Jules Paloque
carrière de 1914 à 1918 Création mai 2021

Nous sommes début 1914, le dossier militaire de Jules n'est qu'éloges ; une promotion au titre de général est clairement à l’ordre du jour.

Pourtant en 1916, tout ne se passe pas si bien et Albert, son frère, évoque les ennemis, les jaloux plutôt, doivent bien, au fond de leur conscience, se repentir de ce qu’ils t’ont fait.

Obstacle

La tradition familiale rapporte qu'à la suite d'une dispute à propos du nombre de canons d’une batterie de 75, Foch se serait mis en travers de la carrière de Jules et aurait affirmé : "Paloque sera le plus vieux colonel de l’armée française".

Regardons ce qu'en disent les faits.

Il y a peut-être eu un débat passionné sur la batterie de 75 et peut être Jules s'est-il un peu trop opposé à Foch. C'est tout à fait possible, en 1896, Jules participait à la Commission des essais du matériel de 75, et Foch venait de prendre le cours de tactique générale à l’École Supérieure de Guerre. Mais à cette époque, ils n'étaient l’un et l’autre encore que Chef d’escadron et certainement pas en position de s'opposer frontalement lors de la prise de décision. Comment croire que serait alors née une rancune encore vive vingt années après ?

Et même si c'était le cas, Foch en 1910 n'aurait alors jamais évalué ainsi Jules de sa main : toujours professeur d’Artillerie des plus brillants.

Bertrix

C'est ailleurs qu'il faut chercher, c'est plus large que doit porter le regard, c'est Pierre Challier qui en 2020 n'a rien oublié, qui nous propose le bon cadre :

Entre les 8 et 24 août, la bataille des Frontières tourne au désastre. Le 22, à Bertrix, dans les Ardennes belges, la 33e Division de Montauban est décimée. 22 août… journée la plus meurtrière, 27 000 Français tués sur 400 km de front. Le 25, la retraite est ordonnée. Paris est de nouveau menacé…

La Bataille de la Marne sauvera Paris et commence alors pour Bertrix la recherche des responsabilités. Les controverses dureront très longtemps, si longtemps qu'en 1987 rien n'est encore tranché et Fernand Caujolle éprouve la nécessité de contribuer à rétablir la vérité sur ce qu'il considère comme une injustice qui commence dès septembre 1914 :

L’opinion toulousaine prend connaissance, avec une grande amertume, des appréciations diffusées par la presse parisienne sur la conduite des troupes du 17e CA : sans que les conditions de la bataille des Ardennes soient connues le terrible échec subi est imputé à la défaillance des troupes de notre région.

Léon Paloque en 1917 en précise les conséquences sur la carrière de son frère :

Il a fallu que le général Malcor, profitant d’une journée malheureuse pour ton régiment, ait tenté de faire retomber sur toi des responsabilités qui ne t’incombaient pas et qu’il ait présenté, à ta place, le colonel Taurignac pour général. Malgré la brillante citation du général Eon te concernant, et les superbes résultats que tu as obtenus, à Verdun, comme commandant de toute l’artillerie, on n’a voulu t’accorder aucune récompense. Tu es victime d’une injustice flagrante. Mais tu peux être persuadé que je n’apprécie pas moins ton immense valeur, quoiqu’elle ne soit pas consacrée par une dignité quelconque.

Et c'est le général Herr qui écrira en 1919 ce que fut la carrière de Jules :

Le général Paloque quitte son poste en emportant l’estime de tous. Chef d’artillerie des plus complets,…, homme de science et homme de cœur, il a eu une carrière que l’injustice du sort a seule empêchée de rendre plus brillante.

Carrières d'artilleurs

L’affaire est entendue, il ne nous reste qu'à regarder ce qu'aurait pu être une brillante carrière à travers un échantillon des X-Artilleurs de sa génération.

Remarquons pour commencer, qu'à cette époque, une belle carrière s'obtenait soit en devenant professeur à l’Ecole de Guerre soit sur les zones de conflits. La guerre de 14 allait détruire une mécanique de promotion bien rodée en apportant à certains l’occasion de s'illustrer au combat, à d'autres l'occasion de se faire prendre dans de mauvaises affaires.

Remarquons aussi que cette carrière n'avait rien d’automatique, deux artilleurs de notre échantillon n'ont même pas atteint le grade de colonel

1849
1854
1859
1864
1869
1874
1879
1884
1889
1894
1899
1904
1909
1914
1919
Ferdinand Foch – domine ses pairs de la tête et les épaules concrétisée en 1907 par sa nomination comme Général et Directeur de l'Ecole de Guerre ; puis en 1918 sa nomination comme Maréchal et Généralissime des armées alliées
Promotion X1871
Officier subalterne
Colonel
Général
Maréchal
Emile Fayolle – passe huit années comme professeur de tactique à l'Ecole de Guerre ; en 1910 est nommé Général et prend la tête du 12e Corps d'Armée ; général de division en mai 1915, général d'armée en février 1916 ; maréchal en février 1921
Promotion X1873
Officier subalterne
Colonel
Général
Maréchal
Alfred Malcor – passe 10 années en Algérie ; en 1910 est nommé général et prend la tête de l'Artillerie du 17e Corps d'armée ; finira la guerre à l'Inspection Générale de l'Artillerie en tant que général de division
Promotion X1873
Officier subalterne
Colonel
Général
Robert Bourgeois – se distingue comme scientifique Service Géographique de l’Armée qui lui vaut en 1911 un titre de général ; ne trouve pas d'occasion de s'illustrer autrement que par sa technicité ce qui lui vaut d'attendre une promotion jusqu'en mai 1915, rendu à la vie civile en juin 1919
Promotion X1876
Officier subalterne
Général
Gabriel Rouquerol – passe six années en Algérie, qui lui valent d'être nommé général en septembre 1913 ; général de division en mai 1915 ; termine général de division ; se fâche avec Nivelle en avril 17 ce qui lui vaut d'être progressivement écarté ; rendu à la vie civile en 1919
Promotion X1874
Officier subalterne
Colonel
Général
Robert Nivelle – fait carrière en Algérie et en Chine ; termine général de division ; devient général en octobre 1914 après s'être distingué sur l'Ourcq ; prend en décembre 1916 la direction de l'armée française mais écarté à la suite de son échec du Chemin des dames en 1917 ; retourne en Algérie et est atteint par la limite d'âge en octobre 1921
Promotion X1876
Officier subalterne
Colonel
Général
Louis Renaud – professeur de stratégie et de tactique à l'Ecole de Guerre ; sa direction de l'Artillerie sur le front des Eparges lui vaudra ses étoiles en avril 1915 ; fait un burn-out en mars 1917 et à son retour est affecté à des tâches secondaires ; relevé de ses fonctions en juin 1919 puis rendu, à sa demande, à la vie civile
Promotion X1882
Officier subalterne
Colonel
Général
Jules Paloque
Promotion X1876
Officier subalterne
Colonel
Gen.
Alfred Dreyfus – n'a pas fait carrière en raison de l'affaire qui porte son nom ; relégué dans des rôles secondaires pendant la grande guerre puis rendu à la vie civile en janvier 1919
Promotion X1878
Officier subalterne
Henry Bourgoignon – carrière militaire plutôt classique en régiments d’Artillerie
Promotion X1880
Officier subalterne

Carrière de Jules Paloque

Jusqu'au début 14, Jules pouvait prétendre à ce qu'il était convenu d'appeler une carrière brillante et devenir rapidement général.

Le sort l’épargne à Bertrix le 22 août puisqu'il est toujours en vie au soir de la bataille, mais interdit que puisse advenir la promotion attendue dans l'année.

Jules est maintenu à son poste à la tête du 18e régiment d’Artillerie (33e Division, 17e Corps d’Armée) où il mène une guerre obscure à la tête de ses trois groupes de 75, soit 18 canons au total.

Le sort qui l’avait protégé à Bertrix continue de veiller sur Jules dont les batteries sont dans des zones exposées au plus près du front et où lui-même n'hésitait pas à prendre des risques pour aller observer telle ou telle position. Il deviendra pour cela dès décembre 1914, Officier de la Légion d'Honneur.

Comme les arbitres de rugby, le sort a peut-être des remords d'une mauvaise décision à Bertrix. Au lendemain de la prise de Douaumont, le 24 octobre 1916, le colonel Marchal qui était à la tête du groupement d’Artillerie demande à être remplacé. Personne ne l'imagine avoir demandé une permission, il devait plutôt s'agir de la nécessité de se reposer un peu. C'est à Jules que le général Mangin va s'adresser, pour un remplacement de quelques jours. Et il se trouve qu'il ne s'agissait pas d'expédier les affaires courantes mais de déplacer une gigantesque artillerie afin de mener au plus vite la suite de l'offensive et de permettre la reprise du fort de Vaux.

Cette courte intervention lors d'une période charnière, lui vaut à nouveau des notes élogieuses. La promotion n'arrivera pas, mais tout aussi bien, ce sont d'importantes responsabilités qui lui sont confiés en janvier 1917,  à la tête de l’artillerie du 18e Corps d’Armée.

Tout comme à Verdun, le sort avait trouvé le bon timing, puisque c'est au Chemin des Dames en avril 1917 que Jules va jouer un rôle décisif dans ce qui sera, devant Craonne et Vauclerc, le seul succès de cette offensive si cruelle. A la suite de quoi il devient Commandeur de la Légion d'Honneur

Ces états de services sont tels que plus personne ne peut l’empêcher d’obtenir ses étoiles en septembre 1917.

Le sort s'en mêle à nouveau, en cette fin d’année 17, l’armée française est en pleine crise des effectifs. Elle dissout des régiments à tour de bras et se demande comment elle va pouvoir attendre que les Américains soient en mesure d’intervenir efficacement.

Moins d'unités, c'est aussi moins de chefs ; et de toute manière s'en est terminé de ces grandes offensives qui nécessitent de concentrer des centaines de canons ce qui laisse tout le temps à l'ennemi de se préparer lui aussi. Jules rejoint alors l’Inspection de l’Artillerie lourde où il servira utilement mais sans possibilité de continuer se distinguer.

Finalement, le sort a-t-il était plus favorable à Nivelle dont le nom restera attaché pour toujours à l’échec du Chemin des Dames, le sort a-t-il était plus favorable à Renaud qui doit jeter l’éponge après être allé au bout de ce que sa santé lui permettait ?

Artilleur des plus brillants

Quelles auraient-été les conditions pour réussir une carrière des plus brillantes ?

La réponse est simple, il faut sortir de sa discipline et se montrer capable d’entraîner les hommes et d'engager les différentes armes sur le champ de bataille. Pour nos X-Artilleurs comme l'ont fait Foch et Fayolle cela se démontre d'abord à l’Ecole de Guerre avant de poursuivre à la tête d'Armées .

Jules n'était pas de cette trempe, Jules possédait sa discipline jusqu'à la perfection, Jules était un enseignant de tout premier ordre, capable de captiver son auditoire ou de former ses recrues. Jules ne portait pas son regard sur l'Armée française, ce n'était pas son sujet, Jules était l'expert parmi les experts d'une arme technique d'emploi éminemment précis et compliqué.

Je conclurais en suggérant que Jules avait sciemment choisi de progresser dans ce qu'il aimait et savait faire mieux que tous les autres :

Jules Paloque a mené la carrière qu'il s'était choisie, celle de l’un des plus brillants artilleurs de sa génération, vainqueur à Craonne et Vauclerc, le jour où tous les autres ont échoué.

Je n'ai pas su résister au plaisir de la formule. Je ne pense pas m'être trop avancé, mais il faudra que je prenne le temps un jour de précisément documenter cette assertion.