Janvier à juin 1915
Argonne Création mars 2020

Janvier

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Montargis, le 2 janvier 1915

Bien chers parents

Présentez armes… ouvrez le ban : vu la décision d’aujourd’hui, le caporal EOR Tailleur est promu au grade d’aspirant. Fermez le ban, reposez armes.

Voilà qui est fait. En réalité, il n'y a pas eu toutes ces formalités. Tout au contraire cela a été froidement fait. Le chef (traduisez le sergent major) dont je suis aujourd’hui le supérieur hiérarchique m'a annoncé la bonne nouvelle avec une tête longue d’une aune hier matin au réveil. C'était le premier janvier, si bien que je crois que j'ai eu des étrennes superbes, deux galons d’argent que je n'ai pas tardé à coudre sur mes manches. Il fallait voir les bleus. Ils ne comprenaient plus. Ils étaient figés, ils m'appelaient caporal, sergent, lieutenant, tout à la fois. Comme j'étais passablement gai, j'ai éclaté de rire au nez de deux ou trois.

Comment se fait me dit l’un deux que vous ayez sauté quatre grades.

Mais le plus comique c'était la tête des caporaux et sergents. Je leur avais tout caché pour qu'avant ma nomination ils ne me meurtrissent pas l'omoplate, si bien qu'ils ont failli tous attraper la jaunisse.

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Il fallait voir ces félicitations et ces gracieux sourires qui tournaient tous à la grimace. En une journée j'ai été vengé de toutes les humiliations que j'avais subi au régiment.

Je viens de me commander une vareuse. J'ai fait mettre des poches à la capote bleu clair que j'ai touché et qui est réglementaire. J'attends mon sabre et mon revolver d’ordonnance puis en route pour où. Je ne suis mais bientôt je verrai les boches.

Attention, je suis dans une tranchée, voilà une attaque. Je commande. Garde à vous. Feu à volonté, hausse 400 commencez le feu. Hausse 240. L’élan est arrêté, c'est le moment, en avant à la baïonnette.

Ce soir, troisième piqure contre la fièvre typhoïde. J'ai horriblement mal au bras mais c'est tout. Le sérum n'a aucune prise sur moi. Dire qu'il y en a qui tournent de l’œil pendant huit jours. Mon oncle Coderch m'a souhaité avant-hier par dépêche d’aller passer le premier de l’an là-bas. J'ai remercié par dépêche.

Depuis quatre jours je n'ai rien reçu de vous. Que c'est long. Aujourd’hui il y avait un paquet énorme pour la compagnie. Je l’ai fouillé moi-même. Rien.

Comment allez-vous chère maman et bonne-maman.

Je vous embrasse bien fort à tous les trois et je joins mille gros baisers pour bonne-maman. Vous êtes remise j'espère.

Dès que je serais en uniforme complet, je me ferais photographier puis je vous enverrai ce chef-d’œuvre. Je n'ai pas de nouvelles de Valentin.

Envoyez-moi de l’argent pour mes menus frais et ma chambre. J'ai laissé mes sous (200 fr. plus intérêts).

Prosper

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Montargis, 4 janvier 1915

Bien chers parents

Depuis quatre jours je suis aspirant. Je commence à peine à me faire à ce changement fantastique. Voyez-donc, quand l’adjudant n'est pas à l’exercice, c'est moi qui commande et alors j'ai 160 jeunes soldats sous mes ordres. Avant j'avais 16 hommes, mon escouade proprement dite.

Mais que je vous raconte un peu quelques instants de ma nouvelle vie. Je mange au mess, moyennant abonnement or la… l’adjudant qui est le grand marmiton avec une morgue de circonstance, une… spéciale, il a assisté à nos ébats de jeunes petits, car les sergents et moi faisons un beau raffut. C'est comique certaines fois, à une de nos boutades il se déride l’espace d’une seconde pour sourire, c'est tout.

Je commande effectivement une section. J'ai un sergent directement sous mes ordres, plus trois caporaux.

Jeudi j'aurais mes frusques. Je me ferais photographier.

Mille baisers pour vous quatre.

Prosper

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8 janvier 1915

Bien chers parents

Je vous envoie de bons baisers, nous avons rejoint notre poste. Vous saurez par mes lettres ce qu'il est et que nous ne sommes pas exposés.

Nous venons de faire une longue étape avec sac bourré. Ça a été dur. J'ai amené tout mon monde, pas de trainards.

Encore une fois de bons baisers pour vous tous. Je viens de recevoir une lettre de tante Louise. Je lui répondrai demain. Je vous embrasse bien fort.

Prosper

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Blois, le 10 janvier 1915

Bien chers parents

Que je vous narre bien vite mon installation dans ma nouvelle caserne. Je suis versé à la 30e compagnie. Je suis comme dans du coton. Les sergents et le sergent major me donnent du monsieur l’aspirant gros comme le bras, mon capitaine qui est de l’active me plait beaucoup. Il a une figure énergique superbe. Ce doit être un brise tout comme je les aime. Il m'a serré la main ainsi que le lieutenant et le sous-lieutenant très gentiment. Je suis affecté aux bleus. J'aime ça.

Je n'aurais pas été fâché non plus d’avoir des réservistes pour m'entraîner à me faire obéir.

Maintenant que je vous décrive ma chambre que je partage avec l’adjudant ce qui ne me plait pas beaucoup, tant pis pour lui. J'ai un lit de soldats mais avec trois couvertures… l’une d’elle me sert comme couvre-lit. Elle bleu comme un beau ciel d’hiver et bordée de soie, oui de soie. Je vais avoir une ordonnance ou plutôt comme on dit un tampon pour astiquer mon équipement.

On ne parle toujours pas de mon départ. Je suis certain maintenant que je partirai comme sous-lieutenant.

Mille grosses caresses.

Prosper

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Voilà mes dépenses sur les 100 fr. que vous m'avez avancé.

Vareuse 55 fr. modification d’une capote bleu clair obligatoire pour le front 20 fr.

Modification d’une magnifique culote de velours à grosses cotes que j'ai touché au corps 5 fr., le cela fait 80 fr.

Puis comme ma bourse est à sec depuis plusieurs jours et qu'une lettre où je vous demandais de l’argent a du se perdre, j'ai entamé les 20 fr soit au total.

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J'ai passé hier quelques heures à Blois. Je ne suis rentré que ce matin. Je suis très content de mon nouveau régiment, tous les officiers aussi avec qui j'ai eu affaire ont été charmants, pas de rudesse des « pères de famille ».

La caserne est loin de la ville mais elle est saine.

J'ai reçu hier une carte de Valentin, il est en bonne santé. Il est à Rarécourt dans l’Argonne. C'est par là qu'il a été blessé. Mon oncle d’Onzain n'est pas très fort encore. Je vais sortir. Nous sommes trois aspirants ici, tous trois du 169e. Malheureusement ce sont les deux j'estimais le moins. Ils sont bons garçons malgré cela.

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(suite et fin) J'ai l’honneur d’informer le lecteur que nous commencerons au prochain numéro une nouvelle intitulée « une séance d’exercice ».

Je loge au troisième étage de l’immense caserne. Ma fenêtre donne sur la cour du quartier Maurier de Saxe. Dans cette caserne matin et soir les bleus usent des souliers à faire demi-tour ou de l’exercice en rangs serrés. Pauvres petits bleus. Ils sont ici plus petits encore qu'à Montargis, la moyenne est mauvaise, le recrutement encore plus mauvais, la Sarthe, la Mayenne et le Morbihan nous ont envoyé leurs dignes habitants. Je ne me plains pas des Bretons, ce sont des têtes de fer. Mais une fois dressés ce sont de très bons soldats. Je réussissais bien avec ceux de Montargis. Je les tutoyais pour leur donner confiance et ils me préféraient déjà aux autres gradés, pourtant j'étais très dur avec eux.

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Malheureusement, il y a des conscrits de la Sarthe et de la Mayenne. Cette phrase : la cour d’assise de la Sarthe… vous est sans doute restée à l’esprit pour l’avoir trop souvent, hélas, lue dans les journaux. C'est le département où il se consomme le plus d’alcool. Il faut voir quels sont les effets de ce poison sur l’hérédité, c'est effrayant. Des visages stupides au profil de singe. Ils donnent raison à ceux qui prétendent que nous descendons de ce quadrupède. Il y a cinq ou six de ces tristes individus (il y en a une vingtaine de la Sarthe) à qui l’on ne sait que dire pour se faire comprendre. Je me suis surpris à causer par gestes à l’un deux.

Nous avons changé de capitaine depuis ce matin. Le nouveau qui visite les locaux vient de me faire l’honneur d’une visite. C'est une capitaine d’active à l’abord sympathique.

Prosper

Ps : Je vous envoie mille bons baisers pour vous quatre. J'attends avec impatience une longue lettre. Il était convenu que les cartes bleues étaient pour lorsque le temps faisait défaut.

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Blois, le 10 janvier 1915

Bien chers parents

J'ai un long moment dont je puis disposer, je vais donc vous écrire encore aujourd'hui.

J'ai quitté Montargis le 9 au matin par le train de 9 h. J'étais à Onzain à 11 h. J'ai trouvé mon oncle sur la route de la gare. Il venait devant moi.

Pauvre oncle, comme il était vieilli. Il était alerte vif, il se tenait bien droit avant tandis que maintenant il est un peu vouté et surtout très amaigri. Il est devenu frileux et craintif car il se sent faible et le froid l'épouvante. Ma tante est bien remise, il ne parait pas qu'elle ait été malade. J'ai passé l'après-midi avec eux, nous sommes allés voir les deux catalans blessés et soignés à Onzain qui sont très gentils et vont voir mon oncle

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Je voulais rentrer par le train du soir à 8 h 20 mais ils n'ont pas voulu. Je n'ai donc regagné Blois que ce matin. La caserne est au diable de la gare, heureusement qu'il y a un tramway. Les haras sont encore bien plus loin toujours sur la même route. Je suis allé chez le commandant major, un vieil officier de réserve, très bon très paternel. Il m'appelait son « jeune ami ». J'ai attendu dans son bureau que le commandant du dépôt soit visible. Celui-ci est sec, c'est un officier d’active évacué ou blessé. Il doit être à cheval sur le règlement.

Je crois avoir deviné que nous n'étions dans ces dépôts, nous les aspirants, pour nous entrainer et que notre nomination au grade de sous-lieutenant de réserver est certaine. Nous partirons comme sous-lieutenant. Il faut travailler pour pouvoir partir vite m'a-t-il dit. Nous n'avons pas fini de gagner des galons, on nous demande encore un effort. Ça va ronfler dans ma section.

Il y a 140 bleus à la compagnie. Ce qui est le plus comique c'est qu'ils sont habillés en pompiers, oui, je ne plaisante pas. Sur leurs boutons d’uniforme, il y a un pompier. Horreur ! Je vais commander 140 pompiers. Il ne faut pas croire en constant l’accoutrement bizarre des jeunes soldats que nous sommes à court d’effet. Les magasins sont pleins et peuvent habiller toute la classe. Seulement on ne leur donne pas ces vêtements neufs, à l’exercice ils les abimeraient. En temps de paix, les jeunes soldats touchent une tenue numéro 3 usagée qu'ils achèvent d’user à l’exercice. Il ne reste plus de ces vieux vêtements que la classe 14 a employé.

J'achève de vous décrire ma chambre, une grande pièce au 2e étage, aux murs des gravures diverses, un poêle, deux lits bien garnis, deux petits casiers à paquetage, une table de toilette, une chaise, un fauteuil de bureau. En plus de cela, des râteliers pour…. Le vieil adjudant qui loge avec moi est de la réserve de l’armée territoriale. Un homme bien ayant une tenue soignée, parlant peu un extérieur froid. Je ne puis deviner quel bonhomme il va faire. Je l’ai vu peu de temps.

La compagnie est bien fournie comme cadres d’officiers et sous-officiers. Un capitaine, deux lieutenants, deux sous-lieutenants, un adjudant, un aspirant, un sergent-major, un fourrier, 15 sergents, 31 caporaux et 400 hommes, c'est un effectif formidable.

Les sergents sont très respectueux avec moi. Je vais être sans doute le chef des bleus. Demain cela va se décider.

Je remonter à la caserne pour la soupe au mess. La cuisine est moins bonne qu'à Montargis.

J'attends quelques sous. On ne sait pas encore ce qu'il nous est dû. Je touche toujours la solde de caporal. Je vous embrasse bien fort à tous les quatre.

J'ai payé ma chambre à Montargis 19 fr. sur les 100 fr. or

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Blois, le 12 janvier 1915

Bien chers parents

Je reçois à l’instant en même temps qu'un mandat télégraphique trois lettres, une petite bleue de vous, une de Mme Moy et une du sergent Liard qui est blessé ou plutôt évacué (il a eu les deux pieds gelés) et soigné à Orange son pays. La lettre de Mme Moy est bien gentille. La vôtre, datée du 4 janvier a mis 7 jours. C'est affreux.

Vous vous plaignez de recevoir rarement de mes lettres, j'écris pourtant tous les jours ou presque. Ainsi avant-hier, j'ai envoyé deux lettres, j'avais le temps et je sais que deux vous ferons beaucoup de plaisir.

J'ai changé de chambre, j'ai une grande chambre pour moi seul. Un mobilier frustre. Un casier armoire, un lit de soldat (il y a deux matelas quand même !!), une table où je travaille car je travaille intellectuellement aussi, une table de toilette et une chaise. Sur ma table, un énorme revolver d’ordonnance et mon sabre, puis mes théories.

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Blois, le 15 janvier 1915

Bien chers parents

Je reçois à l’instant votre lettre datée du 12 janvier. J'ai une grande heure devant moi, je vais vous narrer un peu ma nouvelle vie. Mes bleus sont au repos, ils viennent d’être vaccinés contre la fièvre typhoïde. Demain, nouvelle journée de repos que nous emploierons à les équiper complètement.

Aujourd’hui nous les avons divisés en trois groupes, les bons, les moyens et les nuls. J'ai demandé à m'occuper spécialement des nuls. Je veux les dérouiller et j'y arriverai. Ils sont au nombre de 37, tous plus bêtes les uns que les autres. Je ne sais trop comment je vais faire, je ne les connais pas encore assez. Je ne serais pas sévère pour les raisons suivantes : ce sont pour la plupart des paysans bornés n'ayant pas dépassé la lisière de leurs champs que pour venir au régiment. Ils ne savent rien, beaucoup (10) ne savent ni lire ni écrire. Depuis qu'ils sont au régiment, ils ont été bousculés soit par leurs camarades plus intelligents soit par les gradés car à l’exercice ce sont eux qui commettent les fautes et provoquent la confusion.

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Je les ai eus 10 mn en main cet après-midi, j'ai constaté qu'ils étaient absolument épouvantés. A plusieurs reprises les positions étant mauvaises, j'ai voulu les rectifier en déplaçant leur arme ou leurs bras. Les pauvres tremblaient comme des feuilles.

Il faut donc avant tout leur redonner courage et confiance. Il faut qu'ils vouent bien qu'on ne demande d’eux que de la bonne volonté.

J'ai choisi mes caporaux. Ils sont très énergiques comme sous-officiers en caporal fourrier (grade assimilé à celui de sergent) de l’active. Un homme instruit intelligent et leur chef.

Avec cela, je crois que je réussirai. Si vraiment l’intelligence de mes hommes fait complétement défaut, j'en ferai des automates comme les soldats allemands, mais j'ai la conviction que j'obtiendrai mieux que ça.

Avec ce groupe, je serai indépendant, je ferai l’exercice que je voudrais, je ferai montre d’initiative et surtout je pourrai donner plus de vigueur à l’instruction car notre adjudant de la territoriale s'endort.

Blois est une ville intéressante, pittoresque, avec de vieilles rues qui grimpent tout le temps, bordées de maisons à pignon. Actuellement elle est morne, surtout qu'il pleut constamment comme en Vendée.

Heureusement que mes bleus vont m'occuper. Je vous embrasse bien tendrement, je joins toutes mes caresses, de bons gros baisers pour bonne-maman qui je remercie bien fort.

Je vois que bonne-maman n'oublie pas son petit soldat.

Prosper

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A M. Prosper Tailleur, Aspirant, 113e de ligne, 24e compagnie, Blois, Loir-et-Cher.

Mon aspirant, merci de ton aimable carte et je souhaite que tes galons d’or te soient promptement donnés. Souberluelle est parti hier courageusement pour Auxerre, de là, je ne sais où il va.

Arrivant à mes idées noires, je les ai toujours. Et le vœu que je fais, c'est qu'elle ne se réalisent pas.

Ton ami Rossignol.

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Blois, le 17 janvier 1915

Bien chers parents

Soyez contents et fiers chers parents, votre fils est appelé à faire son devoir là-bas où mes parents et mes amis et ceux de mon âge sont déjà. C'est demain que je m'embarque à destination du 313e, le régiment de réserve du 113e. Je serais nommé sous-lieutenant là-bas.

Mais je crois deviner des larmes dans vos yeux, vite séchez-les, vous ne devez pas vous chagriner. Je pars si fier. Sous-lieutenant là-bas, quel honneur, commander des français victorieux depuis la mi-septembre.

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Lorsqu'on vous demandera où je suis, est-ce que votre cœur ne se gonflera pas de plaisir lorsque vous répondrez : il est sur le front.

Je vais, je crois à Boureuilles dans l’Argonne, au nord-est de Sainte-Menehould, ou pour être plus précis à 25 km au nord de Clermont-en-Argonne.

Un pays boisé comme Prats. Ce sont ces régions que je préfère le mieux pour manœuvrer.

Je vais au régiment de réserve ce qui fait dire aux officiers de ma compagnie que j'ai de la veine. Ainsi voici déjà un gros motif pour vous rassurer.

J'ai de la veine vous voyez, j'en ai toujours eu ou plutôt la Sainte Vierge que vous priez bien fort pour moi m'a secouru. Ce sera encore comme cela et j'en aurai… des histoires à vous raconter.

J'ai bien prié Dieu ce matin en communiant à Onzain.

Oui, je suis allé embrasser mon oncle et ma tante, il m'a semblé que c'était vous car ce sont de bons parents. J'y suis arrivé hier soir à 6 h et je suis reparti ce matin à 8 h.

Ils vont vous dire dans quelles bonnes conditions je me trouve, santé excellente et bon entraînement. Je pars demain avec mes copains, les autres deux aspirants, un sous-lieutenant que je ne connais pas et 200 territoriaux versés au 313e.

Comme je ne quitte Blois qu'à 8 h 59 et comme mon oncle viens à Blois demain par le train de 8 h 45 ou 8 h50, j'ai des chances de le voir à la gare.

Mais ce qu'il y a de plus fort et de plus charmant, c'est que je vais trouver Valentin là-bas.

Le 45e est en effet le régiment d’artillerie attaché à ma division. Il était à Rarécourt il y a une huitaine, c’est-à-dire à 8 km plus au sud de Boureuilles.

Je ris déjà en pensant à la tête qu'il va faire lorsqu'il me rencontrera au coin d’un bois. Je vous raconterai ça. Puis maintenant, vous n'aurez plus besoin de l’Echo de Paris pour vous décrire les tranchées de l’Argonne, vous aurez un petit reporter pour vous tout seuls.

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Je vous écrirai le plus souvent possible, seulement ne comptez pas sur un service régulier, j'écrirai toutes les fois que j'aurai du temps.

Je vais mettre lorsque ce sera possible le nom du pays. Si c'est impossible, voilà comment je ferai pour écrire Boureuilles par exemple. Au commencement de ma lettre, en commençant par la première ligne, je marquerai d’un point le premier b que je rencontrerai, c'est la première lettre du mot à former puis à la suite du b marqué le premier o puis le premier u.

Voyez le commencement de la lettre Boureuilles est marqué. Un petit trait en face de la ligne portant la dernière lettre marquée, un disque la fin du mot. Ensuite, je puis marquer la région ainsi j'ai pointé ensuite Argonne. Lorsque les points qui seront plus petits seront trop nombreux sur la même ligne, je pourrais en sauter mais toujours les lettres seront dans l’ordre, il faudra suivre ligne par ligne et relever les lettres marquées. Voilà un bon petit truc.

Si je suis prisonnier, il faudra toujours chauffer mes lettres car en trempant la plume dans un oignon on peut obtenir une écriture invisible qui ressort à la chaleur.

Comme le service de la correspondance est mal fait, et que je puis très bien être fait prisonnier, il ne faudra pas vous désespérer à aucun moment, les hasards sont si grands.

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Tout cela ne sont que de prudentes précautions. La Sainte Vierge me donnera toujours ce que les autres appellent de la veine.

J'ai mon sac.. ainsi qu'une cantine mais tout est presque dans mon sac car les cantines, c'est problématique.

J'ai interrompu un instant ma lettre pour monter à la caserne, je devais toucher une couverture de couchage et des vivres de réserve.

J'y ai appris que par suite d’encombrements sur les lignes ferrées, notre départ est remis à mardi à la même heure. C'est donc pour après-demain. C'est embêtant ce retard, j'avais tout prêt.

Je vais en profiter pour allonger une lettre puis j'aurais le temps demain d’écrire à quantité de gens. Je me suis mis à écrire à tous mes amis, c'est intéressant d’avoir des lettres. J'ai eu ce matin une lettre de Maurice qui est infirmier à Dunkerque.

Demain je vais voir mon oncle, il va être surpris de me trouver encore là.

J'ai acheté la carte de la région où je vais. C'est la carte d’Etat-major, vous y pourrez voir à un millimètre près l’endroit où je vais me battre puis mes lettres seront plus intéressantes car vous aurez le pays sous les yeux.

Boureuilles se trouve juste au bord, le diamètre d’un petit sous représente sur la carte 2

Il faut toujours m'écrire au 113e régiment 30e compagnie de Blois jusqu'à nouvel ordre. J'oublias de vous dire que j'ai emprunté 100 fr. à mon oncle. C'est encore que vous me prêtiez sur la masse que je toucherai là-bas. Vous les enverrez aussi vite que possible à l’oncle.

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Blois, le 18 janvier 1915

Bien chers parents

J'ai reçu ce matin une carte de vous. On me l’a remise dans la vie. J'étais avec mon oncle qui était venu ce matin pour la saint…

Je vous ai envoyé hier une longue lettre que vous aurez reçu j'espère bien lorsque celle-là vous parviendra.

Notre départ a lieu ce matin à 8 h 59 par train spécial… C'est la moindre des choses pour de braves troupiers comme nous. Je suis toujours fier d’y aller. Ces sales Allemands, je pourrais en descendre beaucoup.

J'ai vu des hommes avec lesquels je vais faire la route. Ce sont des hommes âgés, les dernières classes de la territoriale, presque de la réserve de la territoriale.

Il a de bonnes figures, certains sont déjà allés au feu et en revienennt.

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Je vous dis tout ce que je ressens, je n'ai personne avec qui je puisse causer librement, et cela m'est nécessaire.

Que tu te plains chère maman que je ne laisse pas lire en moi, pourtant il y a tous mes actes dans mes lettres.

Dans ma lettre d’hier, je t'ai dit chère petite mère que j'avais reçu le bon Dieu avant de partir. J'ai demandé le pardon de mes fautes.

Il me tarde d’être avec mes hommes ce soir, le petit contact que j'ai eu avec eux (le général nous a passé en revue) a fait naître en moi une foule de sensations. Je vais les aimer mes hommes. On me les confie, je dois les mener au danger, j'aurai leur vie entre mes mains. Quels soins je vais prendre pour les préserver de la fatigue.

Ce sont tous des pères de famille, la pensée de leurs petits me donnera de la force.

Priez bien pour que Dieu me donne la force de les mener. Ils seront durs au début, mais je crierai aussi bien fort.

J'ai ma cantine de prête, mon sac aussi, j'ai tout ce qu'il me faut, mais j'ai dépensé de l’argent, tout est très cher maintenant. J'emporte 150 fr., je toucherai 2 fr. par jour sur le front si l’on me paie régulièrement je n'aurai besoin de rien.

Seulement au moment de notre nomination on nous a versé 28 fr. de trop. Le trésorier du 169e me les réclame juste ce soir. Je ne veux pas me démunir de cet argent. J'ai écrit au trésorier du 169e que vous les lui feriez parvenir.

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Je suis épouvanté et peiné de toutes ces demandes d’argent que je vous fais, mais dès ma nomination au grade de sous-lieutenant, je vous rembourserai.

Vos lettres sont tristes chers parents et cela me peine beaucoup. Je vous écrirai aussi souvent que possible. J'aurai de belles histoires à vous narrer, surtout réfléchissez bien à raisonner votre souci, vous verrez que souvent ce sera à tort que vous vous causez du mauvais sang.

J'ai écrit à des tas d’amis aujourd’hui et hier. J'étais si fier d’écrire je pars demain. Puis je serai très heureux de recevoir des tas de lettres là-bas.

Je rencontrerai surement Valentin. Je lui ai écrit lui indiquant mon régiment.

Dès que je verrai du 45e, je réclamerai Cabanat à toutes les pièces et trains de combat qui passeront.

Je vous ai envoyé hier dans une enveloppe une carte de la région où je serai, ma commission de surnuméraire.

J'ai maintenant comme pièce d’identité ma nomination au grade d’aspirant. Puis une carte postale ou nous sommes tous les EOR de Montargis. Ce sera pour moi plus tard un précieux souvenir. Je me suis fait photographier chez Zariffe photo, rue Porte côté. Vu mon départ je ne peux vous envoyer les photos. Il le fera lui-même, il faudra les lui réclamer.

Je vous envoie mille et mille caresses chers parents. J'embrasse bien tendrement bonne-maman.

Prosper

Ps : mon adresse est toujours 113e de ligne 30e compagnie, écrivez-moi souvent. Je vivrai de votre souvenir et de vos lettres.

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Vendredi 19 janvier 1915

Bien chers parents

Un petit mot aujourd’hui pour vous donner de mes nouvelles. Je vous envoie des cartes d’ici. Une fois au repos, je vous enverrai de plus longues lettres. Les jours passent assez vite en service de l’avant. Trois jours de passé, encore trois et nous irons sans doute nous reposer à Bellefontaine. Le temps est sec mais froid. On peut le supporter. Il y a un prêtre infirmier à la compagnie. J'ai fait connaissance, nous causons un peu. Il m'a prêté de petites brochures que je vais lire pour tuer le temps. Depuis que je suis ici je n'ai rien reçu de vous. Que c'est long. Je trouverai un gros paquet de lettres sans doute à Bellefontaine.

Je vous embrasse bien fort à vous tous.

Prosper

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Les Aubrais, 19 janvier 1915

Bien chers parents

Sur la route vers l’Argonne. C'est superbe ce départ, que de sensations. Les 200 qui vont… sont charmants. Tous pleins d’ardeurs. Un patriotisme raisonné superbe.

Le temps est un peu froid mas pas de pluie. Je vous écrirai en arrivant. Je vous ai envoyé deux longues lettres, une hier et l’autre avant-hier. Je suis très heureux.

Je vous embrasse très bien fort.

Prosper

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Gare de Laroche, le 20 janvier 1915

Bien chers parents

Je roule, je roule vers le font, mais avec des arrêts interminables un peu partout. Ainsi nous sommes depuis hier minuit ici nous n'en partirons que très tard dans la soirée. Le voyage n'est pas fatiguant ainsi, bien installés dans de très bonnes voitures de première. Nous nous acheminons mollement vers le front. Le lieutenant qui commande le détachement de renforcement dont je fais partie est charmant. Il amène avec lui une énorme caisse de friandises auxquelles nous avons fait largement honneur hier et aujourd’hui : nous ne faisons que manger.

Aujourd’hui pour faire passer cette interminable journée nous sommes allés sans arme faire avec les hommes une promenade à travers la campagne. Le temps est brumeux mais doux. Il va pleuvoir encore mais rassurez-vous, j'ai prévu le cas. Je me suis muni d’une pélerine en caoutchouc qui pourra supporter les averses les plus épouvantables et laisser glisser la neige.

Les hommes qui partent avec moi sont charmants. Raisonnables, obéissants, etc., etc. A part quelques mauvaises têtes mais peu nombreuses. Bon, quatre à peine sur l’effectif de 210 au total.

Nous allons faire route ce soir avec un détachement du 30e d’artillerie. Le 30 voisine souvent avec le 45e.

Je voudrais vous voir pour être sûr que vous ne vous faites pas trop de bile. Attendez-donc ! La guerre actuelle est bien moins dangereuse que celle du début, sur 16 jours il n'y en a guère que 4 où l’on risque vraiment.

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Le tout c'est de se conserver en bonne santé, avec de la prudence, c'est facile.

J'ai traversé Montargis. Tous les aspirants d’Orléans sont ou seront dans peu de jours sur le front.

Je vous ai écrit presque tous les jours depuis le 17. Entre autres, une carte des Aubrais.

Partout nous sommes parfaitement ravitaillés dans une petite gare entre autres, toute proche de Paris. De bonnes âmes de la Croix-Rouge ont servi à nos hommes une excellente soupe chaude avec des tartines, des sandwichs et du thé. Nous avons pris un excellent potage. Ces dames ont fait des miracles, une vraie « multiplication des soupes ». Nous sommes arrivés deux cents. Il y en avait pour cent et tout le monde a été rassasié.

Expliquez cela comme vous pourrez. Les hommes étaient très contents. Ils remerciaient tous et déposaient leurs assiettes et leurs couverts sur la table devant ces dames avec un respect charmant.

J'ai choisi deux ou trois parmi ces hommes que je vais essayer d’avoir dans ma section. Ce sont des grognards, des hommes retour du front et y allant pour le 2e ou 3e fois, ils sont intelligents et dégourdis.Ces hommes constituent de bonnes troupes de résistance…. ils visent juste avec plus de calme, dans les tranchées ils feront merveille.

Je ne sais toujours pas exactement où nous allons, nos feuilles de route vont de gare régulatrice en gare régulatrice. Nous recevons des ordres au fur et à mesure.

Il faut que j'aille m'occuper de mes hommes qui doivent rentrer à cinq heures pour un appel général. Il ne faut pas que nous en perdions en route.

Je vous envoie mille et mille tendres caresses pour vous tous.

Prosper

Arrivée au 313e

21 janvier – Un renfort de 20 hommes conduits par le lieutenant Terrier et les aspirants Morin et Tailleur et du Fontenioux est arrivé à 19 heures. Répartition des hommes de renfort dans les huit compagnies qui arrivent à un effectif moyen de 220 hommes par compagnie.

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22 janvier 1915

Bien chers parents

Je suis arrivé depuis hier soir. Le bataillon que nous avons rejoint est au repos pour 3 ou 4 jours. Je vais parfaitement, je vous écris un petit mot parce que je n'ai pas à ma disposition d’autre papier.

Valentin est aussi dans la région pas très loin. Le moral est excellent ici. Le temps n'est pas trop mauvais.

Je suis dans la région que je vous indiquais de Blois.

Vous m'écrirez souvent et surtout pas de…

Mon adresse actuelle est Tailleur aspirant, 313e 24e compagnie, secteur postal n° 9.

Je vous embrasse bien fort à vous trois.

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Bellefontaine, le 23 janvier 1915

Bien chers parents

Je vous écris presque tous les jours depuis que je suis entré en campagne, or nous sommes toujours au repos, très en arrière de la ligne de feu, près de quinze kilomètres. On est en toute sécurité et le repos est complet. Il ne faut pas vous attendre à avoir constamment une lettre tous les jours de moi. Lorsque nous seront là-bas, il pourra se passer six, sept et même davantage sans que je puisse vous écrire. J'ai la première section de la 24e compagnie. Deux sergents m'aident avec quatre caporaux. Les vieux grognards que j'ai trouvés ici sont vêtus de peaux de bêtes. Ils ont un aspect typique. Ils viennent de passer une bonne période dans les tranchées.

Vous m'enverrez des gants, puis surtout une lampe électrique de poche. C'est indispensable. Vous pourrez en faire envoyer une de Perpignan. Elle coute de 3 à 4 fr.

La guerre est dure à cause du temps mais bien moins dangereuse, oh bien moins.

Je vous embrasse tendrement à vous trois.

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Bellefontaine, le 24 janvier 1915

Bien chers parents

Je vis avec un étonnement toujours grandissant la vie des hommes sur le front.

Hier soir au mess où plutôt la popotte des sous-officiers dont je fais partie, j'ai encore reçu deux bouteilles de Champagne égarées jusqu'ici à la compagnie.

Ces réunions loin du front avec des hommes qui ont traversé mille dangers, qui sont vêtus de loques ou les balles et les éclats d’obus ont fait de nombreux trous, sont charmants.

J'ai été très cordialement reçu. Ici il y a une grande camaraderie qui se transforme vite sans doute en affection.

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Les plaisanteries et les rires éclataient et fusaient à chaque instant. Au dessert, plusieurs y sont allés de leur petite chanson.

Ce qu'il y a délicieux c'est que dans ce groupe de grognards aux barbes hirsutes, pas un seul moment la conversation n'a dégénérée et n'est devenu grossière. Ils y ont pourtant des hommes d’un peu toutes les classes de la société.

Notre mess est établi dans la cuisine de gens charmants qui nous prêtent tout ce qui peut nous être utile comme ustensiles et vaisselle.

Ce sont des bucherons et l’on sent que tous ces hommes qui ont vécu de rien dans la boue, dans des trous, comme des bêtes, se font un plaisir ou plutôt satisfont un besoin en faisant montre de belles façons et en faisant civilités sur civilités à ces bucherons que nous traitons comme des chatelains dont nous serions les hôtes.

Aujourd’hui j'ai assisté à la messe dans la petite église branlante du hameau.

Le prêtre qui avait remis pour un instant ses ornements sacerdotaux nous a fait un émouvant sermon. On est plus sensibles ici que là-bas dans la douce France de l’arrière. Après les derniers mots du prêtres nombreux étaient ceux qui se mouchaient brusquement.

Il n'y avait que des soldats dans l’assistance, le lieutenant-colonel qui commande le 313e était avec nous.

Hier nous avons fait, les trois aspirants et les hommes du renfort une petite marche avec le sac histoire de se faire un peu les épaules.

Dans ces moments de repos, loin du front comme ici, le repos complet pour tous. L’on se nettoie, l’on s'astique, c'est l’état de propreté que l’on reconnait les bons soldats, ceux qui ont le plus d’énergie s'astiquent, se frottent.

C'est un plaisir. Il ne fait pas très froid, et le gel tient encore, c'est le meilleur.

Lorsque je vais prendre le service dans les tranchées mes lettres seront un peu moins nombreuses, peut être cesseront-elles complétement pendant la période de 1e ligne.

Je ne vous clair. Il fait nuit de très bonne heure dans ces vallées boisées.

Il y a un petit bambin ici qui est un vrai diable. Il nous amuse tous et les sergents qui sont tous mariés et ont des enfants font à celui qui le gâtera le plus.

Je vous envoie mille et mille de mes meilleurs baisers. Que devient chère bonne-maman ? Donnez-moi des nouvelles individuelles de vous tous.

Mille caresses.

Prosper

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Montpellier, le 25 janvier 1915

Mon cher camarade

Toutes mes félicitations pour votre nomination à l’emploi d’aspirant. Nous voilà sur le front, vous y avez été précédé par vos anciens du département (Bournel Héli, Jean, Vernotte, Vassal) et je suis persuadé que vous vous montrerez leur égal en bravoure et endurance.

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Tous mes vœux vous suivent et croyez bien que nous n'oublierons pas nos jeunes camarades à l’armée. Je serai toujours heureux d’avoir de vos nouvelles et vous adresses mes souhaits de santé et excellente chance avec toutes mes meilleures amitiés.

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Bellefontaine, le 25 janvier 1915

Bien chers parents

Un petit mot encore aujourd’hui pour vous envoyer des baisers. Ma vie militaire se continue toujours très remplie. Notre départ pour le service de l’avant est fixé demain sans doute. Je tiens à vous averti parce que le service postal est moins bien fait plus en avant.

Je compte rencontrer Valentin maintenant. Je vous embrasse bien bien fort à vous tous. Ecrivez-moi, je n'ai rien reçu depuis mon départ de Blois.

Prosper

Montée en ligne à la Haute-Chevauchée (26 janvier – 2 février – 8 jours)

26 janvier – A 9 h 30, le 6e bataillon quitte Bellefontaine pour aller cantonner au Neufour et effectuer dans la nuit du 26 au 27 la relève du 5e bataillon dans le secteur de la Haute-Chevauchée.

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Mercredi, 27 janvier 1915

Bien chers parents

Je vous écris d’une tranchée en 2e ou 3e ligne. Nous sommes en réserve. Je m'habitue là à la musique du champ de bataille. Nous sommes les deux sergents et moi dans une cahute au ras du sol. On dirait une baraque de Zoulou. C'est un vrai village nègre qui nous entoure. Il y fait bien chaude, seulement je crois que nous sortirons à l’état de jambon fumé.

Nous allons entreprendre à trois une manille aux enchères.

De mon petit château de terre et de bois où l’on s'accroupit pour entrer, garni de débris de guerre et de dépouille Boches. Je pense bien à vous et je vous envoie mes meilleurs baisers.

Je vais porter ma lettre à notre poste de police d’où elle va partir chargée de caresses.

Prosper

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29 janvier 1915

Cher Prosper

J'ai reçu il y a quelques jours déjà ta carte qui m'a assez surpris. Je te souhaite bonne chance et bon courage et surtout bonne santé.

J'espère te voir la bas et peut être d’ici peu.

Poigné de main

Jean Coderch

Capitaine Jean Coderch, 24e Cie, 76e régiment d’infanterie, Villefranche de Rouergue, Aveyron

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30 janvier 1915

Bien chers parents

Toujours pas le moindre petit mot de vous. Nous vivons toujours dans nos trous. Notre village nègre est animé. On cuisine, on coupe du bois, on se lave. Il ne fait pas froid dans nos huttes et pourtant il n'y a que de la glace partout. Je ne suis pas fatigué de cette période d’activité, j'ai seulement une énorme barbe.

Ma section est de garde au poste de commandement de notre brigade.

Je vous raconterai dans une longue lettre les péripéties de mes premiers jours de guerre. Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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31 janvier 1915

Bien chers parents

Treize jours que je suis sur le front. Le temps passe relativement vite. On n'a que le temps de vivre, on vit vite. Ceux qui restent doivent souffrir plus que nous moralement. Il ne faut vous faire de mauvais sang. On brule beaucoup de poudre et l’on envoie beaucoup de balles et d’obus, mais peu de coups portent. J'ai entendu siffler des balles et des marmites à mes oreilles et je n'ai rien. On entend arriver les obus et on les évite en s'aplatissant prestement sur le sol.

Je n'ai pas vu Valentin, les batteries du 45e sont partout autour pourtant. Elles nous jouent une belle musique.

Je n'ai encore rien reçu de vous. Je lis un peu, je cause avec l’abbé.

Je vous embrasse bien tendrement.

C'est mon premier dimanche en avant.

Prosper

Février

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1er février 1915

Bien chers parents

J'ai enfin reçu des lettres de l’arrière, trois de toi petite mère, une de Germain Descossy, une autre de Perigault, mon copain à barbe du 169e.

J'étais heureux comme un roi. Elles étaient datées du 20, 21 et du 23. Merci de vos bonnes paroles et de votre courage. Je vais vous répondre. Je n'ai besoin de rien comme argent, on ne dépense qu'au repos. Vous m'enverrez du chocolat et des conserves de sardines, pâté, thon. Dans les tranchées on ne touche qu'en une fois à manger, la nuit. Un beefsteak, du pain et du café. Envoyez-moi une paire de chaussettes très hautes. Je vous ai demandé une lampe électrique de poche, cela coute de 3 à 4 fr. avec une pile de rechange.

L’abbé infirmier de ma compagnie est l’abbé Digelles, il me passe des journaux. Je vous ai envoyé la carte du pays où je suis. Dans une longue lettre je vous dirai jusqu'où je suis allé. Nous sommes relevés demain après-midi pour six jours probablement à Bellefontaine.

Mille caresses de votre petit enfant

Prosper

ps : Il n'y a qu'un sous-lieutenant à la compagnie, c'est lui qui commande la 24e, il s'appelle M. Cristofari

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1915, Repos en cantonnement

Le 2 février – 6e bataillon (commandant Ledoux) dans le secteur de la Haute-Chevauchée où il occupe les emplacements ci-après : … Le 6e bataillon rentre au cantonnement de Bellefontaine où il arrive à 19 heures. La parcours de Neufour à Futeau est fait par convoi automobile.

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Bellefontaine, le 3 février 1915, Sud Clermont

Bien chers parents

Je suis au repos, voilà sept jours de première ligne ou presque de passés.

Que je vous raconte un peu ces jours-ci, si vivants pendant lesquels on vit plus vite et où chaque minute m'a apporté des sensations nouvelles pour moi.

L’ordre est donné, nous allons en avant, nous rejoignons à pied en deux jours. Nous contournons à la limite extrême de la zone dangereuse. C'est celle où il tombe des marmites. Puis en avant. C'est drôle dans la nuit, cette initiation à la musique du champ de bataille.

Une marche en silence, le bruit du canon augmente progressivement.

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On ne distingue pas au début les arrières des départs, c’est-à-dire les coups que nous envoyons et ceux que nous recevons. Ce sont des bonnes bourres continuelles puis c'est plus net. Mon oreille est faite en partie. Il y a quatre bruits à distinguer lorsqu'on est un peu en arrière (à 300 m maintenant) des premières lignes. Les bruits s'accouplent deux par deux, ainsi lorsque vous entendez très près une explosion très forte suivie d’un sifflement, ce n'est rien. Après le troisième coup, je le savais et saluais ces départs d’un « dégustez » car c'est une marmite par nous expédiée à ces messieurs de l’autre côté. Cela fait boum !!! Zim … Mais lorsque c'est l’inverse et qu'on entend un Zim d’abord et Boum ensuite, c'est le moment de faire le gros dos avec souplesse, c'est une arrivée d’une marmite de choucroute. Le Boum Zim et le Zim Boum font une musique continuelle. Ce sont les grosses voix de l’orchestre. Il y a avec cela les fusils et les balles.

Je les ai entendues siffler les balles. Je m'étais imaginé cela comme c'est en réalité. On s'y fait très vite. Et les balles ne font d’impression que lorsqu'on entend siffler les premières. Ainsi les territoriaux qui sont arrivés avec moi et sur qui j'étudiais comme sur moi l’impression produite n'ont rien eu. Les anciens rient en disant volez oiseaux ! Le bleu dès cet instant est initié : c'est une balle. A la suivante, il rentre la tête parfaitement dans les épaules, aux suivantes, il dit aussi Volez oiseaux. Le bruit est en effet un bruit d’ailes avec un petit cri comme cela frou frou zi zi.

Deux compagnies dont la mienne étaient en réserve. Nous recevions des balles et des obus, les obus sur la crête devant nous.

Ils cherchaient les batteries d’artillerie qui farcissent les bois un peu partout.

Il n'y a eu qu'un blessé, une écorchure par une balle.

Malgré ces oiseaux qui voletaient, tout le monde circulait à son aise, on allait voir les amis ou ses hommes de cagnas en cagnas. Une cagna, c'est une cahute à demi enfoncée sous terre où l'on s'abrite. C'est aussi appelé cagibis, un gourbi (par moi), une guitoune, etc. etc.

Une là-dedans comme l'on peut nous pouvions y faire du feu avec des cheminées creusées dans la terre. Il y avait un feu de paille et surtout beaucoup de fumée.

Un peu la vie des esquimaux, on y dort malgré tous les bruits. Le canon de 75 qui crache avec un bruit qui nous arrache les oreilles nous pète toute la nuit aux oreilles mais on ronflait quand même. C'est drôle cette vie.

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Le deuxième soir, il y a eu une chaude alerte. Nous avons appuyé une attaque. Il fait nuit, une course dans les bois de vingt minutes, la terre gelée, on bute, on glisse sur les flaques. Nous voilà à cent mètres de l’adversaire. On ne voit rient. Il y a un régiment sur un front de 400m et pas un bonhomme mais les oiseaux sont si nombreux que l’on a plus le temps de dire : volez les oiseaux. Il y a en a de gros aussi. On nous arrête, nous remplaçons une compagnie de réserve qui va attaquer. Nous sommes dans des tranchées depuis une heure lorsqu'on on nous fait poser le sac. C'est le moment, nous allons aussi à la fourchette. Zim Boum ! Boum Zim ! En avant. On fait vite un appel, tout le monde est là. Je commande, colonne par un, derrière moi.

Nous sommes dans un boyau qui relie les tranchées entre elles, c'est une tranchée en zig-zag, nous allons à toute allure, presque au pas de course. Tout le monde est décidé.

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Bon, on nous arrête, l’ordre passe le long de la file. Demi-tour, aux abris. On n'avait pas besoin de nous. Ce n'est pas flatteur, Nous y allions si bien. Je vais vous envoyer cette lettre tout de suite, demain je vous en ferai une autre.

Le paquet que vous m'enverrai, cousez le dans une étoffe solide, autrement on vole le contenu.

Depuis les lettres de l’autre jour, je n'ai rien reçu de vous.

Je vous aime bien tendrement et je vous envoie mes baisers les meilleurs pour vous trois.

Prosper

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Bellefontaine, le 4 février 1915

Bien chers parents

Nous sommes ici à l’arrière. C'est à celui qui se refera le mieux. Dans la zone de l’avant en effet, on mange comme l’on peut. Ce n'est pas dire que le ravitaillement soi mal fait, tout au contraire mais les cuisiniers d’escouade sont de piètres maitre-queue. Café, grillade, grillade, café ou thé puis on recommence. Le temps manque pour faire une soupe chaude. L’autre jour le bœuf rôti plein de terre et de gravier, j'en fait l’observation au cuisinier. L’excuse était valable, une balle avait démoli la cheminée de la guitoune dans le rôti, que dire, il n'y avait qu'à s'en prendre aux Boches.

Les cuisiniers sont en arrière dans un ravin, le plus souvent à l’abri si l’on veut, car la fumée de leur marmite peu les faire repérer et ces messieurs de là-bas cognent. La marmite est renversée et il y a de la terre sur le rôti.

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J'ai habité pendant trois jours sur six là-bas une baraque de 2m sur 3m. Il fallait descendre à 1m sous la surface du sol. Un toit en branches et troncs de sapin avec des feuilles de sapin pour masquer la guitoune aux aéros.

Je vivais là avec mes deux sergents de section. Deux vieux de la guerre, six mois de guerre pour l’un et quatre pour l’autre. Comme société et conversation par grand-chose, l’un est maçon et l’autre emballeur. Au demeurant de bons garçons. Le maçon est un géant, courageux lorsqu'il le faut ; l’autre frêle et moins hardi, semble ne pouvoir résister à une seule de nos journées et pourtant il est là depuis le début.

Les journées ont vite passées. Je me suis occupé le plus que j'ai pu pour tuer le temps, causant avec mes hommes, lisant tous les papiers me tombant sous la main, allant voir dans leurs guitounes les autres chefs de section, causant de tout, de la guerre, des marmites qui viennent de tomber, des coups durs qu'il faudrait donner.

Regarder la carte, chercher courte chausse pièces croisées tout au-dessus. Ce ne sont que ravins et bois. Une forêt magnifique avec des futaies superbes que les obus ont malheureusement abimées en mains endroits. Je conseille à ces messieurs d’outre Rhin de na pas venir trop s'y frotter, ils y laisseraient des plumes.

J'ai assisté à des reconnaissances d’avions Boches et Français.

Les tranchées sont bien plus nombreuses. Un entre autres allait se faire saluer tous les matins par les obus boches. Avec une hardiesse folle, il se faisait bombarder intentionnellement, s'approchant pour reconnaître les batteries.

Les shrapnels éclataient tout autour, deux fois juste au-dessus de nous et les débris tombaient autour de nous, mais nous avions tous le nez en l’air.

Que je vous dise aussi que nous avons eu trois prisonniers de fait. Trois Boches qui s'étaient rendus. Il fallait voir leur joie d’avoir réussi et d’être sains et sauf. Le bruit du canon au loin leur faisait faire des gambades.

Je me porte très bien, pas de fatigue. Cette nuit je vais avoir un matelas dans une chambre.

Je vais commander sans doute la 3e section au départ, car le lieutenant Cristofari prend la première étant été relevé de son commandement de compagnie par l’arrivée d’un sous-lieutenant plus ancien. Le sous-lieutenant Gibon, un homme qui me plait beaucoup. Un officier de réserve, un vrai ayant fait du droit. J'ai reçu un petit mot de vous du 29. Je vous écris tous les jours. Je n'ai sauté que deux jours.

Je vous envoie de bons baisers pour vous tous, j'attends de vos nouvelles. Envoyez-moi 5 fr. tous les quinze jours car tout est très cher dans les trois villages où il y a des soldats en masse. Un billet de 5 fr dans une de vos lettres et c'est tout.

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Le 4 février 1915

Bien chers parents

Un tout petit mot, je suis de quart et je vous écris ce petit mot en me promenant au milieu de la compagnie.

Nous irons au repos très prochainement car il y a huit jours que nous sommes au travail.

J'aurais alors de colis de P… et un petit paquet que tante d’Onzain me fait parvenir. Je suis en excellente santé, je dévore. Je suis constamment à manger matin et soir. Notre vie est active et nous creuse, l’heure du repas est attendue avec impatience.

Je vous embrasse bien tendrement à tous.

Votre petit soldat

Prosper

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Bellefontaine, le 5 février 1915

Bien chers parents

J'ai reçu la lettre adressée au 213 et hier celle du 30 janvier. Merci de cette longue lettre où je vous vois vivre un peu d’ici.

Il fait depuis deux jours des journées de printemps avec un soleil magnifique. Seulement, il y a partout une boue abominable. A certains endroits jusqu'à mi-jambe.

Ces repos hors du bruit vous remettent bien sur pied. On se nettoie, on se gratte, on s'astique et surtout on se nourri bien.

A la popotte des sous-officiers où je suis nous avons un cuisinier de métier que nous avons pris dans une de nos sections et qui nous fait avec adresse de bons plats.

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Nous sommes tenus en haleine malgré tout et nous passons à chaque instant des revues d’armes et d’effets. Ce soir-même nous allons à l’exercice.

J'apprends avec plaisir la saucisse. J'en ai l’eau à la bouche déjà. Je vais avoir à ma disposition un peu de ce Prats que j'aime tant.

La région de la Haute-Marne ou je déambule me rappelle un peu le bocage vendéen, des forêts de bois de sapin, des ravins. Tout cela très giboyeux. Nous nous sommes abouchés avec un braconnier pour profiter de l’occasion et je crois que demain nous gouterons à un cuisseau de chevreuil.

Que je vous annonce aussi avec un grand fracas que j'ai couché cette nuit dans un lit. Dire un lit, c'est peut-être un peu exagéré, c'était un matelas sur le sol, mais il y avait des draps et un oreiller. Quels délices. C'était plus doux que mon sac que me sert communément d’oreiller. C'est le sergent-major qui m'a trouvé ce coin. Ce que j'étais heureux. J'ai dormi comme un loir.

Vous rappelez-vous qu'après mon concours des Contributions je m'étais promis de dormir huit jours. Après la guerre, je veux dormir un mois. J'aurais maintenant ce lit toutes les fois que je me retrouverai ici. Aussi, lorsque je serai à Bellefontaine, immédiatement soyez tranquilles, car je ferais le lézard ou le loir. Je passerai mon temps à dormir et à manger.

Nous n'avons pas de veine avec Valentin, il y a du 45 ici, mais ce n'est pas son groupe. C'est du 4e et il est du 3e. Il est parait-il à Rarécourt au sud de Clermont.

Je vais écrire à l’oncle Joseph, ils ont été très bons avec moi au moment de mon départ.

Maintenant je voudrais que vous ne soyez pas tristes. Je vais vous faire des lettres très longues pour vous raconter mes faits et gestes.

Mon cher papa, je ne veux pas que tu te fasses du souci. Je pense à toi à tout instant lorsque les moments sont durs ; je me rappelle que lorsqu'il s'est agi de faire ce qu'il fallait tu n'as jamais hésité.

Je ne suis pas seul sur le front que diable, et des hommes des quatre coins de la France. On y vit comme partout. Comprenez bien mes paroles, je ne veux pas vous faire des reproches mais seulement vous empêcher d’exagérer nos fatigues.

Ma chère maman et chère tata, vous aussi je vous défends de vous faire du mal. Pensez aux choses gaies, on s'amuse sur le front, je vous conterai cela.

Bonne-maman me dites-vous est bien triste, pourquoi faire qu'elle pense aux bons baisers que nous lui donnerons Valentin et moi lorsque M. les Boches auront tourné casaque.

Ecrivez-moi souvent, le service postal semble bien fait que je reçoive un mot tous les jours.

Les photographies sont payées, avez-vous reçu la carte d’état-major et ma commission de surnuméraire que je vous ai envoyé de Blois ?

Je vous embrasse bien forts à tous, mes meilleurs baisers pour les plus gaies de la maison.

Je m'aperçois que vous me laissez sans aucune nouvelle de frou-frou. C'est un matou dont il faut s'occuper même en temps de guerre, peut-être même plus qu'avant. Pauvre frou-frou, il ferait un beau civet.

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de Clermont-en-Argonne que vous trouverez sur la ligne qui termine la carte au bas, un peu à gauche du milieu. C'est dans la vallée de l’Aire, nous avons le bois communal à l’est de Boureuillesles. Les premières lignes des tranchées sont à la lisière de ce bois devant le village que nous ne tenons pas, je crois. Au repos, l’on cantonne à l’intérieur du bois, près de la maison forestière. Les Allemands qui ont Varenne plus au nord envoient de là leurs marmites. Vous voyez que je suis renseigné et que je m'y reconnaîtrais tout de suite. Nous débarquerons sans doute à Clermont-en-Argonne et nous irons à pied sur la ligne.

Je ne resterai pas avec les territoriaux qui partent avec moi. Je serai affecté à une compagnie et à une section et en seront dispersés dans tout le 313e. Je vous indiquerai de là-bas mon adresse exacte. En attendant, écrivez-moi comme d’habitude.

Mon sac est paré. J'ai revêtu ma collection de guerre, chemise de forgeron et caleçons de luxe, c'est ma tenue de gala. Les chemises sont parfaites. Il peut faire froid, avec ces objets je ne crains rien. Comme il est doux d’avoir des parents qui vous gâtent ainsi.

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Avec ces chemises ou chaque point retient une pensée vers moi que vous avez eu en les faisant, j'ai autour de mon corps une cuirasse que les balles ces impies ne traverserons pas.

Jai dans mon sac, mon pantalon dans une musette mon passe montagne et mon cache-nez. J'ai des vivres de réserve aussi, c'est le plus lourd, deux boites de singe (du bœuf bouilli en conserve), des biscuits ou pains de guerre, du café, du sucre, du riz, deux portions de potage concentré. Il y en a pour deux fois. Ces vivres ne sont mangées qu'à la dernière extrémité. Dans la musette, de petites vivres dites de route : des boites de sardine, du pâté, du thé. Rien ne me manque. Ce soir, j'en endossé tout mon équipement, mes deux musettes bourrées sur le devant, à gauche ma jumelle, à droite mon étui à revolver bien en arrière, plus sur le devant, une cartouchière pour lorsque je prendrais un fusil. Tout cela présente bien. J'ai touché une tente abri individuel, c'est assez pratique, puis un sac de couchage en toile imperméable encore pratique mais lourd.

J'aurai encore une minute demain pour écrire, puis dès mon arrivée j'expédierai une lettre. Je vous embrasse bien fort chers parents, aussi fort que je vous ai aimé et ce n'est pas peu dire, bonne-maman a une large part aux caresses que je vous envoie. Elle aura deux petites… accrochées …

Encore mille caresses

Prosper

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Bellefontaine, le 6 février 1915

Bien chers parents

Je suis de jour aujourd’hui, c’est-à-dire qu'avec les hommes de ma section je m'occupe du service journalier dans le cantonnement. J'ai peu de temps, aussi je vous envoie un petit mot seulement. Je dois m'occuper des distributions des douches, des… du graissage des pieds, etc. etc. Cela vous occupe, je parcours le cantonnement depuis ce matin.

Il fait mauvais aujourd’hui, il pleut ce qui augmente la boue et ce n'est pas peu.

J'ai reçu hier une carte de mon… une de Montpellier et de Jean Coderch. Rien de vous.

Il est curieux qu'il fasse si froid cette année à Prats, ici le temps n'est pas terrible. Je m'attendais à bien plus.

Je vous vois autour du feu dans la cuisine avec un bon feu dans les chenets. Froufrou ronronne, vous lisez, papa se repose et bonne-maman sommeille.

Je vous embrasse bien tendrement à vous tous.

Prosper

Ps: envoyez-moi une ceinture de flanelle

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Bellefontaine, le 7 février 1915

Bien chers parents

Mon troisième dimanche sur le front. Je sors de la messe que nous a dites l’abbé Depelle notre prêtre infirmier. Il nous a fait un sermon très bien sur l’Enfant prodigue. Il cause très bien, on l’écouterait longtemps et longtemps. On est bien dans cette petite chapelle pleine de soldats. On y a la paix.

Jamais je n'avais éprouvé si fort cette sensation de calme, de repos que dans cette misérable chaumière que la présence divine transforme en un temple superbe. Nous étions nombreux de toute arme et de tout grade.

Nous avons chanté, c'est la manière qui convient le mieux aux soldats pour prier. Vous savez, je n'osai chanter, ici j'éprouve un grand plaisir à le faire.

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Les cantiques que nous avons chantés à Bel-Abbes le jour de ma première communion ont fait vibrer notre petit temple de la Meuse : « Nous voulons Dieu », « Voici l’agneau si doux » sont nos cantiques favoris.

Il pleut, le temps est horrible. Il nous est arrivé un nouveau renfort de Blois. Parmi eux se trouve un sergent qui nous avait vu partie avec une désinvolture charmante. Ce brave homme, il est un peu ému. Cette nuit, j'ai bien ri au milieu de la nuit, le sergent major et le fourrier qui couchent dans le même lit dans ma chambre ont failli être inondés. Dans le grenier au-dessus, il y a cinquante hommes entassés. Dans la nuit, l’un pris d’un besoin qu'on excuse a voulu sortir. Il a d’abord écrasé un pied puis deux, au bout d’une minute tout le monde grognait. C'était une tempête, plus le bonhomme voulait prendre des précautions plus il écrasait de pieds sous la paille. Il faisait nuit noire, les coups de pieds fusent, bientôt envoyés pour activer sa sortie. Mais l’effet fort contraire, il se laisse choir et se laisse aller. Le sergent major au-dessous et le parquet était mal joint. Résultat, le fourrier a demi réveillé cru qu'il s'était produit une gouttière et qu'il était encore dans la tranchée. Il se mit à appeler Jeanthau son caporal et à lui réclamer sa toile de tente. C'était d’un comique irrésistible, nous en rions encore.

Ce soir, je pense pouvoir aller aux vêpres puis je préparerais le départ pour notre nouveau séjour en tranchées. Il ne faut pas oublier messieurs nos ennemis. Nous rejoindrons sans doute demain une place un peu exposée. Ne vous faites aucun souci, cela n'en vaut pas la peine. C'est pour six jours sans doute, comme l’autre fois.

Nous allons nous mettre à table, voici le menu : potage au vermicelles, sardines à l’huile au beurre, cuisseau de chevreuil mariné, légumes, dessert, fromage, vin, café, rhum. Qu'en dites-vous ? Ce n'est pas trop mal.

J'ai reçu hier une carte lettre du 1er février. J'en reçois presque chaque jour, cela me fait énormément de plaisir. Je vous ai dit je crois que j'avais reçu une carte de M. Patouillot.

Je vais à un rassemblement journalier.

Je vous embrasse bien fort à tous les trois et je fais de bons baisers pour bonne-maman.

Prosper

Montée en ligne à la Haute-Chevauchée (8 février – 20 février – 12 jours)

8 février – Le 6e bataillon quitte Bellefontaine à 7 heures et vont relever à 13 heures le 5e bataillon dans le secteur de la Haute-Chevauchée.

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10 février 1915

Bien chers parents

Hier je n'ai pas pu vous écrire. Au moment où je me disposais à le faire, j'avais même tout préparé pour m'y mettre, le lieutenant m'a fait appeler pour aller lui faire un petit tour. Nous sommes allés nous promener entre la première ligne et notre position. Nous sommes allés voir les artilleurs et causer avec eux. Nous avons regardé les lignes boches, c'était charmant, il faisait beau. Un aéro français volait au-dessus de nos têtes, salué par les obus allemands.

Puis ce fut le tour d’un allemand salué par nous. Puis enfin, ce fut notre tout d’être salués par quelques balles, un rien. Il y avait des obus qui ronflaient. A chaque ronflement nous avisions de l’œil un abri sous terre, il y en a partout, où suivant la direction de la marmite nous nous abritions plus ou moins. Nous sommes rentrés pour la soupe avec une faim de loup, l’œil vif et charmé de notre tour.

Le lieutenant Gibon est très gentil.

Je vous embrasse bien fort à vous tous.

Prosper

Ps: je crois vous avoir dit que j'avais reçu la saucisse, qu'elle était bonne.

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11 février 1915

Bien chers parents

Remarquez que je vous écris avec de l’encre. Je suis pourtant dans un trou dans mon ancienne cabane de charbonnier que j'ai réintégré depuis trois jours, encore trois et une cure à Bellefontaine. Puis on recommence. Le temps passe vite aussi. Il y a un bon feu de chêne dans mon trou. Il fait sec mais froid, la nuit on chauffe davantage. C'est l’état qui paie ici comme partout car c'est la belle forêt de l’Argonne que je contribue à mettre en cendres. A côté de moi, le sergent fourrier, le paperassier de la compagnie. C'est son encre qui coule. Il est à ma section, la 3e maintenant. Un brave garçon, musicien de talent à ce qu'il parait. J'ai reçu une petite carte bleue ce matin. Merci maman de m'écrire tous les jours. Elle est datée du 4. J'ai ce qu'il me faut comme vêtements chauds. N'oublie pas ma ceinture de flanelle.

Ne vous inquiétez pas pour moi, je me débrouille. On s'entraide beaucoup ici. Dieu m'aide beaucoup, je le sens.

Ne pourriez-vous pas me faire envoyer des conserves de chez Potin ? Quelques sardines, du thon, du pâté, des confitures, du bon chocolat. Il est horrible ici et je commence à ne plus l’aimer. L’argent que je touche et que j'emploie à acheter d’horribles conserves. Je vous l’enverrai en vous remboursant le colis. Je compte recevoir ma lampe électrique à Bellefontaine dans trois jours.

Mille caresses de votre fantassin.

Prosper

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12 février 1915

Biens chers parents

Je vous envoie vite de bons baisers. Le vaguemestre va lever la boite car il y a une boite aux lettres ici aussi avec des heures de levées. Tout le confort moderne.

Il fait vilain aujourd’hui, on se chauffe un peu plus et tout est dit. Je n'ai pas reçu de lettre hier, c'est à six heures que je les reçois. J'attends six heures avec impatience.

Je vous parlais hier de colis de conserves que vous pourriez me faire envoyer par Félix Potin. Le colis reçu, je vous en rembourserai le montant. Je touche ici 4 fr. par jour que je ne peux utiliser qu'à Bellefontaine. Des colis de 10 à 15 fr. tous les 12 jours, surtout des douceurs, de la confiture dans des boites métalliques s'ouvrant et se refermant. En général de petites boites pour toutes ces conserves. Un colis devrait contenir 3 petits pâtés, 2 boites de sardines, de confiture, de beure en tube et autres choses de bon. Je me fie à vous, du saucisson, etc. etc.

Je vous embrasse fort à vous tous beaucoup de fois

Prosper

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13 février 1915

Bien chers parents

Un petit mot bien tendre et bien court. Pour moi, rien de neuf, toujours dans nos trous. Nous serons relevés peut-être demain.

Je n'ai rien reçu de vous hier. Cela fait deux jours que la petite carte bleue ne me parvient pas aussi je suis un peu triste. Vite un petit mot.

J'attends d’être à Bellefontaine pour vous faire de longues lettres.

Je termine en vous embrassant bien fort.

Prosper

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14 février 1915

Bien chers parents

Je n'ai encore rien reçu depuis trois jours maintenant. Le service postal est horriblement fait sans doute. Jusqu'à présente par une chance merveilleuse j'ai pu vous écrire tous les jours. Il ne faut pas vous faire trop bien à l’habitude du service journalier. Les unités du régiment sont souvent restées loin du vaguemestre, alors on n'écrit pas.

Je n'ai rien reçu de Valentin à qui j'ai écrit deux fois. Avez-vous de ses nouvelles ? Sa batterie serait toujours du côté de Rarécourt.

Le temps n'est pas mauvais, on vivote dans ses trous, il ne fait pas froid.

Rien de nouveau pour notre changement, nous ne sommes pas mal, si la guerre n'était pas plus pénible tout irait bien.

Mille et mille grosses caresses de votre fils.

Prosper

Ps: j'écris comme un chat car je m'appuie sur mes genoux et que ma plume est boiteuse.

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13 février 1915

Bien chers parents

Bien tendrement, mille caresses pour toi ma petite mère.

Je vous envoie mes baisers journaliers. Je les veux bien doux et bien affectueux. J'ai reçu hier votre carte du 7. Elle m'a fait grand plaisir. Il y avait trois que je n'avais pas eu le moindre petit mot. Je vous ai déjà donné l’adresse du sous-lieutenant qui commande la compagnie : M. Gibon, 24e compagnie, S.9, N.9 et aussi celle de l’abbé Degrelles, brancardier. J'ai un mauvais crayon gris qui ne me laisse plus que la place de vous dire que je vous aime bien fort. Je pense constamment à vous. Je suis en bonne santé, et vous tous, mon cher papa surtout ? Mille et mille caresses pour vous tous.

Prosper

Ps : tata ne m'écris pas souvent.

Attaques et contre-attaques

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16 février – 11 h ½ un peloton de la 24e sous le commandement du sous-lieutenant Cristofani a été envoyé à la disposition du colonel du 82e dans le secteur de l’est de la Haute-Chevauchée. Ce peloton a été employé à essayer de reprendre une partie des tranchées de 1e lignes perdues dans la matinée. Des attaques à la baïonnette ont été testées, l’une vers 13 heures, l’autre à la nuit. Ces attaques n'ont pu aboutir mais ont empêché l’ennemi de déboucher des tranchées qu'il avait enlevé dans la matinée.

Etat nominatif des officiers, sous-officiers et soldats tués, blessés, faits prisonniers ou disparus…

A la Haute-Chevauchée, le 16 février 1915, 24e – 11 tués

17 février – A 6 h 30 le 5e bataillon quitte les Islettes et arrive à la maison forestière du Four-les-Moines à 10 h 30. A ce point se trouvent 3 compagnies du 6e bataillon, les 21e, 23e, et 24e. A 11 h 30 le 6e bataillon a été porté à la Pierre-Croisée. … A 19 heures les 21e et 24e compagnies ont été dirigées sur la Croix-de-Pierre.

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17 février 1915

Bien chers parents

Je n'ai pas pu vous écrire hier, je vous envoie un petit mot plein de baisers et de bons baisers. J'ai reçu votre lettre du 9, je n'ai pas encore reçu le colis du Bon Marché. J'attends celui du 8 avec impatience, merci beaucoup. J'avais de la teinture d’iode, je suis assez couvert, je ne serre plus du tout mes molletières. Je mange comme il faut, ne vous faites pas de bile pour l’amour de Dieu.

J'ai reçu une lettre de Jules qui est au front dans le nord près d’Arras. Je n'ai plus de place, il ne me reste qu'à vous embrasser bien bien fort.

Prosper

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19 février 1915

Bien chers parents

Je crois que je connaîtrais la forêt ! Je n'ai pas pu vous écrier hier aussi aujourd’hui, je mets deux fois plus de baisers pour vous tous. J'ai reçu hier une lettre de tata que tu as complétée chère maman. Je suis en bonne santé. Nous irons au repos bientôt. Je n'ai pas reçu les petits paquets du Bon Marché et de Potin. Je vous embrasse bien tendrement, mes meilleures caresses à bonne-maman.

Prosper

Repos en cantonnement à Claon

20 février – A 10h le 6e bataillon vient cantonner au Claon.

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Le Claon, le 20 février 1915

Bien chers parents

Je reçois à l’instant trois colis, les deux vôtres et celui du Bon Marché. J'utilise immédiatement le stock de cartes lettres pour vous envoyer de mes nouvelles. Je suis au Claon, un petit village abandonné où nous allons cantonner quelques jours pour nous reposer. Cela ne vaut pas Bellefontaine, mais faute de grives…

Il faut savoir se contenter de ce que l’on vous accorde. Je grignote de ces délicieux biscuits que contenait l’un de vos paquets avec du boudin que je n'ai pas encore entamé. Lorsque vous m'enverrai du chocolat que ce soit du Potin, ne m'envoyez plus de Poulain. J'ai vécu deux jours avec et je l’ai depuis en horreur. Bonne-maman, vos chaussettes sont superbes, je vais les mettre immédiatement. Je vous remercie beaucoup chère bonne-maman de les avoir faites si vite.

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La ceinture de flanelle va très bien, je vais aussi la mettre. Je n'ai pas froid, je porte sur moi tout ce que vous m'avez donné. Bien entendu, je ne me promène pas en plein jour avec mon passe-montagne, j'aurais l’air d’un… Je ne le mets que pour dormir. Je n'avais pas besoin de teinture d’iode, j'en avais emporté de Blois une bouteille que j'ai dans mon sac, puis on nous a donné des tubes de teinture qui se portent dans la poche. J'en ai deux ou trois. Je mettrai cette nouvelle bouteille dans ma cantine. La lampe électrique va bien, seulement aujourd’hui commandez-moi au Bon Marché une pile sèche de rechange, cela coute 95. Je crois avec les retards, je l’aurai lorsque celle que je porte sera épuisée. Les cartes lettres vont très bien avec cette feuille intercalée on peut en écrire bien plus. Seulement le stock pèse lourd dans le sac. J'ai reçu hier un de tes petits bleus

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Chère maman, avec une intercalaire au milieu cela faisait vraiment beaucoup long à lire et j'étais heureux. Que de soucis tu te fais, chère petite mère, il est de mon âge de souffrir et de coucher sur le sol, je t'en prie, ne te couche pas avec peine, dors bien, tu vas te rendre malade. Ne vous inquiétez pas en lisant le communiqué, on peut se battre dans mon secteur sans que j'y sois engagé. Attendez mes lettres.

Alors, François Coderch est à Prats, qu'il se repose et qu'il profite de ces jours de liberté. Vous ne me dites que Prats est triste. Pauvre Prats, il ne doit pas rester beaucoup d’hommes et l’argent ne doit pas courir outre mesure, surtout dans certains ménages. Qu'est devenu M. Guisset, notre locataire l’épicier. Les fils de notre fermier sont toujours sur le front dites-vous, il paie un large tribu à la patrie.

Emploie comme moi des cartes lettres avec une feuille intercalaire, tes lettres seront plus longues et je serais plus heureux.

Je vous envoie mes meilleurs baisers pour vous. Encore une fois pas de bile.

Envoyez-moi des bonbons, on est gourmands comme des enfants ici.

Prosper

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Le Claon, le 22 février 1915

Bien chers parents

J'ai gouté ce matin à mon petit déjeuner au boudin blanc que contenait le colis. Il est très bon, je l’aime ici. Seulement quand vous aurez du saucisson, ne m'oubliez pas. Nous sommes tous gourmands comme de mauvais garnements. Lorsque que l’un de nous (sous-officiers) reçoit un colis, il en donne à ses amis aussi nous avons toujours quelque friandise à croquer. Ne m'envoyez plus de chocolat Poulain, je ne peux plus le souffrir. Remplacez-le par du Menier ou du Potin. Faites-moi faire des petits colis de douceurs par Potin. Je vous renverrai à chaque coup le montant du colis. Qu'on y mettre du chocolat au lait, des confitures, des fruits confits, des colis de 10 à 15 fr.

Maintenant, c'est assez causé gourmandises.

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C'est dimanche aujourd’hui, j'ai assisté à la messe dans une église encore plus petite que celle de Bellefontaine. Nous avons ici notre abbé brancardier, l’abbé Degrelle nous a dit quelques paroles bien senties qui nous ont fouetté le sang.

Ce soir à 2 h ½ je vais aller aux vêpres. La petite chapelle est là tout à côté de la grange où je loge. Pauvre petite église, les obus sont tombés tout autour bien des fois malgré tout, son clocheton se dresse encore et ce matin c'est la cloche au son argentin qui m'a appelé à l’office. Nous aurons la bénédiction ce soir puis nous chanterons. Il fait bon chanter.

Il fait mauvais aujourd’hui heureusement que nous sommes au repos.

Voilà la fin février, il va être temps d’ensemencer le jardin. Papa va s'y intéresser, cela lui fournira une distraction et un lieu de promenade. Qui planterez-vous dans ce petit coin ? Est-ce que les asperges ont passé l'hiver sans souffrir ?

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Le pauvre jardin de mon oncle était bien… la dernière fois que le vis. Pauvre oncle, il ressemble un peu à son jardin. Vous savez planter de tous les légumes, je me mets à les aimer tous car on n'en voit jamais ici des légumes frais, c'est un luxe inconnu sur le front, par contre, le riz, les lentilles, les haricots et quelque fois des pois. Il y en a profusion. Nous mangeons aussi beaucoup de nouilles et de macaroni. C'est vite préparé et ça nourri. Voilà pour notre menu. Ajoutez de la viande à tous les repas. Vous voyez que le ravitaillement est bien fait.

Je suis logé dans un petit grenier tapissé de gravures du Petit Journal. Il y a de la paille, lorsque tout est fermé, il y fait chaud et c'est l’essentiel et nous n'en demandons pas davantage. Je n'ai pas reçu de carte hier, j'espère bien voir arriver mon petit billet bleu ce soir avec de bons baisers de vous tous et de bonnes paroles de toi, chère petite mère. Je vous embrasse bien tendrement à vous. De bons baisers pour bonne-maman. Les chaussettes tiennent bien chaud.

Encore mille bons baisers pour vous quatre.

Prosper

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Le Claon, le 22 février 1915

Bien chers parents

J'habite toujours mon grenier tapissé de gravures, on y est bien. J'y loge avec mes deux sergents de section. Nous y dormons presque constamment pour nous reposer.

Dans une heure, je vais rassembler mes hommes pour une revue d’armes. On fait des revues ici aussi, il faut bien que les fusils soient astiqués. J'ai reçu hier soi une petite carte bleue, elle est datée du 14. Je crois vous avoir parlé de la saucisse et des gants que j'ai reçus. Le chocolat aussi. Si tu peux me faire une autre chemise, envoie là moi aussi ainsi qu'un tricot et qu'un caleçon de plus. On trouve très très difficilement à se faire laver. J'ai assez de mouchoirs. Aujourd’hui il fait assez beau. Dans ce trou ou nous nous reposons on ne trouve rien pour se ravitailler en conserves.

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Il ne reste plus d’habitants, il n'y a que quelques marchands de vin. C'est pour cela que les colis de Potin seront toujours bien reçus. Avez-vous des nouvelles de Frédéric. Savez-vous que Jean à Antrechans est zouave et que Fernand est chasseur d’Afrique. Je lui ai écrit dernièrement mais je n'ai pas eu de réponse. Je ne m'étonne guère, il a son petit caractère. Voilà le mois de février qui s'achève de passer. Il y a un mois que je suis sur le front, les mois qui viennent seront moins durs, ils amèneront la fin de cette guerre de tranchée. Avec le soleil tout sera plus aisé.

J'interromps un instant ma lettre pour aller passer la revue. La revue est finie. J'ai inspecté les armes. J'ai des mains bien graisseuses car lorsque le fusil est sale mes malins troupiers couvrent la rouille de graisse.

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Maintenant, c'est une distribution de chaussettes et de tricots, malheureusement du coton. Il n'y a que quelques bons tricots. Tous ces objets sont les bienvenus, des hommes qui usent énormément ici, car on porte longtemps le même linge sans l’enlever un instant.

J'ai des braves gens dans ma section. J'ai un bon chef de demi-section très dévoué, c'est un sergent, un vieux légionnaire qui connait Bel Abbes, Oran. Lorsqu'il n'est pas saoul, c’est-à-dire lorsqu'il n'y a pas de vin, il est charmant, il est instruit, c'est un Polonais. Mon autre chef de ½ section est tantôt le fourrier tantôt un sergent gros distillateur dont le sac est toujours plein de bonnes choses.

Voilà pour mon entourage. Je suis interrompu par l’arrivée du sergent-major, un officier vient de le déloger. Je lui offre l’hospitalité. On se serrera un peu plus, nous aurons plus chaud.

Je termine ma lettre, la boite va être levée ce soir et je voudrais que cette carte-lettre batte le précédent record pour que mes baisers arrivent plus vite et plus frais. J'en remplis les plis de cette missive pour qu'il y en ait pour vous tous

Mille tendresses de votre petit soldat

Prosper

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Le Claon, le 23 février 1915

Bien chers parents

Un petit mot seulement avant que la boite ne soit levée. Je reviens de l’exercice qui a employé toute la soirée, nous nous sommes un peu dégourdi les jambes. Je n'ai pas eu de petit bleu hier, pourquoi ne m'écris-tu pas tous les jours. J'espère bien recevoir de vos baisers ce soir.

Je mets mes plus douces caresses dans ce petit billet. Il y a des baisers pour vous tous, pour toi ma petite mère, pour mon cher papa, pour ma tata gâteau et pour ma chère bonne-maman.

A demain un autre mot

Prosper

Ps: Je ne connais pas la durée de notre repos.

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Le Claon, le 24 février 1915

Bien chers parents

Je n'ai pas reçu de petite carte hier soir, voilà deux jours. Ce sera pour ce soir. Les lettres arrivent après la soupe du soir, vers les six heures, c'est le bon moment de la journée.

J'habite toujours mon grenier, nous y sommes cinq couché côte à côte la nuit. On y est bien, il n'y fait pas froid. C'est aussi notre salle à manger, sur une caisse comme table, sur ma cantine comme chaise, nous mangeons notre pitance. Je mange bien, nous avons pu acheter des conserves pour notre prochain séjour dans les guitounes et les tranchées. Nous partirons sans doute cette nuit pour six jours puis ce sera encore le repos. Sous moi, au rez-de-chaussée, les hommes s'amusent. Il y en a un, un colporteur dans le civil, qui débite aux autres qui se tordent un interminable boniment. Il veut toute sorte de choses ou plutôt il les donne. Il y met un tel feu que tout le monde est amusé. Je m'arrête, j'ai des distributions à faire avant ce soir. Je vous embrasse bien bien tendrement à tous.

De bons baisers bien gros et bien affectueux.

Votre petit soldat

Prosper

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le 25 février 1915

Bien chers parents

Hier, comme j'y comptais, j'ai reçu de vos nouvelles, deux petites cartes bleues du 17, l’autre du 19. J'étais heureux ensuite. Je vous ai dit que j'avais reçu trois colis, celui du Bon Marché avec la lampe et un stock de papier et deux de vos colis. Dans l’un il y avait du chocolat, des biscuits délicieux, du boudin dans l’autre une paire de chaussettes et de chocolat.

L’annonce de l’envoi de nouveau colis me met l’eau à la bouche. Mon Dieu que je suis devenu gourmand, c'est que nos cuisiniers font une telle… Je goute déjà en imagination à la saucisse de Juliette, remercie la brave femme. Le colis de Potin me parviendra au prochain repos. Dites-moi combien il coûte je veux vous rembourser. J'ai de l’argent, je sais que les colis coutent cher. Vous portez-vous bien ? Tu ne me parles jamais de vos santés petite mère. Je suis en service de l’avant, la place n'est pas périlleuse, vous n'avez pas matière à vous faire du mauvais sang. Il fait… c'est l’essentiel. Avez-vous reçu la carte d’état-major et ma commission de surnuméraire ?

Commandez moi au Bon Marché aussitôt deux piles de rechange pour la lampe électrique.

Je vous aime et vous embrasse bien tendrement

Prosper

Montée en ligne à la Haute-Chevauchée (25 février – 19 mars – 22 jours)

25 février – A 5 heures le 6e bataillon relève à la Haute-Chevauchée le 5e bataillon qui vient cantonner aux Islettes.

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Le 26 février 1915

Bien chers parents

Un petit mot avec de bons baisers. Je suis dans mon trou, pompeusement appelé poste de commandement du chef de la troisième section. Ce n'est pas un château mais c'est déjà mieux que la voute étoilée, surtout que le toit en gros rondins de chêne recouvert d’une épaisse couche de terre vous met à l’abri au cas où ces messieurs d’en face prendraient la fantaisie de nous envoyer des obus. De mon château dont je vous envoie de bons baisers, je n'y reste que peu d’instants car il fait une journée superbe, une journée de printemps. Ce matin au-dessus de nos têtes, grand meeting d’aviation. Au moins six avions différents sont passés et ont évolué au-dessus de nos têtes salués d’obus, à la fin, comme clou du spectacle, à deux reprises la chasse d’un Taube par un des nôtres. La poursuite a été superbe, le Taube fuyait vers ses lignes avec à sa suite un monoplan qui le mitraillait.

Je n'ai pas reçu de petite bleue hier. Faites que je reçoive un colis de Potin tous les douze jours à peu près. N'oubliez pas de me dire pour le prix.

Je termine en vous embrassant bien tous bien fort et bien tendrement.

Votre petit troufion qui vous aime.

Prosper

Ps : Il y avait la ceinture de flanelle dans un des paquets, merci

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Le 27 février 1915

Bien chers parents

Un petit mot bien vite. L’homme de corvée qui emporte les lettres est là à côté de moi qui attend pour emporter les baisers que je vous envoie.

J'ai reçu hier une longue lettre de tante d’Onzain, une lettre bien gentille. Jean va partir à la fin de ce mois. Ils me parlent des bonnes choses que vous leur avez envoyé.

J'ai également reçu une lettre d’un de mes anciens amis du 169e à Montargis. Nous sommes tout proche l’un de l’autre. Je compte recevoir une de vos cartes ce soir. Je l’attends avec impatience. M'avez-vous commandé deux piles de rechange pour ma lampe qui me rend de grands services. Faites-moi envoyer aussi un carnet bloc-notes de 6 cm par 10 cm environ, avec cela un crayon dur n° 3 avec protège pointe. Je vous envoie mes plus tendres caresses pour vous tous. Votre petit soldat qui pense à vous constamment.

Prosper

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Le 28 février 1915

Bien chers parents

Je vous écris bien tard ce soir. J'ai été occupé, mon métier de chef de section me donne du travail, surtout que je suis démuni pour quelques jours de sergents. L’un est détaché aux trains de combat, l’autre est malade. Mon fourrier a du travail en masse en dehors de la section. Ce travail fait passer le temps et je ne m'en plains pas.

Je suis sans lettre de vous depuis trois

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voyons ce soir.

Nous vivons toujours dans nos trous, je suis de quart. Il y a un chef de section sur quatre par compagnie qui est ainsi de service trois heures durant, c'est la seule exigence du service général.

Il fait beau pour un mois d’hiver. On ne souffre pas trop du froid, moi moins que les hommes car ce que nous appelons nos postes de commandement sont plus confortables.

Je ne puis distraire plus que quelques minutes à ma ronde.

Je vous embrasse bien fort et bien tendrement à vous tous.

Votre petit soldat

Prosper

Mars

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Le 1er mars 1915

Bien chers parents

Je n'ai que quelques minutes à vous consacrer, tous mes instants sont pris. Mon quart tombe encore au moment du départ du courrier.

J'emploie mes hommes à faire des châteaux de terre, je suis passé architecte.

Vos lettres ont dû se perdre car depuis trois jours, ou quatre même ce soir, je n'ai pas reçu un mot de vous.

Bientôt je compte vous faire une longue lettre. Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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1er mars 1915

J'ai reçu ta carte il y a déjà plusieurs jours. Elle m'a fait bien plaisir. J'espère que tu es toujours en bonne santé, comme moi d’ailleurs. Le départ approche. A bientôt de tes nouvelles. Je ne sais encore de quel côté nous nous dirigeons. L’Argonne ou l’Alsace ? Cordiale poignée de main.

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Le 2 mars 1915

Bien chers parents

J'ai reçu hier soir votre petite lettre datée du 23. J'étais bien content. Ces lettres me font un grand plaisir. Je les attends le soir avec une grande impatience. Comme le fourrier loge avec moi dans mon château, c'est moi qui défais le paquet et cherche parmi les autres la petite carte bleue qui m'apporte de vos nouvelles.

Hier soir, la lettre était plus longue aussi mon plaisir fut plus grand. Comme votre vie me parait triste, que je voudrais être auprès de vous.

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Je saurais si bien vous occuper, ne serait-ce qu'en vous donnant du souci par mes extravagances et mes sottises. Patientez un peu chers parents.

Nous irons au repos sans doute le 4, pour six jours probablement comme c'est la coutume.

A l’heure actuelle vous avez sans doute reçu une lettre où je vous disais avoir reçu les trois colis.

Dès que j'aurai de bonnes choses de Potin, je vous le dirai. Je n'ai plus de place que pour vous envoyer mes tendresses et mes plus bons baisers pour vous tous.

Votre petit soldat

Prosper

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Le 3 mars 1915

Bien chers parents

J'ai été comblé hier, j'ai reçu à la fois deux petites cartes bleues. Seulement, l’une datée du 21, après neuf jours de voyage et après votre lettre du 23. L’autre petite carte bleue que tu m'as envoyée chère maman, était datée du 25.

Le service ne peut pas être parfait, c'est impossible. Il faut voir le nombre fantastique de lettres qui s'envoient et qui se reçoivent. Chacun écrit au moins une lettre par jour. Je le vois ici à la 24e où je m'occupe un peu de la distribution des lettres.

Hier j'ai déménagé, j'ai changé mon château pour un autre situé à cinquante mètres. Je ne suis ni plus mal ni mieux, ma nouvelle demeure est plus petite, plus facile à chauffer par conséquent. Il y a de la paille, pas beaucoup mais c'est mieux que le morceau de liège qui me servait de sommier, c'est parfait comme le liège isolait.

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A peine installé avec le fourrier nous avons complété le mobilier. Il manquait des étagères, vite une niche de terre à droite, une autre à gauche de la porte, cela nous fait un buffet et un placard. Dans un coin nous avons une desserte. C'est notre prédécesseur qui nous l’a cédée. Elle est en sapin et chêne, en tout cinq morceaux de bois mais disposés si adroitement qu'ils supportent actuellement deux gamelles, des cars, une boule de pain et notre argenterie.

Il y a aussi des tentures devant la cheminée, un magnifique trophée Boche, une veste de chasseur Bavarois. Elle aide une moitié de la fumée de notre feu à sortir par le trou du toit et l’autre moitié après un tour dans la pièce à s'échapper par la porte. Au total vous voyez que toute la fumée s'en va. C'est donc parfait…

Ce n'est pas tout, au mur une panoplie, mon sabre et le fusil du fourrier.

Mais la merveille, c'est la porte, où plutôt la tenture qui ferme notre poste, suivez-moi bien : d’abord deux sacs, l’un partant du haut, l’autre à la mi-hauteur bouchant le plus gros. A droite, à gauche deux autres sacs. Jusqu'à présent tout est parfait, seulement où la chose se complique, c'est lorsqu'il s'agit de de sortir ou d’entrer. Vous soulevez le premier sac mais le second vous prend au cou et en vous dégageant de celui-ci, celui-là vous tombe sur la tête.

Voilà décrite ma demeure. Je n'ai plus de place. Je recevrai le colis de Potin au prochain repos. Il faudrait m'en commander un autre pour que je le reçoive lorsque le premier sera achevé.

Il ne me reste plus qu'à vous embrasser bien tendrement.

Votre petit soldat

Prosper

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Samedi 3 mars 1915

Bien chers parents

Hier soir une lettre datée du 28. Je n'ai que quelques instants pour vous écrire. Rien ne change ici, les journées s'écoulent régulières, je vous ai envoyé hier une longue carte.

En échange de toutes ces missives envoyez moi de longues histoires. Comment s'est achevée le déménagement de Sauveur puis comment s'est écoulé le long voyage.

Voici de longs récits que j'attends avec impatience.

Je vous envoie de bons baisers pour vous tous.

Prosper

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3 mars 1915

Bien chers parents

Je n'ai pu vous écrire hier, le bourgmestre était parti plus tôt. Je suis encore dans mon château de terre, ne vous chagrinez pas, nous ne sommes pas mal. Il y a des endroits où l’on est cent fois et mille fois moins bien. Les dangers que nous courrons ne sont pas fantastiques. Puis la belle affaire d’être à la guerre s'il n'y avait pas de danger. Notre repos est repoussé car on travaille du côté Vauquois.

J'ai reçu le colis de Potin. Il est venu jusqu'à mon château. Que de bonnes choses, le colis était intact. Potin comme il le fait souvent a supprimé à cause du froid sans doute, une partie de la commande. Voici ce que contenait la boîte : un délicieux plum-cake, une boite de 20 tablettes de chocolat, une boite de beurre, une boite de sardines, une boite de thon, de la confiture dans de…que les sardines et le thon.

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Le chocolat est délicieux, les pastilles aussi. Le moins avantageux, c'est la confiture. Ce sont des pots gros comme trois dés à coudre avec l’épaisseur du verre il reste un dé de confiture. Il vaut mieux pour la confiture m'envoyer une seule grosse boite. Je n'ai pas trouvé de pâté de foie gras ni de poulet à la gelée. Il faut me dire combien ce colis coute, je vous enverrai le montant, car vous seriez bien bons de me faire envoyer de quinze en quinze jours de petits colis comme celui-ci. Seulement, dites à Potin qu'il ne supprime pas le pâté.

J'ai reçu une carte de Jean Coderch, il s'apprête à partir, son régiment est aussi de ce côté. Il sera à la même division que moi mais dans une brigade différente. Voilà l’hiver bien entamé. Il va faire beau à Prats, toute la vallée du Tech sera superbe et avec le beau paysage vous serez moins tristes, puis le jardin vous occupera.

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Pour nous, petits soldats le soleil sera bienvenu. C'est notre ami à nous lorsqu'il n'est pas trop méchant. Puis le soleil de ce printemps où de cet été verra la fin de cette guerre et notre victoire.

Je n'ai pas reçu de carte bleue de ma chère maman hier soir.

Je me hâte, nous allons être inspectés dans nos tranchées par notre chef, le général Arbaner. Je fais placer mes hommes et je dois veiller à leur tenue et à l’ordre dans mes abris.

J'attends la saucisse boche avec de l’eau à la bouche. Je vais me régaler déjà que le colis de Potin est furieusement appétissant. Je dévore. Je suis constamment en train de manger. Le matin, café, pain grillé, chocolat, à 10 h repas complet, à 2 h nouveau resouper, à 6 h autre repas important, enfin la nuit entre les heures de quart, thé, pain grillé, chocolat. Je ne suis pas à plaindre.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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Samedi 3 mars 1915

Bien chers parents

Hier soir une lettre de tata datée du 28. Je n'ai que quelques instants pour vous écrire. Rien ne change ici, jours journées se coulent régulières. Je vous ai envoyé hier soir une longue carte.

En échange de toutes ces missives, envoyez-moi de longues histoires. Comment s'est achevé le déménagement de Saumur, puis comment s'est bouclé le long voyage.

Voici de longs récits que j'attends avec impatience. Je vous envoie de tendres baisers pour vous tous.

Prosper

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3 mars. Toute la nuit debout à veiller aux créneaux, nous sommes attaqués, mais soutenus par notre artillerie nous repoussons l’attaque, toute la journée, fusillade intense, pétard à main, grenade et crapouillots, c’est un vacarme épouvantable qui vous rend nerveux. Nous sommes bien approvisionnés, mais rien de chaud. Gniole en quantité.

4 mars. Toute la nuit en éveil et dans la journée nous attaquons après un terrible bombardement de notre artillerie ; un corps est projeté à 30 mètres de hauteur par un obus. Nous nous engageons dans un terrible corps à corps, mais nous revenons à nos positions, le terrain est couvert de cadavres. Quel terrifiant spectacle

A la Haute-Chevauchée, le 3 mars 1915, 24e – 19 blessés, 4 disparus

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Le 4 mars 1915

Bien chers parents

Une petite carte pour vous vous envoyer de bons baisers et de mes nouvelles. Je suis toujours en excellent sante. De nombreuses connaissances que j'ai soit à la compagnie soit au bataillon m'ont fait compliment pour ma bonne mine.

J'ai reçu hier soir une lettre de tata datée du 30. Je vous envoie de tendres baisers pour vous tous.

Prosper

Prosper appartient au 6e bataillon

5 mars, le 5e bataillon (commandant de la Giraudière), est mis à la disposition de la 10e division et lancé à l'assaut du Plateau de Vauquois. Sous un bombardement violent, à travers les explosions des fougasses et des mines, sous les rafales des mitrailleuses, le bataillon monte les pentes, il s'empare de l'église et du cimetière et s'y maintient malgré les contre-attaques répétées.

Le bataillon est relevé le 9 mars ; il a perdu la moitié de son effectif.

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Vendredi 5 mars 1915

Bien chers parents

Encore un tout petit mot. Je suis venu écrire sur le seuil de la guitoune de notre fourrier qui n'habite plus chez moi depuis le soir de mon déménagement. Il était trop loin de notre lieutenant.

Il fait beau. Pas trop froid. Notre repas est proche et nous ne savons jamais bien à l’avance le moment de la relève.

J'ai reçu hier soir une carte du 27. Pour mon linge, les militaires aux armées ne peuvent pas envoyer de colis à l’intérieur, c'est défendu.

Lettre n° 2 depuis la 4

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Le 5 mars 1914

Bien chers parents

Une petite carte pour vous envoyer de bons baisers et de mes nouvelles. Je suis toujours en excellente santé. De nombreuses connaissances qui sont soit à la compagnie soit au bataillon m'ont fait compliments pour ma bonne mine.

J'ai reçu hier soir une lettre de tatie datée du 30. Je vous envoie de bons baisers pour vous tous.

Prosper

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9 mars – Le 6e bataillon (commandant Ledoux) à la Haute-Chevauchée n'a plus que les deux compagnies 21e et 24e en première ligne et deux en réserve dans le ravin des Meurissons.

10 mars – Situation inchangée pour les deux bataillons.

11 mars – A la Haute-Chevauchée, au 6e bataillon, relève partielle, les 23e et 24e compagnies relèvent en première ligne les 21e et 24e compagnies qui passent en deuxième ligne.

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Le 9 mars 1915

Bien chers parents

Nous ne sommes pas encore au repos mais nous ne plaignons pas. D’abord nous ne sommes pas trop mal, c'est un bon endroit. Nous y resterons le temps qu'il faudra et nous ne nous plaindrons pas. Le moral est bon parmi nos hommes. Les épreuves sont supportées avec courage.

C'est aujourd’hui notre quatorzième jour de turbin. Il n'y a pas pour ainsi dire de malades.

J'ai encore changé de château. Je loge maintenant avec l’adjudant de la compagnie. Un vieux légionnaire qui a beaucoup lu et surtout retenu, mais qui a la manie de tout critiquer, de se poser en moraliste. On n'y fait plus attention à la companie, on est habitué à ses sermons, surtout et à propos de tout.

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Notre mobilier est plus complet, j'ai un lit de camps. C'est une espèce de banc fait de branches. C'est du luxe car l’humidité du sol est supprimée.

Il fait beau aujourd’hui, un beau soleil.

J'ai écrit l’autre jour à tante d’Onzain. Elle m'annonçait l’envoi d’un paquet par je ne sais quelle voie qu'elle disait plus rapide. Je n'ai encore rien reçu.

Nous sommes autour d’un feu. Je vais lire l’écho de Paris puis ce sera la soupe… puis la nuit, les jours passent réguliers ou bien une alerte le fait courir plus vite, les mois s'écoulent.

Ecrivez-moi longuement.

Les communiqués sont bons. Les Allemands sont harcelés sur tout le long du front, bientôt ils ne sauront plus où donner de la tête, leur population affolée et affamée se refusera à souffrir plus longtemps et ce sera la paix.

Je vous embrasse bien tendrement. Dites à bonne-maman que je ne l’oublie pas et qu'il me tarde beaucoup de la revoir surtout que je l’ai quittée si vite.

Votre petit soldat

Prosper

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Le 10 mars 1915

Bien chers parents

Votre dernière lettre qui est pour moi d’avant-hier m'a peinée. Comme il est fâcheux que le service postal ne puisse pas être plus régulier et que les lettres que je vous envoie à un jour d’intervalle vous arrivent par deux par trois avec deux ou trois jours de retard.

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Nous sommes toujours à notre poste de veille. Le bruit court que nous serons relevés le quinze. Un lieu de séjour en avant que nous aurons fait là. Nous nous relevons dans notre bataillon, compagnie par compagnie pour le poste de veille, deux en alerte deux au repos dans des tranchées plus confortables. Voilà deux jours que nous jouissons de ce repos relatif.

Je vais vous décrire notre repas d’hier soir. Vous direz que je suis toujours sur la bouche, mais ici lorsqu'on ne tire pas des coups de fusils ou si l’on n'en reçoit pas, on dort ou l’on mange. Notre repas est donc une de nos préoccupations des plus importantes.

Hier un sergent qui resté au train de munition a eu l’excellente idée de me faire parvenir par le caporal d’ordinaire des conserves et du beurre de chocolat. Quelle aubaine, j'allais pouvoir économiser mes Potineries. Il y avait une grande boite de petit-pois, ce fut un régal, des légumes !! On les fit sauter au beurre. Avec cela, des sardines à l’adjudant, du pâté au sergent, des figues et des gâteaux de l’adjudant et du fromage au sergent complètent le menu. Nous partageons les provisions en bon frères d’armes.

Je vous envoie mes plus doux baisers

Votre petit soldat

Prosper

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Le 11 mars 1915

Bien chers parents

J'ai reçu hier un colis de bonnes choses que m'envoie tante et oncle d’Onzain. Je leur écris par ce même courrier, c'est trop de bonté. Le colis venu par chemin de fer contenait du chocolat, une demi-livre, des bonbons Suchard, des petits beurres, des cigarettes, deux boites de conserver, une boite de sardine, une boîte de pâté.

Je croyais au premier abord ouvrir un colis que vous m'aviez annoncé, mais au fur et à mesure que je déballais, d’abord les cigarettes puis le chocolat Poulain que je vous avais dit de ne plus m'envoyer, enfin l’absence de charcuterie tout cela me donna l’éveil et me fit regarder le nom de l'expéditeur.

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J'écris à Onzain par le même courrier pour remercier tante et oncle de m'avoir envoyé tant de bonnes choses.

En pleine forêt d’Argonne, toutes ces douceurs sont terriblement bien reçues par mon terrible appétit, tout y passe ordinaire en tête. Je mange ma demi-boule de pain, c’est-à-dire 750 g de pain sans m'en apercevoir. Hier je me suis délecté à manger un beau morceau de lard frais rien que du gras. Je pensais aux esquimaux et à leur graisse de baleine et je compris combien le gras est utile pour nourrir et chauffer la machine.

Je recevrais une de vos cartes peut-être ce soir.

J'ai reçu hier celle que tu m'as écrite le 5 mars. Vous voyez que vous avez tort de vous alarmer si vite, La Poste, souvent sans le vouloir fait bien souffrir.

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Il faut vous attendre à des intervalles plus longs encore entre mes lettres. Supposez que je ne puisse pas écrire de deux ou même quatre jours et que cette absence de lettre de ma part coïncide avec un retard dans la transmission. C'est immédiatement une huitaine de jours sans le moindre mot de moi.

Donne de ma part le bonjour à Jules. Je tiendrais compte de tes recommandations pour les accros. Ne crains rien va.

Je n'ai reçu de Potin que le colis. Je ne vous ai pas envoyé d’argent. Je compte le faire au prochain repos, le quinze parait-il. Ne te hâte pas trop d’aller à Saumur. Attend qu'il fasse réellement beau vers la mi-avril par exemple. Que font les Préaux. Je leur ai écrit en quittant Blois. Ils ne m'ont pas répondu. J'ai écrit à Valentin.

Je suis toujours au même endroit, pas malheureux, tout au contraire, allez. Dieu avec moi comme je le lui demande, votre affection, la santé, que demander de plus.

Je vous embrasse bien tendrement à vous quatre.

Prosper

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12 mars 1915

Bien chers parents

Un petit mot aujourd’hui vite tracé tout debout devant les hommes de ma section qui travaillent à des abris en terre. Tout le monde travaille ferme, ce sont nos maisons qui se construisent. Plus tout le monde sera diligent mieux nous serons couchés ce soir.

J'ai reçu une carte de Julien. Il est dans le Pas de Calais. Il vient d’être légèrement blessé à la tête. Quelques jours encore et il retourne en avant. J'attends une petite carte bleue ce soir.

Je vous envoie encore mes plus tendres baisers.

Prosper

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Vendredi 12 mars 1915

Bien chers parents

Voilà trois jours que je ne reçois rien de vous. Hier soir une lettre de Mme Gillet m'est parvenue. Elle m'annonce l’arrivée d’un nouveau colis pour mes hommes et pour moi. J'attends de l’avoir reçu pour la remercier. Quant au colis qu'elle m'annonçait de la part de Mme Moy, j'attends toujours. Nous serons relevés demain matin sans doute. Je vous l’avais annoncé il y a six jours. Nous irons sans doute aux Islettes. Voilà dix-huit jours que nous sommes en tranchées. On s'habitue à ces longs séjours. J'attends une longue lettre de vous. J'aurais le temps de la lire et la relire.

Je vous embrasse bien fort tous les quatre

Votre petit soldat de l’Argonne

Prosper

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13 mars 1915

Bien chers parents

Je vous envoie de ces petites cartes qui vont très vite et qui sont vites écrites. Pendant mon repos je vous écrirai de longues lettres. Je n'ai pas reçu de petite bleue hier soir. Elles arrivent par deux ou trois, on dirait qu'elles le font exprès. Je suis toujours dans les mêmes emplacements. Le temps, sans être beau, n'est pas trop méchant, il ne fait pas froid. Je n'ai pas reçu votre dernier colis, celui contenant la chemise, la saucisse etc. etc.

Ma santé est toujours excellente, je mange comme un grand loup. Je vous embrasse bien tendrement à tous les quatre.

Prosper

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14 mars 1915

Bien chers parents

… Rien de neuf ici, nous serons relevés bientôt. Voilà vingt-neuf jours que nous veillons. Peu de fatigue en résumé…

Prosper

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15 mars 1915

Bien chers parents

Un mot seulement. Je suis occupé surtout à l’instant. Le courrier part et le lieutenant me fait demander pour le rapport. Plus qu'une minute à vous consacrer. Je vous embrasse bien tendrement. J'ai reçu votre carte du 9 mars.

Prosper

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15 mars 1915

Bien chers parents

Voilà plusieurs jours que je ne vous envoie que des cartes. Elles arrivent plus vite, surtout celles lu qui sont au modèle réglementaire et fournies par l’Etat. Mais elles vous disent peu de choses. Je vous envoie aujourd’hui une carte militaire et aussi cette lettre. La carte est déjà donnée, j'espère faire partir celle-ci à temps. D’abord un point à éclaircir. Mon long séjour en avant (20 jours) doit vous étonner. La raison est simple, on bataille à droite et à gauche de nous utilement et avec succès. Le bataillon du 313e qui nous relève est envoyé en réserve tantôt à droite tantôt à gauche. Si bien que nous restons en panne. Vous dire exactement quand nous serons relevés est impossible. Peut-être demain, peut-être dans huit jours.

Qu'importe, nous sommes soldats, nos chefs commandent, nous ferons de notre mieux.

Je vous charge de beaucoup de choses, aussi j'augmente le nombre de baisers que je vous envoie.

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aussi longtemps que l’on voudra. Mes hommes qui sont âgés puisque tous des territoriaux. Les jeunes classes sont superbes d’endurance, moi, je suis en excellente santé et mon appétit ne faiblit pas, au contraire.

Les premiers jours de mars (1-2-3) ont été mauvais maintenant il fait doux. On passe facilement la nuit sans feu.

Ma vie ici est bien employée. Mon grade me donne des facilités et un certain bien être. Mon ancien château de terre que j'ai réoccupé ce matin (on se relève par compagnies) est confortable. Mon service consiste en rondes et heurs de quart. Six heures sur 24 dont 3 de nuit, ce n'est pas excessif, le reste de la nuit on peut dormir. Mon lit : du liège, de la paille, ma peau de mouton sous tout le corps. Un sac de couchage imperméable et ma couverture. On dort tout équipé mais l’on dort bien.

Le jour, on se promène, on cause et on (pour moi surtout) mange. Je lis, j'écris

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Je vais vous charger de quelque chose d’important, la lecture du journal est insipide pour nous, ce qu'ils racontent nous le savons. Ce qu'il me faut, c'est une lecture sérieuse scientifique dure. Je vous vous charger de me la procurer. Il existe un grand libraire qui édite toutes les œuvres des grands écrivains français et étrangers en petites brochures à cinq sous pièce. C'est ce qu'il me faut, une fois lues dans ma cantine. Il ne m'en faudra guère. Je veux lire pour étudier une œuvre.

Vous allez écrire à Hachette et Cie à Paris comme suit : Il existe une édition des œuvres des écrivains français et étrangers en petites brochures à 0,25 fr. pièce. Je ne connais pas l’éditeur. Je m'adresse à votre maison, persuadé que vous aurez la bonté de lui transmettre ma lettre si besoin est. C'est pour un soldat du front. Envoyez-lui les caractères de La Bruyère et la liste des œuvres éditées. Ci-joint 0,35 fr. en timbres postes. Salutations…

J'aurais fait la lettre moi-même mais je n'ai pas de timbres aussi je vous en charge chers parents.

Les colis de Potin ne sont pas avantageux. Demandez le catalogue de la maison Teub, 37 rue de Bourgogne à Paris. Ils envoient dans des tubes, comme ces gros tubes de couleur, de la confiture, du pâté, du beurre, etc. etc. C'est très bon, ne pourriez-vous pas essayer.

Recevez des milliers et des milliers de baisers.

Prosper

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16 mars 1915

Bien chers parents

Je vous ai envoyé hier une carte hâtivement écrite. Le départ du courrier n'est jamais fixé longtemps à l’avance. Vous devez chercher à deviner si je suis au repos et chacune de mes cartes depuis quelques temps doit déjouer toutes vos hypothèses. Nous sommes toujours dans le même secteur. Ne vous chagrinez pas, si vous voyez combien nous acceptons gaiement notre situation. Je ne puis fixer de date, le temps est passé. Cela peut être demain matin aussi bien que dans huit jours que nous serons relevés. Je n'ai pas encore votre colis.

De bons baisers pour vous tous.

Prosper

Ps: Je vais vous écrire une lettre qui si elle est achevée à temps partira avec cette carte.

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18 mars 1915

Bien chers parents

Un petit mot aujourd’hui. Je vous ai envoyé deux lettres hier. Je ne sais pas si je… pas fait une faute en datant les deux lettres. En tout elles sont toutes du 17.

Aujourd’hui, je me hâte de vous envoyer ce petit mot que j'écris debout en faisant mon quart.

J'ai reçu hier soir une petite carte datée du 11, c'est tata qui me l’envoie. Merci tatie. Maman n'est pas fatiguée au moins ?

Je vous envoie mes plus tendres caresses pour vous quatre

Prosper

Repos en cantonnement aux Islettes

19 mars – Le 6e bataillon arrivent aux Islettes à 11 heures et y cantonne.

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19 mars 1915

Bien chers parents

Vous n'allez plus rien y comprendre chers parents car je date encore ma carte du 18. Depuis deux jours, involontairement je date mes lettres d’un jour trop tôt. Le 16 cependant je vous ai envoyé une carte militaire et une carte lettre. Je n'ai pas encore votre colis, je l’aurais au repos car cette fois-ci c'est pour de bon demain nous serons au repos. J'espère l’être encore lorsque ma carte vous parviendra. Je vais pouvoir vous envoyer de longues lettres Depuis la carte de tata je n'ai plus rien reçu. Vite un petit mot de maman. Je serais très heureux si papa m'envoyait aussi quelques lignes.

Je termine demain, j'espère pouvoir vous envoyer une longue missive.

Bien tendrement à vous tous.

Prosper

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Les Islettes, le 21 mars 1915

Bien chers parents

Je viens de mettre une carte militaire à la poste. Elle va partir en estafette au-devant de cette lettre. Je suis au repos depuis vendredi matin à 11 h. Nous avons passé 24 jours dans les tranchées. Je vous assure que vous étions contente de pouvoir nous laver et nous changer de linge. Nous sommes aux Islettes. Cherchez sur la carte, Les Islettes se trouvent juste sur le bord inférieur sud de Claon. C'est là que j'ai débarqué le jour de mon arrivée sur le front, il y a juste deux mois aujourd’hui. Deux mois de passés. Je ne m'en suis pas aperçu. Nous avons entamé mars dans la tranchée, le voilà presque terminé.

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Deux mois de passés, je ne suis pas fatigué ! Très dispo au contraire. Je me repose bien ici. J'ai une chambre, un lit, des draps.

Je viens de faire mes Pâques ce matin dans la petite église des Islettes qui est une cathédrale comparée à celle de Claon. Une grand-messe, s'il vous plait. Seulement ce n'était plus pour nous tout seul comme au Claon où l’église n'était pleine que de capotes sales. Ici, il y a des femmes, des civils puis un tas d’embusqués, d’auxiliaires de soldats, de mille et mille services qui ne voient la guerre que de loin et qui font du chiqué et du fla-fla. Les pauvres gus !!

Ici on se brosse, on s'astique, fait son petit malin et sa belle jambe. Je vous écrirai une autre lettre ce soir, on pourra raconter tout cela.

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Je me hâte car ma lettre doit être mise à la boite à midi.

J'ai reçu votre colis, la saucisse est bonne quoi qu'un peu fade. Je la déguste. Le linge a été le bienvenu. Ma cantine me rend de grands services. Grace à elle et au conducteur de notre voiture de compagnie je peux faire laver mon linge. Je n'ai pas goutté le boudin. Le colis est intact.

J'ai reçu une de vos cartes hier. Je ne la trouve plus. C'est celle où vous me donnez la liste des bonnes choses que m'envoie Potin. Je vais vous envoyer quinze francs. Pour l’autre colis, est-ce que c'est le prix ?

Je n'ai plus que quelques minutes, je vous écrirai encore ce soir.

Mille tendresses pour vous tous.

Prosper

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Les Islettes

Bien chers parents

Je suis au repos au Islettes depuis trois jours. On respire un peu. Vingt-quatre jours de tranchées. Quel drôle d’impression que ce retour subit au milieu de la vie, au milieu des civils, le village des Islettes est un trou de 2 000 habitants environ ; or avant-hier, il m'a fait l’impression d’une ville de 10 000.

Dans la rue où il y a une grande agitation (auto, voitures, cavaliers, cyclistes) j'avais à peine circulé. Il y avait 40 jours en effet depuis notre dernier séjour à Bellefontaine que nous n'avions pas eu de repos. Au Claon, en cantonnement d’alerte, nous étions moins bien qu'en avant. Et surtout on ne voyait que des soldats. Dans les tranchées pendant ces 24 derniers jours, je ne voyais que les hommes de ma compagnie et quelques autres du bataillon.

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Aux Islettes l’agitation est grande. C'est une gare par où passent les approvisionnements de notre division. Il y a les ambulances et les services de l’arrière.

On trouve ici de quoi se ravitailler. J'entends des conserves et des douceurs.

Nous referons popotte entre sous-officiers et nous nous remplumerons. Je vous ai dit hier que j'avais un lit, que puis-je demander de mieux. Se déshabiller, quel plaisir !

Il y avait 28 jours que je ne m'étais pas déchaussé sauf pour changer de chaussettes. C'est mon record actuellement, j'espère faire mieux.

Que tout cela ne vous épouvante pas, chers parents mais qu'au contraire cela vous réconforte car j'ai passé par-dessus tout cela sans être fatigué. Je parais faire du sport, mon appétit augmente et je ne fais pas prier pour dormir.

Je vous ai dit que j'avais reçu le colis au saucisson et boudins et la chemise. Il y avait aussi du chocolat, du rhum et du sucre. L’annonce de l’envoi d’un nouveau colis de Potin me remplit d’aise. Comme je deviens gourmand !! Je vous ai donné l’adresse de la maison Teule.

Je vous ai chargé d’écrire à la librairie Hachette et Cie pour avoir des livres. Je vous ai envoyé un brouillon de lettre. On s'ennuie dans la tranchée. Il me faut des lectures sérieuses faisant travailler l’esprit. Je ne sais pas si la maison Hachette comprendra.

Je vais écrire d’ici à une autre librairie pour avoir un autre petit livre à 0 fr 25, écrivez toujours à Hachette.

Je vais vous envoyer ce coir un mandat de 15 fr. pour le colis Potin. Dites-moi ce qu'ils coutent dans une de vos lettres.

Hier j'ai conduit ma section et la 4e, soit un peloton à Bellefontaine mon ancien cantonnement. Nous sommes allés prendre des douches. Il faisait un temps superbe. Ce fut une promenade délicieuse, 7 km aller et autant pour le retour, de quoi vous dérouiller les jambes. Les territoriaux que je commande se rouillent vite. Mais comme endurance pour le service des tranchées, ils sont superbes. Ce sont de bons soldats. Depuis la mobilisation, ils ont repris l’allure militaire et sont disciplinés. On peut compter sur eux. Après notre séjour de 24 jours, ils étaient gais et gamins à plaisir. Sur la route du retour nous avons trouvé des renforts, de jeunes soldats en très grand nombre. Cela a enflammé tout le monde. Je suis sûr qu'à ce moment on eut pu commander demi-tour et leur demander un nouvel effort. Ils auraient marché. Ils croyaient manger du Français sans y trouver des… Ils se sont cassé les dents, nous allons leur casser la tête complétement.

Demain, je vous écrirai longuement. Je n'ai pas reçu de lettre de longtemps. Ecrivez moi vite. Bien tendrement à vous tous, votre petit Soldat

Prosper

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Les Islettes, le 23 mars 1915

Chère petite mère

Je reçois à l’instant tes deux missives du 20 : la carte bleue de Montauban et la longue lettre de Bordeaux. Merci chère maman de penser ainsi à ton petit soldat de l’Argonne. Ne craint rien petite mère, ton affection me protège et me portera bonheur, puis la Vierge que tu pries tant pour moi veillera aussi.

J'ai fait mes Pâques dimanche dans l’église des Islettes ou nous sommes au repos, un bon repos. J'ai un bon lit, nous sommes au repos depuis le 19. Nous retournerons aux tranchées quand on le voudra ! Nous venons d’y passer 24 jours, nous en passerons 60 s'il le faut. Que ces bruits d'offensive ne vous alarment pas.

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Que faut-il petite mère ? Que le Boche s'en aille. Le mieux pour cela, c'est de leur piquer les reins avec des fourchettes à une seule dent.

Le Boche dehors ! Après, c'est le bonheur pour la France, le foyer, la vie journalière, le travail manuel ou intellectuel reconquis.

J'entends mes hommes, tous ils attendent avec impatience le grand coup. Que le Boche flanche une seconde et c'est un élan infernal, une explosion de feux, de courage, de sacrifice contre laquelle rien ne résistera. La France doit souffrir, c'est le châtiment voulu par Dieu, mais la victoire est pour nous car le mal ne peut pas triompher du bien. Nous luttons pour la bonne cause, pour le bien, pour délivrer notre sol, pour conserver la France bien à nous.

J'ai peur que ce long voyage ne te fatigue, fait faire le déménagement par des gens consciencieux et laisse faire.

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Après l’expédition, attends quelques jours pour te reposer avant d’entreprendre le voyage pour le retour. Les Legrand sont bien gentils de te recevoir, n'oublie pas mes livres. Prends-les tous surtout, même les plus miséreux. Ce sont ceux que j'ai le plus feuilletés. Mes chers livres. Je pense à eux aussi. Il me tarde de le rebouquiner. Les pauvres vieux, la poussière a dû les ronger. J'ai reçu une carte de Casamayor, j'en ai chez eux, vous savez, je les prendrais ensuite. Ce ne sont pas les moins intéressants que j'ai chez eux. Il ne faudra pas mettre ces bouquins au grenier à Prats. Si vous logez en bas, je retiens pour en faire mon home, le cabinet du docteur.

Je te quitte chère maman. Je voudrais bien que cette lettre te parvienne à Saumur où je te l’adresse, tu n'y comptes pas, elle te surprendrait agréablement.

Mes plus tendres caresses pour toi petite maman.

Prosper

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24 mars 1915

Bien chers parents

Un mot seulement. Je suis de jour avec ma section ce qui me donne du turbin. Puis nous remonterons ce soir à notre poste pour six jours si bien que lorsque vous aurez ma carte je serai de nouveau aux Islettes. A moins bien sûr que les événements nous obligent à y passer 24 jours. Qu'importe ! Vive le turbin.

J'ai envoyé une carte et une lettre à maman hier. J'espère qu'elle les recevra à Saumur. Je vous ai envoyé hier une lettre recommandée avec 15 fr.

Je vous embrasse bien fort à tous les trois.

Prosper

Montée en ligne à la Haute-Chevauchée (25 mars – 19 avril – 25 jours)

25 mars – Le 6e bataillon relève à la Haute-Chevauchée le 5e bataillon.

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26 mars 1915

Bien chers parents

J'ai rejoint hier, nous sommes dans le même coin. J'ai écrit encore à maman à Saumur. Lorsque cette carte vous parviendra vous serez ensemble de nouveau. J'ai reçu avant-hier un mot de maman daté de dimanche.

Il y a longtemps par contre que je n'ai pas eu le moindre mot venant de Prats, eh bien c'est vrai. Je vous écris une carte, elle partira demain sans doute. Les cartes vont très vite et c'est pour cela que je vous en envoie fréquemment.

Recevez mes meilleurs baisers pour vous quatre.

Prosper

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27 mars 1915

Bien chers parents

Je reçois à l’instant une carte bleue. Elle est partie de Prats le 21. L’affaire dont parle mon oncle s'est terminée le 6 ou le 7 mars. Or vous aviez reçu une carte de moi datée du 14. Vous voyez que vous vous chagrinez pour sans raison. Il n'y a qu'un bataillon de notre régiment qui y pris part. Quand vous recevrez cette carte beaucoup d’autres vous seront parvenues et j'espère que vous aurez cessé de craindre. Si nous sommes relevés comme il est convenu, je compte passer Pâques au repos.

Les cartes de maman se font rares. Elle est encore à Saumur, à l’heure qu'il est le déménagement doit être presque achevé. Je n'ai pas eu le temps de vous écrire la lettre que je vous ai promise hier. Ce sera peut-être pour ce soir.

Je vous embrasse tous bien fort. Vous serez tous réunis quand ma lettre vous parviendra.

Prosper

Ps: je reçois à l’instant une lettre de Mme Gillet. Elle m'annonce deux envois : des bonbons pour moi et un colis d’objet divers pour mes hommes.

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Dimanche 28 mars 1915

Bien chers parents

Je vais vous envoyer si j'ai le temps de la terminer cette longue carte. Je vais vous raconter comment s'écoulent les journées que je passe ici.

Je suis depuis trois jours dans le ravin des Meurissons à la naissance. J'ajoute ce mot car il est très long. Il s'est livré de rudes combats et les journaux l’ont un peu dramatisé. Vous allez voir du reste que la vie que nous y menons actuellement n'a rien d’infernal. Supposez un ravin profond. En avant de la crête nord, à 250m, la première ligne de nos tranchées qui sont une ligne de forteresses. Je vous vous trembler déjà en lisant ce chiffre. La belle affaire pendant l’autre séjour de 24 jours que nous avons fait ici l’autre fois, c'est dans ces forteresses que nous les avons passés. Vous voyez bien que je suis un vieux grognard.

Nous étions à 60m de ces messieurs de l’autre côté. La tranchée de première ligne, vous n'allez pas le croire, c'est que nous, les gradés (c'est défendu aux soldats) nous allons prendre le soleil, car elles sont bien, le dos au soleil.

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C'est défendu aux soldats de notre peloton qui est dans le ravin car ils y seraient tous et nous ne les aurions pas en main au moment voulu.

Dans notre ravin, nous avons nos guitounes et nous vivons là.

Depuis mon arrivée comme le sous-lieutenant Gibon (lieutenant depuis trois jours) qui commande la compagnie est seul dans sa cabane. Je lui tiens compagnie. Je mange avec lui à la popotte des officiers de la 24e. Le cuisinier est excellent, c'est ce que j'ai beaucoup remarqué du confort moderne. Nous mangeons à table ! Nous avons un bon lit de paille, un bon lot de journaux, quelques revues. Le ravin est une petite ville en haut à mi-pente la demeure de notre commandant, un abri en rondins dans le creux notre guitoune l’infirmerie du bataillon. De place en place d’autres maisons de terre, là les 3 sections, une maison par escouade, ailleurs la 4e. Tout en haut, presque sur la crête, le chalet du Lapin agile ou loge le fourrier et où est installé le bureau de notre compagnie. Il y a des rues avec des noms. Comme elles montent dur et qu'elles ont rappelé Montmartre à certains loustics, elles portent les noms des rues de la Butte : rue Lepic, rue des Saules. C'est comique.

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Après la rue, dans le prolongement il y a les boyaux, longs couloirs creusés conduisant à la première ligne. Aussi pour aller voir mon collègue l’aspirant Morin, je prends la rue Lepic, au Lapin agile je tourne à droite dans le boyau, ensuite, il faut prendre la deuxième à gauche, c'est la première guitoune à droite. Dans la tranchée vous demandez au sergent de quart : « Pardon sergent, ou demeure le lieutenant Intel ? Suivez la tranchée, puis premier boyau à gauche et deuxième à droite » on vous renseigne, c'est auprès du… J'allais vous écrire du bec de gaz, non, c'est après du crapouillaud de 77mm ou bien après du lance-fusée.

Hier j'ai commencé à lever à la boussole le tracé d’une portion de notre front et à repérer la direction de quatre de nos boyaux que ma section creuse en avant, un rien, aucun risque. Avec la boussole une branche de deux mètres, j'ai relevé sur le papier. Ce soir je vais achever. Je devais bien faire une levée de plan vers cette époque pour mon concours mais je ne pensais pas le faire en Argonne et en troufion (la suite au prochain numéro).

J'ai reçu le colis du Bon Marché, un caleçon, mon tricot et une pile. J'ai reçu également hier la lettre de petite mère (de Saumur le 24). Hier nous dinions chez le Major. Aujourd’hui à midi c'est le major qui mange avec nous.

J'achève vite, bien tendrement à vous tous.

Prosper

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Les Islettes, le 23 mars 1915

Bien chers parents

J'ai reçu hier une carte bleue. Elle m'annonce le départ de maman pour la 9. Nous voilà tous les trois seuls. Maman de son côté voyage toute seule. Je viens de lui envoyer une carte qui j'espère l’atteindra à Saumur.

Nous sommes toujours aux Islettes, notre capitale à nous puisque c'est le centre de notre division.

Il fait beau, trop beau même car le soleil est excessivement chaud et devient gênant.

Le printemps a de ces journées trop chaudes qui vous lassent et vous fatiguent jusqu'à l’énervement surtout lorsqu'on a été privé de sa douce chaleur depuis longtemps.

Hier soir nous sommes allés

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Dans les bois c'était charmant. Il semblait que nous faisions la guerre de mouvement. Tout le monde était ragaillardi. Pour terminer, chaque section s'est écartée pendant une heure et perdus dans le bois nous avons fait un bon somme. Nous n'étions pas malheureux et ce bain d’air après l’exercice a été des plus salutaires.

La vie est monotone ici, ce n'est pas la tranchée ou on a toujours à faire quelque chose.

Est-ce qu'il fait beau maintenant à Prats, vous vous plaigniez du froid. Le temps doux à bien dû arriver jusqu'à vous. Il doit faire délicieux au creux des ravins et sur les chemins de la montagne vers le milieu du jour.

La forêt d’Argonne sans s'occuper des hommes qui s'y sont donnés rendez-vous pour se cogner dessus commence à prendre un peu de vie. Bientôt, au lieu d’une forêt saccagée nous aurons sous le manteau de verdure du printemps une superbe région car la nature s'entend très bien à passer les pluies.

Dans votre dernière lettre vous êtes attristés en pensant à l’effort que nous allons faire pour bouter le Boche hors de France. Courage ! Il n'y a que des soldats résolus ici. J'entends causer mes hommes. Ils attendent le coup dur avec impatience. Gare aux Boches. S'il faiblit une seconde, rien n'arrêtera plus l’élan des troupes, ce sera comme une chaudière qui éclate.

Après le retour au foyer, la paix, le bonheur pour la France, sa grandeur militaire et économique. Son nom inscrit en tête de la page d’histoire que nous vivons, sa voix sera écoutée, on craindra son courage, sa force, sa franchise, sa joie à la parole jurée

J'ai reçu hier le colis de Potin, il est parfait celui-là.

Voici ce qu'il contient : 1 boite de beurre, une de confiture, une de pâté truffé, une de jambon, une de sardine, une de thon, 20 gouters au chocolat, du gruyère, six oranges, deux plum-cakes, deux boites de biscuits petits-beurre. Je crois que c'est tout.

Merci de ces colis, je vous envoie par cette lettre un mandat de 15fr pour payer ces colis, dites-moi le prix exact.

Je reçois à l’instant deux lettres de maman datées du 20 et une vient de Montauban, l’autre, longue lettre de Bordeaux.

Je lui ai déjà envoyé une carte militaire. Je lui envoie une longue lettre.

Je termine, je prends le service de jour à quatre heures. J'ai cinq postes à fournir, cinquante hommes en tous.

Je vous embrasse bien bien fort.

Prosper

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26 mars 1915, 9 h du soir

Mon cher enfant

Rien qu'un petit mot en courant pour te dire que j'ai de tes nouvelles que tata m'envoie aussitôt, puis que je vais bien et que mon déménagement touche à sa fin. Puis encore que j'aie trouvé la cravate que tu demandes et tes bouquins de classe. Je te les enverrai avec deux carnets.

Maintenant, mille tendres baisers de ta maman.

Thérèse

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29 mars 1915

Bien chers parents

Un petit mot de tatie daté du 23. Je suis toujours en excellente santé, aussi actif que je vous le disais dans ma dernière lettre. Le temps est superbe, froid encore mais ses, avec un soleil superbe.

Je crois pouvoir vous écrire plus longuement ce soir en attendant, je fais parler cette carte que l’ordonnance du lieutenant va emporter aux voitures. Je me hâte, notre 75 tire journellement sur les tranchées Boches. Il est midi, c'est notre distraction favorite de voir les obus rendre visite à ces messieurs nos voisins d’en face.

Je vous embrasse bien tendrement à vous quatre.

Votre petit soldat

Prosper

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Lundi 29 mars 1915

Bien chers parents

Il est cinq heures, j'ai quelques minutes que je vais vous consacrer. Il vient de faire une journée superbe et chaude. Un soleil de mars qui fatigue parce qu'on n'est pas habitué. Tout le monde se chauffait au soleil. C'est le beau temps, les bourgeons sont près à éclater. De roux, le bois va devenir vert tendre, les oiseaux chanteront, les insectes bourdonneront. Il n'y aura pas que les balles et les obus à faire des remous dans l’air.

Mais je m'aperçois que ma prose devient poétique. Nous nous sentons vivre. Bonne affaire, les Boches ne moisiront pas en France.

Un arrêt à ma prose guerrière

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On peut au petit troupier d’un peu partout. Cela fait plaisir. Je me suis occupé des sapes tout aujourd’hui, le commandant est content de moi, je crois. Je me démène dur. Si ça lui plait moi cela ma va. Avec ce beau soleil, il fait bon avoir le nez dehors et à s'agiter. Puis le temps passe vite. Il ne faut pas vous mettre martel en tête pour ce que je baptise d’un nom pompeux de sapes. Cela n'en vaut pas la peine, je vous assure. Ce sont des boyaux à ciel ouvert fait pour supprimer un angle rentrant de notre tranchée. Ainsi, les tranchées étant suivant ABCD, on creuse une tranchée suivant BD. Un point c'est tout. C'est aussi tout pour ma lettre. Je vous embrasse bien bien fort à vous quatre.

Votre petit soldat de l’Argonne.

Propser

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31 mars 1915

Bien chers parents

J'ai reçu hier soir la lettre de papa. Merci beaucoup cher père de ces affectueuses lignes et de ces bons conseils. Je vous ai envoyé une longue lettre avant-hier. Peut-être que je recommencerai ce soir.

En tout cas, je commence par faire partir ce petit billet porteur de mes meilleurs baisers pour vous tous très chers parents.

Quant à bonne-maman, assurez-lui que je ne l’oublie pas et transmettez-lui toutes mes tendresses

Prosper

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Le 30 mars 1915

Bien chers parents

Hier une longue lettre est partie pour vous. Aujourd’hui un petit mot seulement. Il est curieux comme le service postal est drôlement fait. Je vous écris tous les jours, et dans vos lettres vous vous plaignez de ne recevoir mes cartes que tous les deux ou trois jours, et dans un ordre bizarre. Je crois qu'il faut s'en prendre aux retards forcés que subissent les services dans les zones de l’arrière. Il y a tellement de facteurs au feu qu'il ne faut s'étonner de rien. Je suis toujours en excellente santé, aussi de vous faites de bile. Je vous embrasse bien affectueusement.

Prosper

Avril

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Vendredi 2 avril 1915

Bien chers parents

Voici plusieurs jours que je ne vous envoie que des cartes. Mon service m'occupe beaucoup. Il n'y a bien entendu qu'un courrier par jour. On écrit vite un mot par jour pour ne pas le rater.

Il fait toujours un temps superbe, nous sommes toujours en service. Notre relève est remise à quand, nous n'en savons rien.

Je suis toujours avec le lieutenant Gibon, nous faisons notre popote ensemble, nous habitons le même château de terre et de bois.

C'est un palais parmi nos châteaux, lits sur seuil de terre, table et étagères, cheminée, porte à double rideau. On s'y tient debout.

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Le lieutenant a un excellent caractère égal et gai, c'est un plaisir d’être son hôte. Il est parisien, de très bonne famille, son frère est un avoué très connu au palais.

Que je vous parle maintenant de cancans de nos lignes. Poincaré est venu nous rendre visite. C'est une façon de parler. Il est venu jusqu'au Neufjour et au Claon, un peu plus haut même.

Tout le monde en parle ici. Les nouvelles nous arrivent par les cuisiniers qui vont aux voitures de distribution.

Nous n'y avons pas cru d’abord. Nous traitions avec dédains ce tuyau reine des cuisines. Cependant, le bruit se précisa, à la fin ce fut vrai.

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Tout le long de la ligne ce ne fut plus que conversations, bruits comiques de toutes parts. Un loustic aimant la dive bouteille trouvait l’occasion de lancer ce canard : vous savez les copains, Raymond (sic) nous fait distribuer double ration de vin ; je le sais par le cuisto (cuisinier). Vingt autres canards circulaient de ce genre.

Pâques approche. Je ne sais si je serais au repos, aujourd’hui, Vendredi Saint, notre esprit est plus tourné que de coutume vers Dieu. Si pour le jour de Pâques nous sommes encore ici, quoique loin de ses temples, nos âmes s'élèveront jusqu'à lui. Que nos peines que tant de gens déposent à ses pieds, nous attirent son pardon et nous donnent la victoire. Vous allez tous être réunis pour la fête de Pâques. Ne soyez pas tristes, je serai avec vous. Je connais tant les maisons de Prats et vos habitudes que je vis chaque moment avec vous.

Je vous embrasse bien tendrement à vous quatre.

Prosper

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1er avril 1915

Bien chers parents

Encore pour aujourd’hui un tout petit mot seulement. Nous sommes encore à notre poste. La relève n'a pas encore lieu. Il n'y a pas à se faire de peine, qu'importe quelques jours de plus ou de moins.

J'ai reçu hier soir une lettre de maman me répondant à celle que je lui ai envoyée à Saumur.

Je vous envoie toutes mes caresses.

Votre petit soldat

Prosper

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4 avril 1915

Bien chers parents

Voilà Pâques. Je vous souhaite de joyeuses Pâques chers parents. Il pleut, un temps très vilain…

Prosper

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Bar-le-Duc, 5 avril 1915

Mon cher ami

Nous sommes bien arrivés ici où nous jouissons des bienfaits de la vie civilisée. Mon examen s'est très bien passé et maintenant nous attendons d’être fixé sur notre destination définitive. Je pense bien souvent à tous les camarades laissés aux dangers et à la peine. Dites leurs toutes mes amitiés.

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8 mai 1915

Mon cher Prosper

C'est toujours avec plaisir que j'ai reçu ta carte. Je suis content de savoir que tu te portes bien et que les fatigues des tranchées n'aient pas de prise sur toi. Je suis toujours à Villefranche et le départ pour Carcassonne n'a pas eu lieu. Comme toi, le voyage pour les Dardanelles ne m'aurait pas déplu ; d’ailleurs on ne vous demande pas votre avis et on ne sait même pas si on ira à ton régiment. Quelques-uns sont partis dans l’Yser, le 76e est toujours dans l’Argonne. Il ne reste plus beaucoup de monde ici ; je ne sais ce que nous allons devenir car il y a des gradés en trop. Maintenant s'il n'y a plus qu'un …

Amitié et cordiale poignée de main

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Aux Meurissons, le 5 avril 1915, 24e – 7 blessés

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6 avril 1915

Bien chers parents

Un mot hâtivement gribouillé. Je vais bien. Soyez sans aucune inquiétude, tout se passe bien.

Ecrivez-moi souvent, vos lettres me parviennent régulièrement. Le cycliste de la compagnie emporte ma carte, il m'attend.

Je vous envoie encore de bons baisers pour vous tous.

Prosper

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7 avril 1915

Bien chers parents

J'ai reçu hier soir une lettre de tata m'annonçant le retour de maman. Je suis heureux de ce retour et surtout d’apprendre que tout s'est effectué sans difficulté et sans trop de fatigue. Il faut prendre un bon repos chère maman et prendre du monde pour aménager.

Je vous envoie de bons baisers pour vous tous.

Prosper

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Jeudi, 8 avril 1915

Bien chers parents

Nous sommes encore sur nos mêmes emplacements. Nous avons l’habitude maintenant de ces longs séjours. L’autre fois 24 jours, maintenant quinze, nous sommes encore en chemin pour la double douzaine.

Ne vous inquiétez par de ces longs séjours. J'ai une santé de fer. Pas le moindre rhume, si petit soit-il.

Nous vivons dans notre secteur du mieux que nous pouvons. Je me suis fait de bonnes connaissances.

Je suis très bien avec mon commandant de compagnie. Je vous ai déjà dit que je vivais avec lui en mangeant à sa table.

Mon lieutenant est charmant.

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Je me suis donné du mal pendant ce séjour pour des travaux de terrassement que j'ai fait exécuter par le 2e peloton de notre compagnie que j'ai commandé pendant quelques jours. Ces travaux sont finis, ils ont avancé notre tranchée de 35m sur un front de 200m. Le commandant de mon bataillon (6e) me donnait directement ses instructions puis je faisais exécuter le travail.

Une compagnie est composée de 4 sections, un peloton de deux sections.

J'ai l’impression de l’avoir satisfait car hier pour une amélioration il s'est adressé directement à moi sans prendre l’intermédiaire habituel en d’autres circonstances et qui est mon commandant de compagnie.

De plus, les travaux que j'ai faits ont été exécutés devant le front de la 21e compagnie. Il parait que le capitaine qui commande cette compagnie est aussi très content de moi. C'est le lieutenant Gibon qui a été assez aimable pour me le dire.

Tous les officiers du bataillon me connaissent et tous me traitent amicalement.

Voilà, excusez-moi, j'ai l’impression que je ne me suis pas jetées de pierre dans mon jardin. Je veux simplement vous dire qu'elle est ma situation.

A début, j'étais traité en sous-officier, maintenant on me traite en élève officier. C'est mon titre du reste. Je préfère avoir conquis ces faveurs que de les avoir exigées.

Mais voilà que je vous entretiens longtemps de moi. Causons un peu de vous. Est-ce que vous allez quitter le 2e étage pour le premier ? Il faudrait attendre un peu, maman ne doit pas se fatiguer ainsi. Faire deux fois ce long voyage puis un déménagement et un aménagement c'est trop de fatigue.

Vous me direz quelle sera la disposition de votre nouvel appartement pour que je vous vois ainsi dans votre nouvelle demeure aller et venir.

Comment vit-on à Prats ? Dites aux gens de Prats, à ceux qui crient, car il doit y en avoir, qu'ils n'ont rien à envier aux pauvres gens de villages de la première ligne, on a ceux de la région envahie. Ils sont surs de conserver leur demeure, leurs meubles, leur linge, tandis qu'ici il ne reste rien.

Du reste, qu'ils patientent, j'ai l’impression que la guerre tire à sa fin. Les Russes marchent, nous contenons le front partout en des points nous avons l’avantage.

Ici dans l’Argonne, nous avons devant nous le 16e Corps Allemand, celui de Metz, le plus fort, le mieux exercé des troupes comme celles de nos corps de l’Est, malgré cela, ils n'avancent pas.

Voilà une longue lettre que je vous envoie, aujourd’hui, répondez moi vite par une semblable.

Je vous embrasse tous bien forts à tous.

Prosper

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9 avril – Dans la nuit du 8 au 9, le 6e bataillon (Ledoux) relève dans les tranchées de première ligne deux compagnies du 4e par les 24e et 22e compagnies ; la 23e a un peloton en réserve partielle, l’autre peloton de la 23e et la 21e sont à la Pierre-Croisée à la disposition du commandant de secteur.

10 avril – Situation inchangée.

11 avril – Situation inchangée.

12 avril – Situation inchangée.

13 avril – … 24e, 17e, 19e et 20e compagnies en première ligne occupant les tranchées nouvelles et ayant chacune deux sections en première ligne et deux en soutien.

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Prats, le 8 avril 1915

Rien qu'un mot en courant mon cher fils pour t'envoyer nos baisers. Aujourd’hui pas de porteuse de courage, rien n'est venu de toi. Demain nous serons plus heureux peut-être. Je pars demain matin pour ? assister au transbordement de notre wagon qui est déjà arrivé. Il est venu sur nos talons. Il est arrivé ici 75 réfugiés qu'on a éparpillés un peu partout chez ceux qui ont offert de les prendre. Nous ne pouvons pas prendre d’étrangers à la maison, nous avons pourvu à leur installation. Es-tu au repos ? Que Dieu te donne une nuit tranquille. Je le laisse à sa Sainte-garde. Milles tendres baisers de chacun de nous qui t'embrassons.

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8 avril 1915

Cher Prosper

Il y a déjà longtemps que j'ai reçu ta carte qui m'a fait fort plaisir. J'espère que tu es toujours en bonne santé. Je ne suis pas encore partie mais nous attendons l’ordre à chaque instant. Voici le beau temps maintenant, ce doit être plus agréable. Si mon… est de tout côté nous nous verrons peut-être. Espérons-le et alors à bientôt.

Je te serre cordialement la main.

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Vendredi 9 avril 1915

Bien chers parents

Hier je vous ai envoyé une longue lettre, par contre aujourd’hui je ne vous envoie aujourd’hui qu'un petit mot vite écrit. Je me hâte à cause du départ du courrier. Il fait très beau aujourd’hui, un vrai soleil de printemps.

Bien tendrement, j'espère avoir une longue lettre bientôt.

Prosper

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10 avril 1915

Monsieur le chef,

… j'ai éprouvé, nous avons éprouvé la joie que tu pensais nous donner en nous apprenant que tu venais d’obtenir le galon d’officier. Reçois de nous une entière… M. sont fiers de toi pour avoir su aussi rapidement gagner le galon d’or. Continue sur cette voie mon cher fils. L’officier doit avoir les qualités suivantes, en privé et en public, tu seras sévère mais juste pour avoir de la discipline, avoir horreur du mensonge, être instruit et avoir constamment le souci de sa charge afin des que les hommes n'aient pas à se plaindre justement. Demander beaucoup à l’ensemble pour que le travail des mauvais soit compensé largement par celui des bons. Apprends à commander des soldats, ais l’esprit large, réfléchis, bon cœur avec les…, l’éducation, l’instruction que nous t'avons donnée avec tant d’insistance, toutes ces qualités doivent se révéler en toi, j'y compte entièrement.

Ta mère à qui revient le premier mérite d’avoir de son fils de semblables résultats était un peu jalouse de ta lettre pour moi seul. Cette nouvelle est arrivée après la lettre de Sainte-Ménehould. Ecris lui que tu n'as pas fait attention, que tu pensais que papa, maman c'était la même chose. Je te laisse entendre combien je t'aime. Attention, tu écris à l’allée comme au retour pour l’aller, val pour valer.

François Tailleur

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Dimanche 11 avril 1915

Bien chers parents

J'ai reçu chère maman une longue lettre de toi, merci de ces bonnes paroles.

Nous sommes encore en ligne. Toute fois notre repos approche, peut-être demain ou après-demain. Je n'ai pu vous écrire hier. Je vous enverrai de longues lettres d’Islettes ou nous comptons avoir six jours de repos. Vous devez être contents chers parents des… réalisés du côté de Verdun.

Notre secteur a été un peu agité depuis Pâques, actuellement c'est fini, mes sapes ont servi, notre tranchée de première ligne a avancé sur le front du bataillon d’une trentaine de mètres.

Je vous embrasse bien fort

Prosper

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Lundi 12 avril 1915

Bien chers parents

Je reçois régulièrement vos cartes. Il se peut que les miennes subissent quelques retards aussi si vous restez quatre ou cinq jours sans rien recevoir ne vous inquiétez pas, dans notre secteur tout suit normalement son cours.

Je n'ai que quelques minutes à vous consacrer, je serai bref, je n'ai pas reçu les petits bouquins que tu m'as envoyés de Saumur. A quand la prochaine commande de chez Potin. Avec ce long séjour aux tranchées les douceurs emportées s'épuisent. Je vous embrasse bien fort et très tendrement.

Propser

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14 avril 1915

Bien chers parents

J'ai reçu hier votre carte du 8 avril. Il n'y avait deux jours que je n'avais rien reçu de vous. Je ne viens de vous envoyer que de petits mots… d’habitude. Je compte pouvoir vous écrire bientôt une longue lettre vu que je crois que nous n'allons pas tarder à retourner… Les Islettes ou autre.

Je vous embrasse bien bien fort. Votre petit soldat.

Prosper

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Vendredi 16 avril 1915

Bien chers parents

Je reçu hier le petit mot que tata m'envoie à la date du 10. J'avais prévu que tout le remue-ménage que vous êtes en train d’exécuter allait vous fatiguer. Voilà maman malade ! Arrêtez tout, vous continuerez votre installation dans quelques jours. Les meubles sont casés et peuvent attendre. Rien ne vous presse.

Rien de nouveau ici. Toujours sur la brèche. Le repos si court soit-il n'est que plus doux. Les nouvelles d’Europe et de notre front sont bonnes. Je vous embrasse bien affectueusement.

Prosper

Ps: Je n'ai pas reçu les petits bouquins envoyés de Saumur

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15 avril 1915

Bien chers parents

J'ai toutes les peines du monde à trouver le quantième. Nous ne savons plus quel jour nous sommes. Aussi je ne sais pas si c'est jeudi ou vendredi aujourd’hui. Je suis toujours en ligne. C'est le 23e jour. Nous n'avons pas encore battu le record du 313e puisque l’autre fois nous avons passé 24 jours en ligne.

Je suis malgré tout cela en excellente santé, très guilleret.

Je vous embrasse bien bien fort.

Prosper

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Samedi 17 avril 1915

Bien chers parents

Avant-hier, une carte de tata m'annonçait que tu étais fatiguée. Ma peine n'a pas été longue car hier soir j'ai reçu une lettre su 11. J'étais très content. Il n'est pas moins vrai que j'avais raison en disant que tu te donnais trop de mal. Enfin, tu t'es remise, tout est pour le mieux. Ta longue lettre m'a fait bien grand plaisir, surtout que depuis quelques jours, soit à cause de ces deux voyages, ou du déménagement, tes lettres étaient courtes et rares.

Avec le départ de la classe 16, il ne doit plus rester à Prats que des enfants et des vieux. Le vide causé par toutes ces absences doit

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Il en est de même dans tous les petits trous où tout se sait et se voit.

J'ai été surpris en apprenant par vos lettres combien le temps est mauvais maintenant dans nos montagnes. Cette bourrasque s'est fait sentir ici aussi. Elle s'est traduite par de là la pluie et du vent pendant toute la semaine Sainte. Mes montagnes ne sont pas sages. Elles n'y pensent pas. Que signifie ce… d’hiver alors que le printemps est commencé.

J'y pense souvent à mes montagnes, surtout lorsque je suis de quart dans la tranchée pendant les belles nuits étoilées que nous avons depuis une huitaine. Ma superbe montagne, c'est mon pays de prédilection et j'y songe comme l’exilé rêve à sa patrie.

Lorsque le soleil darde ses rayons sur le parapet de nos fortins de terre, je fais le

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Je ne m'étais jamais trouvé si méridional, mais loin de m'attrister, cette rêverie me rend tout joyeux. Je songe qu'il est des coins de France plus beaux que cette boueuse Argonne où les Boches viennent s'enliser et que ceux-là moins que tous les autres ils ne les auront pas.

Nous sommes toujours sur la brèche, peut être lundi nous irons au repos.

La vie est la même dans les tranchées. Le soldat est gai. Un rien nous amuse. Nous sommes comme des moucherons qui les soirs d’été tourbillonnent dans l’air. L’hirondelle passe… ! Mais les feux reprennent. Chez nous soldats les deux minutes s'oublient presque aussi vite.

J'achève mon… la soupe arrive. J'ai grand faim et je vais lui faire honneur quoique les cuisiniers qui nous l’apportent ne soient pas à toucher avec des pincettes.

Je vous envoie mes meilleurs baisers, votre petit soldat.

Prosper

Ps: Le poisson d’avril adressé à mes cousins est de provenance directe. Je l’ai confectionné avec l’écorce d’un bouleau qui venait d’être tranché par une marmite boche.

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Le 18 avril 1915

Bien chers parents

Je vous ai gâtés hier en vous envoyant deux lettres dont une carte lettre très longue. J'ai reçu immédiatement une gracieuse récompense, une lettre de vous et une longue de mes cousines à qui je vais répondre ce soir. Je vous envoie de bons baisers. Rien de nouveau par ici.

Votre petit soldat

Prosper

Ps: votre lettre m'annonce l’envoi d’un colis. Je vous remercie, dites à Juliette que son attention me fait grand plaisir.

Repos en cantonnement aux Islettes

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19 avril – Dans la nuit du 18 au 19 avril, les 21e et 23e compagnies relèvent les 22e et 24 compagnies… qui viennent cantonner aux Islettes avec les 22e et 24e compagnies.

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Les Islettes, le 19 avril 1915

Bien chers parents

Je viens de recevoir votre colis. Je ne l’ai pas encore défait. Je me hâte de lancer ce petit mot. Je suis au repos comme vous le voyez. Un bon repos encore. Je vous écrirai longuement demain. Mille tendresses pour vous tous. Votre petit soldat

Prosper

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Les Islettes, le 20 avril 1915

Bien chers parents

Malgré une longue lettre que je me dispose à vous écrire, je vous envoie vite ce petit mot qui, je l’espère, vous parviendra plus vite.

Voilà trois jours que je n'ai rien de vous, allons vite une longue lettre !

Je vous embrasse bien affectueusement à tous les quatre.

Prosper

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Dimanche 21 avril 1915, Les Islettes

Bien chers parents

Je suis au repos aux Islettes. Hier je n'ai pas trouvé un instant pour vous envoyer un petit mot. La compagnie était de jour et dans la compagnie ma section. Si bien que j'avais à m'occuper de mille choses, corvées pour tout le village, distribution des vivres, des munitions, de vêtements, etc. Ensuite grand nettoyage, pensez-donc un séjour de 24 jours !

Je vous envoie en même temps que cette carte une longue lettre. Je crois que ces cartes vont très vite.

Je vous embrasse bien tendrement à tous les quatre.

Prosper

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Les Islettes, le 21 avril 1915

Bien chers parents

Nous jouissons de notre repos avec une joie sans égal. Pensez-donc, plus de bruit, plus de coups de fusil, d’explosions de marmite, de sifflements d’obus, de miaulement de balles ricochant, plus de lueurs fulgurantes la nuit, au contraire, un bon lit, une table avec des mets chauds, des assiettes, des chaises, de l’eau à discrétion pour se laver, le temps pour écrire, pour etc. etc.

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Voilà la seconde fois que je viens aux Islettes. Rien de neuf ici, du monde ; des soldats surtout mais il y a aussi des civils, des enfants, des femmes. J'adore voir des enfants. Les petits, ce sont les plus gentils, on cause avec eux… du gros chien, de la brouette, des pâtés, c'est peu et c'est beaucoup car avec ces bambins on peut dire plus de dix mots sans parler de la guerre. Ce qu'il est impossible de faire avec les grandes personnes. Tout le monde vous pleure dans le gilet : « Mon Dieu quand cela finira-t-il, que c'est dur ! » où bien « Que nous souffrons, voyez, il y a des soldats partout ! »

Mais mille bonsoirs qu'ils aillent donc dans les tranchées recevoir les obus et faire le gros dos. Nous venons ici pour être gai pendant dix jours et pour ne pas causer marmite.

A propos de marmite, je vais vous en raconter une bien bonne.

Avant-hier, j'étais chez le fourrier dans sa guitoune là-bas aux tranchées. Nous causions service, les cuisiniers étaient là avec leurs marmites pleines de soupe. Nous les grondions parce qu'ils arrivaient trop tard. Les récipients étaient devant la porte. Tout d’un coup, voilà que nous entendons arriver une marmite. Pas de celles qui arrivent devant la.. qui chante et siffle si bien et qui arrive si vite même entre les heures des repas.

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Nous ne pûmes le savoir, en attendant ce jour-là nous n'eûmes pas de soupe.

C'est souvent que la marmite boche s'acharne furieuse sur son homonyme.

Chez vous, gens de l’arrière, il arrive que le cuisinier furieux renverse la marmite. Ici, ce n'est pas du tout ce qui se passe, c'est la marmite furieuse qui renverse le cuisinier.

Que l’on voit de belles choses à la guerre !

Je ne comprends pas qu'il y ait des gens qui fassent leur possible pour ne

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Dites-leur que le théâtre de la nature est très grand et qu'il ne nous gênera guère.

Je vous envoie deux choses, la photo de Jean le beau zouave et une toute petite fleur. C'est la première que j'ai trouvée sous mes pas je jour de la relève. Le printemps en avait semé beaucoup dans les bois. De nos tranchées nous ne pouvions les voir et j'ai été très heureux en les trouvant. Je vous en envoie une avec mes meilleurs souvenirs.

Votre petit soldat de l’Argonne.

Prosper

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Les Islettes, le 22 avril 1915

Bien chers parents

Mes poilus ont fait peau neuve ! Oui ! Vous vous rappelez que je vous les ai décrits vêtus de peau de bêtes, du poil plein le visage et aussi noirs que les sauvages du centre de l’Afrique ; et bien, aujourd’hui vous ne les reconnaîtriez pas. Ils sont vêtus tous de bleu clair, demi-capote, etc.

Puis avec le printemps, la forêt vierge qu'ils laissaient pousser autour de leur visage ayant commencé à se peupler d’une faune abondante, ils l’ont rasée.

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La distribution de tous ces effets a été des plus comiques. Un grand en a eu une petite, un petit tout mince une jusqu'au talons. Evidemment sur le front on n'est pas habillé sur mesure.

La compagnie a touché 240 capotes pour 240 hommes, avec cela, débrouillez-vous… Le résultat est superbe. Aujourd’hui au rapport, en voyant la compagnie rassemblée, nos hommes sont presque morts de rire.

Nous avons… notre livrée de printemps. C'est juste ! Tout ce qui vit dans les bois où nous sommes a changé de tenue, nous aussi, nous devons fêter le retour du printemps. Plus cette boue persistante, plus de cache nez, de gants de fourrure où la saleté se niche.

Je vais écrire à mes copains puis au directeur.

J'ai envoyé une lettre à mes cousines.

Seulement voilà deux jours que je ne reçois rien. Ce n'est pas gentil de me laisser ainsi sans longues lettres.

Les Islettes sont toujours très animées. C'est une petite ville industrielle. Attendez, n'exagérons pas, 3 000 habitants peut-être. Je l’ai vue dans tous les coins maintenant.

Des soldats dans toutes les maisons. Le civil en est saturé, il y en a partout de la cave au grenier. Je sous assure qu'il n'y a pas un lit de disponible. Prats ne connaîtra jamais cela, ce qu'il crierait. Il n'y a plus d’autorité civile, tout est militaire.

Je suis de jour. J'ai des postes aux issues que je vais aller visiter. Je vous laisse en vous embrassant bien tendrement.

Votre petit soldat.

Propser

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Les Islettes, le 23 mars 1915

Bien chers parents

Je sais par ta dernière lettre que tu es actuellement à Saumur. Je t'envoie cette carte qui va très vite pour qu'elle te parvienne à Saumur et que tu ais aussi de mes nouvelles pendant ton voyage. Je suis aux Islettes au repos depuis trois jours. Repos complet. J'ai envoyé de longues lettres à Prats. Je ne sais pas le temps que je resterai ici, une huitaine peut-être. Il ne faut pas oublier que nous avons fait 24 jours de tranchée.

J'ai reçu le colis de Potin et le vôtre. Celui de Potin est parfait et délicieux. Je j'envoie petite maman mes meilleurs baisers.

Prosper

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22 avril 1915

Bien chers parents

Je vous envoie ce petit mot comme avant-garde d’une longue lettre. Hier déjà je vous ai expédie une longue missive. Je vais écrire aussi à tous mes camarades à Montpellier comme à Dunkerque où est Maurice. Le vent de la guerre nous a un peu dispersé.

Mille gros baisers.

Prosper

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Montée en ligne à la Haute-Chevauchée (25 avril – 13 mai – 19 jours)

25 avril – Dans la nuit du 24 au 25 avril, les 22e et 24e compagnies avec la section de mitrailleuses Alleaume vont relever à la Haute-Chevauchée les 17e et 18e compagnies et la section de mitrailleuses Safran.

26 avril – Situation inchangée.

29 avril – Situation inchangée.

30 avril – Situation inchangée.

1er mai – … 24e et 22e compagnies en seconde ligne.

2 mai – Situation inchangée.

3 mai – Situation inchangée.

4 mai – Situation inchangée.

5 mai – Situation inchangée.

6 mai – … 24e, 22e, 19e et 20e en première ligne

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27 avril 1915

Bien chers parents

Pas le moindre petit mot de vous hier. Aujourd’hui, je ne puis vous adresser que ces quelques lignes. Le caporal chargé de ramener ces lettres est déjà passé deux fois pour me réclamer mon petit billet journalier.

J'ai reçu hier une lettre de Mme Gillet. Elle se dispose à m'envoyer de nouvelles douceurs pour mes poilus. De même, Mme… m'envoient un colis de fruit d’Algérie.

Je crois qu'avec tous ces envois, je vais pouvoir ouvrir un magasin de primeur dans les tranchées.

Je vous embrasse bien fort à vous tous.

Prosper

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Les Islettes, le 24 avril 1915

Bien chers parents

Nous continuons à nous remplumer aux Islettes. Chacun s'astique, se…, brosse sa capote. On veut son plus bel uniforme.

Hier, je suis allé à Ste Menehould, une fugue. Nous sommes partis, le sous-lieutenant, l’adjudant et moi. L’un à cheval, les deux autres à bicyclette, nous voilà en grande vitesse sur la route. Nous étions heureux de cette escapade. Le colonel avait bien

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Pauvre petits oiseaux qu'un plaisir rend joyeux. Nous sommes revenus du noir plein le cœur. Je me croyais fort. Je me voyais en guerrier dur, détaché des choses de l’arrière. Hélas, l’avant-gout du bien-être qu'offre l’arrière et que nous avons entrevu à Sainte-Menehould nous a donné le cafard. A l’hôtel à table d’hôte, dans la rue, dans les magasins, dans les cafés, nous avons vu des choses que mes mois de tranchées nous avaient fait oublier. Que j'ai souffert. Qu'est-ce que nous sommes faits pour vivre dans la terre, dans les plus sales coins. Qu'on nous laisse, nous pauvres fantassins dans nos livres. J'avais raison de demander à rester en tranchée. On

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On ne voit que soit ses hommes qu'on aime et la nature que Dieu nous donne dure ou douce.

Pourquoi voir ces armes favorisées, la cavalerie, l’artillerie, les hommes des services auxiliaires vivre une paisible existence à l’abri de nos pointes d’acier et de nos fusils.

Je me révolte, pardon, il fallait que je crie cela. Oublions-le maintenant, vite remontons là-haut. Je ne voudrais en sortir qu'avec la peau de ce maudit Boche. Ecrivez-moi longuement.

Je vous ai dit que j'avais reçu le colis avec la saucisse. Le colis de Potin me parviendra dans la tranchée, ce sera parfait.

Je vous embrasse bien tendrement.

Votre fantassin de l’Argonne.

Prosper

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Le 26 avril 1915

Bien chers parents

Je vous avais envoyé hier sous le coup de la colère une lettre qui a dû vous chagriner très fort. Il faut la détruire et ne pas tenir compte de ce que j'y raconte. Du reste, la réponse ne s'est pas fait attendre, elle était tout entière dans ta lettre du 19 juin où tu parles des lettres pleurnichardes de certains soldats.

Bon, je n'ai pas le droit d’écrire ainsi ! C'est fini, du reste parlons d’autre chose.

Je viens de passer six jours aux Islettes. Nous nous sommes bien reposés. Aujourd’hui nous avons rejoint notre place dans la longue ligne des soldats qui court de la mer du Nord à la Suisse. Le temps est beau ce qui réduit de moitié toutes les fatigues.

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J'ai reçu hier au soir une lettre de tante Louise, quatre pages. Nos lettres se sont croisées, je lui avais écrit des Islettes.

J'apprends avec plaisir que le voyage et le déménagement à Saumur ne t'avaient pas trop fatigué. C'est donc le retour et le tintouin que je t'ai donné à Prats qui t'ont rendu malade.

J'ai cru deviner qu'ils étaient très heureux de l’admission… de Madelon à Saint-Denis.

Il est heureux je crois que l’on ait pu la recevoir maintenant. Plus tard, après la guerre, il eut été trop tard vu le nombre de candidats.

Tout est pour le mieux pour Madelon qui est très intelligente, fera merveille avec l’excellente instruction qu'elle va recevoir. Puis, là-bas elle ne sera plus gâtée et cela vaudra beaucoup mieux. Jean n'est pas encore ici, la classe 15 arrive cependant et avec elle ses instructeurs de la classe 14.

Il y a un départ du 76e de préparé, parait-il, mais Jean n'en fait pas partie. Il va être dirigé sous peu sur Carcassonne. C'est l’Orient qui l’attendra sans doute. Il ne connaîtra pas l’Argonne.

Tante me dit qu'elle a vu beaucoup de soldats partout. Particulièrement dans le camp retranché de Paris. Je l’ai toujours pensé. En effet, depuis longtemps nous n'étions renforcés que par des éléments médiocres. Depuis les beaux jours, il arrive du bon et du beau pour les régiments actifs.

Ton voyage à travers la France a dû te permettre de nombreuses remarques. Il n'y a pas d’endroit meilleur pour se renseigner sur les l’esprit des gens que d’entendre causer les voyageurs dans les trains.

C'était mon plaisir en chemin de fer de faire semblant de dormir et d’écouter jaser chacun.

Je vais prendre mon quart, je vous quitte, mille tendresses pour vous tous.

Prosper

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Mercredi 28 avril 1915

Bien chers parents

Décidemment, je suis très mécontent. Hier soir, je m'attendais à recevoir un petit mot de vous. J'étais allé au-devant du courrier dans la guitoune du fourrier. J'assistais au dépouillement comptant découvrir la petite carte bleue. Rien de vous, seule, une vielle enveloppe pleine de ratures me fut attribuée. C'était une carte que j'avais envoyée à Jean il y a un mois et qui n'a pu l’atteindre. Elle a pourtant fait du chemin, d’ici à Alger, d’Alger à Saint-Maixent et vice-versa au moins deux fois. Sur la carte que je vous ai envoyé de lui, il doit y avoir sa nouvelle adresse. Retournez-la-moi !

Julia m'a aussi écrit il y a quelques jours.

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M. Gui est dans un camp. Il est donc enfin parti. J'apprends avec plaisir l’engagement de Popol Morer. Il a toujours été un bon petit gars.

Que je vous raconte un peu mon existence ici. Le service se résume en heures de quart qui changent chaque jour et chaque nuit. Il y a toujours trois heures de jour et trois heures de nuit. Pendant ce temps, il faut circuler sur tout le front de la compagnie comme un marin sur sa passerelle veillant au grain. Les heures de nuit sont dures. Cependant, le temps doux et les belles nuits étoilées rendent la tâche facile. La charge est lourde. Lorsque je suis de quart, en qualité de chef de section, je suis le plus haut gradé qui veille. J'ai la responsabilité des événements sur le front de la compagnie. Je m'arrête de vous écrire, le commandant passe… je viens de l’accompagner (les officiers n'étant pas là).

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Il est satisfait du travail que nous avons fait cette nuit… Au revoir mon commandant. Je retourne à mon souterrain séjour. Il fait radieux. J'habite avec mes deux sergents : deux nouveaux, un gros et un sec, un comptable et un valet de chambre. Le premier bedonnant souffle et grogne tout le temps. Le second, bon petit gars débrouillard et décidé est arrivé comme soldat. Il est sergent depuis un mois. Nous nous entendons bien. On trouve de braves gens partout dans toutes les classes. Cette vie de tranchée qui frotte les gens les uns contre les autres fera disparaître ou amoindrir les distances entre les classes sociales.

Je lis du Labruyère en me chauffant dans la tranchée comme un vrai lézard. Les caractères sont épatants à méditer.

Je vous laisse, je vais écrire d’autres cartes, à Mme Préaux, à Julia, etc. etc.

Mille tendresses.

Prosper

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Le 29 avril 1915

Bien chers parents

De bons baisers pour vous tous. Je vais vous écrire ce soir une longue lettre. Je vous ai envoyé hier une lettre folle dont il ne faut tenir aucun compte. Je suis dans les tranchées du reste.

Je vous embrasse bien tendrement à vous tous.

Prosper

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Le 29 avril 1915

Bien chers parents

Enfin hier j'ai reçu une lettre du 29. Je m'impatiente, aussi lorsque je ne reçois rien. J'aurais encore une petite carte.

Il fait chaud. Un soleil de feu. Dans les tranchées nous avons gelé, nous allons rôtir : j'aime mieux le chaud que le froid et la pluie.

La forêt reverdit. Il y a de l’herbe dans nos tranchées, les boyaux sont pleins de feuilles. On jouit de la nature lorsqu'on vit ainsi continuellement dehors.

Hier, un beau spectacle. Le canon tonnait un peu partout comme d’habitude mais à sa grosse voix se joignait celle non moins grasse du tonnerre. Un beau concert. A ces basses majestueuses, les mitrailleuses ajoutaient leur bruit de castagnettes puis les fusils leurs coups de fouet. Ajoutez à cela un coucher de

Prosper

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30 avril Je me hâte ce matin d’achever ma lettre que je n'ai pu expédier hier. Il est cinq heures. Voici l’emploi du temps de ma nuit. Couché à 7 h, debout à 9 h jusqu'à minuit. Depuis 3 h ½ je suis debout de nouveau. Je vais m'étendre après avoir fait cette lettre. Je dormirai jusqu'à 9 h.

Il fait superbe ce matin, un levé de soleil splendide, après cela, un agréable spectacle, un meeting d’aviation. Un avion français en reconnaissance sur les lignes ennemies a fait brûler à ces messieurs plus de 150 obus de 150mm et de 77mm, un assortiment varié pourrait-on dire. Il s'est éloigné suivi par les éclatements qui font le matin de gracieux… rose dans le ciel. Il revenait ensuite prenant de l’altitude, passant au-dessus des artilleurs, virait gracieusement puis s'éloignait encore. Pendant que j'écris, il fait encore son manège, j'entends le sifflement et les éclatements des obus.

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Les Boches lorsqu'il passe au-dessus de leurs lignes les Boches tirent comme des fous, à droite, à gauche, en dessous, en dessus. Ils ne savent plus où ils en sont.

C'est délicieux cette vie de l’aviateur. Au petit jour, quand le ciel est tout rosé et que les troupiers ne se disent encore rien, il part de derrière nos lignes et vient vigilant ronronner au-dessus de nos têtes. Je voudrais être observateur en aéroplane pendant quelques temps. Ah ! on m'apporte le jus… le café. Il est encore chaud. Vite quelques gorgées. Le jus est ce que le troupier prend avec le plus de plaisir. Je l’ai fait précéder d’une bonne tranche de saucisson. La saucisse et son grand frère le saucisson sont excellents. Je me régale tous les matins.

Ecoutez-bien, ce que je vais vous dire. Approchez-vous bien près, il ne faut pas le crier encore. Je suis proposé au grade de sous-lieutenant. Chut ! … ne faites pas des oh si fort. Je vous entends. Je suis heureux de vous procurer cette joie.

J'ai reçu une longue lettre de dimanche, merci beaucoup chère maman, du courage, beaucoup de courage et attendez, rien ne presse, nous les aurons les Boches.

Mes meilleurs baisers pour vous tous.

Prosper

Mai

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Samedi 1er mai 1915

Bien chers parents

Quelques lignes seulement pour vous rappeler mon affection. C'est le premier jour de mai, … est parti maintenant !! ….. C'est la fête de la nature aujourd’hui. Ici tout chante, tout est superbe. Il y a de l’herbe sur nos talus de tranchées, de gentilles fleurs, des arbres tous verts malgré la mitraille qui coupe tout et les obus qui labourent le sol. Au-dessus de nos luttes, il y a la nature superbe et impassible, l’homme n'est pas tout.

Je vous embrasse bien fort

Prosper

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Lundi 3 mai 1915

Bien chers parents

Quelques lignes seulement. J'ai votre carte lettre du 27. Hier je vous ai envoyé une carte que j'ai eu à peine le temps d’achever. Le courrier partait avec la corvée d’ordinaire. Le temps très chaud depuis huit jours est pluvieux et vilain. Cette humidité fait éclater les fougères, la forêt est toute verte. Je me réconcilie un peu avec elle. Il me semble être à Hourneau dans la Vendée.

Je vous embrasse bien tendrement. Votre petit troupier.

Prosper

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Mercredi 4 mai 1915

Bien chers parents

Je me hâte de vous envoyer de mes nouvelles ainsi que mes meilleurs baisers. J'ai reçu la réponse que vous me faites à ma lettre du 24. Je n'y pense plus. Du reste, il fait soleil aujourd’hui, on est heureux de vivre. J'ai reçu hier le colis de Félix Potin Il était intact. Je vais donner la liste du contenu dans une lettre que je compte vous envoyer ce soir.

Je vous embrasse bien fort.

Prosper

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Mercredi 5 mai 1915

Bien chers parents

Je comptais pouvoir vous écrire longuement aujourd’hui, mais cela est impossible. Encore un petit mot seulement. J'ai reçu votre carte du 30. Depuis quatre jours je reçois régulièrement une lettre chaque jour. Il fait un temps de mars, pluvieux et incertain. Nous ne sommes pas mal car le froid à complètement disparu et que nous abris de terre sont de plus en plus confortables.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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Jeudi 6 mai 1915

Bien chers parents

Rien de nouveau par ici. Les jours passent vite car on s'occupe. Le soldat est tout à la fois : menuisier, maçon, terrassier. Il creuse sa demeure, il la décore, il la… Il faut voir comme nous sommes ingénieux. Il a des tables, des bancs, un lit, le tout fait avec des matériaux les plus divers. Je n'ai rien reçu hier soir. J'ai été trop heureux pendant ces trois jours pendant lesquels j'ai reçu quatre lettres. Je vais attendre patiemment.

Meilleurs baisers pour vous tous.

Prosper

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Mercredi 7 mai 1915

Bien chers parents

Encore quelques lignes hâtivement tracées. Je suis toujours au même point, dans le même état et physique et moral. Voilà pour vous satisfaire, un bon bulletin, bien scientifique et laconique. Que voulez-vous que je vous raconte sur un billet ou… autrement. Je ne puis rien vous raconter. J'ai reçu hier une petite carte lettre de vous. Je me hâte de terminer, le courrier part.

Je vous embrasse bien fort à tous les quatre.

Prosper

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Samedi 8 mai 1915

Bien chers parents

Je profite d’une corvée pour faire juste un petit mot et vous envoyer de bons baisers. Je vous ai envoyé une longue lettre hier. Voilà deux jours que je ne reçois rien.

Je me hâte, mille caresses de votre petit troupier.

Prosper

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Dimanche 9 mai 1915

Bien chers parents

J'ai votre carte lettre du 4. Je suis encore obligé de me hâter. J'ai du travail, mes notions d’arpentage vont encore me servir. Je vais lever un petit plan de notre secteur. Cela m'amuse. Le temps passe. Je me suis construit avec mille objets divers des appareils de fortune.

Je n'ai pas de nouvelles de Valentin ni de M. Préaut.

Je me hâte, mille caresses de votre troupier.

Prosper

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Mardi 11 mai 1915

Bien chers parents

Je suis de quart, je vous écris debout dans la tranchée dans un petit coin où il y a de l’ombre grand comme un… de poche. Il fait une chaleur épouvantable et dans nos tranchées exposées au midi on se cuit le dos et le… à volonté. Tout est calme, même le Boche est tranquille. Dans le milieu du jour il y a repos, c'est une trêve, on sommeille, c'est au petit jour ou le soir que se donnent les réjouissances. Cela fait passer le temps.

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Les nouvelles de notre front sont très bonnes. Nous avons reçu hier deux notes de notre commandant de division nous annonçant dans le nord d’abord 2 000 prisonniers et 16 canons pris avec plus de 100 mitrailleuses. Ce n'est pas vilain et cela va donner à réfléchir au M. Boche et aux Italiens.

Je vais aller au repos après demain, je ne vous l’avais pas annoncé.

Je me hâte de terminer. Je vais très bien.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

Ps: je suis heureux de vous avoir fait plaisir en vous annonçant ma promotion au grade de sous-lieutenant

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Vendredi 7 mai 1910

Bien chers parents

Voilà plusieurs jours de suite que je ne vous envoie que de simples cartes vites écrites et même inachevées. Il ne faut pas m'en vouloir ni vous inquiéter. C'est le métier qui veut ça. Que voulez-vous, c'est l’existence du soldat. Aujourd’hui là, demain là-bas. Les jours passent vite ainsi. Il me semble être à Pâques et je suis en mai, presque à mi-mai déjà. On se fait à tout, il suffit d’y être à la guerre pour s'en faire une raison. Je viens de passer six jours dans l’endroit le plus marmité de la région.

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Cela par un temps très marmiteux (ces deux adjectifs extraordinaires ont cours par ici). Résultat : nul ! oui ! Absolument rien, pas de casse ! C'était comique. Je vous ai parlé du ravin des Meurissons. C'est là, dans le fond. Dans le côteau nous avons creusé des caves. M. Boche est-il de mauvaise humeur, vite un petit séjour à la cave. Ces messieurs d’en face sont très sensibles surtout lorsqu'on veut démolir leur première ligne avec des obus de 75mm. Voilà comment ça se passe. Il est midi, je suppose. M. Boche somnole. Zim Zim Boum Boum, c'est le 75 qui réveille ces messieurs.

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Bien entendu ils se fâchent. Qu'importe, nous le savons bien aussi, nous nous rapprochons de nos cavernes. La réplique arrive. Au premier obus (on les entend venir) un plongeon dans la cave. Nous comptons les coups. Un… deux… c'est simple, un toute les minutes… cinq… six. C'est fini, la Giboulée est passée. Comme les escargots après la pluie nous sortons de sous les pierres. Le ravin fourmille. Nous allons chercher les trous dans le sol et ramasser les fusées des obus. Ensuite on discute. Ça c'est un 150mm dit l’un. Non pas, c'est un 105mm. Ou bien vous entendez les exclamations joyeuses d’un monstre. Ah ! ah ! vise mon poteau, elle est tombée à deux mètres de la guitoune. Voilà, c'est tout, je vous embrasse bien fort à tous. Un poutou retentissant comme l’éclatement d’une marmite boche.

Prosper

ps : dans six jours, soit le 13 au matin, la compagnie sera au repos comme de coutume.

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Vendredi 14 mai 1915

Bien chers parents

Je suis au repos, tout s'est passé comme je vous l’avais laissé prévoir. Je ne suis pas aux Islettes comme les autres fois mais à Lochères, un petit village perdu au milieu des bois, enfoui dans un nid de verdure. C'est à cinq kilomètres du nord-est des Islettes. Nous y sommes pour six jours au minimum. On parle beaucoup de nous donner un repos plus prolongé, vingt jours sans compter ces six. Cela ferait 26. Tout cela n'est que des probabilités.

Je suis de nouveau proposé pour sous-lieutenant, ce coup-ci je crois que ça y est et que je vais être nommé. Ce sera chic et je suis très heureux. Je crois que je resterai à la 24, je voudrais bien. Le sous-lieutenant GIbpn u est toujours comme commandant de compagnie.

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Nous sommes bien ici, quoique le cantonnement ne vale pas celui des Islettes. Je crois que nous n'y achèveront pas nos six jours.

Je vous avais dit que je faisais le plan de notre secteur. Je n'ai pas pu le finir, seulement le lieutenant avait déjà parlé au commandant du 5e bataillon qui commandait notre secteur à ce moment et celui-ci a voulu le garder. Il m'a félicité. Cela m'a fait remarquer de cet officier du régiment.

Si je suis nommé sous-lieutenant, je toucherai une forte indemnité d’entrée en campagne que je vous enverrai. Je vous dois de l’argent, 200 fr. je crois, je ne me rappelle plus.

Je n'ai pas de nouvelles non plus de Valentin. J'attends une longue lettre de vous ce soir.

Ici, ce qu'il y a d’agréable dans ce cantonnement, c'est le calme complet qui y règne. Les hommes n'ont aucun service à faire. Ils mangent sur l’herbe, se baignent, font des promenades dans les sous-bois.

On n'y vend pas d’alcool, ni de vin, ce qui fait qu'ils ne peuvent se souler comme quelques un pourraient le faire. Ils ont du vin suffisamment à l'ordinaire.

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J'ai fait hier une charmante promenade dans la forêt ! C'est là que j'ai cueilli la violette que je mets dans ma lettre. Il faisait délicieux.

J'avais sous les yeux un panorama splendide, une immense plaine avec au loin les pitons de Vauquois, de Montfaucon dans la plaine de Boursilles à droite Clermont-en-Argonne. A la jumelle, on voyait distinctement tout cela. Pour finir, je me suis payé un bon petit somme sous-bois.

Je termine, je suis de jour. Je vais commander le service et les gardes du cantonnement car la compagnie est aussi de jour.

Je vous embrasse bien fort à tous les quatre.

Votre petit soldat de l’Argonne.

Prosper

Repos en cantonnement à Lochère

13 mai – La 24e compagnie vient cantonner à Lochère.

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La Chère, le 15 mai 1915

Bien chers parents

Nous habitons toujours notre nid de verdure. Je me suppose faisant un séjour en Vendée dans la forêt de Vouvant.

Je soir, je vais recommencer mon ascension de l’observatoire de Lochère. C'est une crête boisée qui domine toute la plaine. Devant nous, au nord, la vallée de l’Aire. Vous avez la carte, vous pouvez suivre mes explications.

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A droite, Clermont-en-Argonne que les Allemands ont détruit pendant la retraite. Toute une partie de la ville ne forme qu'un amas de ruines. On distingue nettement les ruines,…

En remontant la vallée de l’Aire, j'ai Courcelles-Aubréville-Neuvilly-en-Argonne, tous ces villages sont sous le feu des canons Boches. De la crête ou je suis-je vois tomber les obus de ces messieurs.

Tout à fait à gauche, le piton de Vauquois. Il ne reste rien de cette malheureuse crête. C'est un mont pelé qui émerge des croupes boisées.

Les obus y tombent actuellement. Je l’ai sous les yeux car je suis à mon observatoire d’où je vous écris. Je vois la fumée des obus à la jumelle. On distingue un pan de mur. C'est ce qui reste de l’église et un arbre qui subsiste malgré tout. On entend le bruit des éclatements. Français et Allemands veulent occuper la crête, chacun la moitié et chacun tir à qui mieux mieux les plus grosses marmites.

D’où je suis, je ne puis voir Boureuillesles qui est dans un creux mais l’on voit l’observatoire boche, c'est le clocher de Montfaucon que l’on aperçoit d’ici. Ils dominent tout du clocher. Les Boches règlent leur tir sur tous les villages de la vallée. Pour trouver sur la carte tous les noms que je vous ai indiqués, cherchez Clermont-en-Argonne, sur la limite de la carte, en bas à gauche et suivez la ligne blanche qui part de Clermont et va vers le nord tout en suivant la vallée.

Montfaucon est en haut de la carte, près du bord, au-dessus de Clermont. Lochère est à gauche de la route, à cinq centimètres au-dessus de Clermont. Il ne tombe ici aucune marmite. Je vais porter ma lettre au bourgmestre.

Je crois que demain nous allons aller aux Islettes achever notre repos. Nous partirons au petit jour, ce sera une délicieuse promenade en sous-bois.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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Les Islettes, le 16 mai 1915

Bien chers parents

Je suis aux Islettes depuis ce matin. Après une délicieuse promenade sous-bois, nous avons regagné notre vieux cantonnement. J'ai mon lit. On ne pouvait pas mieux faire que de nous envoyer aujourd’hui aux Islettes. C'est dimanche, je vais pouvoir assister à la Sainte Messe. De plus, c'est pour moi comme si la Pentecôte était aujourd’hui car nous serons en ligne ce jour-là. Je me hâte, la messe est sonnée. Je vais me brosser. On est coquet malgré tout et j'y cours.

Je vous embrasse bien.

Prosper

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Les Islettes, le 18 mai 1915

Bien chers parents

Je ne vous ai pas écrit hier. Je ne puis pas dire que je n'avais pas le temps, ce ne serait pas exact car je n'ai rien fait de toute la journée.

Je me suis reposé. J'ai musé à droite à et gauche, j'ai dormi, je me suis laissé aller à un doux farniente;

C'est notre dernier jour de repos aujourd’hui, nous remonterons là-haut dans la nuit.

J'ai un nouveau sergent, cela me fait trois sergents, c'est parfait. Il a l’air distingué, il cause bien, j'en suis heureux.

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Je serais moins seul et je pourrais m'entretenir avec lui d’autre chose que de la pluie ou du beau temps, des marmites et des crapouillots. C'est un représentant d’une grande maison de commerce.

J'ai reçu hier votre lettre du 12, merci beaucoup des petites fleurs de Prats. Ces petites fleurs de ma montagne m'ont apporté dans leurs parfums une bouffée de souvenirs.

Ma grande montagne sauvage ! J'y pense souvent. Je vais conserver ces fleurettes. Quand il fera trop noir et trop triste autour de moi, je les regarderai, leur parfum, leur présence, le souvenir de ceux qui m'aiment tant et qui me les envoient auront bien vite fait de tout dissiper.

Je donnerai à papa tous les renseignements que je connais sur la mitrailleuse française.

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Les nouvelles continuent à être bonnes. Les allemands harcelés de tous côtés finiront par demander grâce.

Nos succès dans le nord feront dégarnir le front Russe ; alors nos alliés mèneront la danse à leur tour pendant que nous reposerons pour recommencer jusqu'à ce que la bête soit forcée.

D’après vos lettres, je constate que la population de Prats souffre beaucoup de la guerre, les deuils y sont nombreux. Ce doit être dur, surtout que la foi fuyait de leur cœur. La leçon sera rude, courbons la tête, disons bien : que votre volonté soit faite mon Dieu, en moi et par moi. Ayons confiance, nous ne pouvons être vaincus. Ici, tout est parfait, nous ne manquons de rien, tant en vivre qu'en munitions et en approvisionnement de toutes sortes.

Je vous embrasse bien affectueusement à tous.

Prosper

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En position, le 19 mai 1915

Bien chers parents

J'ai regagné ma position de garde. Rien de neuf, nous reprenons allègrement le collier.

Notre relève s'est opérée comme de coutume et sans le moindre à coup. Je vous écris de la tranchée pendant ma garde. Il crachine comme en Vendée. Mon papier est humide et je fais des petits pâtés.

Je m'en vais écrire à tous mes copains, peut-être j'attendrais d’avoir mon galon d’or.

Je vous embrasse bien affectueusement.

Prosper

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Jeudi 20 mai 1915, 6 h le matin

Bien chers parents

Votre petit soldat vous envoie de bons baisers. Il se porte toujours très bien.

Je n'ai pas reçu de lettres de vous hier. Je ne vous envoie qu'un petit mot car je n'ai pas grand temps.

J'ai reçu votre colis, les chemises, les serviettes et les deux saucissons, ces derniers sont excellents. Je vous remercie de me gâter ainsi. Je vais déjeuner avec un nouveau de l’un.

J'ai ce qu'il faut comme linge. Avec la chaleur, mon linge de corps… dure peu de temps, trop lourd. Préparez-moi une collection d’été. On a le droit depuis quelques jours.

Je vous embrasse bien fort.

Prosper

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22 mai 1915

Bien chers parents

Un petit billet bien affectueux. Je suis en excellente santé. Je n'ai rien reçu de vous encore hier soir. Je vous embrasse bien tendrement à vous tous.

Votre petit soldat de l’Argonne.

Prosper

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Dimanche 23 mai 1915

Bien chers parents

Je viens d’écrire toute une série de cartes. Je termine par la vôtre. Il fait délicieux dans ma cabane ou plutôt ma cure. Il fait très frais. J'ai écrit aux Moy et à Mme Gillet, à Mariana, à Julia. J'en ai encore à envoyer, mais ce soir pour demain. Je reçois vos lettres après 7 jours. Est-ce que les miennes mettent aussi longtemps ?

La compagnie sera au repos le 7 juin. Je vois vous annonce cela à l’avance pour que vous puissiez me suivre par la pensée.

Je vous embrasse bien tendrement.

Votre petit soldat

Prosper

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Le 23 mai 1915

Bien chers parents

J'ai reçu ce matin votre petit mot daté du 16. Je m'interromps pour courir après le caporal d’ordinaire qui porte les lettres. Il en a une pour moi, elle est du 18. Toutes ces petites cartes me font grand plaisir lorsque je le reçois. Vous avez raison de croire et d’espérer en la victoire. J'ai toujours mes médailles.

J'ai reçu ce soir le colis de fruit que vous m'annonciez. Je vais écrire aux Moy. Mme Gillet m'en annonçait aussi un voilà 14 jours. Je n'ai encore rien.

Je vous embrasse bien tendrement.

Votre petit soldat de l’Argonne.

Prosper

Ps: Jean d’Antrechaus part pour le front. J'en reçois la nouvelle à l’instant. Il est versé aux tirailleurs algériens.

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24 mai 1915

Cher enfant

Rien qu'un petit mot en courant, nous avons décidé papa à sortir et nous allons essayer d’aller jusqu'à l’estamarions. En rentrant, je t'écrirai longuement. Nous avons reçu hier, Pentecôte, une lettre datée du 18, courage joyeux.

Mille baisers de nous quatre, ta maman.

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Le 29 mai 1915

Je n'ai que le temps de vous envoyer de bons baisers pour vous quatre.

Votre petit soldat.

Prosper

Montée en ligne à la Haute-Chevauchée (31 mai – 6 juin – 7 jours)

31 mai – Dans la nuit du 30 au 31 mai, le 6e bataillon vient relever le 5e bataillon.

Juin

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3 juin 1915

Bien chers parents

J'ai reçu votre petit colis, chemises et caleçon. Je me hâte, je n'ai ici qu'un quart de seconde.

Bien tendrement à vous.

Prosper

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Le 3 juin 1915

Mon bien cher enfant

Je commence aujourd’hui à t'envoyer la série des cartes illustrées de Prats puisque cela te fait plaisir. Tout serait bien joli mais il pleut trop. Toujours de l’eau, il y a 8 jours qu'il pleut ; la rivière est énorme, elle bouillonne avec un bruit assourdissant.

Nos santés sont toujours les mêmes. As-tu reçu le linge que je t'ai envoyé ? Envoie-moi ce qui est usé. Ne te presse pas de t'alléger de vêtements, le temps est trop changeant encore, il vaut mieux avoir un peu chaud.

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Si tu n'as pas de temps, n'envoie que de simples billets. Repose-toi et dors quand tu peux le faire.

Mille baisers bien tendres de nous quatre.

Ta maman.

Thérèse

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En tranchée, le 4 juin 1915

Bien chers parents

La compagnie comme je vous l’annonçais sera relevée le 6 au matin. Je pourrais assister à la messe dans la petite église des Islettes. Je viens d’achever mon quart. J'ai six heures devant moi. Je dormirai. On ne distingue plus le jour et la nuit. Ces deux périodes de la journée sont hélas si semblables pour vous que l’existence se déroule comme divisée en quart de trois heures et de six heures. La nuit, on mange comme le jour, on est toujours habillé. Je ne sais plus m'habiller. Ainsi aux Islettes, je me suis trouvé habillé sans ma chemise ! Vous riez, c'est pourtant vrai.

Je n'ai aucune réponse de Valentin, de vous non plus. Il y a deux jours que je n'ai rien reçu. Le courrier part, je vais vous écrire plus longuement. Ma lettre partira demain.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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Le 5 juin 1915

Bien chers parents

Une petite carte de bon matin. Je vous envoi de bons baisers. Je vous écrirai plus longuement demain. J'ai reçu votre carte lettre. J'ai aussi une lettre de Fernand. Je retire ce que j'avais dit avant-hier. Rien de nouveau.

Votre petit soldat

Prosper

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Le 5 juin 1915

Bien chers parents

Comme le petit mot que je vous ai envoyé tout à l’heure était vraiment trop court et que j'ai quelques minutes devant moi. Je suis installé chez le fourrier au bureau de la compagnie, un mot bien pour… pour le loyer, mais qu'importe, on y est bien et c'est de là que je vous écris. La compagnie vient au repos demain aux Islettes. Je vous écrirai une longue lettre après la grand-messe.

Rien de neuf avec cela. Fernand a sans doute eu des remords et m'a envoyé une longue lettre. Je lui répondrai aussi là-bas. Je vous embrasse tendrement tous les quatre.

Votre petit soldat.

Prosper

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Le 5 juin 1915

Mon cher petit enfant

Je t'envoie un coin de Prats où on voit un peu la maison, le balcon où nous nous tenons souvent. Le beau soleil est revenu mais pas celui de notre cœur, ta carte tant attendue n'est pas venue hier, peut-être sera-t-elle là ce soir.

Demain 6, si tu ne t'es pas trompé, tu seras au repos, nous respirons plus longuement. Il fait chaud, nous allons sortir avec père pour aller nous assoir à l’orée de la châtaigneraie ou nous parlerons et penserons à toi.

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Mille baisers bien tendres de nous quatre, ta maman.

Thérèse Tailleur

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Le 6 juin 1915

Bien chers parents

Voilà la troisième lettre que je vous envoie en deux jours. Je crois que vous n'allez pas vous plaindre. Si la poste veut bien faire son service vous en aurez plusieurs le même jour. Dans quelques minutes nous serons en route pour Les Islettes sous-bois. Cela va faire une charmante promenade d’une dizaine de km. En arrivant, tout de suite un coup de brosse, un coup d’œil à la glace, le premier depuis 18 jours puis vite à la grand-messe.

Je vous embrasse bien tendrement à vous tous.

Prosper

Repos en cantonnement aux Islettes

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6 juin – Dans la nuit du 6 juin, le 5e bataillon vient relever le 6e bataillon qui vient cantonner aux Islettes.

Tailleur nommé aspirant à titre temporaire.

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Les Islettes, le 7 juin 1915

Bien cher papa

Aujourd’hui une lettre pour toi tout seul cher père. J'ai le grand plaisir de t'annoncer que je suis sous-lieutenant depuis hier soir. Je suis heureux autant qu'il est possible de l’être et comme je suis certain que cette bonne nouvelle te causera une grande joie, je te l’annonce bien vite. Je voudrais pouvoir souvent vous faire plaisir et m'acquitter aussi un petit peu de la grande dette d’affection que j'ai envers vous. Je suis certain que ce sont les bons principes que vous m'avez appris à connaître et que surtout je vous ai vu constamment appliquer qui m'ont valu de porter ces petits galons d’or.

Mes plus doux baisers pour toi mon cher père.

Prosper

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Sainte-Menehould, le 8 juin 1915

Bien chers parents

C'est de Sainte-Menehould que je vous écris. J'ai obtenu un laisser passer de mon commandant. Je suis allé faire quelques emplettes de linge, des équipements militaires, des armes. Maintenant que je suis sous-lieutenant, il faut que je fasse un peu plus de chiqué.

Sous-lieutenant ! Je ne puis me faire à cette idée. Je suis officier. Je vous ai envoyé un mot hier pour vous annoncer la nouvelle. Je vais écrire à tous mes amis. J'ai reçu hier une carte de Mme Préaux à qui j'ai répondu aussitôt. Ce matin, avant mon départ, un colis de tante Louise m'est arrivé. Je vais lui écrire et la remercier dès ce soir.

Je suis versé à la 18e compagnie. C'est sans importance. Seulement, je quitte le sous-lieutenant Gibon avec lequel nous nous entendions très bien.

Je ne sais pas encore si mon affectation à la 18e Cie est définitive car le lieutenant Gibon a écrit au colonel de Galembert, commandant le régiment de me maintenir à la 24e. Je suis de son avis car à la 18e, je ne connais personne.

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Si le colonel refuse pour des motifs que nous ne connaissons pas mon affectation à la 18e, cela ne me tracassera pas du tout.

Sainte-Menehould ne me produit pas le même effet que l’autre fois. C'est une petite ville très agitée à cause de la guerre mais c'est tout.

Je m'en vais reprendre la route ; si le soleil est tombé il va faire moins chaud que pour l’aller. J'ai une bicyclette. J'ai failli avoir le cheval de la compagnie. Demain je l’aurai pour aller faire un tour dans le bois.

Je vais, je si je pars définitivement à la 18e rester 12 jours aux Islettes, ce sera un long repos. Douze jours j'aurais, je ne suis resté si longtemps loin des obus.

Je termine, je vous embrasse tous bien tendrement.

Prosper

Ps: adressez-moi vos lettre toujours à la 24e, je vous dirais lorsqu'il sera temps de modifier l’adresse.

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Les Islettes, le 9 juin 1915

Bien chers parents

Je vous ai envoyé hier des Islettes une longue lettre. C'est une nouvelle escapade que j'ai encore faite, mais comme je vous le disais hier, je suis blasé et l’agitation de Sainte-Menehould n'a produit aucun effet moral sur moi.

Il m'est arrivé un petit accident. Un peu délicat personnage m'a soustrait la bicyclette que j'avais déposée au garage de l’hôtel ou je suis descendu.

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Ce n'était pas du tout intéressant, surtout que je ne voyais pour mon retour, comme moyen de locomotion que mes jambes de fantassin. Neuf kilomètres ne sont pas pour m'effrayer mais malgré tout je préférais les faire à l’aide d’un des modes modernes de transport.

Grace à Dieu, tout s'est arrangé. J'ai pu me procurer au quartier général une voiture automobile. En douze minutes j'étais de retour. Lorsqu'on est officier… !

Tout se réglera conformément au règlement. J'ai porté plainte à la gendarmerie. Le vélo sera remplacé contre un bon du colonel et c'est tout.

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J'ai eu hier soir une longue lettre de tante Louise. Ils me demandent de vos nouvelles. Je leur ai écrit hier à Sainte-Menehould mais je vais lui répondre tout de même cet après-midi. J'ai énormément de lettres à envoyer à tous mes amis pour leur annoncer la bonne nouvelle.

Encore quelques lignes pour vous embrasser bien fort. Je vais rester encore 6 jours aux Islettes jusqu'au 18 juin. La 18e compagnie, la mienne, descend le 12 et ne remonte que le 18.

Je vous aime bien et vous embrasse bien bien fort à tous les quatre.

Votre petit troupier de l’Argonne.

Prosper

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9 juin 1915

Cher petit enfant

Un mot en courant qui te portera toutes nos pensées et nos plus tendres baisers. Avons eu ce matin ta carte du 4. Courage joyeux et confiance toujours.

Ta maman chérie.

Thérèse

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Les Islettes, le 10 juin 1915

Bien chers parents

J'ai hier votre carte du 5. La vue de Prats que vous m'envoyez est charmante. Elle est récente car je ne la connaissais pas encore. Très bien prise, elle montre un des coins les plus charmants de Prats. Continue chère maman à m'envoyer des cartes de Prats. Je vous ai annoncé hier que je changeais de compagnie. Ce n'est plus vrai maintenant. Je reste à la 24e. C'est mon lieutenant qui a fait tout ce qu'il a pu pour me garder.

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Le colonel a enfin accepté. Je suis très heureux de rester à la compagnie que j'ai suivie depuis que je suis sur le front. J'écoule peu à peu mon arrivée de lettres. J'en envoie quelques-unes tous les jours. Ce matin nous avons fait une marche militaire. Dix-huit kilomètres, départ à 4 h. Nous sommes allés tout près de Sainte-Menehould. Tout s'est bien passé, mais qu'il fait chaud !! Il va faire je crois un été torride. Les foins sont déjà murs. Le temps passe passe passe.

Aujourd’hui, on étouffe. Je vais faire une longue sieste. Le lieutenant Gibon dors déjà dans la chambre.

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Nous habitons ensemble et continuons à très bien nous entendre. Nous ne repartirons qu'après demain pour les tranchées. Je crois que nous allons changer de secteur. Un secteur sensiblement équivalent à celui que nous gardons. Peut-être est-il moins dangereux.

Toujours pas de lettres de Valentin. Je suis à me demander si mes lettres l’atteignent. Je crois que oui puisque la poste ne me les renvoie pas. Il fait chaud chaud !

Jusqu'à présent, j'ai ce qu'il faut comme linge, je vais voir si ce que j'ai peut suffire.

Je vous embrasse bien bien tendrement à tous quatre.

Votre petit pioupiou, le sous-lieutenant Tailleur.

Prosper

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10 juin 1915

Mon cher Prosper

Nous sommes partis de Rodez ce matin… et nous nous dirigeons vers le front. Je suis en bonne santé et content et espère que tu te portes bien aussi.

Reçois une cordiale poignée de main.

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Le 11 juin 1915

Si c'est une pauvre mère, elle s'essuie les yeux mais comme Maris notre mère, elle se tient debout, résignée, elle n'éclate pas en récriminations inutiles. Elle attend la miséricorde de Dieu.

Dis-moi s'il te faut des chaussettes, envoie-moi tout ce qui doit se raccommoder. Je t'ai envoyé aujourd’hui par le courrier de ce matin, deux saucissons. Mange-les par tranches fines après ton café. As-tu toujours du pain ? Tu n'en dis plus rien ? Fait-il chaud ? Pleut-il ? Hier ici, c'était un vrai déluge. C'était affreux et splendide, pluie, grêle, tonnerre, éclairs ! Bonne-maman… pour ses haricots qui seraient décapités. Aujourd’hui grande fête du Sacré-Cœur. Je t'envoie un insigne que tu mettras au côté gauche à la doublure de ton dolman, nous en portons tous.

Je te joins de frêles myosotis que j'ai cueillis.

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11 juin 1918

Mon cher petit enfant

Ta petite carte du 6 est arrivée avant notre déjeuner. Hier nous n'avons rien reçu, par contre mercredi nous avons été comblés, 1 le matin et 2 le soir. Dieu soit béni. Ton repos doit déjà prendre fin hélas, enfin puisqu'il faut, tu reviendras gaiement mon petit enfant. Je prie beaucoup pour que tu acceptes toutes ces fatigues gaiement « que Dieu soutienne ta santé » ! Dans quel état dois-tu être mon Dieu ! Qu'il daigne hâter la fin de tant de misères. On ne voit que des femmes qui lisent des lettres.

A la châtaigneraie, en pensant à notre cher fils. Que Dieu te garde, nous allons faire une neuvaine à Notre Dame de S. pour père, il s'associe, mille tendresses, baisers de nous quatre.

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Lochères, le 12 juin 1915

Bien chers parents

Un petit mot bien laconique. J'ai changé de cantonnement. Je suis toujours à la 24e compagnie avec le lieutenant Gibon. Notre repos est prolongé de deux jours. Je viens de faire une sieste interminable. Je me suis couché à 15 h et il est maintenant 18 h. Je suis honteux d'avoir dormi si longtemps.

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Nous sommes trois officiers à la compagnie que ne nous faisons pas de mauvais sang. Il y a un autre sous-lieutenant bon vivant qui s'occupe de l’ordinaire. Pendant que je griffonne ce mot, il nous annonce le même pour demain. Tête de veau, rôti de veau, côte de veau, etc. etc.

Je vous embrasse bien tendrement

Prosper

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Lochères, le 13 juin 1915

Bien chers parents

J'ai reçu votre petit mot du 9. Il est juste de dire un petit mot. Je me contente pourtant de quelques lignes qui me disent que vous êtes en bonne santé et que vous pensez à moi. J'ai reçu hier une longue lettre de Valentin et une carte de Jean Coderch qui part pour le front.

Nous rejoindrons notre secteur ce soir. C'est le bon secteur, un poste de repos. Ce n'est pas mauvais car je ne vous le disais pas mais c'était dur. Ça a chauffé dur dans notre secteur. Nous allons souffler un peu.

Je vous embrasse bien tendrement, votre petit sous-lieutenant tout neuf.

Prosper

Montée en ligne à Boureuilles (14 juin – 20 juin – 6 jours)

14 juin – Le 6e bataillon aux centres de résistances devant Boureilles. Chacune des compagnies a une section de surveillance dans les tranchées à 7 ou 800 mètres au nord des centres de résistance.

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En première ligne, le 14 juin 1915

Bien chers parents

Un petit mot seulement pour vous donner de mes nouvelles. Je ne vois pas clair, il fait nuit noire ou presque. Je vous écris sur le parapet de la tranchée. Je vous embrasse bien fort.

Prosper

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En première ligne, le 15 juin 1915

Bien chers parents

Hier soir, sans voir clair, je vous ai envoyé un petit mot. Le courrier partait à minuit. Nous sommes dans la plaine, cela change un peu. Plus de bois, plus de boyaux profonds sous terre. La grande prairie, les grands horizons, la rivière, les villages. On se rince l’œil dans tout ce vert. On n'est pas malheureux, il fait beau, un peu chaud, le jour, la nuit cela va.

Je vous ai dit je crois que j'avais reçu une longue lettre de Valentin. Je vous enverrai à mon prochain repos dans un village tout le linge qui m'embarrasse. J'en ferais un colis.

J'ai reçu deux cartes du 11. Envoyez-moi de vos nouvelles individuelles. Comment va bonne-maman, papa, vous tous !

Je vous embrasse bien bien fort à tous.

Votre petit soldat.

Prosper

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En première ligne, le 16 juin 1915

Bien chers parents

Mon petit mot d’hier soir est parti bien tard. Dans cette vaste plaine on ne peut circuler que de nuit autrement on est vu de partout. Nous sommes très tranquilles. La surveillance est plus aisée ici que dans les bois. Si l’ennemi veut faire un mouvement il est vite vu et aussitôt un groupe de shrapnels lui éclate au-dessus de la figure.

Je suis en retard pour mes lettres. Je voudrais écrire et je n'ai pas le temps. Je n'ai pas reçu de lettres de vous depuis avant-hier soir.

Nous serons de repos le 20 pour six jours en seconde ligne.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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Le 17 juin 1915

Je vous envoie ma lunette d’officier. Elle n'est pas commode, qu'en penser ? Mon lieutenant, que vous je vous envoie aussi, s'est moqué de moi. Vous avez lu une figure pour commander tout un bataillon m'a-t-il dit. La photo a été faite aux Islettes pendant notre dernier séjour. J'y porte mes galons de sous-lieutenant.

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Je n'ai pas cette figure de cerbère tout le temps, soyez en surs.

J'ai reçu les jolis myosotis et l’insigne du Sacré Cœur. Les petites fleurs sont fines et délicates à merveille. J'ai aujourd’hui aussi les deux saucissons. Ils sont excellents.

Je vous embrasse bien fort à tous quatre.

Prosper

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18 juin 1915

Mon cher enfant

Depuis ta carte du 13 reçue avant-hier nous n'avons rien reçu. Nous supposons que c'est ton retour en 1e ligne qui est la cause de cela. Je t'ai écrit avant-hier une longue lettre. Ma carte de ce soir quoique courte n'en contiendra pas moins de tendresse pour toi.

Samedi, Mme Gillet nous a envoyé la photo de Fernand en chasseur d’Afrique, il est superbe. Il pleut toujours.

Soit vaillant et prudent mon petit. Il est impossible de penser à toi davantage. Baisers… de nous 4. Ta maman.

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Le 18 juin 1915

Bien chers parents

Voilà plusieurs jours que je n'ai rien reçu de vous. La raison doit être que vous avez adressé vos lettres à la 18e compagnie ou je devais aller après ma nomination. Toutes ces lettres vont me revenir en bloc avec trois ou quatre jours de retard.

Je suis tout désemparé lorsque je ne reçois rien de vous, les cartes avec ces vues du pays que j'ai tant parcouru et vos chères nouvelles me manquent beaucoup. Après demain nous serons remplacés pour six jours, nous irons au repos.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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Le 19 juin 1915

Bien chers parents

Un petit mot à la hâte suivant ma façon habituelle. Dans quelques minutes nous serons relevés. Il est 10 h du soir, j'attends le chef de section qui doit me relever pour lui donner les tuyaux nécessaires puis, comme un écolier en vacances, perdant en une seconde tout souci, toute responsabilité, on enfile la route vers le repos. Six jours ! On va pouvoir roupiller comme disent les hommes.

Je vous embrasse bien tendrement à tous les quatre.

Prosper

Ps : le saucisson est excellent, délicieux, etc. etc. mais il ne faut pas vous priver pour moi.

Repos en cantonnement

20 juin – Dans la nuit du 19 au 20 le 5e bataillon a relevé dans le secteur Burémont – Boureuilles le 6e bataillon.

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20 juin 1915

Bien chers parents

Je suis au repos pour six jours dans un coin charmant, de l’ombre, de la verdure au bord de la rivière où l’on peut prendre son aise.

Je vous ai envoyé un petit mot hier au soir. Je vous ai envoyé aussi l’autre jour quatre de mes photographies et une du lieutenant, mes avez-vous reçues ? Je n'ai encore rien reçu aujourd’hui, vos lettres doivent courir à la 18e compagnie.

Je vais profiter de mon repos pour achever d’écrire à mes amis, j'ai toujours quelque carte de retard. J'ai reçu avant-hier une carte de Jean d’Antrechaus qui est sur l’Yser et une lettre de M. Preaux hier. La suite de mes vieux et bons amis n'a pas l’air d’être bien brillante.

Je vous embrasse bien tendrement à tous. Votre petit pioupiou

Prosper

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Le 20 juin 1915

Bien chers parents

Nous continuons notre agréable villégiature dans les prés et au bord de l’eau.

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Le matin, monté sur une faucheuse mécanique attelée à nos chevaux je me suis amusé à couper le foin. C'est un ordre, nous faisons la fenaison. C'est très rigolo. Je jouais au gentilhomme campagnard.

Un stock de lettres hier ! M. Preux, Mme Gillet, tante d’Onzain, vous. Je vous remercie de vos félicitations, me voilà encore au travail sur la planche.

Pour répondre à tout cela come je suis très paresseux pour écrire, je mettrais bien un mois.

Il est l’heure du repos. Nous attendons le lieutenant pour nous mettre à table.

Je vous embrasse bien tendrement, votre petit soldat.

Prosper

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Le 23 juin 1915

Bien chers parents

J'ai eu une déception aujourd’hui. Je rencontre le vaguemestre sur la route ce soir et je lui demande comme on fait au facteur : Rien pour moi ? Oh me répondit-il, il y a une lettre pour vous, elle est chez le fourrier. J'y cours. Il y avait une lettre en effet, mais de la Manufacture d’armes et cycles de Saint-Etienne, Loire. J'étais furieux. Ce sont des juifs ces gens-là. Ils savent tout. Ils ont appris ma nomination et m'offrent leur bricole.

Il continue de faire très bon dans notre coin de verdure. On entend l’eau qui coule comme à Prats à notre balcon. Demain matin au petit jour je vais essayer de prendre une…

Je vous embrasse bien tendrement à tous.

Prosper

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Le 24 juin 1915

Bien chers parents

Un petit mot en quatrième vitesse, c’est-à-dire à 100 kilomètres à l’heure. Le vaguemestre est en train de m'échapper.

Je vais très bien. J'ai votre carte de Prats. Je viens de jouer au gentilhomme farmer. J'ai coupé mon foin, non pardon, celui des propriétaires de la région monté sur une faucheuse mécanique.

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Je viens de me payer une excellente distraction avec mes hommes en bras de chemise, en plein air, au grand soleil. On en a respiré à pleins poumons. Cela fait du bien, dans la tranchée on étouffe.

je vous embrasse bien fort, votre petit soldat

Prosper

Ps: Ici, à Heuville où je suis, nous avons remplacé le 44e colonial. Sur un mur d’une maison qui sert de corps de garde, j'ai trouvé le nom de Bourges soldat, il avait ajouté de Prats-de-Mollo qui est ce Bourges ?

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Le 25 juin 1915

Bien chers parents

Merci de vos souhaits de bonne fête. Je les accepte avec plaisirs. Je suis heureux que ma fête me soit fêtée ainsi en campagne. N'oubliez pas que je suis parti en janvier. Cela fait par conséquent cinq mois bien passés que je reçois des marmites et autres choses sur le crâne. Tout a passé, grâce à Dieu. Il m'accordera encore sa protection car vous le priez si bien pour moi et vous avez sa Sainte Grâce.

Je pourrais encore longtemps vous aimer et faire tout mon possible pour vous rendre paisibles et heureux les nombreuses années que vous employez à vous reposer de la vie.

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Il pleut, mon foin va s'abimer. Quel dommage, il était si bien. Je l’avais fauché avec tant de plaisir hier au soir, en bras de chemise sur ma machine. Je poussais mes chevaux comme un vrai faucheur de profession.

Enfin, espérons qu'un coup de soleil par là-dessus sauvera le tout.

Je vous embrasse bien bien fort à tous quatre. Dites à bonne-maman qu'elle ne fait qu'un avec vous tous et que mes lettres sont aussi bien pour elles que pour vous autres.

Prosper

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Prats, le 25 juin 1915

Mon cher petit

Aujourd’hui, Saint Prosper, mon chéri, nous n'avons pas besoin de cela pour penser à toi. Qu'on se taise ou qu'on parle même d’autre chose, tu es là tout près. Hier, deux petites cartes du 19 et du 20. Tu es au repos, tant mieux, cela nous est un soulagement. N'as-tu pas reçu la longue lettre de ton père après ta nomination. Tu n'en parles pas.

Dors le plus que tu pourras au repos pour compenser les veilles. Plus nous regardons ta photo, plus nous avons le… devant ces traits… celle de ton lieutenant n'était pas plus grande et cependant ses traits paraissent jeunes et bien en santé. Que Dieu t'ai en sa sainte garde.

Tendres baisers de nous 4.

Montée en ligne à Boureuilles (26 juin – 2 juillet – 8 jours)

26 juin – Dans la nuit du 26 juin, le 6e bataillon a relévé dans le secteur de Buzémont – Boureuilles le 6e bataillon.

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Le 26 juin 1915

Bien chers parents

Je suis revenu en première ligne dans notre ancienne place d’il y a six jours. Nous avons définitivement, je crois, quitté la forêt. Je vais passer six jours agréables. Presque rien à faire, une excellente guitoune au bord de l’eau, une villa ! Je villégiature à la campagne, voilà tout. Les six derniers jours ce fut mon peloton qui fit du service, aujourd’hui c'est au tour de l’autre, commandé par l’autre sous-lieutenant M. Cristofari. Un corse aux cheveux plats mais très bon garçon. Nous avons passé six jours excellent à notre repos qui s'est achevé hier. Ce fut à nous trois avec Gibon, mon lieutenant, une continuelle série de plaisanteries et de boutades.

Comme linge, il me manque que des chaussettes et des caleçons d’été. Envoyez-moi trois paires de bonnes chaussettes et deux caleçons blancs longs à cause de mes bottes. Notre prochain repos sera dans six jours.

Votre petit soldat qui vous aime.

Prosper

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Le 27 juin 1915

Bien chers parents

Je suis désolé, une carte de Jean Coderch m'apprend que papa est malade. Qu'est-ce au juste ! Je vous en prie, dites-mois vite la vérité ! Pourquoi me cacher ce qui se passe ? Je suis au désespoir. De plus voilà trois jours que je n'ai pas de lettres de vous. Télégraphiez-moi, cela ira plus vite.

Je vous embrasse bien fort.

Prosper

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27 juin 1915

Mon cher petit

Nous venons de recevoir ta carte du 23. Je ne dis plus heureux de te savoir un peu à l’arrière car à l’heure actuelle tu ne dois plus y être. Toujours de courts billets, plus de longues lettres de notre cher fils ! Quelle vision du pain, ces soldats et toi-même occupés à la fenaison, mais des visions seulement qui disparaissent vite, hélas ! Nous courage toujours et toujours, espoir en Dieu et confiance absolue.

Nous sommes toujours pareils, toujours la pluie. Nous avons fait de petites promenades profitant d’une éclaircie. Nous sommes allés sur la route de la Preste et sur celle de Cendreu et le camideil. L’air était frisquet. Nous prions la Sainte Mère de veiller sur toi.

Mille baisers, ta maman.

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27 juin 1915

Mon petit Prosper

Aujourd’hui le 4e jour que nous n'avions rien reçu. A midi, deux cartes sont venues apporter un peu de joie du 15 et du 16. Demain je te ferai une longue lettre. Rien qu'un mot en courant, le courrier va partir. Nous l’envoyons avec nos baisers, nos vœux pour ta fête. Que la guerre finisse bientôt et te ramène mon chéri.

Bonne-maman et papa me chargent aussi de leurs vœux et de leurs baisers pour notre petit pitchoun.

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Le 28 juin 1915

Bien chers parents

Toujours aucune lettre de vous. Je ne sais que devenir depuis que j'ai reçu cette malheureuse lettre de Jean. J'attends le soir avec impatience, les lettres arrivent à minuit, que c'est long ! Hier soir, rien ! Je ne sais plus combien il y a de jours que je n'ai rien reçu ! Il me semble que c'est aujourd’hui le quatrième.

Que Jean sache que papa est malade, c'est que ce doit être grave. Il y a pourtant quelque chose en moi qui je me dis que ce n'est rien. Je suis inquiet et par moments je suis comme rassuré.

Mes meilleures caresses pour vous tous.

Prosper

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Le 29 juin 1915

Bien chers parents

Hier soir, j'ai reçu une petite carte du 23. Vielle de six jours par conséquent. Elle ne me rassure qu'à demi. Quoique qu'elle dise que santés sont toujours les mêmes.

Je ne suis pas beau sur les photos, c'est ma barbe de poilu qui en est la cause. Ici, il fait beau, un orage de temps en temps. Je suis en excellente santé, nullement fatigué par la vie que nous menons.

J'attends toujours malgré tout une lettre de vous plus récente me disant que Jean s'est trompé.

Je vous embrasse bien tendrement.

Prosper

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Le 30 juin 1915

Bien chers parents

J'ai votre carte du 25, j'espère que vous ne me cachez rien. Cette maudite carte de Jean. Je vais être dix jours dans les transes en attendant votre réponse.

La catalane de la carte postale buvant l’aigue fresque de la fourne del poune m'a rafraichi le cœur. Vive Prats, vivent mes chers parents. Attendons la volonté de Dieu.

Je vous embrasse comme je vous aime. Votre petit sous-lieutenant.

Prosper