1917
Chemin des Dames Création novembre 2020

Janvier

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1er janvier 1917

Bien chère maman

Je me fais une fête ce matin à vous adresser ce matin mes vœux de bonne année.

Je vais d’abord vous souhaiter à toutes les trois de longues années à vivre encore afin que je puisse bien vous aimer à mon aise et vivre si possible bien souvent auprès de vous.

Ensuite, je demande à Dieu de vous garder bien ferme au cœur ce grand courage de femme française et de mère que vous avez montré et qui m'a si bien soutenu lorsque j'avais le plaisir d’aller vous embrasser.

Petite maman chérie, je souhaite pour toi une santé parfaite et je demande que je devienne un petit garçon aussi bon, aussi affectueux qu'il est possible afin que tu sois bien payée de toute la peine que tu as prise pour me faire grandir.

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A toi, bonne tata, je te souhaite avec une bonne santé d’avoir un filleul qui soit aussi docile que possible et surtout qui réponde bien à tes bonnes lettres.

Ce qu'il nous faut souhaiter tous c'est que cette guerre ne finisse que par la victoire de nos armes. Que cette grande lettre du monde que nous avons alimenté de notre sang dont nous avons été le centre et le foyer le plus ardent ne finisse que par le triomphe de notre droit et par une paix qui mettre au plus haut point notre honneur et notre héroïsme.

Souhaitons ardemment la grande bataille.

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C'est la dernière fournaise où va crouler l’arrogance allemande et où va se couler l’immortelle gloire de l’armée française.

Nous avons confiance. Les postes de Verdun sont solides, ils sont trempés avec le feu de Douaumont, de la Caillette, de Fleury.

Je me hâte de terminer ma lettre, j'ai du travail sérieux à faire.

Je vous embrasse de tout mon cœur ma petite maman chérie et ma bonne tata.

Prosper

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2 janvier 1917

Chère bonne maman

Quoique sur le front avec beaucoup de travail, je ne veux pas manquer mes devoirs de bon fils. Je tiens à vous présenter mes vœux les plus affectueux pour la nouvelle année.

Mon billet de nouvel an n'est pas bien élégant, mais la façon n'est rien. Il a l’avantage d’être écrit de l’autre bout de la France en territoire allié où nous faisons une barrière aux Boches qui voudraient inonder notre territoire et faire disparaître les coutumes que vous nous avez apprises et que je vénère.

Soyez sans inquiétudes pour nous chère bonne maman et si vous entendez dire que nous accepterions une paix honteuse, vous pouvez répondre que le soldat qui est

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Secteur postal 101, 3 janvier 1917

Bien chère petite maman

J'ai énormément de travail, aussi je ne puis vous envoyer que très rapidement de mes nouvelles.

Il ne fait pas si mauvais que vous le croyez. Nous avons de bons feux car le bois ne manque pas ici. Nous sommes dans un village en ruine qui nous sert de réserve de bois.

Je suis certain que j'ai plus de bois que vous dans vos greniers.

Prosper

Montée en troisième ligne à Hermonville / Chemin des Dames

4 janvier – Le régiment quitte Sarcy pour se rendre à Hermonville pour aller occuper la 3e ligne de la 1e position

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6 janvier 1917

Bien chère maman

Je suis encore en route. La chose est comique. Je suis à… de l’endroit où je dois trouver mon régiment et je crois que je vais attendre jusqu'à ce soir avant un train, même un train de marchandise. Les renseignements sur le secteur sont de plus en plus amusants. Après Verdun, il va nous sembler que nous faisons la guerre pour rire.

Je vous embrasse bien affectueusement.

Prosper

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Dimanche 7 janvier 1917

Bien chère maman

J'ai rejoint mon régiment hier au soir. Ils sont installés comme des seigneurs dans de bonnes maisons ou de magnifiques abris. Le secteur que nous occupons est vraiment remarquable. Je n'ai jamais rien vu de semblable. Il tombe à peine un obus pas jour dans le secteur du régiment. Les tranchées sont très saines. Je couche dans un lit propre avec des draps et je suis en ligne ! Que voulez-vous de mieux après cela ! Le village que nous occupons est à deux kilomètres 500 des lignes. Une grande partie de la population l’occupe encore. Ce matin, nous avons eu une grande messe avec musique dans une très coquette petite église. Nous n'avons presque qu'à nous laisser vivre.

Un mot d’un de mes camarades pour peindre le secteur. C'est un secteur pour convalescent.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

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9 janvier 1917

Bien chère maman

J'ai visité hier notre nouveau secteur. Ce n'est que surprise après surprise. Le terrain est excellent si bien que les boyaux sont sablés et… comme les allées d’un beau parc.

Dans ma promenade qui a duré toute la soirée de midi à 7 heures, j'ai parcouru une dizaine de kilomètres mais je n'ai entendu tomber que deux obus !

Les abris en ligne sont excessivement confortables et solides. C'est vraiment une cure que l’on fait dans un semblable coin. Avec cela, le secteur est agréable et varié. Bois, plaines, rivière, canal, nombreux villages, etc. etc.

Nous sommes en réserve avec quelques éléments en ligne. Le poste du colonel est installé dans un gros village. Nous sommes tous logés chez l’habitant. J'habite chez de bons vieux. Je suis installé dans leur cuisine pour vous écrire. Le vieux grand-père bourre le poêle pendant que je bouquine ou travaille.

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Il a soin de le faire ronfler. La bonne vielle tricote, un vieux chat gros comme un mouton ronronne aussi fort que le feu. Vous voyez que je suis pleinement tranquille. J'ai encore plusieurs jours à passer ainsi.

Ensuite, nous irons relever en première ligne nos camarades de la division mais actuellement ne demandent qu'une chose, c'est qu'on les laisse où ils se trouvent. Ils y sont très bien.

Il fait mauvais. Quelle différence avec Prats. Il pleut, il neige, le vent est froid. Grâce à nos installations nous ne souffrons de rien. Mes hommes sont tous dans des maisons. Ils sont bien couchés sur des paillasses dans des lits en fil de fer.

Je vais répondre à Mme Gillet puisque c'est elle qui m'a envoyé les dates.

Le colonel est en permission ainsi que le docteur et Senambride. Nous ne sommes que trois à Tulite et aucune contrariété ne venant mettre un frein à notre gaîté nous faisons beaucoup de bruit pendant nos repas.

Tout cela va changer ce soir. Je vous embrasse bien affectueusement à toutes les trois.

Prosper

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10 janvier 1917

Bien chère maman

Je vous écris rapidement au crayon pour profiter d’un courrier qui part dans quelques minutes.

Je vais bien, rien de changé, j'emploie mes journées à lire. Je travaille avec les livres que j'ai, c'est autant de gagné. Que de temps perdu pour mes études et pour mon travail.

Je vous embrasse bien affectueusement à toutes les trois.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 20 janvier 1917

Bien chère maman

J'ai émigré de ma chambre où il faisait trop froid pour venir écrire au bureau du colonel où un bon feu flambe dans la cheminée. Il neige toujours, puis il gèle et les routes sont impraticables. Dans ce secteur incroyable nous ne souffrons pas trop du froid. Les abris sont installés confortablement, il y a des poêles ou des cheminées de fortune et le combustible ne manque pas trop.

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Ce matin, nouvelle attaque contre le fil de saucisse. Pour résister, il s'est contracté et a diminué de longueur.

Les jambes de bas tricotées vont très bien, elles tiennent bien chaud.

Hier, je ne suis pas allé dans le secteur. J'ai paresse dans ma chambre, je bouquine. Ces longues journées passées dans ma chambre à lire me rappellent mes études de droit et je regrette tout ce temps perdu pour mes études. Enfin, c'est la volonté de Dieu.

Rien de nouveau dans notre secteur. Il ne faut pas vous faire du souci. Cela ne sera jamais comme à Verdun.

Fait-il toujours froid à Prats ?

Je vous vous envoyer deux bouquins de Bourget : Le démon de midi. Ce sont des livres que le pauvre capitaine Lahille m'avait prêté et que je n'ai pas pu lui rendre. Je vais les conserver en souvenir de lui. Dans ma cantine ils ne sont pas en lieu sûr et ils prennent de la place !

Je vais écrire à une foule de personnes après votre lettre, tante d’Onzain, Valentin, Mme Moy, j'ai du travail.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 23 janvier 1917

Bien chère maman

Je m'accusais dans une lettre que je vous ai écrite hier d’être resté deux jours sans vous écrire, mais je m'aperçois que les lettre que je vous ai envoyées avant cela se sont égarées ou ont été dévorées par la censure.

Le docteur Rottier a reçu votre télégramme hier au soir. J'ai été bien effrayé en le voyant, heureusement, le docteur a été très chic. Pauvres mamans, vous deviez être bien malheureuses pour vous décider à envoyer un télégramme.

Je vais donner cette lettre au docteur qui part ce soir pour Paris assister à des expériences faites sur les gaz asphyxiants et les moyens de protection.

Le télégramme partira également de Paris. Cela ira plus vite que par le vaguemestre qui ne part d’ici que tard ce soir et qui ne l’expédiera que demain matin.

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Le service postal est très mal fait. Vos lettres ne m'arrivent plus. Depuis cinq jours je n'ai rien reçu de l’arrière. Le courrier bien souvent ne m'arrive pas.

Toute est en effervescence. Il faut avoir grande confiance. Nous sommes très près, je crois, de la solution tant désirée.

Il fait toujours froid, très grand mais facile à supporter. Le vent souffle très rarement si bien que les plus basses températures se supportent très aisément.

Fait-il toujours froid à Prats ?

Il faudrait que je retourne en permission pour vous apporter la lueur du soleil. Je ne sais pas où je le prendrais, par exemple, le mauvais temps est général maintenant.

Je vais vous charger de me confectionner un sac de couchage en toile de drap de lit. C'est un sac de la longueur d’un drap ordinaire, large d’un mètre et cousu des deux côtés sur les deux tiers de la longueur à partir du bas. Il faut me faire ce sac avec du vieux drap.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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27 janvier 1917

Bien chère maman

Hier au soir, je n'ai pu vous envoyer qu'une petite carte.

J'ai commencé cette lettre avant-hier et je n'ai pu la terminer. Je vous ai envoyé entre temps deux petites cartes. Depuis votre dépêche, je n'ai rien reçu de vous.

Arzelier a répondu à ma lettre, il va nous envoyer sept cents francs. Je ne sais ce que représente cette somme. Je t'envoie ses lettres dont je prends copie pour le cas où j'aurais à lui réécrire de nouveau. Je lui envoie un mot pour le prier de t'envoyer les 700 francs.

Qu'elle est la somme qu'il nous devait au total ? Je ne m'en rappelle plus.

Les Contributions Directes ne m'ont pas encore répondu.

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Je retrouve dans mon portefeuille ta lettre de novembre 1917. Je vais écrire à Arzelier que j'accorde le délai qu'il demande.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Ps : j'apprends que Prosper s'en va du côté d’Epernay. C'est très chic pour lui, il sera au repos. Il a toujours de la veine ce Prosper.

Prosper

30 janvier – Le régiment est relevé et part cantonner à Cormoyeux

Février

Cantonnement à Ville-en-Tardenois

9 février – Le régiment se rend au camp d’entrainement de Ville-en-Tardenois

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Secteur postal n° 9, le 21 février 1917

Bien chère maman

Je vous ai promis une longue lettre. Quoique nous ne soyons pas au point d’où je pensais vous l’envoyer. Nous n'avons pas encore fait mouvement. Je profite d’un après-midi de liberté pour vous écrire. Nous sommes aux environs d’un camp. Nous y avons travaillé ferme. Maintenant nous nous reposons.

Nous irons dans quelques jours nous reposer un peu plus loin. Il ne fait plus froid. Successivement j'ai enlevé de mon lit l’édredon de plume et le matelas. Je cuisais entre ces deux amas de duvet.

J'ai reçu le sac de couchage, il va très bien. Ici je n'en n'ai pas besoin, j'ai des draps.

J'ai reçu votre lettre du 15. J'espère que vous avez reçu quelques cartes de moi et que vous n'êtes pas restée longtemps sans nouvelles.

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Le dégel a dû être affreux à Prats. Ici le temps a été charmant. Le dégel a été très progressif. Lentement dans la journée, l’eau s'est écoulée ; la nuit le froid consolidait le terrain, si bien que les routes n'ont pas trop souffert. Elles nous intéressent les routes, à nous pauvres fantassins qui roulons notre vie dessus ! Nous faisons maintenant beaucoup de déplacements par étapes. Certainement dans deux ou trois jours nous mettrons sac au dos et c'est à pied que nous circulerons.

Il n'y a rien de nouveau dans mon entourage. Nous menons la vie du cantonnement que nous ne connaissions guère nous les pauvres poilus de l’Argonne. Depuis que nous avons quitté la forêt et, à part le séjour à Verdun et celui que nous avons fait à l’est de Reims à Berry-au-Bac pour préciser, car je peux vous le dire maintenant que c'est passé, nous avons passé notre temps au repos. Le séjour à l’est de Reims fut délicieux du reste. Ce fut notre secteur de convalescent. Je n'ai pas pu aller voir Reims. Je l’aurai bien voulu, mais les ordres étaient formels.

Prosper

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22 février 1917

Bien chère maman

Situation inchangée, excellente santé.

Tendresses à toutes les trois.

Prosper

26 février – Le régiment retourne cantonner à Cormoyeux

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Secteur postal n° 9, le 26 février 1917

Bien chère maman

Hier je n'ai pas eu une minute pour vous écrire. Nous avons fait une longue étape à pied. Les chemins sont affreux actuellement, le dégel a tout retourné et le pauvre fantassin a bien du mal pour trainer son sac. Mais tout s'est bien passé, pas de trainards et à l’arrivée nous avons eu un excellent cantonnement. Nous avons rejoint l’excellent petit village que nous avons quitté il y a une quinzaine de jours. Dans une de mes lettres je vous l’ai situé par rapport à une grande ville dont le nom commence par un R.

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Maintenant, j'ai une agréable nouvelle à vous annoncer. Vous allez me voir arriver en permission sous peu ! Oui, il n'y a pas deux mois que je vous ai quittées et je viens vous embrasser. Explication : le tour de permission a été poussé activement par suite de modifications dans le cache des officiers, mon tour arrive plus vite que nous ne le pensions.

Je pourrais peut-être obtenir mon titre de permission dans une douzaine de jours.

Nous sommes actuellement au grand repos. Le cantonnement est parfait. J'ai une grande chambre bien installée. Il me tarde malgré cela de courir vous voir.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

Mars

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Secteur postal n° 9, le 24 mars 1917

Bien chère maman

Je vous ai envoyé un mot par Paris hier très rapidement. Aujourd’hui je n'ai guère plus de temps, notre nouveau chef de famille m'accapare pour remplacer Foucault.

Je fais partir ma lettre par Paris. C'est le docteur qui part en permission qui s'en charge.

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J'ai retrouvé tout le monde au même endroit, vous savez où. Rien de nouveau de notre côté, sans doute pour quelques jours encore.

J'espère que tata va continuer de bien se rétablir. Soignez-vous bien et toi, maman, ménage-toi ou je vais être inquiet. Fais-toi aider comme je te l’ai dit avant mon départ.

Mon voyage s'est très bien passé. Je dois rejoindre notre chef dans quelques minutes. Je vous quitte.

Bons baisers à toutes les trois.

Mes meilleurs souvenirs à tante Juste et aux cousines.

Prosper

27 mars – Depuis le début de l’année, le régiment ne déplore qu'un seul blessé

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27 mars 1917

Bien chère maman

Le temps est triste et nous sommes dans la boue. La guerre est vingt fois plus facile quand il y a un petit rayon de soleil.

Comme il faisait beau à Prats. Je suis heureux que vous puissiez en profiter.

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Nous avons quitté le petit coin où nous étions si bien. Nous ne sommes pas bien loin. Nous ne nous sommes pas déployés vers le nord par conséquent nous sommes toujours au repos. Nous sommes moins bien installés. C'est la guerre !

Les nouvelles sont bonnes, nous avons des réserves et de puissants moyens. Est-ce que nous allons enfin les avoir ces maudits Boches ?

Cette lettre vous parviendra lentement car elle va employer les moyens réglementaires. Prenez patience.

La petite carte de tata m'a fait beaucoup de plaisir. Il faut bien vous soigner toutes les deux. Maintenant qu'il fait beau, vous allez pouvoir sortir souvent. Profitez-en souvent sans songer à ce qu'on peut dire. Pensez que vous deux vous devez vous conserver pour que j'ai plaisir de vous soigner après cette grande guerre.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

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29 mars 1917

Bien chère maman

Rien de changé depuis ma dernière lettre, nous nous sommes installés dans notre nouveau cantonnement. L’hiver ne veut pas nous lâcher cette année. Hier soir, il tombait encore de la neige.

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L’on sent heureusement que ce sont ses dernières méchancetés car quand le soleil parait, il est aussi chaud qu'à Prats.

Je viens d’écrire à Valentin. Je ne crois pas qu'il soit en permission, il me l’aurait écrit.

Allez-vous bien ? Tata doit être entièrement remise maintenant. ll faut manger pour qu'à ma prochaine permission je sois heureux de vous trouver en excellente santé.

Je vous embrasse fort à toutes les trois.

Ma demande pour l’aviation ne partira qu'au mois d’avril, je serai admis pour…

Prosper

Avril

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4 avril 1917

Bien chère maman

J'espère que vous ne vous tracassez pas si mes lettres n'arrivent pas régulièrement. A l’heure actuelle, tous les moyens de communication sont employés pour le matériel et la troupe si bien que les courriers sont retardés. Si mes lettres sont aussi irrégulières que les vôtres, vous devez bien souvent attendre mes lettres avec impatience.

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Nous sommes toujours au repos. Les choses iront très bien lorsque nous serons en ligne. Nous avons tellement de moyens à notre disposition. Le moment n'est pas encore venu de vous faire de la peine quand vous apprendrez la chose, tout sera passé.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

8 avril – Le régiment se porte à Bouvancourt

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Secteur postal n° 9, le 8 avril 1917

Bien chère maman

Je ne reçois plus rien de vous. Je vais commencer à être inquiet. Nous n'avons pas quitté notre cantonnement.

J'ai pris mes dispositions pour faire mes Pâques demain.

J'ai enfin reçu un mot de Valentin. Il n'a pu partir en permission. Je crois que j'ai bien fait de prendre la mienne rapidement parce que maintenant…

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Je vais sans doute dans peu de jours avoir l’occasion de voir Valentin. Il m'écrit qu'il a réalisé pour lui le confort moderne de ses abris.

Est-ce qu'il fait toujours mauvais à Prats ? Le froid dure-t-il ? Ici, c'est un vrai moi de mars qui continue mais en plus doux. Aujourd’hui nous avons eu une excellente journée ce qui nous a permis de faire des exercices de signalisation avec avion. L’avion survole nos lignes et fait des signaux, nous répondons de la terre.

C'est un vrai feu d’artifice car tous les signaux se font avec des fusées et des feux de bengales.

Je songeais au moment où je serais dans un avion et où je ferai les mêmes exercices, mais de la haut.

Je vous embrasse bien affectueusement à toutes les trois.

Prosper

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8 avril 1917

Bien chère maman

Un petit mot très vite, il est tard. Je ne veux pas me coucher sans vous donner de mes nouvelles. Situation inchangée.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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9 avril 1917

Bien chère maman

Je vous envoie de bons baisers. Notre travail augmente. Je n'ai pas beaucoup de temps.

Prosper

Montée en ligne au bois de Gernicourt – Chemin des Dames

10 avril – Le régiment monte en ligne et s'organise dans le secteur

10 avril – Le chef de bataillon commandant le régiment, les chefs de bataillons, les commandants de compagnie font la reconnaissance du secteur que les compagnies doivent occuper dans la nuit suivante.

Itinéraire : Bouvancourt – Guyencourt – Bouffignereux – Bois de Gernicourt – La Pêcherie.

Départ du régiment le soir même de Bouvancourt à partir de 17 h 30.

11 avril – Le régiment occupe le secteur et s'y organise.

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11 avril 1917

Bien chère maman

Un petit mot comme d’habitude. Je ne vous gâte pas depuis quelques jours. L’on prévoit que la correspondance sera retardée volontairement pendant huit jours. Prenez patience.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

J'écris debout devant le vaguemestre qui part.

Prosper

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12 avril – Dans la nuit du 11 au 12, les deux bataillons occupent le front définitif.

Le 6e bataillon s'établit sur ses bases de départ face à la lisière sud-ouest du Bois des Boches, le 5e bataillon face à la lisière sud-est de ce bois.

En exécution des ordres reçus, certaines fractions du régiment exécutent le 12 à 3 heures une reconnaissance des lignes allemandes ayant pour but de s'assurer de l’état de destructions des défenses ennemies et visant au cas où les Allemands auraient abandonné les tranchées, leur occupation.

Les reconnaissances rapportèrent des renseignements précis, et ramenèrent 26 prisonniers dont 1 aspirant et 2 sous-officiers. Toutefois l’occupation des tranchées ne put être effectuée. Au cours des reconnaissances, deux officiers disparurent : le sous-lieutenant Bertrand et le sous-lieutenant Granet.

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12 avril – Dans la journée du 12 avril, le régiment reçoit l’ordre d’exécuter dans la nuit du 12 au 13, des reconnaissances dans les mêmes conditions que celles du 11 au 12. Le chef de corps donne des ordres pour que ces reconnaissances soient tentées aux mêmes heures que la nuit précédente, avec la restriction que les éléments engagés ne devront pas compter de gros effectifs.

L’opération s'exécute normalement, un certain nombre de prisonniers sont ramenés et les fractions engagées rentrent au petit jour.

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13 avril 1917

Bien chère maman

Mon petit mot journalier. Je vais bien. Nous avons du travail. Je vous ai prévenues que nos lettres étaient retardées d’une huitaine.

Le travail intense que nous faisons nous absorbe et nous distrait.

Je vous embrasse bien affectueusement.

Prosper

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13 avril 1917

Bien chers parents

Toujours des petits mots. J'ai des nouvelles de Jean Coderch et de Jean d’Antrechaus. Tous deux s'apprêtent à venir nous aider. Jean d’Antrechaus sera aspirant. Un beau zouave. Il m'a envoyé sa photographie.

Je suis toujours en excellente santé. Gai bien allant. Si je pouvais vivre vieux, je n'aurais aucune peine.

Prosper

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13 avril 1917

Bien chère maman

De bons baisers de votre petit soldat. Ma santé est excellente, situation inchangée. Ecrivez-moi souvent, vos lettres sont maigres.

Prosper

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14 avril 1917

Bien chère maman

Mon petit mot habituel auquel je joins comme de coutume mes meilleurs baisers.

Nous avons du travail, du bon travail. Je suis en excellente santé. Le moral est d’acier.

Bons baisers

Prosper

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14 avril 1917

Bons baisers, situation inchangée. Il fait un temps superbe. J'ai reçu une lettre de tata.

Prosper

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16 avril – A 3 heures, les emplacements sont pris dans les parallèles de départ.

L’ordre du lieutenant-colonel se termine par ces mots : En avant donc, et pour nos enfants ! Que chacun se lance dans la mêlée au chant de la Marseillaise comme le firent nos anciens de la Révolution. La victoire finale est à ce prix.

Déclanchement de l’attaque à 6 heures.

A 6 h 45, les premiers prisonniers passent au PC Desaix.

A 6 h 50, le PC du 6e bataillon (commandant Ledoux) est au point 8883.

Le capitaine Bouquiou, le sous-lieutenant Tantôt et le médecin aux armées Dalsac sont blessés. La progression de la 6e compagnie est arrêtée près de la tranchée de Hambourg.

A 7 h 5, la 23e compagnie est arrêtée à la partie ouest de la courtine du Chemin.

Une section de la 22e compagnie est engagée sur le saillant nord-ouest du Bastion de la Mine.

A 8 h, le lieutenant-colonel établit son PC dans la tranchée de 1e ligne au point 9279.

A 9 h 30, les premières vagues du 5e bataillon (capitaine Mondon) ont atteint leurs premiers objectifs. Les autres vagues sont arrêtées par le tir de barrage et les mitrailleuses.

Le capitaine Richard et le sous-lieutenant Rousseau sont tués.

A 10 h, le lieutenant-colonel rend compte au général de la division de la situation particulière où se trouve le 6e bataillon menacé d’encerclement et de contre-attaque. Le lieutenant-colonel demande une fraction de renfort pour lui permettre de réduire les nids de mitrailleuses qui arrêtent la progression.

A 11 h 30, un ordre particulier de la 9e DI est envoyé par message et reçu à 12 h informant le lieutenant-colonel qu'il n'est pas possible d’envoyer des renforts, qu'il ne doit compter que sur ses propres forces.

A 12 h, le lieutenant-colonel envoie l’ordre aux bataillons de s'établir sur le front conquis. La situation est la suivante :

  • Le 5e bataillon a des éléments dans la tranchée de Bismark et dans le bois au sud.

  • Le 6e bataillon, après avoir progressé jusqu'à la tranchée de Hambourg, a été rejeté. Sa section de gauche (lieutenant Cotton) en liaison avec le 31e RI est à la Tuilerie (sud-est de Laville-au-Bois)

  • A 12 h 15, le lieutenant-colonel engage son peloton de réserve et, suivi de la CHR et des officiers de l’EM se porte à l’avant à l’assaut. Ce mouvement offensif amène la chute d’un blockhaus de mitrailleuses ; une quarantaine d’Allemands sont faits prisonniers, l’officier mitrailleur allemand est tué.

  • A 13 h 40, le lieutenant-colonel prescrit au 6e bataillon (commandant Ledoux), très disséminé et ne pouvant pas opposer de résistance dans les conditions où il est, de réoccuper peu à peu ses tranchées de départ. Le 5e bataillon est informé de cet ordre et doit prévoir le même mouvement à la tombée de la nuit.

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A 14h, le peloton de réserve du régiment s'établit au nord de l’ouvrage Desaix derrière les deux bataillons.

A 19 h, le lieutenant-colonel quitte les premières lignes et rejoint de PC Desaix.

A 21 h, le capitaine Miquel rejoint nos lignes. Le chef de bataillon Ledoux qui rentrait aussi après une journée de combat, est tué par une balle de mitrailleuse, au moment de franchir le parapet.

17 avril – Les patrouilles de nuit signalent que l’ennemi a dû réoccuper en partie ses tranchées.

Dès le matin, des fractions de grenadiers commencent à procéder au nettoyage du Bois des Boches.

Vers 17 h, l’aspirant Collinet est une dizaine d’hommes prennent deux mitrailleuses et font 40 prisonniers. Les opérations continuent pendant la nuit du 17 au 18.

18 avril – Le matin, le nombre de prisonniers recensés au poste de commandement s'élève à 8 officiers, 1 aspirant et 475 hommes de troupe. En outre, le corps a pris 13 mitrailleuses dont 4 légères, un canon revolver, un groupe électrogène avec dynamo, des appareils d’optiques et une grande quantité de matériel téléphonique, des armes, des munitions de toutes sortes en grand nombre.

A 13 h, le lieutenant-colonel installe son PC au point 9287 (tranchée de Hambourg) côte 73.3, Bois des Boches.

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18 avril 1917

Bons baisers. Excellente santé. Longue lettre bientôt.

Prosper

Cantonnement à Ventelay

19 avril – Nuit du 18 au 19, situation inchangée. La mission du régiment est terminée. Le régiment est relevé par le 113e et quitte le Bois des Boches à partir de 13 h. Stationnement au Bois franco-boche et au Bastion de la mine jusqu'à la nuit. Départ du campement pour le camp de Bourgogne (Est de Ventelay). Les bataillons se mettent en route à la nuit tombante. Installation de tout le régiment aux baraquements à 23 heures.

126 tués, 263 blessés, 124 disparus soit un total de 513 hommes

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20 avril 1917

Bien chère maman

Je profite d’une occasion (un permissionnaire) pour vous vous envoyer ce petit mot qui je l’espère vous parviendra très vite et vous rassurera complètement sur mon sort.

Nous sommes au repos. Nous avons trimé dur. Le régiment a souffert mais nous avons atteints les objectifs qui nous étaient assignés pour l’attaque. Je joins à ma lettre un communiqué du 19 avril où j'ai souligné deux traits ce qui vous intéressera particulièrement.

Au bas de la feuille, le dernier paragraphe encadré de bleu est pour ma division. Cela n'a plus d'intérêt pour la défense puisque nous sommes relevés.

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Nous sommes au repos et nous respirons.

Je vais voir ce soir Valentin.

Je vous embrasse bien tendrement toutes les trois. Lorsque nous serons mieux installés, je vous écrirai plus longuement.

Prosper

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21 avril 1917

Bien chère maman

Une petite lettre. Nous sommes au repos, mais je n'ai guère de temps pour vous écrire. A vrai dire, je manque un peu de courage. Il fait si bon se reposer sans songer à rien. Nous sommes retirés de la ligne de feu et bien tranquilles où nous sommes. Je crois fort que nous irons un peu plus loin à l’arrière dans quelques jours.

Je n'ai pu trouver Valentin, l’oiseau s'était envolé. Sa compagnie a dû aller plus loin. J'ai perdu son adresse. Je pense que c'est la 70e compagnie, secteur postal 222. Je vais lui envoyer une carte ce soir.

J'ai reçu votre lettre du 13 avril.

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J'ai également des nouvelles de Maurice Payré. Il est malade et soigné dans un hôpital à Amiens.

Je vous fais parvenir cette carte par les voies rapides. Hier déjà je vous donnais des nouvelles de cette façon.

Je vais envoyer une carte à Onzain pour les rassurer sur mon sort car dans la région des Blois ils savent en détail tout ce qui se passe au régiment. Demain je vous ferai une plus longue lettre.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

Renfort de 400 hommes

22, 28 et 30 avril – Le régiment reçoit 403 hommes en renfort en provenance du dépôt divisionnaire, puis monte en première ligne où il mène des travaux d’organisation de la position

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Secteur postal n° 9, le 26 avril 1917

Bien chère maman

Je reçois aujourd’hui les lettres que vous m'écriviez le 16, 17 et 19 avril alors que vous étiez sans nouvelles et que nous nous battions. Combien vous souffrez chers parents pour nous. Les instants si durs dans les journées de combat passent vite. Il y a excitation du moment, la préoccupation intellectuelle pour l’officier si bien que l’on ne voit pas et que l’on sent moins et puis nous sommes si durs maintenant, si peu sensibles, si blasés devant les souffrances de nos pauvres corps et des horribles choses de la guerre. Tout cela est passé et a passé très vite pour nous. Nous avons fait notre séjour de huit jours en ligne. Nous avons été dans la bataille pendant cinq jours. Vous connaissez le résultat, le communiqué vous l’a appris. Je vous ai dit que le brave 313e était proposé pour une citation à l’armée. Mon rôle dans tout cela a été bien minime.

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Notre nouveau colonel qui est très chic a beaucoup de points de vue m'a pris comme officier d’ordonnance. Je l’accompagne partout, à tout instant. Je transmets ses ordres, je les explique aux bataillons. Je suis spectateur en tout. Auprès de lui, je discute ses impressions et je transcrits ses ordres. C'est mon rôle ingrat.

Nous sommes toujours au repos. Je crois qu'avant de nous envoyer au grand repos nous prendrons les tranchées dans un secteur tranquille pendant quelques jours.

J'ai reçu les deux saucissons, ils sont bons. Je les ai placés dans ma musette et je ne l’attaquerai que lorsque nous serons aux tranchées.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

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19 avril 1917

Bien chère maman

Pas encore la longue lettre que je vous ai promise hier. Vous savez sans doute les jours. Vous voyez que nous travaillons de notre mieux. Pour notre compte nous avons fait hier et aujourd’hui 450 prisonniers.

Une fois prisonniers, ces sales boches sont plus comme des punaises.

Bons baisers, confiance. Je sens que le bon Dieu que vous priez tant me soutient et me protège.

Prosper

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22 avril 1917

Bien chère maman

J'ai encore l’occasion de vous envoyer un mot par un permissionnaire. Nous n'avons pas bougé. Nous jouissons d’un temps excellent. Je vous écrirai longuement à la première occasion. Le régiment, notre 313e est cité à l’ordre l’armée, c'est très chic.

Je vous embrasse tendrement.

Prosper

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24 avril 1917

Bien chère maman

Le service postal par Paris doit vous procurer plus rapidement de mes nouvelles, aussi je l’emploie le plus souvent possible. Rien de nouveau, nous sommes toujours inactifs. Après le travail que nous avons fourni, nous le méritons bien.

Je vous ai dit dans ma dernière lettre que nous étions tous, le régiment, proposés pour une citation à l’ordre de l’armée. Encore une comme cela et nous aurons droit au port de la fourragère, l'enseigne des régiments de braves. Notre drapeau va recevoir la Croix de Guerre avec palmes.

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Notre pauvre vieux drapeaux. Cela m'émeut et j'attends avec impatience cette cérémonie.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Vive le vieux 313e.

Prosper

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30 avril 1917

Bien chère maman

Pour la première fois depuis que nous avons quitté le grand repos, il fait beau. Une journée superbe. Nous en avons profité pour faire une belle revue dans une charmante prairie qui est resté belle malgré la boue qui envahit tout.

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Je reçois maintenant de nombreuses lettres de vous. Hier deux, aujourd’hui une qui a 48 heures de retard. Je suis heureux de savoir que vous avez de mes nouvelles antérieures au 14 avril, jour où nous avons cessé d’attaquer.

Nous prendrons un secteur calme dans quelques jours. Pas de nouvelles de Valentin à qui j'ai écrit il y a dix jours.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

Mai

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1er mai 1917

Bien chère maman

Mon mot habituel pour vous envoyer mes bons baisers.

Je vais bien. Le temps continue a être superbe. Il fait chaud, très chaud. Après un mal c'est l’autre, nous avons l’habitude, allons-y courageusement.

Prosper

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2 mai 1917

Bien chère maman

Nous sommes dans le secteur tranquille pour une période ensuite repos. Le temps passe vite. J'ai beaucoup de travail. Cela m'amuse et surtout m'occupe. Les reçu les saucissons que j'ai dévoré le jour de le relève, ils étaient excellents.

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Il fait beau, un temps doux de rêve. Je suis sans nouvelles de Valentin. Je me hâte de vous embrasser pour me remettre au travail.

Bons baisers à toutes les trois.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 3 mai 1917

Bien chère maman

J'ai encore une occasion pour vous faire parvenir rapidement une lettre. Je suis en excellente santé. Très en forme même comme disent les sportmans. Il fait beau, c'est un plaisir de faire la guerre avec ce temps sec. Si ce n'était pas si terrible…

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Nous vivons la vie de secteur. Nous sommes installés chez les Boches, dans leurs maisons souterraines, dans leurs lits et toutes les nuits, dans nos reconnaissances, ce sont de nouvelles surprises.

Nous irons au repos dans un charmant pays.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

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Cantonnement à Roucy

13 mai – Le régiment est relevé et regroupé à Roucy
8 tués, 22 blessés et 2 disparus soit un total de 22 hommes

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13 mai 1917

Bien chère maman

Je ne vous ai pas écrit hier soir à cause du travail à fournir. C'est une petite Argonne ici. Il faut organiser à tour de bras. Notre séjour en ligne est fini. Quand vous recevrez cette lettre, je serai en train de faire des promenades à cheval sous-bois.

Ce sont les environs du camp que vous aviez cherché à deviner l’autre fois que nous allons connaître avec le beau temps.

Bons baisers à tous.

Prosper

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19 mai 1917

Chère petite maman

Je suis certain que vous avez beaucoup de travail et je suis désolé que vous vous donniez encore de la peine en vous chargeant du catéchisme. Les méchants diables de Prats doivent te donner une peine énorme. Ils sont si mal élevés. N'y a-t-il pas à Prats de jeunes filles pour faire cela ?

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Je suis allé hier faire des emplettes à Epernay. Cela m'a fait une excellente promenade en auto. J'étais très content de revoir cette petite ville du front. Je n'en suis pas très loin, à 40 km au nord-ouest.

Je suis cité à l’ordre du régiment, le colonel m'a fait une jolie citation, je vous l’enverrai. C'est une étoile de plus à ma croix.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 16 mai 1917

Bien chère maman

Je vous ai envoyé un petit mot hier soir par un de mes camarades qui partait en permission. J'étais resté deux jours sans vous écrire. Vous comprendrez que notre changement de place en est la cause.

Ici, le pays est charmant. Il fait délicieux. Comme il n'y avait pas de chambre pour tout le monde à l’Etat-major, nous nous sommes construit une tente avec Foucault, l’officier de renseignements. Et nous nous apercevons que nous n'avons jamais été aussi bien logés. Nous sommes chez nous.

Mes pionniers sont en train de m'installer dehors sous un énorme cerisier, un banc et une table où le soir nous pouvons griller des cigarettes en rêvant à la paix. Récompense de nos efforts et que Dieu semble encore vouloir éloigner de nous. Que sa volonté soit faite. Notre victoire sera plus belle et il nous donnera la force d’aller jusqu'au bout.

Dans notre tente, nous avons nos deux couchettes garnies d’excellentes paillasses, de sacs de couchages (le mien est excellent) et de couvertures. Il n'y fait pas froid.

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Le matin et le jour, le grand cerisier nous donne son ombre si bien que nous n'avons pas trop chaud.

Deux chaises de bois, deux petites tables, une étagère et nos cantines complètent le mobilier. Nos ordonnances décorent les montants de bois de notre maison de toile avec des lilas qui embaument.

Je vous ai parlé de mon tour de permission. Je ne m'attendais pas à le voir arriver si vite. Je suis impatient comme tout d’aller vous voir. Il me semble que cette permission me fera plus de plaisir que les autres.

Vous devez me demander pourquoi je ne vous parle plus d’aviation. Je n'ai pas encore fait ma demande. En voilà la raison.

Il y a un mois c'était juste avant l’attaque. Il était de mon devoir de rester avec mon régiment, avec mes hommes qui me connaissaient pour traverser avec eux cette rude mais belle épreuve. L’attaque est finie. Je devais il y a trois jours (le 13) refaire ma demande. Je ne l’ai pas fait parce que je suis attaché au régiment plus que je ne l’aurais cru. Le nouveau colonel est épatant pour moi. Je suis à la popote le plus jeune et le plus gâté.

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Au régiment, tous les hommes me connaissent. J'ai la sympathie de tous mes camarades quoiqu'ayant un rôle très ingrat à jouer auprès d’eux, car souvent, comme major de tranchées j'ai dû faire exécuter les ordres du colonel à des capitaines et des lieutenants. Je me demande si je pourrais sans lassitude recommencer tout cela dans un nouveau milieu et si cette sympathie, cette camaraderie, ce milieu familial que constitue notre régiment ne me manquera pas.

D’autre part, je suis certain que le colonel ne me verra pas partir sans déplaisir.

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Je ne voudrais pas me vanter, mais au régiment, pour les travaux d’organisation qui sont si importants dans cette guerre, c'est moi qui suis le directeur et il me semble que mes petits efforts donnent plus à la France dans mon régiment que si je me portais vers l’aviation où je suis novice.

La nouvelle que je voulais vous annoncer, c'est que le colonel veut me citer encore une fois. N'en parlez pas avant que j'aie ma citation.

Je vais, je crois, demander à être nommé à titre définitif. Je ne resterai pas dans l’armée pour cela. Je donnerai ma démission aussitôt la paix signée. Je me décide à faire cela parce que je n'aurai mon deuxième galon qu'à cette condition et que j'en ai assez d’être toujours sous-lieutenant. Le colonel me proposera dès que je serai à titre définitif.

Voilà une longue lettre. Je vous embrasse bien fort. Je n'oublie pas, c'est l’heure de la soupe.

Prosper

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22 mai 1917

Chère petite maman

Ce mois de fleurs est ravissant. Voilà deux fois que nous avons la chance d’être au repos au début du printemps et de voir la campagne toute neuve.

C'est un des avantages du métier de soldat de pouvoir jouir entièrement de tout cela.

Notre tente est pleine de fleurs. Je fais tous les jours de longues promenades à cheval sur une charmante petite monture.

Ce repos comptera pour moi parmi les plus agréables. Nous y sommes encore pour une vingtaine de jours.

Prosper

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Je ne connais pas de camarade au régiment qui est pu y aller. Ce qu'il y a de curieux, c'est que malgré les obus qui y tombent journellement les gens, retenus à leur logis, soit par le souvenir soit par l’appas de l’argent qu'ils gagnent en vendant à la troupe, continuent de vivre leur vie habituelle après avoir déménagé dans leur cave.

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Après ce jour près de Reims, nous sommes allés près d’Epernay visitant aussi toute la Champagne. Je suis heureux d’avoir vu ce riche pays de France. Nous étions à cinq kilomètres au sud d’Epernay. Je ne puis vous dire où ne nous sommes ni ou nous irons nous reposer.

Je vous embrasse bien tendrement.

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Secteur postal n° 9, le 25 mai 1917

Bien chère maman

Je suis resté je crois trois jours sans vous écrire. Au repos, le doux farniente que nous vivons nous rend très paresseux.

Je vais essayer de vous faire parvenir cette lettre par les voies rapides. Je compte pouvoir y mettre ma citation.

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Je pense bien que les imprimés sont signés par le colonel, mon motif est très chic. Ne vous effrayez pas, c'est bien peu de choses ce qu'il raconte.

J'ai des nouvelles de Valentin, il est sur le point de partir en permission, peut-être cette fois-ci aurons-nous la chance de nous trouver ensemble et de pouvoir faire quelques excursions ensemble.

Je crains que vous ne vous fatiguiez avec ces leçons de catéchisme.

Je suis au repos le plus heureux du régiment. Je fais du cheval à mon gré. Je vais chaque matin à cheval avec le colonel pour l’accompagner. C'est mon seul service. Le restant de la journée, je suis libre, je lis, je fume, paresseusement au soleil.

Je monte un autre cheval le soir.

Le colonel pour me dédommager du travail que je fais aux tranchées me laisse la bride sur le cou ici.

Je vous embrasse bien tendrement. Je serai bientôt, je l’espère, à Prats pour neuf jours de permission.

Les imprimés de citation ne sont pas encore signés.

Prosper

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28 mai 1917

Bien chère maman

Je vous envoyé hier un petit mot qui je l’espère vous donnera vite de mes nouvelles. Je vous expédie aujourd’hui 3 ou 4 faux cols que vous voudrez bien me faire repasser.

Dans une quinzaine s'il plait à Dieu, je serai en route pour aller vous embrasser.

Prosper

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29 mai 1917

Bien chère maman

J'ai reçu votre bonne lettre. Je ne veux pas vous croire lorsque vous dites que les gamins de Prats ne vous donnent pas de mal. C'est de la graine de brigands à l’heure actuelle. J'écris aussi régulièrement que possible mais je suis très paresseux.

Prosper

Montée en ligne sur la Ferme de l'Orme près Montigny

30 mai – Le régiment se porte sur la Ferme de l'Orme près Montigny en vue de relever dans la nuit du 30 au 31 avril les unités du 113e RI

Juin

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3 juin 1917

Bien chère maman

Je vous envoie quelques photographies que j'ai faites pendant le dernier repos. Elles vous donneront une idée de ma personne avant ma permission.

J'espère qu'il fait beau à Prats et que nous allons pouvoir faire cette excursion au Coral.

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J'ai écrit à Valentin. Je l’engage à prendre sa permission maintenant. Le pauvre, il devait déjà partir au moment de ma dernière visite à Prats. Ils ne vont pas souvent en permission dans les ballons.

Je me fais un grand plaisir de vous revoir.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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4 juin 1917

Bien chère maman

Je crois pouvoir obtenir ma permission dans très peu de jours.

Je me hâte de vous l’annoncer par mon moyen le plus rapide. Je peux malgré cela arriver avant ma lettre.

J'aurai bien voulu pouvoir vous prévenir plus tôt afin de pouvoir faire vos commissions à Paris ou à Perpignan. Enfin, je me hâte d’arriver. Il doit faire beau à Prats et j'ai faim de ma maison.

Mon messager part aussitôt, il est très pressé car il part aussi en permission.

Bons baisers.

Prosper

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8 juin 1917

Mon lieutenant

J'ai fait votre colis d’effets mais il m'est impossible de l’expédier vu la rareté des feuilles d’expéditions à colis-partance. On ne peut pas en trouver.

Veuillez mon lieutenant par retour du courrier m'envoyer par lettre une feuille d’expédition à colis-partance de 10 kg. Aussitôt reçu, j'expédierai le colis.

Tout va bien, il fait de l’orage depuis deux jours, ça rafraichit un peu la température.

Dans l’attente de la feuille,

recevez mon lieutenant une cordiale poignée de main.

Villedieu René

Cantonnement à Laville-aux-Bois

15 juin – Le régiment est relevé.
3 tués et 25 blessés et se porte à Laville-aux-Bois soit un total de 28 hommes

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17 juin 1917

Chère maman

Votre petit vous envoie ses meilleures caresses. Il compte être auprès de vous dans une quinzaine de jours. J'espère que François sera encore à Prats et que nous faire une partie de chasse.

Bons baisers.

Prosper

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Permission

Perpignan, 19 juin, 10 heures

Chère maman

Un petit mot pour vous tenir au courant de mon voyage. Je perds deux heures ici. Je viens de consulter l’indicateur du PLM, je puis arriver demain matin à 8 h à Paris au lieu de 18 heures par le PO. Mais j'ai donné rendez-vous à François, s'il ne fait pas trop la tête, je lui fausserai compagnie et arriverai à 12 h 36 à Narbonne et en repartirai à 12 h 54.

Je viens d’étudier encore l’indicateur, je quitterai Narbonne à 16 h et serai à Paris demain matin à 10 h.

Prosper

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20 juin 1917

Bien chère maman

Suis arrivé à Paris sans la moindre difficulté. Une bonne place dans le train et un bon somme. Voilà le résumé du voyage. Je quitte Paris cet après-midi à 18 h. Je suis arrivé à 11 h, juste le temps de dinner.

Bons baisers à vous trois.

Mon régiment est comme je le pensais au repos.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 24 juin 1917

Bien chère maman

Nous avons effectué notre petit déplacement vers le sud. Cela a un gros intérêt car ainsi nous ne sommes plus sous les bombes des avions boches dont les visites sont très désagréables.

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Je suis logé dans une excellente baraque. Je me plais infiniment dans les cases de bois qui ressemblent à des cellules de moines. L’on s'installe avec son mobilier car il n'y a généralement rien. Mon ordonnance bourre ma paillasse, installe ma cuvette de toile, ma trousse de toilette, ouvre ma cantine, sort mes effets de grande tenue. Après un bon débarbouillage et un bon somme, la prise de possession et l’installation sont terminées ; il s'agit de trouver du confort. C'est alors qu'il faut se montrer débrouillard. J'ai à l’heure actuelle une table pour écrire, une table de toilette, un banc, un fauteuil d’osier, un lit de camp. La baraque est construite sous de magnifiques tilleuls sous lesquels j'ai installé une belle table en bois… sur laquelle je vous écris.

Vous voyez qu'à l’exception juste du fauteuil que j'ai déniché au château du village, mon installation a été rapide grâce à mes ouvriers.

Voilà le capitaine adjoint qui m'apporte du travail.

Bons baisers.

Prosper

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26 juin 1917

Bien chère maman

Remisé dans ma cellule car il s'est mis à faire froid après un orage, je m'occupe à répondre aux lettres reçues pendant ma permission : Valentin, Julia, Payré, des soldats blessés qui m'écrivent.

Il fait bien bon dans ma cellule quoiqu'elle soit bien étroite. La vie des soldats ressemble bien à celle des moines. Dans la baraque où j'étais seul au début, il y a maintenant des officiers dans toutes les cases.

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Je ne les vois pas mais je les devine tous écrivant comme moi en… sur leur petite table pareille à la mienne devant la fenêtre.

J'entends le vaguemestre qui arrive. J'habite au bout du couloir. Il tape à toutes les portes avant d’arriver à la mienne. Va-t-il entrer ?

Oui ! Deux lettres. Un de toi, chère maman et une d’un soldat.

Ta lettre est venue bien vite. C'est celle que tu m'as écrite après mon départ. Vous devez avoir reçue celle que je vous ai envoyé aussitôt après mon arrivée ici.

Vous avez dû lire sur le communiqué que les Boches n'avaient pas été très sages dans notre secteur. Je suis sûr que vous vous étiez fait du souci et pourtant nous sommes bien loin de l’affaire. Nous avons appris la chose comme vous par le communiqué.

Ce soir, je ferai ma promenade habituelle avec mon petit cheval. Le colonel est en permission aussi, je suis libre de diriger mes pas où bon me semble.

Il y a au-dessus du village un terrain de cheval. Une grande piste et dans le bois, des obstacles. C'est là que je vais faire de l’équitation. J'adore cela et je tâche de me perfectionner. Ce soir, je sortirai probablement avec un officier de cavalerie qui a son peloton cantonné dans notre village.

Bons baisers.

Prosper

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27 juin 1917

Bien chère maman

Cette lettre va vous parvenir certainement avant celle d’hier, vous devinez pourquoi ; aussi comme dans celle qui la précède, je m'empresse de vous rassurer. Vous avez dû être inquiète en lisant le communiqué, les Boches n'ont pas été sages dans notre secteur. Rassurez-vous, nous étions si peu mêlés à l’affaire que nous l’avons apprise comme vous par le communiqué du journal.

Je vous ai fait deux longues lettres hier et avant-hier. J'ai énormément de temps. Nous sommes au repos et vous savez qu'alors j'ai mes libertés complètes habituellement.

Vous n'avez pas à vous soucier de Bistre. S'il ne vous donne pas sa réponse officielle immédiatement, tant mieux. Cela ne vous empêche pas de chercher un fermier. Dès que vous aurez de sérieux renseignements, vous serez toujours à temps pour le forcer soit à accepter les anciennes conditions ce qui sera toujours avantageux vu l'état de guerre ou à le décider officiellement.

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J'ai écrit hier soir à Valentin. Je lui indique exactement l’emplacement de mon petit quartier général. Il a des voitures automobiles à sa disposition, il s'arrangera pour venir me voir. Moi, je n'ai que mon petit cheval.

Les étrangers doivent commencer à arriver à Prats avec les nombreux permissionnaires, cela doit produire une grande agitation.

Dans peu de jours, nous allons encore changer de place. Nous sommes habitués à ces transplantements et maintenant, dès que nous nous arrêtons un instant, nous nous installons comme si nous devions rester des mois sur place. Nous n'allons pas bien loin et nous allons prendre notre grand repos de Brouillet.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

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30 juin 1917

Bien chère maman

Nous allons faire le changement de village dont je vous ai parlé hier. J'ai du travail pour faire suivre mon monde.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

Juillet

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1 juillet 1917

Bien chère maman

Je ne vous ai pas écrit hier soir parce que je pensais pouvoir vous faire parvenir aujourd’hui une lettre par la poste civile. Nous n'avons pas bougé de place mais j'ai du travail en masse car je suis chargé d’organiser la fête du régiment. Cela n'est guère dans mes gouts. Je n'aime guère les artistes ni les ½ artistes. A peu d’exceptions près, ce sont des nullités, tout en façade. Enfin puisque l’ordre est que je m'en occupe… ! Je le ferai. Aussi me voilà parmi les cachotiers du régiment à écouter leurs histoires et leurs malheurs car en dehors de ce qu'ils savent par cœur, ils ne causent d’autre chose. Depuis deux jours il pleut et je suis privé de mes promenades à cheval. Je bouquine, le lis Pecaut, Dieu que ce livre est difficile à lire. Je l’emploie pour essayer de me dérouiller l’esprit car il force à suivre pas à pas le raisonnement.

Je vous embrasse bien bien fort.

Prosper

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4 juillet 1917

Bien chère maman

Je continue à m'occuper de ma fête. Je monte l’estrade, je fais répéter les artistes, arrange le décor. Pour l’un il y a trop de tentures et de verdure, la voix ne porte pas ; pour l’autre il n'y a pas assez de coulisses. C'est ceci, c'est cela. J'envoie tout le monde promener et je fais à ma guise, aussi je n'ai pas la bonne cote des artistes.

Pour comble de malheur, voici qu'il faut que je recommence toute. Ho ! Je vais toute envoyer promener !

J'avais enlevé un coté de la baraque pour que plus de spectateurs puisse voir la scène, voilà maintenant que l’armée nous envoie son cinématographe pour la veille de la fête. Il faut qu'il fasse nuit dans la baraque et que je remette le côté que j'ai enlevé et que je le re-enlève le soir pour la fête du lendemain.

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Mon Dieu ! Mon Dieu !

Heureusement que je ne m'enfuis pas et que je me tords de toutes ces fausses manœuvres. Je cloue, je décloue, je monte, je démonte. Après la guerre, je prendrais une entreprise de déménagement ou je me ferai machiniste.

Je fais tout au régiment, moi qui ne fais rien à la maison. Je suis major du cantonnement, je loge la troupe et mes camarades, ces derniers ne sont jamais contents quand on demande un officier à la division ou à la brigade, c'est moi qui vais voir ce qu'il y a parce que je monte à cheval.

Une reconnaissance, c'est moi. Je suis au courant de tout. C'est moi qui renseigne. C'est moi qui donne un avis. Un général vient, on m'appelle car je suis le mémento. Je dois répondre à tout ;

J'invente, je leur colle de ces blagues qui sont acceptées et tout marche.

Bons baisers à toutes les trois.

Prosper

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Montée en ligne à Roucy

11 juillet – Dans la nuit du 10 au 11 juillet, le bataillon relève en 2e ligne le 89e RI dans le secteur Ponsavert. Départ de Vandeuil le 10 au matin ; avec un long repos au cantonnement intermédiaire – camp de Ventelay

12 juillet – Dans la nuit du 11 au 12 juillet suit l’itinéraire Monsigny – Ventelay – Roucy.

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16 juillet 1917

Bien chère maman

Mon petit mot habituel porté par les heureux qui partent en permission. Nous sommes en ligne comme de juste dans notre petit secteur familier. Rien de nouveau, le Boche est sage.

Hier, 14 juillet en ligne, champagne pour tous, cigares, etc… Aujourd’hui, visite ministérielle en ligne, vous pourrez juger si le secteur est calme.

Mon camarade est pressé de partir, je me hâte de vous embrasser et de fermer ma lettre.

Tendresses.

Prosper

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17 juillet 1917

Bien chère maman

Nous sommes en ligne comme vous avez dû le deviner. Secteur calme, je vous ai fait parvenir plusieurs lettres par la voie rapide.

J'ai reçu un colis de valeurs, une lettre de vous hier, aujourd’hui rien, je relis celle de hier.

Pas de locataire, tant pis. Et Bître, que devient-il ? C'est un gros bête au fond mais méchant et nous n'y perdrons pas si nous pouvons le changer.

J'ai beaucoup de travail comme toujours. Des nouvelles bonnes de Valentin. Il est toujours auprès de moi avec ses saucisses.

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Les permissions vont vite. Les nouvelles sont bonnes, cela est parfait, espérons qu'à la fin de l’année la guerre sera finie et que nous aurons la tranquillité et le temps de jouir de notre affection ensemble.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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21 juillet 1917

Bien chère maman

Je profite d’un petit instant pour vous envoyer de bons baisers. J'ai votre lettre du 15. Oui, nous sommes en ligne. Le secteur est calme. C'est un secteur à organiser. Je travaille dur, mais cela me fait oublier Prats et le temps que je perds.

Ne vous faite pas de souci pour notre maison à louer, s'il n'y a personne, nous aurons plus de place car je vais bientôt aller vous voir. S'il n'y a rien de nouveau et s'il plait à Dieu, le 19 j'embarque pour Prats. Faites-moi vos commandes pour Paris. J'aurais bien une heure à y perdre.

Prosper

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25 juillet 1917

Bien chère maman

Je suis resté deux jours sans vous écrire, le Boche n'est pas en cause mais le travail. Nous assistons en spectateurs à la grande bataille qui se livre sur le plateau de Craonne. Hier soir, en fin de journée, nous avons repris tout le terrain que le Boche nous avait grignoté en six attaques.

Le communiqué de cette nuit que nous prenons par message sans fil nous a annoncé tout cela. Dans la nuit encore il y a eu un coup d’épaule et je crois que maintenant le Boche est dégouté de ce coin-là.

Nous allons bientôt descendre au repos. Je vous écrirai alors plus longuement.

Bons baisers.

Prosper

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28 juillet 1917

Bien chère maman

Mon petit billet habituel pour vous donner de mes nouvelles et vous envoyer mes meilleures tendresses.

Il me semble que vos lettres se font rares, voilà aujourd’hui trois jours que je n'ai pas eu le plaisir d’en recevoir.

Les Boches sont calmes. Les nouvelles sont acceptables. Si ce n'était les Russes !

Aves-vous reçus mes paquets de linge ? Vous ne me parlez plus de Bître. Va-t-il se décider ?

Comptez deux mois et demi du jour de mon arrivée en permission et vous me verrez arriver à Prats.

Je vous embrasse bien fort à toutes les trois.

Prosper

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Secteur postal 109

Bien chère maman

Je me hâte de vous donner de mes nouvelles, nous sommes au repos.

Note installation au repos est moins bonne qu'en ligne, c'est vous dire si nous étions bien en réserve.

J'oublie de vous annoncer une chose remarquable, j'ai un petit chien.

Aujourd’hui, parmi les évènements marquants au 313e, il y a eu le baptême de ce petit chien qu'une opération très douloureuse pour la pauvre petite bête et que le colonel a tenu à opérer lui-même avait précédé de quelques instants.

Cette nouvelle recrue à quatre pattes se nomme Cheddite en qualité de chien d’un officier bombardier. Ce nom d’explosif simple

Je vous embrasse bien fort à toutes les trois.

Prosper

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31 juillet 1917

Bien chère maman

Je suis très près de mon départ en permission, nous descendons au repos et cela ne va faire que le hâter.

Il doit y avoir beaucoup de monde à Prats. La guerre ne doit pas beaucoup déranger les gens de l’arrière qui montent à Prats.

Vous ne m'avez pas dit si vous aviez reçu les paquets de linge d’hiver que je vous avais envoyés ?

J'écris à Valentin. Je ne savais pas qu'il avait pu obtenir si vite sa nouvelle permission. Je n'ai pas à me plaindre car je serai certainement à Prats avant le 15 août.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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Août

Cantonnement à Laville-aux-Bois

3 août – Le régiment est relevé et part canonner à Laville-aux-Bois.

5 tués et 19 blessés soit un total de 24 hommes

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1er août 1917

Bien chère maman

Je ne reçois que des petits mots. Aujourd’hui, c'est un de tata qui m'assure qu'elle est complètement remise, mais dans lequel tu n'as rien mis.

Quel vilain temps vous avez !

Ici, un mois de mars affreux, pluie, neige, soleil, vent, tout y est. Nous n'en souffrons pas trop. Seulement, il faut aussi songer à ceux qui sont dans les tranchées.

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Nous avons encore quelques jours à passer au repos.

J'ai reçu hier le colis contenant le caleçon.

Nous nous sommes installés dans notre nouveau cantonnement, nous ne sommes pas aussi bien qu'à Romery, cela nous habitue à la vie des tranchées dont nous avons perdu l’idée.

Pas de nouvelles de Valentin, il doit être en permission. Je dois écrire à tante d’Onzain. J'ai déjà près de 10 jours de retard.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

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13 août – Le régiment part cantonner au camp d’Arcis-le-Ponsart

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19 août 1917

Bien chère maman

J'ai l’occasion de vous faire parvenir une lettre rapidement pour vous donner de mes nouvelles.

J'ai repris contact avec le régiment. Heureusement que dans cette grande famille la camaraderie est assez franche pour vous consoler un peu et dissiper le cafard intense qui ne manque pas de vous assaillir après chaque permission.

Mes camarades sont pleins de bonne humeur, le colonel n'a pas trop de soucis. Je vais me mettre à l’unisson de tout cela et le temps passera jusqu'à mon prochain retour à Prats.

Le temps est beau ici, chose curieuse, il a plu pendant toute la durée de mon absence et le temps s'est remis au beau pour mon retour.

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A Prats, est-ce que la pluie du 15 août a continué tous les jours suivants.

J'espère que non car elle fait fuir les étrangers.

Nous ne monterons en secteur que dans quelques jours. Notre coin habituel du front que nous allons retrouver est très calme, c'est un secteur où il n'y a rien à faire ni d’un côté ni de l’autre.

Je hâte de finir ma lettre, mon courrier spécial s'en va en permission, il ne faut pas que je retarde son départ.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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Cantonnement de repos, le 24 août 1917

Bien chère petite maman

Vos lettres sont rares ! Je n'en n'ai pas vu une seule depuis mon retour de Prats. J'ai repris le collier, comptant les jours pour mon nouveau départ.

Avez-vous vu quelle pile aux Boches à Verdun ! Si ce n'était les Russes… en aucun point nos ennemis n'auraient l’avantage.

Il est intéressant de lire combien chez eux ils parlent souvent de paix.

Il fait beau mais très chaud. C'est l’Algérie ici.

J'ai écrit aujourd’hui à Perpignan pour remercier mon oncle et tante.

Je n'ai pas pu voir Valentin. Ce sera pour mon prochain repos.

Bons baisers bien gros.

Prosper

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Montée en ligne à Pontavert

25 août – Le régiment remonte en ligne

Septembre

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3 septembre 1917

Bien chère maman

Décidément, j'ai peu de chance pour mes lettres. Je comptais depuis deux jours avoir un messager à qui confier mes bons baisers pour vous, mais chaque fois quelque chose est venu me faire manquer l’occasion. Je vous fais toujours cette longue lettre qui partira par le vaguemestre à moins de mieux.

Je vous ai envoyé un billet où je vous grondais fort, chère petite maman. Etes-vous convaincue que votre petit garçon vous aime tout de même un petit peu ?

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Nous avons eu de beaux coups de canon à notre gauche et un nouveau succès à enregistrer. Les Boches sont encore enfoncés sur le plateau de Craonne. Ils n'ont guère de succès ces pauvres Boches depuis quelques temps. Devant nous, ils sont calmes et nous avons une période de secteur très calme. Le 10 de ce mois, nous aurons rejoint nos cantonnements de repos.

Je fais toujours mon travail de major de tranchée, je ne chôme pas, si encore je n'avais pas de souci et que je n'ai que des fatigues physiques, mais le colonel se repose beaucoup sur moi, j'ai beaucoup d’indépendance et cela me créé une grande responsabilité. Enfin, le grand charme c'est qu'au repos, j'ai la paix et que je puis m'évader à cheval quand bon me semble. Je projette pour le prochain séjour à l’arrière une visite à Valentin.

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J'irais bien lui montrer mon second galon car je peux bien l’avoir alors. Il ne faut pourtant pas trop crier. Je l’ai pourtant assez attendu.

Prats doit se vider. Quand je songe que le mois d’octobre aura commencé et sera à demi passé, nous remonterons en ligne et que les bois seront tous jaunes ! A Prats encore à ce moment il y aura encore du vert dans la campagne.

Ma permission à venir sera vers la fin d’octobre et j'aurais encore le plaisir d’en profiter. Nous pourrons refaire notre excursion au Coral.

La dernière j'espère ne t'a pas fatiguée après mon départ.

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Je vais vous quitter, il fait noir. Je vous écris tout mon travail fini. Je vais vite m'endormir pour ne pas sentir les puces qui fourmillent dans nos guitounes. Nous habitons un ancien abri boche. Les coquins en partant y ont laissé ces maudites bêtes.

Je vous embrasse bien fort ma petite maman et aussi mes deux mamans supplémentaires.

Prosper

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7 septembre 1917

J'ai passé toute ma journée à cheval. Nous avons eu aujourd’hui la visite de notre grand chef, le général Pétain.

Je vous écrirai une longue lettre vous donnant mes impressions. Je me hâte avant le départ du vaguemestre.

Bons baisers.

Prosper

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12 septembre 1917

Bien chère maman

J'ai attendu hier le départ d’un de mes camarades pour vous écrire, et ce départ retardé, ma lettre n'est pas partie.

Nous avons fini notre séjour en ligne et nous nous apprêtons à aller bien jouir de quelques jours au repos. Quand vous recevrez ma lettre nous serons déjà installés. Vous rappelez-vous le repos que nous avions passé dans un petit village où je m'étais installé sous la tente ? C'est là que nous allons. Nous y serons bien car nous avons laissé un très bon souvenir.

Pendant notre déplacement, nous passerons tout à côté du ballon de Valentin et j'espère bien cette fois réussir à le rencontrer.

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Mademoiselle Turcem a dû vous quitter. Combien de jours est-elle restée avec vous. Ce qu'elle a dû vous raconter, vous devez connaître par le menu tous les événements de Fontenay-le-Comte. Maintenant les gens doivent jouir de Prats. Les vendanges doivent relancer la présence de nombreux étrangers.

Je vous écrirai longuement du repos. Je vois déjà pas mal de travaux en perspective. Le colonel m'a déjà dit. Vous ferez cela, nous verrons là, il faudra faire ça. Enfin, je veux bien tout faire, cela fait courir le temps et puis cela me permettra de faire des courses à cheval et c'est mon plus grand plaisir.

Je vous raconterai tout cela. Je vous embrasse bien fort à toutes les trois et particulièrement ma petite maman.

Prosper

Cantonnement à Brouillet

13 septembre – Le régiment est relevé et se porte en situation intermédiaire au Brouillet où il va prendre en charge les travaux d’organisation du secteur
8 tués et 14 blessés et 2 disparus soit un total de 24 hommes

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16 septembre 1917

Bien chère maman

Nous sommes au repos. Notre déplacement a duré deux jours et pendant ce grand remue-ménage si commun pourtant pour nous, je n'ai pu trouver une minute pour vous envoyer de bons baisers.

Je vous avais dit mon intention de pousser jusqu'au cantonnement de Valentin pour voir s'il était encore vivant car, à moi non plus, il ne ma gratifie pas trop souvent de lettres.

J'arrivais de bon matin pensant encore l’oiseau au nid quand après de longues recherches dans tous les ravins où s'abritent de préférence les ballons captifs, je finis par trouver un poste téléphonique, où un sapeur à moitié endormi m'apprit que j'avais bien découvert le repaire du ballon 70 mais que pour l'instant, ballons et aéronautes étaient à 20 km de là au repos.

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J'étais furieux, surtout que nous descendions de ligne que nous avions marché de 9 heures du soir à 2 heures du matin que de 2 heures à 5 heures. Nous avions fait halte dans des carrières ou l’humidité du sol et la température très basse nous avait empêché de pouvoir seulement nous assoir et que de 5 heures à 7 heures.

J'avais fait 12 km à cheval sous la pluie. Tout cela pour rien. Aussi je me suis bien promis de ne jamais recommencer de ces reconnaissances sans être très bien sûr de mon itinéraire et de la présence réelle du ballon de Valentin dans mes parages. Ce qu'il m'a fait plaisir à apprendre, c'est que ce paresseux de Valentin est en excellente santé.

Prosper

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19 septembre 1917

Bien chère maman

Je vous ai dit hier que le général Pétain était venu nous inspecter. C'est la première fois que nous avons l’honneur d’être passé en revue par le général en chef, aussi nous étions réellement émus.

Sa visite a été très brève, quelques mots, quelques questions posées et c'est tout.

Il s'intéresse énormément aux organisations d'installation et d'alimentation. Ses questions ont toutes été posées sur ces sujets.

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Le général est grand, âgé mais très jeune d’allure et très robuste encore. Cependant, il paraissait fatigué.

Cette visite ne veut pas dire offensive pour nous. Je ne le crois pas, je suis même sûr que non, aussi soyez rassurés.

Nous avons vingt jours de repos. Le cantonnement est agréable et il fait très beau. J'ai à m'occuper de beaucoup de choses ce qui fait que me lettres sont souvent un peu brèves.

Je n'écris qu'à vous, aussi mes camarades doivent trouver que je suis bien silencieux.

Je suis installé dans une bonne chambre, mais je n'aime pas beaucoup cela. D’abord les gens qui vous logent ont tellement vu d’officiers qu'ils vous acceptent parce qu'ils ne peuvent faire autrement et il se désintéressent complètement des chambres qui sont souvent bien sales aussi, je vais me faire construire une tente que je montrerai chaque fois que j'en aurai l’occasion.

Je vais écrire à Valentin et à tante d’Onzain qui doit être fâchée de mon long silence.

Pas encore mon deuxième galon, la chose est en exécution et un beau matin, l’ordre de nomination arrivera.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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Secteur postal 9, le 23 septembre 1917

Bien chère petite maman

Il me semble qu'il y a bien longtemps que je vous ai quitté. Pourtant en comptant les jours écoulés, je trouve que ma prochaine permission n'est pas encore très proche.

Par moment, sans que l’on sache pourquoi des souvenirs précis de la vie que l’on menait autrefois, c’est-à-dire il y a trois ans ; nous reviennent à la pensée et l’on dit alors : Dieu qu'il fait bon dans la maison de ses bons parents.

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Trois ans qui se sont écoulés sans que l’on ait pu s'apercevoir vraiment du temps qui passait. Il semble que la vie s'est arrêtée le 1er jour de la guerre et que depuis il y a une grande bande noire, un grand vide qui tient lieu de passé pour ces jours-là. Je n'arrive pas à fondre cette période de guerre avec mes autres années déjà vécues. Ce sont des souvenirs nombreux, tristes ou curieux et tous très intéressants mais que je classe tous dans un livre à part.

Cette distraction est si curieuse qu'ainsi lorsque je pense à quelque chose qui se passait avant la guerre et que je calcule le temps passé, je compte malgré moi que les jours écoulés depuis ce moment et le début de la guerre. Ce n'est qu'après que je songe à la bande noire, au grand fossé qui partage ma vie et que j'ajoute aux années de guerre.

Tout cela parce que nous n'avons pas pu nous habituer à cette vie !

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Bien souvent, même en tranchée lorsqu'il tombe des obus, je me dis : ce n'est pas possible ! Je suis encore étonné de cette… Chose curieuse et non désagréable, il me semble que j'assiste simplement en terrain à une grande scène irréelle comme les écrivains se plaisaient à vous les faire imaginer autrefois, avec tout le déploiement des forces et des découvertes modernes.

On ne songe pas seulement à la maison d’autrefois lorsqu'on est triste ou que la tâche est rude mais souvent aussi lorsqu'au repos, l’on essaie de copier le bonheur que l’on avait autrefois ; ou que les scènes de vie des cantonnements au milieu de qu'il reste de la population civile éveille quelques souvenirs. Mais ces derniers… sont de plus en plus rares car les civils de la zone de l’avant ne pouvant faire autrement, vivent avec le soldat. Ils ont pris ses habitudes, sa nourriture, son genre de vie, ses heures pour le manger et le coucher, si bien qu'ils n'ont pas de caractère et qu'ils ne sont restés que de peu sympathiques personnages parce qu'ils font leur possible pour vivre sur le dos du soldat.

C'est l’inverse d’autrefois où le pays nourrissait la troupe, maintenant, avec nos armes riches et peu économes, le civil vit de notre gaspillage.

Maintenant pour moi, c'est la popotte qui rappelle le plus souvent notre vie d’avant la guerre lorsque j'étais avec vous. C'est à la popotte où l’on est le moins soldat, on n'y parle pas de service et que l’on cause aussi peu que possible de la guerre et que bien souvent l’on évoque des souvenirs du temps jadis.

Mais voilà que le clairon du poste de police sonne l’extinction des feux. Je n'ai plus qu'à me replonger dans mon existence de petit soldat de fortune et observer le règlement en allant faire ma ronde et me coucher ensuite.

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Nous sommes au repos pour plusieurs jours encore. Ensuite, c'est notre tour d’être en réserve pendant tout le long séjour de la division en 1e ligne.

Ce sera la bonne tranquillité.

Je vous embrasse bien fort à toutes les trois. De bons gros baisers pour ma petite maman.

Prosper

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27 septembre 1917

Bien chère maman

Nous ne cessons d’avoir des fêtes. Hier notre troupe d’artistes de la division, aujourd’hui artistes de Paris – hommes et français – demain retroupe de la division.

Les hommes peuvent s'amuser ainsi, mais nous, entre temps, nous travaillons et nous dur car tout cela est varié d’exercices de cadres d’études, de manœuvres théoriques, etc.

Comme toujours je dirai : cela fait passer le temps !

Les artistes de Paris nous ont amusé, mais pas tant que si nous les avions vu dans un cadre propice.

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Les théâtres de nature sont durs pour ses beautés fardées et pour ces voix d’opéra.

Ces braves gens font ce qu'ils peuvent pour nous amuser, il faut leur en savoir grès.

Demain matin à cheval à 5 heures et grande manœuvre de cadres.

Les Boches préparent un repli, il faut savoir les pourchasser l’épée dans les reins.

Bonnes nouvelles sur le front anglais. Les Russes, nous nous en désintéressons ! Les Boches prétendent que la paix sera signée en décembre ? Ce qu'il y a de certain et ce qui est un grand pas, c'est que en fait par sa deuxième note au Vatican, l’Allemagne annonce les pourparlers. Sachons nous tenir et avoir le dernier quart d’heure de ce siècle d’angoisse.

Je reçois à l’instant la bonne lettre de tata. Je lui répondrai demain.

Encore de bons baisers.

Prosper

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30 septembre 1917

Bien chère maman

Je suis toujours au repos, le temps continuant à être très beau, je sous installé sous ma tente que j'ai perfectionné et rendue démontable si bien que je la ferai suivre partout pour en profiter autant que possible.

Pendant que je vous écris, il y a un petit garçon du pays, un joli petit bon tout frisé qui est venu dormir dans ma couchette. Je l’ai couvert de ma capote et il dort tranquille.

C'est un drôle de petit. Cette nuit, comme il venait des avions aux environs et que sa mère avait peur, il la consolait et lui criait. C'est de ces avions que tu as peur ! Moi je m'en moque. Il n'a que trois ans et il est vif, il est toujours avec les soldats et il parle comme eux.

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Voilà qu'il se réveille. Heureusement que mon ordonnance est là et qu'il va pouvoir aller le tracasser, autrement je ne pourrai guère vous écrire.

Grande journée de repos pour nous aujourd’hui. Les hommes sont conviés à des fêtes spontanées aussi nous n'avons rien à faire.

Je vais lire un bouquin que le père Labille m'a prêté pour essayer de me gagner à ses idées royalistes.

Nous serons en réserve la prochaine fois en ligne et je compte bien avoir de nombreux loisirs pour vous écrire longuement. Je vais essayer de faire partir cette lettre par la voie rapide. Les permissions ont repris leur cours. Il y avait eu un léger arrêt causé par l’avance de tout le monde sur le tour de l’année prochaine. Je compte pouvoir aller vous voir fin octobre.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois, bien fort pour ma petite maman.

Prosper

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30 septembre 1917

Bien chère maman

Je viens de téléphoner à Valentin qui est revenu près de moi. Il a été très surpris de m'entendre à l’autre bout du fil et ses acclamations m'ont bien amusé.

Nous allons pouvoir nous rencontrer après-demain. Je vais passer près de son cantonnement. Cela me fait grand plaisir de penser à la bonne journée que nous allons passer à bavarder.

J'ai reçu aujourd’hui une carte de lui. Ils reviennent d’un repos de quinze jours pendant lequel il a obtenu 48 qu'il a passé à Onzain.

Bonnes nouvelles d’Onzain et accueil chaleureux.

Tu devines la raison de notre déplacement. Nous allons prendre notre position de réserve.

Rien à faire pendant 20 jours !

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J'ai passé un repos excellent, un peu de travail, c'est vrai, mais travail agréable.

Pas de lettres de vous depuis deux jours.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois. Votre petit soldat. Bons baisers à ma petite maman.

Prosper

Octobre

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3 octobre 1917

Bien chère maman

Je vous ai promis hier une longue lettre relatant notre promenade avec Valentin.

Nous avons passé ensemble une grande partie de l’après-midi et toute la soirée.

C'est toujours le garçon tranquille et content de sa situation. Il pense beaucoup à l’avenir et il a changé d’idée. Il ne veut plus rester dans l’enseignement et en cela je l’approuve.

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Il songe à s'installer et à cultiver, seulement, quoiqu'il ne soit pas très ambitieux, il ne veut pas un jardin potager mais quelques bons petits hectares de terrain et alors, c'est une dot rondelette qui est nécessaire. Je ne pense pas qu'il l’ait trouvée quoiqu'il garde un bon souvenir la Normandie et des fermes où il a passé une partie de ses vacances pour se perfectionner.

Nous avons beaucoup parlé d’Onzain. L’oncle Joseph est en bonne santé mais il lui faut beaucoup de soins.

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Madeleine se trouvait en permission et Valentin a eu le plaisir de faire sa connaissance, car c'est une grande fille d’une quinzaine d’années, très élégante et très intelligente mais beaucoup moins joli que sa sœur Marie-Louise. Valentin dans sa lettre semblait très emballé sur sa grande cousine et j'ai été très étonnée de lui entendre dire qu'il ne se marierait qu'avec une jeune fille qui aurait 30 hectares au moins de bonne terre. Décidément, je finirai par croire que la Normandi a fait impression sur lui.

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Nous aurons le plaisir de nous trouver en permission ensemble. Comme il aura dix jours à passer à Perpignan, il nous donnera 48 heures.

Je me hâte de vous embrasser. J'ai un rendez-vous dans une demi-heure avec un officier du génie. J'ai vingt bonnes minutes de chemin, je vais être en retard. J'ai si peu de travail que moi qui avait horreur des cartes, j'ai appris à jouer à la manille.

Prosper

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5 octobre 1917

Bien chère maman

Je vous écris bien peu me reprochez-vous. J'en conviens. Pendant notre dernier repos je n'ai cessé de courir à droite et à gauche pour mon service de pionnier qui au cantonnement, avec les installations pour l’hiver me donne autant de travail que dans un petit secteur de 1e ligne.

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Ce travail est plus agréable car les obus n'y sont pas.

Je vous dédommage ici car je vous écris tous les jours. J'ai des loisirs et j'ai fait monter ma caisse de bouquins.

Je suis un gros paresseux pour écrire, je néglige tout le monde. Je devrais écrire à Onzain. C'est toujours ma bonne tante qui commence et qui me rappelle à l’ordre.

Je dois aussi une lettre à tata qui je suis sûr est furieuse de mon silence.

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Je lui avais promis une par retour du courrier en réponse à la sienne et je l’oubli.

Les froids sont venus. J'ai pris mes vêtements d’hiver. Nous n'en souffrons pas, nous avons de bons abris. Nous allons construire des cheminées.

Il ne gèle pas encore pour cela. Il fait très sec et tout cela est très bien car j'aime de moins en moins la chaleur.

Je ne veux pas vous parler de la guerre ni de politique. Cette dernière est à vous décourager d’être républicain !

Je n'ai confiance qu'en Dieu, en nos armes et surtout en nos alliés pour nous tirer de là. Mais ensuite, nous serons dans les griffes de l’Angleterre.

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Nous avons à notre popote un de nos camarades qui est royaliste et qui jubile de voir triompher Daudet. Il y a bien des choses à quoi je pense que ne veux pas vous écrire ici et qui sont bien tristes. Il faut avoir confiance en Dieu mais je ne crois pas que si les royalistes sont vraiment patriotes avant tout, ils aient tant à se réjouir. Même en tant que royalistes, la manœuvre n'est pas bonne. Tout cela est bien triste. Si nous étions heureux, nous n'aurions pas à faire de politique car elle serait toute faite par le gouvernement, nous n'aurions qu'à suivre.

Bons baisers bien gros.

Prosper

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7 octobre 1917

Bien chère maman

J'ai une grande matinée de liberté. C'est dimanche aujourd’hui. Je viens d’être prévenu qu'il y a une messe à 9 heures. Je vais faire prévenir mes poilus pour ceux qui veulent y aller et je vais y courir. Très souvent en ligne, nos prêtres nous disent la messe du Dimanche. Aujourd’hui en réserve avec le peu de travail que j'ai ce serait un crime de manquer cette occasion.

Trois jours sans lettres. Petite maman, ce n'est pas gentil.

Les permissions arrêtées un moment pour attendre le tour régulier d’une permission tous les quatre mois reprennent régulièrement.

Je compte pouvoir obtenir la mienne vers la fin du mois.

Je me hâte vers l’église de fortune que le prêtre a dû choisir.

Je vous embrasse bien fort.

Prosper

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Secteur postal n°9, le 9 octobre 1917

Bien chère petite maman

Quand cette lettre te parviendra, ce sera le jour de ta fête. J'ai fait mon possible pour qu'elle te parvienne juste le jour voulu et que mes meilleurs baisers et mes vœux te procurent le plus de satisfaction possible. Je ne puis savoir quelle année je pourrais profiter de cette occasion pour courir à Prats vous embrasser ? Je ne puis quitter le régiment mais je promets de bien me dédommager et de vous embrasser pour aujourd'hui à ma prochaine permission.

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Le plus triste dans cette guerre, c'est de ne pouvoir jouir de sa famille à l’âge où l’on sent le plus son affection et l’on comprend le mieux les efforts qui ont été faits pour vous.

Je t'aime bien chère maman et je ne te le prouverai jamais assez. Je me suis juré, en voyant le dévouement et le courage de mon père disparu, de faire toujours tout pour vous faire plaisir et essayer ainsi de m'acquitter un peu, car je ne pourrai jamais le faire complètement, ni bien.

Mes lettres semblent être sèches et nerveuses, je le comprends très bien. Cette guerre vous fait souvent réfléchir. Avant mon départ pour le régiment, je n'étais qu'un gamin. Aujourd’hui, je comprends de plus en plus l’importance des moindres gestes dans la vie.

Je suis à moment où les miens sont initiaux ; d’eux dépendent l’orientation de ma vie.

Je voudrais être auprès de vous pour sentir votre douce affection pendant cette période. Je juge, et je ne suis pas le seul, la situation intérieure très grave. Je suis un homme par mon âge et je suis officier, tout cela me donne des responsabilités très lourdes vis-à-vis de moi et des autres. Soyez sure cependant que dans tout cela je ne dévierai pas un seul instant des principes que vous m'aurez donnés. Je vais penser toujours à mon père. C'est lui maintenant qui est mon ange gardien.

Pour ce qui est de la sécheresse que vous trouviez dans mes lettres, il faut m'en excuser, elle est toute extérieure ; sois sûre petite mère que je t'aime autant que tu peux le désirer. Je ne sais malheureusement pas le bien montrer mais je n'attends qu'une occasion pour te le prouver.

Je reçois à l’instant votre lettre du 5. Je vous embrasse bien tendrement. Petite maman, je renouvelle mes vœux et mes bons baisers pour toi.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 11 octobre 1917

Bien chère maman

J'ai reçu un autre petit colis de linge. Je vais être aussi bien approvisionné pour l’hiver. Le temps actuellement est franchement tournée vers les froids mais malgré tout dans nos méchants abris, qui si bons soient-ils ne valent pas une bonne chambre, nous n'avons pas encore fait du feu. A Prats, il doit en être tout autrement. J'ai vu dans les journaux que la neige avait commencé à tomber sur les hauts sommets, mais malgré tout cela, il doit déjà faire bien froid à Prats et je suis certain que le paravent a refait son apparition dans la cuisine.

Pauvres chères mamans, je vous vois entourant le feu et cherchant par la pensée à découvrir votre petit soldat ou analysant anxieusement le journal pour y découvrir un indice faisant espérer une fin prochaine de tout cela..

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Nous sommes, nous dans notre bon secteur. Jamais je n'avais si peu travaillé en secteur. Jamais je n'avais si peu travaillé en secteur. Je vous ai dit que j'avais fait monter ma caisse de bouquins et que je passe de grande après-midi à lire l’aride philosophie de Pécaut (il faut pour cela me dérouiller l’esprit) ou l’intéressante histoire de la littérature de Lauson : je regrette mes livres de droit. A ma prochaine permission, je veux prendre un jour ou deux sur les 10 réglementaires pour revoir Montpellier. Je pourrais prendre des renseignements à la Faculté de droit et savoir si je ne puis pas profiter de quelque règlement nouveau qui me permette de prendre mes inscriptions et passer des examens.

Le droit est si facile et les examinateurs doivent être si coulants qu'il m'est permis, je crois, de faire ces projets.

Je serai curieux également de revoir ma vielle boite de la rue de Carmaux où la direction tient ses assises. Il ne faut pas non plus que je me fasse trop oublier

Je vous embrasse bien affectueusement à toutes les trois surtout ma maman.

Prosper

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15 octobre 1917

Bien chère maman

Je vais répondre aujourd’hui à une de vos dernières lettres que je viens de relire et où vous faites le procès des représentations au Théâtre aux armées. Vous vous faites une idée absolument fausse de cette troupe.

Je regrette de ne plus avoir de programme en ma possession pour vous l’envoyer. Naturellement, à ce théâtre de troupier on ne joue pas que du Corneille, mais malgré cela, c'est très bien. Ainsi, dernièrement, c'étaient quelques belles tirades de Cyrano qu'un troupier ancien artiste de la Comédie Française_ nous a dites et très bien dites ; ou bien, avec la troupe parisienne, c'est un air d’opéra tout comme dans les grands théâtres de Paris. Ensuite, ce sont des comédies, des opérettes, ou un chansonnier renommé où un habile prestidigitateur.

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Je vous assure que la troupe du Théâtre aux armées a de très jolis programmes. Quelques fois, évidemment, il y a de gros rires et Maurice Barrès dans l’Echo de Paris a eu raison de faire quelques critiques mais la chose est assez rare et de plus le peu de succès qu'elle obtient parmi les poilus sera son meilleur remède.

Maintenant, il ne faut pas que vous pensiez que représentation de théâtre veut infailliblement dire attaque en préparation. Depuis que le général Pétain est à la tête des Armées françaises les Boches sont gâtés. Bonne soupe, feux et longs repos, voilà le programme aux armées !

J'ai dû interrompre ma lettre hier parce qu'il était l’heure à laquelle je devais me rendre à une invitation très flatteuse pour moi. J'étais convié à déjeuner avec le commandant, chef provisoire du 313e (le colonel est en permission) chez me commandant des Chasseurs à pied qui commande actuellement (également à cause de la permission du colonel) le groupement 313e et 66e BCP.

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Le repas a été délicieux mais très cérémonieux malgré l’amabilité et la gaieté générale. Je vous envoie le menu.

Notre séjour en ligne se continue très agréablement, notre position de réserve nous procure de très nombreux loisirs. J'ai fait venir des bouquins que je bouquine précieusement.

Ce matin je songeais que depuis quinze jours, si la guerre n'avait pas éclaté, je serais libéré de mon service actif. Je suis réserviste en effet depuis quinze jours ! Comme l’on se fait vieux… !

Je puis commencer à le dire même sérieusement.

Je viens d’avoir la visite du capitaine Soutif et de son fidèle lieutenant. Mon ancien camarade d’Orléans, du cours des aspirants. Ils viennent toujours me jouer quelques mauvais tours. Quand je ne suis pas là lorsqu'ils frappent à ma porte, ils font main basse sur tout ce qu'ils peuvent emporter : boites d’allumettes, blocs-notes, crayons, cigarettes. C'est leur façon de laisser leur carte de visite. Je leur rends la pareille avec Foucault mon camarade à l'état-major dont l'abri subit le même sort à chaque visite du capitaine qui est très ami avec nous.

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On ne voit jamais le capitaine sans le lieutenant et je crois qu'ils seraient très malheureux s'ils devaient se séparer. Ils viennent à entrer brusquement chez moi, riant comme des enfants. C'est généralement qu'ils viennent de faire un tour à leur façon. En effet, ils se sont parfumés avec l’eau de Cologne de Foucault dont ils ont trouvé l’abri inoccupé. Ils ont dû ma foi vider la bouteille car ils n'ont rien oublié : cravate, mouchoirs, cheveux, mains, tout est imprégné d’alcool.

SI nous n'étions pas gais, nous serions morts avec ce que nous avons dû supporter.

Je vous laisse. Bons baisers bien forts pour toutes les trois.

Prosper

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17 octobre 1917

Bien chère maman

Jamais nous n'avions eu un secteur si agréable. Tout le régiment est revenu dans un coin non repéré où il ne tombe pas un seul obus par jour. Nous ne demandons pas à descendre au repos car je suis certain que nous y serions plus mal.

De mon poste, j'aperçois les ballons de Valentin qui perce les nuages et jette un œil indiscret vers les lignes ennemies. Je suis certain que s'il était dedans lorsque je lui fais des signaux, nous pourrions entrer en relation et échanger des impressions.

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Je ne puis vous fixer exactement la date de ma prochaine permission mais elle approche à grands pas et je fais déjà des projets.

Je vous embrasse bien affectueusement, bons baisers à ma petite maman chérie.

Prosper

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18 octobre 1917

Bien chère maman

J'ai eu hier l’occasion par un permissionnaire de faire remettre directement une lettre à tous nos parents d’Onzain. Cela leur fera une bonne surprise. Il a fallu cet événement pour que je me décide à leur écrire et je voyais le moment où tante Louise serait encore obligée de me rappeler à l’ordre.

Je suis désigné pour suivre un cours dans quelques jours. La chose n'est pas certaine mais je fais malgré cela des projets car à la fin du séjour au lieu d’instruction on nous ouvre la cage et tous les élèves s'évadent pour deux jours de permission.

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Si je ne puis faire suivre ces deux jours de ma permission régulière de 10 jours, je songeais que je pourrais peut-être les employer très agréablement à aller à Onzain. Je n'ai rien dit à tante Louise dans ma lettre. Je vous en avais déjà causé je crois et vous aviez alors vu des inconvénients. J'aimerai avoir votre avis sur ce sujet. Aujourd’hui le temps est triste, il tombe un brouillard liquide comme en Vendée. Je vais m'enfermer chez moi et travailler. J'ai un excellent bouquin de science fiscale sur un sujet intéressant et auquel je pense beaucoup pour en faire mon sujet de thèse de doctorat en droit. Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Bons baisers pour ma petite maman.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 21 octobre 1917

Bien chère maman

Un de mes bons camarades à la grande joie de partir en permission aujourd’hui. Je ne manque pas cette bonne occasion et je vais le charger de cette bonne lettre.

Son départ me réjouit le cœur car sur la liste sacrée qui règle cette chose si importante : le tour de permission je ne suis pas placé loin derrière lui.

Cette lettre va vous parvenir bien vite et rattraper mes deux dernières. Vous pourrez ainsi guetter leur arrivée.

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Je ne voudrais pas vous faire croire que ma permission est très proche et provoquer dans notre bonne maison le branle-bas des grands jours. Je n'ai pas voulu dernièrement prendre connaissance de la liste de départs pour avoir la bonne surprise un beau matin de constater que je suis l’un des premiers à partir.

Plus de nouvelles de Valentin depuis que nous nous sommes rencontrés. Cependant notre relève étant plus proche que je ne le pensais et nullement retardée, je ferai mon possible pour me retrouver encore une fois avec lui. Il est sur le point d’obtenir sa permission.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois, particulièrement ma petite maman.

Prosper

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27 octobre 1917

Bien chère maman

Le beau communiqué que je vous annonçais hier soir en entendant sonner le canon à notre gauche nous est parvenu cette nuit à 24 heures par T.S.F.

7 200 prisonniers, des canons et des kilomètres de gagnés. Voilà pour contenter les gens de l’arrière et pour alimenter leurs conversations. Pour nous, c'est le triomphe de notre infanterie, la supériorité de plus en plus marquée de notre artillerie. C'est encore au point de vue stratégique la prise d’enfilade dans la vallée de l’Ailette qui borde les positions allemandes situées au nord de l’Aisne et les partage défavorablement pour eux dans toute la longueur en deux bandes distinctes du point de vue géographique mais trop dépendantes l’une de l’autre au point de vue stratégique et défensif.

Nous avons des vues maintenant derrière toute la crête du chemin des Dames qui va de Craonne au nord de Soisson.

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C'est là un avantage de position qu'aura dans peu de temps de très heureuses conséquences que je ne puis expliquer ici.

Avec des rudes coups comme ceux-là, nous ne tarderons pas à voir le Boche demander grace.

J'attends une lettre de vous aujourd’hui. Je me hâte de vous dire que vous manquez trop d’impatience pour ma venue en permission. La date n'en n'est pas malgré tout si prochaine que vous l’escomptez.

Il faut attendre quelques jours encore.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Bons baisers bien affectueux à ma petite maman.

Prosper

Cantonnement à Ventelay

29 octobre – Le régiment est relevé et part cantonner à Ventelay

Novembre

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Secteur postal n° 9, le 1 novembre 1917

Bien chère maman

Je me suis fait un plaisir de vous envoyer de mes nouvelles par la voie rapide.

Je viens de voir Valentin. Il est actuellement à 7 km de mon cantonnement.

Il est très près de vous annoncer qu'il vient d’être cité à l’ordre de l’Armée, cela lui fait deux citations.

Sa permission est accordée dans 3 ou 4 jours.

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D’ici là, je compte pouvoir passer une journée avec lui.

Il est très bien installé et ses camarades sont charmants.

Pour moi, ma permission ne viendra que dans une quinzaine de jours, il faut patienter.

Le cours que je dois suivre est mon cours de commandant de compagnie. C'est peu intéressant mais pour moi ce que je… le plus dans l’instruction que je vais recevoir c'est l’équitation. J'adore de plus en plus le cheval et à ce cours, je pourrais monter chaque matin avec des chevaux vifs et différents chaque jour.

Ce cours à part cela n'a pas d’autres avantages pour moi car ne voulant pas être dans l’armée, je n'ai aucun intérêt à passer commandant de compagnie.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

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2 novembre 1917

Bien chère maman

Les Boches f… le camp, telle est la phrase merveilleuse qui courait hier soir dans notre camp.

Les camarades nous ont relevé il y a quelques jours ont eu le plaisir de rentrer d’un kilomètre dans les lignes boches.

C'est le résultat de l’offensive de ces derniers jours à notre gauche.

Voilà certes une excellente nouvelle, par-contre les Italiens sont de piètres alliés et les divisions que nous sommes obligés de leur envoyer nous auraient utilement servi à pousser le Boche dans les lignes qu'il a préparé plus en arrière encore.

La situation n'est pas mauvaise encore car pour vaincre le Boche doit nous battre et je coirs que maintenant, la chose est absolument impossible.

Je ne vous parle plus des permissions me direz-vous, c'est que je crois que j'ai quinze jours à attendre avant de pouvoir m'échapper.

J'ai reçu aujourd’hui une demande de renseignements de la direction de Montpellier.

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Quel est mon bureau de recrutement ! Mon numéro ? Mon affectation ? Des choses qu'ils doivent savoir depuis longtemps et que je leur redis à peu près tous les ans.

Je n'ai pas eu de réponse de tante Louise. Le permissionnaire à qui j'ai confié ma lettre n'est pas encore rentré. C'est lui qui sans doute me rapportera la réponse.

Je suis très heureux qu'il fasse beau à Prats, nous pourrons pendant ma permission faire encore quelques promenades.

J'ai été très peiné par l’annonce de la mort de Pierre, de La Coste. Le pauvre garçon ! Voilà ses parents bien pauvres maintenant avec un seul fils pour tous leurs travaux des champs. Ils ton bien néfastes mais il faut être bon pour eux, voilà qu'ils ont donné deux fils à la France.

Le dernier fils qu'il leur reste peut espérer avoir une place peu exposée dans son régiment, soit comme conducteur aux trains régimentaires ou comme conducteur dans une compagnie de mitrailleuses, ou au train de combat.

Il n'a qu'à faire une demande à son colonel par le bureau de la compagnie.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

Cantonnement en réserve d'Armée à Arcis-le-Ponsart

10 novembre – Le régiment est mis en réserve à la disposition du général en chef et part cantonner au camp d’Arcis-le-Ponsart

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10 novembre 1916

Bien chère maman

Il fait délicieux, une superbe journée d’automne, le soleil est presque brulant. Les avions s'en donnent à cœur joie et l’air est rempli de saucisses ; c'est ainsi que nous appelons les ballons captifs qui règlent les tirs de notre artillerie ; ils ont l’air de véritables saucisses.

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Nous ne pouvons pas profiter de cette belle journée car nous habitons un coin très visité par les avions ennemis et très repéré ; aux moindres mouvements de notre part nous nous ferions envoyer, il ne vaut mieux pas. Nous en avons assez reçu.

Mais nous sommes disposés du reste à en recevoir d’autres. C'est une affaire bien simple et toute d’entraînement.

Quoi de neuf à Prats. Y-a-t-il beaucoup de pertes ?

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Est-ce que les gens continuent faire sentir et le jardin de bonne maman doit être bien piètre comme végétation.

Est-ce que vous ne souffrez pas trop du froid au 1er étage. Il me semble qu'avec ce grand corridor et d’aussi grandes pièces il doit y avoir des courants d’air terribles. Il n'y a guère de feu que dans la cuisine. J'espère que tu en fais dans ta chambre qui est immense et qui avec ces deux grandes fenêtres doit être bien froide.

Rien ne change dans notre situation.

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Encore quelques jours de… S'il continue à faire beau, il n'y aura plus de boue dans notre secteur et ce sera trois fois moins désagréable.

Je termine ma lettre. J'ai quelques ordres à donner. Je vous écrirai encore longuement. Je vous embrasse bien affectueusement à toutes les trois.

Bons baisers à ma petite maman.

Prosper

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13 novembre 1917

Bien chère maman

Je ne suis pas au cours des commandants de compagnie ni en ligne. Nous sommes au repos, plus ou moins en arrière. Ce n'est pas pour une attaque en préparation ni pour un départ pour l’Italie. Je vous explique tout cela de vive-voix car je vais partir en permission dans très peu de temps. J'ai failli partir avant-hier. Ma permission étant signée, ma cantine bouclée lorsque pour un détail administratif je n'ai pu partir. La chose est remise pour deux jours encore au minimum.

J'ai… ma demande pour passer dans la réserve de l’armée active. Ainsi ma situation sera réglée.

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Je suis surnuméraire des contributions directes, officier de réserve. Si la guerre dure et que je passe capitaine, je serais toujours à temps si le métier me plait pour demander à y rester.

Voilà comment sera réglée ma permission. Je passerai d’abord par Montpellier de façon à avoir des renseignements à vous donner, puis je ne pourrais passer que huit jours à Prats, avec le jour d’arrivée, cela fera 9.

Je vous embrasse bien affectueusement à toutes les trois.

Prosper

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Secteur postal n° 9, le 17 novembre 1917

Bien chère maman

La situation aujourd’hui semble un peu s'éclaircir. Je vais vous la décrire telle qu'elle est aujourd’hui car elle m'est très favorable. Je n'avais pas voulu vous annoncer une bien triste nouvelle pour nous : le 313e, ce brave régiment où je suis depuis si longtemps qui est pour moi une grande famille, est dissout.

Oui ! il n'y aura plus de 313e dans l’armée française. Les hommes et les officiers vont être versés à droite et à gauche au grès du hasard. Pour moi jusqu'à ce jour

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Je ne savais pas trop ce que j'allais devenir. Je vais vous faire l’historique de tout ce qui s'est passé mais d’abord pour ne pas vous faire trop languir, je vais vous dire tout de suite quel est mon sort. Le colonel de la Giraudière me garde avec lui dans son nouveau commandement. Je resterai très probablement auprès de lui. Voilà pour moi.

Maintenant, je vais vous raconter la suite de nos malheurs.

Il y aujourd’hui huit jours à minuit, l’ordre est arrivé brusquement que nous quittons la ve DI et aussi notre armée. Pour où  ? On ne nous le disait pas. Tout ce que nous savions, c'est qu'au lieu de monter en ligne (nous devions le faire dans trois jours), nous descendions plus à l’arrière à la disposition du général en chef.

Qu'allait-on faire de nous. Tous les bruits possibles circulaient  : attaque, Italie, dislocation du régiment  ? Hélas, c'est la dernière nouvelle qui prévalu. Nous aurions préféré tout plutôt que cela. Vous ne pouvez imaginer, chers parents, combien il est triste de voir disparaître tant de gens et tant de choses avec qui l’on est habitué à vivre.

La nouvelle officielle de notre malheur nous arrive, laconique, comme le premier ordre, il fallait qu'en quelques heures huit cents de nos camarades partent pour une destination inconnue. Ils sont de droite et de gauche dans plusieurs régiments. Les amis sont séparés, les compagnies n'existent plus et les fanions de ces unités sont réunis auprès du drapeau  ; ce pauvre drapeau  !

Tous ces pauvres emblèmes vont aller à Blois dans la salle d’honneur et c'est tout ce qui restera du pauvre 313e.

Les adieux furent navrants quand le colonel embrassa les officiers partants, devant le front du régiment rassemblé. Tout le monde pleurait. Quelle tristesse mon Dieu, ce fut un jour plus triste que nos plus dures attaques.

Depuis trois jours, nos huit cents camarades sont partis. Les restants étaient tristement groupés auprès du colonel qui voyait navré son régiment disloqué lorsqu'aujourd’hui un autre ordre complétant la dislocation arrivait, le colonel recevait un autre commandement.

Tout le régiment coupé en deux, décapité, les pauvres restes auront sans doute le même sort que les camarades déjà partis et le 313e aura vécu.

Quand je songe à tout cela, je suis navré, j'ai encore grande envie de pleurer.

Pour moi, j'ai encore constaté la merveilleuse protection qui s'étend sur moi depuis le début de cette triste guerre.

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En premier lieu, lorsque le régiment… personne ne savait où il était et que le colonel n'espérait pas avoir rapidement un commandement, j'étais demandé par la 9e division, que nous quittons pour rester dans un de ses régiments. Il y avait avec moi trois de mes camarades. C'était une grande chance car je suis un peu connu à la 9e division, soit dans les régiments, soit à l’état-major du général et je pouvais espérer ne pas être trop isolé.

Mais maintenant que le colonel a une affectation, il va faire son possible pour me garder avec lui et alors je passerai à son état-major. Cela ne changera guère ma situation actuelle et peut-être même l’améliorera encore car le colonel va prendre le commandement d’un groupe de chasseurs à pied. C'est un joli commandement. Les chasseurs à pied sont groupés par bataillon formant corps. C’est-à-dire que le chef de bataillon est absolument indépendant, son bataillon est une unité qui agit et se commande isolément.

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Les bataillons sont groupés par 3 et c'est un de ces groupes que le colonel va commander. C'est comme s'il allait avoir trois petits régiments. C'est un des plus forts commandements de l’armée.

Tout cela est pour vous expliquer que je ne puis encore partir en permission. Il faut que j'attende que ma situation soit bien fixée, alors je vous arriverai en chasseur à pied. Je suis très heureux si le colonel réussit à m'avoir avec lui, mon métier sera cent fois plus intéressant que celui de pionnier.

Je vous tiendrai au courant, n'ayez aucune crainte.

Bons baisers.

Prosper

24 novembre – Prosper Tailleur est nommé lieutenant

Décembre

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Perpignan, le 4 décembre 1917

Bien chère maman et bonne maman

Je suis allé avec mon oncle chez le notaire. Le résultat est que si bonne maman veut toucher les 1 500 fr. de Mir, il n'y a qu'à faire une procuration pour mon oncle ou pour une autre personne et qu'ainsi les 1 500 de Mir, il n'y a qu'à faire une procuration pour mon oncle ou pour une autre personne et qu'ainsi les 1 500 pourront être envoyés à bonne-maman soit par le notaire soit par le personne choisie.

Les 1 500 fr restant à toucher restent bien entendu garantis par une hypothèque prise sur la vente des propriétés de Mir Melchior.

Cependant le notaire a souligné une difficulté. Si à la succession de bon-papa son avoir n'a pas été reporté entre ses héritiers. Autrement dit, si les créances n'ont pas été données en entier dans la part de bonne-maman. Il faudra pour toucher les 1 500 fr que tous les héritiers de la succession de bon-papa signent le reçu.

Autrement dit, il faudra non pas une seule procuration mais deux. Une de bonne-maman à mon oncle et une de toi, ma petite maman également à mon oncle. La situation sera éclaircie par le notaire qui va écrire à Prats à Mre Bosels.

L'argent reçu par mon oncle sera
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Mon oncle a dû vous écrire pour une autre affaire chez Escouperie. Je ne suis pas au courant.

J'ai passé d’excellents instants chez mon oncle. Je vous écrirai plus longuement pour l’instant mon train arrière.

Soyez raisonnable et ne vous faites pas de mauvais sang.

Je vous embrasse bien fort.

Prosper

Le régiment est dissous

7 décembre – Le régiment est dissous

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Paris, Hôtel Terminus-Est, le 7 décembre 1917

Bien chère maman

Je suis de retour à Paris ! La chose va vous paraître extraordinaire ! Ma mutation au 32e bataillon de chasseurs que nous n'espérions pas voir aboutir a été acceptée et je rejoins aujourd’hui. Je m'arrête quelques instants à Paris pour changer d’uniforme. Car il ne faut pas que je paraisse au 32e bataillon en uniforme de biffin.

Je rejoins donc le colonel de la Giraudière qui a dû déjà être avisé de ma mutation.

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Je viens de le prévenir aujourd’hui télégraphiquement de mon retour de permission et de mon départ pour ses bataillons.

Je suis très heureux de passer chasseur à pied. J'aurai certainement auprès du colonel une place plus intéressante que celle de pionnier au 4e RI. J'avais assez de ce métier plein de responsabilités et écrasant de travail. Aux chasseurs, je serai officier d’état-major du colonel et la vie sera très agréable.

Des ordres à donner et à transmettre et une vie très active avec les chasseurs.

Nous ferons peut-être plus d’attaques qu'au vieux 313e. Mais bien souvent, nous en avons eu la preuve dans toutes les affaires sérieuses où nous avons été engagé, les régiments qui tiennent les secteurs après les attaques souffrent bien plus que les unités qui ont attaqué.

Je quitterai Paris demain.

Je vais vous télégraphier aujourd’hui pour vous envoyer mon adresse ou plutôt afin que mon courrier ne s'égare pas trop longtemps vers la 9e DI que je quitte maintenant définitivement.

Prosper rejoint le 15e groupe de bataillon de chasseurs à Dunkerque

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15e groupe de bataillon de chasseurs, le 11 décembre 1917

Bien chère maman

J'ai retardé l’envoi de ma lettre hier afin de vous l’envoyer plus rapidement par un permissionnaire.

Je vous y annonçais mon arrivée au 15e groupe de chasseurs où j'ai retrouvé le colonel de la Giraudière. J'ai été reçu d’une façon charmante par le colonel qui m'avait fait attendre à la gare qui avait fait placer plusieurs plantons sur ma route afin que je ne me perde pas dans ce nouveau pays.

Je suis presque installé aujourd’hui. Je vais rester auprès du colonel comme officier d’ordonnance. J'ai un cheval que j'ai déjà et qui va très bien. Je ne pouvais espérer rien de mieux. Je n'ai qu'une crainte, c'est de n'être pas à la hauteur parmi ces fiers chasseurs qui sont fameux entre tous à ces bataillons.

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Je ne sais si je vous ai parlé de la fameuse division qu'on appelait la Gauloise. C'est la division qui a participé brillamment aux attaques de Douaumont et de Vaux le 24 octobre 1916 et qui, le 15 décembre, enlevait encore plus au nord, le village et les ouvrages fortifiés de Bezonvaux.

Ces fameux bataillons feront bien d’autres exploits et allons, je serais avec eux et je pourrais fièrement me prévaloir d’être dans leurs rangs.

Nous sommes à l’état-major du colonel, un capitaine, deux lieutenants (moi compris) et un sous-lieutenant.

Nous sommes au repos. Je ne sais pour combien de jours. Je ne suis pas encore exactement au courant de tout.

Je viens aujourd’hui de me présenter au chef de bataillon commandant la 32e où j'avais été affecté en premier lieu.

Ils sont dans un charmant village au bord de la mer.

Je ne puis vous indiquer exactement le lieu de notre cantonnement. Vous savez, la ville que je devais rejoindre dont je vous avais parlé ? Nous sommes tout… et dans quelques jours, nous nous en rapprocherons davantage.

Il y a un léger changement dans mon adresse. Il faut écrite lieutenant Tailleur, 15e groupe de bataillon de chasseurs, secteur postal 161.

Les lettres que vous m'aurez adressées au 32e groupe ne sont bien entendu pas perdues. Je vais envoyer ma nouvelle adresse à tous mes camarades afin que je ne reste pas abandonné.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Bons baisers à ma petite maman.

Prosper

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15e groupe de bataillons de chasseurs, le 15 décembre 1917

Bien chère maman

Je suis resté deux jours sans vous écrire, occupé par mes nouvelles fonctions, et surtout par mon souci de me mettre à l’unisson de ces terribles bataillons.

Nous avons déjà changé de place ! Rassurez-vous, nous ne sommes pas rapprochés de l’ennemi, loin de là.

Nous sommes encore plus loin de la ville que je devais rejoindre et dans une situation très agréable. Nous sommes bien logés. Tout l’état-major du colonel a trouvé asile dans un grand hôtel déserté par les voyageurs où nous trouvons avec plaisir un peu de confort.

Je n'ai guère pris contact avec les bataillons. J'attends d’être en ligne pour cela. A ce moment-là, on est toujours bien reçu tandis qu'au repos, ils seraient bien capables, ces fameux chasseurs, de me faire sentir que je ne suis qu'un biffin.

Je reçois aujourd’hui seulement votre lettre du 5, voilà dix jours que vous avez passés sans que je ne sache rien de vous.

Maintenant que je suis à l’autre bout de la France, mes lettres mettrons un temps infini à vous parvenir.

Je suis bien gêné à l’heure actuelle car je n'ai pas encore reçu l’argent que je vous ai demandé.

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Je suis chargé de la popote et je n'ai plus les bons pour faire les achats. Je crois être obligé de me faire aider par un de mes camarades.

Mon changement de tenue me coûte cher et en fait de rappel de solde, je n'ai rien reçu de celle du mois de novembre, bien comptée.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Prosper

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Bien chère maman

J'ai reçu hier une lettre de tata. Mon Dieu, comme vous craignez que je ne prenne une résolution sans vous le dire ! Voyez bien que jsi mon rappel par mise en sursis m'est offert par l’administration je ne refuserais pas.

Nous nous acclimatons à la rigueur de la température et cela me fait bien souffrir. Nous sommes très bien installés dans nos villas et nos hôtels, nous faisons de bons feux et nous avons de bons lits.

Nos hommes, dont l’installation est bien moins bonne que la nôtre sont malgré tout, relativement bien installés.

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Nous menons une existence gaie et active à la popote. Le colonel est très gai : plus gai que je ne l’aurais jamais vu. C'est sans doute le plaisir de se retrouver dans un pays qu'il a beaucoup habité au début de sa carrière militaire.

J'ai aujourd’hui envoyé une ma nouvelle adresse à l’administration. J'écris au chef du personnel à qui je me suis présenté à mon passage à Paris, pour lui exposer nettement ma situation actuelle et réponse faite à ma demande pour passer dans la réserve. Je lui demande de bien m'expliquer qu'elle serait ma situation si la mise en sursis de ma classe se produisait.

Je n'ai pas de nouvelles de Valentin ni de mes camarades du 313e. Je leur ai pourtant écrit pour leur donner ma nouvelle adresse.

La neige doit recouvrir toute la campagne de Prats et il doit faire là-bas un froid noir.

Impossible pour vous de sortir et vos visites à l’église doivent être très difficiles.

Avez-vous eu une réponse de La Coste de Dalt ? Ces pauvres gens doivent être bloqués par la neige, heureusement qu'ils ont du bois.

J'attends avec impatience une lettre qui apporte une réponse aux miennes. Maintenant avec la distance qui nous sépare, il faut sept à huit jours aux lettres pour faire le trajet.

J'espère, petite maman, que tu ne vas plus tenter de voyager à La Coste. Maintenant, c'est fini jusqu'au printemps prochain à mon premier retour de permission.

Ici, à l’état-major du groupe, les permissions iront vite à moins que le service ne nous retienne. Le colonel est très large pour cela et je suis sans crainte.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois, bons baisers à ma petite maman.

Prosper

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Secteur postal n° 161, le 17 décembre 1917

Bien chère maman

J'ai reçu votre lettre et votre télégramme. Vous m'accusez d’être nerveux et impulsif, mais que dois-je dire pour vous chère petite maman.

Je n'ai encore rien à refuser à l’administration puisque rien ne m'est proposé et que je ne sais pas encore seulement dans combien de temps je pourrais être rappelé. J'ai en effet reçu du ministère de la Guerre une réponse à la demande de passage dans la réserve que j'avais adressée avant mon départ en permission.

Je ne pourrais passer dans la réserve qu'après la guerre en donnant ma démission d’officier de l’armée active.

Dans cette condition, puisque je suis officier de l’armée active. Je ne sais pas si l’administration pourra obtenir ma mise en sursis.

J'ai transmis la réponse du ministère de la Guerre à mon chef du personnel. Je n'ai pas encore de réponse.

Mais je puis vous assurer d’une chose petite maman. C'est que je n'ai fait aucune promesse au colonel. Je n'ai pas à lui en faire !

Il me garde à son état-major. C'est son désir, je veux bien. Je ne lui ai pas demandé comme vous le pensez bien. J'ai fait ma demande de passage aux chasseurs parce qu'il m'y a invité.

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Je suis donc absolument libre de ce côté et comme il sait très bien que je ne veux pas rester dans l’armée et que j’ai toujours témoigné au contraire le désir de continuer ma carrière dans l’administration des Contributions directes, mon acceptation ; si mon rappel se produit, ne pourra pas le surprendre.

Voilà petite mère pour vous consoler. Sachez maintenant que je m'adapte de plus en plus à mon métier de chasseur et que je fais de mon mieux pour faire mon devoir.

Nous sommes au repos et il fait très beau, pas un brin de froid.

Je vous embrasse de toutes mes forces ma chère petite maman ainsi que tata et bonne-maman.

Prosper

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17 décembre 1917

Bien chère maman

Un petit mot. Je suis de service au bureau. Le courrier n'arrive pas et j'en profite pour vous écrire bien vite. J'ai reçu vos 200 fr.

Je suis très heureux d’être passé chasseur à pied. Devant changer de corps à la dissolution du pauvre 313e. Je préfère être passé dans les chasseurs. Se sont de belles unités, bien cotées et bien récompensées.

Aujourd’hui, grand repas, le colonel a invité les chefs de bataillons sous ses ordres. Ce fut une rude course. Je suis chef de popote. C'est dans notre métier, l’équivalent de maîtresse de maison. Tu devines ce que c'est. J'ai fait le marché ce matin à Dunkerque.

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J'ai acheté du poisson. Je me suis souvenu de mon jeune âge à Bel Abbes lorsque je t'accompagnais au marché et j'ai marchandé et fait des observations sur la fraîcheur du poisson.

Après cela, j'ai acheté du poulet, puis des légumes. C'était très intéressant.

Voilà le courrier, j'ai du travail.

Je vous embrasse bien fort.

Prosper

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Secteur postal n° 161, le 18 décembre 1917

Mon petit mot habituel, chère petite maman

Nous continuons notre saison au bord de la mer, mais il fait un temps épouvantable et nous ne pouvons pas mettre le nez dehors. A part cela, il fait beau. Nous n'avons rien à faire. Je bouquine et je m'occupe à la popote. Aujourd’hui, je fais les comptes d’hier. Il n'y en a pas mal, la vie coute horriblement cher ici. Les Anglais ont fait tout renchérir. Un œuf coute huit sous et le beurre est à 5 fr la livre. Avec cela, vous pouvez avoir une idée du reste.

Dunkerque est bourrée de gens qui sont restés malgré les bombardements pour pouvoir nous soutirer de l’argent à grande vitesse.

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Je pense brusquement que je n'ai pas écrit à mon oncle après mon passage à Perpignan. Avez-vous eu une lettre du notaire de Perpignan  ? Quelle a été la réponse du fermier au sujet du mas  ? Accepte-t-il ou nous débarrasse-t-il  ?

Je vais rejoindre ma cuisine voir si la cuisinière ne boit pas le bon vin  ?

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois, bons baisers à ma petite maman.

Prosper

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Hôtel Terminus-Est à Paris, 19 décembre 1917

Bien chère maman

Toujours à Paris où il fait un temps affreux. Je suis installé près de la gare de l’Est et je compte les trains qui partent pour le front. Je vois à chaque instant la foule bruyante des permissionnaires qui arrivent ou qui repartent et c'est sans cesse un afflux constant de capotes claires parmi lesquelles je compte avec soin les tenues sombres des chasseurs à pied.

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A midi je serai transformé et je quitterai mes vêtements de fantassin pour ceux de chasseur.

Je compte partir ce soir à 23 heures, il me faut douze heures pour rejoindre Dunkerque et de là sans doute encore plusieurs heures pour trouver mon bataillon et le colonel. Dunkerque est loin du front.

Mon groupe de chasseurs étant en formation, ils sont certainement au repos et font, je le suppose, des préparatifs pour l’Italie.

Il y fera certainement meilleur que dans les Flandres actuellement où la boue règne en maîtresse.

Il doit faire bien mauvais à Prats. Je suis certain qu'il y fera plus froid que dans le nord de la France où je vais à mon tour. Je vais ainsi connaître presque tout le front : Flandre, Champagne, Argonne, Verdun, il ne me manque plus que l’Alsace et la Lorraine.

J'irais peut-être avec les diables bleus pour le grand jour où nous regagnerons à la baïonnette ces deux pays à la France.

Me voilà loin de vous pour trois mois tout justes si je passe à l’état-major du colonel le tour de permission sera moins sévère et nous pourrons frauder un peu.

Je vous vois dans la cuisine de la maison toutes les trois rassemblées autour du feu. Les chats se grillent près de la braise. Vous travaillez et vous lisez et vous guettez le bruit du facteur qui va passer et que froufroutte et noiraud entendront avant vous.

Je vous embrasse bien affectueusement à toutes les trois.

Bien fort à ma petite maman.

Prosper

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22 décembre 1917

Bien chère petite maman

J'ai été très surpris de recevoir si vite une lettre de vous adressée au 15e groupe et étant par conséquent une réponse à ma première lettre envoyée d’ici.

Mais ma surprise a été plus grande encore d’apprendre que vous avez loué la maison. Cette brave dame qui vient de s'installer à Prats veut sans doute s'entraîner pour une expédition polaire, ou, lassée du monde et des fêtes, veut tenter une vie de réclusion et de solitude.

Quel que soit la raison de sa venue, je suis très heureux de la chose car cela va vous créer des distractions certainement. Cette dame qui ne pourra sortir, à moins qu'elle ne veuille vivre en recluse descendra vous voir.

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Mais le plus amusant de l’histoire, c'est que je crois bien que l’ai été sous les ordres de son beau-frère le commandant Boices qui commandait le 6e bataillon du 313e au moment de sa dislocation et même la 313e au moment du départ du colonel et à mon retour de permission.

Je ne peux pas me tromper car le commandant Boices nous a souvent parlé de son frère le colonel.

En tout cas, le commandant Boices du 313e était le fils du général Boices, ancien attaché à la présidence au moment du Président Carnot.

La chose curieuse et certainement le commandant Boices qui me blaguait souvent de mon Prats-de-Mollo serait surpris que ce petit village ait attiré en plein hiver la femme de son beau-frère.

J'ai écrit deux fois à Valentin. Je ne sais pas ce qu'il pense de demander de mes nouvelles, il ferait mieux de me donner des siennes.

Ce que j'ai encore oublié de faire  : c'est d’écrire à mon oncle. Enfin, s'il est en Bretagne le mal n'est pas grand, c'est ma tante la cuisinière qui aurait reçu ma carte.

Un temps superbe ici depuis hier. Un vent doux, délicieux et pas de pluie.

Nous avons peu de travail et le colonel, très heureux de son nouveau commandement ne cesse de nous permettre des amusements auxquels il participe et où il montre plus d’entrain que nous.

Je me hâte de vous embrasser, j'apprends que le départ du courrier est modifié aujourd’hui et que le vaguemestre se met en route dans quelques instants.

Bons baisers à ma petite maman.

Prosper

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23 décembre 2017

Bien chère petite maman

Aujourd’hui une petite carte seulement. Je suis allé ce matin avec le colonel et un de mes camarades de l’état-major à la messe des élégants à Dunkerque. Après cela, nous sommes allés dans la patisserie… ainsi que cela se fait ici malgré les bombardements.

Je vais sortir avec le colonel pour l’après-midi. Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois.

Grosses bises à ma petite mère.

Prosper

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29 décembre 1917

Bien chère maman

Je crois que je suis resté plusieurs jours sans vous donner de mes nouvelles. Il faut me pardonner cet oubli. Par hasard, je viens d’avoir du travail, mais un gros travail. Je crois vous avoir annoncé la reconnaissance que nous étions chargés d’exécuter. A la suite de cela, il y a eu un gros travail sur le papier. Enfin aujourd’hui je pensais pouvoir disposer de quelques instants, ce matin, pour vous écrire, lorsque j'ai été demandé par notre grand chef et chargé d’étudier une carte de notre futur secteur. Car il faut bien qu'on en parle et qu'on ne nous oublie pas dans un coin.

Rassurez-vous, cette fois-ci les chasseurs n'auront pas une tâche difficile et glorieuse. Ils vont tenir un secteur tout comme un vulgaire régiment d’infanterie.

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Le temps est resté très bizarre ici. Un vent d’une violence inouïe ne cesse de souffler, au bord de la mer, arrachant tout, puis pendent une demi-journée tout se calme et le soleil parait. Il y a un peu de neige, mais il ne fait pas froid.

Je crains bien plus la température de Prats pour vous. Je crois que Mme Boices s'enfuira quelques jours après son arrivée si la neige ne bloque pas Prats avant qu'elle n'en n'ait le temps.

Je viens d’apprendre que son beau-frère qui était en réserve de commandement vient d’être affecté à un régiment. C'est je crois le 218e ou le 268e.

J'ai une lettre de Valentin. Il est au grand repos. Je ne puis pas l’envier car je calculais que depuis trois mois je n'avais pas mis les pieds dans une parallèle de première ligne.

Je ne vais plus rien savoir de la guerre et les chasseurs, mes compagnons d’armes, se moqueront de moi.

Mon rôle s'affirme à l’état-major. Le travail se répartit entre le groupe d’officier qui entoure le colonel et je crois que nous nous entendrons très bien.

Je prends de plus en plus contact avec les bataillons et je me fais accepter quoique mon poste auprès du colonel m'oblige à venir souvent en trouble-fête.

Notre popote est très gaie, le colonel se prête à toutes les conversations et toutes les plaisanteries.

Je crois que les chasseurs sont heureux d’avoir hérité d’un colonel aussi gai qu'ils ne tarderont pas à apprécier quant au fond.

Peu de lettres de vous. Je crois que vous voulez vous venger de recevoir les miennes très irrégulièrement.

J'en attends une demain. Je vais me mettre au lit. Je vous souhaite bonsoir. Soyez tranquille, j'ai un excellent lit et suis bien au chaud.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois, mes bons baisers à ma petite mère.

Prosper

30 décembre – Le sous-lieutenant Maréchal remet le drapeau du régiment au commandant de Dépôt

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30 décembre 1917

Bien chère maman

Je ne veux pas vous écrire un petit mot, alors que je reçois une longue lettre. Nous avons passé Noël au travail. Une longue reconnaissance, mais malgré cela j'ai pu me montrer bon chrétien, soit sans crainte petite maman.

Nous continuons de vivre au repos près de Dunkerque. Nous avons beaucoup de commodités pour y aller car une ligne de tramways électrique passe juste devant notre porte.

C'est vous dire si c'est un cantonnement de repos rêvé.

Nous allons remonter en ligne pour une vingtaine de jours.

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Nous connaissons déjà le secteur pour y être déjà allé. C'est un secteur calme qu'il nous ait très agréable d’avoir plutôt que d’être en réserve actuellement. Car nous nous pourrions être employés en n'importe quel point du front que nous ne connaîtrions pas.

Le temps s'est radouci. Il fait très bon, le vent ne souffle plus.

Nous avons pu faire du cheval aujourd’hui et ce soir j'ai fait un tour à Dunkerque.

J'ai de nombreuses lettres en retard, il faut que je réponde et que je donne ma nouvelle adresse à beaucoup de monde. Je ferai tout cela demain.

Je crois qu'il faut en finir avec Bistre. Il faut lui envoyer une lettre recommandée lui demandant de nous dire s'il veut garder La Coste et qu'au cas où il ne vous répondrait pas, il faut considérer le bail rompu, les délais comptant à partir du 15 janvier 1918. J'attends ta réponse pour lui écrire dans ce sens.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois. Bons baisers bien gros pour ma petite maman.

Prosper

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31 décembre 1917

Bien chère maman

Un petit mot bien court aujourd’hui, je vais vite me coucher. J'ai grande envie de dormir et demain matin il faut que je me lève de bonne heure pour faire une course à cheval.

Rien de nouveau au 15e groupe.

Je vous embrasse bien tendrement à toutes les trois. Bons baisers à ma petite maman chérie.

Prosper