consulté en moi.

Oubliez-vous la peine que je vous ai faites ?

J'ai bien souffert aussi lorsque j'ai reçu votre réponse. J'y pense souvent. Je voudrais être sûr que votre façon de penser à mon égard s'est modifiée.

Je n'ai plus le temps de vous écrire plus long. Le vaguemestre vient d’arriver, il ne m'apporte rien de vous. Seulement une carte de Denambride qui m'arrive maintenant.

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Je vous embrasse bien bien tendrement tous les quatre.

Prosper

Février

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Secteur postal n° 9, le 1er février 1916

Bien chers parents,

Le vaguemestre vient de me remettre votre lettre du 28. Petite maman, te voilà avec beaucoup de travail, repeindre toute la maison, c'est une besogne bien longue et bien ennuyeuse.

J'apprends avec plaisir que François a été aimable pour une fois. Je ne sais pourquoi il s'en va passer loin de Prats sa convalescence, est-ce qu'il aurait peur de se voir jeter la pièce.

Je vous en prie, ne songez pas temps à la côte 285. Elle n'en vaut pas la peine. Du reste nous n'y sommes pas.

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Vous avez lu que les parisiens sont de nouveau bombardés. Il parait que cela les laisse assez indifférents. Ils ne s'en font pas comme me disent les poilus. Dit-on les Zeppelins sont venus à trois reprises sur la capitale. Les avions de chasse les ont arrêtés deux fois.

Le temps s'est remis au beau, mais plus froid. Je n'en souffre nullement.

Vous vous rappelez sans doute du lieutenant Gibon, aujourd’hui capitaine ; il est prisonnier le pauvre. Son père m'a écrit pour que je lui donne des nouvelles du 313e.

Je vous quitte, je vous embrasse bien tendrement tous les quatre.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 9 février 1916

Bien chers parents

Je viens de recevoir votre carte du 4. Quelle grosse lessive vous avez dû faire. Je vous cela d’ici. Cela fumait, il y avait du linge blanc partout et il y avait dans l’air une bonne odeur de potasse.

Vous dites qu'il pleut chez vous, mais sur les sommets il y a de la neige. Ici, il fait beau, un peu de pluie mais pas de froid. Il y a des bourgeons pleins les arbres.

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Pour la pluie et les boue nous y sommes habitués et nous n'en faisons plus cas.

Vous ne me parlez plus de ceux de la Coste, est-ce que le fils a été reconnu bon par le conseil de réforme ou bien l’a-t-on laissé à ses parents ?

Est-ce qu'il ne fait pas froid dans les grandes pièces du bas ? Bonne-maman ne mange pas avec vous. La pauvre bonne-maman. Elle est bien vielle maintenant. Il faut la laisser faire à sa guise et ne pas s'inquiéter de ses dires. C'est une chère bonne chose.

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Je ne puis me faire à l’idée que dans un mois bientôt j'aurais le bonheur de vous revoir. Mes chers parents, excusez-moi de vous avoir causé du chagrin il y a quelques temps. Vous verrez, il n'y a pas de différence. Je voudrais bien qu'il y ait quelque chose à décider avant me seconde tour de permission. Est-ce que Valentin est allé en permission ? Je n'ai plus de ses nouvelles. Un de ses camarades que j'ai vu il y a 3 semaines m'a dit je crois qu'il était parti. Est-il monté à Prats ? Donnez-moi de vos nouvelles en détail.

Milles bises à vous tous.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 13 février 1916

Bien chers parents

Une petite carte. Je crois que je vais me fâcher, depuis quelques temps je ne reçois plus de petits mots de vous. Chère maman, tu as beaucoup d’ouvrage ou bien veux-tu faire comme moi et ne m'envoyer que quelques lignes en courant.

Rien de nouveau par ici. La guerre semble vouloir durer éternellement. Nous aurons plus de plaisir lorsque nous en serons débarrassée. Les gens se sont lassés d’en prédire la fin.

Je vous embrasse bien tendrement à tous.

Prosper

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Le 23 février 1916

Bien chers parents

Je vais vous écrire en hâte une petite lettre. Voilà plusieurs jours que je vous envoie de vilaines cartes jaunes avec deux mots.

Je suis en excellente santé et quoiqu'en dise les journaux qui sont plus heureux que nous, nous n'avons pas vu un seul boche. Du reste, s'ils sortent, ils seront bien reçus et trouveront chez nous un secteur où il y a du fil de fer et du travail de fait pour les arrêter. Ils n'iront pas bien loin.

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J'ai une petite minute aujourd’hui et j'en profite, de coutume je suis très pris.

Mon tour de permission approche. Je vous ai parlé du 15 ou 16 mars. Je ne me serais pas je crois trompé de beaucoup et j'irais vous voir vers cette date. Mais il ne faut jamais compter fermement sur une date en guerre. Ce qu'il y a d’extraordinaire, c'est que l’on puisse aller en permission. J'ai demandé à Montpellier mon autorisation de permission.

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Le vaguemestre vient de partir. Ma lettre ne pourra pas partir ce soir. Je vais faire de mon mieux pour qu'elle regagne le temps perdu.

Je vous embrasse bien tendrement à tous.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 26 février 1916

Bien chers parents

Quelques lignes sur une grande feuille, il ne faut pas vous faire de mauvais sang si la correspondance subit un léger retard, il faut imputer cela à ces messieurs d’en face qui sont d’une humeur massacrante et veulent faire un tour à notre droite comme vous avez pu le lire dans les communiqués. Ils y perdront beaucoup de monde sans réussir.

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Je vous embrasse bien tendrement à tous.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 29 février 1916

Bien chers parents

Vous devez être bien inquiet. Je viens d’apprendre que le courrier a été arrêté pendant trois jours. Pour vous dédommager de ce long retard, je vais vous écrire aussi longuement que possible. Les Allemands voudraient à tout prix terminer la guerre à leur avantage en nous prenant Verdun. Je crois qu'ils ne réussiront pas et que cet échec sera pour nous un brillant succès car il est à croire qu'ils feront de leur mieux.

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Il ne se passe rien de notre côté aussi, chers parents, vous pouvez être tranquille.

Je vous annonçais mon arrivée à Prats pour le mois de mars, vers le 16 ou le 17. Hélas, il faut patienter un peu et attendre que les boches se tiennent un peu plus calme. C'est un retard d’une quinzaine, d’un mois au plus.

Nous aurons tous plus de plaisir lorsque le moment de nous voir sera venu. D’autre part, les jours seront plus beaux, le printemps sera moche.

Vous me dites qu'il fait beau à Prats, tant mieux. Le mois de février est méchant, par ici, il neige et il gèle, mais cela n'est pas encore bien terrible. C'est l'hiver qui est honteux de partir sans nous avoir joué de vilains tours.

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Je vais écrire à Valentin. Il m'a envoyé un mot. Il semble s'être bien amusé en permission.

François Coderch prend je crois l’habitude de trouver des bonnes places. Vous devriez me faire parvenir son adresse. Lorsque j'irai en permission, si j'ai quelques heures à passer à Perpignan. Je pourrais aller le relancer.

Je crois que le vaguemestre est en train de faire son ballot. Je me presse pour qu'il emporte ma lettre.

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Je reçois vos lettres assez régulièrement. J'ai reçu vos colis des saucisses et gâteaux mais j'attends les mandarines que vous m'aviez promis. Est-ce qu'elles sont parties.

Je vous embrasse bien affectueusement à tous.

Prosper

Mars

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Secteur postal 9, le 2 mars 1916

Bien chers parents

Un petit mot bien vite griffonné sur mon cahier à ordres. Je viens de lire votre lettre du 16. Il n'y a rien de notre côté, ne vous faites pas de mauvais sang. Notre coin n'a jamais été aussi calme. Comme je vous le disais, les boches se sont cassé le nez sur Verdun. Ils ont voulu avaler d’un seul coup un trop gros morceau. Voilà qu'ils sont étranglés.

Je vous ai écrit avant-hier que les permissions seraient un peu retardées. Il ne faut pas vous affliger pour cela. C'est l’affaire d’un moment.

Cette offensive boche et son échec sont des choses qui contribuent énormément à raccourcir la guerre. Encore un peu de patience et tout ce grand bruit ne sera plus que dans le souvenir.

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Je vous plains beaucoup d’être à Prats au milieu de cette population si méchante, si hargneuse, si envieuse qui souffre plus du plaisir ou de la chance des autres que de ses propres peines et qui ne trouve d’allégement à son mal que dans la douleur des autres.

Vous êtes complétement isolés dans ce vilain Prats car il n'y a pas même parmi nos parents d’amis véritables pour vous. Seulement, chez parents, vous savez parfaitement vous abandonner à la volonté de Dieu et croire à sa bonté ce qui fait qu'il vous envoie l’aide de sa Sainte Grâce.

Je viens de recevoir une lettre de tante d’Onzain. Ces bons amis s'inquiètent de mon silence et réclament de mes nouvelles.

Je vous embrasse bien affectueusement à tous.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 3 mars 1916 – 18 h 30

Bien chers parents

Je tiens à vous écrire encore aujourd’hui pour vous rassurer parce que les boches et les journaux font beaucoup de bruit autour de nous. L’affaire a été chaude. Je ne sais si autour de Verdun cela est fini. Peut-être encore quelques petites tentatives mais le gros effort est achevé.

Je viens d’écrire à Tante Louise une longue lettre. Le pauvre oncle qui sent Verdun menacé par les Boches ne vit plus. Il voudrait retourner à son régiment. Jean doit bien souffrir en captivité. Les Boches n'ont sans doute pas manqué de raconter aux prisonniers que Verdun était en leur pouvoir.

Je continue mon service habituel. Je cours, je m'occupe dans le but de faire fuir le temps. En résumé les quatre mois qui se sont écoulés depuis ma dernière permission ont vite passé.

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J'ai encore présent à l’esprit mon voyage et mon séjour à Prats. Peut-être est-ce que ces impressions se sont fortement imprimées dans mon esprit. J'y avais tellement songé à l’avance que tout s'est passé comme une pièce longtemps répétée à l’avance.

Mon milieu n'a pas changé. Notre colonel est toujours le même à tous les points de vue. Nous nous faisons tous les uns aux autres si bien que la vie est plus facile.

J'ai songé fortement à rester dans l’armée à un moment. Il y a quelques jours j'ai été engagé à le faire par le colonel commandant de la brigade qui voulais que je demande ma titularisation dans l’active à titre définitif. Je n'ai pas voulu. Il aurait fallu que j'envoie ma démission aux Contributions Directes.

Pour l’aviation, j'ai fait une demande mais cela ne réussit pas, j'ai pourtant des camarades qui me font appuyer.

Je vous embrasse bien affectueusement à tous.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 7 mars 1916 – 8 h 30

Bien chers parents,

Encore un petit billet bien court pour vous éviter toute incertitude et toute crainte à mon sujet.

Un de vos petites cartes mauves m'est parvenue hier au soir m'apportant de vos nouvelles.

Rien de nouveau pour ma permission. J'ai mon autorisation pour Prats si bien que dix jours après l'ordre les rétablissant, je pourrais me mettre en route vers le pays.

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Depuis quelques temps, je n'ai pas de nouvelles de mes camarades, je m'en vais les rappeler à l’ordre.

Les colis postaux sont supprimés pour quelques temps.

Je vous embrasse bien affectueusement à tous.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 9 mars 1916

Bien chers parents

Je m'excuse bien fort de ne pas vous écrire plus souvent et surtout plus longuement puisque je sais que mes lettres vous font tant de plaisir.

Je voudrais aller en permission bientôt pour voir la situation à Prats. Je crains pour vous au point de vue des idées, ce milieu si facilement démoralisé et où l’on a vite fait de voir partout la trahison, la ruine et la famine.

Je ne me fatiguerai pas de vous dire pour contre-battre l’influence de cet entourage si triste pour nous que sur le front, le moral est excellent et que l'espoir est grand.

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Songez que les Allemands viennent de faire devant Verdun qui a résisté, un effort considérable qu'ils ne peuvent pas recommencer de bientôt, et que nous, au contraire, reposé de nos tentatives de Champagne, nous sommes bien près de faire une nouvelle poussée qui coïncide avec celle des Russes.

Comparons l’offensive allemande devant Verdun à l’affaire de Champagne.

Ils sont arrivés jusqu'à la limite des forts avancés. Ils bombardent Verdun mais ne peuvent rien faire de plus. Ils parlent d’un bombardement comme d’un fait extraordinaire, alors que Verdun, place forte d’arrêt était appelée à être bombardée et que la ville et la citadelle sont construites pour cela.

Verdun nous reste. C'est un saillant dans leur ligne, un coin, une place d’armes à quelques kilomètres de Metz.

Dans notre offensive de Champagne, nous avons été arrêtés, mais nous avons emporté comme eux la 1e ligne de défense et c'est une faute tactique et non matérielle qui nous a empêché de pousser plus loin.

Nous sommes à égalité comme force avec nos ennemis au point de vue du matériel et du personnel, nous avons l’âme plus haute et le moral meilleur, nous serons victorieux.

Depuis le mois de septembre devant le front de notre division une douzaine au moins d’Allemands se sont rendus en dehors des combats.

Ce sont de vrais déserteurs, des hommes démoralisés qui passent dans nos lignes.

Nous n'avons pas à déplorer dans le même front qu'un seul traitre, son action a été portée à la connaissance de tous par un ordre du général commandant le Corps d’Armée. Depuis c'est un fait unique pour trois divisions.

Il y a eu dix déserteurs allemands devant mon régiment. Je les ai vus. Rien ne leur manquait encore chez eux mais ils étaient malades moralement. Ils en avaient assez. Concluez maintenant !

Il suffit d’un rien pour porter la déroute parmi eux. Il n'y a qu'à tenir et attendre.

Les Allemands ont fait il y a un an, une poussée victorieuse sur le front oriental. On parlait d’ouragan irrésistible de feu. Nous attendions résolus la poussée qu'ils nous annonçaient. Nous étions émus par le devoir terrible qu'ils nous imposaient.

Ils ont attaqué. Ils n'ont rien ménagé pour triompher. Nos camarades et frères d’armes à notre droite on fait ce que tous nous voulions faire. A l’heure actuelle le triomphe est pour eux et nous pouvons espérer n'importe quoi sans crainte.

Je vous embrasse bien affectueusement à tous.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 9 mars 1916

Bien chers parents

Je vous ai envoyé bien vite une carte pour vous tranquilliser, vous êtes restés dix jours sans nouvelles à cause de l’agitation intense qui existe un peu partout et qui est causée par l’importance de l’action qui est engagée autour de Verdun. Mais ici, devant nous directement, il n'y a rien que la petite guerre habituelle que nous faisons avec nos voisins d’en face. Lutte de mines, lutte de bombes, grande activité de l’artillerie.

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Tout cela, c'est la monnaie courante et vous n'avez pas à y songer.

Je viens de recevoir une carte de Jean d’Antrechaux. Il rentre de permission. Il est allé à Bel-Abbes. Cela a dû lui faire une belle promenade. Avez-vous des nouvelles de la famille Moy. Je ne leur écris pas, je n'ai pas le temps, eux non plus comme de juste.

Je vais vous écrire une longue lettre pour vous dédommager des dix jours que vous avez passé sans en recevoir. Je voudrais bien que dans votre prochaine lettre vous me donniez des nouvelles… de chacun de vous. Ensuite, une seconde ligne de nouvelles des chats et de la ménagerie que vous élevez pour les immoler le jour de mon arrivée et qui se cela continue va se multiplier et croitre tant et si bien que vous serez obligés d’en sacrifier si vous ne voulez pas qu'ils vous mettent hors du logis. Avez-vous demandé des locataires pour l’été prochain et pensez-vous pouvoir trouver une famille qui soit bien et qui ne mette pas la maison au pillage ? J'appréhende de voir des étrangers logés au second.

Je n'y suis pas habitué et cela me semble comme une profanation. Ce logis du haut avec son ensemble de pièces et lié à tant de mes souvenirs de tout petit enfant.

Remarquez que je dis tout petit enfant et que je me considère comme un petit enfant pour vous. Je suis majeur c'est vrai. Pour tout le monde je le veux bien, mais pour vous, comme la guerre vous a pris presque deux ans sur les jours qui vous revenaient pour m'appeler enfant, je veux rester longtemps votre tout petit.

Je vous embrasse affectueusement à tous.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 19 mars 1916

Bien chers parents

Je n'ai que quelques secondes pour vous griffonner un petit mot.

J'ai fait une escapade hier dans la journée à la ville où j'étais déjà allé une ou deux fois. Il faisait un temps superbe. Ce fut une longue chevauchée. Je constate ce matin que le cheval ne me fatigue pas trop.

C'est un régal de galoper sous-bois.

J'ai reçu votre lettre portant l’annonce d’un envoi de gâteaux Maillard.

Je vous embrasse bien tendrement à tous.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 14 mars 1916

Bien chers parents

Un petit billet. Je reçois à l’instant votre carte du 10. Quatre jours seulement pour venir. Vos lettres sont retardées mais par contre les vôtres arrivent vite.

Je vais très bien. Il fait beau depuis deux jours, c'est le printemps. Jamais je n'avais éprouvé tant de plaisir à sentir un air tiède, à voir du soleil, à marcher sur du sec, à entendre les oiseaux chanter.

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Peut être que ce printemps verra la fin de la guerre. Qui sait ? Je crois que côté des Boches et ceux qui vont avec eux, il y a beaucoup de lassitude.

Je vous embrasse bien tendrement à tous.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 19 mars 1916

Bien chers parents

Communiqué de dimanche 19, 15 heures : situation inchangée, rien à signaler. Tel est mon petit communiqué officiel.

Il fait beau, délicieux. Le soleil est radieux et chaud comme en plein été. Le fond de l’air est tiède, dans 10 jours il y aura des feuilles. Voilà le 2e printemps que je vois arriver sur le front. Il fait délicieux de vivre en plein air quand il fait si bon. Je ne sais comment je ferais s'il me fallait brusquement me voir enfermer.

Je vous embrasse bien affectueusement à tous.

Prosper.

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Secteur postal n° 9, le 22 mars 1916

Bien chers parents

Je viens de recevoir votre envoi, tout est presque dévoré. Le tout était excellent.

Vous ne devez pas vous inquiéter en recevant si peu de lettres, vous voyez bien que La Poste s'amuse à les amasser avant de vous les donner.

Vous me dites que Valentin est… avez-vous son secteur postal ?

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Je vous ai demandé dernièrement l’adresse de François pour qu'en passant à Perpignan j'aille un peu le sortir de son trou et lui faire voir un poilu du front.

Je vous embrasse bien fort à tous.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 25 mars 1916

Bien chers parents

Rien de nouveau, je vais très bien. J'ai reçu les artichauds qui sont arrivés très frais. Je me suis régalé, seulement le colonel ne les aimant pas, j'attendrais d’être en permission pour en remanger.

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Je vous écrirai plus longuement ce soir.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 27 mars 1916

Bien chers parents

Un petit brouillon comme d’habitude pour vous tenir en haleine et vous faire attendre ma permission. Aujourd’hui pour moi, un peu de nouveau, je descends pour la journée vers les cantonnements de repos. Cela va faire une promenade à cheval qui va me changer.

Je vous ai écrit bien vite un petit mot. Je crois me rappeler maintenant que j'ai laissé passer deux jours sans vous donner signe de vie. Pardonnez-moi, je vous dirais pourquoi lorsque j'irai vous voir. Cela n'est pas relatif à notre secteur.

Je vous embrasse bien affectueusement.

Prosper

Citation, à l'ordre du Régiment le 31 mars 1916

Fait preuve en toutes circonstances d’une activité et d’une ardeur inlassables dans le service et l’organisation des mortiers de tranchée. S'acquitte avec la plus grande compétence et le plus entier mépris du danger des missions délicates.

Le 26 mars 1916 a aidé sous les bombardements à transporter son chef de corps blessé grièvement.

J.M.O. : 8 avril 1916 – Au cours d’une prise d’armes aux abris Baudot, le lieutenant-colonel Meurs remet la Croix de guerre au sous-lieutenant Tailleur commandant le peloton des sapeurs-pionniers-bombardiers (cité à l’ordre du régiment n° 158);

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Avril

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Secteur postal n° 9, le 1 avril 1916

Bien chers parents

Je ne vous ai pas envoyé le moindre petit bout de lettre hier.

Je veux me faire pardonner aujourd’hui non pas en vous envoyant une longue lettre mais en mettant de nombreux baisers dans ce billet.

Aujourd’hui 1er avril, c'est le printemps bien sonné. C'est le beau temps à Prats. Profitez en chers parents. Papa va pouvoir ressortir et faire de petites promenades.

Le jardin de bonne maman doit être plein de bourgeons et elle doit surveiller avec intérêt le temps et craindre des gelées tardives.

Ici, il y a de belles journées, jamais je n'avais éprouvé tant de plaisir à voir arriver le printemps. La boue va disparaître.

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Vraiment, je crois que la guerre nous aura montré à beaucoup, comment étant la nature, en nous forçant à vivre dehors toujours sous le ciel.

Nous savons vivre la vie du trappeur.

Je ne voudrais pas que vous vous fassiez du souci. Que voulez-vous, la guerre est dure cruelle mais l’on s'y fait si bien.

Ainsi je vais vous citer un exemple. Dans notre cantonnement de repos où je ne vais jamais (c'est mon emploi qui veut cela et c'est sans importance) les Boches envoient de grosses marmites, si grosses qu'une seule démolit complétement une maison.

Dans ce village, mes camarades vont s'installer, ils sont heureux d’y trouver un bon lit et des maisons vides de civils, à leur disposition. Ils sont très à l’aise.

Ils sont tous fait aux obus et si bien habitués que dans ce petit village grand comme Prats ils vivent leurs meilleurs moments dans le coin qui n'est pas encore démoli et où il reste des maisons. Supposez qu'ils habitent notre maison à Prats et que les obus démolissent les maisons de la petite place. Ils se disent : cela tombe à côté, peu importe.

Ils resteront la jusqu'à ce que l’ennemi change son tir et leur envoi des projectiles sur leur demeure, alors ils changeront de maison et irons habiter dans une autre puis lorsqu'il n'y aura plus de maisons, ils descendront dans la cave. Quand Il n'y aura plus de caves. Ils se construiront avec les charpentes des maisons démolies une guitoune dans le sol.

En attendant cela, ils font la grasse matinée. L’un de mes amis me disait que le tir était bien ennuyeux. Il lieu le matin à huit heures.

Cela bien entendu ne l’empêchait pas de rester dans les draps bien tièdes et de paresser jusqu'à neuf heures.

Les Boches eurent un jour la mauvaise idée de placer un obus dans le jardin de sa maison. Ce jour-là, il sortit précipitamment de son lit, mit sa capote sur sa chemise, prit ses souliers à la main et descendit à la cave. Il était 7 heures. Comme il s'était promis de dormir jusqu'à 8 heures où il prenait son service et qu'après cet obus les Boches en envoyèrent d’autres qui tombaient de l’autre côté de la rue, derrière les maisons, il reprit sa grasse matinée et ne fut plus dérangé.

J'ai bavardé bien longuement aujourd’hui. Je vous embrasse bien affectueusement à tous.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 5 avril 1916

Bien chers parents

Je n'ai que quelques minutes pour vous écrire un petit bout de lettre. Je viens de recevoir votre lettre du 1er avril.

En effet, il pleut ici, mais ce n'est pas grand-chose et puis nous sommes suffisamment entraînés par deux hivers pour supporter les giboulées d’avril.

Je vois d’ici les gens de Prats privés de pain. Ce qu'ils ont dû crier et récriminer de monde. Je suis sûr que toutes les sommités politiques et surtout militaires ont été rendues responsables de ne pas avoir pensé au ravitaillement de Prats, la capitale du Haut-Vallespir.

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Ne généralisons pas ce petit incident causé par la faute de quelque scribouillard de l’intendance ou de la préfecture pour croire que les choses vont mal.

Je sais que vous n'y songez pas un instant cher parents. Mais ceux qui vous entourent, avec leur égoïsme et leur esprit borné voudront vous le faire croire. C'est pour cela que je vous mets en garde.

Nous ne manquons de rien sur le pont. Et je n'ai pas entendu dire dans le régiment que la chose se soit produite dans un autre lieu.

Nous sommes au contraire très bien ravitaillés. Mieux certainement qu'en temps de paix si je peux en juger avec mes quelques mois de caserne que j'ai vécu.

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Voilà longtemps que je n'ai pas écrit un mot à Onzain. Je vais le faire un de ces jours.

Je vous quitte, bien affectueusement à vous tous.

Prosper

Mai

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Secteur postal n° 9, le 2 mai 1916

Bien chères maman, bonne-maman et tata

Mon petit mot journalier pour vous assurer que je suis en bonne santé et que j'ai un excellent moral.

Les jours passent très vite parce qu'ils sont employés jusqu'au bout, mais les mois coulent lentement parce qu'on est loin de la maison.

Est-ce que le temps à Prats vous permet de faire de longues promenades ?

Je suis heureux pour les gens de Prats que les récoltes de pomme de terre s'annoncent bien.

J'ai fait des photos que je vous enverrai demain pour vous distraire. Je crois qu'elles seront bonnes.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 9 mai 1916

Bien chère maman

Je profite du départ d’un de mes camarades qui va en permission pour lui confier une lettre qu'il déposera à Paris et qui aussi arrivera plus vite.

J'ai reçu ta lettre. Se peut-il que la mienne ait mis huit jours pour vous parvenir. Le service postal aux armées ! … toujours le même.

Depuis quelques temps sur le front, l’on voit apparaître toutes sortes d’insignes. Ces sont maintenant les brisques qui font fureur.

Brisque

Cette expression, passée dans le langage courant à l’issue de la Grande Guerre, vient du mot brisque, un galon en forme de V renversé cousu sur la manche du soldat.

En 1916, l’Armée française attribue les brisques selon le temps passé dans la zone des armées.
Sur la manche gauche, le premier chevron correspond à une année ; chacun des chevrons suivants correspond à six mois de présence supplémentaire. Les chevrons cousus sur la manche droite indiquent le nombre de blessures de guerre. Les brisques prouvent donc l’expérience d’un soldat.

Plus il y a de brisques, plus le soldat est expérimenté, chevronné… il est un vieux briscard.

Cf. Journal Officiel de la République Française du 28 juillet 1916

Source :

En voici la réglementation : un an de front donne droit à une brisque, les six mois suivants donnent droit à une brisque et ainsi de suite.

Elles se portent sur le bras gauche, sur le bras droit on porte autant de brisques que l’on a reçu de blessures.

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Dans dix jours je vais avoir droit à deux brisques.

Aujourd’hui de plus j'ai bien failli avoir droit à une brisque à droite car une balle de shrapnel est venue me frôler le menton, me cassant à demi une dent et me fendant la lèvre intérieurement. Le tout n'est pas assez fort malheureusement pour que je fasse coudre la brisque !

Je suis heureux car quoique qu'insignifiante, cette écorchure est ma première blessure. J'étais honteux d’être à la guerre depuis dix-huit mois sans avoir encore versé une demi-goutte de sang.

J'en ai versé aujourd’hui une dizaine de gouttes.

Me voilà sacré vieux soldat.

Je vous quitte, je dois continuer mon travail.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 15 mai 1916

Bien chère maman

Je suis arrivé sans encombre. Je reprends le collier. Je vous écrirai longuement ce soir.

Bien tendrement à vous trois.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 16 mai 1916

Bien chers parents

Je vous ai promis hier une longue lettre. Je n'ai pas pu la faire hier soir. Je profite maintenant d’un instant de liberté pour vous écrire. J'ai fait un long voyage, tout s'est passé comme je vous l’avais dit, sauf à Paris où j'ai dormi toute la nuit d’avant-hier. J'ai tout retrouvé ici dans l’état ancien, j'ai repris mon travail.

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La besogne est aussi lourde qu'avant. Je vais m'acharner au travail pour tuer le temps. Il fait beau. La forêt est plus splendide qu'avant. Les Boches sont restés les mêmes.

J'ai retrouvé mes camarades qui m'ont fait comme l’autre fois un excellent accueil, bien réconfortant et nécessaire lorsque l’on retourne dans ce drôle de pays.

Je ne vous cache pas que j'ai des idées plutôt moroses, que voulez-vous ! Il faudrait s'étonner s'il en était autrement.

Je vous fais une lettre dans un style tout décousu mais vous m'excuserez.

Je vous écrirai aussi longuement que cela me sera possible, pour aujourd’hui, je ne vais pas vous en dire bien long. J'attends un officier du génie avec qui j'ai énormément de travail. Nous allons mettre un peu d’ordre dans les travaux, et surtout un peu d’ordre dans mon esprit parce qu'actuellement je nage complétement.

Je suis arrivé hier matin après une course à cheval. J'ai trouvé une excellente monture en arrivant à la gare. C'est un capitaine qui partait en permission qui me l’a confiée si bien que j'ai pu chevaucher grand train jusqu'à mon poste.

Je vous quitte, je mets dans ma lettre des billets que je ne puis utiliser ici et que j'ai oublié dans mes poches.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes trois.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 20 mai 1916

Bien chère maman

Je vais vous écrire un billet un peu plus long que de coutume : j'ai repris mon travail qui m'absorbe entièrement. Cela me fera passer les six mois qu'il me faut attendre pour vous revoir.

J'ai mis cette fois beaucoup de temps pour me plier à cette vie du front. Pendant plusieurs jours je me suis surpris distrait et occupé à revivre les instants qui j'ai passé auprès de vous.

J'ai reçu une seule lettre de vous, une longue lettre, chère maman, il faut vous distraire un peu par de longues promenades journalières. Qu'importe les gens de Prats. Il faut les laisser dire. Vous avez fait toutes deux pour notre cher papa tout ce que vous pouviez faire avec un amour que j'admire sans vous soucier des coutumes du pays. Faites-le pour moi qui voudrait vous conserver longtemps et qui suis inquiet de vous savoir fatiguées.

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Le régiment pendant mon absence a continué de mener sa vie de tranchée, de mes camarades ont été évacués, entre autres le capitaine Soutif qui est tombé malade.

Certains des vieux sont partis dans d’autres régiments territoriaux, d’autres sont arrivés. Le régiment ressemble à un vase où l’eau entre par un point et s'échappe par un autre. Il y en a qui passent vite, d’autres qui restent longtemps comme moi qui y deviens un ancien.

J'ai reçu une lettre de Jean d’Antrechaux qui est sous-lieutenant et une de madame Gillet.

Je vous quitte en vous embrassant bien bien fort à toutes trois.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 23 mai 1916

Bien chères mamans

Je viens de faire une longue tournée en ligne pour mon service qui devient de plus en plus absorbant, mais ce soir je peux profiter de tout mon temps pour écrire.

J'ai plusieurs lettres à faire qui sont en retard. Il ne serait pas convenable d’attendre plus longtemps.

Voilà huit jours que je suis rentré de permission. Il me semble qu'il y a plus de cent jours. Cette semaine n'a pas voulu couler

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Je me suis ennuyé ferme quoique m'occupant à tout instant. Et vous chères mamans, vous devez être bien tristes toutes seules. Est-ce que vous sortez souvent ? Le temps vous permet-il de faire de longues promenades. Ici il fait beau, très chaud déjà. La canonnade gronde encore à notre droite, les Boches attaquent toujours autour de la côte 304. Ils se… Ici, ils sont paisibles, plus paisibles que je ne les ai jamais vu depuis longtemps ; ils doivent maintenant économiser leurs projectiles.

Nous nous tenons ferme. Il y a en face de moi dans le coin une batterie qui me brise les oreilles.

Il fait chaud, déjà et l’on est heureux d’être sous les bois. La forêt est superbe, les feuilles déjà nouvelles forment une ombre épaisse. Chose curieuse, il y a des oiseaux qui chantent à tue-tête malgré les décharges d’artillerie.

Il suffit pour supporter les choses une grande habitude. Je n'ai plus de papier. Un cycliste envoyé hier pour m'en apporter s'est cassé la figure dans une descente rapide. Je vais attendre une autre occasion.

Je vous embrasse bien affectueusement.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 26 mai 1916

Bien chères mamans

Je suis resté je crois deux jours sans vous écrire. Pardonnez-moi. Je vais aujourd’hui pour vous dédommager vous en écrire quatre pages.

Il pleut, je ne puis sortir pour courir, j'en profite.

Voilà l’emploi de ma matinée : service de la bombarde. Comme j'ai des emplois multiples, je consacre à tour de rôle une matinée ou une journée à chacun d’eux.

Ce matin, j'ai fait le bombardier. J'ai mis avec mes fidèles poilus un nouveau canon de tranchée en batterie. Un canon superbe, un vrai bijou. Je pourrais avec lui lancer 20 bombes à la minute. Pauvre Boches, qu'est-ce qu'ils vont prendre.

Je vais faire avec mes pièces du tir au lapin ; voilà en quoi il consiste.

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Nos aviateurs nous donnent les photographies des tranchées ennemies. Etudiées à la loupe, ces photos me rendent l’emplacement des abris, des croisements de boyaux ou de tranchées. Je règle ma pièce sur un point du secteur ennemi facile à repérer sur le terrain et sur la photographie, cela fait avec les éléments de ce tir et des mesures d’angles sur l’épreuve photographique, je puis tirer à coup sûr sans observation, sur n'importe quel point. Par conséquent sur les entrées d’abris et les croisements de chemin. Cela fait, j'attends un jour ou les Boches travaillent ferme et remuent force de terre. Je tire sur eux avec un vieux canon une rafale de projectiles, cela a pour effet de les faire courir vers leurs abris mais c'est là que je les attends et mes pièces de précision pointées ouvrent le feu aussitôt sur les entrées.

C'est ce qui s'appelle faire du tir au lapin.

Il faut bien que l’on s'amuse un peu sur le front.

J'espère recevoir une lettre de vous aujourd’hui.

Je vous embrasse bien affectueusement.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 28 mai 1916

Chère maman, chère bonne-maman, chère tata

Je viens de savourer le dernier bout de saucisson. Ils étaient excellents. Je ne sais pourquoi, je les ai trouvés meilleurs que ceux que je vous ai dévoré à la maison.

Attendez quelques temps pour m'en envoyer et surtout, mangez-en.

Tu me parles de papier à signer. Envoie-le, cela lui fera prendre l’air du front.

Le bois est hors de prix ; réserve les chênes de La Coste, ils vaudront de l’or.

As-tu commandé au Bon Marché ma plaque d’identité ?

Je viens de recevoir une longue lettre : ne vous inquiétez pas lorsque mes lettres mettent du temps. Souvent au moment de vous écrire je suis forcé de monter en ligne ou de faire exécuter un travail qui réclame ma présence.

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Je voudrais vous écrire plus souvent. J'ai reçu des cartes de condoléance de la direction de Montpellier.

Dans notre coin, rien de changé. Je me suis amusé ce soir à faire du tir. La chose est moins couteuse qu'en temps de paix. Il suffit d’aller en ligne et on s'exerce sur des silhouettes mouvantes.

Dans un coin, bien à l’abri, caché on attend à l’affut du gibier.

Poil de carotte, la jumelle à l’œil, on observe tous les coins, si bien que l’on finit toujours par découvrir un passage de Boches.

On les voit qui travaillent, soit à réparer leur tranchées ou à transporter des sacs de terre. Avec un fusil spécial à lunette on vise fin et souvent on a la chance d’en envoyer un passer quelques mois de convalescence chez lui, à moins que l’on ne lui ouvre le paradis de leur vieux Bon Dieu. Tout cela, ce n'est pas leur vouloir du mal !!!

Je vous écrirai aussi souvent que possible.

Je vous embrasse bien affectueusement à toutes. De gros baisers pour ma petite maman de son petit.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 31 mai 1916

Bien chère maman, chère bonne-maman, chère tata

J'ai reçu votre lettre du 26. Je ne suis plus triste. A mon retour de permission, j'ai traversé un mauvais moment comme cela arrive à tout permissionnaire, mais maintenant je suis de nouveau dans le mouvement. L’accoutumance est refaite et la vie au front, si bizarre, si dure et si gaie, si longue et si courte avec un nouvel entrain parce que l’on songe à la nouvelle permission.

Je n'ai pas pu vous écrire hier le soir à la lampe, comme si j'étais dans ma chambre d’étudiant à Montpellier. Je vais employer quelques instants à vous entretenir.

Mon camarade de guitoune dort déjà. Le front est calme sauf à droite où le canon tonne fort. Il a commencé à 7 h et il ne cesse pas. Avant-hier, il a tapé toute la journée.

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Nous avons eu aujourd’hui la visite d’un ancien camarade de la 24e. Le lieutenant Signol dont je vous ai certainement parlé. Nous avons visité le secteur ensemble. Nous étions heureux de nous retrouver. Nous étions trois camarades à la 24e. Il est passé dans un régiment voisin où il commande une compagnie.

Je ne sais pas si je vous ai dit que notre colonel était en permission. Nous sommes heureux, lorsque le chat n'y est pas… !

Valentin à Fontainebleau n'est pas prodigue de lettres. Il doit sans doute avoir de nombreuses occupations.

Je vous quitte, mille et mille bons baisers à tous.

Prosper

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Juin

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Secteur postal n° 9, le 6 juin 1916

Bien chère maman

Un tout petit mot pour vous distraire et pour te dire que je suis toujours en excellente santé.

Nous sommes toujours au contact de nos adversaires mais si de notre côté nous ne faisons rien, nous venons d’apprendre avec une grande satisfaction qu'il n'en n'est pas de même sur les autres points du secteur du grand champ de bataille. Nous avons la nouvelle officielle que les Russes viennent d’agir sérieusement en un point et de faire 13 000 prisonniers.

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D’autre part, le bruit qui avait couru que des navires de guerre allemands avaient dû après la bataille navale du Jutland se réfugier dans les eaux neutres est confirmé. Les Anglais pour une fois ont fait du bon travail. J'espère qu'ils y prendront goût et que tout le monde de concert nous pousserons hors de France cette vermine Boche.

Avec des coups si rudes de part et d’autre, la guerre ne peut pas durer bien longtemps.

J'ai reçu aujourd’hui une lettre de Valentin qui se dispose à aller en permission et qui a l’intention de monter vous voir à Prats.

Je cours à mon travail.

Je t'embrasse bien tendrement aussi qu'à tata et bonne-maman.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 10 juin 1916

Bien chère maman

Je vais essayer de t'envoyer une longue lettre. Je dis que je vais essayer car je ne sais pas si les besoins de service ne m'obligeront pas à l’interrompre brusquement encore une fois.

Il pleut. Nous devons tous être bien méchants que le Bon Dieu déverse ainsi sur nous tous tant d’eau dans une saison ou il a coutume au contraire de nous délivrer le soleil à flots.

Voilà déjà un mois que je vous ai quitté, si les tours de permission n'étaient pas interrompus, je pourrais vous revoir dans trois mois. Mais il ne faut pas faire des projets à la guerre.

Je crois vous avoir raconté que j'avais mordu un éclat d’obus. Il n'y parait plus. Les Boches voulaient peut-être me plomber une dent creuse que j'ai dans la mâchoire et on pourrait s'abriter pour le moins deux…

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Est-ce que Valentin est allé vous voir ? C'est une veine cela d’avoir des cours et des permissions de ce genre.

Avec-vous reçu des lettres en réponse aux faireparts qui me soient adressées ? Celle de Maurice entre autres ?

Le vaguemestre vient d’arriver, rien, voilà deux jours que je ne reçois rien. Avez-vous songé à me commander ma plaque d’identité au Bon Marché. La mienne vient de se briser.

Nous recevons tous les jours communication des succès Russes, cela donne bon espoir et pour le montrer aux Boches, la fanfare du régiment va nous jouer ce soir à notre poste les meilleurs morceaux de son répertoire.

Je vous embrasse bien affectueusement à tous. Bons et doux baisers pour ma petite maman.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 13 juin 1916

Bien chère maman

C'est aujourd’hui que je dois t'écrire une longue lettre. Je la commence comme d’habitude sans savoir si j'aurais le temps de la terminer.

Il faut toujours un temps abominable qui nous laisse inactifs de part et d’autre. On ne tire guère plus de quatre coups de canon dans toute la journée.

Il n'y a rien de plus ridicule que cet état de guerre, sans engagement fréquents. On vit sous la menace de mille dangers sans que l’esprit en éprouve la moindre gêne, si bien que peu à peu, tout le monde se relâche et semble oublier la raison de cette vie extraordinaire que nous vivons tous.

Les hommes veulent oublier eux les premiers qu'il y a combat et j'entendais hier un homme de corvée se plaindre que son fusil le gênait et qu'il aurait mieux fait de le laisser à son abri.

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On arrive à voir des choses extraordinaires, ainsi, tous les soirs en me couchant, je m'efforce de m'appliquer à penser que je suis à une portée de fusil de nos pires ennemis, sans cela, en me glissant dans ma capote qui me sert de robe de chambre ou de pyjama – j'ai toujours envie d’avoir un avion – en me mettant des pantoufles. Je suis plutôt disposé à croire que je continue à préparer me licence en droit, du reste, à mes moments perdus, je lis des bouquins d’économie politique ou de philosophie et cela aide énormément mon esprit à faire des embardées folles hors de la réalité journalière.

J'attends le vaguemestre qui aujourd’hui, je suis sûr, me remettra une lettre de vous.

Je suis en excellente santé et avec un moral parfait quoique sans mentir, je voudrais bien pour tous et pour la France que la guerre finisse.

Je vous embrasse bien affectueusement à tous. Petite mère de bons baisers bien gros.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 15 juin 1916

Bien chère maman

Je crois que pour cette foi, les Russes sont lancés à toute vitesse à la poursuite des Autrichiens et qu'ils ne s'arrêteront pas facilement. De plus, ils menacent de donner un fameux coup de patte aux Boches. Si cela continue, nous réussirons bien par prendre l’Allemagne à la gorge. Enfin, ayons grande confiance

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Je voudrais bien que l’on se donne de l’air de notre côté. Cela changerait un peu les idées et nous donnerait le temps d’attendre patiemment le tour de permission. Je ne reçois plus rien de Jean d’Antrechaux, est-ce qu'il vous a répondu au fairepart ? Il va falloir que je relance tout le monde.

Je lis dans vos lettres que vous ne faites pas encore beaucoup de promenades. Je vous en prie, je veux qu'à ma prochaine permission, vous soyez entrainées et capables de m'accompagner à la Tour du Mir ou au Canigou.

L’histoire du chien de M. Dabadie m'a beaucoup amusé. Je crois que cet animal les fait courir plus d’une fois du côté de Montferré. Ils vont devenir avec ces courses, la risée de Prats.

Je cours toujours par monts et par vaux. Je trouve toujours parmi les autres officiers d’excellents camarades, cela vous réconforte et grâce à la franche camaraderie qui règne entre tous nous passons d’agréables instants.

Dans mes tours dans les tranchées, je vais visiter les postes de commandement et c'est pour moi l’occasion de picoter quelques bons chocolats et de disserter sur les événements du front.

Je vous embrasse bien tendrement à tous. De bons baisers pour ma petite maman.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 19 juin 1916

Bien chère maman

Je reçois à l’instant le paquet de bonnes choses que vous m'envoyez. Je ne m'y attendais pas et la surprise a été très agréable pour moi. Je vous remercie. Je viens de manger des croquettes au chocolat et le docteur qui vient de venir causer cinq minutes avec moi en a mangé deux parce qu'il est très gourmand.

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Je t'écris en profitant de quelques minutes entre le départ de deux de mes corvées de travailleurs. J'ai toujours énormément de travailleurs. Je m'occupe de tout dans le secteur et tout le monde se repose sur moi. Ce n'est pas une sinécure que le majorat de tranchée. Je ne me plains pas, cela fait courir les heures et les journées. Heureusement, je suis bien compris par mes camarades qui acceptent bien mon intervention et la réclame même quoique souvent elle soit un peu tyrannique de ma part car je veux tout voir et tout savoir pour ce qui concerne la défense de notre coin.

Entre deux phrases, je n'ai pas pu résister à la tentation de couper une tranche de saucisson et la manger sans pain. Ils sont parfaits, excellents. Ils font la goutte.

La conduite des gens de Prats vis-à-vis de monseigneur ne m'étonne pas. Ils seraient, je crois, bien capables de faire plus mal mais ils n'osent pas ; pourvu que rien jamais ne les pousse et ne les excite. Ce sont de drôles de gens qui se sont laissés tromper. Les plus coupables sont ceux qui les leurrent.

Le saucisson est excellent, j'en prends une nouvelle tranche !

Le temps s'est enfin mis au beau. J'espère que c'est le beau fixe. Il fait délicieux. Je crois que le Boche séchera et que nous ne le verrons qu'à l’hiver prochain dans un autre lieu, je souhaite fort.

J'ai reçu une carte de Julia qui est toujours à Salonique. Il est très gentil.

J'ai répondu à toutes vos lettres. Je t'embrasse bien tendrement ainsi qu'à tata et bonne-maman. Ton petit soldat d’Argonne.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 24 juin 1916

Bien chère maman et chère tata

Je vous remercie de vos vœux de bonne fête. Sur le front, on ne songe guère à se souhaiter bonne fête. Ce n'est que par les chers parents que l’on a laissé à l’arrière que l’on a l’écho de ces vielles choses qui font passer de si agréables journées sous le toit familial.

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Je me rappelle beaucoup de ces jours par de petites choses qui m'ont fait plaisir et qui les ont enracinées dans ma mémoire.

Je ne sais si l’année prochaine je serai auprès de vous. Je le souhaite ardemment.

Notre vie est toujours la même, passive depuis que nous sommes sur la défensive mais active et acharnée parce que nous faisons tout en vue de cesser cette lente, stérile et énervante vie de garnison dans le plus effroyable pays qui se connaisse.

Je n'ai nullement le cafard, nous sommes tous très gais avec un moral excellent mais nous le serions encore bien plus si nous pouvions faire un peu de chemin et pousser un peu tout le troupeau devant nous.

L’été est arrivé, hier pour la première fois il a fait très chaud. Le temps qui est si long semble passer vite. Nous avons été tous très étonnés, au fond, de constater que nous étions en plein été.

Du reste la chose était plus qu'évidente le soir, car pour terminer la journée d’ange chargé de l’arrosage dans notre secteur a ouvert les vannes en grand. Dieu que d’eau, que d’eau. Il est à croire que surpris par l’été avec ces bassins pleins il a voulu liquider d’un coup. Qu'il fasse attention après avoir si souvent tous failli mourir par le feu, nous avons bien cru que nous serions noyés.

Je vous embrasse bien affectueusement à tous.

Prosper

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J.M.O. 25 juin 1916 – Le sous-lieutenant Tailleur (24e compagnie) passe à l’E.M. du Régiment comme porte-drapeau tout en conservant le commandement du peloton des sapeurs-pionniers-bombardiers.

Juillet

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Secteur postal n° 9, le 1er juillet 1916

Bien chère maman

Je suis en excellente santé, je n'ai que quelques minutes pour t'écrire.

Je vous ai envoyé dernièrement un colis d’effets. Je crois de l’avoir déjà annoncé.

Je vais aller au repos pour huit ou dix jours, cela dans neuf jours.

Je suis tout joyeux d’y passer, je vais faire du cheval.

Je t'ai déjà demandé de me faire envoyer une plaque

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J'ai reçu une lettre d’Onzain. Ils sont en excellente santé. Je t'embrasse bien affectueusement ainsi qu'à tata et bonne-maman.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 3 juillet 1916

Bien chère maman

Je ne vous ai pas envoyé de longue lettre depuis bien longtemps. Je vais, aujourd’hui, profiter de quelques instants de repos pour vous raconter des histoires.

Des histoires du front vous les connaissez déjà toutes, les journaux se sont depuis longtemps plu à tout écrire, souvent avec des exagérations monstres.

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Le secteur est calme. On a l’impression que nous nous regardons en chien de faïence en attendant que l’affaire se liquide à droite.

Nous nous distribuons des coups comme de coutume, mais, sans exagération, lorsque l’on commence, l’autre répond régulièrement, avec usure, alors c'est une journée chaude, la nuit arrive, tout se calme. Le lendemain l’on recommence ou l’on se repose.

La lutte est déclenchée à gauche. Cela n'arrête pas la canonnade à droite. Pendant que je vous écris, j'entends le grondement de Verdun qui domine le bruit de notre secteur.

Ce doit être nous qui attaquons maintenant que les Boches sont accrochés à Verdun, nous les y tiendrons

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Comment avez-vous appris que Jean d’Entrechaux était blessé ? N'avez-vous pas son adresse. Il était sous-lieutenant.

J'ai répondu à tante Louise qui me demande des nouvelles de Valentin. Ils ne savent rien. Est-il sous-lieutenant ? Je le crois. Vous qui allez le tenir pendant quelques instants, dites-lui que je le félicite bien. Je ne sais plus où lui écrire et tante Louise est comme moi.

Je vous avais demandé de m'envoyer une plaque d’identité, je n'en ai plus et il est réglementaire d’en porter. C'est aussi plus prudent. Faites-moi fabriquer celle que nous avions choisie sur le catalogue.

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Il ne fera pas chaud cette année. Je n'ai jamais vu un été semblable. Il ne fait que pleuvoir. On n'est plus sûr du temps qu'en plein mois de décembre.

Rien n'est changé dans le régiment. J'ai toujours un travail intense de plus en plus pour la question des travaux de défense. Le colonel se repose sur moi. Avoir la direction de tout ce que peut entreprendre un régiment n'est pas une sinécure.

J'ai obtenu quelques jours de repos que je prendrais je crois avant le dix du mois.

Je vous aime à toutes les trois et je vous embrasse très fort.

Le petit soldat qui embrasse bien affectueusement sa maman.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 9 juillet 1916

Bien chère maman

J'ai reçu le bracelet plaque d’identité que tu ne m'avais pas annoncé et que le Bon Marché m'a expédié. Il est très bien. Je suis très content et te remercie d’avoir satisfait ma fantaisie.

Je ne vous ai pas écris depuis deux jours. Je n'avais pas le temps. Et puis je vous aurais raconté des histoires idiotes, j'avais le cafard. C'est le temps pluvieux qui me vaut cela. Aujourd’hui, le tout est passé.

Je vous ai annoncé dernièrement un repos pour moi. Je le retarde un peu, pour être plus libre ensuite et le prendre plus long.

Le 11, 12 et 13 je vais faire partie d’un jury de concours. Ce n'est pas une course en sac ni une course à âne. La date du 13 juillet pourrait le faire croire. C'est comique, en pleine guerre, faire des concours !!!

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C'est un concours de grenadiers et de pionniers, le plus net pour moi dans l’affaire c'est que je vais pouvoir faire une promenade à bicyclette et peut être une à cheval.

Je vais te priser de m'envoyer un bouquin : La littérature française par Lauson, c'est un de mes livres du baccalauréat. Tu le trouveras avec mes autres bouquins.

Je suis lassé de faire des lectures insignifiantes lorsque j'ai le temps d’en faire. Je vais faire un peu de littérature française, c'est une matière que j'ai toujours un peu négligée et que me permettra de passer un peu utilement mes moments de loisir.

J'ai reçu tes longues lettres. Je t'embrasse bien affectueusement ainsi qu'à bonne-maman et tata.

Prosper

Ps : Nouveau contrordre, mon repos commencera le 11 jusqu'au 19. Je vais me démener ferme, j'aurais un cheval de selle pour moi seul pendant tout le repos

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Secteur postal n° 9, le 13 juillet 1916

Bien chère maman

Je suis enfin au repos. Cela ne m'arrive pas souvent, aussi bien hier et avant-hier je n'ai pas su trouver le temps de t'écrire. Je suis seul au repos, sans troupe, le temps est tout pour moi. J'en profite.

J'ai un cheval pour moi seul, je le monte quand je le veux. Je n'ai qu'à dire sellez-moi le cheval pour telle heure  !

Malheureusement, le temps continue à être épouvantable. Il pleut sans arrêt.

C'est un grand délassement d’être un peu à l’arrière, de n'entendre plus le canon que de très loin.

Je suis au repos dans un coin charmant, vous le connaissez de nom. J'y suis passé une fois et y ai fait un très court séjour qui vous a bien intrigué, vous rappelez-vous  ? Le nom est composé et commence par un C et un A.

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Ce joli village construit sur une colline offrait jadis le charmant spectacle de ces brillantes façades étagées. Actuellement, il ne reste que des ruines mais le spectacle au haut de la colline reste le même. La plaine qui s'étend à perte de vue a encore plus d’intérêt que jadis par l’agitation qui règne sur les routes et par le spectacle de la guerre au loin. Les éclatements des projectiles pointent l’horizon de flocons mouvants.

J'ai avec mes camarades de bataille au repos actuellement pendant que je t'écris dans la baraque un bruit effroyable. Il pleut – pour ne pas changer – ils sont tous là, ils dansent, un chien hurle de frayeur au bruit d’un méchant piano qui a subi déjà deux ou trois bombardements et qu'un artiste de fortune s'évertue à faire fonctionner.

Cela t'expliquera pourquoi ma lettre est si mal écrite et que mon style est effroyablement torturé, les secousses du plancher se transmettent à la table et les vibrations effroyables du piano me troublent l’esprit.

Je suis au repos pour une dizaine de jours. Je t'écrirai longuement demain.

Je t'embrasse bien affectueusement ainsi qu'à bonne-maman et à tatie.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 15 juillet 1916

Bien chère maman

Je vous ai promis hier une longue lettre mais j'ai eu toute la journée une paresse écrasante. Je profite de mon repos pour faire des sommes qui durent presque toute la journée en plus de la nuit.

C'est ce que je ne peux jamais faire quand je suis en ligne et j'avais un arriéré de sommeil.

Aujourd’hui de bon matin, réveil en fanfare, exercice de liaison infanterie – artillerie – aviation. Le tout très intéressant, comme j'avais un cheval et que je n'avais pas mes hommes avec moi, j'ai tout le temps de la manœuvre joué le rôle d’officier de liaison, allant du poste supposé du commandant de régiment aux postes des chefs de bataillon rectifier l’exécution des ordres, les transmettre ou les expliquer.

J'ai galopé toute la matinée. Comme par hasard, il ne pleuvait pas.

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La manœuvre était très intéressante. Le poste du colonel situé sur une très haute colline qui domine à pic au nord toute la plaine, nous suivons les évolutions des unités engagées.

De temps en temps, je dégringolais la colline pour courir jusqu'au poste de chef de bataillon.

Ce soir, long somme qui a duré toute la soirée. On comprend qu'à ce service là je deviendrai rondelet au bout de bien peu de jours.

J'ai encore quelques jours à rester au repos. Je vais changer de camarades, le bataillon change.

Cela a donner un peu d’agitation au secteur quoique l’ensemble soit déjà pas mal mouvementé par tous nos amusements et plaisanteries.

Je termine rapidement. Mes camarades qui dormaient pour prendre des forces en vue de la nuit de relève qu'ils vont passer.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes.

Bons baisers à ma chère maman.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 17 juillet 1916

Bien chère maman

Je continue à mon de mon repos, mais il tire à sa fin.

J'ai fait du cheval à mon grès, songez que pendant neuf jours j'ai été officier monté. Je suis allé à Sainte-Menehould, à Futeaux. Je suis installé à Clermont-en-Argonne. Cette tournée dans tous mes anciens cantonnements au repos a été charmante. Ce sont mes campagnes, mes randonnées de soldat que je recommençais.

Je suis furieux d’avoir pu parcourir en neuf jours tous les pays que j'ai connu en un an passé de guerre.

Que cette guerre de stationnement est ridicule. Je souhaite par instant d’être de ces corps d’armée qui ont la Marne ou la Champagne, qui entre-temps sont allés aux Dardanelles et qui actuellement après avoir combattu à Verdun sont en train d’enfoncer les Boches dans la Somme.

Enfin, on ne peut pas tout avoir. Mon repos s'achève dans deux jours. Je reprendrai le collier.

Je n'ai pas encore répondu à une des questions relative à la procuration que je dois signer pour que tu puisses régler toutes nos affaires. J'ai profité de mon repos pour voir l’officier des détails et me renseigner.

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Envoi moi un modèle de procuration comme le notaire le désire. Je la ferai ici et la signerai devant deux témoins au bureau du sous-intendant militaire.

Tu te plains de ne pas avoir retrouvé tes jambes de la journée au Coral. Il s'agit de s'entraîner, de ne pas faire de trop longues promenades mais de sortir fréquemment et de faire de petites marches d’une heure en terrain varié.

Je n'ai pas de chance pour mon séjour à Clermont. Il pleut un jour sur deux. La pluie tombe à torrent par averses comme en plein mois de mars.

Depuis deux jours, je n'ai pas reçu de tes nouvelles. Je t'embrasse bien affectueusement ainsi qu'à tata et à bonne-maman. Bons bisous. Affectueusement.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 20 juillet 1916

Bien chère maman

J'ai reçu aujourd’hui mon livre de littérature. J'ai commencé à le bouquiner. Le modèle de la procuration m'est également parvenu. Je vais aller ce soir trouver le sous-intendant et avec l’officier payeur, je réglerai l’affaire.

Je suis encore au repos jusqu'au 23 au matin. Je suis très peiné que vous soyez restée près de huit jours sans recevoir de lettre. Je ne sais comment cela a pu se faire. Je n'ai pas été malade. Mes lettres sont parties avec un intervalle de 2 jours au plus.

Les services de l’arrière sont actuellement sur les dents. C'est sans doute cela qui explique le retard.

Il fait presque beau pour la fin de mon séjour à Clermont.

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Est-ce que Valentin est retourné sur le front ? Il doit-être sans doute dans la Somme.

Je crois que cette fois-ci les Boches s'ils ne sont pas vaincus vont recevoir un coup terrible qui hâtera certainement la fin de la lutte.

Si nos camarades de la Somme pouvaient encore avancer, nous finirions par pousser à notre tout. Nous servons à l’heure actuelle de pivot avec Verdun comme point d’appui.

Nous sommes bien près de Metz et j'espère que ce sera notre corps d’armée qui sera chargé de l’aborder le premier. 96 km, trois étapes mais la route est dure.

Le vaguemestre arrive. Je vais lui donner mon courrier. Il ne vient qu'une fois par jour et il ne faut pas le manquer.

Je t'embrasse bien tendrement ainsi qu'à tata et bonne-maman.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 21 juillet 1916

Bien chère maman

Je suis allé hier faire signer et enregistrer par le sous-intendant la procuration que tu m'as envoyée. L’officier payeur du régiment me la renverra demain et je le la ferai parvenir aussitôt.

Cette formalité m'a procuré un excellent motif pour faire une longue promenade à cheval. J'adore ces longues galopades dans la campagne. Je crois que je le fais plus tard, j'achèterai un cheval. Vous riez. Cela ne sera pas impossible pourtant même si je reste dans les contributions directes.

Il fait délicieux pour la fin de mon repos. Je remonte le 23. Vous dire qu'il me tarde ! Non, mais j'ai hâte de continuer les travaux d’organisation que j'ai entrepris et qui ne sont bien conduits par celui seul qui les a commencés et qu'en eu l’idée.

Je suis remplacé en ligne par un capitaine et un sous-lieutenant, quatre galons contre un, c'est flatteur pour moi.

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Il doit faire délicieux à Prats maintenant. Est-ce que les récoltes seront bonnes ? Comment vont les fermiers ? Est-ce que vous faites de longues promenades. Tu m'as dit dans une de tes lettres que madame Gillet avait l’intention de venir à Prats cet été, est-ce que ce projet tient toujours ?

Il ne faut pas trop compter sur elle pour le logement, surtout car elle pourrait très bien vous en faire perdre la location cette année.

Fernand aux chasseurs d’Afrique ne doit pas être trop malheureux. Le succès des alliés s'accentue. Les Boches tirent la langue.

Je termine rapidement. Je vais le soir après la soupe pour profiter de la fraîcheur faire une promenade à cheval. Je vais voir le docteur qui est au repose aussi à son infirmerie.

Je t'embrasse bien affectueusement, de bons baisers pour tata et bonne-maman.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 23 juillet 1916

Bien chère maman

Je t'envoie la procuration que tu m'as demandée. J'espère qu'elle est en règle, j'ai fait copier textuellement le modèle que tu m'as envoyé.

J'ai repris mon poste en ligne. Le temps passe vite au repos. Malgré tout, on s'ennuie de ne rien faire et la guerre semble plus longue. Ici, je suis tellement occupé que les jours passent vite et que ce sont les mois qui semblent longs.

Mon papier à lettre est dans ma cantine qui me suit avec un jour de retard.

J'ai reçu ta lettre du 17 juillet. Je ne suis pas triste du tout. Voilà deux mois que je vous ai quittés. L’autrefois j'ai mis cinq mois pour vous revoir. Cette fois-ci, je vais opérer pour obtenir au bout de 3 mois quelques heures. Si je ne puis pas avoir 6 jours pour aller vous embrasser.

Les Boches sont tranquilles. Ils sont assez ennuyés à droite et à gauche pour essayer d’obtenir le repos de notre côté.

Il fait définitivement beau. La chaleur commence à devenir insupportable.

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Ma lettre vous arrivera peut-être un peu en retard, le vaguemestre change ses heures de distribution, cela retardera fatalement ma lettre de 24 h au moins. Enfin, nous sommes habitués à ces petits retards.

Je vous embrasse à toutes les trois bien affectueusement. De bons baisers pour ma petite maman.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 25 juillet 1916

Bien chère maman

Je ne vais que t'écrire un petit mot avant le départ du vaguemestre. Il n'y a toujours rien de nouveau dans notre secteur.

Je vous ai parlé dans ma dernière lettre d’une très courte permission que je pourrais peut-être obtenir au bout de 3 mois. Je vous ai quitté le quinze mais il est probable que le 16 août j'obtiendrai l’autorisation d’aller vous embrasser. Quarante-huit heures au maximum.

Je ne reçois plus de lettres de Valentin. Maintenant qu'il est dans l’artillerie lourde, il dédaigne la pauvre infanterie.

J'ai reçu le bouquin que je vous avais demandé. Je le lis avec grand plaisir. Qu'au moins les quelques loisirs du front ne soient pas perdus. On se rouille terriblement à ne rien faire, à ne parler que de tranchées, de boyaux, d’obus, de grenades, de pétards.

Je t'embrasse bien tendrement ainsi qu'à tata et bonne maman.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 26 juillet 1916

Bien chère maman

Je ne veux pas rester plus d’un jour sans vous écrire pour vous éviter de rester plus de huit jours sans nouvelles comme cela semble se produire assez souvent.

Il fait délicieusement beau. Ce soir après le repas nous sommes restés longtemps dans notre abri à regarder dans le ciel le vol des avions français et boches. C'est notre distraction de presque tous les soirs. On entend d’abord le ronflement du moteur. Sous les arbres, tout le monde les yeux au ciel cherche à le découvrir.

Les obus éclatent autour avec un bruit vibrant produit par les éclats dans l’air.

Le premier qui l’aperçoit le montre à ses voisins. On discute : Français ? Boche ? Les jumelles sont braquées. Le plus souvent, surtout depuis deux mois, ce sont généralement des français. Les Boches passent rarement nos lignes. On les voit au loin qui évoluent au-dessus de Varenne – Éclisfontaine – Cierges.

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Les obus qui sonnent autour d’eux les atteignent rarement. Cela fait une dépense considérable de munition. Souvent il nous arrive de compter plus de cent flocons blancs autour du même appareil. Le prix des obus étant en moyenne de 20 fr. l’in, c'est une jolie fortune qui tous les soirs s'éparpille dans le ciel. La guerre entraine à des dépenses folles. Ce n'est pas du reste le moment de faire des économies, surtout pour les projectiles.

Maintenant, le soleil couché, tous les oiseaux de France sont rentrés au bercail. Ceux du soir, l’escadrille de bombardement va sortir. Je vais l’entendre ronfler parmi les étoiles dans un moment.

Je vous dis bonsoir. Je vais faire mon possible pour vous écrire demain. Je vous embrasse bien affectueusement à toutes les trois. De gros baisers pour ma petite maman.

Prosper

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J.M.O 28 juillet 1916 – Le sous-lieutenant Tailleur passe de l’E.M. du régiment à la 21e compagnie tout en conservant conservant le commandement du peloton des sapeurs-pionniers-bombardiers.

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Secteur postal n° 9, le 31 juillet 1916

Bien chère maman

Je comprends très bien qu'il soit difficile de vivre à Prats-de-Mollo. Les gens n'y sont pas bons. Vous allez avoir, si ce n'est plus de distractions, du moins un peu plus d’agitation dans ce méchant petit trou.

Deux mois et demi que je vous ai quitté. Le temps passe lentement. Au bout de mes trois mois, j'aurais peut-être un petit répits et pourrais-je bénéficier de quarante-huit heures pour aller vous embrasser. Je je ne réussis pas, il faudra attendre 5 mois comme l’autrefois.

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J'ai bon espoir. Ce serait pour le 19 août. Est-ce que Mme Gillet vous a reparlé de son désir de venir à Prats ?

Vous n'avez pas encore trouvé à louer. Cela ne fait rien, vous serez plus tranquille cette année et cela vaut mieux, vous auriez un trop de soucis.

Nous sommes toujours au même point, nous avons bon espoir. Aujourd’hui, dans le nord l’attaque reprend. Les Russes vont merveilleusement. Il ne faut pas s'étonner des arrêts de notre offensive. Elle est très méthodique et parfaite.

Août

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Secteur postal n° 9, le 1er août 1916

Bien chère maman

Un petit mot. Moral excellent, situation inchangée. Mon repos a été de douze jours et je n'ai pas à me plaindre. On est bien au repos et je suis bien dispo et avec une réserve d’énergie.

La vie est dure malgré tout ici. Pas de dimanche, pas de moments fixes et réguliers pour souffler, toujours prêts à courir, cela use et un repos de douze jours est bien mérité. Enfin, après la guerre avec la volonté tout s'oubliera et l’on se reposera.

Je vous embrasse bien affectueusement.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 2 août 1916

Bien chère maman

Encore un petit mot. Hier une longue lettre de Valentin. Il est heureux. Il fait du cheval et jouit agréablement de sa vie de dépôt. Il ne parle pas d’un départ prochain dans l’artillerie lourde, c'est souvent la bonne place sur le front. Il va aller pour 48 heures à Onzain.

Reçu également une longue lettre bizarre de Mme Gillet ! Vous serez bien plus tranquille.

Je t'embrasse bien affectueusement.

Permission de 48 heures assurée. Date encore incertaine, probablement vers le 15 août. Bises affectueuses.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 3 août 1916

Bien chère maman

Depuis quelques jours, je ne t'envoie que de courtes lettres. Aujourd’hui, je veux profiter d’une vilaine journée que je ne puis remplir et employer à voir mes hommes au travail pour m'entretenir un peu avec toi.

Deux ans de guerre et rien n'est encore décidé ni d’un côté ni de l’autre.

L’offensive russe marche à souhait, de notre côté nous semblons posséder un grand stock de matériel et pouvoir faire face au monstrueux armement allemand. Dans le nord, notre offensive marche lentement mais elle semble énergique et mieux préparée que celle du mois de septembre qui fut un feu paille. Avec les travaux de retranchement actuels qui coupent régulièrement le sol à conquérir de barrages qu'il faut détruire avec l’artillerie avant d’essayer de les franchir. Il est nécessaire d’agir lentement, d’écraser méthodiquement les lignes fortifiées avant de lancer l’infanterie qui autrement

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L’artillerie à l’heure actuelle conquiert le terrain. L’infanterie l’occupe et le conserve. Méthodiquement tous les corps iront donner leur coup de marteau et de bélier dans la brèche sans que l’ennemi puisse nous briser en un autre point, à Verdun ou autre part.

Nous sommes tous fiers de participer à cette offensive qui superbement conduite, quel plaisir lorsque le moment sera venu d’enfoncer le Boche à notre tour.

Il me tarde d’aller vous embrasser et de causer avec vous pendant ma courte permission. Dans Prats, avec les mauvais compatriotes qui vous entourent, vous devez avoir beaucoup de mal à conserver une juste idée des choses de la guerre. Je vous dirai ce que nous pensons de nos adversaires à l’heure actuelle. Je suis sûr que le moral est meilleur sur le front qu'à Prats et qu'en beaucoup de petites localités en France.

Je t'embrasse bien tendrement ainsi qu'à bonne-maman et tatie.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 11 août 1916

Bien chère maman

Je suis gâté depuis quelques jours, de longues lettres très souvent. Aussi je ne veux pas rester en arrière. Je me suis promis de l’envoyer une longue lettre de quatre grandes pages. La façon bizarre bêtes pour payer ses dettes m'a beaucoup amusée. Quel drôle d’individu. Il marchande jusqu'au dernier moment bien pire qu'un… Je le vois très bien avec ses sous dans la poche, pour payer, essayant encore de remettre au lendemain le paiement de sa dette.

Dernièrement, je te demandais s'il ne serait pas nécessaire que je lui envoie une lettre de reproches. Enfin, puisqu'il s'est acquitté en partie. Le lui écrirai pendant ma permission.

De bons baisers pour vous tous, tata, bonne-maman et ma petite maman.

Prosper

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Ma permission semble maintenant fixée. J'arriverai très probablement le 28 à Prats. Je coptais arriver bien plus tôt, en voilà la raison. Les permissions se règlent à l’avance et je vous avais causé de mon arriéré il y a déjà longtemps. Seulement des bruits de relève, non fondés malheureusement firent retarder et même suspendre les tours supplémentaires, si bien que me voilà repoussé au 28.

Je suis heureux de tes longues lettres car elles m'apportent une grande distraction et un grand réconfort. Comme je te le disais, notre moral est excellent, mais la guerre dure, dure si bien qu'on finit par croire qu'elle ne se terminera jamais. Pourtant les événements actuels nous permettent les plus optimistes conclusions, envisagées même dans un avenir très prochain. Mais ce serait tant de bonheur que l’on ne peut y croire et pourtant à bien analyser les situations, avec les faibles renseignements que l’on peut obtenir par les journaux, il est de toute évidence que nos adversaires sont dans une situation très délicate qui peut devenir

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Il suffirait pour cela que l’Autriche ou la Hongrie (cela se dit officieusement pour cette dernière) demandent une paix séparée ou que la Roumanie gagnée enfin par toutes les offres que nous faisons et ayant enfin reçu un matériel suffisant accepte de marcher avec nous, ou que la Turquie finisse par voir la désastreuse campagne ou l’entraine son allier et quelle abandonne la lutte.

Tout cela pourrait très bien se produire et nous aurions alors la réalisation des prévisions qui veulent voir la fin de la guerre cette année !

Jules ne doit pas être bien loin de moi, quelques centaines de mettre à peine. Si j'ai le temps, et surtout l’occasion, j'irai le voir dans son secteur qui n'est pas très loin. C'est l’ancien secteur de Jean Coderch. Il y a beaucoup de méridionaux dans le voisinage et je vais un de ces jours faire quelque rencontre extraordinaire.

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Les secteurs de l’Argonne ne sont pas si mauvais que cela. Il suffit d’y être habitué. J'y suis bien depuis dix-huit mois.

La question de ma nomination à titre définitif m'est encore posée. Mon colonel voudrait bien que le fasse une demande pour rester dans l’armée. La question est bien décidée maintenant. Je ne resterai pas dans l’armée. Je continuerai ma carrière dans le ministère des Finances. C'est une administration qui aura plus que jamais, après la solution du conflit, besoin de travailleurs… Je crois que je pourrais m'y faire une belle, sinon brillante, situation par mon travail. Je ne voudrais pas être fat en disant cela. Par contre, dans l’armée, il y a trop de frottements, trop de contact entre les chefs et les égaux, par suite, trop de rivalités et même de haine. Je n'en veux pas.

D’autre part, je ne sais pas ce que demandera l’armée après la guerre. N'y aura-t-il pas une rivalité et une lutte entre les anciens officiers d’active et ceux qui auront gagnés leurs galons au combat. Les anciens sous-officiers rengagés nommés officiers seront admis dans notre société et forts désagréables à fréquenter. Toutes ces raisons m'ont décidées.

Je t'embrasse bien affectueusement ma petite maman.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 12 août 1916

Bien chère maman

J'ai reçu une longue lettre de toi hier. Merci chère maman, il y avait en effet longtemps que je n'avais pas reçu une aussi longue missive. Moi aussi je suis resté bien longtemps sans vous écrire autrement que par des petites cartes bien brèves. Je n'ai pas souvent le temps dans la journée et le soir, j'ai une grande flemme et je m'endors vite.

Ma permission sera courte, en effet. Mais le voyage ne me fatiguera pas trop, en 1e classe, il est facile de dormir. Il vaut mieux que je profite de suite de cette occasion qui m'est donnée d’aller vous voir. Ensuite, avec toujours une relève possible ou une action de grande envergure, toujours et même de plus en plus probable, il vaut mieux tenir que courir. J'aurais presque quatre jours à rester avec vous, le jour d’arrivée ne comptant pas et mon départ étant dans l’après-midi du quatrième jour.

Cela me permettre de me délasser un peu. La vie que nous menons ici est fatigante parce qu'elle ne permet aucun repos. Il n'y a pas de dimanche.

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Toujours les mêmes soucis, impossible de se dire, aujourd’hui tu peux te reposer. Il ne faut pas déduire de cela que je suis fatigué physiquement ou moralement. L’habitude de cette vie fait supporter toutes les fatigues, mais lorsqu'on songe à ce que l’on faisait avant, on ne peut s'empêcher de souhaiter la fin de la guerre.

Est-ce que Maurice Payré est en convalescence à Prats ou simplement est-il venu passer sa permission ?

Je n'ai aucune nouvelle de Jean d’Antrechaux, je n'ose écrire chez lui, tu m'as dit qu'il était grièvement blessé.

Je te plains beaucoup d’avoir à supporter la méchanceté de… C'est un grossier personnage comme tous les gens de la montagne. Il profite de la situation et de la difficulté que nous éprouverions pour trouver un autre fermier pour vouloir faire ses quatre volontés. Explique-moi bien ce qu'il nous doit et quels sont ses engagements. Je vais lui écrire et si tu le permets, leur faire comprendre qu'ils doivent mieux se conduire vis-à-vis de toi et qu'il continue nous préfèrerons avoir le désagrément de chercher un autre fermier plutôt que d’en supporter davantage.

Je t'embrasse bien affectueusement ainsi qu'à tata et bonne maman.

Je fais une lettre pour bonne-maman pour sa fête. Je n'ai plus de papier convenable, je vais en faire acheter aujourd’hui par cycliste.

Prosper

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J.M.O 13 août 1916 – Le sous-lieutenant Tailleur commandant le peloton des sapeurs-pionniers-bombardiers passe à l’Etat-major du régiment.

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Secteur postal n° 9, le 19 août 1916

Bien chère maman

Je vous envoie une petite photographie pour me faire connaître tel que je suis actuellement, avant que je vous arrive en permission. C'est un de mes camarades qui a pris la photo et c'est le capitaine Soutif que vous connaissez bien qui l’a développée et tirée.

Je vous arriverai très probablement le 27 août. Ma permission sera courte mais je la passerai toute auprès de vous pour vous entretenir et vous distraire.

Je me hâte, toujours ce malheureux vaguemestre qui

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Le secteur est calme, il fait gris et presque froid, nous n'aurons pas d’été cette année dans l’Argonne.

Les matinées brumeuses que nous avons nous font songer avec tristesse à l’hiver implacable qui approche et que nous risquons toujours de devoir passer dans nos cagnas.

Le fils de Bître doit être bien près de moi. Est-ce celui qui est mitrailleur ? Dans ce cas, il va au repos aux Ilettes. Il y a des chances pour que je puisse le rencontrer. Je n'ai pas l’occasion de descendre, autrement je serai allé le voir.

Je t'embrasse affectueusement ainsi qu'à tata et bonne-maman.

Votre petit soldat.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 21 août 1916

Bien chère maman

J'ai reçu une hier une toute petite carte. Je suis sur le point de partir en permission. Si rien ne vient déranger mes prévisions, je serai auprès de vous avant le 28 août.

Rien de changé dans notre situation. Je t'expliquerai avec plus de précision les motifs de ma résolution relativement à mon désir de rester dans les Contributions Directes;

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Il doit faire beau à Prats. Ici de plus en plus l’hiver arrive à grands pas et quoique nous soyons habitués à subir le froid dans nos trous de taupe, ce n'est pas sans un serrement de cœur que nous voyons prendre les dispositions à un hivernage toujours possible.

Cela n'empêchera pas la guerre de se terminer en septembre si Dieu le veut. Les Boches en sont certainement plus fatigués que nous.

Il y a de leur côté dans tous leurs secteurs un mouvement effrayant de relève. Ils remplacent ceux qui sont peu fatigués par ceux qui sont à bout et qui arrivent de la Somme ou de Verdun.

Pour ce qui est de la lutte habituelle, de position, il y a un changement complet.

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Nous menons le plus souvent la danse. Lorsqu'il y a une concentration d’artillerie, c'est nous qui commençons et qui finissons. Les Boches tirent bien aussi mais bien moins.

Il est évident que leur effort se porte à Verdun et dans la Somme où la, nous menons la danse en grand.

Du reste, actuellement, l’Allemagne et l’Autriche semblent être enfermés dans une souricière comme deux gros rats et se jeter tantôt à droite et tantôt à gauche pour essayer de briser les barreaux.

Pas de nouvelle de Valentin ni de Jean d’Antrechaux. Je vais écrire avant de partir en permission à tante Louise.

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Je vous embrasse bien affectueusement à toutes les trois. Bons baisers pour ma petite maman.

Prosper

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Septembre

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Secteur postal n° 9, le 7 septembre 1916

Bien chère maman

Nous sommes en route. Je suis heureux d’avoir quitté ce coin ou depuis si longtemps je fais la guerre. Nous sommes aujourd’hui installés dans un gentil prieuré en pleine forêt. C'est charmant. Une grande installation pour le colonel et ses officiers.

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Je vous écrirai plus longuement d’ici deux ou trois jours. J'ai à m'occuper de mes hommes, avec ces mouvements les ordres sont plus nombreux et la surveillance plus délicate.

Je t'embrasse bien affectueusement ainsi qu'à tata et bonne maman.

Prosper

J.M.O. 8 septembre 1916 – Le régiment embarque à 13 heures en auto-camions, route d’Augéville à Rarécourt, à destination de Trois Fontaines et alentours. Arrivée et débarquement du régiment à 21 heures.

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Secteur postal n° 9, le 9 septembre 1916

Bien chère maman

Nous sommes au repos, un vrai repos, un coin superbe, loin en arrière, nous sommes logés dans un superbe château. Le propriétaire, ancien officier nous a installé merveilleusement. Nous avons des lits et nous vivons comme tout le monde.

Hier, nous avons roulé en auto toute la journée. Que de poussière nous avons avalée ! Nous étions blancs comme des flocons en arrivant.

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Il n'y parait plus et nous goutons de la tranquillité complète qui nous est donnée.

J'ai employé ma matinée à visiter le château. Les ruines d’une abbaye du 12e siècle et le parc.

Le petit village qui entoure le château et qui n'a que 10 âmes et coquet et ne forme que les dépendances du château.

Mes hommes sont auprès de moi, de la fenêtre de la chambre que j'occupe dans le château, je les entends prendre leurs ébats. Les paysans ont vidé des étangs qui entourent le pays et ils sont en train de faire des fritures de poisson qu'ils arrosent de bon vin du pays pas trop cher.

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Je souhaite que nos généraux nous laissent quelques jours dans ce joli coin où nous prendrons un repos parfait.

Les permissions vont vite, mon tour en sera avancé d’autant et je pourrais vous revoir peut-être avant trois mois.

La cloche de notre chapelle sonne midi. Je n'ai pas si souvent l’habitude de l’entendre. Je vais lui obéir et je vais manger du bon poisson frais.

Je continuerai ma lettre après le repas.

Le commandant qui commande… le 315e est charmant. Il vient de nous autoriser à moi et à mon camarade Foucault de nous rendre à Bar-le-Duc pour des achats à la popotte.

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Je me sauve, je vous embrasse bien affectueusement toutes les trois.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 10 septembre 1916

Bien chère maman

Je t'ai envoyé ma lettre d’hier de Bar-le-Duc et en passant dans un petit village en cours de route. Je vous ai envoyé une carte postale qu'un petit garçon a été chargé de mettre à la boîte. J'espère que vous tout et que mon changement n'aura pas causé trop de retard dans ma correspondance.

J'ai visité Bar-le-Duc que je ne connaissais pas du tout. C'est une ville pleine d’agitation causée du tout. C'est une ville pleine de l’agitation causée

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Nous avons fait la route à bicyclette jusqu'au petit village d’où je vous ai envoyé la carte, ensuite j'ai pris le train jusqu'à Bar.

En résumé, bien peu de distraction et si ce n'est le plaisir de pouvoir faire des achats dans les magasins pour la popotte et pour moi, je n'aurai rien fait pour y aller.

Je suis rentré ce matin dimanche. Nous avons eu une jolie chapelle où un prêtre du village voisin est venu nous dire une messe en musique.

Ce soir repos encore. Ce n'est que demain que nous commencerons à faire de l'exercice pour reprendre notre troupe en main.

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Mes hommes sont très bons, ils sont disciplinés à part deux ou trois fortes têtes que mes gradés et moi réussissons à faire marcher ensemble. Ce sont du reste au combat les plus courageux aussi passe-t-on sur bien des choses. L’exercice dans ce coin de pays sera une distraction plus qu'un travail.

Je vais écrire ce soir à l’oncle Emmanuel. Est-ce que Jeanine vous a quitté ? J'ai eu ici une carte de Valentin si bien que j'ai eu trois fois de suite de ses nouvelles.

N'hésites pas si tu as des ennuis pour les affaires d’argent, droit de succession, créance ou fermage à me charger de faire une partie du travail.

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Je suis obligé de descendre. Je me suis fait mettre à l’amende à la popotte pour être arrivé en retard à table. Il était midi passé. Aujourd’hui il faut que je fasse très attention. L’amende serait plus forte.

Je t'embrasse bien fort chère petite maman. De bons baisers pour tata et bonne-maman.

Prosper

Citation à l’ordre la Division le 11 septembre 1916

Major de tranchées d’une activité inlassable, a conduit les travaux de défense du secteur d’une façon absolument remarquable, se dépensant sans compter avec le plus grand mépris du danger.

A présidé à plusieurs reprises, avec un dévouement intelligent, au sauvetage de pionniers ou de bombardiers ensevelis sous les débris ou des travaux effondrés par les bombardements.

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Secteur postal n° 9, le 16 septembre 1916

Bien chère maman

J'ai pu trouver une seule minute dans la journée pour t'écrire un peu.

Ce n'est que maintenant, quelques minutes avant de me mettre au lit que j'ai quelques instants. Demain, pour profiter de notre repos, nous organisons une petite fête et pour moi, malheur, je suis chargé de régler le tout. Il sera dit que j'aurais toujours du travail. Enfin, cela vous occupe, cependant le travail faisait passer très vite les heures à la tranchée, ici cela a l'inconvénient de me priver de toute liberté.

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Demain, je n'aurais pas une minute encore. Ainsi, j'aurais le matin revue en grande tenue, ensuite, je fais répéter mes artistes, ensuite je classe mes concourants pour les jeux sportifs de l’après-midi. L’après-midi, jeux sportifs, sous ma direction. Moi qui ai horreur de tout cela.

Je vous raconterai la fête de demain soir. Je vais faire partir ma lettre demain matin. Je n'ai pu recevoir qu'une seule lettre de toi.

Je t'embrasse bien tendrement aussi qu'à tata et bonne-maman.

Prosper

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12 septembre

Chère petite maman

Nous sommes en plein déménagement. Heureusement que nous avons l’habitude de tout cela et qu'ils se font avec moins de bagages que les…

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J'espère toujours en Valentin. J'irai le tirer du lit car nous passerons de très bonne heure.

Bons baisers à toutes les trois.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 13 septembre 1916

Bien chère maman

Je t'embrasse le plus affectueusement que je puis. Je t'aime tendrement.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 14 septembre 1916

Bien chère maman

Je suis obligé de t'écrire brièvement pour que ma lettre parte au plus tôt par les vaguemestres.

Je suis mis… depuis ce soir dans une course à cheval, j'ai perdu le porte-billet que j'avais acheté à Prats et qui contenait toute ma fortune moins une dizaine de francs. Il y avait 180 Fr. Nous sommes au repos et nous dépensons plus que d’habitude. Envoie-moi vite 200 Fr. pris sur mes sous.

Je t'embrasse bien tendrement ainsi qu'à bonne-maman et tata.

Prosper

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13 septembre 1916

Bien chère maman

J'ai été obligé de te demander de l’argent. Malgré toutes les recherches on n'a pas pu retrouver mon porte-billet. Nous sommes au repos encore pour plusieurs jours.

Il fait délicieux ici, j'entends au point de vue du repos, car pour le cheval, il est affreux.

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Les Troisfontaines sont dans un endroit où il y a souvent du brouillard, un peu le temps de la Vendée. Nous avons eu une grande fête encore aujourd’hui. Le général de division nous a fait l’honneur d’y assister. Les invités de marque de la région sont venus parader.

Le tout a été très joli, mais cela m'a donné du travail. Car il a fallu que je m'occuper d’organiser tout cela. Enfin, cela distrait car au fond, au repos on aurait vite fait de s'ennuyer.

Ce soir, service, cela commence aujourd’hui, pourvu que l’on ne nous en fasse pas faire trop. Enfin, c'est le repos avec un emploi du temps qui rappelle la caserne.

Je vous embrasse bien affectueusement à toutes les trois.

Prosper

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16 septembre 1916

Bien chère maman

Un mot seulement. Nous partons pour faire une marche militaire. Nous serons dehors toute la journée. Il fait beau. Je vous embrasse à toutes les trois bien affectueusement.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 20 septembre 1916

Bien chère maman

Je suis heureux que vous ayez enfin reçue une de mes lettres. Je suis encore au repos. Nous y sommes pour un temps encore illimité. Il ne faut pas songer au moment où nous quitterons ce repos pour aller de nouveau sur le front. Qu'importe où ! Tout en étant au repos, nous nous préparons comme tout soldat doit le faire, pour pouvoir reprendre contact avec l’ennemi dans de bonnes conditions. C'est notre seule façon de songer à l’avenir.

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Il faut oublier la guerre presque pour l’instant nous ne risquons rien et ne songeons qu'au plaisir que nous éprouvons de pouvoir courir les champs, vivre une vie normale sans le souci du lendemain ni de la marmite.

Je crois être retourné en Vendée. Même temps, même aspect de la campagne, un brouillard fin le matin, un temps doux dans la journée puis le soir. Pour en rien craindre, j'ai revêtu mes vêtements de laine.

Notre vie est active et bien employée, exercice matin et soir, mais la nuit au repos. C'est une grande satisfaction de pouvoir dormir dans un bon lit sur ses deux oreilles.

Je ne vous écris par bien longuement, les gens heureux n'ont pas d’histoire, c'est mon cas. Nous oublions complétement la guerre. A t… ce matin, nous faisions la remarque que nous ne causions plus de notre secteur.

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En effet, c'était la 5e fois depuis quinze jours. Le temps passe vite tout de même au repos.

Nous avons une excellente table. Un cuisinier qui a travaillé chez Rothschild parait-il, vous comprendrez qu'avec cela on ne peut pas être mal. Si nous restons seulement une vingtaine de jours ici, je reviendrai gros comme une loche. Vous serez contente de moi.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois. Bons baisers pour ma petite maman.

Prosper

J.M.O 23 septembre 1916– Au cours de la marche du régiment, le commandant de la Giraudière remet la Croix de guerre avec étoile en argent au sous-lieutenant Tailleur avec citation à l’ordre de la Division.

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Secteur postal n° 9, le 25 septembre 1916

Bien chère maman

Je suis resté, je crois, deux jours sans t'écrire. Je ne t'oublierai pas soit en sure, mais au repos nous avons tellement d’occupations que je n'ai pu trouver une minute en ces deux jours. Depuis mes dernières lettres nous travaillons ferme et c'est sans cesse soit récré, soit marche soit exercice. Je suis excellente santé. Bien en forme, toujours maigre mais nerveux à casser du fer.

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Cette série d’exercices de revue nous change un peu de la monotonie des tranchées. Nous serons vraiment après cela des troupes fraiches.

Depuis trois jours, le temps est splendide et nous en jouissons. Toujours dehors, toujours à courir. Je ne sais comment après cela je pourrais m'habituer à une vie sédentaire. Heureusement que mon métier est assez mouvementé.

Aujourd’hui, j'ai déjeuné chez le comte et la comtesse de Fontenoy, nos hôtes. De bons vieux bien doux et bien aimables pour nous.

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Mes camarades avaient été montrés précédemment. A cause d’un exercice je n'avais pas pu y assister aussi aujourd’hui. Je fus invité en même temps que le colonel et le commandant du 5e bataillon qui loge également avec nous. Ce ne pas trop barlie et ce fut un excellent déjeuner.

Demain, grande revue, nous allons être pris toute la journée. Un gros général d’armée nous inspecte.

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Nous ne savons pas pour combien de temps nous sommes encore là. On ne nous oubliera certainement pas aussi nous nous tenons prêts à partir. Pour où ? Immense point d’interrogation.

J'ai reçu hier un excellent gâteau de tante Louise. Je vais lui écrire pour la remercier.

Je vais écrire aussi à mon oncle Emmanuel à qui j'avais promis un mot à mon départ.

Je vous écrirai longuement dès que je le pourrai. Je vous embrasse bien tendrement.

Bons baisers très doux à ma petite maman.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 27 septembre 1916

Bien chère maman

J'ai reçu les deux cents francs. Ils se faisaient attendre et pour une fois dans ma vie, je vivais avec des dettes. Ce n'est pas agréable.

Je suis malgré tout sans lettre de vous depuis trois jours aujourd’hui. Comme nos lettres sont longues pour aller et revenir.

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Nous sommes toujours au repos. Mais bien près du moment où il faudra partir. On oublie vite les tranchées et nous nous faisons vite à notre vie ici, ne vous faites pas de souci. Dans quelques coins que nous allions, il y aura des obus et des balles. Et nous sommes à la guerre que diable ! Ce n'est pas lorsque nous sommes si près d’en finir qu'il faut songer à vouloir paresser. Encore quelques jours ici.

Je vous embrasse à toutes les trois bien affectueusement. Bons baisers bien doux à ma petite maman.

Prosper

Octobre

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Secteur postal n° 9, le 2 octobre 1916

Chère maman

Je suis surpris que mes lettres vous arrivent si irrégulièrement et que celles que vous m'envoyez m'arrivent avec plus de trois jours de retard.

Je reçois aujourd’hui votre lettre du 25. Je suis très heureux que vous ayez pu accomplir votre pèlerinage au Coral dans d’aussi bonnes conditions vu la saison avancée.

Je vous remercie de toutes les prières que vous avez dites pour les petits soldats et pour moi. Je suis certain qu'auprès du Bon Dieu ces invocations font pour le succès de nos armes autant que le courage des petits soldats.

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J'ai retrouvé les petites fleurs de la montagne qui doivent être les dernières de cette année. Elles sont arrivées toutes sèches et toutes froissées mais encore charmantes par leur fragilité et leurs vives couleurs. Il n'y en a plus par ici. Dans le parc du château les feuilles jaunissent aux arbres et tous les matins, le sol en est jonché. Il pleut également pendant de longues journées, tout doucement, comme en Vendée.

Nous ne sommes pas tristes pour cela, nous sommes de vieux soldats. L’hiver nous connaît, ce sera le 3e et voilà tout.

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Je suis heureux que vous ayez des nouvelles de Valentin. J'étais inquiet car il ne m'a pas écrit depuis mon retour de permission.

Ma permission semble toute proche. Car depuis que je vous ai quitté, nous sommes au repos. Cela ne semble pas possible. Le temps passe vite malgré tout, lorsqu'on est bien. Déjà un mois dans 4 jours.

Vous avez vu que les permissions étaient portées à 7 jours, mais tous les quatre mois. Cela ne retardera pas mon prochain tour car je n'ai eu que deux permissions cette année et que tout soldat a droit à trois.

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Par conséquent, mon tour arrivera quelques jours avant la mi-novembre. J'aurais deux jours en plus grâce à ma citation. Je suis heureux qu'elle vous ait procuré du plaisir. Ne craignez rien, je suis prudent dans la mesure du possible. Il est du devoir d’un soldat de ne donner sa vie qu'au bon moment. J'ai été décoré devant le régiment après une manœuvre, cela fait plaisir. Cela vous paie bien de tous les dures instants de la vie de position où mon métier n'était pas de tout repos.

Je t'envoie l’autorisation d’opérer le retrait de l’argent déposé à la Caisse d’Epargne.

J'ai reçu le premier colis de linge. Il est arrivé en bon état et tout semblait à sa place de départ.

Prosper

J.M.O. 2 octobre 1916, les deux bataillons du régiment s'embarquent à 8 heures pour être transportés à Moulin-Brûlé (à 2 km au N.E. de Nixéville-Blercourt) où ils sont mis comme bataillons de travailleurs, à la disposition du Général commandant le groupement D.E.

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Secteur postal n° 9, le 4 octobre 1916

Chère maman

Nous sommes encore embusqués. Je crois que nos grands chefs nous ont oubliés.

Il fait affreux. Cela est vraiment dommage car nous pourrions d’une part utiliser notre repos à instruire et à manœuvre, d’autre part à nous promener un peu et profiter d’une campagne sans trous de marmites, réseaux de fils de fer et tranchées.

Aujourd’hui impossible de sortir, même dans le parc, il pleut sans arrêt.

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Je reste dans ma chambre, je suis seul et je bouquine savourant le plaisir de me retrouve dans une maison silencieuse, de travailler et de me croire étudiant comme lorsque j'étais à Saumur auprès de vous ou à Montpellier.

Nous avons oublié entièrement la guerre. Nous n'entendons que rarement le canon et nous goûtons un repos complet.

Notre vie presque familiale ne nous donne pas, malgré son charme, la tristesse du soldat. Il y a au fond de moi et je suis certaine que mes camarades sont comme moi, au grand bonheur de vivre, d’être soldat, de constituer, tous groupés, une force en réseau, prête à frapper l’ennemi de toutes ses armes et de toute son énergie morale.

Nos parades de soldats, nous musiques, nos manœuvres élèvent en nous cette confiance, cette assurance en notre puissance.

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J'ai reçu un deuxième colis de linge. Au milieu des tricots. J'ai trouvé des croquettes de chocolat à qui nous avons fait un sort digne d’elles.

Je vais grouper tout ce linge dans ma cantine pour notre troisième campagne d’hiver qui sera la dernière je l’espère avant notre grande victoire.

N'êtes-vous pas trop fatiguée de votre longue excursion. S'il fait beau en novembre lorsque j'irai vous voir, avec ma longue permission de neuf jours, nous pourrons peut-être recommencer le pèlerinage au Coral.

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Je vous demande de retourner ma citation à la division. Je ne possède que cette copie de l’ordre de la division signé du général Arlabosse. Il faut que j'aie ce document officiel sur moi.

Je vais essayer de faire déposer cette lettre à Paris, ma dernière lettre a été mise à Paris par le docteur Rottred partant en permission.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois. Bons baisers à ma petite maman.

Prosper

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8 octobre 1916

Bien chère maman

Je reçois aujourd’hui votre carte du 4 octobre. C'est la seule qui m'arrive si vite. L’argent que vous m'avez envoyé télégraphiquement n'est allé ainsi que jusqu'à Paris. A partir de là, il a circulé comme un mandat carte. Cela explique le retard, qui ne m'a du reste pas dérangé, mes camarades ayant été assez bons pour me secourir.

Ne vous faites donc pas de soucis lorsque vous verrez mes cartes ou lettres avec du retard. Vous saurez que je suis au repos et que rien ne peut m'arriver de fâcheux.

Rien pour notre départ !

Ce matin j'ai essayé de faire une chasse au canard autour de l’un des étangs du voisinage. La chose est amusante mais peu fructueuse, je suis revenu bredouille.

Je vous embrasse bien affectueusement, bons baisers à ma petite maman.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 7 octobre 1916

Bien chère maman

Un petit mot pour éviter que vous restiez trop longtemps sans avoir de mes nouvelles. Nous sommes toujours au repos. Rien encore ne fait deviner notre départ. Nous nous employons surtout à tuer le temps car ici l’on s'ennuie mortellement. Un trou de 60 habitants, vous pensez bien que ce n'est pas folichon et que l'on a vite fait d'en faire le tour.

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Enfin, nous ne sommes jamais contents. Il est vrai que nous étions habitués à entendre tant de bruit et voir tant de mouvement que ce silence nous endort.

J'ai eu deux colis de linge, ils contenaient tous les deux quelque chose en plus, de bien bon. Ne m'aviez-vous pas annoncé trois colis ?

Il pleut, il pleut. Les tranchées doivent être dans un état ! Nous n'y sommes pas mais nous les connaissons si bien que nous plaignons fort ceux qui les occupent à notre place.

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J'écourte ma lettre, je vous embrasse bien affectueusement à toutes les trois. Bons baisers à ma petite maman.

Prosper

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Le 10 octobre 1916

Bien chère maman

Vous aviez bien tort de vous faire du souci. Je crois que le commandement nous a oubliés au repos. Nous ne nous en plaignons pas quoique la vie soit monotone ici. Aucune distraction. Il y a des jours où j'arrive à dormir de huit heures du soir jusqu'à neuf heures du matin et à faire la sieste trois heures pendant l’après-midi. Nous ne nous en soucions guère. Il faut faire comme nous. Pas de nouvelles de Valentin. Est-il toujours dans la Somme ?

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

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13 octobre 1916

Bien chère maman

Toujours embusqués. Je vous écrirai longuement demain soir. Ma carte partira demain matin.

Il est tard, je vais encore profiter de mon bon lit, c'est un délice.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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Secteur postal n° 4, le 15 octobre 1916

Bien chère maman

Aujourd’hui dimanche, repos pour tout le monde ; on s'ennuie aussi plus que de coutume. Rien à faire, aucun travail et pour comble de malheur, il pleut.

Le mauvais temps revient. Il va faire un hiver pluvieux comme celui que nous venons de passer en Argonne. Saint-Dizier est un vulgaire trou où il y a un peu d’activé grâce aux soldats qui circulent et viennent faire leurs achats.

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Nous y avons passé quelques heures pour faire quelques emplettes pour la popotte.

J'espère comme vous que Bître va se décider à vendre une partie de son trop nombreux troupeau ; à l’heure actuelle les bêtes à corne doivent se vendre très facilement et à bon compte.

Est-ce que le fils est toujours en Argonne, je ne me rappelle pas le numéro de son régiment. Je pourrais très bien passer de nouveau dans son voisinage sans m'en douter.

Que devient François Coderch ? Est-il toujours dans son très intéressant laboratoire de prothèse dentaire ?

J'ai écrit à Maurice Payré dont je n'ai rien

J.M.O 18 octobre 1916 – Les deux bataillons de travailleurs du 313e dans le secteur de Marceau sont relevés, ils embarquent à Dugny à 18 heures et débarquent dans la matinée du 19 octobre à Robert-Espagne

Lors de ce passage sur la Voie sacrée le régiment a eu 9 tués et 22 blessés.

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Secteur postal n° 9, le 18 octobre 1916

Chère maman

Je vais encore me promener Saint-Dizier. C'est notre seule distraction. Tu vois que nous sommes encore loin de la Somme où tu crains de me voir ainsi que tu le dis dans ta dernière lettre.

Je t'écrirai longuement ce soir. Je t'embrasse bien tendrement.

Prosper

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20 octobre 1916

Chère petite maman

J'ai encore réussi à escamoter une autre journée de liberté pour m'évader à Saint-Dizier. Ce n'est pas que cette pauvre petite ville soit remplie d’attraits, mais c'est une journée passée sans qu'on ait le souci de la voir trainer et employée à des riens ennuyeux qu'on n'est plus bon à rien et qu'on a perdu son temps en s'ennuyant. Je constate depuis que je suis au repos que je suis resté civil malgré mon grade et mon uniforme, et cela me fait plaisir car alors la résolution que j'ai prise il y a quelques mois de quitter l’armée aussitôt après la guerre ne me causera jamais aucun regret.

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Je suis soldat dans la tranchée avec fierté et joie car c'est le seul métier où le seul rôle que depuis que j'ai des sensations morales me permet de ressentir avec le plus de persistance et d’intensité la satisfaction personnelle du devoir accompli.

C'est seul secret de la gaité du poilu. Le poilu qui vient du feu où il a risqué sa vie est heureux comme un roi parce qu'il est fier de sa conduite, de son travail et des succès du régiment.

Au repos, le soldat rêve de l’arrivée, celui où il ne peut aller qu'en permission, il sent plus lourdement peser sur lui le réseau de ses multiples devoirs. Pour moi la vie au cantonnement me donne une idée de la vie de caserne, si ennuyeuse, si servile, si peu intéressante à cause des rivalités, des jalousies, des caractères qui sont obligés de se heurter sans cesse.

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Cette guerre où tous, civils et soldats de carrière, versent leur sang au nième degré et souvent au même titre, fait trouver mesquine et anormale cette vie de l’officier choisie, non pas par vocation, mais souvent, surtout à l’heure actuelle, par intérêt. Il faudrait que l’officier soit comme le prêtre. Comme cela est impossible à cause de notre civilisation qui a rendu considérable les exigences de la vie. Il ne peut y avoir qu'une armée d’officiers mercenaires justes bons pour dresser aux exercices militaires ceux qui au moment de l’action se lèveront encadrés par leurs égaux dignes de cet honneur et pris dans leur masse.

La réalisation de ce tableau n'est guère possible en France où l’esprit militariste est trop affaibli.

Notre armée a encore des chefs superbes, ce sont ceux qui parmi les officiers de cette génération avaient les sentiments élevés et vraiment l’âme de vrais soldats.

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Ils se sont distingués et ont pris la tête. Profitons-en pour vaincre le Boche et l’écraser à jamais car nous n'aurons plus jamais une armée comme celle qui combat aujourd’hui. De moins en moins parmi les officiers d’active il y aura de vocation. Jamais une armée de mercenaires ne sera victorieuse. Il ne sera plus servante parce qu'elle sera administrative et parce que le mobile de ses membres officiers sera non pas le but suprême : la guerre victorieuse, mais l’acheminement paisible, suivant la loi de l’avancement, aux grades supérieurs.

Je ne sais pourquoi je vous raconte tout cela. Je m'ennuie au repos et je me plais à étudier mes camarades. Mon champ d’étude est très restreint, peut-être suis-je en train de me tromper, mais ma conviction est faite et je serai toujours soldat de fortune. Nous sommes toujours au repos pour quelques jours encore, dix, peut-être davantage.

Souscrivez à l’emprunt aussi largement que possible, il nous faut vaincre, ensuite nous verrons bien.

Je vous embrasse bien tendrement

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 21 octobre 1916

Bien chère maman

Comme vous avez tort de vous faire tant de soucis. Nous sommes au repos. Attendez pour vous tourmenter que je vous dise que nous avons reçu l’ordre de remonter aux tranchées. Si nous passions l’hiver au chaud, ce serait une heureuse combinaison.

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J'ai reçu à deux jours d’intervalles deux longues lettre à tante Louise, l’autre à Perpignan de tante Alice.

Ils vont tous très bien à Onzain et ils ont de bonnes nouvelles de Jean, c'est l’essentiel.

A Perpignan, tante Alice est malade ? Une bronchite. Elle m'annonce une visite à mon oncle à Prats pour l’embarquement des chevaux. Valentin donne de bonnes nouvelles.

Je suis heureuse du temps si doux que vous avez à Prats. Ici, il fait un petit froid que l’on supporte très bien. Malgré tout j'ai revêtu la collection d’hiver.

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Pauvre madame Cussoly. Elle était bien amaigrie lors de ma dernière permission. Elle est si gentille et ses enfants sont si jolis.

Comme vont nous cousines ? Thérèse ? Vous ne donnez pas fréquemment de vos nouvelles personnelles bien détaillées.

Nous continuons nos exercices. Je crois que l’on va encore en augmenter le nombre. Nous faisons comme de grandes manœuvres de brigade et de division.

Je serai très occupé pendant les jours qui vont suivre.

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Je vous écrirai fréquemment mais par contre nous sommes toujours logés dans le château des Trois Fontaines. Les braves gens qui nous reçoivent sont vraiment très aimables. Depuis six semaines que nous avons pris possession du château ils n'ont cessé de nous faire des amabilités.

Il fait sombre. Je ne vois plus. Je vais jeter mes lettres à la poste civile. Elles iront peut-être plus vite.

Je vous embrasse bien tendrement mille et mille fois. De bons baisers bien doux à ma petite maman.

Prosper

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27 octobre 1916

Chère maman

Un tout petit mot bien vite. Je ne vous ai pas dit que nous étions à Verdun. Actuellement, vous le devineriez bien, aussi je ne cache plus rien. Les journaux vous ont renseigné, ça a très bien marché, pas trop de pertes. Le mauvais moment est passé, vous n'aurez plus à vous faire de soucis. Le Boche est au-dessous de tout, nous le dominons merveilleusement.

Je vous embrasse bien fort.

Prosper

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23 octobre 1916

Bien chère maman

Santé parfaite, moral excellent. Le travail est bon, les journaux vous ont renseigné. Ne vous inquiétez pas de moi. Nous avons tous croqué les tablettes et bouchons de chocolat hier. Ils étaient délicieux. Le colis est aussi arrivé Il m'a permis de mettre des chaussettes sèches.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Bons baisers à ma maman.

Prosper

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26 octobre 1916

Bien chère maman

Toujours de bonnes nouvelles. J'ai reçu de vos nouvelles. Je suis heureux que mes vœux soient parvenus à temps et qu'ils t'aient fait plaisir.

Nous sommes chez les Boches, c'est épatant. Sales gens. Il y en a beaucoup sur le doc. Je vous raconterai tout cela.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

23 octobre 1916 – Le régiment quitte les cantonnements de Troisfontaines à 6 heures et débarque à Dugny d’où il gagne Verdun et cantonne, partie caserne Miribel, partie Faubourg Pavé. Installation terminée à 22 heures.

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Novembre

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4 novembre 1916

Bien chère maman

Ici au repos. Assez loin des obus. Je vais bien. Nous venons d’arriver. Je vous écrirai longuement demain une longue lettre pleine de détails.

J'ai reçu vos lettres régulièrement même en ligne. Nos vaguemestres sont venus jusqu'à nous.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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6 novembre 1916

Bien chère maman

Je t'ai promis une longue lettre encore aujourd’hui. Je m'acquitte avec plaisir de mon engagement. Hier au soir j'ai reçu de toit une toute petite carte illustrée qui m'annonce aussi longue lettre. Voyons si le vaguemestre va me l’apporter.

Nous sommes toujours au même point. Nous ne savons pas ce que l’on va faire de nous.

Nous commençons à nous reposer et c'est un vrai bonheur pour moi de pouvoir dormir une longue nuit, déchaussé et chaudement enveloppé dans mes deux couvertures. Tout est relatif, mon lit de camp sans drap, sans traversin, sur un matelas presque puant me semble meilleur que tous les lits, les vrais lits que j'ai déjà utilisés.

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Pauvre ville ! Il n'y a guère de maison intacte. Je faisais mon excursion en compagnie du docteur Rottier qui a habité Verdun quelques années avant la guerre. Les renseignements qu'il me donnait augmentait l’attrait de notre randonnée parmi les ruines. Le feu a ravagé des quartiers entiers. La ville était très petite et très vielle et son délabrement actuel s'accorde très bien dans certains quartiers avec la vétusté des pauvres bâtisses qui me ne demandaient qu'à tomber semble-t-il ? Toutes les maisons de la Meuse du reste, en bois et boue donnent l’impression d’avoir été construites pour servir de but ou pour peupler un immense champ de manœuvre où cette guerre devait passer. Il n'y a personne dans Verdun, les maisons éventrées laissent échapper leur mobilier et leurs richesses, car les habitants qui sont partis précipitamment n'emportèrent que l’indispensable.

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A l’heure actuelle de braves territoriaux gardent tranquillement tout cela. Ils vivent dans des ruines comme des hiboux, se cachant dans des guérites de pierre et de sacs qu'ils ont faites pour se protéger des éclats d’obus, sortant brusquement sur votre passage pour vous demander le mot de passe où pour vous interdire un quartier trop dangereux.

Pendant que je vous écris, j'entends les Boches qui se sont remis aujourd’hui à taper dans la pauvre ville. Ce sont des obus bien mal utilisés, ils ne servent qu'à remuer des décombres.

Votre petite carte m'a appris la visite de l’oncle. J'en suis très heureux. Je viens de faire une petite carte pour tante Louise. Ils sont terriblement renseignés dans le Loir-et-Cher sur ce que fait le régiment, aussi je leur envoie un petit mot pour le rassurer sur mon compte.

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Depuis deux jours, il fait beau. Ce n'est pas malheureux car la pluie est terrible pour les soldats. Le secteur de Verdun est terrible pour la boue. Ce n'est qu'une mer de boue, depuis Verdun jusqu'au positions. On s'enfonce souvent presque jusqu'au corps dans la terre glaise qui vous colle au sol et d’où l’on ne peut s'arracher sans aide. Tous les vêtements que l’on emporte sont perdus, ni l’eau ni la brosse en chiendent, ni l’étrille ne peuvent enlever du drap la terre glaise séchée. Les effets restent jaunes et lourds de boue.

Je vous envoie deux lettres de mesures que j'ai fait prendre par le cordonnier de ma compagnie pour que le cordonnier de Prats me confectionne une paire de bottes. C'est la seule chaussure utilisable actuellement dans le coin où nous serons appelés à aller. J'ai fait un petit croquis avec les mesures pour la jambe Pour le pied, la paire de chaussure qu'il m'a déjà faites allait bien. Qu'il modifie seulement le bout qui était un peu long, qu'il fasse carré ; mon pied sera plus à l’aise et la chaussure moins longue. La botte devra être lassée jusqu'en haut avec des crochets, le soufflet doit monter jusqu'en haut, le cuir aussi souple que possible dans la tige.

Je vous embrasse à toutes les trois bien affectueusement. Je t'embrasse ma petite maman bien tendrement.

Prosper

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6 novembre 1916

Bien chère maman

Pour la première fois depuis que je suis au 313e, nous avons participé à une brillante affaire.

J'ai vu des cadavres boches en tas et partout, du matériel, des munitions abandonnées, un vrai champ de bataille tel qu'on ne peut se l’imaginer sans l’avoir vu. On nous parlait de Verdun comme d’un lieu vraiment terrible, nous nous en faisions une idée bien au-dessous de la réalité. Depuis huit mois que l’on se bat dans ces ravins et sur les crêtes sans répit, sans trêve, sans une minute pour souffler, on est arrivé à transformer cette régions en un vrai désert, cent fois pire que tous les coins du front que j'ai vu.

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J'ai fait des kilomètres de Verdun nord jusqu'à Douaumont, je n'ai pas vu un atome de végétation. Rien que de la terre vingt et trente fois remuée par les obus où les villages ne se reconnaissent qu'au plus grand bouleversement du lieu et où les bois ont complétement disparus. On ne trouve plus rien qui rappelle les aspects habituels de la nature ou des lieux. Des débris d’armes, de matériel de guerre, des cadavres récents et des cadavres blanchis, disloqués, c'est tout ce que l’on peut identifier.

Je ne peux vous dire exactement quel a été notre rôle dans tout cela, je n'en n'ai pas le droit. Je vous en ferai le récit de vive voix.

Nous sommes fiers d’avoir aidé à défaire en une semaine ce que nos ennemis avaient mis huit mois à réaliser.

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Notre avancée fut superbe et nous ne cessons de l’exploiter. Nous sommes actuellement légèrement en arrière pour souffler. Notre vie a été dure là-haut, grâce à Dieu que vous avez gagné pour moi, j'ai pu passer à travers des coups. J'ai grande confiance, bien souvent aux durs moments j'ai pensé à vous et j'ai fait comme tu me l’as recommandé, chère maman, j'ai prié. La Sainte-Vierge est bonne car je n'ai pas eu une minute de défaillance physique ou morale.

Je descends de là-haut en avec une excellente mine et un appétit féroce. J'ai pu vous écrire chaque jour, mes lettres vous sont parvenues, vous n'avez pas dû avoir trop d’inquiétudes.

Vous qui priez si bien, mettez toute votre confiance en Dieu et attendez patiemment.

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Je ne voudrais pas que vous ayez le cœur serra mais que vous attendiez avec calme, sans vous chagriner pour rien.

Sur le journal d’aujourd’hui de 5 h, on parle de notre division, la division Arlabosse. Cela fait plaisir.

Envoyez-moi de petits colis de façon qu'ils puissent me parvenir aussi loin que je serai. Les bonbons fourrés au chocolat étaient excellents. Les croquettes rondes sont trop sucrées et obligent à boire ce qui n'est pas toujours commode.

Je vous écrirai longuement demain.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois. Bien affectueusement à ma petite maman, mon meilleur baiser.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 7 novembre 1916

Bien chère maman

J'ai encore le temps de m'entretenir longuement avec vous. Nous sommes toujours au même point, nous continuons à faire notre toilette. Dieu que nous étions sales. Pleins de boue sur le visage, les mains, les vêtements, des barbes de vrais poilus couvraient notre visage. Nous n'avions pas pu nous raser de quinze jours. Vous pouvez penser si les douches que nous pouvons prendre ici sont les bienvenues et si elles sont appréciées. Je renonce à vous décrire par lettre notre vie.

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Il vaut mieux que j'attende d’être auprès de vous pour vous dire en riant tout ce que nous avons traversé. Je ne veux pas que vous soyez inquiètes. Nous sommes ici à Valoir pour encore plusieurs jours, aussi vous n'avez pas à vous tracasser.

Nous avons repris notre vie normale pour le vivre et le couché et à l’heure actuelle, comparativement à notre situation d’il y a quelques jours, nous sommes de vrais pachas.

Je bouquine, je vous écris, je m'occupe de mes hommes, je participe aux réunions des officiers, telles sont mes occupations, le temps devient rude. Mais je ne souffre pas du froid dans notre cantonnement qui est au sommet d’une butte.

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Il fait un vent affreux, pire qu'à la Tour-du-Pin.

Je n'ai de nouvelles d’aucun de mes amis. Julia qui est à Salonique ne m'écrit plus. Maurice ne me répond pas. Je vais envoyer un mot à Valentin.

Il fait nuit de bonne heure et les nuits sont longues lorsqu'on est dans un trou d’obus. Ce n'est pas agréable et l’on songe alors avec recueillement aux soirées passées sous la lampe. Nous ne connaissions pas notre bonheur pour la plupart. Cette guerre va nous ouvrir les yeux. J'ai entendu de mes hommes rappeler ces bons moments passés dans le sein de la famille.

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Je ne suis pas sûr que les coureurs, ceux qui allaient perdre leur temps au café changeront d’habitude en rentrant et qu'ils éprouveront du plaisir à rester chez eux. Nos hommes et nous tous nous conserverons un bon moral. C'est merveille de voir l’endurance du troupier français qui chargé comme un baudet fait sa route de relève dans la boue jusqu'au corps, passe la nuit sans abris sous les obus et reste malgré cela un bon soldat.

Dans les quelques mouvements que je fis avec mes hommes, je reçu l’ordre un soir (nous étions relevés) de rejoindre notre cantonnement de repos, celui où nous sommes. Nous avions fait les ¾ de la route, les plus mauvais dans la boue et sous un barrage d’obus lorsque je suis touché par un ordre de mon colonel de rejoindre immédiatement son poste. C'était la route horrible à refaire avec la nuit. Mes hommes me regardèrent. Je commandais demi-tour et sans un mot, tous me suivent. Nous refîmes la route presque jusqu'à mi-chemin puis nous reçûmes encore l’ordre de faire demi-tour. A la guerre, c'est souvent comme cela !

Le soir, on ne dut pas nous bercer.

Je reçois à l’instant un nouveau petit colis avec des bonbons et une paire de chaussettes. Merci. Tout est le bienvenu. Comme vous avez vite fait de satisfaire mes vœux. C'est hier il me semble que je vous demandais des douceurs.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois. Bons baisers à ma maman.

Prosper

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8 novembre 1916

Bien chère maman

Je me suis laissé prendre par l’arrivée prématurée du vaguemestre et je n'ai le temps que de vous écrire très rapidement. Situation inchangée. Le temps se remet au beau et nous avons l’espoir de journées excellentes à passer en ligne lorsque nous y remonterons. Nous avons encore plusieurs jours à passer encore une fois. Merci des bonbons reçus hier. Excellents. Je n'ai pas besoin de mon cache-nez ni de gants de laine. J'en ai une paire.

Aujourd’hui, pas de lettre. Dans votre lettre d’hier vous manifestiez des craintes au sujet de ma permission. Elle n'est nullement supprimée et j'ai l’espoir de vous arriver à la fin du mois.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

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10 novembre 1916

Bien chère maman

Je vous ai promis une longue lettre hier, je tiens aujourd’hui à vous l’envoyer quoique je n'ai rien reçu de vous aujourd’hui, mais je sais bien que vous n'en êtes pas la cause, c'est le service postal.

Toujours même situation, c’est-à-dire situation excellente puisque j'ai un bon lit et que je suis dans une chambre close. Je dors de huit heures du soir à huit heures du matin, ce n'est pas mal.

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Ce… repos durera encore quelques jours.

Je vous en prie, ne recommencez pas votre pèlerinage au Coral par le mauvais temps. Vous êtes dans une saison qui n'est pas sure et il suffit que je reçoive de l’eau sur le dos et que je vive dans le brouillard sans que vous alliez vous exposer à en avoir autant pour moi. Comme je suis entraîné à tout cela, c'est moi qui à ma prochaine permission irait faire le pèlerinage, j'en fais la promesse.

Hier, je n'ai pu vous écrire qu'une courte lettre car nous avons eu, tout en étant au repos, une journée très mouvementée comme nous en vivons d’ailleurs de nombreuses dans cette vie de guerre.

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Le matin, alors que nous étions tranquillement occupés à nos petits riens personnels, nous recevons l’ordre de nous préparer à partir immédiatement. En deux secondes il y avait autant d’agitation dans notre cantonnement que dans une fourmilière dans laquelle on vient de donner un coup de pied. En une demi-heure, nous étions tous prêts. Harnachés sur le pied de guerre. Une demi-heure après nous étions dés-haletés. Cela servit d’exercice à tout le monde. Malheureusement, j'ai un képi qui n'en reviendra pas. Il s'est trouvé le dernier à rentrer dans ma cantine sur laquelle nous avons été obligés de monter mon ordonnance et moi pour pouvoir la fermer.

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Il eut été dommage que le mouvement prévu s'opéra car il eut un excellent déjeuné à midi que nous aurions dû abandonner.

Le soir encore même histoire. Alerte ! On part dans une demi-heure ! Décidément, c'était la journée des repas manqués. Nous attendons l’arme au pied une heure, puis un message. Situation redevenue normale, l’alerte cesse. Cette nuit, bercé par l’idée d’avoir j'aille deux fois faire une promenade au clair de lune dans les trous d’obus pleins d’eau, j'ai dormi comme un sonneur.

Je vous écrirai encore longuement. Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois. Bons baisers à ma maman.

Prosper

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16 novembre 1916

Bien chère maman

Je vous ai promis une longue lettre aujourd’hui. Je ne puis vous envoyer qu'un petit mot pour vous donner de mes nouvelles. Toujours situation inchangée. Je compte recevoir de vos nouvelles demain matin. Avez-vous reçu ma commande de bottes. Qu'il soigne bien la semelle qui doit être large quoiqu'en dise le cordonnier de Prats. Un bon soufflet antérieur. S'il fait vite, je pourrais prendre ces bottes en allant vous voir en permission. Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

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18 novembre 1916

Bien chère maman

Une bonne petite lettre, un peu dans le genre habituel de ces vingt derniers jours.

Quand ces quelques mots vous parviendront nous serons relevés car depuis six jours nous avons repris nos positions de 1e ligne dans le… secteur que vous connaissez. Je suis en excellente santé malgré le froid. Je supporte bien toutes les misères de cette campagne à Verdun.

J'écrirai à Valentin une fois au repos. J'espère avoir une lettre de vous par le soldat qui va emporter celle-ci demain au petit jour au nez des Boches.

Je vous embrasse bien affectueusement à toutes les trois.

Prosper

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21 novembre 1916

Bien chère maman

Ce que je vous annonçais hier dans ma carte au sujet de mon séjour en ligne est exact. Lorsque vous recevrez celle-ci (je compte 4 jours), je serai au repos depuis deux jours. Nous aurons fait onze jours. Ce n'est pas une paille.

Je vous écris dans le poste du colonel. Je suis de garde, il est deux heures du matin, mes camarades ronflent en cadence, paisiblement malgré les obus qui secouent la barraque, mais elle est solide.

A bientôt une longue lettre, je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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23 novembre 1916

Bien chère maman

Voilà, le mouvement est fait, je suis passé du mauvais coin dans le bon coin. Ce que je vais bien dormir. Je crois que nous payons largement notre tribut à ce coin du front. Je crois que nous avons fait notre part. En attendant, nous allons souffler pendant quelques jours ; ensuite nous verrons venir, à la grâce de Dieu. Je dois encore le remercier d’être passé entre les gouttes. Je vous écrirai une longue lettre demain : ce soir je ne songe qu'à dormir.

Il ne faut pas me faire faire de bottes, je vais m'arranger ici. Le cordonnier préconise les ½ bottes parce qu'il ne peut faire des bottes.

Je suis en excellente santé et bien en forme. Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

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24 novembre 1916

Bien chère maman

Je vous écris en courant, le vaguemestre se sauve. Il est en retard parait-il.

J'ai reçu une lettre de tata et ton mot. Merci beaucoup. Je suis hors des obus, soyez tranquilles.

De plus, je vais aller suivre un cours de travaux de campagne plus loin que Trois Fontaines où nous étions. Cela durera jusqu'au 9.

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Ensuite, il y a de grandes chances que le régiment soit mois au repos et puis j'aurais ma permission.

J'ai reçu une lettre de Valentin. Il espère être en permission novembre, début de décembre. Peut-être pourrons nous nous rencontrer.

J'ai reçu un colis. Merci. Je vais gouter le pâté demain à 10 heures. Cela me permettra de faire comme à Prats et de manger dans la matinée.

Je mange des chocolats en vous écrivant. Je vous écrirai plus longuement demain, j'ai peur que le vaguemestre parte sans ma lettre.

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Il est entendu que vous ne faites rien faire par le cordonnier. Il ne peut faire la botte et c'est pour cela qu'il préconise la demi-botte.

A demain, je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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25 novembre 1916

Bien chère maman

Je vais vous faire une longue lettre avant de rejoindre mon centre d’instruction d’où je vous écrirai à partir de demain aussi longuement que possible. Je crois que vos lettres m'arriveront avec beaucoup de retard si je ne puis vous donner une autre adresse que celle que j'ai en ce actuellement.

Généralement, on est très bien dans ces centres d’instruction et l’on peut s'y reposer. Je pense que lorsque je rejoindrai le régiment, notre temps de présence à Verdun sera terminé.

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Mon tour de permission avance régulièrement. En revenant du cours, je ne serai pas loin d’aller vous embrasser.

J'ai mangé une bonne part du pâté que vous m'avez envoyé, il est excellent. Je vais lui donner un sérieux coup ce soir pour goûter. Puis je le mettrai dans ma musette car le voyage jusqu'à mon trou centre d’instruction s'annonce assez long. Le commandement m'a fait embarquer en auto à 1 heure du matin. Pour faire une quarantaine de kilomètres, partir la veille du jour fixé pour l’arrivée et partir à 1 heure matin, cela me donne à réfléchir sur la nature de l’auto qui va me transporter.

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Un vieux principe en campagne, c'est de ne jamais s'embarque sans biscuit, aussi je vais donner comme compagnon de voyage au pâté de Prats un pâté de Paris et pas mal d’autres petites choses.

Il fait un temps morose. Heureusement que nous sommes au sec et que nous pouvons faire du feu. Je suis obligé d’écourter ma lettre, j'ai plusieurs questions à régler avant de partir pour passer le commandement de mes 19 hommes à un camarade.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

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27 novembre 1916

Bien chère maman

Un mot seulement. Je suis à plus de 70 km, à l’arrivée. Je n'ai pas entendu depuis hier siffler un obus. J'en suis très heureux. Le cours s'annonce intéressant. Nos formations de pionniers semblent intéresser le commandement. Je crois qu'on a l’intention d’augmenter nos effectifs. Ce serait très chic. J'ai un long travail à faire ce soir. Un premier travail de cours.

Je vous écrirai longuement demain.

Prosper

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Le 28 novembre 1916

Bien chère maman

Je vous ai promis une longue lettre. Je vais, aujourd’hui que j'ai quelques minutes, vous écrire longuement. Je suis tout seul au grand repos. Une bonne embuscade de 13 qui m'est arrivée au moment où je m'y attendais le moins. Nous sommes dans un petit village peu éloigné de notre ancien cantonnement de notre dernier grand repos. Nous fournissons un travail assez léger. Le matin, instruction par conférences, le soir, travaux pratiques au polygone d’instruction où nous mettons même la main à la pâte mais très légèrement.

Le temps est beau et tout cela nous fait faire d’excellentes promenades.

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Je suis logé chez le curé de l’endroit qui n'est pas actuellement à son presbytère. Sa gouvernante m'a reçu avec des cris de dinde effarouchée. Actuellement, elle est à mes petits soins. Un bon lit même comparé à ceux du plus éloigné arrière dans lequel je fais un somme ininterrompu de l’instant ou je me couche jusqu'au moment où mon ordonnance m'apporte mes souliers et vêtements. Je rattrape avantageusement les jours de tranchées auprès du fort de Douaumont où l’on ne dort guère.

Nous sommes au cours, une vingtaine d’officiers, parmi eux j'ai trouvé de charmants camarades entre autres, l’officier pionnier du régiment qui nous a relevé en Argonne et avec qui je cause de mon vieux secteur où j'avais tant travaille.

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J'ai trouvé également bon nombre de méridionaux, un perpignanais qui connait les Monllony, les Payré et autres, un habitant de Mont-Louis, deux narbonnais, etc… C'est tout le midi qui s'est donnée rendez-vous à notre popote. Nous nous amusons bien à table, il y a des boutes en train.

Je me retrouve avec plaisir dans les environs des pays où nous avons passé notre bon repos de septembre et d’octobre et où peut être nous reviendrons lorsque nous aurons fini d’en prendre à Verdun où nous ne pouvons rester éternellement.

Je ne sais si j'aurais l’occasion d’aller jusqu'à Trois Fontaines faire une visite aux gens qui nous ont si aimablement supportés pendant notre long séjour.

Je vais faire mon possible pour aller à Saint-Dizier dimanche prochain. J'ai besoin d’une capote, la mienne, celle que j'ai depuis que je suis sur le front ayant terminé irrémédiablement son service à Verdun.

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Je suis sans nouvelles de Maurice Payré à qui j'ai pourtant écrit. Est-ce que quelques membres de sa famille sont à Prats.

Je vais en profiter dans notre groupe et je m'aperçois que je dois aller faire un tour à la cuisine.

Le métier ne me convient guère. Enfin, je suis le plus jeune, il faut que je me plie à la règle. Ce n'est heureusement que pour quelques jours.

Je vous embrasse bien affectueusement à toutes les trois.

Votre petit soldat.

Prosper

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1er décembre 1916

Bien chère maman

Je ne vous ai pas écrit hier. Je n'ai pas une minute dans la journée et le soir, comme nous avons trimé dur, je n'ai pas su résister au plaisir de me coucher rapidement. Depuis que je suis ici, je n'ai pas reçu une seule de vos lettres. Cela fait cinq jours. Je vous ai donné ma nouvelle adresse… Le cours que je suis se terminera le 9 décembre, par suite dès le 5 décembre, écrivez-moi à mon ancienne adresse.

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J'écris affreusement mal. C'est mon vieux porte-plume qui fait des bêtises.

Il fait triste sans vos nouvelles, je crois que je n'étais jamais resté si longtemps sans rien recevoir de vous. Je n'ai rien non plus de mes camarades du régiment. Les cours continuent à être très intéressant, seulement, on nous fait travailler nous-mêmes. Je trouve que ces travaux de terrassement et autres que nous avons dirigé ; il fait faire identiquement à ceux qu'on nous ordonnera ne devraient pas nous être imposés. Enfin, cela nous fait faire un peu de gymnastique et nous égaie un peu, nous le prenons du bon côté. Il fait beau mais froid. Bien entendu, je ne souffre pas du tout du froid.

Après demain, nous serons libres toute la journée. J'ai demandé un laissez-passer pour Saint-Dizier où je compte aller me réapprovisionner de mille choses et passer une journée dans un semblant de ville, voir des magasins et des rues.

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Ici, nous sommes dans un trou. Si nous n'étions pas occupés nous serions obligés de lire toute notre sainte journée.

Je continue à faire un excellent ménage avec la gouvernante du curé. Mon vieil ordonnance, mon brave Villedieu fait d’interminables conversations avec elle. J'espère qu'il ne lui divulgue pas les secrets de notre défense.

Actuellement, je compte les jours. Ma permission approche. Ce qu'il y a de bon auprès du feu, avec un bon froid au dehors, causer de vous trois. Et puis ce sera une plus longue permission, les rudes journées que j'ai passé à Verdun me font diviser plus que jamais les précieux instants qui vont mettre donnés de passer auprès de vous.

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Je profite de ce congé que me procure ce cours pour étudier un peu mes bouquins militaires, car actuellement ce n'est pas comme en Argonne, on n'a pas le temps de bouquiner. En ligne, il n'y a bien entendu pas à essayer et au demi-repos ou on nous place en quittant la première ligne, on ne songe qu'à une chose, se laver, manger et dormir

Dans ma chambre tout seul, ce qui ne m'est jamais arrivé depuis le début de la guerre, le travail un tout petit peu, il me semble être dans ma chambre d’étudiant. Je vais profiter de tout cela.

Je vous embrasse bien affectueusement à toutes les trois, de bons baisers à ma petite maman.

Prosper

Décembre

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4 décembre 1916

Bien chère maman

Je revois enfin un gros paquet de lettres : deux de vous, plusieurs de mes camarades du régiment. Les deux vôtres, une du 22 novembre et une lettre du 28 novembre m’ont fait énormément de plaisir. Mais un mot de maman que je n'ai pas très bien compris me cause beaucoup de soucis. Tu dis que ta santé est maintenant raffermie, veux-tu entendre par là ? Est-ce que ton état de santé antérieur à ma dernière permission ou veux-tu parler d’une indisposition ressentie.

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Je suis anxieux. Déjà par deux fois les lettres de tata qui m'ont fait beaucoup de plaisir m'avaient fait craindre que tu ne sois malade. Rassure-moi vite.

Je suis allé hier à Saint-Dizier faire des emplettes. Il y a toujours autant de monde dans affreuse petite ville. J'ai déjà un temps superbe. Une véritable journée d’automne. Mais par contre aujourd’hui il fait mauvais. La neige est tombée toute la nuit dernière, elle a fondu dans la journée et ce soir avec le froid, il y a du verglas. Il doit faire froid à Prats, votre lettre me le laisse deviner. C'est un maudit pays aussi.

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Les combinaisons dont je vous avais parlé au sujet de notre séjour à passer encore aux tranchées semblent se réaliser. Dans ces conditions, c'est la permission dans peu de temps. J'ai reçu une carte du docteur qui me donne des nouvelles du régiment qui n'a pas bougé depuis que je l’ai quitté. Une lettre également de deux autres de mes camarades. Le régiment… on a la chance d’y rester longtemps comme moi devient une grande famille où l’on se fait de bons amis. Je n'avais pas encore eu l’occasion de le quitter en dehors des permission… et cela me semble tout drôle d’être à la fois loin de vous et loin de mes camarades de combat. Il me semble que je seul plus que d'habitude.

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Ici, au corps, j'ai trouvé de bons camarades avec qui je fais excellent ménage ; je suis le plus jeune.

Je dois terminer ma lettre, il est 4 heures 30, la soupe sonne, il ne faut pas que je sois en retard. Je vous écrirai longuement demain.

Je vous embrasse bien affectueusement à toutes les trois. Mes bons baisers à ma petite maman.

Prosper

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6 décembre 1916

Bien chère maman

Je reçois votre lettre du 23 novembre, cela fait huit jours pour me parvenir. Je voulais vous écrire longuement aujourd’hui mais je suis empêché par le travail du cours. Le cours serait parfait si l’on ne nous obligeait pas à prendre l’outil. Nous n'avons pas de vêtement pour ce genre de sport et nous nous mettons dans des états lamentables.

Dans plusieurs de vos lettres vous me dites que le cordonnier me fera mes bottes pendant ma permission. Qu'il n'entreprenne rien. Le cordonnier du régiment s'est mis au travail.

Je ne puis pas vous fixer la date de ma permission.

Je vous embrasse bien tendrement

Prosper

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11 décembre 1916

Bien chère maman

J'ai rejoint mon régiment. Cela m'a fait plaisir de retrouver mes bons camarades et mes hommes. Rien de bien extraordinaire ne s'est passé pour eux pendant mon absence. Ce dont je vous ai parlé et qui doit hâter ma permission va se produire d’un moment à l’autre, c'est une question d’heures. Les préparatifs sont faits. Ce sera pour nous comme en septembre et octobre.

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13 décembre 1916

Bien chère maman

Un petit mot. J'ai rejoint mes hommes en ligne dans un de mes anciens secteurs. Je vous ai écrit hier que ce n'est pas question d’heure. Cela continue à être exact. Quand vous recevrez cette lettre, je serai très bien installé dans un lieu bien plus confortable qu'à l’heure actuelle et que nous connaissons déjà et qui est très plaisant ma foi.

J'ai reçu aujourd’hui une lettre de Valentin Cabanat mon cousin. Je suis extrêmement étonné ! Surtout que pour la première fois ce cousin qui ne me connait pas m'appelle cher Prosper et termine par une chaleureuse embrassade.

Je vous embrasse bien affectueusement.

Prosper

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Je vais répondre une carte très brève aujourd’hui car je n'ai pas le temps et surtout l’installation qui est très rudimentaire me donnera une excellente excuser pour ne pas en dire plus long.

Je serai avec vous pour les fêtes de Noël et du premier de l’an.

Je vous embrasse bien affectueusement toutes les trois. Bons baisers à ma petite maman.

Prosper

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15 décembre 1916

Bien chère maman

Nous sommes dans le coin confortable ! Encore plus loin que le village où j'ai suivi mon cours. Je compte partir en permission dans six jours. Je vous télégraphierais de Paris. Il me tarder infiniment de jouir de cette permission qui me semble-t-il doit être plus douce pour moi.

Je suis installé confortablement, un bon lit : dans lequel je vais me transporter dans quelques minutes.

Les secteurs durs ont un avantage c'est qu'ils procurent vite un grand repos.

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Je voudrais que ma lettre vous arrive très vite pour vous annoncer la bonne nouvelle que je connais et que les journaux ne vous apprendront que demain. Dans les secteurs que nous avons quittés, les camarades sont partis à l’attaque encore une fois. Ils ont avancé de 4 km, pris 40 canons et fait 7 000 prisonniers. Cette fois-ci nous n'avons coopéré en rien à cette attaque que nous n'avons fait que préparer en organisant les bases de départ.

Je vous entretiendrai de tout cela à ma permission. Je crois que vu le peu de temps qui me sépare de mon arrivée que c'est la dernière lettre qui vous parviendra avant que j'aille vous embrasser.

Bons baisers à toutes les trois.

Prosper

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Le 23 décembre 1915

Bien chers parents

J'ai reçu vos bonnes choses, gâteaux Maillard et nougats, le tout est très bon mais les nougats sont d’un dur, d’un dur. Ils ont failli nous casser les dents à tous. Ils malgré cela très appréciés.

Voilà Noël qui approche.

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Pauvre Noël, il sera bien pauvrement fêté.

Je penserai bien fort à vous pendant tout ce jour. Le petit Jésus que nous prierons tous me portera bonheur.

Je vous embrasse bien affectueusement.

Prosper

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29 décembre 1916

Mon lieutenant

Deux mots vous disant que j'ai expédié votre colis le 25 décembre en gare de Become, j'espère qu'il vous est bien parvenu, je conserve le talon ou récépissé.

Comme vous devez le penser, vous ne nous retrouverez pas au pays où vous nous avez quittés. Nous avons embarqué le 28 et débarqués le jour même à Epernay, Marne. Nous sommes cantonnés à Sarcy, petit pays situé environ à trente kilomètres de la gare de débarquement. Seulement, je crois que nous avons pris le chemin de fer le plus court. Les bruits courent que le… va prendre les lignes ces jours-ci. Je ne pars pas en permission ce tour-ci, il me faut attendre l’autre, pas de veine.

Pour 1917, je vous souhaite bonne année, bonne santé et bonne chance.

Recevez, mon lieutenant ainsi que votre famille mes salutations distinguées. Surtout, passez une bonne permission.

Votre ordonnance.

René Villedier

J.M.O. 28 décembre 1916 – Le régiment s'embarque en gare de Blésines, débarquement à Epernay puis se porte à Sarcy et s'y installe en entier.

Lors de ce passage à Verdun le Bataillon a eu 91 tués et 261 blessés et 5 disparus ce qui représente plus de la moitié de son effectif.

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