Deux filles Coderch dans cette page, Rose la première pour avoir épousé Prosper-Louis Tailleur, et sa nièce Marie pour avoir épousé Valentin Cabanat dont la fille Thérèse épousera François Tailleur, fils de Prosper-Louis et Rose.
Les liens avec les Coderch perdureront jusque dans les années 70 en la personne de François, neveu de Marie.
Directeur d'école normale puis professeur au Lycée de Montpellier
Dentiste, refusé pour raisons de santé pour servir dans la zone du front, il s'engagera comme infirmier. Il sera finalement affecté comme dentiste mais à Perpignan.
Joseph commence une carrière dans l'armée en 1868. Par la suite, l'école des sous-officiers d'infanterie lui permettra d'être nommé sous-lieutenant en 1880 puis capitaine en 1891. Légion d'honneur en 1890.
Installés à Onzain à côté de Blois, le ménage sera très accueillant avec Prosper pendant tout le conflit. Après Jean, ils ont eu deux filles, Marie-Louise et Madeleine.
Officier (capitaine) lui aussi, sera fait prisonnier en août 1915 et terminera la guerre en Allemagne où il sera détenu dans des conditions difficiles en raison des privations de nourriture. Sa santé en restera altérée.
16 mai 1860, Thérèse Boixède-Frézol, sans profession , épouse du sieur François Coderch, négociant, domiciliés ensemble à Prats-de-Mollo, a été déclarée séparée de biens d’avec son mari.
Onzain, le 8 avril 1916
Ma bonne Thérèse
Je suis allé, hier, chercher ma petite pensionnaire, un vrai voyage à la vapeur ! Partie jeudi après-midi, je suis allée coucher à Nogent et le lendemain matin à sept heures, j'étais en route pour Saint-Denis ! Nous avons pu prendre notre de train de 10 h 29 qui nous fait arriver ici à 5 heures (ayant deux heures d’arrêt à Orléans).
En arrivant chez moi, j'ai eu le plaisir de trouver votre grande lettre mais combien j'aurais voulu apprendre que notre cher François va bien !
Je crois décidément qu'il lui faudra le beau temps, que le soleil sera le meilleur des remèdes, il n'y a donc qu'à patienter et à espérer. Vous voyez que Dieu vous a épargné aussi votre cher enfant puisqu'il a pu supporter si bravement tant de fatigues et qu'au milieu des dangers où il vit depuis bientôt quinze mois, il n'a pas eu une seule égratignure !
Vous allez le voir arriver bientôt, vous avez bien droit à cette douce compensation, votre tourment est si grand et votre vie si triste, mais le courage ne vous abandonne pas.
Heureusement, si c'est une consolation pour vous, je peux vous assurer, ma bonne amie, que votre oncle et moi pensons beaucoup à vous et que nous partageons l’inquiétude dans laquelle vous vivez tous !
Tant mieux que notre chère Marietou se maintienne en bonne santé et qu'elle aime le jardinage, c'est une saine distraction qui prouve que notre bonne-maman est encore très forte.
Votre oncle a seulement un carreau de jardin qui est fait ; nous comptions avoir un infirmier pour bêcher les autres carrés, car il y a ici quinze infirmiers à l’hôpital temporaire et pas un blessé ou un malade depuis des mois ! Le major veut bien qu'ils s'occupent dans les vignes, les champs, les jardins, etc… nous comptions en avoir un cette semaine et juste on les a vaccinés contre la typhoïde avant-hier et cette nuit une trentaine de blessés sont arrivés ! Nous allons donc attendre car je ne veux pas que votre oncle fasse un travail un peu dur, il est de suite fatigué ; depuis sa maladie il n'est plus très fort et a besoin de se ménager.
Vous pensez, ma bonne Thérèse, que nous suivons doublement les péripéties des attaques autour de Verdun, nous connaissons bien en effet tout ce terrain qui doit être dévasté.
C'est triste pour tout ce monde obligé de fuir et d’abandonner ce qu'ils possèdent et de savoir qu'ils ne retrouveront rien, ceux-là sont bien à plaindre.
Nous avons eu hier une lettre et une carte de Jean, parties le 16 et le 12 mars, il se porte très bien nous dit-il. Je lui ai fait hier un bon colis et lui ai mis de votre part un délicieux saucisson qui va lui faire rudement plaisir. Il est temps n'est-ce-pas que je vous remercie (j'aurais dû commencer par vous dire quel accueil souriant nous avons fait hier matin à votre envoi postal).
Tous nous déclarons que Lyon ne mérite pas la réputation qu'on lui a fait pour son saucisson, le vôtre lui est bien supérieur, on ne pourrait le mieux réussir ni le faire meilleur, seulement, ma bonne Thérèse, nous trouvons que vous faites toujours notre part trop belle ! Merci mille fois pour nous tous qui aimons tant votre exquise charcuterie.
Nous n'avons pas eu de nouvelles de Valentin depuis un grand moment. Je vais écrire à mes chers poilus cette semaine.
Vous me demandez ce que fait comme travail Marie-Louise. Le matin nous faisons le ménage ensemble et l’après-midi, elle travaille. Elle se fait des chemises actuellement. Ce soir, mes deux filles vont faire une belle promenade en voiture au bord de la Loire avec la famille Diard. C'est M. Pierre (le sergent de Prosper) qui les conduit. Il est ici pour quelques jours car il habite Orange. Il a eu les pieds gelés l’hiver 1914 et marche toujours difficilement mais n'est pas réformé, il va passer sous peu une visite. Il garde un parfait souvenir de Prosper.
Madelon est bien contente de se retrouver avec nous, mais comme elle dit, nous serions plus gais si Jean était là aussi.
Marthe Coderch a fait un bon séjour chez sa tante, maintenant, c'est au tour de Thérèse ! Voulez-vous leur faire à toutes les trois nos amitiés ainsi qu'à François s'il est encore à Prats.
Je termine ma lettre pendant laquelle j'ai été dérangée combien de fois et je n'ai pas dit un mot de Justine que je n'oublie pas cependant car je l’aime trop pour cela.
Embrassez bien, ma bonne Thérèse, pour nous tous notre chère Marietou, notre bon François et Justine et mille bons baisers de nous tous et amitiés de grand’mère et merci mille fois.
Bien affectueusement à vous.
Tante Louise
Onzain, le 10 janvier 1917
Chères amies
Je suis bien fâchée d’être si en retard avec vous et avec beaucoup d’autres, ne m'en veuillez pas surtout, il m'arrive des lettres et des lettres à chaque courrier, je suis débordée et il me faudrait quelques journées de tranquillité et c'est très rare que je sois une heure sans être dérangée.
En échange de vos aimables souhaits que nous avons reçus avec plaisir, recevez tous les meilleurs vœux que tous ici formons pour vous et pour notre cher Prosper à qui je réponds ce soir.
Hélas, il faut que cette guerre terrible se termine victorieusement pour nous, que la paix, une paix toute de justice soit conclue cette année. Nous l’avons méritée, nos enfants ont assez souffert et que de durs sacrifices ont été faits ! Tout le monde ne prie pas, malheureusement mais les prières des croyants sont si ferventes que Dieu se laissera toucher et exaucera.
Vous voyez que votre cher petit lieutenant a été protégé puisqu'il n'a pas eu la moindre égratignure et qu'il supporte si vaillamment tant de misères ! Espérons donc qu'il vous reviendra sain et sauf.
C'est bien gentil de la part de Prosper de nous avoir sacrifié quelques instants de sa permission et je vais l’en remercier.
Nous avons pensé à vous trois encore plus que de coutume pendant ces bonnes journées où votre petit chéri état là, près de vous ; malheureusement ces jours-là passent plus vite que les autres et vous voilà redevenues anxieuses jusqu'à la prochaine permission. Je crois que Prosper a changé de place, il a fait son tour à Verdun et ont dû envoyer le 313 ailleurs, tant mieux car ce secteur-là n'est pas bon.
Ceux qui, comme Valentin, sont dans la Somme se plaignent beaucoup du temps humide ; ils pataugent dans la boue, ils enfoncent ; toute action par-là est, parait-il, impossible actuellement.
Nous avons des nouvelles de Valentin Durand qui est allé à Perpignan il y a un mois. Sa mère vieillit beaucoup, dit-il. Ce pauvre garçon était bien connu comme conducteur d’un train de combat mais à la suite d’un petit accident peu grave pendant qu'il était à l’ambulance, sa place a été prise. Actuellement, il est au dépôt divisionnaire, donc un peu à l’arrière.
Nous avons eu hier une lettre de Jean du 1er décembre et une carte du 5. Il va bien et me charge de ne pas l’oublier près de ses oncles, tantes, cousins, cousines. Ce pauvre grand espère passer le nouvel an prochain en famille !
Ici, nous avons eu un mauvais commencement d’année. Mon mari a eu des névralgies dentaires qui l’ont fait beaucoup souffrir surtout pendant la nuit. Le dentiste qu'il est allé voir à Blois lui a dit que ses dents étaient bonnes et n'a rien voulu lui faire qu'un pansement avec de la teinture d’iode. Votre oncle a essayé tous les cachets et comprimés qu'il a pu trouver sans obtenir de soulagement, enfin cela va mieux depuis deux jours, il a pu dormir et j'espère que cette souffrance ne reviendra pas.
Nous avons un hiver des plus malsains, beaucoup d’humidité et un temps aussi froid que s'il gelait, le vent est glacial.
Madelon a passé des vacances plutôt tristes sans mettre le pied dehors ; elle est arrivée avec une glande qui la faisait souffrir et qui n'a fait qu'augmenter de grosseur ; j'ai fait venir le docteur qui a dit que c'était la parotidite, une espèce d’oreillons bénins qui ne lui ont pas donné de fièvre ; cela régnait à Saint-Denis et heureusement que ces oreillons se sont déclarés quand Madeleine était ici, quel chagrin elle aurait eu si elle n'avait pu venir en vacances. Je ne pourrai donc pas la ramener à la Légion d’Honneur que dans une huitaine de jours.
Je passerai seulement un jour ou deux avec ma cousine et reviendrai de suite car ces voyages me fatiguent beaucoup.
Nous n'avons pas reçu encore la lettre attendue de nos nièces Marthe et Thérèse, j'espère qu'elles vont bien ainsi que Juste et François.
Ma mère me charge de son meilleur souvenir pour toutes trois.
Tous les quatre, nous embrassons bien fort notre chère Marietou, Thérèse et Justine.
Bien affectueusement à vous.
Louise Coderch
Onzain, le 5 février 1919
Chère tante Marie, chère cousine Thérèse, chère cousine Justine
Voilà une douzaine de jours que je me suis à la maison, je m'y trouve tellement bien que j'en oublie les parents et les amis. Et pourtant, Dieu sait, chère tante et chères cousines, si je vous dois de la reconnaissance pour toutes les générosités et les amabilités que vous avez eues pour moi.
En plus de mes sentiments de cœur, bien naturels à votre égard, mon estomac n'oublie pas toutes les bonnes choses que par l’intermédiaire de mes parents vous m'avez fait parvenir. C'est un sentiment qui parait bien égoiste, mais nous avons tellement besoin de vivres dans ce pays où on nous laissait presque mourir de faim. Donc, je ne vous remercierai jamais assez.
Me voilà enfin rentré dans la maison paternelle, pas en trop mauvais état. J'ai fait mon possible pour sauvegarder ma santé.
La joie que je me promettais en embrassant toute ma famille a été bien assombrie par la mort de cette maman bien aimée. Le plus cruel, c'est que les lettres qui me faisaient part de cette perte douloureuse ne me sont pas parvenues. C'est encore là une des barbaries de nos ennemis.
La vie au camp était devenue intenable par les tracasseries boches et le manque de nourriture ; c'est presque avec plaisir que je me suis désigné pour aller travailler à la culture. Là, quoique les aliments fussent mal cuisinés, la nourriture était à peu près suffisante pour se soutenir, les colis et les biscuits que nous recevions venaient heureusement compléter nos peu appétissants repas.
Le travail fût très pénible au début, j'étais tombé dans une ferme où le patron possédait une carrière de pierre qui lui rapportait beaucoup et pendant près d’un an, j'ai manœuvré la pioche et la pelle, passant l’hiver 1916-17 dehors, souffrant de ce froid horrible : les glaçons aux moustaches, les pieds dans la neige, le sang jaillissant des crevasses que nous avions aux mains, occasionnés par le ressaut du pic sur la pierre gelée dure comme l’acier.
Puis, par suite des réquisitions du gouvernement allemand, mon patron n'ayant plus de quoi nourrir tous ses chevaux, fut obligé d’interrompre le travail de sa carrière à notre grand plaisir.
De carrier de deuxième classe, je passais donc premier domestique de culture. J'ai fait à peu près tous les travaux à faire dans une ferme et c'est ainsi que je suis devenu cultivateur.
N'oubliez donc pas que si votre ferme manque de bras, vous avez un cousin qui sait tracer des sillons de charrue aussi droit que les bœufs de Pierre Dupont, qui manie la faux comme un grand faucheur breton et qui fait claquer le fouet comme un vrai charretier, avec les jurons et les grossièretés en moins bien entendu.
Je ne peux pas vous raconter toutes les vicissitudes de ma longue période de captivité ; cependant je vous déclare que j'ai passé des moments bien pénibles ; mais toutes ces misères se sont évanouies dès que nous avons eu les premiers rayons du soleil de France.
J'espère que tante Marie, cousine Justine et vous chère cousine Thérèse vous vous portez bien. Quant à Prosper, je voudrais bien, comme Papa lui a écrit, que s'il avait une permission avant mon retour au régiment (19 mois), il fasse un crochet et vienne passer quelques jours à Onzain.
Nous en serions très heureux. Pour ma part, j'aurais d’autant plus de plaisir à le voir que je voudrais le féliciter de ses héroïques prouesses sur lesquelles Papa ne tarit pas d’éloges.
Laissez-moi vous remercier de tout mon cœur de votre aimable invitation d’aller passer une partie de ma permission à Prats, si vous voulez bien, nous remettrons ce voyage à une saison plus clémente ; ici nous avons un hiver très rigoureux qui commence seulement.
Je n'ai pas encore écrit à Prosper, ni à Valentin, d’ailleurs je vais leur écrire de suite.
J'ai trouvé Grand-mère et mes sœurs en très bonne santé, Papa, sans être complètement remis va beaucoup mieux. Tous me chargent de leurs meilleurs compliments et se joignent à moi pour vous embrasser bien affectueusement.
Votre dévoué neveu et cousin
Jean Coderch
Joseph s'adresse à sa sœur Marie, la mère de Thérèse
Onzain, le 31 décembre 1919
Ma bien chère sœur,
Aujourd’hui, c'est à toi en particulier que j'écris pour te souhaiter une bonne année.
Nous restons tous les deux seuls, et je fais des vœux pour que ta santé se maintienne toujours bonne et que tu me restes longtemps. Il me semble que tant que tu dureras, je durerai. Je ne suis pas pourtant bien solide, j'ai une crise d’estomac qui me fait bien maigrir. Ça va mieux depuis quelques jours ; j'attends le beau temps avec impatience.
D’après une dernière lettre de Thérèse, ta santé était excellente, tant mieux. Tu t'occupes de ton jardin, tu as de la chance. Ici, où il ne fait pas froid, je ne commencerai qu'en février ou mars si je suis en force.
C'est si nécessaire un jardin qui rapporte pour la dure cherté de la vie que nous traversons à Onzain. Les légumes sont plus chers qu'à Paris. Il faut en faire des exercices d’équilibre pour niveler le budget, c'est aussi difficile qu'à la chambre des députés. Ce n'est donc pas encore en 1920 que je pourrai me permettre d’aller te faire une visite et pourtant je le désire de tout mon cœur. Te revoir ainsi que les tiens, c'est un de mes rêves du moment, un rêve de malade, probablement.
Nous avons reçu il y a quelques temps une lettre de Valentin ; il nage dans son élément. Je crois que la société qui lui donne la direction de cette importante exploitation agricole a bien placée sa confiance. Valentin est un garçon sérieux, tenace et intelligent et si sa robuste santé se maintient, il conduira son affaire avec succès.
Combien je souhaiterai que mon Jean soit dans les mêmes conditions. Le pauvre, après les rhumatismes, il est revenu chez son ancien patron à Blois où il ne gagne pas beaucoup. Nous patientons parce qu'il est près de nous, mais dès qu'il se sentira au courant du commerce qu'il avait un peu oublié, nous l’aiguillerons vers la grande ville, là seulement il y a de l’avenir.
Marie-Louise devient l’âme de la maison. C'est une jeune fille précieuse, le mari qui saura la découvrir est un veinard. Il ne faudra pas, par exemple, qu'il soit trop difficile sur la dot.
Madeleine grâce à la fièvre scarlatine a vu ses vacances de Pâques allongées de 13 jours. Enfin elle rentre le 5 janvier, ce n'est pas trop tôt. Elles sont tout le temps en vacances et après elles sont obligées de parcourir le programme au galop.
Je voulais faire une autre lettre pour Thérèse et pour Justine, mais je n'ai pas le temps, celle-ci comptera pour toutes les trois et même pour les quatre car je suppose que le bon Prosper sera à Prats quand cette lettre arrivera. Ainsi chère sœur, chère nièce, chère cousine et cher neveu, je vous transmets les meilleurs souhaits de bonne année de toute la maisonnée et de la part de tous. Je vous embrasse de tout mon cœur, votre frère, oncle et cousin bien dévoué.
Grand-mère a été un peu souffrante aujourd’hui. Elle ne vous oublie pas et me charge de ses bons souhaits pour vous tous.
Joseph Coderch