Geneviève , j'ai longtemps pensé qu'à ton image, une grand-mère était à la fois une très vielle dame et d'une grande bonté.
En fait, tu te faisais appeler grand-mère. Aujourd'hui, grand-père à mon tour, nous serions de la même génération et nous nous appellerions par nos prénoms si nous avions à nous rencontrer.Louis, grand-père que je n'ai pas connu, ton ombre de dernier des vieux messieurs a longtemps continué de marquer la maison de Villefranche.
Hubert (2025)
Dix années séparent Louis qui est de 1878 et Geneviève de 1888.
En janvier 1920, Louis vient d'être démobilisé. Fort de son année à Metz affecté par l'Armée comme administrateur séquestre de la Reichsbank, l'employé subalterne de 1914 peut désormais être nommé directeur de la Banque de France à Rambouillet. Le retour à la vie civile est pour Louis une vraie réussite ; il est désormais un homme mûr avec une position sociale enviable.
A cette même époque, Geneviève vit toujours chez ses parents, ils sont diminués et bien satisfaits de la présence de leur fille auprès d'eux. Situation qui ne s'éternisera pas, Alice disparaît en août 21 et Fernand la suit en avril 22 sans même atteindre 65 ans.
En juillet suivant, Louis et Geneviève sont mariés et peuvent partir en voyage de noce.
En famille avec Jeanne, Denise et Henry Debré
Il est facile de mesurer la progression professionnelle de Louis en fonction de la population de la ville où il est nommé. Après Rambouillet et Senlis, petites villes avec une population de quelques milliers, Chambéry est une ville d'importance avec ses 25 000 habitants. C'est une agglomération qui en impose à Louis qui ne peut manquer de la photographier.
Jean et François partageront de nombreuses vacances avec leurs grands cousins et la proximité de Jean et Gilbert durera toute leur vie.
Les Leduc avaient une maison à la Gaude sur les collines au-dessus de Nice, la plage est celle de Cannes
Nouvelle progression pour Louis dont l'activité se déroule désormais dans une ville de 100 000 habitants.
Les jardins de la Fontaine ont fourni l'arrière-plan à la mesure de la célébration familiale ; le cadre de la photo sur les marches est par la suite toujours resté en bonne place dans le salon.
Côte d'argent est lisible sur la photo, mais je n'ai pas su identifier cette plage qui doit se situer entre Bordeaux et Hossegor.
A nouveau une maison Leduc.
Pour la maison, il était entendu qu'elle était la résidence principale de Jeanne, que Denise et Henry y prendraient leur retraite et qu'elle reviendrait à Louis avant de passer à Jean ou François.
Vers 1935, Denise et Henry ont effectué les travaux visibles sur les photos pour se créer une chambre et sa salle de bain. Henry décédera dans cette période et n'en profitera pas.
La famille rend visite aux Ronarc'h qui étaient des amis de Geneviève ; il s'agit sans doute de photos du Strasbourg ou du Montcalm sur lesquels Pierre-Jean Ronarc'h a servi.
Ce dernier s'illustrera par la suite en sortant le Jean Bart de Saint-Nazaire en juin 40 la veille de l'arrivée des Allemands qui voulaient s'en saisir et récit matérialisé pour nous par une pièce (toute petite) enlevée par la suite d'un des canons du Jean Bart et donnée par les Ronarc'h
Nous sommes à la veille de la guerre, Louis vient de prendre sa retraite et il est logique de se rapprocher de Villefranche en venant s'installer à Toulouse, au 4 place Jeanne d'Arc.
La France est désormais en guerre, Louis ne sera pas appelé cette fois et les garçons sont encore des adolescents, deux situations propices à une position d'observateur.
Cette posture sera maintenue jusqu'à la Libération, même si cette photo prise discrètement prouve qu'ils ne pouvaient ignorer ce qui se passait autour d'eux.
Des Allemands se sont présentés un jour à Villefranche avec des billets de logement et il a bien fallu leur faire un peu de place, mais rien n'est allé plus loin que les petits tracas d'une cohabitation et aucun récit, ne serait-ce que d'une conversation ou d'une anecdote, n'est resté dans les mémoires.
Souvenirs de l'occupation d'un dimanche après-midi sur les bords de la Garonne.
Imposante série de chrysanthèmes que Jean monte au cimetière les jours qui précédent la Toussaint ; activité sociale importante pour Jeanne, Louis et Denise qui à la fois n'avaient certainement pas oubliée leur mère et d'autre part devaient maintenir leur rang avec une tombe familiale en bonne place dans l'allée centrale.
Ancrée dans sa mémoire d'enfance, Jean sera toujours fidèle à cette tradition et je l'ai longtemps accompagné pour disposer des pots.
Ni l'un ni l'autre ne consacre à cette époque assez de temps à étudier et leurs parents n'ont jamais pris la mesure de l'insuffisance de leurs résultats. Le Bac sera pour eux impossible à obtenir et ils se lanceront dans la vie sans formation initiale.
Eté 44, libération de Toulouse et même si la guerre se poursuit, c'est très loin de Toulouse.
Jean a 20 ans, il est inscrit à la faculté de Toulouse pour obtenir un certificat le qualifiant pour des fonctions dans l'agriculture. Ensuite ce sera une longue galère dont nous savons peu de choses. Avec le support de Louis, il fera une tentative infructueuse dans un garage, ensuite une autre dans la vente de matériel agricole. Longues années certainement difficiles avant de trouver un emploi stable.
François de son côté, doit faire son service militaire, heureusement la France est désormais en paix. Au retour, il a la sagesse d'accepter l'emploi qui lui est proposé dans une agence bancaire à Lourdes.
Je ne propose aucun souvenir associé à la décapotable de Louis dont je n'ai découvert l'existence qu'à l'occasion du scan des négatifs.
Il est désormais à nouveau possible de se déplacer en France, les photos conservent le souvenir de ces jours heureux en famille. Il n'est jamais question que de passer du temps avec les Leduc en faisant seulement varier les endroits de rencontre.
Jean s'est trouvé à la fois un talent de jardinier et une passion pour le jardin de Villefranche ; il le prendra en charge dans ces années et ne cessera plus.
J'imagine un passage à Lieusaint pour retrouver des cousins Alfroy
François présente Béatrix et Dominique devient le premier enfant de la génération suivante.
Août 1954, Louis est fatigué. Il avait prévu de partir avec quelques amis dans le pays basque, mais Geneviève ne veut pas le voir conduire et il est convenu que Jean servira de chauffeur.
Il fait beau et chaud en cette matinée du 15 août, Louis bavarde sur la place du marché et s'effondre d'un seul coup. Il ne reprendra pas connaissance.
Deux été passent et c'est finalement Jean qui se marie à son tour. Naturellement, les Leduc rappliquent en nombre et les jours qui précèdent le mariage sont à nouveau l'occasion de partager de bons moments.
Jean et François sont désormais dans leurs foyers respectifs, Geneviève fait une place à Jeanne et Denise dans l'appartement de Toulouse, version primitive des cohabitations qui sont si courantes aujourd'hui. Beaucoup de souvenirs commun les rapprochaient même si de temps en temps, l'ambiance était électrique.
Avant de partir, Jean réalise une série de photos de l'appartement de la place Jeanne d'Arc dans lequel la famille venait de passer pas tout à fait 30 ans.
Jeanne, Geneviève et Denise sont désormais à Villefranche à l'année.
Jeanne plus âgée disparaîtra la première.
De son côté, Denise commence doucement à perdre la tête . Une femme de la campagne est employée pour seconder Geneviève qui ne peut, seule, s'en occuper. Cette personne se révèle tout aussi incontrôlable que Denise et il faudra se résoudre à se séparer de l'une et à placer l'autre dans une maison.
Mes souvenirs datent de ces années. Geneviève est désormais, très gênée par des rhumatismes qu'aggravent sa corpulence. Elle ne peut quasiment plus sortir de la maison si ce n'est pour la messe dominicale.
Une dame de compagnie vit avec elle et assure l'intendance. Ses journées se limitent à la télévision qui est entrée très tôt dans la maison, la lecture de magazines, c'est la grande époque de Paris-Match, et les réussites.
Marie-Anne vient faire un ou deux séjours chaque année et finalement, c'est à Villefranche qu'elle finira ses jours, de vieillesse, tout d'un coup.
Les cousins Leduc arrivent alors à Villefranche immédiatement. La veille de l'enterrement, tout le monde est descendu de la chambre où reposait Marie-Anne.
Le diner se prépare, Geneviève (ou sans doute Jean) était allée acheter un vacherin parce que c'était la tradition. Au fait de la même tradition, Claude revient lui aussi avec son vacherin. Dessert en double, c'est amusant, le ton du diner est donné. Plaisir de se retrouver, joie du repas partagé, c'est maintenant un vrai temps en famille animé, bruyant, bien loin de ce que l'on pourrait attendre d'une veillée funèbre.
J'avais une dizaine d'année, je découvrais.
Des repas de famille, Geneviève en présidera bien d'autres, celui de Noël bien sûr, celui de chacune de nos communions, celui du 15 août et bien d'autres encore. Jean avait fait refaire l'abattant d'une table à la forme de l'arrondi d'une autre de façon à pouvoir les mettre bout à bout. La salle à manger pouvait ainsi accueillir 25 convives et il n'y avait donc aucune limite à la convivialité familiale. La cuisine était équipée, le personnel disponible et Geneviève savait composer ses menus. Celui de Noël était immuable : bouchées à la reine, dinde aux marrons et vacherin.
Le choix du vin avait été fait par Louis des années auparavant : Châteauneuf du pape du domaine de Beaurenard et la réserve qu'il avait laissée était complétée par Jean à chacune de nos naissances .
Geneviève nous a légué une référence que nous utilisons toujours entre nous pour évaluer la réussite d'un repas sous la forme d'un c'était comme à Villefranche.
Le réveillon de Noël avait aussi son cérémonial ; en rentrant de la messe de Minuit, on pouvait s'aseseoir autour de la table du petit bureau avec les jolies tasses roses en porcelaine de Chine, un bol avec du chocolat que l'on avait fait cuire dans le lait et une brioche. C'était simple, c'était bon et d'ailleurs, nous procédons encore ainsi.
Geneviève tenait aussi au petit-déjeuner familial. Ainsi, le matin, tout le monde savait que nous avions rendez-vous pour commencer la journée autour d'une même table. On s'attendait, le lait et le café arrivaient sur la table, Geneviève imposait sa bienveillance et son goût des bonnes choses, chacun passait alors un bon moment sa tartine à la main. J'ai été à une bonne école, j'ai apporté ma petite touche en allant chercher du pain frais et nous perpétuons toujours cette heureuse pratique.
Ce soir-là, en montant te coucher, comme à ton habitude, tu as repris ton souffle sur le banc installé par Jean sur le palier de l'escalier.
Tu ne t'es jamais relevé.
Hubert, 2019