Lodève, c'est la maison d'Yvonne Rouis-Paloque dont Bernard gardait le souvenir nostalgique de ses années de jeunesse ; de ces excursions sur le Larzac les jours où Lodève était un four ; des vacances pendant l'entre-deux guerres avec Marcel et Henriette Rouis, Etienne-petit-fils et Jacques, les cousins germains adorés ; des séjours fin août dans les années 60-80 avec cette fois Yves et sa famille, Etienne-petit-fils, les Serpantié, les Granier, Pierre Mascon, les Lanaspèze, les Décor.
La maison du 3 de la rue Georges Fabre, c'était auparavant, celle de l'oncle Alphonse Rouis qui accueillait avec tant de plaisir son neveu Etienne avec Marguerite et les enfants Marcel, Yvonne et André qu'il a fini par la leur laisser en 1911 avec toutes les collections qu'il avait constitué avec l'aide attentive de ce neveu si proche.
A la fin du XXe, la mairie a exproprié le jardin pour en faire un parking, la maison d'Alphonse a été vendue en appartements et cela en fut fini de trois siècles de présence Rouis à Lodève. Ces souvenirs Rouis sont maintenant dans nos maisons : porcelaines, chapiteau de cloîtres, vases d'Anduze, collection en tous genres.
Voici les Rouis de cette histoire.
Hubert (2022)
Maison de ville organisée autour d'un imposant escalier principal, son organisation entendait une utilisation par un seul propriétaire avec les pièces à vivre au rez-de-chaussée et les chambres au premier et au second.
L'installation de locataires aux second se fit simplement, chacun faisant attention de se montrer discret dans l'escalier, sans omettre cependant à chaque passage un bonjour Albanie devant la porte fermée de la cuisine auquel répondait un bonjour Carmen.
S'ouvrant en U les pièces principales se tenaient au rez-de-chaussée autour d'une cour intérieure donnant sur la série de terrasses qui constituaient le jardin. C'est là qu'Alphonse avait aussi installé son bureau de notaire, au milieu de ses appartements.
Ces pièces étaient profondes et pour finir assez sombres toutes encombrées des collections d'Alphonse.
Le confort y était celui du xixe avec un seul robinet à la cuisine pour toute la maison. Dans un fond, il y avait des WC directement au dessus de la fosse septique à utiliser avec un broc d’eau. Mais cela ne comptait pas pour Yvonne et Emile qui ne devaient même pas s'en apercevoir.
Ce n'est que vers 1965 qu'Yvonne se décida à apporter un peu de confort. Elle fit installer une salle de bain au premier et une seconde dans la serre, tout en bas, au bout du jardin. Une solution fut trouvée pour ajouter un WC dans un recoin gagné sur l’escalier.
La maison était surtout agréable pour un occupation par beau temps permettant de profiter de tous les recoins du jardin.
Maison de ville destinée à être une résidence principale, il n'y avait pas de raison de la conserver à la disparition d'Yvonne.
Pour faire des draps, il faut de la laine et pour avoir une industrie lainière, il faut avoir de l'eau en abondance, pure et propre au lavage et à la teinture. Or, le Larzac nourrit les moutons et Lodève est sur le parcours de la Lergue, et de la Soulondre son affluent. Issue de roches calcaires, la Lergue possède un débit soutenu. Voilà pourquoi les filatures de laine et les belles et nombreuses manufactures de draps s'élevèrent ici.
La toison des moutons alimente l'industrie textile lodévoise depuis le moyen âge, des ouvroirs, appelés tiradours, établis dans les faubourgs, permettant aux pareurs d'étirer, sécher et plier les pièces.
La laine venait du Lodévois, du Larzac, du Rouergue, de la région d'Agde et Montpellier, et du Roussillon. Les négociants de Marseille apportaient la laine d'Espagne et Montpellier et les laines grossières de Barbarie (Afrique du Nord).
Les témoignages relatifs à la qualité et à la renommée des draps de Lodève sont courants à partir du XIIIe siècle. On fabriquait alors des draps blancs et bureaux de 1300 fils en chaine et des draps teints de 1200 fils.
Vers le milieu du XVIIe siècle, on ne fabriquait encore que des serges, c'est à dire des étoffes de laine croisée, communes, renommées pour leur solidité. Mais l'évêque Chambonas fit appliquer les règlements généraux de Colbert et dès 1673 ont fit de meilleures étoffes. Dès cette époque, certains de ces draps "gris blancs" furent destinés à l'habillement des troupes.
La voie de la fortune fut ouverte à Lodève, et sa vocation découverte, à la suite des mesures prises par Le Tellier et Louvois en matière d'habillement militaire,
Les guerres de la Ligue d'Augsbourg et de la Succession d'Espagne lui donnèrent l'occasion d'accroitre son activité et lui permirent de conquérir une place de premier rang dans cette fourniture
A la fin du XVIIe et au début du XVIIe siècle, Lodève fabriquait 21 000 pièces, production qui la plaçait au premier rang des manufactures de Languedoc, sinon de France. Les marchands de Lyon, Paris et Montpellier finançaient ces entreprises.
Les fournitures pour la guerre de Succession de Pologne chutant avec la fin des combats, Lodève se trouva dans une passe difficile. Ce fut pourtant l'époque où l'industrie lodévoise prit un développement inattendu. En effet, en 1726, le cardinal de Fleury, enfant du pays et descendant et allié des drapiers, devint principal ministre de Louis XV (il le resta jusqu'en 1740) et il entoura les draps et étoffes destinés à l'armée de toute sa sollicitude. A la suite de l'Ordonnance de 1736, l'infanterie fut vêtue de draps de Lodève (les gris-blancs) tandis que de petites quantités de gris-bleus furent faites pour la cavalerie et des écarlates pour la cavalerie et les dragons. Une pièce de drap de Lodève suffisait à habiller huit hommes. Les autres étoffes fabriquées à Lodève étaient des draps de laine non croisée pour l'habillement du peuple et les livrées domestiques.
Cependant, les lendemains de guerres apportaient toujours pour la manufacture de Lodève, après des périodes de fiévreuse activité, un temps d'incertitude et de chômage, mais elle trouvait alors de nouveaux débouchés à l'étranger. Lodève se lança ainsi dans la fabrication de nouvelles serges pour un négociant genevois, qui prirent le nom de tricots.
Dans le deuxième quart du XVIIe siècle, la draperie anglaise connaissant une période de crise, les manufactures du Languedoc en tirèrent profit pour s'imposer dans le commerce de la draperie du Levant.
Après bien des déboires, les guerres de la période révolutionnaire et impériale, celles de l'Indépendance sud-américaine ensuite, permirent à la manufacture de Lodève de poursuivre son activité propre jusqu'à la période contemporaine.
A partir de 1789, toutefois, une révolution complète s'étendit à tout : aux marchés de la laine, aux procédés de fabrication, à l'organisation industrielle, aux débouchés. L'origine d'un tel changement fut le machinisme. On assista à la fusion de petites entreprises qui mirent en commun leurs capitaux. De là naquit l'usine moderne avec ses bâtiments immenses et ses métiers bourdonnants.
Lodève pas à pas au fil des ans via Google books
Dans les manufactures de Lodève de Bédarieux et de Mazamet la laine est à peu près exclusivement employée à la fabrication du drap et de quelques étoffes analogues. La tâche des ouvriers de la draperie embrasse les manipulations les plus diverses et comme nous ne les avons pas encore décrites en visitant d'autres fabriques drapières, il ne nous paraît pas inutile d'en citer au moins les principales :
Après avoir été triées et lavées les laines sont battues à diverses reprises on les débarrasse ainsi des corps étrangers qu'elles peuvent contenir et on assouplit leurs filaments puis on les graisse avec de l'huile afin de les rendre plus coulantes.
On procède ensuite à l'opération du cardage qui a pour objet d'allonger les fils et de les réunir en larges rubans.
La filature commence immédiatement après. Lorsque les fils sont sortis des mains des fileurs, ils sont dévidés et transformés, soit en écheveaux soit en bobines.
Les ourdisseurs s'en emparent alors pour disposer les chaînes qui sont remises aux tisserands avec les fils destinés à la trame.
Voici maintenant l'étoffe tissée mais nous n'avons pas encore du drap.
Il faut que le foulage soit venu accroître la solidité du tissu et lui donner de l'élasticité en tous sens.
On doit aussi dégraisser les pièces en extraire les pailles qui s'y sont glissées et réparer les accidents qui ont pu se produire dans la fabrication.
On passe enfin aux apprêts c'est-à-dire à ces opérations qui ont pour but de mettre la marchandise en état d'être livrée au commerce. Ces derniers soins en partie toujours indispensables sont plus ou moins multipliés plus ou moins minutieux suivant la qualité des draps.
A. Audiganne Populations ouvrières les industries de la France mouvement social duxixesiècle via Google books
ELBEUF se dit aussi pour le drap qui se fabrique à Elbeuf ou qui l'imite. Donnez-moi un bon Elbeuf, il était vêtu en Elbeuf. L'ordonnance du 28 Mai 1733 veut que les habits uniformes des Officiers soient de drap d'Elbeuf ou autre manufacture semblable au lieu que ceux des Cavaliers font de drap de Lodève ou de Berry.
Dictionnaire de Trévoux via Google books
30 mars 1734, arrêt du conseil d'Etat qui ordonne que les draps appelés Lodève, façon de Lodève ou petits Lodève qui se fabriquent dans le Languedoc, le Dauphiné et la généralité de Montauban auront, au retour du foulon et après les derniers apprêts, une aune de large y compris les lisières.
Conseil d'état, source : Gallica
Les maîtres fabricants (A.D. C 2 393) de Lodève, au nombre de trois cents, adressent, en cette année 1745, une supplique à Mgr Georges de Souillac, évêque comte de Lodève et de Monbrun pour lui faire part de la dernière indigence dans laquelle se trouvent la plupart d'entre eux. La misère, disent-ils, est presque générale chez les ouvriers.
Bulletin de la Société archéologique, scientifique et littéraire de Béziers, 1963, source Gallica
L'habit militaire français est fait avec du drap de Lodève, il est doublé avec du cadis canourgue, la veste est de la même étoffe que l'habit, elle est aussi doublée de cadis, la culotte est de tricot de Lodève ou d'estamet qu'on fabrique principalement dans le pays Messin & la Lorraine, la toile écrue pour les poches, la doublure des culottes est prise presque toujours dans les évêchés dans la Flandres ou dans les environs des villes où les régiments sont en garnison.
On fabrique à Lodève des draps de deux qualités, l'une appelée à 17ains et l'autre à 24ains c'est la première espèce que les troupes emploient et peut être ne devraient elles faire usage que de la seconde. Les draps 24ains durent beaucoup plus longtemps sont plus chauds et plus impénétrables à l'eau que les draps 17ains. c'est l'expérience qui nous a prouvé la vérité de ces trois propositions. Mais n'eussions-nous pas fait cette expérience nous n'en pencherions pas moins vers les draps 24ains, le raisonnement suivant que m'du Hamel nous a fourni aurait suffit pour entraîner notre opinion. Ce ne sont pas les draps les plus épais et où il entre beaucoup de laine qui durent davantage. Cette qualité vient principalement d'un tissage serré bien condensé, or le gros fil est contraire à ces deux opérations en voici la raison : quand le fil de la chaîne est filé gros, il ne se croise pas sur le métier et il empêche par-là les fils de la trame de s'approcher parfaitement, ils laissent entre eux un intervalle que l'opération du foulon ne peut remplir exactement, tout ce que cette opération peut faire c'est d'enfler les fils mais sans parvenir à les lier et à les feutrer les uns avec les autres, d'où il arrive que les draps faits de gros fils, faute de liaison, se cassent plus aisément que ceux dont la filature est d'une moyenne grosseur parce que la chaîne de ces derniers se croisant mieux sur le métier et la trame s'approchant davantage, le foulon alors a plus de facilité à les lier et à les condenser ensemble ce qui rend le drap bon.
Quant à la dépense, je la crois moindre lorsqu'on emploie des draps 24ains que lorsqu'on fait usage des draps 17ains la première mise dehors est sans doute bien plus considérable avec les 24ains mais les réparations dédommagent amplement de ce premier déboursé. Il est absolument nécessaire de mettre dès le commencement de la troisième année et souvent vers la fin de la seconde des manches neuves à tous les habits faits avec du drap 17ains, il est aussi indispensable de mettre à la même époque des devants aux vestes faites avec cette espèce de drap au lieu qu'avec le drap 24ains, il est infiniment rare qu'on soit obligé d'en venir à une extrémité si coûteuse. Quelque persuadé que je sois de la nécessité de changer la qualité de nos draps, je dirai cependant qu'il serait imprudent de faire un changement aussi considérable que celui-là avant d'avoir été éclairé par des expériences plus longues et plus répétées que celles que à portée de faire Instruits par l'adage qui enseigne qu'on n'a jamais bon marché de mauvaises marchandises nous demanderons encore s'il ne serait pas sage de doubler nos habits avec des étoffes beaucoup plus fortes que nos cadis. Ce qu'il y a de certain c'est la doublure de nos habits et celle des basques et nos vestes ne durent jamais une année entière. On sent combien ces réparations si fréquentes deviennent coûteuses au roi et souvent aux soldats car on répare à leurs dépens la doublure qui n'a pas atteint le terme d'un an. Quelques régiments font leurs culottes avec de l'estamet et quelques autres avec du tricot laquelle de ces deux étoffes est préférable c'est encore à des expériences répétées à nous l'apprendre
Celles que j'ai été à portée de faire m'ont enseigné que l'estamet méritait d'être préférée au tricot. Les ordonnances militaires ont tantôt permis et tantôt défendu aux régiments de tirer leurs draps des manufactures du royaume qu'ils jugeraient à propos de choisir Le règlement qui est actuellement en vigueur nous paraît contenir les dispositions les plus sages à cet égard.
Voici comme il s'exprime :
ARTICLE V – L'intention du roi étant que toutes les fabriques du royaume puissent concourir à la fourniture des marchandises propres à l'habillement de ses troupes il sera envoyé à tous les fabricants et ouvriers qui en demanderont des échantillons ou modèles, et si lesdits fabricants et ouvriers sont en état de s'y conformer tant pour la qualité que pour les proportions les poids et les mesures, ils en exécuteront un modèle qui sera envoyé à l'effet d'être examiné et jugé par comparaison.
ART VI – Si les modèles présentés sont jugés de bonne qualité et convenables au service des troupes les manufacturiers fabricants et ouvriers feront leurs soumissions de la quantité des espèces de marchandises qu'ils offriront de livrer à des époques déterminées aux prix et conditions de payement qu'ils demanderont en remettant à leurs frais leurs fournitures au magasin d'approvisionnement le plus prochain de la fabrique. Si l'on persiste à refuser à la manufacture de Lodève le privilège exclusif de fabriquer les draps à l'usage des troupes on verra les autres fabriques du royaume faire des efforts pour atteindre le point de perfection désiré. Les fabricants de Lodève chercher à se surpasser eux-mêmes et les régiments avoir des étoffes meilleures et à meilleur marché que celles qu'ils emploient.
Je sais bien qu'un écrivain très versé dans toutes les connaissances relatives aux manufactures, M. Roland de la Platière a dit les fabriques de Lodève se sont toujours soutenues avec distinction quelques faveurs qu'on ait accordées à d'autres fabriques du même genre faveurs doublement avantageuses aux unes et onéreuses aux autres puisqu'elles consistaient d'une part à payer plus cher les objets du même genre de l'autre à être plus difficile sur des qualités semblables.
On sent que je veux parler des fabriques d'Amboise où l'on avait voulu forcer le cours des choses et où ces mêmes fabriques livrées au sort commun sont réduites si bas qu'elles ne valent pas la peine d'être mises en ligne de compte. Mais c'est précisément parce qu'on a voulu forcer le cours des choses que les encouragements ont été inutiles. Si on les avait versés sur le pays Messin, cette province où les laines communes à très bon marché où l'abondance des denrées première nécessité tient la main d'œuvre à un bas prix et où les troupes pourraient fournir très grande quantité de bras, il n'en aurait pas été de même. Il ya déjà longtemps où on a proposé d'employer les soldats à la fabrication d'une grande partie des objets qui leur sont nécessaires, mais on s'en est presque toujours tenu à dire que cela serait avantageux rien de plus facile cependant Metz, Strasbourg, Lille et tous nos grands établissements militaires pourraient devenir facilement pendant l'hiver des grandes manufactures. Le soldat qui pendant le printemps et l'été aurait creusé des canaux rendu des rivières navigables et qui pendant l'automne aurait élevé des redoutes, construit des retranchements fait des marches militaires et de grandes manœuvres pourrait pendant l'hiver filer de la laine du coton, faire battre des métiers. Au moment où j'écris, en janvier 1786, on peut voir à Metz plus de 2oo soldats occupés dans les mansardes de leurs quartiers à filer des laines qu'on emploie dans les manufactures du pays, ils gagnent très peu d'argent il est vrai, mais il serait difficile de calculer ce que l'état gagnerait si on rendait un établissement semblable aussi général qu'il mérite de l'être. On doit cet essai qui nous paraît fait pour être imité et pour obtenir des encouragements aux soins d'un officier général commandant dans la province qui joignant aux qualités de l'homme de guerre celles de l'homme d'état embrasse avec chaleur et suit avec constance tout ce qu'il croit fait pour augmenter la prospérité du royaume le bien être des troupes et le bonheur des citoyens.
Panckoucke (1787) Encyclopédie Méthodique. Art militaire, Volume 3 via Google books
Un correspondant Rouis Tunisien nous a signalé en 2010 que ce nom est bien connu en Tunisie pour avoir été fondé par des Rouis fuyant l’Irak actuelle après la bataille de Karbala qui coutât en 680 la vie à l’iman Hussein.
Bien qu’évidemment invérifiable en raison d’un trou de presque 1 000 ans, il n’est pas interdit d’imaginer que certains de ces Rouis seraient remontés aussi vers le nord. N’oublions pas que cela coïncide avec la bataille de Poitiers gagnée par Charles Martel en 732.
Une autre hypothèse beaucoup moins probable parce que beaucoup moins jolie est liée à la culture du lin : « En juillet, le lin atteint sa maturité et les tiges jaunissent. On arrache alors la plante et on la laisse rouir sur le champ. »
La deuxième branche de la famille des ouvriers de l’industrie manufacturière dans le Midi occupe les départements de l’Hérault et du Tarn ; elle projette, en outre, quelques rameaux sur les départements voisins. Deux groupes principaux habitent cette région encore aujourd’hui trop peu connue : l’un est fixé au milieu des montagnes de l’Hérault, et l’autre dans la Montagne-Noire, sur les confins des départements du Tarn et de l’Aude . Le caractère commun de ces deux groupes est un mélange de l’esprit méridional et de certaines influences empruntées au nord de la France. Les deux éléments semblent se disputer le terrain. La plus grande partie des ouvriers de ce vaste district sont enrôlés au service de trois villes manufacturières où règne une activité plus ou moins remarquable : Lodève et Bédarieux dans l’Hérault, Mazamet dans le Tarn. Quoique le travail y porte sur une même matière première, – la laine –chacune de ces cités possède une physionomie fort tranchée, soit sous le rapport des applications industrielles, soit sous celui des mœurs. En réunissant aux singularités qu’on y observe quelques traits plus ou moins frappants, particuliers à quelques autres fabriques éparses dans le pays, nous arriverons à compléter le tableau du mouvement existant parmi les populations laborieuses de l’antique Gaule narbonnaise.
Dernier fragment de la chaîne des Cévennes, qui abaissent leurs sommets en descendant vers le sud, la Montagne-Noire se développe sur un espace de 40 à 50 kilomètres, et décrit un demi-cercle dont les cités de Saint-Pons et de Castelnaudary marquent à peu près les deux extrémités.Industries locales, Fabrication du drap Lodève – Bédarieux – Mazamet – Villeneuvette – Castres, etc. Dans les manufactures de Lodève, de Bédarieux et de Mazamet, la laine est à peu près exclusivement employée à la fabrication du drap et de quelques étoffes analogues. La tâche des ouvriers de la draperie embrasse les manipulations les plus diverses, et, comme nous ne les avons pas encore décrites en visitant d’autres fabriques drapières, il ne nous paraît pas inutile d’en présenter ici un rapide résumé. Après avoir été triées et lavées, les laines sont battues à diverses reprises ; on les débarrasse ainsi des corps étrangers qu’elles peuvent contenir, et on assouplit leurs filaments ; puis on les graisse avec de l’huile, afin de les rendre plus coulantes. On procède ensuite à l’opération du cardage, qui a pour objet d’allonger les fils et de les réunir en larges rubans . La filature commence immédiatement après. Lorsque les fils sont sortis des mains des fileurs, ils sont dévidés et transformés soit en écheveaux soit en bobines. Les ourdisseurs s’en emparent alors pour disposer les chaînes, qui sont remises aux tisserands avec les fils destinés à la trame. Voici maintenant l’étoffe tissée, mais nous n’avons pas encore du drap. Il faut que le foulage soit venu accroître la solidité du tissu, et lui donner de l’élasticité en tous sens. On doit aussi dégraisser les pièces, en extraire les pailles qui s’y sont glissées et réparer les accidents qui ont pu se produire dans la fabrication. On passe enfin aux apprêts, c’est-à-dire à ces opérations qui ont pour but de mettre la marchandise en état d’être livrée au commerce. Ces derniers soins, toujours indispensables, sont plus ou moins multipliés, plus ou moins minutieux, suivant la qualité des draps.
La machine à feutrer les fils, due à M. Vouillon (de Louviers), dont nous avons parlé au chapitre des Ouvriers de la Normandie, aurait pour effet d’arrêter ici le travail et de dispenser de la filature proprement dite.Lodève
Quand on veut visiter la population industrielle vouée à ces divers travaux dans les montagnes de l’Hérault, on quitte à Montpellier le réseau des chemins de fer du Midi, pour se diriger d’abord sur Lodève. On suit au début une route montueuse et sauvage où la végétation devient de plus en plus rare. Quelques chênes verts rabougris et clairsemés croissent seuls sur des pentes rapides, au bord des précipices. À mesure qu’on s’élève, des monts inégaux dressent dans le lointain leurs sommets capricieusement découpés. Dès qu’on a franchi cette muraille, le tableau change : des vallées larges et fertiles se déploient au pied des montagnes ; la route est bordée d’arbres magnifiques. Aux approches de Lodève, les hauteurs mêmes sont cultivées jusqu’à leur sommet, et on pénètre dans la cité entre deux rideaux de verdure. La ville est bâtie au sein d’un étroit vallon que traversent les deux petites rivières de la Lergue et du Soulondres. Autour du vallon se dresse un gigantesque amphithéâtre couvert de vignes, d’amandiers et de figuiers. Ces cultures s’élevant en étages successifs sont soutenues par des murs et donnent au paysage un ravissant aspect. Les maisons, qui auraient pu s’étendre sur un plus long espace, en remontant la vallée, se sont serrées les unes contre les autres, de telle sorte que, sous un ciel pur et avec un climat très-agréable, Lodève offre un assemblage de ruelles étroites, humides, sombres, très-sales, où l’air se renouvelle avec peine, où la population semble s’être privée volontairement de tous les charmes de la nature environnante.
Le développement de la fabrique lodévienne–dont l’origine remonte à une époque éloignée, – est postérieur à l’introduction des métiers mécaniques dans les filatures, commencée en 1809. Aujourd’hui on compte dans la ville une quinzaine de grands établissements, qui n’emploient, en général, que l’eau des torrents pour force motrice. Le tissage mécanique commence à y pénétrer. Malgré quelques progrès récents, le matériel de la fabrication n’est pas ce qu’il devrait être, surtout pour la filature et pour les apprêts.
Sur une population d’environ 12,000 habitants, la ville compte à peu près 4,000 ouvriers répartis dans des ateliers dont les plus populeux renferment jusqu’à 400 et 450 individus. La durée du travail effectif varie suivant les saisons, sans dépasser, du moins que nous sachions, le terme légal de douze heures. Le salaire, généralement payé à la tâche, varie pour les hommes de 1 Fr. 50 cent. à 3 Fr., et pour les femmes de 60 cent. à 1 Fr. 25 cent. par jour. Il est beaucoup plus élevé pour les laveurs de laine ; aussi établit-on des machines à laver. Lodève circonscrit presque entièrement ses entreprises dans le cercle de la draperie militaire. Quatre ou cinq maisons seulement fabriquent quelques étoffes pour la consommation générale et seulement des étoffes communes. Les capitaux, loin de manquer sur cette place, y excèdent les besoins, et ils appartiennent à ceux mêmes qui les font valoir. Il n’est guère de manufacturiers à Lodève qui fussent embarrassés pour mettre un million de francs dans leurs affaires, et quelques-uns peuvent disposer de moyens beaucoup plus étendus ; aussi les achats de matières premières se traitent-ils au comptant. Toujours créancière du gouvernement pour des sommes plus ou moins fortes, la fabrique ne doit jamais rien à personne, et les laines existent en magasin par quantités considérables. Des chaînes sont montées à l’avance en grand nombre ; c’est l’intérêt du fabricant : avec de vieilles chaînes, les laines rentrent moins au foulage.
Les fortunes manufacturières de Lodève, trop souvent regardées du dehors avec des yeux d’envie, ne sont pas des fortunes gagnées rapidement dans quelques fournitures urgentes ; elles sont le fruit d’un long travail. On ne saurait reprocher aux fabricants lodéviens une vie oisive ou indolente. Tel manufacturier éminent que, dans son voyage du Midi, en 1852, le chef de l’État décorait aux applaudissements de la contrée, offre un exemple d’une des carrières les plus laborieuses et en même temps les plus honnêtes qui se puissent rencontrer dans l’industrie française. Il se trouve sans doute en France d’autres districts manufacturiers où l’on a de même beaucoup travaillé sans avoir pu s’enrichir également ; mais Lodève a eu les avantages de sa spécialité. La fabrique lodévienne a fait quelquefois de longs crédits, elle a répondu hardiment aux demandes qui lui étaient adressées dans des moments difficiles ; puis elle a touché le prix de ses avances sans avoir rien perdu, sauf une seule fois, en 1816, où l’on paya des fournitures arriérées en rentes 5 p. 0/0 au pair, ce qui imposait aux fabricants une réduction d’à peu près 50 p. 0/0.
Dépendant entièrement, quant au travail de ses ouvriers, quant à son existence même, de ses rapports avec le gouvernement, l’industrie de Lodève a pris soin d’approprier ses ateliers à sa fabrication spéciale ; elle trouve dans les montagnes voisines, au moins pour une partie de sa consommation, des laines qui donnent un feutre extrêmement fort. De plus, la teinture en bleu, si importante pour l’armée, est dans ce pays d’une remarquable solidité, et ses progrès sont dus à des essais hardis entrepris dans la localité même . Ces circonstances sembleraient au premier abord devoir garantir contre toute atteinte le domaine du travail local. Cependant d’autres fabriques qui ont plus ou moins récemment figuré dans les adjudications du ministère de la guerre pourraient inquiéter les manufacturiers de ce pays, s’ils ne s’ingéniaient pas à se tenir au niveau de tous les perfectionnements réalisés dans l’industrie drapière.
Les laines sont teintes avant d’être filées pour toutes les couleurs, excepté l’écarlate, pour laquelle on teint en pièce. Pendant longtemps la couleur jonquille et la couleur orange ont été appliquées aux pièces ; aujourd’hui on exige la teinture en laine.Les conditions générales de la fabrique changent complètement à Bédarieux, à peine séparée pourtant de Lodève par une route de quelques lieues, mais d’un parcours difficile. Après avoir suivi une délicieuse vallée sans issue, on gravit, par une suite de détours presque inextricables, une des plus hautes montagnes de la contrée, la montagne de l’Escandolgue. Aux approches de Bédarieux, les collines sont moins hautes, moins serrées et aussi moins pittoresques qu’autour de Lodève. Dans la ville même, entre quelques larges et belles rues, on voit des ruelles étroites qui, dans une agglomération de dix mille âmes, présentent tous les inconvénients des quartiers les plus décriés de nos grandes cités manufacturières. La rue Rougeoux, par exemple, et le groupe de ruelles aboutissant au carrefour appelé le Plan du Rempart, sont pour les familles ouvrières des asiles vraiment lamentables.
Bédarieux
L’industrie de Bédarieux, qui fait vivre environ cinq mille individus dans la ville et de nombreux travailleurs dans les campagnes, s’est entièrement transformée depuis 25 à 30 ans . La confection des bas de laine, autrefois seul élément du travail de la fabrique, a complètement disparu : elle a cédé la place à la fabrication des draps unis et des étoffes de fantaisie dans le genre d’Elbeuf. À l’origine, on avait dû appeler de Normandie des ouvriers exercés au maniement du métier Jacquard, de même qu’Elbeuf avait dû tirer de Lyon ses premiers tisserands de la nouveauté. Maintenant on peut se passer de tout concours extérieur. Bédarieux possède à peu près en France le monopole des draps pour casquettes, et vend de 200 à 250 mille pièces d’étoffes par an pour cet unique article. Après la draperie proprement dite, le travail embrasse encore la fabrication des flanelles et de légers tissus de laine et coton appelés lainettes ou filoselles. Un extrême bon marché distingue tous ces produits. Le prix des draps descend jusqu’à 4 francs le mètre. Sans doute il ne faut pas demander ici la perfection de la draperie du nord de la France ; mais les étoffes communes sont une très-utile spécialité.
Au moment où nous écrivons, la fabrique de Bédarieux traverse une douloureuse épreuve qu’il faut attribuer à diverses causes et notamment aux événements de l’Inde et de la Chine, qui lui ont fait perdre des débouchés. Le travail y est extrêmement réduit. Espérons que le mal sera momentané et que l’industrie locale saura s’ouvrir d’autres sources de travail.Le travail des ouvriers de Bédarieux porte sur 500 000 kg environ de laine par année, et donne lieu à 8 ou 9 millions de francs d’affaires. On compte dans la ville de 14 à 16 grandes maisons de fabrique. L’outillage des usines semble fort arriéré, quand on le rapproche du matériel de nos établissements de la Flandre, de la Normandie et de l’Alsace. Il est même, sous quelques rapports, inférieur à celui de Lodève. Tous les appareils mécaniques sont mus par l’eau. Aucun atelier ne réunit plus de 150 à 200 ouvriers, en comptant les femmes et les enfants. Le tissage s’effectue quelquefois en fabrique, le plus souvent au domicile du tisserand, surtout pour les articles unis. Les ateliers de Bédarieux sont en activité toute l’année, à moins d’obstacles matériels tenant à la sécheresse qui tarit la rivière de l’Orbe, sur laquelle les moteurs sont installés, ou bien à des pluies qui empêchent de sécher les draps. Pour se faire une idée complète de cette fabrique, il faut savoir que toutes les étoffes unies y sont teintes en pièces. On ne teint en laine que les matières destinées aux draps de nouveauté, qui ne permettraient naturellement pas un autre mode de teinture.
Les produits fabriqués pour l’exportation s’écoulent en grande partie soit dans le Levant, soit sur la côte septentrionale de l’Afrique. Ils consistent en draps unis et légers de diverses couleurs. Les commandes du Levant arrivent par l’intermédiaire des commissionnaires de Marseille. Tandis que nos possessions d’Afrique sont devenues un marché de plus en plus important pour Bédarieux, les débouchés orientaux ont tendu au contraire à se resserrer. Les articles de nouveauté, les lainettes et les flanelles se placent presque exclusivement à l’intérieur soit dans tout le midi de la France, soit dans une partie de nos régions centrales. La célèbre foire de Beaucaire et surtout les foires de Toulouse, qui prennent chaque année une nouvelle extension, sont d’une extrême importance pour Bédarieux. Les étoffes de nouveautés viennent par masses à Paris, dans les maisons de confection obligées par leurs prix de vente d’acheter à très-bon marché. Presque tous les draps pour casquettes sont également consommés par les ateliers de la capitale, qui répandent ensuite leurs produits sur toute la surface de la France. Quoique Bédarieux ait montré une remarquable aptitude manufacturière, cette ville ne tient néanmoins que le second rang parmi les cités industrielles de ce district ; le premier revient à Mazamet.
Mazamet
Située loin de toutes les routes commerciales, loin même du canal des Deux-Mers, à l’extrémité du département du Tarn, au pied de la Montagne-Noire, que la route longe depuis Saint-Pons, Mazamet n’était encore, en 1814, qu’une bourgade insignifiante où se fabriquaient seulement quelques grossières étoffes de laine. L’industrie en a fait rapidement une cité riche, active, ayant des relations étendues, et qu’on a pu surnommer, sans trop la flatter, l’Elbeuf du sud. Les familles ouvrières y composent au moins les deux tiers de la population, dont le chiffre dépasse déjà dix mille âmes. Quoique la ville soit assez resserrée, on n’y rencontre point de ruelles étroites et repoussantes, comme à Bédarieux et à Lodève ; dans les prairies qui l’avoisinent du côté de l’ouest et du nord, elle pourra s’épandre en toute liberté à mesure que le travail y appellera une population plus pressée. Ici tout est nouveau, mais tout s’est élevé sans bruit. L’accroissement de Mazamet n’a pas eu, comme celui de Roubaix, de Saint-Quentin ou de Saint-Étienne, un grand retentissement extérieur : de même que l’herbe croît sous les pieds de l’homme sans qu’il la voie pousser, de même s’est accru la cité de la Montagne-Noire. Les premiers pas de Mazamet dans la grande industrie sont postérieurs à 1 ; toutefois, dix-huit à vingt ans plus tôt, au milieu même des grandes luttes militaires qui ébranlaient alors le monde, des élans industriels énergiques s’étaient déjà manifestés sur ce sol. Quelques hommes avaient formé une société de fabrication, et, par la réunion de leurs ressources, assez peu considérables isolément, ils avaient donné naissance à une force collective très-réelle. Ces nouveaux argonautes qui, sans sortir de leur pays, cherchaient aussi la toison d’or, essayèrent de fabriquer quelques articles inconnus jusque-là, et de modifier un peu les anciens ; ils conduisirent leurs affaires de telle sorte, qu’au bout d’un court intervalle la plupart d’entre eux purent fonder chacun sa maison particulière. Les destinées de la ville étaient fixées par ce premier exemple.
Dans la position géographique fort ingrate qu’occupe Mazamet, deux circonstances inhérentes au pays même secondèrent pourtant son essor. Parmi les rudes habitants des montagnes voisines, la main-d’œuvre était à bas prix ; de plus, la nature offrait libéralement aux manufacturiers des chutes d’eau alimentées par les torrents. La petite rivière de l’Arnette, dont un canal a rendu l’usage facile, suffit pour mettre en mouvement tous les appareils de la localité.
Des conditions d’un autre ordre, indispensables pour assurer le succès dans la carrière des affaires,–l’audace sans témérité, la ténacité sans entêtement, le désir infatigable de s’avancer dans la voie où l’on est entré,–tous ces instincts qui caractérisent à un si haut degré l’industrie anglaise, se révélèrent dès le début au sein de la petite cité du Tarn. Une vive émulation, qui ne s’est jamais démentie, s’étendit des chefs d’établissement aux ouvriers mêmes. Chacun, en effet, se montre incessamment tourmenté de la crainte d’être dépassé par son voisin ; chacun s’applique sans relâche à rehausser par de nouvelles conquêtes les améliorations déjà accomplies. En outre, au lieu de songer ici, comme dans d’autres localités industrielles, à quitter les affaires aussitôt qu’ils ont amassé une certaine fortune, les fabricants restent sur la brèche jusqu’à la fin de leur carrière. Les professions libérales, qui honorent l’esprit, mais qui sont trop souvent accompagnées d’illusions périlleuses, n’exercent aucune séduction. Les chefs de maisons élèvent leurs fils pour la fabrique ; l’esprit des affaires qu’ils tâchent de leur inculquer de bonne heure, ils le considèrent comme la meilleure partie de leur héritage. L’industrie est donc à Mazamet l’unique carrière ouverte à l’ambition et au talent. La petite ville a pour devise ces mots : crescam et lucebo (je grandirai et je brillerai). Mazamet avait eu le bonheur de rencontrer, pour l’initier aux larges procédés industriels de ce siècle, un fabricant distingué par une haute intelligence, M. Houles, dont le souvenir demeure également en honneur auprès des ouvriers et auprès des chefs d’établissement. C’est lui qui a ouvert à l’activité de sa ville natale les voies si diverses où elle marche aujourd’hui, et en régénérant l’industrie traditionnelle, créé pour la population de nombreux genres de travail. Un monument élevé à sa mémoire sur une des places de la cité a été inauguré avec éclat, au mois d’octobre 1853. Le nom de M. Houles mérite d’être inscrit sur le livre d’or des grands industriels de ce siècle.
Quelques centaines d’ouvriers sont occupés encore aujourd’hui à la fabrication des vieilles étoffes, premier noyau de cette manufacture, telles que les cadis, les sorias, etc., qui sont ou blancs ou teints en pièce. Un plus grand nombre s’attaquent aux flanelles, aux molletons, aux tissus appelés tartans, dans lesquels on tâche de calquer l’industrie rémoise ; mais les tissus drapés et foulés sont le principal travail de la population. Dans aucune autre ville du Midi on n’a si largement appliqué l’art des tisserands de Lyon à la fabrication des lainages feutrés. Mazamet, qui recherche d’ailleurs, comme Bédarieux, l’exploitation du genre économique, n’employait jadis que les laines les plus communes du Midi ; maintenant, avec sa fabrication si variée, elle consomme les laines d’à peu près tous les pays producteurs, sauf celles d’Allemagne et d’Australie, qui sont en général utilisées pour des tissus plus fins que les siens.
La teinturerie de Mazamet n’est point aussi perfectionnée que celle de l’antique cité de la Champagne ; tandis qu’on teint les lainages de Mazamet comme la draperie, les teinturiers de Reims teignent leurs étoffes à la façon des soieries.À mesure que s’étendait le domaine de la fabrique du Tarn, on perfectionnait aussi les instruments de la production. On montait des filatures avec un matériel comparable à celui des belles usines de nos départements septentrionaux . Inquiétés d’abord par l’installation des nouveaux appareils qui rendaient des bras inutiles, les ouvriers ont fini par reconnaître que chaque progrès réalisé avait pour résultat d’accroître la somme du travail. Où en serait l’industrie de la nouvelle cité si elle avait répudié le concours des engins mécaniques ? En face de la concurrence des autres villes manufacturières, les ouvriers de Mazamet n’auraient pas même pu conserver le fonds primitif qui leur servait à nourrir leurs familles. Les machines ne sont appliquées, à Mazamet, qu’à la filature et à quelques opérations secondaires de la fabrication des draps. Le tissage mécanique de la laine y est encore à peu près à l’état de germe ; son avenir, là comme ailleurs, est désormais certain. Quant au peignage, il n’a pour les ouvriers de cette localité qu’une très-minime importance ; si quelques filateurs traitent la laine peignée, c’est seulement pour des clients du dehors, les articles de Mazamet n’employant que la laine cardée.
L’ancien établissement de M. Houles, que dirige aujourd’hui, avec une réelle habileté, son gendre M. Cormouls, peut être regardé comme un modèle.Plus souvent occupés chez eux que réunis en atelier, les tisserands de Mazamet sont répandus dans un assez vaste rayon, et surtout dans les villages de la Montagne Noire. Tous les fileurs, travaillant en fabrique, se groupent dans la ville ou aux environs. La durée du travail se renferme sans difficulté dans la limite de douze heures par jour. Telle maison occupe soit dans ses établissements, soit au dehors, 1,200 ouvriers, une autre 600, plusieurs de 300 à A00. Les salaires, dont la moyenne est de 1 Fr. 60 cent. pour les hommes et 65 cent, pour les femmes, paraissent faibles, si on les compare, sans prendre garde à la diversité des circonstances locales, aux salaires payés dans les villes du nord de la France qui confectionnent des tissus de nouveautés. Toutefois, en mesurant le prix de chaque chose et en tenant compte de la différence des besoins de la vie dans les deux contrées, on s’aperçoit que les tisserands de Mazamet gagnent au moins autant que ceux de Reims ou d’Elbeuf.
À la différence de Bédarieux, qui exporte une partie de ses draps, Mazamet n’écoule hors de la France aucun de ses articles ; mais cette ville est en rapport avec presque toutes les parties du territoire national. C’est la vieille Armorique, fortement attachée à toutes ses habitudes, qui reste le champ principal où se répandent les articles d’ancienne fabrication. Le tissu nommé cadi n’a rien perdu sur le sol breton de la faveur dont il jouissait il y a soixante années. Des commis voyageurs, partis des, bords de l’Arnette, ont soin de visiter périodiquement les petits marchands de la Bretagne, afin d’entretenir le goût public pour les produits des travailleurs de la Montagne-Noire. Les articles de fantaisie viennent à Paris en quantité considérable ; mais pour les ouvriers de Mazamet encore plus que pour ceux de Bédarieux, les départements du Midi sont un marché d’une importance tout à fait capitale, et dont la ville de Toulouse doit être considérée comme le point central. L’usage des différentes maisons est de porter leurs marchandises, ou d’envoyer au moins des représentants pour faire des offres, à toutes les grandes foires de nos départements méridionaux. Ces habitudes commerciales, qui intéressent de si près les destinées du travail parce qu’elles sont une condition pour la vente à bon marché, tiennent à la fois au désir systématique des fabricants de se mettre en rapport direct avec les marchands en détail, et à l’éloignement où l’on se trouve encore des voies habituelles suivies par le commerce. Ainsi on s’applique à éviter l’emploi des intermédiaires.
Synthèse
Il est facile, maintenant, en résumant les traits épars, de se faire une idée des singularités que présente la grande industrie des draps sous la main des travailleurs de Mazamet, de Bédarieux et de Lodève. La dernière de ces villes ne connaît guère que le drap de troupe ; Bédarieux associe la fabrication des tissus unis pour l’exportation à celle des étoffes de nouveauté ; à Mazamet, le tisserand s’attaque à peu près à tous les genres de lainages, et ne travaille que pour le marché intérieur . En dehors de ces trois cités et dans leur orbite, la même industrie apparaît encore sur divers points avec quelques caractères dignes d’être signalés.
À Bédarieux et à Mazamet, on fabrique aussi des draps de troupe, en une quantité relativement peu considérable.Villeneuvette
Dans le voisinage de Lodève, à Villeneuvette, où la fabrication de la draperie militaire fait vivre toute la population, composée de 400 personnes, le régime industriel se distingue très profondément de l’ordre établi dans les autres localités. La commune de Villeneuvette est tout entière dans la fabrique : église, mairie, maison du patron et maisons des ouvriers sont renfermées entre les mêmes murailles et appartiennent à un seul propriétaire. Située au milieu d’un vallon planté de vignes, d’arbousiers et de grenadiers, entourée de coteaux couverts de pins, la place est garnie de remparts crénelés avec des redoutes de distance en distance ; on y bat la diane comme dans une ville de guerre ; une fois le pont levé et la poterne close, on ne saurait plus y rentrer. Cette fabrique a été créée en 1 ; elle reçut à son origine les encouragements de Colbert et une subvention votée par la province du Languedoc. Jusqu’en 1789, on n’y travaillait que pour le commerce du Levant et des Indes ; Colbert donnait à la compagnie qui avait fondé Villeneuvette une prime de 10 livres par chaque pièce de drap exportée. Ce ne fut qu’après la révolution que la fabrication militaire remplaça la fabrication commerciale. Au-dessus de la principale des portes d’entrée, on lisait jusqu’en 1848, en vieux caractères dorés, ces mots, qui cherchaient à renouer la chaîne des temps : Manufacture royale. Après la révolution de février, on y a substitué ceux-ci : Honneur au travail. Si l’inscription nouvelle rompait avec la tradition, elle s’accordait mieux que l’ancienne avec l’état réel des choses, et elle parlait davantage à l’esprit des habitants de cette ruche laborieuse.
Clermont-l’Hérault
À trois ou quatre kilomètres de Villeneuvette, les ouvriers de Clermont-l’Hérault trouvent aussi leurs principale occupation dans les fournitures militaires ; mais quelques maisons fabriquent en outre des draps unis pour le Levant et des étoffes communes pour l’intérieur. L’industrie se rattache donc d’un côté au genre de Lodève, et de l’autre au genre de Bédarieux.
Castres
Dans le rayon de Mazamet, il existe une localité manufacturière qui comptait dans la fabrication longtemps avant la nouvelle cité industrielle du Tarn, et qui s’est vu rapidement effacer par sa jeune et vigoureuse rivale. Je veux parler de Castres , de cette ville bâtie ou plutôt suspendue sur la rivière de l’Agout, et dont les ouvriers, renommés pour leurs draps appelés cuirs de laine, jouissaient jadis en paix de leur réputation et des fruits de leur travail. Malgré d’honorables efforts pour améliorer les conditions de leur industrie, les fabricants n’ont pas réussi à étendre le cercle de leurs affaires ; aussi les tisserands de la cité castraise se sont-ils mis en grand nombre au service de Mazamet.
On confectionne toujours à Castres des cuirs de laine. Le fabricant qui avait fait le plus d’efforts pour régénérer cet article, mais qui n’a pas été heureux dans l’exploitation, c’est M. Guibal-Anneveaute, ancien membre du conseil général des manufactures.Les autres
On pourrait nommer quelques autres fabriques d’étoffes de laine ne dépendant ni de l’une ni de l’autre des trois villes maîtresses de cette industrie ; mais le régime du travail n’y offre aucun trait saillant. En général même, l’état de ces manufactures reste stationnaire. Ainsi, dans l’Aude, à Carcassonne, dont les draps noirs communs sont estimés, la fabrique n’ajoute plus rien depuis longtemps à son ancien domaine ; à Limoux, deux ou trois cents ouvriers vivent précairement autour de petits ateliers manquant de capitaux ; la situation est encore plus difficile à Chalabre, dans le voisinage de Limoux. La grosse draperie de Rodez, de Saint-Geniez, d’Espalion et de Saint-Affrique dans l’Aveyron, reste circonscrite dans une étroite arène. La somptueuse cité de Montpellier, qui n’est pas une ville de manufactures mais une ville d’université, se rattache néanmoins au mouvement industriel du pays par la fabrication des couvertures de laine, qui a lieu dans les environs sur une grande échelle. Cette industrie spéciale n’entraînant que de très minimes frais de main-d’œuvre, cherche dans le bas prix des matières premières la principale condition de sa prospérité. Elle n’emploie guère que des laines d’une qualité très-inférieure. Montpellier écoule surtout ses couvertures au dehors, principalement aux États-Unis d’Amérique.
Armand Audiganne (1860 ) Les populations ouvrières et les industries de la France, Les ouvriers de la Montagne Noire via Google books