On plante , on greffe, on taille de Port-Royal-des-Champs aux maisons de plaisirs des bourgeois parisiens. On parcourt son jardin fruitier-potager avec ses hôtes, on en déguste les fruits, on les offre. […]
La multiplication des traités sur la culture des arbres fruitiers à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle révèle cet engouement ainsi qu’une réelle pensée agronomique largement occultée par nos préjugés sur la futilité du jardinage du Grand Siècle.
Tout comme pour les cabinets de curiosité il existe un réseau de jardins autour de Paris dignes d’être visités pour leur collection d’arbres fruitiers et la conduite des arbres en espalier ou en quenouille. Au-delà de l’Île-de-France, les traductions des traités arboricoles en plusieurs langues étrangères ou en français, la présence de jardiniers français Angleterre ou en Allemagne, les voyages d’arboristes anglais dans la France de Louis XIV […], l’expédition de greffons et d’arbres déjà greffés au-delà des frontières des états, révèlent l’existence d’un réseau européen d’arboristes dans lequel la région parisienne du xiie siècle joue un rôle moteur. […]
Le réseau traverse même l’Atlantique : « le sieur Andrieux espère […] offrir dans peu aux curieux des greffes et même des sujets greffés de la monstrueuse Reinette du Canada »
Autour de Paris, certains terroirs accueillent des arbres fruitiers alors que d’autres ne les tolèrent que le long des routes et près des habitations. Ainsi la production massive de fruits, loin d’être répandue, concerne quatre à cinq foyers circumparisiens dont la réputation évolue d’un siècle à l’autre. […]
Parmi ces grands foyers producteurs de fruits, certains foyers jouissent d’une grande renommée mais d’une ancienneté variable voire mythique, d’autres acquièrent leurs de noblesse par le développement de pépinières bien que chaque village élève de jeunes arbres. […] Au-delà de la zone des marais (jardins de la banlieue), quatre principaux foyers, s’articulant le long des voies de communication et sur les versants de buttes et de vallées, peuvent être délimités dans un rayon d’une trentaine de kilomètres autour de Paris : à l’ouest la vallée de la Seine et les terroirs proches de Versailles, au nord-ouest, la vallée de Montmorency, à l’est, Montreuil et les villages limitrophes de Bagnolet et Charonne, et au sud la région de Corbeil. Enfin un cinquième foyer […] s’organise autour de Thomery à proximité de Fontainebleau.[…]
Les pépinières les plus réputées, hormis celle du Pré-Saint-Gervais, se trouvent sur la rive sud de la Seine, Fontenay-aux-Roses, Choisy, et surtout Vitry sont célèbres pour leur pépinières. En 1777, Thomas Blaikie, jardinier écossais […] traverse ce village « fameux pour les pépinières d’arbres fruitiers » :
« Nous sommes allés de Choisy à Vitry, il y a tout le long de la route un grand nombre de pépinières éparpillées et sans clôtures, mêlées aux champs de blé. La ville de Vitry, qui semble considérable, parait essentiellement faite d’arbres, il y en a au coin de chaque maison. Après avoir traversé Vitry, il y a sur plus d’un mile [en direction de Paris] des pépinières disséminées dans les champs. […] »
La réputation et les intérêts économiques de ces pépinières privées, et notamment celles de Vitry, entre en concurrence avec la grande pépinière parisienne des pères Chartreux.[…] Les adresses des pépiniéristes professionnels sont diffusées par les traités sur l’art de cultiver les arbres fruitiers, par les échanges entre arboristes et par les almanach usuels. […] De nombreux traités sur la culture des arbres fruitiers se méfient des pépiniéristes ; Le jardinier François conseille de choisir ses arbres « dans les pépinières des gens qui ont la réputation d’être fidèles : car la plupart de ceux qui en vendent trompent souvent les acheteurs ». […] Il est vrai que les arbres des pépinières parisiennes des frères Chartreux sont deux à trois fois plus chers que ceux des autres marchands-pépiniéristes.
« Les pépinières particulières sont trop nombreuses pour qu’on ait à craindre de manquer d’arbres fruitiers »
Ce constat, d’un mémoire de janvier 1808 adressé au gouvernement impérial par une membre de la société d’agriculture de Seine-et-Oise, reflète parfaitement la réalité des campagnes parisiennes, du moins d’un point de vue quantitatif. En l’an IX, Etienne Calvel « par une approximation très modérée, […] évalue à trois cent mille, les arbres qui sortent tous les ans des pépinières de Paris, Melun, Orléans, etc. »
On peut donc dater avec certitude l’essor de l’agriculture fruitière en Île-de-France à partir des années 1640-1650, soit un début qui coïncide avec la seconde période de développement de l’alternative agriculture définie par Joan Thirsk. […] Les périodes de développement de cette alternative agriculture seraient une réponse à la baisse des prix des céréales et de la viande amenant les paysans, pour maintenir leurs revenus, à recourir à d’autres productions. Cependant, en admettant, pour le cas des campagnes parisiennes, l’hypothèse d’une influence de la baisse des prix de l’agriculture dominante sur le développement des cultures fruitières, ne serait-il pas plus pertinent de prendre en compte le cours du vin plutôt que les courbes mercuriales céréalières ? En effet, l’importance du vignoble en Île-de-France, la fréquente proximité de la vigne et de l’arbre fruitier dans les terroirs, voire sur les mêmes parcelles, semble davantage justifier une comparaison entre le dynamisme de l’arboriculture fruitière et les revenus du vignoble qu’avec les céréales. […]
Poser la question de l’alternative vigne ou arbre fruitiers correspond mieux à une réalité parisienne où la grande culture maintient l’arbre le long des routes et dans la zone domestique des jardins au contraire les principaux foyers de production des fruits appartiennent au monde de la vigne.
Plutôt que la reconversion d’une agriculture dominante vers une autre agriculture, en fonction de la conjoncture économique, l’extension de l’arboriculture fruitière me semble plus appartenir à un type de paysannerie-marchande dynamique offrant un terreau, au préalable favorable, qui sera fertilisé par la conjonction d’un engouement socioculturel pour les cultures fruitières et d’une demande urbaine. […] Les relations entre la vigne et l’arbre fruitier aux xviie et xviiie semblent plus être marquées par une complémentarité que par une concurrence. Cette paysannerie-marchande relève plus d’une logique de diversification des productions c’est d’ailleurs cette diversification qui offre une garantie pour pallier l’irrégularité annuelle des rendements et des prix.
L’étude de l’influence entre maîtres et jardiniers revêt toute son importance dans l’existence d’un fort clivage socioculturel et dans la rencontre entre la paysannerie et un public susceptible d’accéder aux traités horticoles.[…] La recherche d’un bon jardinier est une véritable obsession des traités horticoles contemporains.[…]
Les propriétaires parisiens peuvent facilement entrer en contact avec des marchands-grainiers et des marchands-pépiniéristes pour se procurer des espèces et des variétés tant fruitières que légumières à la mode, d’autant plus que ce sont les principaux destinataires des traités horticoles et des catalogues des pépiniéristes. […]
Nul doute que dans la constitution d’un réseau occidental d’arboristes, des pépiniéristes et des marchands-grainiers aient été un rouage essentiel pour se procurer et diffuser de nouvelles variétés. […] Il convient de travailler l’hypothèse suivante : les modes de production et commercialisation des fruits ont eu pour conséquence directe de développer et d’entretenir une ouverture socioculturelle doublée d’une forte mobilité d’une population « pourtant » majoritairement sédentaire.