5 juillet 1915
Mon cher fils
Un mot en courant très vite pour ne pas manquer le courrier. Nous… pensons à toi, tout le temps.
Mille tendre… nous quatre.
Ta maman
2 juillet – Dans la nuit du premier au 2 juillet, le 5e bataillon a relevé dans le secteur Buzémont – Boureuilles le 6e bataillon.
Historique du 113e Régiment d'infanterie
Le 4 juillet 1915
Bien chers parents
Un petit mot seulement, je voulais vous écrire une lettre mais je m'en vois empêché par le manque de temps. J'… vous, je suis toujours au repos. On se cogne à notre gauche, dur et ferme mais l’allure générale de l’affaire engagée est bonne. Les Boches vont nous donner du fil à retordre mais maintenant, ils ne nous auront pas.
Je vous embrasse bien tendrement, votre petit officier.
Prosper
9 juillet 1915
Mon cher enfant
C'est aujourd’hui ton anniversaire, cette carte te portera tous nos baisers pour fêter ce jour de tes vingt-et-un ans. Que la Mère de Dieu à qui tu as été consacré en ce jour te continue sa maternelle protection.
Nous avons été heureux d’apprendre ta rencontre avec ton cousin. J'ai vite fait passer ta carte à mon frère car ils étaient un peu inquiets étant sans nouvelles depuis quelques jours. Valentin n'est guère épistolier. Nous avons reçu deux cartes hier, 3 et 4 juillet Ces combats incessants nous tiennent le cœur serré. Les étrangers viennent malgré la guerre, il fait chaud dans la plaine.
Tendres baisers de ta maman.
Thérèse Tailleur
Le 5 juillet 1915
Bien chers parents
Voilà longtemps que je ne vous ai pas envoyé de longue lettre. Aujourd’hui, je dispose d’un moment, je vais en profiter. Je vous ai dit avant-hier que Valentin était venu me voir. J'ai eu grand plaisir à revoir mon grand cousin artilleur. Il est superbe de santé. Il a engraissé et a trouvé que j'avais fait de même. Le tout est donc pour le mieux comme vous voyez.
Il est impressionnant avec sa barbe qui le vieillit comme à moi du reste. Mais je le fais intentionnellement car n'oubliez pas que je commande à des hommes qui ont près de quarante ans, deux ont même dépassé la quarantaine. La barbe me donne plus d’autorité.
Nous avons causé avec Valentin de mille choses, de vous surtout, de Prats, de notre avenir si la guerre nous épargne, etc. etc.
Nous ne savions pas nous quitter. Il m'a promis de revenir. Il est bien plus libre que moi. Sous le bon prétexte de faire promener son cheval il viendra me voir à mon prochain repos.
J'attends une lettre de vous ce soir, il y a deux jours que je n'ai pas reçu.
Nous sommes au repos dans un bivouac où l’on est parfaitement. Les alentours sont superbes, de la porte de ma cabine j'ai une superbe vue sur les environs. Notre repos est de six jours puis six jours de tranchée. Le service est bien pénible que dans les bois où nous avions jusqu'à 24 jours de tranchée. L’Argonne fait parler d’elle de nouveau. Ce n'est rien. Il y a le Kronprinz qui se faire épucer.
Ce soir, je vais m'occuper un peu, mon peloton a du travail, en fait, nous allons abattre des arbres dans les bois voisins et faire un sentier en rondins. Cela vous change du terrassement que nous faisons depuis des mois.
Je vous ai demandé des caleçons de plus ainsi que des chaussettes. Pour ce qui est du tricot que j'ai sur le corps, je ne puis plus porter ceux de cet hiver, j'étouffe. Ceux que le Bon Marché m'a envoyé les derniers sont parfaits pour maintenant, ils sont souples et chauds sans être lourds comme ceux que j'ai emporté en quittant l’arrière. Envoyez-m'en deux.
Je vous embrasse bien tendrement.
Prosper
6 juillet 1915
Bien chers parents
Ce matin je me suis bien distrait. J'ai fait seller un cheval de la compagnie et en avant dans la plaine au nez et à la barbe des Boches. J'ai galopé, le cheval a été très doux. C'est épatant.
Je recommencerai, il faut qu'un officier sache monter à cheval puis c'est délicieux de galoper dans les champs.
Je vous prépare mon envoi d’argent, un mandat dans une lettre recommandée.
Bien tendrement à vous tous.
Prosper
Ps: j'ai daté ma lettre d’hier du 7 par erreur
Le 7 juillet 1915
Bien chers parents
Je vous envoie par le même courrier un mandat de 500 fr. (je garde 100 fr. pour mon voyage possible à Prats) représentant une partie de ma solde de sous-lieutenant et de mon d’indemnité d’équipement et d’entrée en campagne. Je vous confie mes premières économies, faites-en ce que bon vous semblera.
Je vais recevoir, je crois, 250 fr. de solde plus une indemnité journalière de 3 fr.
Je suis à même d’avoir six jours de permission. En chemin de fer jusqu'à Perpignan et en auto ensuite. Je peux faire le trajet en 36 heures, que dois-je faire ?
Je vous embrasse très tendrement.
Prosper
Le 7 juillet 1915
Bien chers parents
… je suis en excellente santé. Surtout par ces temps-ci n'écoutez pas les journaux, ce sont de vulgaires canards.
Par ici pas plus de coups de canons que de coutume. L’idée des permissions tente comme à moi. J'irai mais ce ne sera pas tout de suite. Il faut que je passe à mon tour.
Je vous embrasse bien tendrement
Prosper
9 Juillet – Dans la nuit du 9 juillet, le 6e bataillon a relevé dans le secteur Bazemont – Boureuilles le 5e bataillon. Le 6e bataillon occupe les positions suivantes : … 24e compagnie (ouvrage ouest)…
10 juillet – Situation inchangée.
11 juillet – Situation inchangée.
12 juillet – Situation inchangée.
13 juillet – A 8 heures, les 18e et 20e compagnies avec la section de mitrailleuses Lecomte se portent de Lochères à Farimont. A 21 heures, les tranchées de deuxième ligne à hauteur du bois de l’Avant-Garde à cheval sur la route Neuvilly – Boureuilles sont occupées de l’Aire à la route par un peloton de la 18e compagnie (capitaine Roblot), à l’est de la route par un peloton de la 20e compagnie (capitaine Richard), une demi-section de cette compagnie sous le commandement du sous-lieutenant Briol organise une tranchée sur la rive droite de la Branière our enfiler le ravin.
La section de mitrailleuses Lecomte est placée à cheval sur la route à hauteur des tranchées de deuxième ligne.
14 juillet – Situation inchangée.
15 juillet – Situation inchangée.
16 juillet – Situation inchangée.
19 juillet – Dans la nuit du 18 au 19 juillet, le 5e bataillon relève le 6e bataillon dans les centres de résistance au nord du ravin de la Branière… Au 6e bataillon, les compagnies sont ainsi placées 21e et 24e à Forimont, occupant les tranchées de deuxième ligne au nord du bois de l’Avant-Garde,…
20 juillet – Situation inchangée.
21 juillet – Situation inchangée.
Le 9 juillet 1915
Bien chers parents
Je n'ai qu'une seconde, j'ai tout reçu lettres et dépêches. Je suis rassuré.
Je n'ai pu vous écrire hier, mille caresses. Je vous embrasse bien fort.
Prosper
Le 11 juillet 1915
Bien chers parents
De ma vallée des cerisiers je vous envoie de bons baisers. Il fait délicieux, un peu chaud mais ce n'est rien. Hier il a un peu plu ce qui a détrempé les boyaux. Notre pire ennemi ici, c'est la boue. Nous sommes dans la glaise.
Je n'ai pas eu de carte de vous hier. Je vous embrasse bien fort tous quatre.
Prosper
10 juillet 1915
Bien chers parents
Je vous ai griffonné un mot hier au soir en quatrième vitesse. Je n'avais qu'une minute, le courrier partait et mon capitaine me demandait car j'ai un capitaine maintenant.
J'ai perdu le lieutenant Gibon qui est allé au 151e comme capitaine.
Je regrette énormément cet excellent officier, c'était un ami plus qu'un supérieur. Le capitaine Soutit qui est à la 24e est charmant aussi.
Je vous embrasse bien tendrement.
Prosper
Ps : Hâtez l’envoi des culottes !!! Ma vielle m'abandonne et c'est désastreux. Je ne veux pas être un sans-culotte !!!
Le 12-13 juillet 1915
Bien chers parents
J'ai reçu hier au soir votre longue lettre. J'étais très heureux car vous ne m'envoyez pas de si longues lettres tout le temps. Ce n'est pas un reproche que je vous fais, je vous écris de si petits mots tout le temps, puis je sais que vous pensez tout le temps à moi. Vous devez lire les journaux avec inquiétude. Il ne faut pas croire ces vilains canards. Notre secteur en particulier est très calme. Je continue ma lettre d’hier que mon gros béta d’ordonnance a oublié d’emporter. Je vous embrasse bien bien tendrement à tous les quatre.
Votre petit pioupiou.
Prosper
Ps: J'ai le colis avec chaussettes, caleçon et saucisson. Le saucisson est délicieux. Pensez aussi à mes culottes.
12 juillet 1915
Mon cher enfant
Aujourd’hui aucune lettre, une petite carte hier du 6, pas reçu l’argent annoncé.
Maurice Payré est ici avec un congé de 10 jours. Il est venu nous voir. Nous avons parlé de toi, ne nos craintes. André Rouzeau est ici aussi. Il a été réformé pour maladie. Nous lisons toujours les journaux avec avidité. Ayons confiance, nous t'embrassons comme nous t'aimons. Ta maman.
Thérèse Tailleur
Le 13 Juillet 1915, Grande Bataille de l'Argonne – Après un bombardement d'une violence exceptionnelle et l'explosion de plusieurs mines, l'ennemi, qui, ce jour-là, attaque sur une grande largeur dans l'Argonne, aborde à 9 heures tout le front du 113e, dans le secteur de la Haute-Chevauchée. Il débouche en partie de sapes pratiquées à courte distance de nos tranchées. La progression ennemie s'opère d'abord rapidement par infiltration de petites colonnes qui encerclent nos premières lignes. Sous une averse de projectiles lourds qui écrasent dans les abris un grand nombre d'occupants, nos troupes cèdent pour éviter d'être submergées ou tournées. Elles empruntent pour leur retraite les boyaux de 285 et de Fille-Morte. Le bombardement ennemi qui a commencé à 3 heures, ne cesse qu'à 11 heures ; tout le secteur est bouleversé, nos tranchées sont comblées, nos abris effondrés, nos défenses accessoires éventrées et émiettées.
Un premier barrage est rapidement organisé sur la côte 285 et à Pierre-Croisée. L'ennemi s'y heurte sans pouvoir le dépasser. Un contre-attaque menée par le 66e chasseur et des éléments du 113e, rejette l'ennemi au-delà de la côte 285.
Les combats se poursuivent pendant toute la matinée et toute la soirée du lendemain. Ces deux journées sont parmi les plus dures que le 113e ait eu à supporter.
Historique du 113e Régiment d'infanterie Bibliographie sur cette bataille
La guerre en Argonne T1 : 13 juillet 1915 : l'offensive allemande de la Haute-Chevauchée par Claire Stratonovitch – Paru en 2001
La guerre en Argonne 2 : Les combats de l'été 1915 par Yves Buffetaut – Paru en 2007
Mercredi 14 juillet 1915
Mon cher enfant
Nous sommes depuis trois jours sans nouvelles. Que fais-tu ? Je crois que tu… André Alix a enfin été… il avait… sa famille est dans la joie. Es-tu au repos ? es-tu en 1e ligne ?
Orage tous les jours mais malgré cela nous allons à la châtaigneraie tous les jours. Je t'envoie partie de Prats qu'on voit de l’endroit où nous nous mettons.
Mille baisers.
Thérèse
Le 14 juillet 1915
Bien chers parents
Je suis obligé de vous envoyer un petit mot seulement. Je voudrais vous écrire plus longuement. Soyez sur que je pense bien à vous. Dans quelques jours (2 ou 3) nous serons au repos (6 jours). Je vous écrirai alors longuement.
J'ai reçu hier votre carte du 9. Merci…
Les étrangers à Prats vont donner un peu de vie à ce petit trou si grand pour moi à cause de vous.
Je vous embrasse bien tendrement
Prosper
Le 16 juillet 1915
Bien chers parents
J'ai votre carte avec le superbe pont d’Espagne.
Je me hâte de vous répondre. Je suis encore en ligne, ça fait dix jours. Tout cela à cause de l’activité que montrent les Boches en Argonne à notre gauche. Juste dans le secteur que nous occupions il y a un mois. Dans l’ensemble, l’allure des événements n'est pas mauvaise. Nous irons au repos dans un ou deux jours. J'apprends avec plaisir l’envoi de mes culottes. L’argent que je vous ai envoyé vous est sans doute arrivé.
Je vous embrasse bien tendrement.
Prosper
Le 16 juillet 1915
Bien chers parents
Pas le moindre mot de vous depuis deux jours, que d’irrégularité dans le service postal. Pas de grands changements par ici. On se cogne à notre gauche, mais les Boches prennent la pilule.
Il fait un été très frais, je suis habillé comme en hiver, sauf le chandail. Seulement, de temps en temps, il pleut. C'est très désagréable car alors dans nos trous, nous nous noyons. Dans ma cabane, j'élève de petites grenouilles. Quand elles seront grosses, il faudra que j'y goutte…
De gros baisers bien affectueux, bien tendres pour vous tous.
Prosper
Ps: Pensez-vous aux culottes ?
Le 17 juillet 1915
Bien chers parents
Quelques mots griffonnés en courant. Je vous envoie cette carte par les voies les plus rapides. Je vous embrasse aussi fort que je puis. Je suis très heureux. Ne vous faites pas de mauvais sang, cela serait inutile. Nous sommes en guerre, soit ! Les Boches la veulent, faisons-là, tant pis pour eux !
Mille caresses.
Prosper
Le 19 juillet 1915
Bien chers parents
J'attends mes culottes, que le Bon Marché est lent !
J'ai reçu votre carte, je vous écrirai longuement ce soir ou demain. Je vous embrasse bien bien fort.
Prosper
Côtes Forimont, le 21 juillet
Bien chers parents
Je vais vous écrire aujourd’hui un peu plus longuement que de coutume. Je suis aujourd’hui dans la période agréable de mon demi-repos. Rien de nouveau ou d’extraordinaire de ce côté. A notre gauche on se cogne mais sans changement. Les Boches se brisent contre nous. Je suis devant Boureuilles en effet.
Je ne vous ai pas dit plus tôt parce que je n'en avais pas eu le temps que le lieutenant Gibon aussi que le sous-lieutenant Cristofari avaient quitté la compagnie et même le régiment.
Ils ont été appelés comme commandant de compagnie au 151e. Cela leur fait de l’avancement. De toute façon, ils eussent préféré rester au 313e. Je regrette énormément le départ de ces deux officiers qui étaient mes camarades. Je reste le plus ancien à la compagnie, j'ai un capitaine maintenant très jeune aussi, 29 ans. Excellent chef et très bon, on ne s'embête pas avec lui. Le service à part, c'est un continuel éclat de rire.
Il y a quatre officiers à la 24e compagnie. Deux sous-lieutenants de plus nous sont arrivés. L’un, sous-lieutenant de réserve est un blessé du début, resté au dépôt jusqu'à présent, l’autre est un officier du train des équipages versé dans l'infanterie.
Il est moins ancien que moi si bien que je reste deuxième lieutenant et que je garde mon peloton. A cause du « trulien » à notre gauche Valentin n'a pu venir me voir, je vais lui écrire.
J'ai passé une revue de mon linge. Tout mon linge d’hiver sauf trois chemises est dans un piètre état. Je vais vous l’envoyer, vous me le changerez car je vais difficilement à Sainte Menehould maintenant. Je n'ai pas trouvé de tricot léger dans le paquet. Il fait encore très beau. Je vais me mettre à table. Je pourrais peut-être aller en permission dans un mois.
Je vous embrasse bien fort tous les quatre.
Prosper
22 juillet 1915, au repos
Mon cher ami
Je commence tout de suite par une triste nouvelle que vous ne connaissez pas sans doute encore : la mort de notre cher camarade Cristofari. Nous avions la joie d’être affectés tous deux au même régiment et nous nous consolions en parlant souvent du 313e. Son bataillon a donné l’assaut le 14 juillet, en même temps que le mien et notre ami a été tué en prenant une tranchée, par le seul Boche que ne se fut pas sauvé et qui a eu tout le temps de le viser à bout portant avant d’être abattu lui-même.
Il a été enterré au cimetière de Florent où je vais tacher d’aller saluer sa tombe.
Il avait déjà conquis toutes les sympathies des officiers du régiment qui admiraient cette belle figure de soldat. Je crois que toute la 24e pleurera son lieutenant qui s'est tant dévoué pour elle ! Quant à moi, je perds celui qui fût mon camarade de tous les jours depuis novembre et le vide est cruel.
Je n'ai plus depuis notre triste hiver l’exceptionnelle vigueur physique que j'avais au début et je n'aurais pas cru pouvoir résister à ces deux coups de la destinée.
J'ai tant souffert en quittant mon vieux régiment et surtout ma vielle compagnie. Comme je l’écris au colonel, je ne valais peut-être plus grand-chose, mais j'avais rendu quelques services au début de la campagne au régiment, services qui n'avaient pas été oubliés et je sentais autour de moi, en même temps que la bienveillance du colonel, l’amitié de mes camarades et la confiance de mes hommes.
Ici, tout était à recommencer : je devais être jugé, non sur le passé mais sur l’avenir et j'avoue que me sentant fatigué physiquement, j'étais épouvanté devant la tâche. Cependant, j'ai eu le bonheur de faire une bonne impression dans ces journées des 14, 15 et 16 juillet et le colonel du régiment, qui est un magnifique chef et un entraîneur d’hommes, ma félicité d’une façon toute particulière devant tous les officiers. Je suis proposé pour une citation. Me voilà déjà entré dans ma nouvelle famille où je suis presque un ancien puisque 25 officiers sont arrivés en renfort le 20 courant.
J'ai été nommé capitaine en même temps que Lambert et ce pauvre Cristofari lieutenant et hier matin, le général Sarail m'a interpellé dans la rue pour me demander pourquoi je ne portais pas mon 3e galon.
J'ignorais ma nomination, mais j'ignore surtout comment il me connaît !
Mon régiment, le 151e n'a aucun rapport avec le 313e, ce sont des hommes très jeunes et marchant bien à l’attaque et même à l’assaut d’une tranchée, ce qui n'était pas la partie du 313e. Par contre, ils ignorent complètement le travail de la terre où nous excellions et ils le laissent au Génie et aux pionniers du régiment. Je vais leur apprendre à travailler car avec ma prédilection pour la défensive, je trouve qu'on perd moins de monde à garder une tranchée qu'à la reprendre quand elle est perdue. Il faut absolument s'organiser pour résister fortement à un ennemi aussi entreprenant.
Je persiste donc à dire qu'il faut mettre les territoriaux dans les tranchées et laisser les jeunes en arrière pour attaquer et contre-attaquer.
Mais le 5e corps aussi a eu, parait-il, son coup dur et je serai désireux d’avoi tous les renseignements. Pourriez-vous m'écrire ce que vous savez et ce que devient l’organisation défensive de notre vieux secteur de la compagnie.
Lambert est au 154e régiment de l’autre division et je le vois de temps en temps. Voulez-vous prendre note de mon adresse et la donner au vaguemestre pour qu'il me renvoie mes lettres.
En somme, tout va bien, j'ai de bons chefs, de bons camarades, d’excellents soldats et nous prenons un assez long repos dans la ville du quartier général où vous viendrez je l’espère bien, me demander à déjeuner un de ces jours.
Tous ces avantages ne peuvent me faire oublier mes camarades du 313e. Dites en particulier au capitaine Soutit et à tous les officiers du bataillon que ma pensée est constamment avec eux. Dites au capitaine Eckenfelder que je tâche de le prendre pour modèle. Dites à Tabarand, à Troy, à Darnault, à Tété, à tous les gradés et soldats de la compagnie combien leur souvenir reste vivant en moi et recevez pour vous, mon cher ami, l’expression de toute mon affection.
M. Gibon
Le 22 juillet 1915
Bien chers parents
Je vous embrasse bien fort.
Prosper
23 juillet – Le 6e bataillon relevé à Forimont par un bataillon du 89e d’infanterie va cantonner à Clermont-en-Argonne.
Journal de marche et opérations du 313e régiment d’infanterie
Perpignan, 23 juillet 1915
Cher ami,
Depuis que j'ai reçu ta carte j'ai l’intention de t'écrire, mais ai toujours remis. J'ai été très occupé. Le départ de Dunkerque, différentes pérégrinations et enfin après avoir été prêt à partir comme brancardier vers le L… le changement de direction vers T. où je suis depuis 3 semaines. J'ai passé 8 jours de permission à Prats où j'ai vu ta famille et suis maintenant dans un hôpital de Perpignan. J'espère que tu es toujours en bonne santé et te serre la main.
24 juillet 1915
Clermont-en-Argonne, le 24 juillet 1915
Bien chers parents
Un tout petit mot, je ne vous ai rien dit hier, nous avons fait un bon bout de chemin pour venir jusqu'ici. Nous nous promenons un peu.
J'ai reçu votre lettre où vous me racontez vos tracas à cause de ce méchant fils à Guillaume. Pauvre fou. Il a fait tuer de ses soldats pour n'aboutir à rien.
Je vous embrasse bien fort.
Votre petit soldat.
Prosper
25 juillet – Dans la nuit du 24 au 25 juillet, le 6e bataillon se porte de Clermont par la Croix-de-Pierre à l’ouvrage 1bis à l’est de la Haute-Chevauchée vers le ravin de la Cheffe où il relève un bataillon du 82e. Il est ainsi disposé de l’Est à l’Ouest 21e, 22e et 23e, le 24e étant en réserve à l’est du carrefour de Rochamp à la disposition du commandant de la 1e brigade commandant le secteur.
26 juillet – La seconde 24e compagnie en deuxième ligne ouvrages 43, 44 et 45.
Journal de marche et opérations du 313e régiment d’infanterie
Le 26 juillet 1915
Bien chers parents
Je vous envoie toujours mon éternel petit mot. Je ne vous raconterai rien de bien intéressant car notre vie est toujours la même.
J'ai tout un tas de lettres de retard. Je n'ai pas encore annoncé ma nomination à Mme Moy et Mme Gillet.
Je n'ai plus l’adresse de Fernand Gillet.
Je vous embrasse bien bien fort.
Prosper
Le 26 juillet 1915
Bien chers parents
J'ai reçu votre carte du 22. Je ne puis rien fixer pour ma permission. Je vous télégraphierai lorsque je passerai à Paris. Je ne sais pas combien j'aurais de jours. Si j'en ai quatre à passer auprès de vous, il faudra se considérer comme très heureux.
Je vous embrasse bien fort.
Prosper
Le 28 juillet 1915
Bien chers parents
Je ne vous ai pas écrit hier, le courrier est parti sans que j'en ai connaissance. J'ai des nouvelles de Valentin. Sa lettre m'a bien attristée. La compagnie de Jean prisonnière, détruite, on ne sait. De Jean, aucune nouvelle. Valentin a causé avec un sergent rescapé dans le secteur de Jean. Il ne sait rien.
Pauvre oncle Joseph, tante écrit à Valentin et dit que l’oncle est fatigué.
Je vous embrasse bien affectueusement.
Prosper
Le 29 juillet 1915
Bien chers parents
Quelques mots mal écrits. J'ai votre carte. Le Bon Marché m'a envoyé deux culottes qui me vont très bien, deux tricots justes comme je voulais. Avec cela, deux cravates et un bonnet de police. Ce dernier m'est trop petit. Je le changerai en passant à Paris lors de ma permission.
Je vous embrasse bien bien fort.
Prosper
Le 30 juillet 1915
Bien chers parents
Je vais vous chargez de faire quelque chose. Vous allez m'écouter sans vous récrier et faire comme je vais vous le dire.
Je voudrais être aviateur. Je veux profiter de cette guerre pour gouter ces sensations toutes nouvelles et de notre époque. Il y a des officiers de mon régiment qui sont passés dans l’aviation. Je veux les imiter. Voilà six mois que je suis fantassin, que je fais la guerre de troupe. Je veux maintenant faire la guerre aux taubes en plein ciel.
Je vous vois poussant de haut cris, ce n'est pas nécessaire. Je vais risquer peut être plus, c'est vrai et encore ce n'est pas très sûr mais au moins j'aurais la belle mort, en plein ciel, tout près de Dieu.
Voilà six mois que je suis dans la boue, que mes hommes meurent dans cette Argonne humide. Je suis du pays du soleil malgré moi. Il me faut le brillant exploit qui paraisse aux yeux de tous.
Ecoutez-moi chers parents, vous ne savez pas combien je serai heureux de survoler ces maudits boches.
Ecrivez à Mme Baudef et demandez-lui si M. de Laleine qui est dans un état-major ne peut me faire accepter dans les services aéronautiques comme pilote ou mieux comme passager mitrailleur car ce sera plus rapide comme instruction et que je rejoindrai plus vite mon poste sur le front. Je compte absolument sur vous chers parents.
Je vous embrasse comme je vous aime.
Prosper
Le 31 juillet 1915
Bien chers parents
Je n'ai rien reçu de vous hier ni ce matin. Je vous ai envoyé une lettre hier soir. Lisez-la bien. Je n'ai pas changé d’avis. Ecoutez-moi, je serai très heureux de voler, d’être aviateur aux armées. Je veux changer, six mois de fantassin, c'est assez. Ecrivez-vite.
Je vous embrasse bien tendrement.
Prosper
Ps: as-t-on des nouvelles de Jean, Valentin m'a écrit que sa compagnie est portée disparue ?
31 juillet – Dans la nuit du 31 juillet au premier août, le régiment est relevé par le 82e et le 6e bataillon occupe le baraquement Canard.
2 août – Les compagnies du 6e bataillon sont employées aux travaux du génie sur la Haute-Chevauchée au carrefour de Ronchamp.
Journal de marche et opérations du 313e régiment d’infanterie.
Le 3 août 1915
Bien chers parents
J'ai reçu votre lettre du 22 juillet, ayez confiance chers parents, j'aurai de la chance jusqu'au bout.
Je vous écris coiffé d’un beau casque gris, car nous sommes tous casqués de fer. C'est lourd mais on s'y fera comme à tout du reste.
Avez-vous fait ce que je vous ai demandé dernièrement ?
Votre petit pioupiou
Prosper
Le 1er août
Bien chers parents
Un tout petit mot, je suis au repos pour six jours. Un coin charmant, pas de bruit, la paix absolue. Demain je vais me promener à Sainte-Menehould.
Je vous embrasse bien fort.
Pensez à mon désir ardent
Prosper
Le 2 août 1915
Bien chers parents
Un petit mot, je suis au repos depuis hier soir pour six jours, tout va bien ici.
Pensez à moi pour ce que je vous ai dit. Je n'ai pas de nouvelles de Jean et vous ? Pauvre oncle Joseph ! Quoi de neuf du côté de Prats ?
Je vous embrasse bien fort. J'irai à Sainte-Menehould demain ou après-demain.
Prosper
Chers parents
Je viens de faire une délicieuse promenade à cheval. Je vais faire une petite visite à Sainte-Menehould. Cela nous sort un peu de la forêt. Je vais acheter différents effets, ce que je n'y trouverai pas je vous prierai de me l’envoyer.
Je vous embrasse bien tendrement.
Prosper
Le 6 août 1915
Bien chers parents
Je reçois votre lettre du. Vous êtes désespérés chers parents. Cela n'en vaut pas la peine. Nous sommes allés à Clermont six jours pour nous reposer, voilà tout.
Nous sommes… croyez-moi. Je vous envoie ce petit mot pour pouvoir le faire partir aujourd’hui. Je vous écris une longue lettre.
Bien tendrement à vous tous.
Prosper
Le 6 août 1915
Bien chers parents
…
Vous êtes inquiets, pauvres parents ! Je vous comprends facilement avec tout le mouvement qu'il y a eu en Argonne, vous n'avez pas du vivre.
M. Boche s'est remué, s'est démené tant qu'il a pu et cela sur tout le front de l’Argonne.
Nous avons pu le museler mais il nous a griffé très fort. Beaucoup de régiments ont souffert et entre autres, le 76e où était Jean. C'est exact qu'il est porté disparu. Il ne nous reste plus qu'à souhaiter qu'il soit prisonnier. On ne l’a pas trouvé parmi les morts.
Que penser ? Les Boches annoncent dans leurs communiqués près de 3 000 prisonniers.
Prions que Jean se trouve parmi eux. Valentin qui est dans la région où le régiment de Jean opérait est allé se renseigner. Il a trouvé des hommes qui avaient fait partie de la section de Jean. Ils ne savent rien. Dans des affaires semblables où tout le monde défend sa peau et lutte de son mieux, on ne regarde guère les autres, surtout lorsque l’on est simple soldat. C'est le cas des hommes que Valentin a interrogé. Les officiers ont disparu. Eux-seuls auraient pu donner des renseignements.
Valentin m'a écrit l’autre jour, il m'expliquait comment la chose s'était passée. Je ne puis rien présager, il ne nous reste plus qu'à attendre patiemment.
Maintenant que je vous explique pourquoi je suis passé à Clermont. Nous avons de nouveau changé de secteur. Voilà tout, le coin où nous sommes n'est ni meilleur ni pire.
Je vous ai dit il y a un mois que j'avais un capitaine. Il est charmant et nous nous entendons bien ainsi qu'avec l’autre sous-lieutenant de la compagnie.
Je suis allé hier faire une promenade à Sainte Menehould. Une bonne journée de passée. J'ai fait le trajet partie à cheval, partie en voiture. La voiture de la compagnie, deux chevaux excellents.
J'ai conduit tout le temps, c'était délicieux. Droit comme un I, en gants et bonnet de police. Je menais mes chevaux à pleine rênes. Hop ! au trot ! clic ! clac ! clic ! fouette cocher encore une fois c'était délicieux.
Avez-vous pensé à mon envie folle d’être aviateur ? J'y tiens toujours plus que jamais, notre retour dans l’Argonne m'a donné le cafard. Les bois sont d’un triste, aucun horizon. Une fois dedans, on n'en sort plus que six mois après.
C'est surtout pour avoir du changement, voir les fronts que je désire cela. Je compte sur vous. Je le désire ardemment, follement. Ecoutez-moi je vous en prie.
Renseignez-vous, M. de Laleine qui est comandant dans un Etat-Major doit avoir des relations suffisantes pour me faciliter mon adhésion dans le service aéronautique comme pilote ou observateur. Cette condition est nécessaire. Rentrer dans l’aviation à un autre titre ne me convient pas. Je préfère rester fantassin.
Voilà je crois une longue lettre. Je voudrais pouvoir vous en écrire d’aussi longues plus souvent. Je vous écris aussi souvent que possible, le plus souvent une lettre par jour.
Le service postal est lent, surtout dans le voisinement du front. C'est cela qui fait que vous restez 3 et même 4 jours sans avoir de mes nouvelles. Quand cela se produit, ne vous faites pas de mauvais sang. Nous sommes à la disposition de Dieu. Soumettez-vous avec joie.
Nous avons eu une messe en plein bois ce matin. Il y avait deux mois ½ que nous n'avions eu le plaisir de voir le Padre. Cette messe en pleine forêt sur une table de bois blanc avec une toile de tente comme tapis et au-dessus une grande croix faite avec deux branches de bouleau était émotionnelle. Nous étions très nombreux et nous avons prié.
Voilà, c'est tout pour aujourd’hui. Je vous embrasse bien bien tendrement.
Votre petit lieutenant.
Prosper
7 août – Dans la nuit du 6 au 7 août le régiment relève le 82e dans le sous-secteur de l'Eperon entre les deux ravins de Cheffe.
Journal de marche et opérations du 313e régiment d’infanterie
Le 7 août 1915
Bien chers parents
Je vous ai envoyé hier une longue lettre. Aujourd’hui je serais plus bref. Un petit mot vite tracé.
Ecrivez-moi souvent pour me faire plaisir. Je vous embrasse bien bien tendrement.
Prosper
Le 9 août 1915
Bien chers parents
Hier, je n'ai pas pu vous écrire, la corvée d’ordinaire est partie sans que j'aie pu lui confier ma carte.
J'ai votre carte du 3. Vous vous plaignez que je vous envoie des petits mots bien bien courts. C'est malgré moi chers parents. Je vais faire de mon mieux pour vous écrire plus longuement.
Votre petit soldat qui vous embrasse tendrement.
Prosper
11 août 1915
Bien chers parents
Nous ne pouvons plus envoyer de lettres. Je vous envoie cette petite carte à la hâte. Nous allons au repos. J'ai reçu votre longue missive. Je vous expliquerai pourquoi je vous ai parlé de mon désir de m'envoler.
Je vous embrasse bien fort.
Prosper
12 août 1915
Chers parents
Demain je compte pouvoir vous écrire une longue lettre. Nous serons au repos et cela pour quelques jours. Ce sera pour un séjour plus long que de coutume. Je vais en profiter pour vous écrire de longues lettres comme avant tous les 5 jours. Pas de nouvelles de Jean. J'ai remarqué que tante et oncle supportaient bien ces pénibles jours.
Bien tendrement à vous tous.
Prosper
13 août – A 2h, le 313e est relevé par le 70e et va cantonner à Bellefontaine.
Journal de marche et opérations du 313e régiment d’infanterie
Le 15 août 1915
Bien chers parents
Nous avons passé hier une journée charmante. Durante toute la journée j'ai fait du cheval. J'ai monté deux chevaux. Le soir, des officiers de dragon qui cantonnent avec nous, nous ont montré. Nous avons passé une délicieuse soirée, musique, causerie, cartes. Tout cela se passait dans une vaste salle de ferme ayant encore grand air quoique délabrée et ruinée par les troupes boches et françaises qui y ont séjourné. Demain, nous recommencerons mais c'est qui qui invitons. On nous parle de 20 jours de cette vie !!!
J'ai reçu la culotte qui va bien et les chaussettes, le saucisson est exquis.
Je vous aime bien fort et vous embrasse de même.
Prosper
14 août 1915
Bien chers parents
Ce ne sera pas un petit mot aujourd’hui. Je suis au repos. On nous promet un long repos. Je suis dans une petite ferme assez loin du canon qui l’on entend très adouci.
Il fait délicieux. On est heureux de vivre. Je chante, nous chantons, tout le monde chante, chacun sa chanson et chacun son air, c'est une cacophonie.
J'ai reçu votre lettre, ainsi qu'une de tante Louise. Ils ont des nouvelles de Jean qui est prisonnier. Je m'en doutais.
Nous allons au repos. Je ne sais où ni pour combien de temps.
Vous me dites à quel moment j'irai vous voir, je n'en sais rien. Nous allons en permission chacun à notre tour. Le tour est fixé, seulement il y a toujours un événement ou un accident qui avance ou retarde le tour. Mon tour est relativement proche s'il n'y a pas de retard. Un mois peut-être.
Je vais bien, mais je pense toujours à mon envie de voler. La mort de M. de Laleine fait effondrer une partie de mes espérances.
Mais je continue à me démener. Je ne suis pas un mauvais fils, je ne risquerai pas plus en avion que sur terre.
En l’air, on risque on vole 4 ou 5 heures par jour puis à tire d’aile on va se reposer à quinze kilomètres où l’on est parfaitement, où l’on se repose tandis que fantassins on est en place jour et nuit, toujours en alerte.
Je vais aller voir Valentin demain à cheval. Il est au repos aussi.
J'ai vu un de ses collègues qui l’a averti.
Que raconte-t-on à Prats. Les permissionnaires ont-ils un bon moral. Il ne faut pas trop les écouter lorsqu'ils racontent des histoires à n'en plus finir. Je crains que parmi tous ces hommes il n'y en ait qui déforment trop la vérité.
Je viens de faire une délicieuse promenade sur le cheval de Moulib, traduction du docteur en bon camarade. Il a un excellent cheval.
Hélas, le courrier part, je suis à… bien affectueusement à vous
Le 16 août 1915
Bien chers parents
Je vais vous écrire une longue lettre ce soir. Je profite du passage d’un vaguemestre pour vous envoyer cette petite carte. J'ai reçu votre carte du 11 avec une de tante Louise m'annonçant la bonne nouvelle.
Je vous embrasse bien tendrement.
Prosper
17 août 1915
Le 18 août 1915
Bien chers parents
Je ne vous ai pas écrit hier parce que je suis allé voir Valentin.
Avant-hier, il était venu me voir sur son grand cheval et je l’avais raccompagné jusque chez lui sur mon pur-sang. Hier c'était mon tour. A bicyclette je suis allé à son cantonnement. Nous sommes à onze kilomètres environ l’un de l’autre. Il est charmant de pouvoir ainsi se rencontrer. Nous avons causé de mille choses, surtout hier.
Il est très bien dans son cantonnement. Une grande ferme où ils ont su s'installer très commodément.
Voilà trois jours que je ne reçois rien de vous. Je voulais vous écrire longuement hier mais comme je vous l’ai dit, Valentin est arrivé subitement. Il m'arrive quelque chose de comique. J'amenais Valentin pour le présenter à mon capitaine lorsqu'avant même que j'ouvre la bouche pour le faire, je les vois se précipiter l’un vers l’autre et se demander de leurs nouvelles en se tutoyant. Explication. Le père de mon capitaine, M. Sontif a été à Blois le maître d’école de Valentin. C'était donc deux vieux amis qui se sont rencontrés.
Nous sommes au repos, un long repos, celui que l’on nous promettait depuis si longtemps. Nous sommes en arrière dans un petit village de la Meuse et nous nous gavons de bonnes choses.
Ce matin, nous avons fait une bonne marche d’entraînement. Ce soir, je vais enfourcher le cheval de la compagnie et en avant, au galop, en plein bois par les sentiers et les routes. Tout cela vous réconcilie un peu avec la nature.
Oui, j'étais fâché avec la nature, si impassible, si belle même sur le champ de bataille et que nos luttes et nos coups terribles ne trouble même pas.
Maintenant avec l’âme un peu réparée et loin du grand bruit de l’obus on respire et l’on pense. Nous avons tous un moral excellent, nous sommes faits à la guerre, comme disent les parisiens aux permissionnaires en parlant de l’hiver qui approche. Ce n'est rien maintenant que vous êtes habitués.
Le parisien s'est fait à la guerre qui ne semble plus au non combattants qu'un état normal. A un certain point de vue, ils ont en partie raison car rien ne sert de se faire de la bile lorsque le malheur ne vous a pas encore atteint directement et d’un coup terrible. Seulement, il ne peut pas oublier ceux qui souffrent depuis le début, ceux qui pleurent, les hommes touchés au commencement du conflit, non plus que ceux qui trop nombreux apprennent à chaque instant une terrible nouvelle. Pour ceux-là, ceux de l’arrière devraient montrer plus de réserve.
Chers parents, ne vous torturez pas pour moi, restez calmes et attendez en ayant confiance, Dieu nous exaucera, nous aurons la victoire.
Les permissionnaires dites-vous arrivent de plus en plus nombreux à Prats. Tant mieux, cela fera respirer et patienter les plus exigeants. Pour mon compte, j'irais, c'est sûr mais soyez patients.
Je vous quitte, je m'en vais au rapport. On réunit tous les jours la compagnie pour les ordres.
Mille et mille caresses à vous tous.
Prosper
19 août 1915
Mon cher enfant
Nous avons reçu aujourd’hui ta lettre du 14. As-tu reçu la culotte et autres objets envoyés d’ici ? Sur ta dernière carte il y avait des mots dans un coin qui ne me semblaient pas écrits de ta main. Tu ne réponds pas à plusieurs questions posées par nous. Soit reconnaissant à Dieu.
Ta maman
Thérèse Tailleur
Le 20 août 1915
Bien chers parents
Une longue lettre, vous allez être content je pense. Vous ne la méritez pas car voilà trois jours que je n'ai pas reçu le moindre mot de vous.
Je suis toujours au repos. Je fais du cheval tant que je peux. C'est délicieux. Je galope sous les bois à toute allure. Je me figure être aux trousses d’un sanglier, mon cheval semble me comprendre et il met autant d’ardeur que mois à courir le long des sentiers et des pistes, gravissant les côtes à toute allure.
Je pense revoir Valentin dans deux jours à condition que notre repos se prolonge jusque-là, on ne sait jamais rien lorsqu'on est soldat, on vit en alerte et comme hors de l’existence. On arrive, on s'installe très vite, on est rapidement à son aise et l’on y met vite ceux qui vous entoure, on vit avec eux comme si on les avait toujours vu et que l’on dût toujours les voir puis tout d’un coup au petit jour, un beau matin, on s'envole. Colonne par quatre ! Pour défiler ! En avant… marche !!! Le clairon sonne, le tambour bat, on part, on est parti peut-être on ne reviendra plus là.
Les gens sont sur les portes, ils s'étaient faits à nous, il nous voit partir avec regret quoique nous ayons été très dur pour eux, non par méchanceté mais pour prendre nos aises.
Le soldat est libre en tout, en parole, en gestes, il se lie très vite, il semble tout aimer mais en réalité ce qu'il voit au repos lui rappelle son existence de jadis, ses parents, ses amis, ses habitudes et c'est cela qu'il aime et que dans sa pensée il associe à ce qu'il voit.
Je ne sais pourquoi je n'ai rien reçu de vous hier. Je vais écrire ce soir à tante et oncle d’Onzain, ce que ces chers parents doivent être heureux.
Avec Valentin, nous sommes d’excellents amis. Je crois qu'à sa batterie, il n'a personne à qui se confier, si bien que lorsque nous nous rencontrons, nous ne cessons pas de causer une seconde. Jamais Valentin ne m'avait parlé de lui comme il l’a fait l’autre jour. J'en étais très heureux.
Je me hâte, je vais être en retard à… et le président de… va me mettre à l’amende d’une bouteille.
Je vous embrasse bien fort.
Prosper
20 août 1915
Mon lieutenant
J'ai fait bon voyage. Je suis avec toute la famille et tous heureux de nous revoir.
Bien à vous
René Villedieu
Le 21 août 1915
Bien chers parents
J'ai votre lettre du 15 août. Tu as donné chère maman, le 15 août j'étais au repos, nous y sommes toujours. Encore pour trois jours puis nous reprendrons le collier, en avant.
Je vous assure que je profite de ce repos. Nous nous amusons comme des fous. Ce sont de vraies vacances de collégiens. On n'arrête pas de rire et de plaisanter. Le soldat est le plus gai des travailleurs. Il vit des instants si durs, pendant lesquels son esprit et son corps souffrent tant que lorsqu'il peut se laisser aller rire, parler, courir, sauter, il se dépense sans compter.
Nous recommencerons une nouvelle armée de guerre, à la grâce de Dieu. Je suis un vieux soldat. Je ne crains plus rien.
Je vais aller au rapport de la compagnie. Je suis de jours dans le cas je remplace le capitaine. La compagnie sera rassemblée, je la passerai en revue. Nous réglerons les questions courantes puis envolez-vous, vous êtes libres pour la soirée.
Ce soir, je vais du cheval dans le bois. Je connais les sentiers les plus petits si bien que je passe partout et que je vais partout. Le petit cheval que je monte me connait bien maintenant, si bien que c'est un vrai plaisir de chevaucher par monts et par vaux.
Maintenant, je dois m'excuser fort. J'ai oublié la fête de bonne maman pour le 15. Dites-lui que ma lettre s'est perdue pour qu'elle n'est pas de peine. Je l’aime bien et je l’associe toujours à vous quand je pense à ceux que je chéris.
Je vous embrasse bien bien tendrement.
Prosper
Le 22 août 1915 – 7 mois de front
Bien chers parents
Vous me demandez à quel moment j'irais en permission : ce sera si tout marche bien vers la mi-septembre.
Je pense pouvoir passer 6 jours auprès de vous car maintenant on donne des délais pour le voyage. Cela me fera une douzaine de jours tout compris.
J'ai bien fait d’attendre un peu. Au début, je n'aurais eu que six jours en tout.
Je vous embrasse bien fort à tous.
Prosper
Le 23 août 1915
Bien chers parents
Je reçois votre carte du 19 août. J'ai reçu la culotte et autres effets envoyés. Je vous l’ai déjà dit une fois.
Je me dispose à vous donner du travail sur le front, tout le monde fait de la photographie et moi comme les autres. Je vais vous envoyer mes plaques à développer. Vous aurez aussi très souvent sous les yeux les spectacles, les scènes auxquels j'assiste ou je prends part. Vous vivez aussi presque avec moi.
Vous allez écrire à un photographe de Perpignan pour qu'il vous envoie des produits. Je vous envoie par le même courrier trois petits rouleau de pellicule, ce sont les plaques de mon appareil de poche.
Pour les développer, il faut procéder absolument comme pour les plaques, mêmes bains, mêmes produits.
Pour développer un rouleau, déroulez le dans la chambre noire, vous aurez une bande de gélatine de 60 cm de long. Saisissez-le par les extrémités et faites-en tremper toutes les parties dans l’eau du bain en baissant et élevant alternativement les deux mains. Lavage dans l’eau, le plus longtemps possible, vous ne couperez les pellicules que la bande une fois sèche. Pour le reste, faites comme pour les plaques.
Je compte sur vous chers parents pour me faire ce travail qui vous verrez vous amusera. Vous aurez ainsi des vues du front plus vraies que celles des journaux.
Vous me tirerez deux ou trois épreuves de chaque pellicule et vous me renverrai le tout dans une enveloppe. Je vous donne du travail mais je vous embrasse bien fort en échange.
Votre petit pioupiou.
Prosper
24 août – Dans la soirée du 24, relève du 70e par le 313e.
Journal de marche et opérations du 313e régiment d’infanterie
Le 25 août 1915
Bien chers parents
La, comme d’ordinaire, on s'en va. J'en profite pour vite vous griffonner un petit mot. Je vous aime bien, je vous embrasse bien fort.
Votre petit pioupiou.
Prosper
Le 24 août 1915
Bien chers parents
Un petit mot. Je vous ai envoyé hier un petit rouleau de pellicules que je vous charge de me développer.
Ce sont des vues du front et des scènes de la compagnie. Je ne sais ce que valent ces photographies. Vous m'enverrez les épreuves, vous garderez celles qui vous plairont.
Je suis encore au repos aujourd’hui, je vous embrasse bien fort.
Prosper
Le 26 août 1915
Bien chers parents
Encore de nombreux baisers pour vous tous. J'attends une lettre de vous ce soir. Je me hâte, je n'ai plus que quelques seconde avant le départ du courrier.
Mille baisers.
Prosper
Le 28 août 1915
Bien chers parents
Je ne vous ai pas écrit hier. Je n'ai pas pu trouver le temps. Je vais très bien. Notre repos est achevé et nous sommes montés en ligne. Ce n'est pas dur et puis nous sommes tellement habitués que peu nous importe. Il fait très beau quoiqu'un peu chaud. Nous faisons toujours du camping en plein bois. C'est agréable par le temps qu'il fait.
Je vous embrase bien bien fort.
Prosper
Le 28 août 1915
Bien chers parents
Je vous envoie une feuille de chêne bizarrement travaillée par nos poilus. On s'ennuie quelquefois dans les tranchées si bien que l’on chercher à s'occuper.
Il y a quelques temps, on fabriquait des bagues, aujourd’hui, ce sont des feuilles que l’on transforme en dentelle.
Pendant ce temps, les jours passent et le Boche tire de plus en plus la langue.
Votre petit soldat de l’Argonne qui vous embrasse tendrement.
Prosper
Le dimanche 29 août 1915
Bien chers parents
Je vais essayer de vous écrire une longue lettre ou plutôt je prends mes dispositions pour vous en écrire une, car on ne sait jamais par les temps qui courent.
J'ai vu Valentin il y a trois jours, je ne sais si je vous l’ai dit.
J'étais en réserve en train de faire une manille avec mon capitaine et Signol, l’autre lieutenant de la 24e lorsque je l’ai vu arriver sur son grand dada qui ressemble tant à un chameau qu'à un cheval.
Je ne l’attendais pas si bien que j'ai eu un… à l’embrasser.
Mon capitaine nous a photographié avec mon appareil, si bien que dans les pellicules que je vous enverrai vous découvrirez nos deux frimousses côte à côte.
Notre séjour en réserve est délicieux. Cela vous étonne, mais c'est très exact. Physiquement nous étions fatigués. Pensez donc, pendant dix jours nous avons couché dans des draps, nous nous sommes assis dans des fauteuils, nous avons fait de délicieuses veillées en jouant aux cartes ou aux échecs. Nous avons fait du cheval, du football, des promenades, tout doucement sur des chemins délicieux, etc. etc.
Nous n'étions plus entraînés à tout cela puisque nous faisions journellement le contraire de ce que l’on fait d’habitude.
J'ai une nouvelle à vous amuser. Je suis maintenant sapeur-grenadier-bombardier. En réalité, je commande le peloton de sapeurs du 313e qui comprend des sapeurs, des grenadiers et des bombardiers. Je vais quitter la 24e pour passer à l’Etat-major du 313e, je vais suivre le colonel. J'habiterai à son quartier général et peut être je mangerai à sa table. C'est parfait. Je n'ai rien demandé de tout cela, j'ai été désigné avant-hier.
Pour mon service, je dirigerai les travaux de mes sapeurs partout où cela sera nécessaire et je surveillerai mes batteries de mortiers.
En résumé, un travail intéressant, une grande indépendance puisque je serai sous les ordres direct du colonel et plus de bien-être.
Je vous embrasse bien bien fort.
Prosper
29 août 1915
Mon cher enfant
Rien qu'un petit mot en courant pour t'envoyer un air de Prats, air qui a été bien lourd aujourd’hui, la… a trainé toute la journée. Quelques gouttes nous ont obligé à rentrer.
Temps à l’unisson des cœurs, carte ce soir du 25, que Dieu te protège mais mérite-le.
Mille tendres baisers de nous quatre.
Ta maman
Le 30 août 1915
Bien chers parents
J'ai un travail de fou, j'ai plusieurs chantiers que je dois surveiller, en tout cent travailleurs. Je construis un poste de commandement pour mon colonel.
Je vous embrasse bien bien fort.
Prosper
ps : et mes photos ? sont-elles bonnes ?
Le 1er septembre 1915
Bien chers parents
Je n'ai pas eu une seule minute hier pour vous griffonner une lettre, si petite soit-elle.
Je m'occupe de construction de travaux de toute sorte, Cela est intéressant et fait passer le temps très rapidement, c'est tout ce que je réclame.
Je recours à mes travaux. Peut-être irais-je en permission dans une vingtaine de jours.
Je vous embrasse bien fort.
Prosper
Le 2 septembre 1915
Bien chers parents
Un tout petit mot et je me sauve. Le colonel me fait demander pour le service.
J'ai du matériel à lui demander. Pensez-vous à mes photos, sont-elles bonnes ?
Je vous embrasse bien fort.
Prosper
Le 4 septembre 1915
Bien chers parents
Mon adresse est :Je ne commencerai pas ma lettre journalière par la phrase presque habituelle un petit mot car aujourd’hui je me dispose à vous envoyer une longue missive.
Je suis du reste bien installé devant une longue table dans une vaste et solide guitoune. J'ai une heure devant moi avant d’aller me mettre à table. C'est exact. Ce n'est pas par habitude que j'ai écrit cela. La raison est la suivante. Je mange à la table du colonel. Je suis très fier de cela. Manger à la table du colonel ma chère dirait une commère, c'est quelque chose. Je suis une grosse légume presque.
En attendant, je fais partie de l’Etat-major du 313e régiment d’infanterie.
Je loge au poste du colonel avec son officier adjoint etc. etc. Il y a comme cela 3 ou 4 pages d’avantages, d’honneurs, d’insignes etc. etc.
En attendant, ce qu'il y a de vrai c'est que j'ai commencé cette lettre à 10 h avec une heure devant moi pour la faire et voilà qu'il est 7 heure ½ du soir et j'en suis sûr au 1/3. Cest fois, qu'en pensez-vous ?
7 heures ½, mais pas du tout, il est 10 h ½ maintenant, mais ce n'est plus le 4 septembre mais le 5. J'ai été encore dérange hier au soir et je n'ai pas avancé ma lettre.
J'ai diné chez le colonel, nous avons veillé puis j'ai eu une course à faire au dehors. Porter un ordre au commandant de la première ligne, faire une ronde pour m'assurer que des ordres étaient exéctuté etc. etc.
Il était tard, je me suis couché
Ce matin, à 7 h ½, notre général de division s'amène. Tout le monde sur le pont. Pas une minute de répit. Puis c'est du matériel qui arrive pour les travaux que je dirige. A 9 h, c'est la messe en plein bois, une longue messe avec un très beau sermon fait par un brancardier de la division sur l’évangile d’aujourd’hui.
Dieu rendant à sa mère son fils qui vient de mourir et que l’on conduit au tombeau. Dieu nous rendra à ceux qui nous aiment et qui souffrent et s'inquiètent.
Je pensais à vous que ces fâcheux retards dans mes lettres vont vous faire des peines.
Je compte voir Valentin un de ces jours. Il doit être au repos maintenant. Je m'attends à voir apparaître sa barbe de sapeur entre deux troncs de chênes ou comme l’autre jour, m'apercevoir de son arrivée à l’obscurcissement du paysage causé par l’ombre que projette sur le sol son immense cheval de bataille.
J'ai reçu une lettre de Jean d’Antrechaus à qui j'avais envoyé une lettre de sottises parce qu'il restait trop longtemps sans m'écrire.
Je n'ai pas écrit à Fernand Gelllit depuis plus de trois mois parce que je n'ai pas son adresse.
Le colonel nous appelle à table, je me sauve.
Je vous embrasse bien fort à tous.
Votre petit pioupiou
Prosper
Le 6 septembre 1915
Bien chers parents
Je commence ma lettre de bon matin car je prévois que je vais être occupé aujourd’hui de mille façons différentes.
Etant auprès du colonel et vivant avec son officier adjoint, j'ai des tuyaux intéressants. Je partirai en permission fin septembre si tout allait bien ce serait vers le 29, c'est proche.
Il ne faut pas trop compter sur la date. Ce qu'il y a de certain, c'est que mon tour est proche maintenant.
Je vais revoir Prats, malheureusement, ce sera un peu tard. Et mes chères montagnes seront bien sombres. Malgré cela, j'espère que ma gaité les entrainera et qu'elles seront riantes un peu pendant mes six jours, peut être huit que je passerai avec vous.
J'ai une hâte folle de vous revoir maintenant.
Je vais aller surveiller mes travaux, le colonel est en tournée.
Ce soir, grande fête à notre table, le colonel gagne un galon de plus. Il était lieutenant-colonel. Il a depuis hier ses cinq galons d’or. Nous sommes très heureux au régiment, mais nous ne voudrions pas le perdre.
Je vois d’ici bonne maman faisant force projets pour me recevoir et faisant des réserves monstres de bonnes choses. Qu'elle ne s'inquiète pas, j'aime tout, c'est la guerre qui veut ça. Je mange aussi bien des choux que des haricots verts ou des carottes.
Voilà je crois une longue lettre, c'est pour vous dédommager des jours précédents.
Pourvu que ma précédente lettre d’hier arrive à temps et n'augmente pas tellement le retard que mes occupations ont causées.
Je termine, je vais déjeuner. Je n'ai pas reçu de lettre de vous depuis huit trois jours. Je ne sais si c'est à cause de mon changement d’unité car dans la distribution des lettres, elles sont triées par compagnies.
Je suis détaché à la compagnie hors rang, C.H.R pour abréger.
Je vous embrasse bien bien fort à tous.
Prosper
Le 7 septembre 1915
Bien chers parents
Ce coup-ci, une toute petite lettre. J'ai reçu hier votre lettre du 2.
Avant-hier je vous annonçais mes titres et qualités. Sous-lieutenant, sapeur, pionner, bombardier, grenadier. J'ai un titre de plus : attention… ! je suis …! major de tranchée du 313e, un titre énorme et ronflant. Décidément, c'est une bonne place que celle que j'ai, intéressante au possible, du travail un peu partout dans tous les coins du secteur. Je me promène toute la sainte journée accompagnée de mon agent de liaison que je nomme pompeusement pour m'annoncer mon caporal d’ordonnance. C'est bien la moindre des choses.
Les généraux ont bien des officiers du même genre. Je m'amuse comme un petit fou.
Hier, j'ai bombardé les Boches dans des coins où l’on ne va pas sans la chair de poule. Mes bombardiers tirent de la tranchée des soutiers, je me place en observation dans un petit poste. Figurez-vous un boyau où l’on va à quatre pattes, l’on parle bas et où l’on entend le Boche remuer et causer, ensuite, je m'en retourne dans mon palais auprès du colonel, un bon souper, une bonne nuit dans une solide cabane à l’abri des obus. C'est une charmante vie.
Je vous raconterai cela quand j'irai vous embrasser.
Je vous aime et vous embrasse bien affectueusement.
Prosper
Le 8 septembre 1915
Bien chers parents
J'ai vu Valentin hier. Il est venu me voir ici en ligne. Nous avons passé une bonne heure ensemble. De quoi cause-t-on si ce n'est de vous tous, de Prats, de Perpignan. Nous nous sommes promenés dans tous les coins de mon secteur.
Maintenant que je suis à poste fixe auprès du colonel, nous nous verrons plus facilement.
Je ne compte par le revoir avant mon départ en permission. Il m'a déjà fait une série de recommandations pour Perpignan et Prats. Je compte transmettre de vive voix.
Rien de nouveau par ici. Je ne reçois guère de lettres de vous depuis que je suis à la 313e, modifiez l’adresse, 313e C.H.R à la place de 313e 24e compagnie.
Je vous embrasse bien tendrement.
Prosper
9 septembre – Le 6e bataillon part cantonner à Clermont-en-Argonne.
Journal de marche et opérations du 313e régiment d’infanterie
10 septembre 1915
Bien chers parents
Un petit mot. Je n'ai pu vous écrire hier.
J'ai reçu de vous deux cartes, une du 31 qui sans doute pris pour venir le chemin des écoliers. L’autre du 5 septembre.
Je suis en excellente santé. Je vous écrirai plus longuement demain ou après-demain.
Et mes photographies ? Votre petit pioupiou
Prosper
11 septembre 1915
Bien chers parents
Nous installons notre colonel dans les nouveaux abris. Cela me donne un travail fou.
Je vous embrasse bien fort.
Prosper
Le 10 septembre 19155
Bien chers parents
Un petit mot seulement. Le vaguemestre se sauve. Je jette dans son sac de bons baisers pour vous.
Prosper
Le 13 septembre 1915
Bien chers parents
Il me semble que je reçois moins de lettres de vous. Je ne sais si cela tient à mon changement d’adresse ou si réellement vous m'envoyez moins de cartes.
Je suis toujours très heureux de mes doubles fonctions de sapeur et de major de tranchée du 313e qui m'occupent terriblement.
Je vous embrasse bien fort à tous.
Prosper
Le 13 septembre 1915
Bien chers parents
Je n'ai pas une minute de disponible pour vous griffonner un petit mot dans toute la journée d’hier
Aujourd’hui, je ne dispose que de quelques secondes. Je vais bien et tout va bien, courage et confiance.
Ne vous occupez pas de ce que les gens racontent, basez-vous sur mes lettres.
Je vous embrasse mille et mille fois bien fort.
Prosper
Le 14 septembre 1915
Bien chers parents
Une petite lettre pour vous raconter un peu mon existence.
Je suis toujours sapeur-pionner etc. etc. J'éprouve toujours autant de plaisir à m'acquitter de mes diverses fonctions.
Je m'emploie actuellement à posséder mon groupe de travailleurs et de combattants.
Je veux en faire un groupe obéissant, adroit dans les travaux qu'il entreprendra et courageux sur la ligne. La chose n'est pas encore faite car mon peloton a été recruté dans toutes les compagnies et constitué d’éléments très divers.
Ce qu'il y a de charmant, c'est que je joue actuellement au petit commandant de compagnie. Je suis très indépendant puisque je ne reçois d’ordres que du colonel et des deux commandants.
Je vous ai dit que notre lieutenant-colonel avait été nommé colonel. Il nous a quitté pour aller commander une brigade.
Je n'ai rien reçu de vous encore aujourd’hui. Je ne sais plus ce que vous faites.
Il ne doit plus y avoir un seul étranger à Prats. Voilà l’hiver qui vient. Soignez-vous bien, pour nous qu'importe, nous sommes habitués, c'est ce que les parisiens ont dit aux permissionnaires qui les ont visités. C'est exact, nous sommes habitués.
Je vous embrasse tendrement.
Prosper
15 septembre – Le 6e bataillon monte en deuxième ligne dans les abris au sud du Carrefour de Ronchamps.
Journal de marche et opérations du 313e régiment d’infanterie
Le 18 septembre 1915
Bien chers parents
Je reçois à l’instant une lettre de vous où je vois que vous êtes chagrinés. Vous pensez que mes nouvelles fonctions sont très périlleuses ! Vous vous trompez, je ne suis pas plus exposé qu'avant.
Je suis libre comme l’air, je fais ce qu'il me plait, mes voyages en première ligne sont un plaisir après je rentre dans une excellente cabane toute boisée, parquetée avec une couverture parfaite où je suis mon maître. J'ai un lit de camp excellent avec beaucoup de paille, une excellente couverture et je puis dormir toutes mes nuits. Je me couche régulièrement à 9 h et me lève à 6 h.
Pour la table, on ne peut pas souhaiter mieux, le cuisinier
18 septembre 1915
Mon cher enfant
Mais oui, j'écris aussi souvent tous les 4 jours. Tu ne reçois rien, c'est que les lettres sont mal dirigées.
Joseph, de la Coste, est très gravement malade dans un hôpital près de Blois. Peut-être est-il mort à l’heure qu'il est. Ils sont dans la désolation.
Mille baisers bien tendres de ta maman.
19 septembre 1915
Bien chers parents
Je n'ai pas le temps de vous écrire une longue lettre. Je griffonne à la hâte ces quelques mots. Je vous ai demandé l’adresse de Fernand Gillet. Je sais qu'il est à… mais je ne sais pas à quel escadron il a été versé.
Je vous ai envoyé une longue lettre hier pour vous gronder. Je ne veux pas que vous vous chagriniez. J'espère qu'elle vous parviendra et que vous serez convaincus.
Je vous embrasse bien tendrement.
Votre petit soldat
Prosper
20 septembre 1915
Bien chers parents
Je reçois à l’instant une lettre d’Onzain. Ils vont tous bien dans ce petit coin. Ils ont de Jean de bonnes nouvelles. Il parait qu'il est très bien. Je veux bien le croire et surtout pas aller le voir.
Rien de nouveau ici. Ma permission est un peu retardée mais c'est tout. J'aurais encore plus de plaisir en vous voyant.
Je vous embrasse bien bien tendrement à tous.
Prosper
20 septembre – le 6e bataillon relève en première ligne le 5e bataillon.
Journal de marche et opérations du 313e régiment d’infanterie
Le 21 septembre 1915
Bien chers parents
Je vais employer quelques minutes à vous entretenir.
Jamais je ne me suis tant remué.
Comment allez-vous. Vous ne me donnez jamais de nouvelles individuelles. Aussi je voudrais pour être bien tranquille que tu portes dans tes lettres chère maman, un paragraphe pour chacun de vous.
Tu me dis ; nous allons bien, cela est l’ensemble de votre situation physique et ce mode de renseignements me cache petits maux qui m'expliquent où plutôt créent vos modes de vie, vos habitudes.
Voilà longtemps que je vous ai quitté, pendant que je vous ai quitté, pendant ce laps de temps vous avez changé de résidence. Je n'ai jamais vécu avec vous à Prats comme vous y vivez maintenant que ce petit village est votre résidence fixe.
Je ne sais plus à un moment donné deviner vos gestes ni les situer et je me sens tout isolé.
Je ne te fais pas de reproche petite mère loin de là. Et si ma lettre paraissait en contenir un c'est que je me suis mal exprimé et il faudrait la déchirer.
C'est seulement pour vous voir vivre un peu que je voudrais aller en permission et pour avoir ensuite souvent devant les yeux le tableau de votre intérieur et de votre vie quotidienne.
Je vous embrasse bien fort, mille et mille fois.
Prosper
Le… septembre 1915
Bien chers parents
Une petite carte, je vais bien. Je n'ai qu'une seconde avant le départ du vaguemestre. Tout va parfaitement par ici. Je me hâte. Je vous embrasse bien bien tendrement.
Prosper
Le 24 septembre 1915
Bien chers parents
Un petit billet écrit en plein bois sur mon bloc-notes. Je vais glisser dans mon enveloppe un mandat de 500 fr. que le vaguemestre va me prendre. C'est l’argent de ma solde du mois de juillet et août moins ce que j'ai dépensé pour ma popotte et les achats que j'ai faits. Je vous confie cet argent que vous placerez avec celui que je vous ai déjà envoyé.
Je vous avais fixe le 27 septembre comme date de ma permission. Je vous ai déjà dit que cette date avait été repoussée.
Je ne puis rien vous fixer ni rien vous assurer pour ma permission. Je suis un soldat et nous sommes en guerre !
Hier, je vous ai déjà prié de ne pas écouter les racontars de Prats ni des journaux. Laissons faire le Bon Dieu et ayons confiance en lui.
Je suis en excellente santé et je vous assure que vous n'avez pas à vous inquiéter.
Je vous embrasse bien tendrement à tous.
Prosper
Le 25 septembre 1915
Bien chers parents
Je crois que je vais pouvoir vous entretenir un bon bout de temps.
Doucement bercé au bruit délicieux de nos canons qui tonnent comme des fous et sont en train de tanner très dur sur l’épiderme de ces messieurs d’en face. Je vais essayer de vous décrire mon état d’esprit.
Il est excellent. Il me semble revenu aux premiers jours de cette grande lutte, alors que je venais de revêtir pour la première fois l’uniforme des pioupious français.
Je vais avoir un an de service, autrement dit, je suis depuis quelques jours un ancien. Sur ces douze mois, j'ai huit mois de front et je suis sous-lieutenant.
Le canon tonne, tonne, c'est délicieux, c'est un chant de gloire et d’allégresse car nous allons vaincre.
Mes chers parents, soyez heureux en lisant cela car tout va être hâté.
Le vaguemestre va venir, il m'apportera sans doute une petite carte où vous me direz que vous pensez à moi et que vous êtes toujours impatient d’avoir de mes nouvelles. Soyez patients. Je vous écris aussi souvent que je le peux. Je continuerai à le faire. Ne comptez pas trop sur l’exactitude de la poste et ne vous faites pas trop de mauvais sang.
Je suis toujours auprès du colonel, heureux de mon poste.
J'ai reçu l’autre jour une longue lettre de tante d’Onzain. Je ne sais si je vous l’ai dit. Nos braves parents sont en train, je crois, d’engorger les trains par les colis qu'ils à envoient à Jean leur cher grand qui est prisonnier.
Je crois que l’oncle est bien remis car d'après tante, il est repris du désir d'aller dévorer du Boche.
Les nouvelles de l’heure sont bonnes. Je vous ai envoyé hier en petit billet un mandat de 500 fr. et aussi quelques photographies. Il y a mon colonel, moi, un coin d’Argonne où sont nos guitounes en construction et une scène du front.
Le perruquier en plein air, c'est un de mes amis qui se fait barbifier.
Les pauvres gens de La Coste sont bien à plaindre. Ils n'ont jusqu'ici pas de chance. Ont-ils des nouvelles depuis votre dernière lettre ? Je vais un de ces jours écrire une longue lettre à bonne-maman, dites-lui que je pense souvent à elle. Comment va son jardin.
Est-ce que les asperges de l’Oncle ont bien pris ? N'est-ce pas cette année que l’on peut en cueillir.
Comment vont mes cousines Coderch ? Est-ce que François est retourné sur le front ? Qu'est-il au juste, convalescent, reformé ?
Je n'ai plus de nouvelles des Payré. Il y a ici un docteur qui est allé faire un tour à Prats.
Nous causons de ce cher trou, si petit et si grand pour moi puisqu'il vous contient tous qui êtes tout pour moi.
Je crois que voilà une longue lettre. Le vaguemestre arrive, il va me l’emporter. Je vais l’échanger contre une des vôtres.
Vous me parlez d’une ménagerie que vous me réservez pour ma permission. Je crois que votre bonté pour moi va vous faire créer une arche de Noé ou un jardin d’acclimatation. Vous êtres trop bon pour votre petit soldat.
Je vous embrasse bien fort aussi fort que les coups de 75 qui m'éclatent aux oreilles. Ce n'est pas peu de choses.
Votre petit pioupiou.
Prosper
27 septembre 1915
Bien chers parents
Je vous envoie par le même courrier une autre lettre où je fais une véritable commande.
Dans cette lettre-ci je vais vous poser une grave question. D’abord, écoutez bien mon raisonnement.
Voilà un an que nous sommes en guerre. J'en ai vu de rudes, je suis habitué à la vie au grand air, à l’incertitude, au mouvement, au péril. J'aime cette vie d’alerte, de mauvaises nuits doublée d’une existence simple sans apparats, facile, honnête où l’on méprise l’argent et les choses d’une façon extraordinaire.
Je ne pourrais jamais me remettre aux comptes des centimes additionnels des impôts, des fenêtres, des portes et des chiens. Il y a aura assez de boiteux et de manchots pour s'en occuper.
Je voudrais rester soldat, mais pour cela, comme je ne veux pas avoir l’air d’être arrivé officier sans travail et comme ne je sortirai pas de Saint Cyr, je veux préparer l’Ecole de Guerre. Breveté, je serais plus savant que les autres et je ne les craindrais pas.
Que pensez-vous de tout cela ? Est-ce que cet avenir si Dieu me l’accorde n'est pas beau ?
Officier, l’on voyage, l’on court le monde. Puis l’on vient vers ceux qu'on aime. Je ne voudrais pas vous faire de peine. Je vous aime bien.
Votre petit pioupiou.
Prosper
27 septembre 1915
Bien chers parents
Je vais vous faire une longue lettre ou je crois je ne vais vous causer que linge et chaussures.
Avant tout, il me faudrait une excellente paire de souliers. Quelque chose de solide comme du fer. Actuellement, le cuir est excessivement cher. Il faut 40 fr. pour avoir de solides souliers tout cuir imperméables.
Des souliers en vache… à tiges un peu hautes à semelles épaisses et débordantes à languette à soufflet fermant complètement la chaussure qui n'a plus que l’ouverture du haut.
Comme fermeture, des lacets avec œillets ou crochets.
Vous connaissez ma pointure, 40 comme ce sont des souliers de marche il faudrait 41…
Je vous envoie mon empreinte prise avec une paire de chaussettes fortes.
La chaussure est de toute importance pour le pioupiou.
Comme culotte, j'ai ce qu'il me faut. La bleue du Bon Marché est une en drap d’uniforme anglais que je viens de m'acheter à Sainte Menehould.
Comme capote, j'ai ce qu'il me faut, ma vielle fera encore un hiver.
Ma vareuse surtout est abimée. Je la porte depuis le début toujours sur moi. Elle a tenu merveilleusement puisqu'elle n'est même pas trouée mais seulement râpée.
Je vous envoie mes mesures pour que vous m'en commandiez une au Bon Marché en même drap que la culotte.
Je veux la vareuse à col droit, sans écusson jaune au col avec seulement les numéros 313 brodés or, pas de… aux manches, quatre poches, celles du haut avec un pli creux au centre comme un soufflet, celles du bas à soufflet tout autour (genre anglais), une ceinture sur tout le tour de la taille (deux poches à l’intérieur aux boutons). Dans le dos, un pli creux depuis le doc jusqu'à la ceinture, sur le devant les boutons masqués dans un pli.
Des galons de sous-lieutenant sur le dessous de la manche comme le…
Dites tout cela au Bon Marché. J'ai ce qu'il me faut comme linge de corps-chaussettes, etc.
Envoyez-moi une paire de gants forts pour le cheval couleur havane à un bouton, 8 comme dimension.
Voilà, j'étais sûr que je ne vous parlerai que de chiffon, je vous embrasse bien fort.
Prosper
6 heures le matin, le 3 octobre 1915
Bien chers parents
Je vous ai envoyé hier dans ma lettre un mandat de 200 fr. Je ne vous ai pas dit un seul mot dans la lettre parce que ma solde m'a été payée au moment où le vaguemestre partait.
J'ai reçu votre carte du 28. Ne soyez pas inquiets chers parents, avez-vous reçu ma lettre avec mes 500 fr. Je fais des économies, il me semble !!! Si la guerre dure encore un peu ; je vais être riche comme Crésus. Sur les 500 fr. que je vous ai envoyé l’autre jour et sur les 200 d’hier ; je mets 100 fr. à ta disposition chère maman pour soigner tes pauvres.
Avez-vous reçu ma commande ? Une vareuse et des souliers. Faites aussi vite que possible pour tout cela. Surtout que les souliers soient bons. Faites-moi envoyer de la graisse avec pour les graisser. C'est la seule chose qui les sauve.
Je n'ai pas de nouvelles de Valentin. Je vais lui écrire aujourd’hui. Je me sauve, je vais déjeuner. Dans l’après-midi j'aurais peut-être le temps de vous écrire une longue lettre. Je vous raconterai comment j'ai fait du tir au lapin sur des Boches avec un canon de 75 mm, c'était très amusant.
Je vous embrasse bien fort.
Prosper
5 octobre 1915
Bien chers parents
Un mot seulement. J'attends avec impatience une de vos lettres. Il me semble qu'il y a très longtemps que je n'ai rien reçu de vous.
Bien affectueusement à vous tous.
Prosper
6 octobre 1915
Bien chers parents
Un petit mot un peu plus long que celui d’hier. J'ai reçu une de vos lettres qui a mis longtemps pour me parvenir.
Ne craignez rien chers parents, ce serait sans motif que vous vous alarmeriez.
Je n'ai pas eu une minute pour écrire à Valentin. Est-ce que son père a de ses nouvelles ?
Comment va bonne maman, vous n'en causez pas souvent.
Je m'en vais écrire toute une série de lettres et de cartes à mes amis que j'ai négligés et qui me négligent par contre coup.
J'attends avec impatience ma vareuse et mes souliers. Vous ne m'avez pas encore répondu à ce sujet.
Je vous embrasse bien affectueusement.
Prosper
Le 7 octobre 1915
Bien chers parents
Un petit mot bien vite écrit. J'ai reçu une longue lettre de vous hier soir. Il n'y a rien de nouveau par ici. Je vous écrirai bien plus longuement demain. Je vous embrasse bien tendrement.
Prosper
11 octobre – Dans la nuit du 10 au 11 octobre, le 6e bataillon va cantonner à Lochères.
Journal de marche et opérations du 313e régiment d’infanterie
11 octobre 1915
Bien chers parents
Je voudrais pouvoir vous écrire plus longuement pour te souhaiter une bonne fête et pour t'envoyer beaucoup de baisers, mais je n'ai que quelques minutes et demain ma lettre arriverait trop tard.
Je ne sais pas ce qui se passer à Prats. Le canton est interdit aux permissionnaires et je suis obligé de demander une autorisation spéciale me sera sans aucun doute accordée.
… les gens de l’abus ne sont pas chics, expliquez-moi ?
Je crois que dans vingt jours, peut-être un peu plus, je vais vous embrasser.
Bien tendrement à vous tous.
Prosper
12 octobre 1915
Bien chers parents
Je vous adresse ma petite carte habituelle pour me rappeler à votre affection. Je n'ai que quelques secondes à vous consacrer. Je vous ai envoyé mes souhaits de bonne fête hier.
Je vous embrasse bien fort.
Prosper
11 octobre 1915
Bien chers parents
Je n'ai pas pu vous écrire longuement hier au soir. Je n'ai pas eu le temps.
Je voulais vous raconter une amusante histoire. Je vais vous la dire en deux mots.
Sur le front, on fait rapidement connaissance. Avant-hier, je rencontrais un officier d’artillerie qui le soir me conduisait dans son observatoire. De là, on avait une vue superbe sur la plaine de Boureuilles, on voyait Vauquois, Montfaucon, Varenne, Charpentry, Eclise-Fontaine, etc. etc.
Sur les routes, de temps en temps, un Boche passait. Vite, un coup de téléphone, allo, allo, à 2 500 mètre correcteur 10 ! Feu
Et immédiatement, un canon de 75 à 2 km de là envoyait un gentil obus sur l’imprudent Boche qui s'enfuyait au pas de cours à notre grande joie. Sur Vauquois, l’œil à la lunette, on voyait en un point de la carte passer des Boches qui s'en allait dans un boqueteau plus loin. Encore un coup de téléphone, et frac, frac ! Deux obus dans le bois. Après cela, on voyait ces misérables passer au pas de gymnastique, coudes au corps pour se cacher en utilisant le terrain. C'était un spectacle on ne peut plus amusant. Dès que l’un se montrait frac ! Un obus. Ils étaient affolés. Ils se masquaient sur leur gauche alors que nous les apercevions de derrière. Ah comme ils couraient bien.
Je termine en vous embrassant bien fort à tous.
Prosper
Le 15 octobre 1915
Bien chers parents
Je ne vous ai pas écrit hier ni avant-hier. Je n'ai pas eu une seconde.
Voilà mon emploi du temps. D’abord, hier je suis allé dans un petit village de l’arrière suivre des expériences que l’on faisait avec des bombes spéciales.
Une journée de permission, une bonne galopade sur un gentil cheval et une heureuse rencontre, tel est le bilan de cette journée.
La rencontre, vous ne devinerai jamais, j'ai rencontré Frédéric Durant à un détour de chemin. Je ne le savais pas dans ce coin et lui encore moins. Il est maréchal des logis d’artillerie sur le front depuis le début, jamais évacué et en excellente santé.
Vous sauriez croire notre étonnement mutuel en nous trouvant ainsi si loin de Montpellier et dans de si curieuse situation. Il fallait que nous nous trouvions car dans le petit village ou nous nous sommes croisés, lui passant à cheval et moi aussi.
C'est aujourd’hui ta fête chère maman. J'y pense… j'ai déjà envoyé mes vœux il y a deux jours, mais je rajoute à ton intention un supplément de bons baisers.
Je te remercie d’avoir fait si vite ma commande pour ma vareuse et mes souliers.
Pour aller en permission à Prats, il me faut l'autorisation du commandant de la 16e région. Sitôt que cette autorisation arrivera, je partirai. Cela pourrait être dans dix jours d'ici.
Je vous embrasse bien bien fort à tous.
Prosper
19 octobre 1915
Bien chers parents
Je ne reçois plus de lettres de vous. Je ne sais pourquoi. Je commence à être inquiet. Je crois que vous allez bientôt devoir immoler votre petite ménagerie, détruire votre arche de noix.
Je vous embrasse bien bien tendrement.
Prosper
20 octobre 1915
Bien chers parents
Voilà deux jours que je ne vous ai pas écrit. Je ne sais pourquoi. J'étais occupé si bien qu'à la fin de la journée, j'étais furieux de m'apercevoir que je n'avais pas trouvé une minute pour vous écrire.
Je vais bien. Il n'y a rien de neuf ici. L’attaque de l’autre jour qui a du vous épouvanter car elle figurait au communiqué a été enrayée dans la journée même.
Les permissions reprennent ou plutôt continuent, mais très lentement. J'irai, seulement je ne sais pas quand.
Les nouvelles de notre gauche sont excellentes, nous allons réussir.
Je ne vous en dis pas plus long, je vous embrasse.
Prosper
23 octobre 1915
Bien chers parents
Rien qu'une ligne ! Le vaguemestre se sauve. Je n'ai pu vous écrire hier. Je vais bien. Je vous embrasse bien tendrement à tous.
Prosper
Bien chers parents
Comment allez-vous. Voilà deux jours que je n'ai pas de nouvelles. Je vous envoie de bons baisers pour vous tous un petit bout de carte.
Prosper
Le 26 octobre 1915
Bien chers parents
Une petite lettre plus longue que de coutume. J'ai reçu votre lettre contenant la réponse de l’Echo de Paris. Nous causerons de tout cela pendant ma permission.
J'ai l’autorisation d’aller à Prats. Ce n'est plus qu'une question de jours. Dix au plus à daté d’aujourd’hui.
Je passerai… 7 jours pleins auprès de vous. Quand j'y pense, il me semble être léger comme un oiseau.
Je ne vais pas vous en dire bien long aujourd’hui. Je me réserve pour mon séjour à Prats.
Je vous embrasse bien tendrement.
Prosper
28 octobre 1915
Bien chers parents
Un mot, trois fois répété, toujours du même, toujours au même, toujours le même, bientôt quelques jours de liberté pour aller vous embrasser.
Votre petit soldat
Prosper
31 octobre 1915
Bien chers parents
Dans deux jours je compte partir pour Prats, quel plaisir ! Je compte voir Valentin demain.
Je vous embrasse tendrement à tous.
Prosper
Paris, le 13 novembre 1915
Bien chers parents
Je vous ai envoyé un mot ce matin en descendant du train. Je viens de rôder dans tous les grands axes de Paris. Ouf ! Je n'en puis plus, puis je suis dégouté, il y a beaucoup trop d’embusqués par ici.
Paris est vraiment immense et l’agitation est extrême.
Je suis allé au Bon Marché choisir un chapeau pour papa. Le Bon Marché n'est qu'un vulgaire bazar. Je n'ai pas pu trouver dans les prix que vous m'aviez indiqué. A large bord il n'y en avait que d'un prix de 4 fr 50. Les autres chapeaux ou plutôt l'autre car il n'y en avait qu'un en feutre souple à 3 fr 90 avec des bords tous petits, il ne pouvait convenir.
Celui que je vous envoie est de bonne qualité. Je l'ai pris noir parce que les autres de couleur étaient trop clairs.
Ce n'est qu'un bazar que le Bon Marché.
Je quitte Paris ce soir, il me tarde ! On est bien mieux sur le front avec ses camarades. De vrais, ceux-là qui souffrent comme vous tandis qu'ici, vraiment on ne dirait pas qu'a quelques kilomètres il y a des hommes agonisent ; il y en a à chaque instant qui tombent.
Je suis dans un grand café place de l'Opéra, c'est plein de gens qui fument faisant un chiqué fou. Ils sont là… à la dernière mode avec des vêtements civils copiant l’uniforme militaire, ils fument sans se lasser dans un quiétude complète.
Il faudrait je crois que les Boches soient venus quelques heures jusqu'à Paris pour les faire réfléchir.
Je crois que je dis des bêtises. Je crois qu'actuellement il n'y a qu'une bonne place, là-haut sur le front puisque je ne fais que rester auprès de vous.
Je vous embrasse bien fort à tous.
Prosper
Secteur postal 9, le 14 novembre 1915
Bien chers parents
Me voilà de nouveau sur le front dans ma bonne guitoune que je vous ai décrite. J'ai retrouvé tout le monde en bonne santé. L’accueil de mes camarades, le colonel et le docteur m'eut fait rapidement passer le cafard, si ce vilain mal m'avait possédé.
Chacun a poussé son exclamation joyeuse en me voyant. Voilà le déserteur ! Voilà le Catalan, voilà le montagnard.
Cela vous réchauffe le cœur de trouver tant de sympathie et cette bonté. Cela vous fait vite oublier les embusqués de Paris et leur équipe.
Rien n'est changé ici. Tout s'est bien passé pendant mon absence. Le Boche a été sage.
J'ai fait un voyage facile, peu fatiguant, pensez-un peu, en première classe !
Je ne voudrais pas que vous vous fassiez du chagrin. Je suis fait à cette vie, vous avez vu que je me portais très bien. Laissez-vous vivre, ne vous tracassez pas, dites : que la volonté de Dieu soit faite et ne pensez plus à rien.
Je vous aime bien tous et vous embrasse bien fort.
Prosper
15 novembre 1915
Bien chers parents
J'ai repris ma vie de soldat. Je me plonge jusqu'au-dessus de la tête dans le travail si bien que le temps passe vite.
Je vous embrasse bien tendrement à tous.
Prosper
16 novembre 1915
Bien chers parents
De bons baisers de votre petit soldat. Je suis très occupé. Je viens de recevoir une lettre de tante Louise, ils vont tous bien. Je vous embrasse tous bien fort.
Prosper
17 novembre 1915
Bien chers parents
Un petit mot un peu plus long que ces jours derniers.
J'ai repris pied dans la vie de soldat sur le front. J'ai plus d’ardeur, je me sens plus fort. Les permissions font du bien. Je sais pourquoi je suis là. Je suis soldat. J'ai vu la France, Prats, vous surtout. Je sais pourquoi nous luttons et combien ce que nous devons défendre nous est cher.
Le secteur n'a pas changé. Je continue les travaux que j'avais entrepris avant mon départ. Il y en a de nouveau en train, cela me donne du travail.
Les gâteaux ont été très goutés par tout le monde. Envoyez-moi de temps en temps un colis de petites choses bonnes à croquer.
Je me hâté. Je vous embrasse bien fort fort.
Prosper
Le 30 novembre 1915
Bien chers parents
Un tout petit mot seulement. Je reçois à l’instant une lettre de vous. Je suis très heureux. La petite Madeleine Soutit a reçu la poupée, sa maman m'a écrit. Je vous envoie la lettre.
Je me sauve. Je vous aime tendrement. Votre petit soldat.
Prosper
Secteur Portas, le 7 décembre 1915
Bien chers parents
Voilà plusieurs fois que je vous annonce une longue lettre et que je ne vous envoie que des petits mots. Excusez-moi, je suis très pris par mes fonctions multiples et je n'ai guère de temps. Je suis dehors une notable partie de ma journée. Quand je rentre, le vaguemestre est parti ou prêt à partir.
Je vais très bien.
Je continue bien entendu à être pionnier-bombardier, major de tranchée, etc. tec.
Je n'ai aucune nouvelle de Valentin à qui j'ai écrit pourtant lui annonçant que j'avais à sa disposition la gourde.
Le mauvais temps qui se fait à Prats est général. Ici nous avons eu très froid. Pendant une dizaine de jours, juste à mon retour de permission puis ensuite une pluie continue.
De ma permission, je n'en parle plus car elle est passée pourtant je devrais en bourrer mes lettres car c'est sur ces 7 jours que j'ai passé auprès de vous que je vis.
J'ai fait des réserves que je consomme petit à petit.
Si la guerre dure encore longtemps, et nous la tiendrons aussi longtemps que le Boche n'en n'aura pas assez. Je pourrais retourner en permission dans cinq mois, car le tour de permission est régulier maintenant. Il part trois officiers par 10 ou 12 jours, cela revient assez vite. Je retournerai à Prats pour l’été.
Ce qu'il y a de charmant dans tout cela, c'est que la guerre tourne à la vie de garnison.
Au lieu d’aller à l’exercice, on va au feu comme l’on s'y fait, cela devient très monotone. Je cherche des passe-temps rompant la monotonie du service. Il y a deux jours, je me suis amusé à tirer des Boches en observant la 1e ligne. J'ai vu des Boches qui sortaient de leur tranchée pour vider des sacs de terre pendant toute une matinée, ce fut un vrai plaisir. J'ai pu en tirer 6 à des instants différents. Je dois en avoir tué.
Je vous embrasse bien bien tendrement à tous.
Prosper
Secteur Portas, le 8 décembre 1915
Bien chers parents
…
Je suis dans ma cabane. Je viens d’achever ma tournée journalière. Rien de nouveau, rien à signaler, comme nous disons dans nos rapports.
Je pense à vous, à la Noël, à tous. Nous vivons deux vies, celle de l’arrière par la pensée et celle du front par la réalité.
On pourra lorsque nous mourrons, ajouter à notre total d’années toute la durée de la guerre. C'est du supplément d’existence, du rab comme disent les soldats que Dieu nous octrois.
J'attends de pied ferme les deux gâteaux annoncés, ils seront bien reçus.
Je vous embrasse bien tendrement.
Prosper
18 décembre 1915
Bien chers parents
… je suis de taille à manger du Boche, ma permission m'a fait réellement du bien.
Je ne sais que dire de plus, je cours à mon travail.
Je vous embrasse bien fort à tous.
Prosper
Secteur Portas n° 9, le 24 décembre 1916
Bien chers parents
Je voudrais que cette lettre arrive à Prats le matin du 1er janvier 1916 pour vous apporter tous mes vœux pour l’année nouvelle.
Ne soyez pas tristes en pensant à cette nouvelle année qui commence. Ce sera l’année de la victoire. C'est celle qui verra la fin de la guerre et la gloire de notre nation.
Que le Bon Dieu donne du courage, beaucoup de courage à nos soldats, à nous tous.
Il nous faut un courage calme et résolu, tenace. Il nous faut tenir sans nous dépasser et nous les userons, nous les lasserons.
J'ai reçu la carte de tata, pauvre maman, tu souffres toujours de ces maudites engelures.
J'ai une chance inouïe, je n'ai pas eu d’engelures l’hiver dernier et je n'en n'ai pas cette année non plus.
Demain c'est Noël, sur le front tous les petits soldats vont penser à leurs chers parents et nos songes, pensées et vœux vont s'envoler vers vous tous en une onde mystérieuse qui fera tomber sur vous une pluie de bonheur.
Cet échange de vœux et souhaits faits en son noms seront agréables à l’Enfant Dieu qui vous donnera en échange sa… et sa grâce.
Je vous embrasse bien affectueusement tous.
Prosper
Le 28 décembre 1915
Bien parents
Je ne voudrais pas vous faire de la peine aussi je vous prie de lire ma lettre jusqu'au bout sans vous fâcher. Ecoutez-moi bien, je suis sûr de vous convaincre et d’obtenir de vous ce que je vais vous demander.
Je suis repris par mon désir d’être aviateur. Ne vous épouvantez pas. Je ne vais pas risquer plus que je ne risque, cela je vous le jure. Vous pouvez me croire. Je ne vous dirais pas cela si ce n'était pas vrai. Ici je suis auprès du colonel, c'est vrai mais cela ne fait rien. Ne m'obligez pas à dire ce que je ne voudrais pas vous expliquer.
En plus de cela il y a des raisons très importantes qui me poussent à faire ce que je désire tant.
Dans l’infanterie où il ne me plaisait pas d’entrer au… vous rappeler-vous j'ai fait douze mois j'en ai assez.
Avant d’aller en permission, je croyais que la cause du manque d’accord qui existait entre moi et ma troupe venait de moi seul que j'étais fatigué moralement.
Je suis revenu de permission absolument changé. J'ai fait en jouant ce que j'hésitais à tenter avant. J'ai donné plus que j'ai pu. Je ne suis pas fatigué bien au contraire. Je me sens une énergie terrible mais j'arriverai à une chose, c'est à me faire tuer sans aucun résultat car cela ne fera aucun effet sur mes hommes.
Je ne vais pas d’accord avec ma troupe.
La faute en est à la longueur de la guerre. Il ne faut un autre emploi, d’autres devoirs à remplir. Notre consigne est attendu et tenir. Il n'est pas de raison alors pour que l’hiver 1917 ne vous trouve pas dans les mêmes tranchées sur la crête.
J'ai un excellent moral. Je ferais n'importe quoi à l’heure actuelle. Je mangerai du Boche avec un plaisir… Mais rien ne se passe.
J'ai cherché à me dépenser en bombardant tant que je pouvais alors tout de suite, j'ai vu sur les visages le mécontentement de la troupe dans les secteurs du régiment où je livre à mes exercices. Des officiers en papier maché sont allés jusqu'à me faire entendre que je faisais tuer des hommes. L’on doit tenir compte des coups que l’on donne et non de ceux que l’on reçoit. En restant dans le poste que j'occupe. Je m'énerve, je perds mon bon moral et je ne me rends pas les services que je pourrais. Vous m'avez appris à faire tout ce qui est bien et tout ce qui est pour la France.
Je rendrais plus de service dans l’Aviation de désigner des officiers élèves pilotes dans les régiments. Je sais le plus jeune au 313e.
Je ne souffrirai pas qu'on me désigne je veux partir de moi-même et prévenir le désire de mes chefs et faire bien avant qu'ils me le disent.
Il y a de nombreux jeunes gens me direz-vous qui peuvent te remplacer. Je ne veux pas attendre que d’autres passent ce qu'il faut faire. Ce n'est pas ce que vous m'avez montré.
Ecoutez moi, je vous prie lisez ma lettre plusieurs fois. J'ai réfléchi avant de vous l’envoyer. J'y écris des choses très graves que personne ne devrait savoir, mais je voudrais tant vous convaincre.
Ne montrer par ma lettre tout de suite à papa. Expliquez-lui. Je n'ai jamais désiré une chose avec plus de force qu'aujourd’hui.
Je vous embrasse bien bien affectueusement.
Je viens de relire ma lettre. Je vous l’envoie. Je vous aime énormément, je ne veux pas vous faire de peine. Ecoutez-moi accordez-moi ce que je vous demande.
Prosper