Souris, son amie de Victor Durouy s'était marié deux ans avant avec un jeune officier. Cet été-là, il est en Indochine à mener les derniers combats auxquels il participera.
Elles seront amies leur vie durant, poussant même la fidélité à disparaître de la même maladie à six mois d’intervalle.
En février 1953, Lillette a rencontré lors d’un séjour au ski en Ariège, Charles, le meilleur ami de Claude.
Voyage d’étude organisé par la faculté auquel se sont joint Anne-Marie et Marie-Hélène Jambon.
Les événements survenus dans cette fin d’été 1954 sont devenus par la suite un secret de famille dont le voile ne sera progressivement levé que dans les années 2000 grâce à Anne-Marie.
Lillette n'en parlera jamais ; Claude l'évoquera une seule fois dans les dernières années qu'il passait avec nous alors que nous faisions ensemble le tri de photos. Il en prend soudain une qu'il déchire rapidement tout en signifiant qu'il n'y avait rien à en dire.
Nous aurions pu faire de même et finalement nous ne l’avons pas fait pour un triple motif. Le premier et le plus évident, c'est que Lillette a conservé lettres et photos en sachant bien ce qui allait advenir. Dans ses tout derniers jours elle a fait allusion à ce que nous allions trouver à la cave mais sans exiger que nous les fassions disparaitre. Le second provient d’Hortense qui s'indignait qu'un fait aussi important de la vie de sa grand-mère puisse être occulté. Le troisième est qu'il n'y a rien de honteux dans cet épisode et que cinquante années plus tard, tous les protagonistes ayant disparu, il n'est que temps de le réinsérer dans le récit familial.
Eté 1954, Charles et Lillette se sont décidés. Les faire-part ont été envoyés, le mariage est fixé à la fin de l’été dans la chapelle de Villeneuve, les premiers cadeaux sont même arrivés au chalet.
Charles est accueilli dans sa future belle-famille à Formiguères, l’été est radieux.
Hors voilà que Prosper découvre que Charles qui est en train de prendre la suite de son père à la tête de l'entreprise familiale a ajouté le nom de Lillette à côté du sien au titre des propriétaires de l'affaire.
Ce qui aurait dû apparaître comme une marque de confiance dans l'avenir est apparu aux yeux de Prosper qui traque depuis plus de 30 ans la malhonnêteté et la fraude, comme inacceptable.
Les décisions du directeur des contributions sont définitives et les arguments de Lillette n'auront pas raison de sa détermination.
Nous ne saurons évidemment rien des propos échangés, Lillette se plie à la décision de son père, Charles fait ses bagages et le projet de vie est définitivement oublié.
Pour la complétude du récit, notons que la famille et l'entreprise de Charles sont bien connues depuis des générations dans la petite ville où elle est située et que c'est aujourd'hui son fils qui en a pris la tête. Prosper, tu avais tort !
Nous retrouvons ensuite Lillette refugiée à Tlemcen en Algérie auprès de Dédé et Simone Gour.
C'est Gillette Gour, la tante bien aimée, qui nous donne quelques clés pour comprendre la suite :
Le mardi
Ma chère Lillette
Un petit mot de ton père ce matin nous dit son angoisse de ne pas avoir de tes nouvelles depuis la catastrophe d’Orléansville . Je l’ai rassuré à votre sujet.
Orléansville : tremblement de terre du 9 septembre 1954 qui fit plus d'un millier de morts.Lillette sois bonne, écris vite, le pardon est peut-être sur terre après la bonté la plus belle chose. Je comprends ton chagrin, je l’ai partagé, mais une attitude hostile ne mène à rien.
Nous pensons bien à toi, notre opinion ne varie pas, mais cette épreuve doit et peut t'être salutaire. Nous voulons qu'après ton retour d’Algérie, tu rejoignes Montpellier, que tu revoies les jeunes filles que tu fréquentais avant, que tu donnes comme prétexte à la rupture la différence de vie entre le milieu grosses affaires et chef de service qui t'a effrayée.
Nous t'aimons bien, courage, oublies.
Dis à Simone et Dédé que nous les aimons bien – que j'ai des nouvelles de madame Cazassus à qui j'ai répondu par retour du courrier.
Bons baisers pour vous trois.
Gillette
…et comme la vie n'est jamais, simple, dans les jours qui ont suivi son retour à Montpellier, Lillette a rencontré Lucien qui dès le lendemain lui écrivait :
…
Jusqu'à hier soir, j'ignorais presque totalement la profondeur de votre amour, celle aussi de votre désespoir. Votre désespoir m'a bouleversé parce qu'il est à la mesure de votre amour ; si j'ai pris peur, c'est que votre amour me dépasse, me transcende, il me fait peur parce qu'il est trop grand, et que l’existence, mon existence m'apparaît comme un cadeau mesquin, le seul pourtant que je puisse vous faire.
…
Sachez que moi aussi j'ai refusé l’année dernière la possibilité du Louvre parce que je ne voulais pas m'éloigner de vous, vous souvenez vous que j'étais venu vous demander conseil, comme vous l’avez fait il y a quelques jours, dans le même secret espoir. Mais jusqu'à ces derniers jours, j'ai cru que vous ne m'aimiez pas vraiment, vos fiançailles paraissaient me le prouver. N'étant pas moi-même naturel au tennis et pour les mêmes raisons, je n'ai pas su déceler que vous pouviez m'aimer. Je ne suis pas encore habitué à être aimé comme vous le faites.
…
Vous avez beaucoup souffert hier soir, mais un grand pas est fait, les choses sont plus claires, plus nettes, bientôt le soleil viendra les caresser et au couchant, elles resplendiront de son or.
Lucien
Lucien dans les mois qui suivirent envoya à Lillette 45 lettres que je transcrirai un jour tant elles en valent la peine et nous ne saurons pas comment leur histoire s'est terminée.
J'aime à penser que Lucien pourrait être l'un ou l'autre jeune homme sur ces photos :
Claude, Anne-Marie et Lillette avec en légende de sa main : « Les derniers jours à la plage ».
Et Lillette ira s'installer à Toulouse chez les Gour afin de poursuivre ses études.