Poitiers, le 29 décembre 1913
Administration des
Contributions directes
Direction de la Vienne
Le Directeur des Contributions directes à Monsieur Tailleur Prosper à Saumur
J'ai l’honneur de vous informer que vous subirez les épreuves écrites du concours pour l’admission au surnumérariat des Contributions directes devant la commission de Poitiers. Cette commission ouvrira ses séances le jeudi 15 janvier 1914, à 8h du matin, dans la salle du conseil municipal, à la mairie, Place d’Armes. Vous devez vous munir à toute éventualité d’une table de logarithmes.
Poitiers, le 9 février 1914
Administration des
Contributions directes
Direction de la Vienne
Le Directeur des Contributions directes à Monsieur Tailleur
J'ai le plaisir de vous faire connaître que vous figurez sur la liste des candidates admissible aux épreuves orales du concours pour le surnumérariat.
Vous serez ultérieurement informé de la date et du lieu de ces épreuves.
Angers, le 9 avril 1914
Administration des
Contributions directes
Direction de Maine-et-Loire
Le Directeur des Contributions directes à Monsieur Tailleur
Je vous informe que vous figurez sur la liste des candidats admis à la suite du concours sur le surnumérariat.
Votre numéro de classement est 33e sur 64 admis.
L’administration vous indiquera très prochainement le poste qui vous sera assigné.
Paris, le 10 avril 1914
Ministère des Finances
Direction générale des Contributions directes
Bureau central et du personnel
Le Directeur général à Monsieur Tailleur, candidat admis au concours pour le surnumérariat dans le département de Maine-et-Loire
Par arrêté en date du 9 avril 1914, je vous ai nommé Surnuméraire et j'ai décidé que vous seriez attaché à la Direction du département de l’Hérault. Je vous invite à être rendu à Montpellier le 23 avril 1914.
Paris, le 10 avril 1914
Ministère des Finances
Direction générale des Contributions directes
Le Directeur général à Monsieur Tailleur, candidat admis au concours pour le surnumérariat dans le département de Maine-et-Loire
Par un arrêté en date du 9 avril 1914, je vous ai nommé surnuméraire et j'ai décidé que vous seriez attaché à la Direction du département de l’Hérault.
Je vous invite à être rendu à Montpellier le 23 avril 1914.
Le Directeur vous installera, après vous avoir présenté à M. le préfet, à qui vous devrez justifier de votre titre et prêter le serment de remplir vos fonctions avec exactitude et probité.
Vous n'omettrez pas de vous conformer, s'il y a lieu, aux prescriptions de la loi sur le recrutement de l’armée concernant les déclarations obligatoires en cas de changement de domicile ou de résidence.
Je vous prie de m'accuser réception de la présente lettre par la voie hiérarchique.
Saumur, le 25 avril 1914, samedi 5h ¼ du soir
Mon cher petit
…
Tes lettres étaient attendues avec grande impatience. Nous pensions qu'elles seraient plus gaies. Tu as l’air un peu désenchanté. Je t'avais un peu averti que tu serais souvent ennuyé. Tu voyais tout dans un rayon de soleil, c'est de ton âge, mes ennuis sont servis par douze mais les joies sont données une à une.
M. Ploquin a eu le tort de te présenter la vie de surnu. comme une partie de plaisir, tu verras que ce n'est pas cela, qu'il faudra au contraire montrer de l’assiduité mais encore un grand zèle dans le travail.
Les directeurs papa-gâteaux de M. Ploquin doivent être rares, sinon inexistant. Le surnu qui vient d’être classé 69e à son 2e examen ne devait sans doute pas être un très grand travailleur ou alors un timide qui ne sait pas parler quand on le regarde. Ne te base pas là-dessus, si tu continues comme tu as fait jusqu'à présent à travailler, tu n'as rien à craindre car j'espère que quoique tout seul, tu sauras t'enfermer pour travailler. Maintenant, la question de la chambre. Je trouve que cette chambre devrait avoir au moins une armoire, fut-elle en bois blanc pour y ranger tes affaires. La question du petit-déjeuner est aussi à voir. 10 fr. c'est trop cher pour un mauvais café au lait qu'on te servira. Il n'est pas besoin d’un grand emplacement pour le faire toi-même, le coin de la cheminée ou du lavabo te suffit pour mettre ton réchaud et ta tasse. Une fois ton brevage avalé, tu rinces ta tasse et ta casserole, tu essuies avec la serviette que tu as emportée (quand j'aurais l’occasion de t'envoyer un colis, j'y joindrais deux petits essuies-mains) et tu loges le tout dans la malle, le réchaud sur la cheminée. Tu t'en tireras avec deux sous, petit pain 0,03 et café et sucre, pour une tasse… à peine 1 sous ½.Mais il faut essayer, ne pas craindre de s'acheter pour 0,40 fr ou 0,50 fr du café en poudre ainsi qu'un kilo de sucre. De cette façon, le surplus que tu économises (tout en ayant meilleur), tu pourras le mettre à la pension pour manger mieux. Tu as été mal habitué, mon petit, la faute en est à toi et à moi. Informe-toi ou mangeaient les autres surnus, s'ils sont contents ? 90 fr. par mois c'est trop cher, nous mettrions 80 fr. mais pas plus, si vraiment tu es trop mal ! Les autres chambres que tu as vues étaient-elles munies d’une armoire ? Etaient-elles plus qu'un bureau ? Les Discossy ne savent-ils pas une pension où tu mangerais ? Ne cherche pas trop les apparences, mon cher petit, cela se paie.
Dans telle maison qui parait modeste tu trouverais une chambre propre et spacieuse aux propriétaires avenants. Ces Casamajor sont je crois de Perpignan, il y avait plusieurs familles de ce nom, mais n'étaient pas riches.
Tu finiras par trouver une maison où des gens pour s'aider à payer leur loyer louent une chambre garnie, ce se trouve même à Paris où les Boixeda étaient logés chez de très braves gens.
Si ce n'était si loin j'y aurais couru déjà.
Tout cela nous ennuie beaucoup, nous avions pensé d’après ta carte que tu avais bien trouvée.
Parle nous des surnus qui sont avec toi, ce qu'ils sont ? Ce qu'ils paraissent-être ?
Tu ne parles par beaucoup du directeur, a-t-il été bienveillant, quelles paroles t'a-t-il dite ?
Si les surnus. à la Direction sont seuls dans un bureau ou avec des contrôleurs ? Si la Direction est dans un beau quartier, si l’immeuble est grand ?
Ecris nous souvent mon cher enfant pour nous faire supporter ton absence. Quand nous mangeons quelque chose de ton goût, nous disons : comme Prosper se régalerait !
Ne fais pas d’imprudences, qui te soignerait si tu étais malade ? Mange bien, achète du chocolat et mange les saucissons.
Tu dois une visite au Decossy pour les remercier de leur obligeance. As-tu vu l’ainé ? Dis-lui que je la remercie de s'être dérangée pour toi. Dis-moi aussi comment s'appelle ta paroisse s'il y a une église près de chez toi, ne rougis pas d’y rentrer, ces mesquineries sont pour les esprits étroits et les caractères tortueux mais toi avec le tien tout droit tu ne rougiras pas de servir Dieu, se serait comme si tu rougissais devant ton père et ta mère qui t'aimons tant.
Ne dis jamais du mal du Directeur et des chefs avec tes camarades, pour durer, si désagréables qu'ils fussent, épanche-toi avec nous mais pas avec des camarades. Ils pourraient te trahir, ce n'est point de la méfiance, c'est de la prudence
A Saumur, rien de nouveau, plutôt froid, vent et poussière. Demain, grande bataille. Pour l’instant on ne s'en douterait pas.
J'ai rencontré M. Ploquin chez notre tailleur où il essayait. On m'a salué par mon nom, mais lui n'a pas salué.
Je te laisse mon cher petit, nous allons souper.
Nous t'embrassons tous trois bien tendrement.
Ta maman bien dévouée.
Thérèse
Saumur, le 30 avril 1914, soir après souper
Mon cher enfant
Je serai brève ce soir car il est tard et je veux que ma lettre parte. Tu trouveras ci-joint un mandat de 60 francs, pour le paiement des objets que tu viens d’acheter.
Maintenant, un mot sur ces objets. L’imperméable t'était utile et dans ma dernière lettre je te disais d’en faire l’achat, mais pour le claque et les gants, ils n'étaient pas utiles pour la raison majeure que voici. On ne met un claque qu'avec une redingote ou l’habit noir et non avec une jaquette comme tu l’as fait. Ces gants blancs également ne se mettent pour un civil que pour soirée ou pour visites administratives et accompagnant également l’habit ou la redingote.
Mon cher enfant, toi qui as si grande peur du ridicule, eh bien, tu l’étais avec ton claque et tes gants blancs et ton costume de ville.
Pour aller en visite l’après-midi chez une dame qui reçoit à son jour. Tu étais bien avec ton complet jaquette, ton melon et tes gants foncés. Si tu avais été un contrôleur nouvellement nommé, tu aurais fait cette visite en redingote et tube.
Le chapeau dans un salon ne se voit guère, attendu qu'un monsieur le tient à la main et que la personne que tu allais voir était mûre et ne voulait pas le paraître, son salon devait être dans un clair-obscur.
Maintenant c'est fait, n'en parlons plus mais une autre fois, avant de faire des achats, demande-moi si la chose peut se faire. Si l’achat est nécessaire tu seras autorisé à le faire mais si la chose peut s'éviter et bien évite-la. Pour les seules choses nécessaires, il faut tant d’argent !
Depuis ton départ, je note toutes les dépenses et tu sais si en dehors de la nourriture, je me livre à des excès. Cependant, je suis effrayée de ces additions qui s'ajoutent les unes aux autres. J'ai encore du emprunter.
Père te recommande de t'arranger avec ton restaurant pour te faire soustraire les repas que tu fais dehors à cause de ton service, cela se fait toujours. S'il ne voulait pas, ce qui l’étonnerait, il va même jusqu'à te dire d’en changer.
Mon cher petit, rapporte-toi souvent par la pensée au milieu de nous et aime-nous, si je l’ai souvent dit que tu nous manquais extrêmement. Il me semble que dans aucune de tes lettres je n'ai remarqué ce regret affectueux, la cuisine seule te manque, je crois !
Je te laisse car ton père va descendre la lettre que tu auras seulement lundi matin, ma dernière que je t'ai envoyée mercredi dernier a dû t'attendre puisque tu devais être absent trois jours. Invoque le Saint-Esprit. Nous fêtons demain sa descente sur les apôtres? D’hommes grossiers, sans culture aucune, le Saint-Esprit en fit à l’instant des savants, ils parlèrent aussitôt toutes les langues et tous les secrets leurs étaient connus, de lâches qu'ils étaient auparavant ils bravent la mort et ils subsistent dans la prière que nous récitons ensemble. Nous t'embrassons tous les trois avec tout l’amour de notre cœur pour toi. Ta maman bien dévouée.
Thérèse
Saumur, le 27 mai 1914, mercredi soir,
Mon cher enfant,
Ta dernière lettre que nous avons reçu samedi matin nous a égayée pour quatre ou cinq jours, c’est-à-dire rendus joyeux de tes bonnes nouvelles. Voilà comment nous aimons tes lettres pleins de détails, et comme après avoir lu les lignes écrites, je lis entre les lignes, j'y vois que tu fais ton travail gaiement, avec entrain et contentement, c'est le moyen de réussi, ne jamais rien faire à demi, mais en entier et parfaitement. En allant ainsi jusqu'au bout, tu n'as pas à t'inquiéter des examens de clôture. Nous regrettons de ne pas connaître le pays que tu es appelé à visiter, envoie-nous une carte d’état-major de la région. Je chausserai mes lunettes et repérerai le pays que tu nous décris.
Nous sommes contents que tu ais trouvé un camarade dans le contrôleur qui est chargé de t'initier au travail de ta nouvelle charge, mais, ici, mon petit enfant, je te demanderai de me répondre bien franchement, alors seulement, je me réjouirai tout à fait. Ce monsieur a-t-il l’air d’avoir une bonne éducation ? Est-il croyant ? indifférent ou athée ? Sa conduite est-elle bonne ? Car comprends-moi mon chéri, s'il était sa croyance et de conduite légère, son langage s'en ressentirait.
Alors, mon cher petit, il ne faudrait pas avoir … ? … comment dirais-je … la lâcheté de faire chorus, car si tu t'interroges sincèrement, tu verras que ce sont vraiment de petites lâchetés qui vous portent aux grandes. Ai le courage de ne pas faire ou dire une chose, qui quoique d’un dehors amusant, tu sais ne pas être bien. Repousse avec répulsion toute compromission, fuis les gens de mauvaise conduite, tout sombre chez eux, le physique après le moral.
On dit que la jeunesse doit passer : certainement, elle passe même trop vite, on doit être gai et content, d’humeur charmante, rire, chanter, c'est même l’apanage de la jeunesse honnête, loyale, car sa conscience est tranquille, car l’autre jeunesse, celle qui suit tous ses instincts est découragée, sombre, et il n'est pas rare, hélas, de la voir se détruire. Encore ces jours-ci un étudiant s'est tué à Paris, il laissait un écrit disant qu'il se tuait parce que la vie était stupide, imbécile ! Comprends-tu cela mon petit enfant ? C'est lui qui était un imbécile de parler ainsi à 20 ans. La vie à de rudes passages où il faut faire appel à tout son courage pour les franchir sans défaillance, mais Dieu, dans sa bonté, nous donne ce courage. Il n'y a qu'à le lui demander. A côté des jours sombres, il y en a d’ensoleillés. Soit chrétien et tu seras joyeux quoiqu'il advienne.
Tu vas dire ouf ! Quel sermon ! Non, mon cher petit, c'est la tendresse inquiète de ta maman qui voudrait avoir le don d’ubiquité pour être près de toi et te défendre et dans ton corps et dans ton âme. Si notre ennemi rentre dans notre âme, il en fera sa demeure et nous n'en serons plus le maître, quelle guerre ensuite, boutons-le dehors comme Jeanne la Pucelle faisait des Anglais, imite son courage, sa vaillance et sa patience et sa foi qui n'a jamais défailli. Comment-as-t-on célébré sa fête dimanche à Montpellier ? Ta maison doit-elle pavoiser ? Tes propriétaires m'ont l’air de très honnêtes gens. Ta chambre est-elle sur la rue ou sur le jardin ? As-tu le soleil ? Cette rue est-elle passagère ? et bien posée ? Pour 10 Fr. par mois on ne te donne que du pain et du café pour le déjeuner ? Tu ne dis pas si tu as mangé les saucissons ? Nous avons entamé un jambon et il est au bon endroit te ferait-il plaisir d’en avoir ? Tu l’aimais tant quand j'en ai coupé une tranche et il est très maigre, je dis : « comme Prosper se régalerait »
Bien tendres baisers de nous trois, ta maman bien dévouée
Thérèse
Ps : En lisant que tu avais reçu l’averse sur le dos, j'en ai frémi, étais-tu bien séché ensuite. N'as-tu pas eu froid pendant l’averse ? Pour prévenir ces angoisses, et le mal qui pourra en résulter pour toi, achète à Montpellier un paletot en caoutchouc, de préférence gris très foncé plutôt que noir brillant comme celui de M. Plaquin. Un drôle de sire, il n'a jamais fait demander de tes nouvelles à ton père. Je voulais te le faire envoyer du Bon Marché, mais cela demanderait du temps ; sur place tu pourras l’essayer, va dans un grand magasin, tu risques moins d’être roulé.
Saumur, le 1er mai 1914,
Mon cher petit enfant
Tes lettres sont notre joie, nous voudrions en recevoir une tous les jours. Mais si tous les jours une n'est pas possible, continue comme tu fais, que la lettre que tu envoies soit un journal et sois toujours franc avec nos, même si tu dois être un peu grondé pour certains faits, nos gronderies sont de la tendresse. Je m'inquiète de ta santé, j'ai peur que tu ne manges pas suffisamment, surtout si le gouter est supprimé. Tu mangeais un gros morceau de pain à 4 h ! Je t'en prie, mets de côté cette sotte fierté qui t'empêche d’entrer dans un magasin acheter quelque chose pour manger, un petit pain par exemple, pour ton saucisson ou chocolat.
Dis-moi qui s'occupe de ton linge et occupe-toi toi-même de tes faux-cols et plastrons, ne crains pas, si tu étais sans argent pour payer, je comprendrais, mais ce ne sera pas ton cas.
D’après ta lettre, tes propriétaires sont gentils et tu serais bien là. Dis-leur franchement qu'il te faudrait une armoire ou au moins une commode dans ta chambre que tu ne peux garder tes affaires dans ta malle où tout sera pêle-mêle et chiffonné, que c'est cette question qui te fera ailleurs, que sans cela tu aurais été là pour longtemps ; ils s'arrangeront pour te donner ce qu'il faut.
Pour le restaurant, as-tu vu autre-part ? Où mangent les autres, ils ne sont pas tous en famille ?
Je tremble que tu ne fasses l’imprudent pour t'alléger de vêtements. Ici le temps après quelques gouttes de pluie a fraichi brusquement, il fait presque froid. Comprend mon cher enfant quel tracas ce serait si tu étais malade si loin. Je suis déjà assez torturée.
Bonne-maman est malade depuis la semaine sainte et va à peine mieux. Tu devines mon inquiétude, elle a dû prendre un chaud et froid en rentrant du jardin.
Papa est tenu aujourd’hui par sa comptabilité, néanmoins il s'est dérangé un instant pour le coiffeur qui vient régulièrement. Si cela peut t'intéresser, je te dirais que nous venons de faire une grosse lessive qui a amené la pluie. Nous avons rendu tes livres à la bibliothèque hier soir. M. Goundier les a pris, nous avons parlé de toi, il m'a chargé de te transmettre ses amitiés. Les Moy t'envoient aussi les leurs. Ils ont répondu par courrier à l’annonce de ton succès. Tu ferais bien de leur envoyer une carte vue avec cinq mots affectueux, ainsi qu'à Onzain. Jean a répondu il y a plusieurs jours déjà, mais ma dernière était trop chargée, tu trouveras ci-joint sa carte. Les Ponts et Chaussées ont fini je crois, je te manderai les succès. Tâche d’aller à la messe à ta paroisse, tu auras ainsi le prône, la messe est plus complète. Nous voici au mois de mai, promets-moi de dire tous les soirs une dizaine de chapelets bien fervente et moi, je te promets la réussite à ton examen du 1er degré.
Ne sois pas ingrat envers Dieu, rappelle-toi toutes les prières que nous lui avons adressées, que ton examen pouvait être compromis malgré tout ton travail par les fautes d’orthographes avec lesquelles tu n'es pas brouillé, hélas comme je le croyais nous avons relevées une demi-douzaine au moins. Applique-toi à bien former tes lettres et alors tu les apercevras plus facilement.
Tu as du recevoir les annales, elles étaient intéressantes et les croyais bien expressifs. Le journal a dû te donner le résultat des élections de… Tout c'est passe le plus normalement du monde. La veste de l’un a été longue et large à souhait.
Dans le midi, on s'est un peu cogné parait-il, ici tout en levant gaiement le coude, ils restent calmes, c'est étonnant. A propos de boire, quelle eau boit-on à Montpellier ? Comment fais-tu ? Mets juste de vin pour couper ton eau, tu attraperais une maladie d’estomac.
Nous continuons à ne vivre que pour toi, en pensant à toi.
Ta maman qui t'embrasse bien bien tendrement.
Thérèse Tailleur
Saumur, le 2 mai 1914
Mon cher enfant,
Je ne t'aurais pas écrit si tôt mais nous venons de recevoir la réponse de Frédéric, réponse que tu trouveras ci-inclus, où il explique la cause de son retard. De plus, il demande ton adresse car il veut se rendre dimanche prochain à Montpellier où il passera la journée. Ecris-lui toi-même, tu trouveras son adresse dans sa lettre aussitôt que recevras ma lettre.
et dis-lui qu'il te donne l’heure de son arrivée, tu iras l’attendre à la gare. Pour vous reconnaître, convenez d’un signal ; soit le mouchoir tenu dans la main, soit le chapeau et lui son képi, car il y aurait des chances pour que vous ne vous reconnaissiez pas. Tu l’inviteras à déjeuner et diner suivant le temps qu'il passera à Montpellier et il te mettra au courant de tout ce que tu désires savoir au sujet de tes nouvelles occupations puisqu'il a passé par là. Vous passerez une agréable journée à parler du présent et du passé.
Il fait froid. Ta tante et moi auprès de la lampe, nos santés sont toujours les mêmes. Aie bien soin de toi comme si j'étais là et écris-nous souvent.
Mille tendres baisers de nous trois.
Ta maman.
Les D. doivent être contents, ils étaient si malheureux l’année dernière de son échec. Que compte-t-il faire ? Tu ne nous as pas dit comment est-ce Germain au moral ? Dis à sa mère que le succès de son fils nous a fait plaisir.
Il y a des questions que tu éludes aussi souvent mon petit, surtout quand je te dis de me parler de ton moral à toi ? Si la santé en est bonne ? Tes lettres sont pleines de détail très intéressants, mais ton être intime n'y est pas, ta maman les referme souvent
7 mai 1914
Mon cher fils,
Nous recevons ta lettre que nous attendons avec impatience (le 6 à 14 h., mais à la poste le 5 à 13h), elle nous trouvés en bonne santé et nous fait comprendre que tu te portes bien, mais que les occupations ne te manqueront pas.
Tu nous donne bien des renseignements qui nous fixent sur ce que tu fais. Tu parais plus content de la nourriture, mets pour la pension, s'il le faut, 80 Fr. par mois, mais il faudrait que tu fasses toi-même le déjeuner du matin.
Il nous semble que tu te trouves bien pour la chambre, mais il te faut à tout prix une chambre au moins avec un placard ou une armoire pour bien ranger tes affaires, si non, juge dans quel état seraient tes effets : ils seraient vite abimés. Maman te parle de cette question, mais ta lettre ne la traite pas. Vois tes propriétaires et obtiens ce meuble indispensable pour le même prix, autrement, tu ne pourrais pas rester.
Va de temps en temps donner le bonjour à la famille Descossy, sors quelque fois avec le fils. Tu ferais bien de voir M. Ville. Il peut te renseigner sur bien des points.
Sois toujours exact et contente tes chefs par ton travail et par tes façons. Examine bien la veille ce que tu dois faire le lendemain pour ne pas faire de fautes de service. Prends conseil de ceux que tu juges capables de t'en donner. C'est à dessein que j'écris bien lisiblement, afin de t'amener à être toi-même mieux lisible pour ta mère et pour nous. Crois-moi. Continue à nous écrire en préparant tes lettres par le résumé jour par jour de ce que tu fais.
Tu vois mieux que nous comment tu dois diviser son travail, mais pense bien que le service de l’administration dans laquelle tu rentres doit avoir tes premières préoccupations. Tu voudrais avoir ta licence, je suis de ton avis, mais pour ce diplôme, tu as beaucoup de temps que pour réparer tes 2 épreuves administratives, là, mon cher, il ne faut pas sécher.
Les photos ne sont pas faites encore, tu en auras une pour ton portefeuille.
Tu penses bien que ton Directeur, que je ne comprends pas au sujet des étudiants en droit, puisque cette partie entre beaucoup dans le service, surtout si la partie proprement dit service, est exactement suivie, apprendre quand il e voudra, que tu es à la fois service et étudiant.
Travailleur, déférent, bien élevé, exact, voilà les qualités qu'il faut faire constater aux chefs. La mémoire et l’intelligence viennent rehausser ces qualités. Exerce-toi opiniâtrement à travailler vite et bien. Le surnu. qui ne plait pas aux deux cépaux doit être dans le genre du jeune O. de S. même avec beaucoup de diplômes, il faut prouver aux chefs que l’on est à la hauteur de sa tâche administrative.
Ce Montallois ne me parait pas avoir grand souci de se créer une situation administrative avant tout.
Mais certainement la vie quotidienne d’un fonctionnaire, son travail, ses moyens, ses aptitudes, son doigté, son intuition, son exactitude, sa conduite, sa façon d’être avec les chefs sont représentés par les notes périodiques qui sont gravées au dossier d’un chacun. J'espère que tu agiras tout différemment quand tu es détaché et que légalement tu ne sois pas allé à la Direction, vas-y quand même, entrer et sortir, lorsque tu opères en ville et dans les environs. Je te recommande de donner satisfaction entière à tous les points de vue, au contrôleur chez qui tu es détaché. Lui aussi aura à donner des notes sur ton compte. Il faut s'incliner si l’administration te met en demeure de ne pas bénéficier d’un sursis d’un an.
Si ce sursis ne peut être accordé administrativement parlant, fais comme tu dis sur ce point, il y a pourtant des précédents, mais en haut lieu, on a dû décider qu'on ne les admettrait plus ; il doit y avoir des raisons majeures.
Tu ne parles pas comment tu as fait pour ton linge. Ne néglige pas ce point, applique-toi à avoir beaucoup d’ordre.
Nourris-toi bien, des repas réguliers et pris sans précipitation. Ne dépasse pas 10h pour aller te coucher. Lève-toi de bonne heure. Attention aux changements de température.
Je te laisse en te recommandant de faire tout ce que tu dois et en t'embrassant affectueusement. Maman va continuer parce que j'ai pu oublier. J'allonge encore un peu mes recommandations. Oui, Jean est bien drôle. Tu verras probablement Frédéric dimanche, tu nous raconteras ce que vous avez dit ou fait. Au sujet de ton sursis, on a dû te communiquer la décision de l’administration de Paris. Dans ce cas, une lettre que tu ferais ou que je ferais moi-même ne servirait à rien. Tâche de savoir si les Directeurs de l’administration centrale tiennent à ce que les contrôleurs soient officier de réserve. Je suppose que tu sois appelé pour une période militaire juste au moment où ton travail administratif bat son plein, cela mettrait une entrave à ton service et lui nuirait. Il va falloir se renseigner auprès du Commandant du recrutement de Tours sur ce qu'il convient de faire avec ce changement d’incorporation J'écrirai, si c'est bien décidé que tu pars avec ta classe. C'est tout pour aujourd’hui. Encore quelque chose. La lettre du Commandant du recrutement à Tours dira en substance ce que je reproduis ci-dessous. Vois toi-même le recrutement de Montpellier, expose-lui ton cas, qui ne doit pas se produire souvent, et demande-lui comment il sera traité. Nous verrons si ces deux différents bureaux disent la même chose.
Dans le courant du mois d’avril, vous avez bien voulu, sur la demande de M. le Maire de Saumur, faire connaître que le conscrit 45 classe 1914, Tailleur Prosper Marie Juste avait été reconnu bon pour le service armé et que le sursis d’appel d’un an demandé était accordé. Cette solution était de nature à satisfaire mon fils qui avait sollicité ce sursis afin de ne pas interrompre ses études de droit. Entre-temps, mon fils préparait aussi le concours des Contributions Directes. Depuis, il a été reçu et nommé surnuméraire à Montpellier à partir du 23 avril 1914. L’administration où il est rentré exige qu'il parte au service militaire avec sa classe. Comment concilier ces deux décisions contraires.
Mon fils est prêt à obtempérer aux ordres de son administration, mais alors que deviendra la décision du Conseil de révision.
Mon fils a des mesures à prendre en face de ce point capital pour lui, afin de n'éprouver aucun mécompte. Il désire être fixé très exactement. Aussi, mon Commandant, je sous serais très obligé de me faire connaître comment sera réglée cette question qui doit se poser rarement. Il a choisi la cavalerie et il veut préparer son brevet d’aptitude militaires pour avoir le droit de choisir le Corps où il désire servir.
Mon cher Enfant
Je ne t'en dirais pas long cette fois, ton père ayant dit tout ce qu'on avait à te dire. Tu trouveras ci-joint un mandat de 140 francs. Ce sera ta pension de chaque moins à moins qu'il n'y ait des dépenses imprévues, comme tournées avec le contrôleur où remèdes du pharmacien. Tâche d’être très économe et enferme ton argent pour qu'on ne te le vole pas.
Ecris-nous très souvent, nous avons attendu ta lettre pendant deux jours, anxieux à chaque courrier qui pouvait nous l’apporter : tu diras qu'il n'y avait pas 8 jours, soit mais il était entendu que tu n'attendrais pas les 8 jours dans le premier mois afin de nous habituer peu à peu. C'est très dur pour nous, ne plus te voir ni t'entendre et nous sommes là sans rien dire, chacun ruminant ses pensées. Ecris quelques lignes à bonne-maman, cela lui fera plaisir, elle va mieux. Aime Dieu… Ta maman qui t'embrasse comme elle…
Thérèse
15 mai 1914, lundi soir
Mon cher petit enfant
Nous attendions ta lettre vendredi dernier. Je ne sais pourquoi il nous semblait qu'elle devait nous arriver et nous l’avons eue et nous été bien contents.
Tu as augmenté de trois kilos en 45 jours, ce n'est pas possible ! Ta balance n'est pas juste, ce devait être celle d’un fraudeur… et tu dis que la cuisine est mauvaise, que serais-tu si elle était excellente ! Si cela continuait, tu serais un conscrit de poids en arrivant au régiment.
Mais causons de ton droit, tout ce que tu me dis me parait très sensé, car je comprends que tu ne pas être en mesure de te présenter en juillet, et guère en novembre, surtout si tu es au régiment. Seulement, avant de verser une 4e inscription, assure-toi auprès du secrétaire de la faculté que toutes ces inscriptions non utilisées peuvent bien te servir pour 1915 et si aurais droit étant soldat de te présenter, car si les inscriptions sont prises à l'avance il y a une demande à l'inscription à faire avant la date de l'examen.
Vois-tu mon cher enfant, avant de donner de l’argent, assurons-nous qu'il ne sera pas perdu. Ce n'est pas auprès d’un étudiant que tu dois t'informer mais à la source même des renseignements afin de pas être induit en erreur. Si la chose est bien sure, tu feras comme tu dis, et nous t'enverrons aussitôt l’argent pour l’inscription.
Tu ne parles jamais des Descossy ? Est-ce que tu ne les vois plus ? N'as-tu pas l’occasion de rencontrer Germain et de te promener avec lui le dimanche ? Nous allons toujours pareil, et toujours notre même vie où tu manques toujours beaucoup. Nous causons à ton portrait, tu sembles nous regarder manger, hier nous avions un petit poulet rôti à point et des asperges et nous répétions le refrain : comme Prosper se régalerait… et ainsi le soir avec notre délicieux bouillon. C'est puéril cela mais cela te dit qu'à toute heure du soir nous pensons à toi. Toi aussi tu penses à nous et ne fais jamais rien que tu saurais devoir nous faire de la peine s'il nous était donné de le savoir.
Ton oncle Emmanuel nous a écrit aujourd’hui pour remercier de ton portrait qu'il trouve très bien et nous annoncer l’envoi de l’huile qu'il n'avait pas encore fait depuis un mauvais accident dont il a été victime et qui nous fait de la peine, un coup de pied de cheval sur la figure, sur le côté droit du nez, le pauvre doit être tout défiguré… il raconte tout cela en style humoristique, il blague toujours, n'empêche qu'il pouvait y rester… et qu'un coup sur le nez c'est terrible j'en sais quelque chose….
Il va t'écrire pour te dire que le 1er juillet il passera à Montpellier à 2h du matin, par conséquent tu ne pourras aller le voir, mais ta tante et ta cousine passeront à 2h de l’après-midi ; il te dira l’heure exactement. Cela me ferait plaisir que tu puisses y aller, tu devras t'arranger car c'est assez que ton oncle n'y sera pas, pour que ta tante te dise que pour elle tu n'as pas voulu te déranger, comprends-tu mon chéri.
Après souper nous avons mangé de l’ouillade, cette bonne ouillade que tu désirerais manger, hum… pour nous dégonfler un peu nous venons de parcourir une partie du quai Carnot, mais le ciel très noir laissait tomber quelques gouttes qui nous ont fait rebrousser chemin.
On est venu nous faire choisir les papiers du nouvel hôtel, l’escalier de la façade est monumental, 12 marches, il parait qu'on mettrait deux lions pour garder l’entrée ! Un vrai palais de justice. Ce dernier et la sous-préfecture vont se trouver plus laids encore.
Je te laisse mon cher petit sous la garde de Dieu et t'embrassons tous trois avec ce que nos cœurs contiennent de parfaite affection.
Ta maman dévouée,
Thérèse Tailleur
Saumur, vendredi 15 mai 1914 au soir,
Mon cher enfant
Je vois par la dernière lettre que tu commences à t'habituer là-bas. Tu parais te mouvoir, aller et venir dans ta nouvelle résidence avec plus d’aisance. Je lis entre les lignes, ta lettre est pleine de détails seulement en grand désordre pour coordonner tout cela il faut lire deux ou trois fois, alors on voit clair.
Quand tu auras l’habitude de ce journal quotidien il y aura un peu plus d’ordre. Tu es comme quelqu'un qui vient d’aménager, les objets n'ont pas encore leur place, c'est un peu pêle-mêle. Fais que d’un jour à l’autre les choses aient l’air de se suivre.
Cette lettre est notre joie de la semaine, on la lit – d’abord moi, avec beaucoup de peine, puis on y revient, on la commente et nous alimente une partie de la semaine.
L’idée qu'il faut faire ton service dès cette année nous a un peu émue, mais puisqu'il faut le faire…
Tu ne parles pas du tout de ton service avec ton contrôleur ? N'as-tu pas commencé ?
Tu as tant de choses commencées mon cher enfant que je ne sais pas si toutes seront menées à bien.
Si tu ne passes pas ton premier examen de droit en juillet, je ne vois pas que tu puisses le passer en septembre, puisque tu seras soldat alors ! Si tu peux faire ton service à Toulouse ou à Bordeaux rien n'est perdu.
Les photos ne sont pas encore prêtes, c'est toujours pour samedi et il y aura bientôt un mois (je me suis dérangée, le coiffeur vient de venir).
Comment trouves-tu Germain Descossy ? Je crois que le collège de Perpignan l’avait un peu gâté, sa mère n'avait pas témoignée de craintes. Avait-il réussi en octobre ? A quoi le destine-t-on ? T'a-t-on fait connaître ce jeune homme de Palau qui prépare sa licence de lettres ? Le jeune Clacer qui est surnuméraire des douanes, n'est-il pas à Montpellier ? C'est un neveu des Coll-Berry. As-tu vu la directrice (dans ta dernière lettre tu remercies des annales et tu passes le mandat sous silence…)
Je ne te raconte pas notre vie, tu la connais, mais non, tu ne la vois pas cette vie où tu n'es pas. Rien n'en relève plus la monotonie. Les repas sont vites expédiés. François mène le défilé tous les jours. Je n'ai même pas rencontré une seule fois ton camarade. Ils doivent attendre au moins deux mois le résultat de leurs examens. Ici, rien de sensationnel, la poste marche vite, on fait le grand perron d’entrée. Le réseau téléphonique sera souterrain, on y travaille et cela va très vite. On pave la place. Comme clan, le maire et ses adjoints ont donné leur démission. Ils étaient divisés avec les socios rien ne marchait.
As-tu envoyé une carte à Onzain, et une autre aux Moy ??
J'ai des engelures… c'est dire qu'il ne fait pas chaud, et à Montpellier ?
Tu nous raconteras avec force détails ton entrevue avec Frédéric. Je te laisse mon cher petit, nous allons comme Esaü manger un plat de lentilles sans toutefois les aimer comme lui.
N'oublie pas ta prière, tu seras en communion avec nous ainsi qui prions tant pour toi. Sois toujours digne, quand te voyant on se dise : voilà un jeune homme bien élevé et on l’estimera.
Un millier de baisers bien tendres de chacun de nous.
Ta maman bien dévouée
comme mon oncle me l’avait dit, mais je passais outre. C'est elle qui m'a reconnu grâce à la photo. Janine n'est pas jolie. Elle est bien portant sans l’être. C'est une enfant sans résistance physique. Elle m'a paru assez mal élevée. Mon oncle va bien, son accident sera sans gravité. Mais il y a pire, je ne sais si vous le savez, je l’ai appris de la bouche de ma tante. Valentin a failli être foudroyé avec ses hommes. Je crois que ma tante m'a dit que quarante avaient péri. Il était avec eux, n'étant pas atteint, il a eu le courage d’en sauver deux grâce à une grande présence d’esprit. Il a provoqué chez eux la respiration artificielle par traction rythmée de la langue. Il a été cité au rapport. C'est joli, c'est un bon soldat, un bon chef. Mon oncle Coderch sera content.
mercredi. Il fait un peu moins chaud, c'est peut-être une illusion.
Je suis allé « transvaser » M. Daures. Nous sommes très copains, il se rapproche un peu de chez moi. C'est curieux, à la direction non ne me rappelle pas, c'est aujourd’hui le 1er juillet, cela fait deux mois que je suis détaché.
Il est 7 heures, je vais souper. Je suis allé chez les Descossy, je croyais que Germain avait subi des épreuves aujourd’hui et j'allais voir. Ils vous envoient le bonjour. C'est curieux comme M. Descossy est un ours et Mme Descossy est très aimable.
Mille et mille gros baisers pour vous trois.
Prosper
19 mai 1914, mardi soir avant souper
Mon cher petit enfant
Je t'envoie la photo non collée, tu es très bien, tu es très naturel, en un mot nous trouvons ces photos réussies. Cela nous fait plaisir, tu es ainsi un peu présent à nos repas car nous t'avons juché sur la cheminée et en mangeant, nous te regardons.
Nous attendons une longue lettre de toi relatant l’entretien que tu as eu avec Frédéric. Je crains que ces longues randonnées à bicyclette ne te fatiguent trop.
As-tu pris quelque chose de chaud avant ton départ le matin à 5h ? Tu vois qu'il est urgent d’avoir un petit réchaud à alcool pour pouvoir le soir te préparer du café pour le lendemain. Tu ne peux exiger qu'on te donne ton petit-déjeuner prêt à 5 heure du matin. Puis au bout de ta course, il te fallait avoir du pain et du chocolat ou du saucisson ? As-tu mangé ce que tu as emporté ? Manges-tu bien au restaurant ? Que te donne-t-on ? Tu parles de ce déjeuner qui est copieux, dis-tu, et préparé en une heure et tu ajoutes qu'en dis-tu maman. C'est comme si tu disais : fais né tant je potte…
Mon petit enfant, si c'étaient des œufs et de côtelettes et hors d’œuvre cela pourrait être prêt en un ¼ d’heure. Tu oublies de nous dire si ton contrôleur est bienveillant. Evite avec tes camarades une trop grande familiarité de langage et de manière, reste le jeune homme de bonne compagnie que tu es, on appréciera cela. Je t'assure et en bien des cas te vaudra de tes chefs une majoration de tes notes.
As-tu reçu une réponse du recrutement de Tour ? Après tes courses à bicyclette évite de te mettre en un endroit frais, mets-toi au contraire au soleil pour sécher ta transpiration, ayant bien entendu un chapeau sur la tête.
Je t'envoie pour te distraire un chef d’œuvre littéraire de Pierre le fermier. Ton père dit qu'il a dû recevoir un coup de soleil. Moly écrit aussi une lettre presque insolente disant que Bître fait paître sur son bien. Qu'il aille promener, nous ne répondrons pas.
J'avais bien des choses à te dire mais elles ne viennent pas à ma mémoire, elles feront le sujet d’une autre lettre. Réponds bien à toutes les questions que nous te posons.
N'oublie pas cher petit d’aller à la messe jeudi, c’est-à-dire après demain. C'est l’Ascension, lis l’Evangile de ce jour. Tu recevras une lettre demain à 4 ou 5 heures du soir, dis-nous à quelle heure tu la reçois d’habitude. La chaleur est arrivée tout d’un coup. J'ai acheté des chemises de nuit, je te les enverrai avec celle de jour et ton pantalon en coutil vert.
Mille tendres baisers de nous 3.
Ta maman bien dévouée.
3 juin, 10h du soir
Mon cher fils
Nous recevons ta longue lettre nous narrant les péripéties de ton dernier déplacement, elles sont nombreuses et drôles. Pour celles relatives aux bestioles, je n'aurais rien écrasé à ta place : je les aurais recueillies dans un carnet et le lendemain, je l’aurais présenté, le carnet, au propriétaire en lui demandant s'il est permis de donner une chambre aussi sale. Tu dis que tu as essayé de te préserver en t'habillant de ton imperméable. Vérifie toutes les coutures de ce vêtement, afin que ces bestioles n'aient pas fait un voyage dans la grande ville, à l’œil, planquées dans ton manteau : tu les aurais comme sous-locataire,… et sans payer.
Nous trouvons que tu nous demandes beaucoup d’argent. Essayons de récapituler, afin de savoir s'il n'y a pas d’erreurs et si tu as remis exactement l’argent lorsque tu as fait des payements. Les dépenses, je les compterai naturellement approximativement en me rappelant celles que tu nous as signalées. Tu es loin de nous depuis environ 40 Jour. Serre bien ton argent, ne le porte pas tout sur toi.
Il devrait te rester 53 Fr. et il te reste 40 Fr. après que tu auras payé au 31 mai pension et chambre. Etudie mon compte, il y a donc un écart de 13 Fr. Je l’admets, mais tu dois t'arranger avec 150 Fr. au maximum par mois, si nous payons en sus les dépenses imprévues et indispensables comme déplacements et habillement, alors l’hôtel ne te déduit les repas que si tu manques 3 jours ! Songe que les jeunes commis de chez moi n'ont que 1 600 Fr. par an et qu'avec cette somme, ils doivent parer à tout, à toi, je te fais 1 800 Fr. ; il faut t'arranger pour payer avec quelques petites choses. Il faut que tu t'inculques mon principe que tout le monde devrait avoir : « ne jamais dépenser tout ce que l’on gagne ».
Ta question militaire est-elle réglée. Prépare le brevet militaire. Nous allons comme d’habitude. Nous t'avions prévenu, combien de fois, qu'en dehors de chez nous tout ne serait pas rose. Sois prévoyant et garçon de décision. Occupe-toi très consciencieusement de ton métier et de ce que tu veux entreprendre. Règle bien ta conduite suivant nos préceptes et partage toi la besogne.
R. de nouveau à Saumur, il fait assez beau, l’hôtel des postes s'achève un peu plus vite, on dirait le rond-point qui doit contenir la statue de P. Thouars est déjà entouré des pierres de taille. On n'a pas pu élire la municipalité, on sera donc obligé d’élire un nouveau Conseil Municipal.
Veille sur ta sante et nous t'embrassons comme nous t'aimons.
Ton père
François
Bien chers parents
Lundi : je suis allé aujourd’hui chez mon nouveau contrôleur, M. Gerimard. Nous nous entendons, certes, mais je ne crois pas que nous ne soyons jamais ensemble comme nous étions M. Daures et moi. Il a l’air plus fort que Daures. Il est froid, ne parlant guère que du service. Je ne sais pas si c'est l’impression première et si par la suite sa manière d’agir avec moi variera. Il a été très chic en ce qu'il a pris soin de me demander le genre de travail que j'avais fait avec M. Daures et qu'il m'a donné après cela à faire des matières de patentes puis à analyser des réclamations, choses que je n'avais pas encore faites et qui me seront très utiles par la suite. Il ne faut pas en effet que je travaille toujours sur la même chose. Le métier, qui me plait toujours énormément est complexe. Des contrôleurs déjà très expérimentés comme M. Daures ou Gerimard sont loin d’en connaître encore à fond toutes les ficelles. De nombreuses questions les embarrassent encore. Cela provient de ce qu'il ne faut point appliquer aveuglément les textes de lois. Du reste, tous les cas ne sont pas prévus. Il y a toujours une grande marge, surtout en matière de Patentes ou le contrôleur peut donner libre cours à son initiative. Qu'elle différence avec les contributions indirectes ou même l’enregistrement. Dans celles-ci, en effet, où il n'y a guère que des tarifs spécifiques, le fonctionnaire fait un travail machinal, ainsi, il a, connaissant qu'il est entré dans une ville de son ressort tant de poudre ou d’alcool ou de… ou de sucre.
Immédiatement, il saisit son tarif, la poudre paie tant par 100 gr. l’alcool tant par hectolitre, le sucre par kilos. Il fait une multiplication est tout est fait. Pour l’enregistrement, la chose est presque semblable, les droits se calculent à tant pour 100 presque aussi machinalement.
Mardi : Je passe toute la journée chez Gérimard. Il a un gentil cabinet de travail où l’on se sent à l’aise. Il y a des bibelots, des tableaux qu'il a peints lui-même et tout cela en masse mais disposé avec goût si bien que la paperasse administrative est cachée et n'apparait qu'aux moments nécessaires. Son cabinet me fait penser à celui que le caporal Barnedes devra me tailler dans les chênes de la Coste. Je rêve d’un joli cabinet pour quand il faudra que je reçoive les contribuables, puisque l’impôt sur le revenu est voté ou le sera dans quelques jours et qu'avec cette nouvelle législation, le contrôleur aura plus de contacts avec les imposables. Il ne faudra pas qu'il découvre le contrôleur dans une antre obscure et poussiéreuse mais dans un lieu agréable où il puisse avaler la pilule (sic) le plus agréablement possible, si vous croyez après cela que je ne fasse pas un bon fonctionnaire bien fiscal.
Demain, je pars en tournée à Mèze le chef-lieu du nouveau contrôle où je suis détaché. Il y aura du travail pour deux jours, cela va encore faire des dépenses.
Jeudi soir : Ouf, deux journées de tournées. Il y avait du travail à Mèze. Des réclamations en masse, des mutations comme je n'en n'avais jamais vu. J'ai passé toute la journée d’hier à en vérifier. Aujourd’hui dans la matinée, nous sommes allés instruire au domicile même des réclamants les réclamations pour lesquelles les répartiteurs ne nous avaient pas donné des tuyaux suffisants. C'est la première fois que j'entrais directement en contact avec les contribuables et cela dans leurs demeures même. Je n'aime pas bien ça. Je préfère opérer à l’aide de renseignements. On peut en obtenir autant de façon soit auprès des administrateurs soit auprès des autorités constituées.
Vendredi : J'ai reçu les annales hier soir. Je trouve qu'elles ont mis beaucoup de temps pour arriver jusqu'ici. Est-ce que vous les avez envoyés plus tard que de coutume. Elles sont bien intéressantes. Le roman qui s'y termine a été bien soutenu jusqu'au bout et il s'achève conformément à la réalité. A la dernière distribution d’hier soir sept heures j'ai reçu votre lettre. Je l’ai lue tout en allant au restaurant. Comme c'est triste ces morts d’aviateurs. Ces gens sont trop téméraires. Les saumurois ont de l’être très affligés par cet accident, surtout que leur conduite de la vaille avait pour ainsi dire forcé Legagneux à voler. A l’heure actuelle, où l’Allemagne fait d’énormes progrès en aviateurs, la perte d’un homme compétent et audacieux comme Legagneux est d’une grande importance et très sensible vu le nombre encore restreint de nos hommes oiseaux.
Georges Legagneux
Né le 24 décembre 1882 à Puteaux et mort le 6 juillet 1914 à Saumur, est un pionnier français de l’aviation. Source Wikipedia.
Tous les étudiants quittent Montpellier après les fêtes du 14 juillet. Il ne restera plus personne. La chaleur est très pénible ici, le soleil vous brule avec une rage sans égale. Tout le monde suit l’ombre. C'est curieux dans les rues populeuses, le trottoir au soleil est vide tandis que sur celui qui est à l’ombre l’on se presse et se bouscule.
Vendredi soir : Je rentre, même la nuit, il ne fait pas le moindre souffle. Je quitte la famille Descossy. Ils ne savent encore rien du résultat de l’écrit. Maintenant que le résultat approche, ils ont tous la frousse, cela à cause de ce fameux problème de math que personne n'a fait et qui épouvante tous les candidats.
Je vais faire partir ma lettre ce soir. Je n'ai pas le temps de vous envoyer la liste de mes dépenses. J'ai eu des frais imprévus depuis le premier. D’abord, ma montre que j'ai cassée en tournée à Saint-Martin. 4 Fr. pour le domestique de la maison. Je l’avais oubliée le mois dernier et elle faisait la tête parait-il. C'est le propriétaire qui m'a passé ce désagréable tuyau en plus de cela, il m'a fallu acheter un bouquin sur l’impôt sur le revenu, coût 3 Fr. J'ai aussi eu les frais de la tournée à Mèze, voyage 5 FR. 25, deux repas à 2 Fr. 40 et une chambre à 2 Fr. Jeudi un repas à 2.50.
Je vous embrasse bien fort à tous les trois
Prosper
Saumur, dimanche 7 juin 1914, au soir
Mon cher enfant
Tu trouveras que dans ma dernière lettre je t'avais tant grondé. Et tu avais l’air de dire que tu étais si malheureux. D’abord, je ne t'ai point grondé pour te dire que tu avais dû être ridicule avec un chapeau claque et une jaquette, cela se porte dis-tu, tant mieux, car comme cela tu n'auras pas été ridicule et cela me faisait trop de peine, mais avoue qu'on n'en voit pas souvent, puis tu disais que tu avais acheté pour la circonstance des gants beurre frais, cela veut dire blancs crémés. Maintenant, tu dis qu'ils étaient jaune foncé, c'est autre chose.
Tu dis que lorsque dans une lettre tu avais parlé d’acheter un claque, nous pas répondu. Sachant que tu n'avais pas de redingote pour le mettre, je me demandais pourquoi tu disais cela et je n'aurais pas cru que tu donnerais suite à ce dessin.
Pour remplacer le chapeau de feutre que tu as si malencontreusement abimé, je crois, vu la saisons où nous sommes qu'il vaudrait mieux acheter un canotier en paille, cela se porte très bien et avec 3 Fr. à 3 Fr. 10 tu aurais un chapeau qui ne serait pas à dédaigner et qui t'irait très bien pour tes tournées à la fin de l’été pour un mois avant le régiment, tu auras ta cape noire.
L’argent vile si vite, tu n'en parais pas ému du tout. Je recule devant la dépense d’une ombrelle et de bien d’autres choses utiles, j'additionne tout ce que nous dépensons pour nous : cela a fait pour le mois de mai 250 Fr. Cela fait donc en tout près de 700 Fr. en un mois.
Nous nous sommes d’autre part munis de pain, chocolat, croissants et nous nous restaurons en parlant de toi, toujours de toi, mon chéri. Tu concentres toutes nos affections. Je conçois que tu as beaucoup de travail et pourtant maintenant, le plus pressé serait le B.M. et le droit pour peu que tu aurais préparé quelque chose, avec tante Coderch, elle nous trouvera, m'a-t-elle dit une protection par les anciens amis de ton oncle, vois ce que tu pourrais faire.
En novembre, tu seras soldat et il te sera impossible de te présenter à cette session.
Tes lettres sont gentilles, continue à nous tout dire, tout ce que tu fais.
Récite la prière à l’Esprit-Saint tous les jours. Je la dis avec toi et pour toi, soit un homme et un vrai, dans toute l’acception du mot, soit conscient de ta dignité en ne te dégradant jamais, ni en pensée ni en action:
Mille tendres baisers de nous trois. Ta maman bien dévouée.
Thérèse Tailleur
Tu me disais que je t'ennuie avec ces comptes ; hélas, tant que nous ne serons pas plus riches, il faudra compter et nous le serons bien moins l’année prochaine. Alors faisons tout notre possible pour être très économes.
Ta lettre ne dis jamais si tu te portes bien. Change bien ton tricot quand tu te sens en moiteur. Demain, je te ferais un colis contenant deux tricots filets, deux chemises de nuit et le pantalon vert pour aller à bicyclette. Je n'y mettrais pas de jambon puisque tu crois qu'il ne serait pas assez bien gardé dans ta chambre. Je crains que tu ne manges pas assez de pain le matin.
Le soir, tu ne dois plus gouter ? Ta lettre aux P… nous a fort égayés, mais pauvre petit, tu devais être moulu le lendemain. Nous avons passé une nuit semblable à Alger. Tu n'avais pas 3 ans, j'ai passé la nuit à t'enlever les bestioles qui te courraient dessus et t'auraient réveillé. Je crains que tu n'en ais apporté dans tes effets à Montpellier? Est-ce propre au moins où tu loges à Montpellier ? Tu n'as pas répondu à nombre de questions de ma dernière lettre ou avant dernière.
Il fait froid, aussi notre promenade s'en est trouvée très courte, nous sommes rentrés vite pour prendre une c…, nous étions gelés, en juin !
Le 8 juin
J'ai laissé hier pour souper ma lettre inachevée et après, je suis paresseuse pour m'y remettre. Papa te fait demander si tu bois du vin et te recommande surtout de ne pas prendre d’alcool, un peu de bière seulement quand tu es obligé avec les autres de prendre quelque chose.
Lis-tu les annales ? Le roman est fort spirituel, c'est notre distraction du dimanche ; nous les achetons en partant à la promenade et variant dans les endroits que tu connais, la dernière fois, c'était au petit puis après le pont de fer sur le bord de la Loire, là où tu allais pêcher. Nous cherchons un abri et je fais la lecture des annales en commençant par le roman.
Saumur, le 9 juin 1912
Mon cher petit,
Nous revenons de la promenade harassés, et quelle promenade. Nous avons voulu voir le champs d’aviation ou doivent venir atterrir plus de 30 aéroplanes de toutes formes, dimanche et lundi prochain.
Ce champ, ou ce près plutôt, est immense, entre la Loire et le Thouet, plus bas de Saint-Florent. Les voitures iront par la route qui passer derrière les manèges de l’école et aboutit au champs qu'est un de course en temps ordinaire et qui ne va pas plus loin et les piétons iront par la rue de l’Ecole, passeront le pont de Thonet, Saint-Florent, et repasseront le Thouet sur un pont de guerre que va construire le génie. pour ces deux jours.
Pour nous qui avions pris la route des voitures et voulions revenir par Saint-Florent, nous étions à regarder couler le Thouet quand d’une barque on nous a fait signe. C'était un de nos mécaniciens qui se promenait dans sa barque et qui s'est trouvé là juste à point pour passer. Cette rivière n'est pas guéable à cet endroit, elle a 7 mètres de fond. Le temps pluvieux le matin s'est maintenu sec l’après-midi. Il a dû en être la même chose à Fontenay et t'aura permis une promenade.
Sois très prudent avec la bicyclette et ne pas loin.
Ta lettre, toujours sur un ton lamentable nous est parvenue vendredi.
Tu travailles, dis-tu, avec l’énergie du désespoir. Pourquoi ce mot ? Il ne me plait pas ; cela dénote un état d’esprit flottant à tous vents où plutôt influencé par des températures diverses.
Mets-toi au beau fixe et reste-y. Travaille avec énergie, oui, mais sans qualifier ce mot, il en dit assez par lui-même.
Ne te gave pas l’esprit, cela ne servirait de rien qu'à te fatiguer. Montres que tu es raisonnable en tout.
Mets-toi dans l’esprit que tu seras reçu et vas-y bravement comme un soldat à la bataille. Il se dit qu'il reviendra vainqueur et il n'en faut pas davantage pour faire gagner. Prie la Sainte Vierge, veille sur toi.
Nous allons souper, j'ai voulu t'écrire avant car après je n'aurais pas eu le courage. Je suis si lasse. Mille tendres baisers de nous 3.
Ta maman.
Thérèse Tailleur
16 juin 1914
Mon cher fils
Tu as du recevoir ce soir, 16, une lettre partie hier soi. Tu trouveras encore cent francs. Nous avons choisi vraiment une carrière bien coûteuse. Comment font les parents qui n'ont pas de fortes avances ? Comme ta mère te le recommande, sache bien de la bouche du secrétaire de la Faculté ce qui se passera pour les inscriptions : qu'aucun de ces versements ne soit perdu. Veille à tes comptes, nourris-toi bien, mais ne fais ensuite aucune dépense déraisonnable. Suis notre exemple et nos préceptes. Nous trouvons M. Casamajor bien. Prends-le comme une personne de bon conseil. Ah ! tu as rencontré Frédéric ? Le métier d’artilleur est le plus fatiguant de l’armée. Ton cousin Cabanat, qui est pourtant gradé, le dit aussi.
Je te recommande instamment surtout pour la carrière que tu as choisie de t'appliquer à faire les chiffres et portes les noms des contribuables clairement bien formés suivant l’orthographe et tous les prénoms dans l’ordre. Attention à tes erreurs : je lis allé et retour pour aller et retour et d’autres.
Tu nous parleras de ton arpentage, entoure-toi de toutes les indications, des manières de procéder. Saisis bien tout ce que tu fais et exécute-le rapidement, vite et bien. Nous allons comme toujours, pensant à toi. Tu ne nous demandes pas de nos nouvelles à chacune de tes lettres.
Il fait assez beau ici : les beaux jours alternent avec la pluie. Voyons si vers la fin du mois tu pourras être plus tranquille. Sache bien te repartir la besogne avec le plus de fruit possible.
Nous t'embrassons comme nous t'aimons. Donne pour nous le bonjour à la famille Descossy.
Ton père,
Ps : Est-ce que tu es tenu de faire toutes les tournées avec le contrôleur, même les plus éloignées, au point de vue des dépenses ?
Saumur, le 23 juin 1914,
Mon cher neveu
Enfin ! Vas-tu t'écrier en voyant mon écriture. Ma tante se décide à me donner signe de vie. Penses-tu que je t'oublier ? Je ne crois pas trop m'avancer en te disant que tu es le seul objet de mes pensées. En compagnie de ta mère et de papa, nous t'escortons souvent dans tes déplacements et nous anticipons toujours au sujet des nouvelles que nous apportera ta prochaine lettre. Je vois avec plaisir combien facilement tu t'es acclimaté à ta nouvelle existence. Si le surn
Mon chéri,
je n'en mettrais pas long aujourd’hui seulement mettre beaucoup de baisers pour te souhaiter ta fête qui tombe aujourd’hui, mais comme nous te savons absent de Montpellier jusqu'à samedi, nous ne sommes pas pressés de l’envoyer notre lettre, plus tôt quand tu dois aller en tournée pour plusieurs jours, ai soin d’emporter aussi un tricot filet avec ta chemise, s'il fait si chaud. Tu dois être en nage après une course à bicyclette et il ne faut pas rester avec du linge mouillé ; ces tricots tiennent peu de place pour les emporter.
Maintenant un petit reproche, pourquoi en réponse à la lettre de ton père qui se plaignait du peu d’affection de ta lettre, dis-tu : c'est méchant de croire que je ne pense pas à vous.
Pourquoi Mérarial occasionnait moins de frais, ce serait vraiment délicieux ; toutes ces promenades dans les communes environnantes ne peuvent que t'être salutaires à tout point de vue.
Ta longue lettre nous est parvenue ce matin et vraiment ce brevet d’aptitude militaire te cause bien des ennuis ; tu disposais de trop peu de loisirs pour ta préparation ; il faut se laisser guider par les événements et peut être auras-tu la chance d’être incorporé dans un bon régiment.
A l’instant ou je t'écris (9h du soir) tu passes l’inspection de ta chambre de rencontre ; je fais des vœux pour que tu ne sois pas visité par un essaim de bestioles répugnantes et malfaisantes. Après une journée aussi active ce serait malchanceux que tu ne puisses dormir les poings fermés aussi mon chéri vais-je te souhaiter une excellente nuit.
Je vais en profiter pour joindre à ma lettre tous mes meilleurs vœux de bonne et très bonne fête. Je demanderai à Dieu par l’intercession de ton saint patron qu'il ne cesse de te protéger. Tous nos plus chers désirs seront exaucés si tu te montres toujours bon chrétien, bon fonctionnaire et bon soldat et par-dessus tout le fils respectueux entre tous.
Puis-je avant de clôturer ces quelques lignes te soumettre quelques recommandations au sujet de tes étourderies : tu écris toujours le mot embêtant avec deux t et tu sais parfaitement que quand deux verbes se suivent, le dernier est toujours à l’infinitif, il faut vouloir à tout prix acquérir une orthographe irréprochable.
Ta tante a si drôlement pris son papier pour t'écrire que tu ne t'y retrouveras pas.
Jusqu'à hier encore il faisait presque frais, aujourd’hui il fait franchement beau.
Les futurs bacheliers ont de la peine, on ne se sent pas d’aise de penser que tu es hors de ces tracas. J'ai vu M. Gourdier à la bibliothèque, il demande toujours de tes nouvelles et nous a prié de t'envoyer ses amitiés.
Ils sont 8 qui se présentent anciens et nouveaux selon lui. Demasière aura une mention, bonne chance à tous.
Je te laisse avec encore mille baisers de ton père et de moi.
Ta maman
Thérèse Tailleur
N'as-tu pas fait l’acquisition d’un dictionnaire ? Consulte-le souvent et avant d’expédier ta lettre assure-toi qu'aucune malencontreuse faute ne vienne amoindrir le charme de ta prose. (Mercredi soir 8h) Nous venons de diner : nous avions un potage julienne avec du fromage et un bifteck. Es-tu réconcilié avec tous les légumes ? Fais-tu une garniture au bord de ton assiette ? Gare ! Quand tu seras pious. Comment vas-tu faire pour t'habituer à la cuisine de la caserne. Nous n'osons y songer.
A bientôt la récréation d’une très longue causerie ; nous sommes insatiables. Tes moindres faits et gestes nous intéressent et font l’objet de nos causeries quotidiennes.
Nous escomptons déjà la joie que nous éprouverons ce mot : méchant ? Il nous a fait de la peine. Pourquoi ne pas nous dire dans tes lettres les occasions, les moments où tu regretterais la maison. Ceci est un reproche affectueux. Le cœur vit d’affection comme l’estomac de nourriture, l’un et l’autre se dessécheront si on ne les alimente pas.
Bonne maman me demande à quel moment tu iras la voir, je crois qu'elle engraisse une basse-cour pour te recevoir.
Mon frère désire que tu ailles le voir en passant à Perpignan, il m'a parlé d’une quantité de poulets qu'on doit aussi étrangler en ton honneur. Je suis tranquille de ce côté-là des Pyrénées tu ne prendras pas tes 9 kg.
Parle nous encore de Fred. Comment le juges-tu ? Dis-nous très franchement ce que tu penses de lui.
J'avais envoyé ta photo à sa mère, elle m'a répondu et nous fait un très grand éloge de son fils, il est si tendre, si affectueux nous dit-elle que c'est toujours le même chagrin pour se quitter après ses congés.
Saumur, le 2 juillet 1914
Mon cher enfant,
Nous sommes dans une inquiétude extrême à ton sujet. Nous voici à jeudi soir et nous n'avons pas reçu ta lettre habituelle. Il y aura demain vendredi 8 jours, nous avons reçu une petite carte lettre, mais nous pensions que malgré cela nous aurions ton journal hebdomadaire.
Ton père lui-même n'y tient plus, il t'a envoyé ce matin une dépêche. Si vraiment tu n'es pas malade, cette dépêche ne te parviendra que ce soir en allant te coucher et tu ne pourras peut être pas y répondre, quoique le télégraphe devant fonctionne à Montpellier toute la nuit et ici jusqu'à onze heures.
Mon cher petit, tu devrais prendre l’habitude d’aller à ta chambre dans la journée, même n'ayant rien à y faire dans le cas imprévu d'un dépêche à t'envoyer.
Dieu soit loué, nous recevons ta dépêche en attendant de recevoir une troisième lettre dont tu parles car pour l’instant depuis le 21 nous n'en avons reçues que deux.
Cela veut dire que tu vas bien. Il a fait si chaud pendant quelques jours que nous supposions que le Soudan s'était transporté à Montpellier. Je plaignais hier les pauvres candidats qui devaient suer sang et eau dans le frais manège de Tours. Je les avais vu partir par groupes. Nous étions heureux de penser que tu en étais quitte désormais. Tes anciens copains sont heureux, reçus tous les deux ! Lelouy en aura étonné plus d’un. La nouvelle est toute fraîche. Le fils Thibaut est enfin reçu aussi aux Postes, il n'y a que des heureux. Demasières arrive radieux du travail qu'il a fait, il aura sa mention.
Je comprends mon pauvre enfant qu'on ne peut pas courir trois lièvres à la fois et c'est ce que tu faisais. Laisse le B.M. puisqu'il est impossible. Tout cela a été trop précipité, pour le droit, fait-le à moments perdus mais tu ne peux te présenter en septembre quand bien même tu ne serais pas prêt. Il faut te figurer que le 1er mois de bleu à la caserne doit être bien rempli par tout ce qu'il y a à apprendre de son nouveau métier. Donc, pas d’examen de droit non plus pour cette année, après, tu verras.
Tante Louise m'écrit aujourd’hui et nous dit que Jean est à Onzain pour repasser les exercices de B.M. Tu sais que c'est mon oncle qui s'occupe des jeunes gens. Jean a été aussi surpris par la date si proche de cet examen qui a lieu à Blois le 6 courant. Il parait qu'il faut avoir 700 points. Ne t'inquiète pas, tu peux être vite caporal ou brigadier quand même en entrant aussitôt dans le peloton d’instruction.
Quand dans les événements qui nous arrivent il n'y a pas de tort de notre part, laissons faire, Dieu dirige tout. Laissons-nous conduire, rien n'arrive de sa volonté qui ne soit pas utile. Que rien ne l’offense en toi et marche allégrement.
Tu trouveras dans cette lettre un mandat de 140 fr. Dépenses les à pic comme on dit chez nous.
Ton oncle Emmanuel t'-a-t-il écrit pour te donner l’heure de leur passage à Montpellier ?
Le temps s'est rafraichi grâce à un bel orage, un orage honnête comme à Paris et qui n'a rien démoli. Prats a voulu singer Paris, les dégâts sont importants chez nous, il a emporté la cheminée de la cuisine.
Il me tarde de lire ta 3e lettre, pourvu qu'elle ne se soit pas égarée.
Mon petit Prosper mille tendresses de ta maman.
2 juillet, 5h ½ du soir
Nous recevons ta 3e lettre et la lisons, et la relisons à tour de rôle, on se passe les morceaux.
Quand tu auras fini ce paquet tu en achèteras du format du mien. Le passage où tu parles de l’accident où Valentin a failli périr nous a bien émotionnés !! Notre vie tient à un fil, la mort nous guette à tous les pas : vois ces gens qui à Paris ont vu le sol s'entrouvrir sous leurs pas et les engloutir ! Il faut toujours être prêt pour le grand voyage ! C'est égal, Valentin l’a vue de bien près ! Sa conduite est digne d’éloges car d’autres à sa place sous le coup de l’épouvante se seraient sauvés. Foudroyés dis-tu, est-ce que la foudre ou leurs engins qui ont explosés ?
J'ai vu cela sur le journal, le titre seulement mais je ne l’ai pas lu, cela me fait trop de peine ; je ne me doutais pas que mon neveu était parmi ceux-là.
Ton oncle Joseph viendra…
Quelle émotion pour mon père. Cette catalane que tu as vu avec ta tante, si c'était la cousine de Valentin, a un fils soldat, elle a au moins 45 ans. Elle a toujours été très aimable pour nous, elle devait venir d’Orange. Ta petite cousine n'a donc pas été aimable pour toi, ton jugement parait sévère et ta tante ? Elle doit être maigre et noire au possible.
Ta chère grand-mère désire tant te voir, il faudra que tu t'arranges vers la 1e quinzaine d’août pour lui donner une huitaine de jours. Ecris-lui une lettre affectueuse mais veille à tes fautes mon petit, il y en a autant comme que des… dans ton lit du Pouget.
Ton père avait hier sa fin de mois et n'est pas sorti de deux jours et nous la lessive.
Encore mille baisers de chacun de nous, tu en as pour une semaine.
Ta maman qui t'aime bien, Thérèse Tailleur.
Maintenant, parlons de la mine. Nous ne t'en avions pas parlé d’abord que nous n'en savons presque rien nous-mêmes n'ayant pas de plan, nous ne savons même pas où elle se trouve (envoie nous la carte de la région que tu dois avoir). Si Mr Berny t'en parle, nous lui avons donné tout pouvoir, demande à lire le contrat ainsi qu'il l’a passé s'il l’a. Par Mr Berny tu connaîtras mieux l’affaire que nous. Ces mines se trouveraient dans cette montage appelée Als Paquets d’Adalt, terrain de pâture indivis entre 36 propriétaires de Prats. Sois très prudent dans tes paroles, dans ta conversation avec la tante et sa famille, ils en veulent beaucoup. Et entraîné tu pourrais dire une parole imprudente qui serait répétée, méfie-toi des villages, ne nous faisons pas des ennemis. Rappelle-toi que nous devons y vivre parmi ces haines notre vie serait intolérable.
Tu devrais persuader à ta bonne maman qu'elle devrait venir passer ces 4 mois d'hiver ici avec nous. (Nous avons un petit minet qui est sur ma table et qui voudrait attraper ma plume). Tu la prendrais quand tu quitterais Montpellier pour venir ici au mois d'avril. Nous partirions d'ici tous ensemble, elle ne peut plus rester seule, surtout l'hiver. Essaie d'obtenir son consentement. Tout d'abord elle dira non pour ne pas avoir l'air de se dédire, mais reviens à la charge.
Quand tu monteras à La Coste qu'on te montre ce qu'il y a à faire au bassin puis tu verras Vincent le maçon pour vois à quel moment il pourra l'arranger, il faudrait que ce soit le plus tôt possible.
Ici, il fait presque froid, tous les jours il pleut et il vente de l'ouest froid. Les Payré ne sont donc pas à Prats ? Le professeur M. Gille, celui qu'à son fils idiot, n'est-il pas à Prats ? Il ne faudrait pas perdre une occasion de lui parler, il pourrait te servir pour ta licence.
Ton père à fait la demande que tu désirais auprès de M. Boissel. Il ne peut rien maintenant, il pourrait au moment de la révision. Sur son conseil, il a écrit au recrutement de Tours. Il parait qu'autrefois les corps échangeaient des conscrits, plus maintenant. Il n'y a rien à faire. On va tirer les lettres de l'alphabet au sort, les premières sorties commençaient par ces lettres et se verront envoyés tout de leur résidence, c’est-à-dire celle de leurs parents. Pour nous, cela n'a aucune importance puisque nous ne resterons pas ici. Pour le régiment, ton père croit que tu es affecté à la cavalerie, le recrutement est resté muet sur cette question que ton père avait posée.
Tu nous décris une promenade qui demanderait un jour ½ pour la faire et tu dis être parti à 7h et être rentré à 11h ! C'est trop mon fils, aller et venir de La Coste c'est déjà beaucoup. Je te prie de na pas te fatiguer en rentrant à Montpellier, tu serais malade, soit très raisonnable, ta vingtième année me parait moins pourvue de raison que sa devancière. Le docteur va parait-il habiter chez les Goustines, la maison doit être finie. Bonne maman est-elle en bon termes avec ces tatas épingles ?
Fais-en sorte que maman soit contente de toi : fais bien tout ce qu'elle te dit que cela te plaise ou non, tu seras récompensé mon cher petit de ta soumission.
Je te laisse non sans t'embrasser ainsi que notre chère maman plusieurs centaines de fois.
Je vais t'envoyer le pantalon, il est fini.
Encore des baisers, ta maman qui t'aime bien.
Thérèse Tailleur
Ps: un affectueux bonjour à tante et aux cousins.
Jeudi quelqu'un s'est jeté dans la Loire, nous étions encore habillés, nous ressortons et nous entendons qu'on dit : il est noyé ; c'était Legagneur ? Mais c'était loin après le confluent des deux bras du pont, on voyait les barques qu'avaient couru pour lui porter secours, mais on ne distinguait rien, même avec une jumelle. C'était noir de monde. Je t'envoie une coupure de journal qui relate l’accident. On l’a enterré aujourd’hui à 10h.
Tous les magasins ont ferme sur le passage du cortège et les drapeaux étaient en berne. Son père et sa mère sont venus, pauvre gens ! Leur fils les a couvert de gloire mais que cela leur fait-il après sa perte !
Les funérailles étaient religieuses, les Legagneur étaient croyants ; mais il a tenté Dieu par son extrême témérité il l’a payé de sa vie à 22 ans !
Je m'arrête, il est 10 heures et je veux que ma lettre parte ce soir. Je joins une carte de Jean F…, il est reçu à l’examen de droit, quand tu lui répondras, dis-lui s'il n'y a pas de papier à lettre en Algérie que tu lui en enverras.
Encore mille baisers de nous trois, ta maman bien dévouée.
Thérèse Tailleur
Saumur, le 8 juillet 1914
Mon cher petit enfant
Nous t'envoyons pour fêter tes 20 ans tous nos plus tendres baisers, car tu auras 20 ans demain, juste à l’heure où cette lettre te parviendra. Te voilà un homme à présent, sois-le dans toute l’acception du mot, que l’apparence même du mal te fasse horreur. Ce que tu as fait de bien, fais le mieux encore, vise toujours plus haut, le mal rampe, soit chaste et courageux, 20 ans ! songes tous ce qui ces années représentent de sollicitude de ton père et de ta mère envers toi que nous aimions tant, en retour, aime-nous bien fort, aime les mains de Dieu.
Comme nous voudrions te voir, ne serait-ce qu'un jour, mais cela ne sera pas possible qu'avant ton départ pour le régiment, il faudrait cependant que tu puisses avoir au moins 15 à 20 heures à ce moment. Tant mieux que ta chambre soit plus spacieuse. Ses derniers habitants n'étaient pas malades aux moins ? Les avais-tu vus ? Tu as du prendre contact avec ton nouveau contrôleur, s'il est âgé il sera plus froid avec toi que l’autre. Toi, sois toujours simple et empressé de bien faire pour que ses notes te soient favorables. Sûrement ils doivent envoyer à la direction une appréciation sur le…
Tu devrais voir aussi F., il vient bien souvent à Montpellier. Je comprends mon cher petit ton émotion en recevant notre dépêche et je regrette la peine que nous t'avons donnée, mais tes lettres vois-tu sont l’aliment de notre vie. Ne dis pas que tu as eu tort de nous habituer à tes longues lettres, ce serait que tu regrettes de nous avoir fait plaisir.
Bonne maman m'a écrit aujourd’hui, elle commence à trouver le temps long toute seule, je le comprends sans peine, elle ne peut causer à cœur ouvert avec personne, pas même en nous écrivant puisque sa lettre est faite par un tiers. Vois si j'avais besoin de quelqu'un pour t'écrire que serait mes lettres.
Elle voudrait que j'aille la voir quelques jours, quand tu pourras y aller toi-même, je suis fort en peine.
Tu as su par les journaux comment se pauvre Legagneur est venu se faire tuer à Saumur. Le dimanche, il avait plu à torrent toute la soirée, impossible de voler. La foule néanmoins ne doutant de rien était allée au Bray. Furieux parce que Legagneur ne voulait pas voler sous la pluie. Le lundi matin, le ronron du moteur au-dessus de la maison nous fait sortir aux fenêtres. L’avion survolait la ville, le temps était clair. Il était 4 heures, nous étions sorties un peu puis rentrées. De la fenêtre, je vois le pont qui était noir de monde.
Saumur, le 15 juillet 1914
Mon bien cher enfant,
Je réponds de suite à ta lettre, je ne vois pas pourquoi tu gardes si précieusement ton complet jaquette. Tu sais que le drap n'était pas ce que nous attendions, alors autant le mettre que le garder pour acheter un autre costume en drap aussi et avoir ensuite des effets à craindre de le voir mangé par les mites pendant que tu seras soldat. Mets donc ton complet jaquette tous les dimanche, ton marron pour les jours ou tu restes à Montpellier. Les autres, mon chéri, tu les as bien vite gâchés. Il fallait demander à ta propriétaire l’adresse de leur tailleur et faire repriser les avaries arrivées à ton veston bleu, le tailleur aurait fait faire cela aussi invisible que possible et tu l'aurais remis pour tes tournées.
Tu as tout fait marcher ensemble et tout doit être passé en même temps.
Si tu as des pantalons troués, il faut en faire un colis ainsi que des chaussettes et chemises qui laisserait à désirer et nous envoyer le tout.
Quand je parlais de te faire faire un pantalon de coutil, c'était simplement pour avoir plus frais aux jambes. Mais devant partir au régiment les premiers jours d’octobre, il n'est pas nécessaire à notre avis d’augmenter ta garde-robe, sans cela j'aurais fait faire comme tu désirais un pantalon à petits carreaux et le veston à ton idée.
Pourquoi es-tu fâché contre Jean d’Antrechaus, il ne sait pas écrire, il u en a beaucoup qui sont ainsi et cependant il est bachelier es lettres… envoie lui ta carte avec quelques mots et demande-lui où il compte faire son service militaire.
Pour ton désir d’entrer dans la cavalerie, si tu y tiens, fais-le mais pour moi, mon chéri, je crains trop les chevaux et tu sais que j'ai des raisons pour cela. Ton père est aussi de mon avis, il verra quand même le capitaine Boissel. Je crains que s'il avait pu faire quelque chose au moment de la révision il ne soit maintenant déjà trop tard. J'aurais préféré te voir plutôt fantassin qu'artilleur, même à cheval.
Saumur est en pleine foire. On décore de fleurs et d’ampoules comme l’an passé. Les chevaux arrivent, ils passent enveloppés de triples couvertures.
Hier la ville était en liesse, on fêtait moins le 14 juillet que la victoire des libéraux aux élections. Ils arrivent 16 contre 11 radicaux au conseil, les socios sont restés à plat; sur 5 pas un n'a survécu, à peine de voix, ils n'en reviennent pas. Le docteur Patou s'est reporté, ils sont 5 docteurs au conseil, on peut s'y trouver indisposé, on sera soigné ; et le docteur Gandar en est, son fils est admissible. Au collète tous étaient admissible, Demasière est reçu tout à fait, je ne connais pas les autres. Saint Louis en avait aussi beaucoup. M. Gourdier se plaignait que pas un élève n'avait daigné dire au professeur : « M. j'ai le plaisir de vous annoncer que je suis admissible » Je lui ai répondu, j'espère que mon fils n'a pas été ainsi. Oh non m'a-t-il répondu. M. Mearilles manque tant de politesse qu'il porte les autres à en manquer aussi. Nous l’évitons tant que nous pouvons. Il peut craindre un peu pour les 200 que le conseil lui avait octroyé, il n'aura pas je crains à signer un nouveau reçu.
Saumur, le 27 juillet 1914, matin
Mon cher enfant
Nous attendions ta lettre, je suis descendue la chercher moi-même au bureau, ton père étant couché encore à 8 heures pour reprendre un peu sur sa nuit qui a été jusqu'à 3 heures du matin passé au bureau où les dépêches chiffrées n'ont cessé de passer à cause de la menace de guerre que l’Autriche, poussée par l’Allemagne a suspendue sur nous. Il va y avoir conflagration générale. Tout cela nous rend bien triste, cette nouvelle guerre au moment où tu dois être soldat.
Nous avions grande hâte de savoir des nouvelles de Prats.
Voilà qu'à mon grand regret je vais être obligée de te gronder encore. Mon grand garçon oublie de se conduire et d’agir avec sagesse.
D’abord la question du docteur : tu as manqué de diplomatie en n'entrant pas chez lui, faisant semblant d’ignorer la tension qu'il y avait, et tu lui disais en partant que comme les années précédentes tu mettrais le bougeoir à l’endroit indiqué.
Tu ne lui avais rien dit, tu étais arrivé de la veille, il a fait semblant d’ignorer ta présence et vois ce qui en est résulté – réveillé les voisins par ton bruit et coucher à l’hôtel – un petit scandale. Tout cela pour n'avoir pas voulu rentrer poliment, gracieusement même. J'ouvre une parenthèse – règle générale, ne laisse pas deviner ce que tu penses – ne soit pas cassant avec personne même avec celles dont tu aurais à te plaindre. Crois en mon expérience, les choses s'arrangent ensuite, ne mets jamais les torts de ton coté sois conciliant, sans platitude. Tu es jeune mon chéri, tu fais comme le fils de l’empereur Guillaume, tu cases les vitres.
Je croyais plus de sagesse à mon petit. Si bonne maman sait toute cette histoire ça lui fera de la peine comme cela nous en a fait et elle le saura, tout se sait à Prats.
Pourquoi t'es-tu montré devant La Coste puisque tu ne voulais pas y rentrer. Pourquoi n'es-tu pas rentré au mas leur serrer la main. Ils ne nous doivent rien, ils paient leurs fermages, tu les traites comme des vassaux. Tu n'as pas voulu aller à eux et tu voulais qu'ils viennent à toi. Je ne te reconnais plus mon petit, soit aimable avec tout le monde mon cher enfant c'est ainsi. J'ai de la peine parce que je sais que ce sermon te fera aussi de la peine, parce qu'au fond tu es droit et tu sens que tu as tort et qu'on est bien plus en colère contre les autres quand on a tort. Ta tante raconte dans sa lettre la petite histoire de Pierre de La Coste. Il est honteux, il nous écrivait des lettres ensuite à faire croire qu'il avait perdu la raison, il ne parlait rien moins que de mourir, cela explique son attitude.
Eh bien mon cher enfant quand tu auras reçu cette lettre si le temps n'est pas mauvais, tu prendras d’ailleurs ta pèlerine qui est à Prats, et tu monteras à La Coste, tu feras comme si rien ne s'était passé. Tu cours comme un chamois sur les cimes et tu voudrais qu'on vienne te querir avec un cheval, comme un roi fainéant ! Ils ignoraient que tu étais à Prats et il ne faut pas lui en vouloir s'il n'y a pas de tort de leur coté.
Tache aussi d’entrer chez M. G. et sois aimable, songe que bonne-maman doit encore rester seule et s'il lui arrivait quelque chose… ton cœur est excellent mon chéri mais voilà il y a l’orgueil, il faut le combattre.
Saumur, le 30 juillet 1914
Mon cher enfant,
Nous avons reçu ta lettre ce soir, nous l’attendions et j'y réponds tout de suite.
Ces bruits de guerre ont émotionné la France entière, jamais je n'avais vu émotion semblable et cependant nous avons été plus près de l’avoir et directement, surtout il y a deux ans au sujet du Maroc.
Vous n'avez donc pas de journaux pour vous informer à Prats ? Il est vrai qu'ils sont un peu vieux lorsqu'ils arrivent.
La situation est stationnaire, le sera-t-elle lorsque cette lettre te parviendra tous les services sont prêts, tous les monde est à son poste, on n'a qu'à faire un signe et la mobilisation esdt opérée.
Mais hélas, d’où vient cette grande terreur devant une guerre avec l’Allemagne ! C'est qu'on sent que l’on n'est pas prêt, quoiqu'on en dise. Nos ministres restent si peu au pouvoir qu'ils se désintéressent de ce qui peut se passer dans leur ministère. Et puis, ces hommes sont si peu compétents le plus souvent hélas et ils emplissent les bureaux de leurs créatures. Ces partis amis des révolutionnaires ont amené la France à trembler devant l’ennemi ! L’émotion qui agite tout le monde, à quelque classe qu'il appartienne n'a d’autre cause que la crainte de n'être pas prêts. Les journaux de l’Allemagne le constatent avec plaisir, ils répètent que le moment est bien choisi pour nous anéantir. Car la Serbie n'est qu'un prétexte ; personne ne s'y trompe, de là l’anxiété qui nous étreints tous. A Saumur comme ailleurs, les gens se sont postés aux maisons de crédit et à la caisse d’Epargne pour retirer leur argent et sauf ce soir, la place de la poste était pleine de monde qui commentait les nouvelles, comment la guerre était déjà engagée et espérant que la Poste ferait afficher les dépêches comme cela se fait en temps de guerre.
La batterie d’artillerie qui était ici depuis un mois depuis et devait repartir après le carrousel est partie avant-hier, rappelée à Orléans. On dirait même que le carrousel n'aurait pas lieu, que les officiers seraient vite repartis dans les divers régiments, mais tant que la mobilisation n'a pas été ordonnée, tout reste dans l’état et le premier carrousel a eu lieu ce soir. Nous y sommes allés, ton père, ta tante et moi comptant que c'était la dernière.
Comme nous te voudrions près de nous en ces moments, devant si sombre on a le cœur si lourd qu'on n'en peut pas manger, de temps en temps il faut que je dise au boulanger ne portez pas de pain demain.
Ton père n'a pas été appelé la nuit dernière, le sera-t-il cette nuit ? Si on mobilise, nous serons les premiers instruits, à cette pensée… cœur et je tremble comme une feuille.
Prions Dieu de nous épargner, d’empêcher cette hécatombe des peuples.
Mon cher enfant, j'ai peur que tu aies désappris tes prières. Tu sais pourtant que pour bien faire son devoir sous quelque forme qui se présente, il faut avoir recours à … Tu n'as pas l’idée d’aller au Coral prier la Sainte Vierge et tu as couru toute la montagne. Nous avons tant besoin de sa protection pourtant !
Passons à nos fermiers – qsd - qsd pourquoi n'étais-tu pas expliqué d’abord, il ne pas craindre d’ajouter une phrase de plus pour rendre un sujet plus clair. S'il est ainsi que tu le dis dans ta dernière, Jules et Pierre ont eu tort de ne pas s'avancer pour te serrer la main. Nous croyons Pierre un peu déséquilibré. A-t-on descendu du poulet et du fromage ? Oui.
Cher petit, reviens à la charge auprès de maman pour lui faire accepter de venir passer l’hiver ici. Donne un affectueux bonjour à tante Couderc et aux cousins.
Il faut leur rappeler que nous comptons au moins sur 5 kg sur les 10 qu'ils nous doivent. Pour les poulets qu'ils n'ont pas besoin d’apporter les 14 seulement au fur et à mesure qu'on a besoin.
Oui je crois que M. G. sera désagréable d’orgueil parce que tu le disais plus loin, il n'y a pas le frein de Dieu et qu'il s'est mis ouvertement contre lui pour arriver et qu'il tâchera d’humilier ses adversaires en toutes circonstances. Il voudra mais il doit son loyer jusqu'à fin avril 1915 inclus.
Mon cher petit, je t'ai envoyé mardi en valeur déclarée un pantalon à petits carreaux, une chemise et de plus pour bonne maman une boîte de gâteaux, un homard et un petit pâté, il faut manger cela à la maison et non pas en cuisine? Tu ne donnes pas le nom des personnes qui excursionnent avec toi ?
Fuis les femmes trop libres mon enfant, tu y perdras au lieu d’y gagner, sois sérieux et garde-toi.
Mille baisers de ta maman.
Chère maman
Je t'ai expédié le corsage ce matin, j'avais cru pouvoir l’envoyer par la Poste mais je n'ai pas pu, il aurait fallu trop le serrer dans une boîte.
Je crois qu'il te plaira, il est en cachemire de l’Inde, l’hiver nous y joindrons une doublure plus chaude. Je crois qu'il ne sera pas étroit parce que je me suis servi d’anciennes mesures. J'ai laissé le dessous de bras sans coudre ainsi que la couture de la manche, si elle va bien coud la et recoupe la couture qui serait trop large et ferait des grimaces sur les bras. Tu me feras dire par Prosper s'il va bien. J'enverrai la ruche que j'ai oublié de coudre au tour du cou. Vérifie bien les cachets de cire avant de signer la décharge du chemin de fer, qu'on n'ait pas volé le contenu. Nous vous embrassons à tous deux bien bien tendrement.
Ta maman
Montpellier, le dimanche 2 août 1914
Bien chers parents
Je viens de quitter Prats rappelé par un télégramme du directeur. Mon départ a été précipité, à 2 heures 10 minutes j'avais lu la dépêche et à 2 heures 35 j'étais en route. Pauvre bonne-maman, comme ce départ lui a fait de la peine et à moi.
Excusez mon télégramme si sec d’hier. Je regrette énormément de l’avoir lancé ainsi. J'étais énervé par le voyage, la foule et l’heure tardive et aussi par ce fait que je suis avec seulement 20 Fr. par ces temps si tristes. Je n'ai pas voulu que bonne-maman m'en donne davantage car elle en aura besoin.
J'avais comme le présentiment de qui allait se passer. Nous avions monté une partie. Notre bande ainsi composée : les Morer, Suzanne Payré, les demoiselles Taon, cousines ou parents de Mme Dabadi et une autre demoiselle de Perpignan devait remonter la vallée de la Parcigoule pendant l'après-midi. Nous devions partir à une heure.
Je réfléchis qu'au moment du départ je l’ai laissé partir devant les assurant que je les rejoindrai après le départ du train. Si je recevais une dépêche après ce départ peu m'importait puisqu'il n'y avait pas d’autre train avant le lendemain sept heure du matin. A deux heures, j'avais mon rappel. J'ai vu mes cousines et tante avant de partir. Je leur ai confié bonne-maman.
Ici, je ne sais trop encore d’une façon certaine ce que je vais faire. Surement des remplacements jusqu'à mon départ. On nous incorpore dans dix jours parait-il. Quelle triste chose que cette guerre. Je prie ardemment le Bon Dieu pour qu'il me permette d’aller vous embrasser avant de partir.
Mon retour de Prats a été lent, du retard partout, du monde, du monde. J'ai voyagé en seconde une grande partie du trajet.
Tout est mobilisé ici, mais tout se fait dans le calme. A part la gare, tout est dans le même état. Tout à l’heure j'écrivais à bonne-maman sur un banc de l’esplanade pour jeter ma lettre avant de rentrer. A côté de moi, une commission de réquisition achetait des chevaux. Les soldats qui les gardaient plaisantaient, l’un d’eux, un sentinelle qui avait deux fusils sur les bras, un ami lui avait confié le sien. Cela était comique mais émouvant quand même, les soldats ont confiance. Nous avons le bon droit et de solides alliés pour nous. Nous vaincrons avec la grâce de Dieu.
Vous êtes trois à Saumur, donnez-vous du courage. Je pense à vous et je vous aime bien.
J'apprends que les trains postaux sont arrêtés pendant quarante-huit heures. J'allongerais pendant ma lettre demain.
Ne pouvant écrite à bonne-maman, je lui télégraphie. Elle aura mon télégramme demain ou après-demain.
Dimanche soir, rien à faire, c'est le plus énervant, on ne peut rester dans sa chambre. Les rues sont pleines de monde et que de faux bruits circulent.
Je suis allé ce soir à la cathédrale après souper. J'ai rencontré les Descossy. Nous avons passé une partie de la nuit ensemble à la terrasse d’un café, attendant toutes les éditions spéciales des journaux de Montpellier.
Mardi. Je croyais avoir une dépêche ce matin de vous, mais rien. Je suis presque sans argent et avec la guerre.
Mardi soir, 6 h. Je rentre de chez M. Gérimard. Si je me plaignais hier soir de n'avoir rien à faire, tel n'est pas le cas aujourd’hui. Nous expédions le plus pressé. Gérimard a été réformé mais il s'engage dans la Croix-Rouge. On ne le veut pas ailleurs. Daures va partir. Trois autres contrôleurs de Montpellier aussi. Ceux du département s'en vont. En résumé il y aura dix contrôles pour quatre surnuméraires car Leblanc est parti. Sur ces quatre, Biscanat et moi sommes de la classe 14 qui partira dès la fin de la mobilisation. Les deux autres sont réformés. Ils parlent de s'engager si les choses vont mal.
Je suis allé au recrutement ce matin, c'est merveilleux comme tout se fait régulièrement ici. Je n'ai pu obtenir aucun renseignement précis. Ils ne savent rien. La classe partira si les nécessités l’exigent.
Je n'aurais pas à m'engager, on m'appellera. Je suis prêt pour quand ils voudront.
C'est superbe de voir partir les soldats et les réservistes. Il y a un entrain merveilleux, les trains s'entendent au loin aux chants des partants. Dans la ville ici, ce ne sont que manifestations, soldats passant gaiement.
J'ai passé toute la journée chez Gerimard. Je suis même allé déjeuner avec les contrôleurs à leur pension. Nous étions cinq ce matin, plus des officiers, nous n'étions pas moroses.
Je crois que ma lettre pourra partir. Elle mettra surement beaucoup de temps. Ecrivez-moi vite. Je ferais de petites nombreuses lettres dès maintenant.
Je vous embrasse bien fort à tous trois.
Prosper
Ps : Soignez-vous bien, que papa ne se fatigue pas. Veillez chère maman et chère tata. Ne vous inquiétez pas de moi, je saurais me tirer sans difficulté
Montpellier, le 5 août 1914
Pour M. Tailleur, receveur des postes
Bien chers parents
Depuis que l’ordre de mobilisation est lancé, je suis sans nouvelles de vous. Avez-vous reçu les miennes. J'ai regagné Montpellier sur un ordre télégraphique du directeur samedi à minuit.
Je vous ai télégraphié alors vous demandant des subsides car je n'ai plus rien.
Puis lundi soir, je vous ai envoyé une longue lettre, j'attends toujours.
Aujourd’hui, j'emploie un nouveau stratagème. Je donne une allure administrative à ma lettre pensant qu'elle vous parviendra.
Si le système réussit, employez le même et postez sur l’adresse M. le contrôleur… 27 rue…
Je ne sais encore rien de certain sur le départ de la classe 14.
Nos troupes se battent actuellement et nous ne savons rien ici. Les nouvelles sont données par la Préfecture et son insignifiantes et laconiques à faire crier.
Au cas où vous n'auriez pas reçu ma lettre, je vous répète que j'ai quitté bonne-maman samedi à 2 heures, qu'elle était en bonne santé.
M. Bern qui ne s'est pas fait rayer des cadres était ici hier. C'est M. Descossy qui me le disait hier. Par ces temps des amitiés naissent et celle existantes s'accroissent. Je vois souvent les Descossy, mes propriétaires sont toujours très gentils. Nous causons souvent. Ils ont un fils sous les drapeaux. Hier en rentrant à 8h 12/ ils m'ont appelé et nous avons causé jusqu'à 10 h.
J'écourte ma lettre, je vous en ferai plus souvent tous les trois ou quatre jours comme cela il y en aura surement qui vous parviendrons.
Je vous embrasse bien bien fort, vous recommande de bien vous soigner et d’éviter toute imprudence. Donnez-moi de vos nouvelles individuelles à chaque lettre. Mille caresses.
Prosper
Montpellier, le 7 août 1914
Bien chers parents
J'ai reçu avant-hier soir votre mandat télégraphique. Cela m'a fait bien plaisir car c'est depuis le commencement de cette période si terrible le premier signe de vie que je reçois de vous. Comme il ferait bon être auprès de vous par ces jours d’incertitudes et d’attente. Je commence bien ma vie de garçon. Ces épreuves tremperont durement bien des énergies.
Je fais mon petit contrôleur, sans remplacer officiellement Germinard. Je le fais car étant réformé, il s'est engagé dans la Croix-Rouge.
Depuis hier soir, il est détaché dans un hôpital créé par la Croix-Rouge dans l’école d’agriculture. Je suis dans son cabinet.
Je fais de mon mieux. On nous a donné l’ordre d’arriver à équilibrer les rôles. Ce n'est pas commode car il ne faut plus penser à faire des tournées.
Ce matin, j'ai envoyé une carte lettre à bonne-maman qui doit se faire un fameux souci. Pour Valentin, pour François, pour moi.
J'attends avec impatience une lettre de vous. Pour vos nouvelles, pour savoir ce que vous pensez de ce conflit. Je pense que vous vous y êtes fait. C'est une calamité inévitable. Dieu se paiera du sang versé puis il aura pitié de la France qui n'a pas voulu cette guerre et qui en nation loyale se conforme fidèlement à ses engagements envers ses alliés.
Que dites-vous de l’énergie de ce petit peuple belge ? L’Allemagne les aurait bien payés s'ils avaient voulu se vendre. Mais c'est une levée générale de bouclier contre ce triste empereur.
Il faut le remercier d’une chose malgré tout, c'est que les ennemis politique d’hier marchent aujourd’hui dans un accord parfait, unis par la même ardeur, par le même amour, vers ces étrangers maudits. Le sang français coule malgré tout généraux dans les veines de tous les enfants de France.
Toutes le richesses du pays sont données avec joie, tout est au service de l’armée.
Il n'y a plus que l’armée en France mais c'est tout. C'est la nation, c'est le village, c'est la famille, c'est toutes les affections, tous les désirs tournés vers un même but.
Ayons confiance car notre armée est forte, si vous aviez vu ici, chef-lieu du XVI Corps, toutes les réserves, toutes les collections de guerre qu'on a sorti de la citadelle, c'était prodigieux. Tous les équipements sont neufs. Il ne faut pas oublier que si l’organisation devait être mauvaise en quelque point c'était ici, loin de l’Est, que cette chose devait avoir lieu, mais rien ne s'est produit. Tout est parfait, tout se fait en ordre
Je vais tous les jours au recrutement pour savoir quelque temps à l’avance quand nous devrons partir. On ne sait rien, mais il est à supposer qu'on attend la fin de la fin de la mobilisation. On ne veut rien encombrer.
Je ferai tout ce qu'il y a d’humainement possible pour aller vous voir avant de partir.
Je ne sais quand ma lettre vous parviendra.
Je vous embrasse de tout mon cœur mais je vous… moi souvent. Gardez-vous bien tous.
Prosper
Montpellier, le 10 août 1914
Administration des contributions directes de l’HéraultLe surnuméraire des contributions directes et du cadastre du département de l’Hérault à ses biens chers parents.
Comme vous avez du vous faire du souci chers parents. Vous auriez dû comprendre que par ces temps de guerre la correspondance et les lettres n'arrivent pas régulièrement…
J'ai reçu vendredi soir une dépêche qui a mis le temps normal, elle était partie de Saumur le soir. Vous me dites avoir reçu mon télégramme. Je ne sais lequel, car j'en ai envoyé un samedi à minuit que vous semblez avoir reçu puisque j'ai reçu le mardi le mandat télégraphique que je vous demandais. Il me tarde de recevoir la lettre que vous m'annoncez dans votre dernière dépêche. Avez-vous reçu une des nombreuses lettres que je vous ai écrites (trois la semaine dernière). Je vais toujours bien. Je ne reçois rien du recrutement auquel j'ai fait connaître mon adresse par une lettre mardi pour qu'il n'y ait pas d’incertitude. Dans vos dépêches vous semblez croire que je suis désemparé, que je vais quitter mon poste. Il n'en n'est absolument rien. Je suis très calme et prêt à faire ce que l’on me demandera. Je me demande ce qu'ils attendent pour nous appeler. On pourrait nous instruire utilement ce me semble si l’on nous incorporait dès maintenant. Je vois avec plaisir que vous envisagez mon départ comme une chose possible. Je vais suivre votre recommandation pour les chaussures.
Je les ai déjà choisies dans une vitrine. Il y a encore beaucoup de troupes ici. Des soldats d’Algérie sont passés hier en grand nombre, ils avaient débarqué à Sète. Les territoriaux de la région sont allés les remplacer.
Les nouvelles sont jusqu'à présent très bonnes. Si cela continue, ce que je crois fermement, nous serons victorieux.
Ne sachant si vous avez mes lettres, je vous répète que j'ai quitté bonne-maman en bonne santé. Je remplace un contrôleur ici.
J'ai demandé au directeur ce qu'il pensait de votre dépêche où vous vouliez que je demande ma mise ne disponibilité. C'est impossible. J'aurais, dès que je saurai mon jour de départ, le temps nécessaire pour aller vous embrasser. J'ai vu Mme Descary à la grand-messe, hier. Ils vont bien, je les vois souvent.
J'ai passé la soirée avec les Casamajor hier. Nous sommes allés voir les trains puis les nouvelles. J'étais avec le père et le fils qui part ce soir pour Toulon, il est dans l’artillerie.
Je pense toujours à vous, comme pas doit se fatiguer, soignez le bien. Je vous écris du bureau de poste et je vois d’ici tout le travail qu'il doit avoir.
Je viens de la direction où j'ai pris du papier et enveloppe.
Prosper
Ps : Nous avons reçu samedi dernier votre colis, pantalon et bonnes choses, merci pour moi et bonne-maman.
Montpellier, le 13 août 1914
Bien chers parents
Combien il est pénible de vivre sans nouvelles. Je ne reçois rien depuis vos télégrammes d’il y a huit jours. Je n'ai rien reçu et pourtant vous m'annonciez une lettre ! Mais à quoi sert de murmurer puisqu'il doit en être ainsi et que la poste doit servir avant tout nos armées.
Nous souffrons, c'est le moment je crois de supporter le lourd fardeau. Notre génération est à la peine, mais elle sera bientôt à la gloire.
Je ne suis pas encore appelé. Jusqu'à présent, ce qu'on nous a dit de la frontière est rassurant pour le succès final.
On dit ici que la classe ne peut être appelée que par une loi. Je crois qu'alors, le gouvernement demandera aux conscrits de s'engager. Nous sommes ici plusieurs marie-louise qui sommes prêts à revêtir le bel uniforme dès que les événements le demanderont.
Je mène une drôle de vie. Moi qui avais l’habitude de me faire un emploi du temps de longue haleine et de vivre avec une idée et un but, je suis tout désemparé, mais je ne suis pas malheureux, chers parents. Je ne veux pas que vous puissiez avoir cette idée. Elle serait fausse.
Comment allez-vous et comment passez-vous ces longues journées ? Je n'ai plus d’occupations fixes. Il n'y a plus rien à faire dans les contrôles. Je passe les journées dans ma chambre. Je lis, j'écris. Il ne faut plus penser aux examens de droit ni du premier degré qui seront supprimés pour nous. Nous serons considérés comme reçus.
T. de Casamajor a mis sa bibliothèque à ma disposition. J'y ai trouvé une histoire de la Révolution française dans les Pyrénées Orientale en quatre gros volumes qui m'occuperont quelques temps.
Je dessine aussi de petites bêtises.
Je vois souvent les Descony toutes les fois que nous nous rencontrons nous causons longuement.
Il y a toujours une très grande agitation qui regorge encore de soldats de réserve et territoriaux. Il en passe continuellement en gare.
Je vais jeter ma lettre ce soir, je sais qu'elle va mettre au minimum six jours pour vous parvenir. Si demain je n'ai pas de nouvelles de vous je télégraphierais. Vous devriez m'envoyer une réserve de 100 à 200 Fr. pour prévoir un départ précipité.
Je vous écrirai encore dimanche car si une de mes lettres venait à se perdre, je suis sûr que vous vous inquiéterez, alors il ne le faut pas.
Je vous embrasse bien tendrement à vous tous mes chers parents.
Prosper
Ps : Je reçois votre lettre, elle est datée du 10. Beaucoup des miennes ont du se perdre. Soyez sans crainte, je suis sérieux et je ne ferai rien que je ne doive faire. Bonne-maman était décidée à venir, maintenant encore plus sans doute. Nous serons avertis dix jours à l’avance pour mon départ. Je pourrai aller la prendre car maintenant plus que jamais il doit s'ennuyer. L’esprit de Prats était très bon, résolu, tout le monde partait gaiement.
Votre lettre m'a fait énormément de plaisir. Je l’attendais tous les jours avec plus d’impatience depuis le télégramme de samedi qui me l’annonçait, mais ce ne doit pas être celle-là mais une autre. Quand vous m'écrivez, indiquez la date des lettres que vous recevez de moi.
Milles caresses
Prosper
Saumur, ce 15 août 1914
Ton désir de devancer l’appel t'honore mon fils, mais que de larmes il m'a fait verser et je pleure tant depuis cette maudite guerre est déclarée. Et cependant guerre inévitable, il fallait en finir. Mais que de jeunes vies seront sacrifiées ! Et à cette pensée mes larmes coulent encore. Voici notre avis à ton père et à moi : attends qu'on t'appelle.
Nous comprenons ton état d’âme, tu te dis : tant d’hommes partent, d’âgés mêmes, et moi qui suis jeune je reste là inactif en apparence et il te semble que lorsque les passants le regardent, ils se disent : celui-là ne part donc pas ?
Après cela, tu te fais honte à toi-même. N'est-ce pas ainsi mon cher petit ? Ne crains rien, hélas, il y en aura encore pour toi, car quoiqu'acculée de toute part, l’Allemagne se défendra avec férocité. Ta dépêche nous dit que tu t'engagerais avec Jean. Jean a passé son brevet militaire pour l’infanterie et toi tu désires la cavalerie. D’ailleurs en ce moment, il n'y a rien à faire, vous devez déjà être désignés pour tel ou tel régiment.
La lettre de tante Louise disait : Jean attends qu'on l’appelle. Une de mes lettres le disait que ton oncle Joseph est parti le 2e jour de la mobilisation. Le plus triste c'est qu'une fois ces soldats partis on ne sait pas où ils se trouvent, aussi lettre ne passe. Tu pourrais faire une chose, demander ta mise en disponibilité pour service militaire et venir ici attendre les événements. De cette façon nous aurions le temps de nous revoir un peu.
Aussitôt que la guerre sera finie, ton père demandera sa retraite. Nous vivons un affreux cauchemar, heureusement que nous avons la foi en Dieu. Tu sais la parole de Bossuet. Les hommes se meuvent et Dieu les conduits. Le droit est de notre côté et Dieu est le droit même.
Ne soyons pas orgueilleux en notre force et en nos alliés. Recourrons humblement à Dieu et par la prière.
Aujourd’hui pour le triomphe de la Sainte Vierge demandons lui de nous faire triompher aussi. Tu ne m'as pas dit dans tes lettres quel était le désir de bonne maman. Si nous devons partir dans trois ou quatre mois, ce ne serait pas la peine de la faire venir.
Hier et ce matin des territoriaux de l’artillerie sont partis d’ici où ils étaient depuis plusieurs jours, allant défendre les forts de l’Est, ils chantaient comme de jeunes, couverts de fleurs et de drapeaux et moi je pleurais.
Déjà plusieurs convois de prisonniers allemands sont passés, dirigés vers nos iles de l’océan. Ces messieurs se plaignaient d’avoir été en gare de Chartres hués par la foule. Si on ne faisait que huer les nôtres, en Allemagne, on les tue.
Dans ma première lettre partie d’ici, le 31 juillet et envoyée à Montpellier où je me disais que tu serais le lendemain ou le 2 août. Je te disais d’acheter des souliers genre godillots, pas trop lourds mais te chaussant bien car il faut arriver munis de souliers et de les mettre pour les briser un peu. Ici je t'en achèterai une autre paire ainsi que de bonnes chaussettes. Je te laisse mon enfant chéri avec toutes nos caresses. Je vais ce soir à Nantilly bien prier pour toi et pour notre patrie. Encore des baisers, ta maman.
Thérèse Tailleur.
Ps : vois au dos
Je suis complétement de l’avis de ta mère. Si on a besoin de la classe, on l’appellera dès que la mobilisation sera terminée. Il faut des gradés pour donner les premières notions à cette clase. Toi tu serais prêt dans 15 jours, mais ce n'est pas le cas de la généralité. On examinera que pour organiser la classe 1914 on devrait désorganiser ce qui est déjà en mouvement. Lorsque le ministre de la guerre aura pris une décision, tous les bureaux de recrutement recevront les mêmes ordres. Vois donc le recrutement de temps en temps.
A la fin de la guerre, lorsque la paix sera décidée, je prendrai un congé et demanderai ma retraite. Prions pour que nous armées et celles de nos amis soient victorieuses. Vu notre patriotisme, notre élan, nos chefs, notre résurrection n'est douteuse pour personne. Courage, je crois que tu seras appelé aussi à faire ton devoir.
Tendres embrassades.
Montpellier, le 15 août 1914
Bien chers parents
Vous pensez s'il eut été charmant d’être dans le même régiment avec Jean. Nous aurions été vite amis ensembles car nous nous entendons. Nous aurions passé de bons moments ensemble et les instants pénibles eussent vite passé. Enfin nous ne pouvons pas.
Il parait que si on le permettait les engagements seraient en si grand nombre qu'il faudrait recommencer toutes les listes d’appel de la classe. Nous serons les Marie-Louise. Je vous réponds qu'il y aura de la discipline et que nous apprendrons vite. Nous ferons les classes dans des conditions particulières. Les débuts sont durs et moroses d’habitude, ne le seront pas car nous serons joliment stimulés par les victoires de nos ainés.
Je viens d’écrire à bonne maman pour sa fête. Je n'ai pas pu le faire plutôt car nous aurons ces jours-ci un regain de travail. Le… veut que tout soit liquidé. Après tout va comme chacun l’entendra. Aujourd’hui, repos mais j'ai du travail taillé pour tout demain. Mais malgré tout on a des jours complets d’inaction. Des blessés arrivent et vont arriver en grand nombre. Je vais demander à M. Germinard qui est de la Croix-Rouge de me trouver du travail comme brancardier ou autre.
Ils sont merveilleux les blessés, ils rapportent tous quelques débris du champs de bataille, soit épaulette soit pistolets ou morceau d’uniforme, ils ont tous quelque chose qu'ils montrent avec enthousiasme.
Je n'ai reçu que votre lettre du 10, de bonne maman rien.
Il pleut aujourd’hui à torrent depuis le matin. J'ai dû passer chez le contrôleur ce qui fait que je suis allé qu'à la messe de midi. Hier j'étais à la grande messe que présidait le cardinal.
J'attends… toute lettre de vous.
Je vous embrasse bien fort à vous tous chers parents.
Prosper
Mon cher ami
Excuse-moi de ne pas t'avoir répondu. Mais une carte de la pa… doit t'avoir faire connaître que j'avais reçu ta carte. Souberbielle est toujours malade. Quant à moi, je suis à l’infirmerie avec une jaunisse alors que tous les copains sont partis. Mais je vais mieux et compte partir bientôt. Le caporal Toulouse est parti au feu, il m'a dit ne pas l’oublier quand je t'écrirai. Janvier et presque tous les EOR sont caporaux.
Mon souvenir.
QP
Saumur, le 20 août 1914
Mon fils chéri
Nous avons reçu ce matin une lettre de toi, mon petit, datée du 13 et elle nous a fait un grand bien. C'est une épreuve ajoutée aux autres que cet éloignement de notre fils au moment si pénible pour tous.
Je crois que nous avons reçu toutes tes lettres, voici les dates : une datée du 2 août, du 5, du 7, du 10, du 13 la dernière. Toutes avaient mis 7 jours pour arriver. Je t'en ai envoyé autant, peut-être une de plus. Vois si tu les as reçues. Nous avons eu une lettre de maman hier, elle nous dit aussi qu'elle a eu de tes nouvelles qui avaient mis 6 jours pour aller de Montpellier à Prats.
François est dans une ambulance on ne sait pas où. Quelle vie mon Dieu ! Tout le monde passer par le creuset des souffrances, nous n'avons de soulagement qu'en priant Dieu. Les nouvelles de la guerre arrivent régulièrement mais comme on voudrait que cela marche vite pour en avoir fini bientôt, mais ces démons d’Allemands nous donneront du mal à vaincre ! Ils se préparaient depuis si longtemps. Ils sont un peu étonnés de voir qu'ils ne nous ont pas encore avalés. Ils avaient une telle agence d’information que chaque allemand dans toutes les villes françaises était par un système inventé par eux transformé en espion, en France nous en avions ainsi 300 000 !
Notre vie, tu te doutes de ce qu'elle est et dire que nous ne t'aurons pas quelques jours pour te prendre de nouveau et que tu seras aussi jeté dans cette fournaise ! Ah ! Guillaume et ta descendance sont maudits !
Ici rien de nouveau, plus de territoriaux, ils sont tous partis.
Madame Gaboriaud a ses deux fils à la guerre, le plus jeune est artilleur et même en contact avec les Prussiens. Elle vient souvent et nous causons toujours de la même chose et dans tout le monde c'est ainsi, de quoi causer ? de la guerre. Les journaux sont… le matin et ils rabâchent toujours la même chose.
Tu fais bien de l’occuper sérieusement. Tu dis que les surnus cette année sont considérés comme reçus au 1er degré. Est-ce officiel ainsi que pour l’examen de droit de novembre ? Ou bien avons-nous mal compris ?
Nous sommes contents que tes propriétaires soient gens comme il faut et que tu puisses causer avec eux, cela soulage de pouvoir exprimer sa pensée dans ces moments si pleins de fièvres.
Quand on parlait de la guerre, on pensait qu'au batailles engagées et non à toutes ces épreuves que les non combattants supportent, à commencer par cette angoisse qui vous serre le cœur constamment.
Une lettre que nous avons reçue d’Onzain nous dit que notre oncle Joseph est malade dans un hôpital de Versailles. Ma tante est partie en toute hâte. Pauvre oncle, à son âge tant de fatigues et d’anxiété l’ont terrassé.
Ta dernière lettre était presque sans fautes, relis avant de fermer ta lettre.
Mille bons baisers de ta tante qui t'aime.
Il fait très beau temps frais à souhait mais on n'en jouit pas on n'y fait pas attention, on ne sait quel jour on ne vit ni le quantième du mois et dire que cela peut durer longtemps… et si je te savais déjà là-bas !
Que Dieu nous soit secourable ! As-tu fait tes dévotions le jour du 15 août ? As-tu pensé à la fête de maman ? Il est vrai qu'elle n'a pas dû y penser elle-même la pauvre maman. Il vaut mieux que le pauvre papy soit mort, il souffrirait trop de voir tout cela.
Le pauvre saint père le pape est mort de voir toutes ces horreurs.
Le vieux roi autrichien n'a pas voulu entendre la voix qui le suppliait de ne pas faire la guerre et l’émotion jointe à son grand âge, il est mort. Quelles complications au milieu de tant d’autres pour les catholiques. Dieu avait prévu tout cela.
Nous t'enverrons de l’argent par dépêche, ais-en le plus grand soin.
Je te laisse mon cher fils avec toute la tendresse du nos cœurs qui ne vivent que pour toi. Ta maman.
Thérèse Tailleur
ps : ne cesse de penser à toi et qui prie constamment pour que Dieu te garde et que tu conserves toujours les mêmes sentiments que tu nous exprime dans tes chères lettres qui… et nous donnent confiance. Relis tes lettres mon chéri, il y en a de chargées de
Saumur, le 23 août 1914
Mon bien cher fils
Nous avons reçu hier 22 ta lettre datée du 15 courant, cela fait 7 jours pour venir de Montpellier ! Pourtant, on ne peut plus objecter la mobilisation puisqu'elle a été arrêtée le 20e jour comme cause de ces retards considérables.
Toujours cette torture de l’esprit et du cœur ! et dire qu'il y a des gens qui ont déjà pris leur parti de cet état de chose du moment qu'ils ne sont pas directement en cause, le reste leur est égal. Le 1er affolés on s'était précipités dans les églises criant : mon Dieu ! mon Dieu !
Les nouvelles rassurantes les premiers jours leur ont fait retrouver leurs esprits et ils s'endorment là-dessus, le réveil pourrait être terrible ! Prie mon cher enfant, il faut s'humilier devant Dieu et demander grâce pour notre patrie, pour que ces jours de deuils soient diminués. Nous voyons avec satisfaction que malgré tout, tu restes à la hauteur de ta tâche, que ton cœur est toujours haut comme nous te l’avons enseigné. Après avoir fait ce que doit, reste paisible et attends. Veille sur ta santé, ne fait rien qui puisse lui nuire, évite de consommer de la glace et quoiqu'il fasse chaud tient toi le ventre bien couvert dans le lit. Ne veille pas, que faire dans les rues et au café à ressasser toujours les mêmes nouvelles, on finit par s'énerver et en rentrant on ne peut trouver le sommeil.
Tu dis que tu dessines, envoie-nous ces essais dans une lettre, cela nous distraira, nous en avons besoin. Heureusement que nous avons la foi !
T'ai-je dit que notre oncle Joseph est tombé malade à Versailles, tante Louise avisée est partie de suite. Marie Louise m'avait promis de me tenir au courant, elle ne l’a pas fait ; je viens de lui réécrire. Nous n'avons pas encore de blessés ici, mais il en passe en gare envoyés à Nantes.
Je n'ai pas le courage d’aller les voir, je pleurerai trop. Le temps est délicieux ce soir nous sortons des vêpres, nous venons prendre papa pour et nous irons faire un petit tour. A bientôt de tes nouvelles que la sainte mère de Dieu te garde, mille baisers de nous trois.
Ta maman, Thérèse Tailleur
Ps : oui, c'est bien cela mon cher fils. Je te répète que tu dois écrire les deux lignes promises à M. Ploquin, je le rencontre quelque fois et tout en parlant de toi il me fait comprendre qu'il n'a rien reçu de toi. Exécute-toi entre traçant quelques lignes sur une carte illustrée de Montpellier. On dit que… Waterloo, 23/8 des Allemands hésitent à se mesurer avec les Anglais. Courage, sang-froid, mais ne reste pas ainsi, Tendresses
Ton père
Montpellier, le 23 août 1914
Biens chers parents
Encore à Montpellier et avec cela, rien de nouveau sur mon départ. J'ai toutefois reçu des nouvelles de bonne-maman. Elle répond à ma carte-lettre lui souhaitant une bonne fête. Elle va bien et ne me raconte pas le rhume de Marthe ou de Thérèse. Je n'ai pas pu distinguer rien de bien intéressant. Ils ne savent pas trop où est François qui sert comme infirmier.
J'ai reçu votre lettre qui n'a mis que deux jours, les vôtres arrivent plus rapidement que les miennes. Cela doit dépendre des points de départ ; de Saumur elles partent immédiatement tandis qu'à Montpellier, il parait qu'on les fait attendre.
Comme tu as tort, chère maman, de te faire tant de mauvais sang. Je ne suis pas encore au combat, puis quand j'y serais, il ne sera pas encore le moment de pleurer mais seulement celui de commencer à être fière de moi car je ferais mon devoir.
Raisonnes-toi chère maman, je ne suis pas le seul à devoir partir. Je serais le seul si je restais et quelle honte ! Il ne faut pas penser aux soldats maintenant mais à l’armée tout entière.
Il faut étendre ton affection sur l’ensemble de tous les hommes qui marchent ensemble à la frontière. Qu'est-ce que la vie d’un homme maintenant comparé au résultat que nous allons atteindre.
Montpellier est plein de zouaves. Des zouaves d’Oran et du département. Il y en avait de Bel-Abbes. J'ai vu Siodeau le cousin de Fernand. Voilà comment la rencontre s'est faite.
Avant-hier Biscarrat était en tournée du côté de Sète dans une auberge où il mangeait arrive des zouaves. Comme il se lie très vite, ils sont vite amis surtout qu'il leur fait à boire.
Parmi eux, il y avait Siaudeau. Biscarrat leur dit qu'il connait un algérien, moi. Le soir, il l’amenait au restaurant.
Nous avons causé de l’Algérie. Fernand est à Bel-Abbes. D’après ce qu'il m'a laissé entendre, Fernand abandonnait toute étude et se ferait colon. Il aura enfin trouvé sa voie celui-là.
Ils ne sont pas encore partis. Ils ne savent quand. Ce n'est pas Fernand Siaudeau mais un autre frère plus âgé. Il est réserviste.
La vie que je mène ici est tout à fait irrégulière. Je fais de petites tournées de vraies plaisanteries au point de vue du travail que nous effectuons. Plusieurs surnus. sont envoyés dans le département. Un autre se voit attribuer deux contrôles alors qu'en temps normal il en aurait plus que trop d’un seul. Biscarrat et moi sommes conscrits, on nous garde à Montpellier.
Il arrive des blessés et des prisonniers de guerre ici, cela donne un peu d’agitation à la ville.
Vous dites que nos m'envoyez une réserve d’argent par télégraphe. Je n'ai encore rien reçu. Envoyez-moi pour ma fin de mois. La chambre comme toujours mais la pension est à 80 Fr. maintenant et la nourriture est devenue deux fois inférieure. On n'a plus le choix pour les plats. Comme ma lettre arrivera assez tard. Je vous demande cela à l’avance. Faites que j'ai ces sous pour le moment voulu.
Je ne sais plus que vous direz. Je remercie papa de sa lettre qui m'a donné grand courage et aussi tata de son petit mot.
Je vous embrasse bien bien fort tout trois.
Prosper
29 août 1914
Monsieur
Votre carte me parvient au front ou je suis depuis une quinzaine de jours. J'ai été très heureux de faire la connaissance de votre fils et de l’aider dans la mesure de mes… moyens. Je suis persuadé qu'il arrivera officier, l’un des premiers du régiment ; quand j'ai quitté Montargis, il avait en effet maigri mais il se portait bien. Il venait de faire les épreuves de marche qui sans doute l’avaient un peu fatigué. Je vais lui écrire de ne pas hésiter s'il se sent fatigué à se reposer un peu, d’ailleurs son rang ne sera pas diminué pour cela. J'en suis certain car je l’ai recommandé à son lieutenant qui est un me des amis et qui m'a dit être enchanté de la façon de servir de votre fils. Il est bien regrettable que
Je ne suis plus à Montargis car je me serais arrangé pour la faire reposer mais je lui écris quand je pense qu'il ne poussera pas le devoir jusqu'à une fabrique…
J'ai quitté Montargis le 13, votre fils est venu me chercher… il se portait bien quoique… maigre un peu. J'espère d’… que les événements vont se précipiter et qu'il n'aura guère à prendre part à la campagne qui est toutefois moins dure et moins dangereuse maintenant qu'au début.
Veuillez bien agréer monsieur mes hommages respectueux.
Pierre Xiard, Sergent au 89e régiment, 3e bataillon, 11e compagnie par gare Sens, Yonne
31 août 1914
J'ai l’honneur de vous informer que, par une décision en date de ce jour, j'ai accordé à M. Tailleur, surnuméraire attaché à votre Direction, un congé de 3 ans afin de le mettre à même de satisfaire aux obligations du service militaire.
Sauf-conduit
Délivré à : | Monsieur Tailleur |
Nom : | Prosper Marie Juste |
Date et lieu de naissance : | 1894 à Mascara |
Profession : | Surnuméraire des contributions directes |
Domicile : | Montpellier, 27 rue Lakanal |
Pour se rendre de Montpellier à Saumur
A Montpellier, le 31 août 1914
Nota – le sauf-conduit devra être visé par le Commissaire de police ou à défaut par le maire de toutes localités où stationnera le détenteur.
12 septembre 1914
Bien chers parents
Une petite carte comme d’habitude. J'ai reçu une lettre de vous. Je me porte bien, mes nouvelles fonctions me plaisent bien. Je vous ai dit partir en permission le 24. Il ne faut pas trop y compter sur cette date. Ce sera peut-être un peu plus tard. Ne craignez-rien, je viens vous voir un de ces jours. Je ne veux rien fixer, on est si peu sur.
Je vous embrasse bien tendrement
Prosper
Montargis, le 4 octobre 1914
Bien chers parents,
Je viens de terminer ce matin les épreuves de gymnastique par la boxe et une course de 2 km en 10 mn. C'est cette dernière épreuve qui est de beaucoup la plus dure, songez que dans le civil on passe ce concours après un long entrainement tandis que du jour au lendemain il m'a fallu subir ces épreuves. Sur mon groupe (nous courrions par groupe de 24) je suis arrivé 9e en 5 mn et 45 secondes. J'ai donné tout ce que j'ai pu. C'était la première fois que je courrais une aussi longue distance. Ma note est 16. Actuellement, je suis deuxième ou troisième du classement général. Si le piston n'entre pas trop en ligne de compte, je serais 1er. Le reste en effet, topographie et hygiène ou je vais battre les deux premiers, c'est demain.
Avec toutes ces épreuves, je n'ai pas encore pu envoyer ma valise.
Hier soir, mes notes sont, saut en longueur : 16.
Je suis le favori de mon capitaine, ainsi hier, il fallait sauter 1 mètre, je l’ai sauté mais j'avais dit à mon capitaine que je sautais davantage. Aussi après l’épreuve, il décide le commandant à faire resauter les meilleurs et comme à ce moment j'étais au loin, il criait à tue-tête « où est Tailleur ? » et au moment où je sautais 1 m 20, je l’entendais qui criait : « ça y est ! »
C'est depuis qu'il m'a donné dix francs qu'il est ami avec moi, si nous étions en temps de paix, j'aurais avec lui toutes les permissions que je voudrais.
Je suis très bien avec une foule de sergents, surtout avec Charpentier et Diard. Ce sont des réservistes, de vrai père de familles.
Charpentier me rencontrant dans la rue accompagné d’un sergent du 29e qu'il ne connaissait pas, se mit à lui dire « c'est un de nos bleus, n'est-ce pas qu'il est très gentil ».
C'est en topographie que je me signalerai le plus, surtout aux yeux du commandant du dépôt du 169e qui préside le jury.
Je vous embrasse bien fort à tous trois. Ce n'est pas souvent que je reçois des lettres de vous.
Prosper
Orléans, le 16 novembre 1914
Bien chers parents,
Valentin retourne sur le front. Je l’ai vu hier soir, il ne savait encore rien. Ce matin il est me venu me demander au poste. C'était pour m'annoncer la nouvelle. Il est content car il regagne sa batterie, la neuvième. Il part demain avec un autre maréchal des logis. C'est une dépêche du général commandant le groupe qui les demande tous deux par leur nom.
Ce n'est pas comme les autres qui partent à leur tour. Il avait écrit à son capitaine qu'il était disponible. Il l’a immédiatement fait venir. Il va dans le nord. Il s'est fait photographier ici et vous enverra deux photos, l’une pour vous et l’autre pour bonne-maman.
Je ne comptais pas le voir partir si tôt, nous nous entendions bien ensemble.
Je ne savoir que devenir le soir. Je ne sortirai que pour vous écrire. Ce qu'il est impossible de faire dans ma chambre faute de temps. Nous avons turbiné dehors tout l'après-midi sous la pluie.
En rentrant avec une couverture posée sur une table et gondolée par des boules de son (notre pain) qui représente un terrain accidenté, des bosses qui figurent un bois, un ceinturon qui figure une route, une baguette de poêle une voie ferrée et des cartes des maisons, nous avons fait de la tactique en chambre. C'est très amusant, le capitaine critiquait nos mouvements.
J'ai reçu à midi votre lettre du 14. Je ne m'étonne pas que le vaguemestre du 131e ne vous ai pas répondu, c'est un mufle. Le service postal ici à la caserne est bien plus mal fait qu'à Montargis où pourtant tout était de fortune et ou le vaguemestre n'était que sergent.
Une bonne nouvelle. J'ai un lit. Un vrai, avec des draps propres. Voilà deux nuits que je dors comme un roi, en me déshabillant complétement. De plus, ce soir, pour cinq sous, j'ai corrompu un garde de magasin et obtenu de lui une autre couverture aussi grande que la mienne. J'en ai trois maintenant, plus ma capote, c'est du luxe. Dire qu'à Montargis avant de me coucher au lieu de me déshabiller, je m'habille en mettant sur moi tout ce que je possédais. Encore une fois, c'est du luxe.
Je termine en vous embrassant bien fort à tous les trois.
Prosper
Orléans, 24 novembre 1914
Bien chers parents
J'ai reçu votre lettre datée du 22 hier. Vous voulez bien que j'aille vous voir. Cela me ferait énormément plaisir d’embrasser papa et tata mais je ne puis encore rien préciser. J'ai parlé au capitaine ce matin, l’espace d’un huitième de seconde. Il m'a répondu ce qui est encore consolant. C'est très difficile mais nous en recauserons. Par conséquent, s'il y a refus, ce n'est pas de lui qu'il viendra mais du commandant de dépôt, cela est moins à redouter si le capitaine transmet la demande.
J'aurais 48 heures. Samedi et dimanche, en voyageant la nuit de vendredi à samedi et celle de dimanche à lundi. J'aurais le temps de vous faire de nombreux baisers.
Il ne faut pas crier victoire, il suffit que le capitaine soit mal disposé demain et « adios ».
Aujourd'hui, c'était parfait. Il a passé huit jours loin de nous faisant passer l'examen aux Saint-Cyrien et pendant ce temps, il s'est aperçu que les Saint-Cyrien étaient bien moins bons que nous. De plus, le capitaine Suchard des Saint-Cyrien qui nous a instruit ces huit derniers jours lui a fait et la prié de nous faire des compliments pour notre bonne manœuvre. C'était complet ce matin à la théorie, il était charmant.
Pendant cette semaine qui vient de s'écouler, nous n'avons pas eu ce fameux lieutenant que Harminae nous avait promis. Aussi, avec le capitaine Suchard qui nous pris, nous n'avons pas fait la moitié de ce qui était prévu. Nous ne sommes pas allés cantonner. Aussi nous allons le faire cette semaine. Nous irons à Cercottes, un grand camp où nous ferons des tirs à grande distance sur silhouette.
Encore un mois ½ et nous serons sous-lieutenants après l'examen bien entendu. Comme il me tarde. Après, nous partirons et allons à la volonté de Dieu et tout pour la victoire. On ne se battra plus dans des trous, nous serons peut-être alors sous Metz ou Strasbourg.
Les nouvelles sont bonnes de plus en plus, la bête germanique s'essouffle, les Russes viennent de leur porter un beau coup. A nous maintenant.
Lorsque nous serons nommés, si l'on nous permet comme en temps de paix de choisir nos régiments, je demanderai le 81e de Montpellier.
Ce régiment du midi, si dédaigné depuis les lâches du 15e qui a glorieusement vengé notre région et effacé une partie de la tâche.
Vous avez sans doute entendu dire combien la lutte fut chaude autour de son drapeau qu'on a ramené à Montpellier en lambeaux et sauvé grâce au dévouement des porte-drapeaux. Trois furent tués mais le drapeau nous reste.
C'est curieux comme l'esprit de corps vous gagne vite. Il n'y a que trois mois que je suis au 169e et pourtant à la pensée de le gagner je suis déjà bien ennuyé.
Je reviens de la messe de midi. Il ne fait plus froid ici, le temps est plutôt humide. J'aimerai mieux le froid ce qui facilite nos sorties et les rend plus agréable. Les terrains de manœuvre sont détrempés à nous rendre boueux jusqu'aux genoux et même plus haut. Il faut à chaque instant ou se mettre à genou ou se coucher tout est sale. Aussi, il faut décrotter ses souliers jusqu'à 4 fois par jour et c'est quelque chose.
Vous devez être en plein travail de déménagement, comme c'est pénible pour vous, heureusement que ce sera le dernier pour vous.
Je vous aime bien et vous embrasse bien fort à tous trois.
Prosper
Montargis, le 7 décembre 1914
Bien chers parents
Je suis affecté au 113e à Blois. Je rejoins dimanche aussi dès que vous recevez ma carte, écrivez-moi dans mon nouveau régiment. Pour ce qui est de mon départ pour le front, je n'en sais rien absolument rien, je ne suppose même rien.
Je passerai à Onzain où je m'arrêterai de 10h du matin à 2h de l’après-midi, juste pour me faire voir dans mon nouvel uniforme.
Je me ferai photographier là-bas et vous pourrez juger. Seulement mon porte-monnaie est sec, le trésorier du régiment ne sachant pas combien nous allons toucher s'abstient et vous pensez si c'est rigolo. En mettant à part mes 100 Fr or il ne me reste rien. Je vous ferai le compte
J'ai eu une réponse à mes vœux, une très gentille carte du directeur, je vous l’enverrai demain.
Mille tendresses de votre aspirant qui vous aime bien.
Prosper
Onzain, 7 décembre 1914
Bien chers parents
Je quitte Onzain ce soir pour Montargis où je vais attendre ma nomination au grade d’aspirant. Je suis peut-être déjà nommé mais je n'en sais rien. A Montargis en attendant mes galons nous ne faisons absolument rien. Les bleus arrivent en masse, les trains sont bourrés de conscrits. Il me semble qu'il y a moins d’entrain. Que de souvenir de conscrits évoquent en moi. Je vais peut-être avoir à les instruire pendant quelques jours. Je vous ai demandé de l’argent pour m'équiper d’une cantine de fer que je vous rembourserai. J'ai passé quatre jours merveilleux ici. Mon oncle, ma tante et ma cousine ont été très gentils pour le cousin caporal.
Je vous embrasse bien fort à tous les quatre.
Prosper
Ps : Est-ce que Jean qui est toujours à ? ne pourrez pas aller à Prats, cette idée est de moi.
Montargis, le 18 décembre 1914
Bien chers parents
Je viens de regagner Montargis, il n'y a rien de nouveau pour nous les E.O.R.. On va nous faire attendre cette nomination une quinzaine de jours. Nous ne faisons rien, nous nous reposons. Je vous assure que ce n'est pas de refus. Il nous semble extraordinaire de n'avoir pas à nous lever précipitamment pour descendre à l’extérieur. Les bleus 14 arrivent. Pendant tout mon voyage d’Onzain ici, j'ai voyagé avec eux. Cela me rappelant un autre voyage. Celui d’il y a quatre mois. Moi aussi, alors, je partais avec la traditionnelle valise mais avec quelque chose de plus que les autres bleus des années précédents n'avaient pas de souliers de guerre.
En voyant ces bleus craintifs qui détaillaient nos uniformes et admiraient mes galons de laine avec envie et crainte. Je pensais aux sensations que j'avais éprouvées moi aussi tout au début de mon existence de soldat.
Je n'étais pas très rassuré non plus quoique mon langage disait le contraire, mais ce qu'il y a de sûr, c'est que j'avais eu le pressentiment qu'il y avait des galons très nombreux à décrocher et que je m'étais juré d’en avoir, ou pour employer l’expression de la caserne, de me sortir de là. Ce qu'ils sont comiques les bleu avec leurs tenues si différentes prises dans toutes les classes de la société.
Le matin au réveil, au saut de la paille, après ce contact d’une nuit et cette première épreuve supportée en commun, il n'y avait plus de différence sociale entre eux. Le niveau était passé, il ne manquait plus que l’uniforme pour en faire un groupe impersonnel que l’on désigne d’un nombre et d’un mot : 20 hommes, 30 hommes, 10 hommes.
Le peloton des caporaux d’où je suis sorti pour aller à celui d’Orléans est aussi dissout. Ils sont repartis dans les compagnies et ils vont instruire les bleus. Je dois avoir sans doute pendant quelque jours à commander les bleus et leurs caporaux et sergents.
Il ne fait pas chaud dans ma chambre, heureusement que dans un petit coin il y a un petit poêle où je vais faire un petit peu de feu.
J'ai passé à Onzain une très agréable permission. C'est votre dépêche de Perpignan qui m'a décidé à y aller. Au début, cela m'a fait une peine énorme de ne pouvoir aller vous voir, ces heures de liberté étaient dures me semblait-il. Enfin, puisqu'il était impossible !
J'écris à Onzain aujourd’hui pour les remercier encore une fois de leur bonté. Notez les vacances de la Noël qui arrivent, quel triste Noël, pour la première fois, je ne serai pas à vos côtés. Mais je penserai bien à vous. J'attends une lettre avec impatience, dites-moi comment vous avez supporté cet interminable voyage et surtout si papa n'a pas été trop fatigué.
Je vous embrasse bien fort à tous quatre, de bons baisers à bonne-maman que je n'ai pas vue depuis bien longtemps.
J'ai eu à Onzain de bonnes mais anciennes nouvelles de François qui avait écrit à Jean. Que tante Juste me donne son adresse. Jean quitte Rodez pour un village tout proche. Il va instruire les bleus.
J'ai trouvé mon oncle Joseph en bonne santé. Tu le disais fatigué. Il est, quoique fatigué assez gaillard. Il est sorti deux fois avec moi.
Prosper
Onzain, 14 décembre 1914
Biens chers parents,
Je suis arrivé à Onzain hier. Je suis confus de tant de bonté. Je n'ai, comme ma dépêche à du vous l’apprendre, que quatre jours. J'avais malgré tout demandé ma permission pour Prats mais votre dépêche de Perpignan que je reçus quelques instants avant mon départ me firent changer de destination.
Votre dépêche a été la bienvenue. Quoique vous ne disiez pas un mot de votre état de santé, je suppose que puisque vous êtes tous arrivés à Perpignan, tout a été comme nous pouvions le souhaiter.
Vous avez dû embrasser bonne-maman bien fort pour moi. Je regrette beaucoup de n'avoir pu aller à Prats où j'aurais pu moi-même de la chose.
J'ai regagné Montargis jeudi 10, ce n'est que hier dimanche 13 que nous avons reçu nos permissions.
Notre nomination ne saurait tarder, surtout que la classe 15 rentre à partir du 19. Je serais chargé de régimenter. Je souhaite ardemment que ma nouvelle garnison soit plus proche de Prats que ne l’était Montargis.
J'ai commencé à m'équiper. J'ai un képi, 12 fr 50. Envoyez-moi de l’argent par télégramme ou autre façon que je puisse l’avoir en rentrant à Montargis, cet argent vous sera rendu avec la masse que je toucherai à ma nomination de sous-lieutenant qui est certaine. Envoyez-moi 100 fr.
J'ai dû louer une chambre 1 fr par jour. Les soldats sont encore dans la paille et quelle paille, moi qui étais à peu près propre ayant réussi à me nettoyer et à me délivrer de mille choses ! Je n'ai pu me recoucher la dessus, surtout que sans que nous lui demandions, le capitaine nous a autorisé à coucher en ville.
Je ne voudrais pas entamer l’or qui vous m'avez donné pour le front.
Mon oncle est bien mieux que tu ne l’as trouvé. Nous avons fait ce soir une petite promenade ensemble, nous sommes allés avec ma tante et cousine Marie-Louise chez les…
Ah zut, j'ai oublié les noms, enfin tu sais le monsieur à la voiture.
Le train va passer ! Je voudrais que ma lettre passer par Orléans, Montauban.
Je vous embrasse bien fort à tous les quatre bien entendu. Je mets beaucoup de baisers en plus si bien que vous aurez tous le compte.
Prosper
ps: Envoyez-moi cet argent s'il vous plait bien vite
20 décembre 1914
22 rue de l’Annonciation, Lyon
Bien chère madame et amie
Ce n'est pas le cœur bien gai que se feront cette année les échanges de souhaits. En effet, pourrait-on se désirer le bonheur pendant que tous nous souffrons de cette terrible guerre que nous aurions cru voir se terminer si vite et qui dure encore malgré les quatre longs mois que nous venons de passer. Néanmoins, puisque je n'étais pas chez moi, je n'ai pas de carte et j'ai tenu à vous dire que je pense souvent à vous et aux vôtres et qu'il me serait agréable d’avoir de vos nouvelles et de celles de Prosper qui certainement doit être parti. Espérons que 1915 nous sera une année plus favorable que celle que nous terminons et que nous chanterons bientôt la victoire de notre chère France.
Votre famille a été bien disposée. Mon mari parti le 2 août est actuellement avec l’Etat-Major où il est officié de liaison et malgré le froid et les fatigues, il se porte très bien. J'ai souvent de ses nouvelles et cela me permet de prendre mon sort en patience. Après son départ, nous avons bouclé notre logement d’Orthez et nous sommes allés à Oran où nous avons passé trois mois. Puis, le conservatoire de Lyon nous ayant ouvert, j'ai jugé qu'il serait préférable d’y accompagner Marguerite pour qu'elle continue ses études musicales et ne perde pas son année. J'ai donc laissé Germaine auprès de ma mère et voilà comme quoi, c'est de Lyon où je me suis installée en attendant le retour de mon mari que je vous adresse ce petit mot. Ma fille travaille avec ardeur ; moi je m'habitue petit à petit malgré la nostalgie de la famille et du soleil qui me manque si souvent ici.
Veuillez être mon aimable interprète auprès de Mme Tailleur, de M. Tailleur et croyez chère madame, à toute mon affection j'ajoute un rappel et j'ai oublié votre adresse, j'envoie notre lettre à mon mari qui vous l’adressera
Montargis, 23 décembre 1914
Bien chers parents
Je ne suis plus à la 29e mais à la 26e. Le motif de cette mutation, c'est que le capitaine, las de nous voir à ne rien faire à la compagnie, a demandé notre affectation temporaire dans d’autres compagnies. Me voilà donc avec une escouade de bleus jusqu'à ma nomination.
Ils sont drôles les bleus. C'est la première fois que je commande pour de bon. Ils obéissent les bleus, c'est épatant. C'est curieux comme de simples galons de laine font de l’effet.
C'est méchant un caporal. Je profite de l’… provoqué chez eux par ce changement de milieu pour prendre sur eux l'emprise nécessaire pour les faire marcher.
J'ai 25 bleus habillés comme des forçats de grosse toile et coiffés de bérets. Il y a de bonnes figures, des têtes têtues de bretons, canailles de parisiens. Pour trouver dans quelle classe de la société ils ont été péchés et transplantés là. Je regarde leur tête puis leurs pieds. Ils ont encore en effet leurs souliers de péquins.
Une bottine à boutons longue d’une coudée, c'est un paysan du centre. Des souliers américains dernier modèle, c'est un ouvrier parisien faisant le boulevard le dimanche.
Des souliers formés de tiges de toile à couleurs excentriques et éculés, c'est un apache, une sale tête de Paris.
Plus loin, il y a l’honnête soulier bourgeois à lacets, pus la vraie bottine en chevreau de l’étudiant, de l’employé de banque.
Je me plais à découvrir sur ces figures si diverses, si bizarres le caractère de ces hommes.
Mes bleus sont intéressants, en oubliant qu'ils m'ont fait m'époumoner ce matin à l’exercice pour leur apprendre le demi-tour à droite et le mouvement à droite par quatre, je puis dire que je suis content d’eux.
Je ne puis m'habituer à m'entendre appeler caporal ni me faire à leurs demandes faites d’un ton respectueux qui me donne une envie folle d’éclater de rire. L’un vient au « garde à vous » talons joints et mains à la couture du pantalon me demander l’autorisation d’aller faire… là-bas.
Un autre veut aller acheter un petit pain chez le boulanger du coin. Il a attendu que je sois seul pour venir me demander ça.
Mes chefs n'ont pas l’air féroces. Je pouvais tomber plus mal tout de même. J'attends avec grande… mes galons d’argent.
J'ai touché les 100 fr. Je les mets de côté. J'ai dû changer de chambre, l’autre étant trop loin. Celle-là pour le même prix est mieux.
Il est l’heure de rentrer. Je vais faire l’appel de mes bleus et les border un peu.
Racontez-moi un peu votre nouvelle vie. Comment avez-vous trouvé Prats ? Bien morne n'est-ce pas. Que font tante et cousine Coderch ? Ecrivez-moi souvent. Les lettres si longtemps pour arriver. Je voudrais bien vous voir par la pensée comme je vous voyais à Saumur. Décrivez-moi votre vie pour que je puisse vous suivre dans toutes vos activités et que je sois constamment avec vous.
Je vous embrasse bien fort tous les quatre.
Prosper
Montargis, le 24 décembre 1914
Bien chers parents
Je vais, dès aujourd’hui vous souhaiter à tous les quatre une bonne nouvelle année de peur qu'une lettre écrite trop tard n'arrive pas à temps.
Vous allez tous, mes chers parents, commencer une nouvelle vie à Prats. Pendant ces jours que je supplie Dieu de rendre très nombreux, je vous souhaite un repos complet, une vie aussi… que possible…
Je souhaite avant tout pour vous une bonne santé. Que Dieu vous conserve longtemps à mon affection. C'est si bon d’avoir des parents.
Ce matin encore, j'ai commandé mes bleus. J'avais les plus petits de la section. Mon Dieu que de petits bonhommes cela fait.
Je suis heureux de constater que je ne puis pas être méchant.
Je voulais gronder à un moment mais devant la frimousse imberbe et jeune du fautif qui parait n'avoir que quinze ans, j'ai eu tellement envie de rire que je n'ai rien dit de peur d’éclater.
Ils font tout ce qu'ils peuvent les bons petits gars. C'est prodigieux ce qu'ils savent déjà après trois jours d’exercice.
Je vais passer loin de vous les fêtes de Noël. C'est la première fois, je vais penser bien souvent à vous.
J'écris gros et un peu n'importe comment parce que je suis dans une demi-obscurité loin de la lumière.
Nous avons quartier libre demain, c'est parfait, chacun pourra faire ce qu'il désire.
Il y a au moins trois jours que je n'ai rien reçu de vous.
Il ne fait pas froid, heureusement, je suis en plein centre de la France et je n'ai jamais vu de Noël si doux. Je vois beaucoup de monde pour le 1er de l’an : le directeur de Montpellier, M. Preaux, oncle Coderch. Est-ce tous ?
Je vous embrasse bien fort à tous les quatre. Encore une fois une bonne nouvelle année et beaucoup de baisers.
Prosper
Montargis, 26 décembre 1914
Chère bonne maman,
Hier, j'ai envoyé une lettre ou je vous souhaitais en même temps que mes parents une bonne nouvelle année. Ayant l’occasion de me procurer ces cartes qui vous intéressent, je recommence et cette fois pour vous seule, votre petit-fils vous envoie ses meilleurs vœux de nouvel an.
Je vous envoie mille caresses que, si l’autorité militaire avait été plus large en fait de permissions, je serais allé vous faire moi-même. J'étais bien heureux d’avoir papa, maman et tante tout près à Saumur, mais vous étiez toute seule et ils vous ont rejoint.
Je vous les confie avec plaisir, vous formerez tous les quatre un groupe ou je suis bien sûr et bien heureux l’on parlera souvent de moi. J'ai eu des nouvelles de Valentin il y a quatre jours. Il n'est plus en réserve mais n'est pas non plus en première ligne. Son régiment est prêt à donner au premier signal. Il habite une carrière dans les côteaux aux abords de l’Aisne. Je vous envoie des photos des troupes anglaises et indiennes qui cantonnent et campent à Orléans. C'est curieux comme ces gens à demi sauvages et qui viennent de si loin se sont faits à notre mode d'existence.
Voyez sur la carte numéro 1, l’air malicieux de ce muletier devant l’objectif. Le chef qui est tout au plus un sous-officier a une allure superbe.
Ils constituent des troupes plus belles et plus martiales que les Anglais eux-mêmes (carte n° 2) qui pourtant ont du cachet, surtout lorsqu'on les compare au malheureux territorial qui s'est fourré au milieu de la plaque. Il ne faut pourtant pas exagérer leur valeur ; les anglais ou les hindous n'ont pas au combat notre mordant. Ils résistent bien. Avec un sang-froid prodigieux, ils se font tuer là où on leur a dit de tenir, mais c'est tout. Dans la carte n° 3 vous n'avez qu'à admirer le beau spécimen.
Je vous embrasse bien fort encore une fois.
Prosper
Montargis, 27 décembre 1914
Bien chers parents et chère bonne-maman
Voila Noël passé, quel triste Noël loin de tout. Intéressant, je vous communique un renseignement confidentiel arrivé hier de Paris par l'oncle sénateur de Natez, l'un de nous les E.O.R. Nous ne sommes pas oubliés comme nos ennemis d'ici se plaisent à nous le dire. Nous serons nommés au feu et à mesure des besoins, par conséquent les premiers d'abord et « probablement assez prochainement ». Ce sont les termes même de la dépêche.
J'ai reçu hier une petite carte bleue. Je les reconnais bien ces petits billets dans les gros paquets que je distribue matin et soir aux bleus affamés de cette chose. Je te trouve assez vite, je suis toutes vos recommandations.
Je viens de quitter mes bleus qui se sont formés et astiqués avant de partir car j'avais dit : « celui qui ne sera pas tiré à quatre épingle ne sortira pas ».
Ils ont eu une frousse terrible et pendant une heure on n'entendait dans le cantonnement que le bruit des brosses et des balais.
Je n'ai encore puni personne, ils font tout ce qu'ils peuvent. Si ce n'était ces dures caboches de bretons ça irai très bien déjà, mais ils sont là et je dois m'égosiller.
Mon changement de compagnie me prive de toute correspondance qui arrive avec quatre jours de retard, écrivez-moi bien à la 28e compagnie.
J'ai appris d’un artilleur du 45e que le régiment de Valentin est maintenant dans l’Argonne, Valentin va sans doute redonner.
Il se prépare je crois une grande chose. On parle d’offensive générale, les dépôts sont vidés. Ceux riches en hommes comme le nôtre a fourni hier au 113e de Blois et à un bataillon de chasseurs.
Ayons confiance, les premiers jours de l’année nous serons favorables.
Je vous embrasse bien fort à vous tous.
Prosper
Montargis, poste de la halte-repas, le 28 décembre 1914
Bien chers parents et chère bonne-maman
Je suis de garde. C'est la première fois et comme toute nouvelle chose c'est assez intéressant. Je vais, ne pouvant dormir ou très peu, vous narrer mes impressions.
Ce matin, le sergent de semaine m'annonce que c'est mon tour de garde. C'est à la halte-repas, un poste de quatre hommes et d’un caporal. Je vais donc être le manitou de ce poste. Je m'informe. C'est à la gare, un petit camp composé d’une baraque, une petite tente et une d’immense, le magasin. C'est lui qui va être l’objet de toutes mes sollicitudes.
Je dois prendre la garde à 5 heures. Je passe par Dursy, le quartier général de la 169e, ici l’adjudant-chef me donne le mot, un nom de général C… un nom de ville P… C'est la première fois que l’on me confie le mot, aussi conscient de l’importance (sic) du secret que je portais en moi. Je vais en ville avec mes quatre hommes ridiculement ceinturés de leur vaste couverture rouges, un défilé sérieusement impressionnant. On devait dire sur mon passage, voilà des soldats qui vont garder surement le trésor public. Or je l’ai constaté maintenant, je suis commandant de garde pour garder dix boules de pain et quatre réservistes embusqués qui ont sans doute peur auprès de voies à la lisière du bois.
Mais que je vous raconte mon arrivée. La halte-repas est une cantine militaire distribuant du café, des conserves et de stimulants aux soldats de passage. Elle est située à 400 mètres de la gare, au bord des voies de garage. Pour vous entraîner un peu à avoir moins peur pour votre soldat, que je vous dise qu'avec mes quatre hommes je suis allé à la recherche de la halte-repas au milieu d’un fouillis inextricable de voies ou circulaient toutes sortes de véhicules crachant, fumant, hâletant qui sortaient du noir derrière avec des lanternes comme des yeux de chats et des coups de sifflets épouvantables.
Mes hommes de ferme de la classe 14 s'étaient mis en paquet derrière moi et nous sautions de voies en voies à qui mieux mieux.
Le poste, c'est une tente en pain de sucre avec de la paille et au centre une lanterne, le vent souffle en tempête et je suis curieux d’être à demain matin pour savoir qui de lui ou d’elle triomphera. En attendant pour ne pas le recevoir sur le dos, nous l’évacuons pour une petite cuisine qu'un homme de la halte m'a signalée et où il y a un poêle, nous y serons hospitalisés pour la nuit à condition que nous entretenions le feu. Il n'y avait pas de consigne spéciale à ce poste, en voilà une seulement, je trouve qu'il est plaisant que l’on commande un caporal EOR surtout et quatre hommes pour entretenir le feu de messieurs les embusqués de la halte-repas.
Il ne faut pas nous plaindre. Il fait bon dans la cuisine, elle est faite en papier goudronnée mais il y fait chaud. Je vous assure car je suis certain que chaque jour une coupe de la forêt qui est là tout contre disparaît dans le foyer de son poêle. Interruption, je vais relever ma sentinelle, il est onze heures. Je cargue mon passe-montagne, j'enroule mon cache-nez et ouf dehors… Il fait un vent épouvantable qui m'a éteint deux fois mon falot. Deux heures dehors par un temps pareil ce n'est pas agréable. Enfin puisque c'est pour garder dix boules de pain (sic). Ici, dans la cuisine, tout le monde ronfle. Les hommes se relèvent de deux heures en deux heures, nous en avons pour jusqu'à demain huit heures. Bien entendu, le caporal ne prend pas la faction. De temps en temps, je vais faire un petit tour avec mon falot, c'est très amusant. Les tentes résistent au vent. Je les aide un peu mon factionnaire, le coup de crosse enfonce les cramons qui se soulèvent.
Il y a des trains qui passent à toute allure là à cinq mètres. Nous ne distinguons rien, un panache de fumée rouge, des raies intermittentes de lumière, un grand bruit puis la nuit.
De temps en temps, une forte bourrasque secoue les meurs mouvants de ma chambre, toute la batterie de cuisine s'agite, c'est alors un orchestre complet : le vent faisant alternativement la basse ou le soprano. Les dormeurs qui rythment le morceau, enfin les trains avec leurs roues et leurs sifflets.
Attention, une bourrasque. Résistera, ne résistera pas… ma chambre a résisté, ouf. Je me suis sans-abris. Le ciel est très clair, il va geler demain matin.
Une heure du matin. Je viens de m'associer durant quelques instants à l’orchestre. Ma sentinelle est venue de… de mes rêves. Je vais la relever. Je m'équipe, cache-nez, passe-montagne. Il gèle, grâce au fusil j'ai la main droite chaude mais la gauche… oh là là. Je ne sais où la fourrer.
J'ai encore pris le froid deux fois, à 3 h et à 5 h, mais c'est fini, voilà huit heures, je rentre. Vivement mon plumard. Je vais y dormir jusqu'à ce soir.
Je me souhaite une bonne nuit et à vous bonjour et je vous embrasse bien fort à tous les quatre.
Prosper
Démobilisé en août 1919 et affecté à la Direction des Pyrénées-Orientales, vous veniez de passer l’examen du premier degré quand, en décembre, la première fournée de "surnus" d’après-guerre vint encombrer la vieille Direction des Allées Amiel à Perpignan.
C'est là que nous nous sommes connus.
Je n'ai pas oublié l’accueil cordial et, dans la pure tradition de la Vieille administration que vous avez réservé à cette première fournée, accueil marquant et qui fit que nous eûmes tout naturellement l’impression d’avoir toujours appartenu à la famille des Directes.
Notre ami Maler, subitement disparu il y a quelques semaines était de la "fournée" ; c'est avec émotion que j'évoque son souvenir et que je vous demande, mes chers camarades, de vouloir bien vous recueillir un instant pour honorer sa mémoire.
Ce fut ensuite, pour vous, Monsieur le Directeur, l’intérim du Contrôle principal de Reims, mené de front avec la préparation de l’examen du second degré et, en Janvier 1921, votre première nomination officielle au contrôle de Prades – Secteur sans histoire – si ce n'est les rudes tournées de montagne à une époque où l’on était mal ou pas motorisé – qui fut géré à l’entière satisfaction d’un Directeur pourtant difficile, je dirais même capricieux, en même temps que vous acheviez votre licence en Droit.