Journal 1914 Mise à jour avril 2019
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Nous savons :

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Carnet appartenant au Lieutenant d’État-major de Langautier, à remettre à Mme de Langautier, Villefranche de Lauragais, Haute Garonne.

Les pages suivantes correspondent à une lecture en commençant par la fin du carnet.

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1er août – Depuis 8 jours j’ai la conviction absolue de la guerre inévitable. Rentré de congés à Sète, le 31 juillet, je trouve une population affolée qui dans la journée du 31 retire 300 000 écus de la banque. Le lendemain, même affolement, mais l’on ne donne que des petites coupures de 5 et de 20. Toute la journée du 1er je travaille dans l’énervement dans l’attente de l’ordre de mobilisation et je me livre sans entrain à la confection du journal. Enfin vers 3h ½ je vais à la gare prendre des nouvelles. J’y aperçois les grandes affiches blanches de la mobilisation ; le 1er jour commence à minuit. Je prends le train de 7h 10 du soir chercher mon harnachement, embrasser les miens et je cœur content, joyeux même, après une nuit de veille à prendre mes dernières dispositions, je repars à 11h 00 du matin. Train bondé.

À Castelnaudary, je trouve mon futur collègue Cave qui monte dans mon compartiment et pour nous distraire, assis sur nos cantines ou des selles d’ordonnance, nous faisons un bridge.

Calme des populations. À 9h je suis à Sète et après un déjeuner hâtif pris chez les Paris, mon directeur, je rejoins le 16e C.A. à Montpellier.

2 août – Dimanche 1er jour de la mobilisation. Je suis fixé sur mes futures fonctions. Je reste au Q.G. du C.A. où je remplis les délicates fonctions de chef du courrier. Beaucoup de responsabilités mais de l’initiative. Et je me mets à la besogne pour être à la hauteur de ma tâche.

3-4-5 août – Organisation des éléments du C.A. qui arrivant de tous côtés ont de la difficulté à se souder ensemble. Je me commande en hâte des vêtements pratiques pour faire campagne et le 6 au matin à 10h30 embarqués à la gare d’arènes nous nous dirigeons sur Is sur Lille.

Mirecourt

Nous arrivons en pleine nuit à Mirecourt. Le débarquement se fait en ordre malgré la pluie battante et nous nous installons aussitôt au Q.G.. Je suis de service et je couche sur un matelas par terre. Nos éléments combattants débarquent peu à peu, et au fur et à mesure on les envoie au front.

Les nouvelles sont vagues et imprécises. L’armée qui est à Neufchâteau nous avertit que nos troupes sont au contact avec nos troupes vers Avricourt – Blamont où se trouvent des DC

9 août – Les gens de Mirecourt comme du reste tous les gens des campagnes environnants sont calmes. Aujourd’hui dimanche, les gens endimanchés vont à la messe et vaquent à leurs affaires. L’on ne croirait jamais que nous sommes en guerre et l’on a encore l’impression d’être en grandes manœuvres.

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10 août – Je prends de plus en plus en main la section du courrier et j’y mets un peu d’ordre dans le travail ça se tasse et je commence à être du métier. J’ai passé une nuit blanche à expédier des ordres de mouvement tardifs et comme récompense l’on m’envoie en agent de liaison avec le 8e corps qui est aux prises avec l’ennemi au-delà de la forêt de charmes ; vers moyen. Le pays très boisé et mamelonné est verdoyant. il fait beau et chaud, à peine de temps à autre en traversant en auto certains villages l’on rencontre des troupes cantonnées qui vous rappellent que l’on est en guerre, car la campagne est paisible et dans les champs les paysans continuent à se livrer à leurs cultures. Je fais une randonnée de 100 km environ et je ne rapporte que peu de renseignements sur les attaques ennemies qui sont encore assez faibles.

Demain nous nous portons en avant vers Bayon.

11 août – Journée terriblement chaude et les fantassins tombent comme des mouches le long des routes. Nous faisons l’étape à rude allure avec l’E.M., moi servant d’éclaireur. Joli pays sur les bords de la Moselle et point de vue sur la Lorraine. Arrivé à l’étape je suis de service et je reste toute la journée à transmettre les nouvelles de la frontière, et l’on parle de Blamont incendié et de vigoureuses attaques allemandes avec artillerie et cavalerie en avant de Lunéville. Aussi demain matin dès 3h nous partons en avant et transportons notre Q.G. à Lunéville. Je rejoindrais en auto vers 10 heures. Assurément demain pour la première fois je vais entendre la grosse voix du canon – et peut-être voir des casques à pointes.

12 août – Le Q.G. du C.A. est parti ce matin à 4h pour Lunéville et je reste seul de permanence jusqu’à 10 heures. Le Q.G. ayant été installé ici dans une maison particulière entouré d’un jardin, je prends le frais tranquillement en fumant une pipe. L’on dit de tous côtés avoir entendu le canon depuis plusieurs jours du côté de Lunéville mais jusqu’à présent je n’ai rien entendu. Je voulais envoyer un télégramme n’ayant pas de nouvelles depuis plusieurs jours, mais par ordre de l’Armée, l’on ne reçoit plus aucune dépêche particulière et les lettres arrivent mal. C’est là le côté le plus désagréable de la guerre et l’on comprend pourtant que ces mesures soient nécessaires. Avant de partir, j’entends quelques coups de canon lointains et très sourds. C’est le fort de Manonviller qui tire sur la forêt de Parroy au nord qui est occupée par les Allemands.

Enfin, à 10 heures, je pars rejoindre le C.A..

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Cela se corse du côté tout le long de la route pendant près de 20 km. Je rencontre des troupes d’infanterie et artilleries avec leurs… C’est le reste du C.A. qui finit sa marche en avant et sa concentration autour de Lunéville. Il fait très chaud et très beau et les belles prairies grasses et verdoyantes ont d’autant plus d’attrait que le soleil en fait ressortir la couleur reposante. Nous savons notre Q.G. au château de Stanislas, magnifique construction avec beaucoup d’allure, avec un très beau parc sur le derrière. C’est là que se trouve dans l’aile que nous occupons le cercle militaire.

Je profite de ma liberté pour aller à la Banque voir le chef de bureau X… L’on n’entend ni fusillade ni canon et l’attaque a complétement cessé. Ils semblent nous attendre. Dans la journée l’on rapporte à L… les blessés dans les combats des avants postes, couchés sur des matelas posés sur des voitures de réquisition. Je touche les premiers trophées faits par la cavalerie – une lance et un casque.

Histoire de gosse de 15 ans arrêté avec un fusil et une cartouchière et qui avait fait le feu aux avants postes.

Je couche chez un… Duck chapelier Grande Rue et le soir je prends un verre de mirabelle en famille. Le fils et les deux gendres sont sur la frontière. La chambre est bonne où par un excellent sommeil jusqu’à 6h je répare mes forces.

13 août – Nuit calme sans alerte, rien de nouveau et pas de nouvelles sensationnelles, mais pas de lettres.

Pas de canonnade, il fait beau, la ville est calme. Promenade matinale dans le parc du château jusqu’au terrain de manœuvre. Les allemands semblent attendre retranchés dit-on dans le bois de la forêt de Parroy.

À la fin de l’après-midi grande réunion… chefs de corps du C.A.. Le Général leur pique un petit laïus et leur donne rendez-vous à Strasbourg.

Vers 7 heures, les ordres paraissent. Décidément, c’est demain la grande marche en avant. Tout est prêt mais à 11 heures ½ le capitaine de Witt… revient de l’Armée qui critique la marche d’une colonne et l’on travaille toute la nuit pour modifier l’ordre de marche d’une division. Nos troupes vont s’avancer en deux colonnes. La colonne nord et la colonne sur qui aboutissent dans la région de Moussey – Igney avec Avricourt au centre. À sa droite, soutenu par la 8e de la 1re Armée et à gauche le 15e C.A..

14 août – Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit et beaucoup d’officiers comme moi. Le capitaine Ruinat, de Ramfort est envoyé en mission. Ce contre ordre donné tardivement et avec beaucoup de difficultés pour nous, créera sans doute des erreurs. Moi, je rentre à la permanence jusqu’à nouvel ordre. Au petit jour, départ de l’E.M. sans bruit et je reste seul avec des secrétaires perdus dans le grand château. Je ne peux guère dormir car je suis souvent dérangé. Il fait beau et je n’entends pas de fusillade et peu de canonnade. Cette situation d’attente de nouvelles est énervante. Un aéro passe sur la frontière et dans la brume du matin, je ne sais s’il est français ou allemand.

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Il est 8 heures ½ et je ne sais rien de notre action. Un coup de téléphone du maire d’Emberménil m’avertit qu’il craint que les allemands ne brûlent son village. Je le rassure et c’est le calme plat. Les régiments défilent à travers la ville sans bruit. il fait très beau.

L’on ne sait rien toute la journée, j’essaie de dormir mais je suis appelé de tous côtés et je ne puis avoir une heure de repos tranquille. Tant pis.

À 15 heures, enfin je reçois de l’Armée un message qui dit que nous couchons sur nos positions pour la Laneuveville-aux-Bois. Je pars dans l’auto du payeur et je vais dans la direction de l’ennemi en bordure de la forêt de Parroy.

Coups de feu sur aéroplane. Panique chez nos secrétaires qui parlent d’une contre-attaque ennemie et qui sont là à attendre sur la route, pâles et affolés. Je passe devant et ils me suivent.

Laneuveville, petit village encombré de troupes. Q.G. au quartier général, je couche chez le curé, réveil à 2 heures ½ car l’on part à 3 heures. L’attaque devant commencer au petit jour.

15 août – samedi – Brouillard froid. Le colonel m’envoie agent de liaison au 8e corps auprès du Général de Castelli lui dire que notre mouvement en avant est retardé par suite de notre consolidation au signal de la xousse.

Joseph de Castelli (1856-1933) : 24 avril 1914 – commandant du 8e Corps d’Armée, 14 octobre 1914 – mis en disponibilité, 18 novembre 1914 – placé dans la section de réserve.

Pour la première fois je vois les effets de la guerre. Maisons brûlées, habitants menacés du revolver. J’apprends que Blamont a été pris dans la nuit, et notre contre-attaque s’annonce bien. Notre artillerie bat le bois des Prêtres fortement fortifié et où l’infanterie s’épuisait en vain, et quelques instants après le feu cesse et nous établissons notre Q.G. à Domèvre. Enfin, à 15 heures nous entrons dans Blamont, gros bourg saccagé, coups de fusils dans les fenêtres, maisons pillées, trois habitants fusillés, tableau affiche de mobilisation trouvée éclaboussé de sang. Défense à sa fille à toucher à son père après l’avoir vu fusiller. Je rentre en auto sous la pluie et à la nuit tombante. C’est moi qui suis de service. La situation du 16 toujours la même. La 31e division devant le bois de la Garenne, la veille mon camarade Cave subit le feu de l’artillerie avec le lieutenant Wary et le Général vidal.

Beaucoup de difficultés à faire porter les ordres à cause du mauvais temps. Je dors à peine trois heures d’un profond sommeil, par terre dans de la paille.

16 août – dimanche – de permanence ce matin, je giberne et fais un brin de toilette. Larmes aux yeux en recevant la 1ère lettre. Nous n’entendons pas un coup de canon et l’on se demande si nos troupes reculent ou si elles attendent devant le bois de la Garenne. Enfin, vers trois heures nous apprenons que le Q.G. va à Moussey en Lorraine à essexé. Nous voici en Allemagne où nous coucherons ce soir.

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Nous traversons le terrain de la bataille devant le bois de la Garenne qui a été arrosé par les obus ennemis. L’on voit de grands trous en forme d’entonnoirs, les moissons piétinées. Au bord de la route, on enterre une vingtaine de morts aux membres crispés et raides dans des attitudes de souffrance. Quelques pelles de terre, une croix de bois et voilà leur dernière demeure, loin des leurs, dans l’anonymat du sacrifice de leur vie Le pays est couvert d’artillerie. L’infanterie est bien au-delà de Moussey à la poursuite de l’Allemand qui a lâché pied sans combat. L’on est anxieux et l’on se demande si cette retraite précipitée ne cache pas un guet-apens.

Je fais seul la route à cheval avec le lieutenant Dupré. Accueil réservé de la population. Grande affluence de troupes, bousculade, cris. Il pleut, je suis éreinté et il me tarde de manger et d’aller dormir. Nous couchons à trois dans la même maison. Lits et ameublement de paysans simples. L’on a arrêté trois espions qui étaient surveillés. Nuit noire dans le village. Accueil peu enthousiaste, village frontière, surveillé par indigènes allemands importés.

Maizières

17 août – Réveil 5 heures, je pars en avant vers Maizières pour y faire le cantonnement. Il peut, on patauge dans la boue, nous logeons au château, vielle demeure avec un grand parc. Cette habitation qui appartient au chef de la frontière militaire allemande est complètement évacué et laissé à la garde du gérant. Je suis de garde et je couche au poste. J’ai relégué le maire chez lui et condamné une des chambres voisines de l’E.M.. J’ai bien fait, car, plus que suspect, le lendemain on l’a arrêté pour rupture de lignes dans son village.

18 août – Le lendemain, nous repartons pour Azoudange, tout petit village lorrain. Q.G. à la mairie. Le temps se remet au beau, tant mieux. Toute la journée, l’on entend la canonnade et l’on dit que le 31e division a de la peine à déboucher de la région des lacs par Rorbach-lès-Dieuze et Loudrefing. La grosse artillerie des Allemands nous tient en échec et dès que nous sortons des bois qui sont très exactement repérés, nous sommes étrillés. Notre artillerie légère a peu de prix à cause de l’éloignement de l’ennemi (10 km environ). Dans la nuit, mauvaises nouvelles, l’on dit que la brigade d’infanterie a fortement écopé, l’on parle d’un colonel tué et de 1 500 hommes tués ou blessés. Cela me semble exagéré. Mais l’on envoie des ordres en conséquence pour forcer cette position avec de l’artillerie lourde.

19 août – Le réveil qui ne devait avoir lieu qu’à 5 heures est avancé de 2 heures et l’on part à 3 heures ½, au petit jour. Brouillard, belle journée, nous allons vers Languimberg et Desseling. Je revois sur la route les autobus Madeleine-Bastille qui portent les ravitaillements en viande fraiche. Le colon me renvoie à Azoudange pour servir de liaison avec l’Armée.

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Ligne coupée par notre cavalerie. Besoin de prendre des mesures très sévères vis-à-vis de la population civile qui coupe la ligne sur nos derrières. L’on a arrêté hier trois maires, je ne sais rien de ce qu’on leur a dit.

Jusqu’à 10 heures, rien de nouveau. J’allais déjeuner quand je reçois par A. un message téléphoné demandant l’usage de l’artillerie lourde. Prends auto et vais à Maizières-lès-Vic. L’artillerie lourde enlevée au 15 revient au 15. Je porte l’ordre jusqu’à Angviller-lès-Bisping avec bulletin des opérations indiquant que la 15 progresse au-delà de Dieuze vers Vergaville, Bourgaltroff et Bidestroff. Les chasseurs alpins ont progressé jusqu’à Zommange. À midi je vais à Bisping – troupes – pleine bataille – coups de canon allemands fortifiés sur Domnom-lès-Dieuze et Lostroff. Nombreux blessés – colonel et officiers tués à la lisière des bois au nord-est de Rorbach. Points repérés par artillerie allemande et infanterie dissimulée derrière abatis avec silhouette.

Meunier me renvoie à Azoudange. J’arrête ordre pour colonne légère que je devais faire téléphoner.

Voiture réquisitionnée 250 au lieu de 500. Après-midi dans l’attente. Le Q.G. scindé en deux, le 1er échelon à Bisping, le second échelon à Azoudange où je dois passer la nuit. Beau temps. Le curé est le représentant de la mairie – intelligent, jeune – apercevons plusieurs biplans français nous survolant.

Cinq heures – circulaire armée au sujet garde ligne téléphonique par les habitants. Discussion avec le curé à ce sujet et au sujet désordre des armoires de livres, papiers et photos déchirées. J’apaise tout au milieu attroupement troupiers et officiers. Le curé m’explique le pourquoi du peu de patriotisme des paysans. D’abord, leur esprit uniquement préoccupé de leurs intérêts, ensuite attitude de la France qui semblait se désintéresser de la Lorraine. Enfin, interdiction de leur donner des leçons de patriotisme. Je me couche à 9 heures, situation inchangée sur la ligne de bataille où l’action doit recommencer à 5 heures.

Le lieutenant Malphette de la DA revient racontant qu’il avait trouvé de la fusillade et des coups de canon à Desseling. Cela m’étonne dis-je !

20 août – Les bruits courent que nous nous sommes repliés de Bisping devant une contre-attaque allemande. Je ne sais rien et attends les ordres toute la matinée. Pourtant les territoriaux sont repliés, le train de vivre aussi, etc., etc.

Vers 9 heures, j’enterre un soldat du 142 sur lequel je ne trouve aucune pièce d’identité. Heureusement pour les blessés qu’il fait beau.

Midi, l’Armée donne l’ordre aux territoriaux et convois de se replier sur Moussey et c’est un défilé interminable de voitures. Je ne sais aucune nouvelle et le bruit de la canonnade continue au loin. Vers 3 heures, la ligne est coupée avec Desseling ; nous ne savons rien depuis le matin, l’anxiété croit. Je prends sur moi de faire atteler le 2e échelon et au même instant arrive Dupré qui nous dit que nous nous replions jusqu’à Moussey.

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Il me laisse à la permanence avec les autos pour attendre le général. La canonnade se rapproche et bientôt nous voyons les obus ennemis éclater sur les crêtes environnantes. Quelques instants plus tard les obus éclatent sur le village, nous nous replions vers le centre. Puis les obus nous poursuivant nous continuons jusqu’à la gare d’Azoudange et enfin jusqu’à l’entrée de Maizières où le général nous retrouve. Nous battons en retrait dans un désordre effrayant et dans un chaos de fantassins, de voitures et d’artillerie. J’ai pour mission avec Ducani de rester en arrière et de réunir et diriger les divers éléments du C.A. La nuit arrive et la retraite continue. Tellement toute les troupes sont lasses et démoralisées que je crains la débâcle et la panique. Mais l’ennemi, fatigué sans doute, ou par crainte, ne nous poursuit pas, et vers 11 heures du soir je rejoins en auto Moussey où nous devons cantonner. Je dors tout habillé sur la paille dans le Q.G.. Il est 1 heures, je m’endors car le réveil est à 3 heures et l’on peut redouter une alerte.

21 août – Le matin, dans la brume, nos troupes se retirent. Les convois sont passés dans la nuit. Je donne des ordres à l’arrière garde pour la garde des ponts du canal.

Nous repassons la frontière, exode des habitants sur des charrettes des fermes. Femmes et enfants, vieillards fuient l’invasion. Spectacle pénible.

Après une halte à Laneuveville-aux-bois, nous arrivons à midi à Lunéville. Je suis de service. Le soir… pas d’ordre de ravitaillement. Je le sollicite et c’est la section du courrier qui le fait. Je m’endors à 1 heures, souvent réveillé par des nouvelles sur l’ennemi. Aucun ordre de mouvement n’est donné pour le lendemain et l’on voudrait donne du repos aux hommes.

22 août – Mais la canonnade reprend de bonne heure et gagne de proche en proche. L’on est prêt à évacuer, l’on détruit les téléphones. Un peu d’affolement car l’on n’avait pas prévu une attaque. Le Q.G. s’éloigne à 1 heures en direction de Bayon. À quelques kilomètres halte, puis sur de bonnes nouvelles d’une contre-attaque de 31e, l’on revient à Lunéville d’où l’on repart vers 3 heures ½. La population civile encombre les routes en s’enfuyant. Poste de combat à x… La canonnade continue et l’on donne ordre écrit à Vidal de battre en retraite.

Notre artillerie ne donne pas assez en masse et se tait chaque fois devant le feu ennemi, n’étant pas en nombre. Lunéville brûle dans la nuit et le bombardement continue toute la nuit. Cantonnement à Bayon. L’on décide de se retrancher sur les lignes de la Moselle. Nuit tranquille au château du général Lyautey.

23 août – Les Allemands nous laissent du répit et toute la journée l’on n’entends pas un coup de canon. Nous en profitons pour nous ravitailler et nous retrancher. Je passe ma journée à Crantenoy où je dirige sur Vaudeville els TR et RC. Rencontre Alazay. Je rentre à 7 heures et reprends service de nuit.

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En arrivant, je trouve une carte postale de Villefranche me donnant de bonnes nouvelles mais disant que l’on n’en a aucune. J’envoie un télé par Firmin. Je tombe de sommeil et vers 9 heures ½ je m’endors 3 heures. Cela me retape et je cours toute la nuit pour apporter ordres au chef E.M. qui donne contre ordre pour ravitaillement. L’on a adopté ma proposition d’agents de liaison des différents corps qui couchent au Q.G. et cela facilite ma tâche de transmission des ordres. L’on s’attend à une attaque dans la nuit. Au matin, brume intense. Je m’endors à 3 heures.

24 août – Rien arrivé au réveil à 5 heures. Il fait presque froid. Tout est silence. Le calme semble revenir et la confiance aussi. L’on nous a détaché 3 aviateurs qui avouent eux-mêmes leur infériorité : moteurs trop faibles les empêchant de s’envoler rapidement ; pas de silencieux ; pas de fusées signal – souvent pas d’observateurs à bord à cause de la faiblesse des moteurs, mais ils se montrent sur la ligne de feu et cela encourage les troupes. Nous sommes fortement et habilement retranchés. La canonnade recommence vers 12 heures. Les renseignements sont bons et quoique prêts à partir, nous attendons avec confiance. Le canon au loin ressemble à un orage de grêle. Je dors un peu. À 4 heures, tout va bien, la canonnade a cessé et les Allemands avoir reculé. Journée splendide, agréable verger derrière la maison face aux champs de bataille, mais l’on ne voit rien de la bataille à cause de la crête qui est devant Bayon. Pourtant, vers 16 heures, l’on entend le canon au 8e corps qui attaque à droite au-delà de Bourville et l’on voit des obus éclater au fond sur les crêtes. Gerbéviller brûle au lointain derrière la forêt. Le soir revient tranquille.

25 août – Réveil 3 heures ½, dans la nuit, les chefs des corps voisins sont venus décider la grande offensive d’aujourd’hui. À gauche 20e, au centre 16e avec D.I. du 15e et 14e à droite 8e et 13e. Nous sommes pleins de confiance. Le soleil se lève légèrement. Voilà, nous partons en auto au poste de commandement. Côte 351 et vers 5 heures, nos batteries ouvrent le feu.

Certains corps assez éprouvés attaquent mollement, pourtant l’artillerie fortement stimulée bombarde tout le front. C’est la grande bataille et c’est un tintamarre inimaginable. Nos avions circulent sur nos lignes. Les ordres se multiplient.

Fusillade d’un espion surpris à couper nos lignes. Vers midi, nous ne progressons guère sur… et au contraire une contre-attaque avec grosse artillerie attaquant du côté de Charmois. Deux heures d’incertitude, certains régiments se replient sur Bremoncourt en désordre. Mais sur l’ensemble nous résistons. Enfin à 16 heures ordre Armée, ennemi se retire, suprême effort, galvaniser hommes, attaque sur toute la ligne. Le 20e a fortement gagné sur Lunéville.

- 17 heures, l’on n’entend plus le canon, l’artillerie se porte en avant à la poursuite des fuyards. Le Q.G. reste à Bayon et les régiments restent sur leurs positions.

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Toute la nuit l’on téléphone pour demander des secours sanitaires, car il y a beaucoup de blessés et de tués.

Clayeures

26 août – Le lendemain le P.C. est porté vers Rozelieures puis ensuite à Clayeures où je le retrouve vers midi. Les allemands résistent et leur retraite ne semble pas avoir été une débandade car ils défendent encore leurs positions. La bataille recommence. L’on nous envoie 6 bataillons de réserve pour nous renforcer et aussitôt débarqués, ces éléments se dirigent vers Einvaux – Méhoncourt. Je vais sur le champ de bataille et vois beaucoup de morts. Jusqu’au bord de la route où ils sont mêlés aux troupes qui se reposent. Notre artillerie a fait merveille. Rozelieures complétement détruit, dévasté par les obus. Beaucoup d’Allemands sont morts, à tel point que l’on attend deux compagnies du 89e pour les ensevelir. La bataille continue et les Allemands occupent les positions autour de Gerbéviller que l’on canonne. Des obus éclatent sur la crête près de Clayeures. Je rentre à la permanence à Bayon et je dois y rester jusqu’à nouvel ordre. Je ne sais rien, sinon que le P.C. reste à Clayeures. Je vais pouvoir passer la nuit tranquille. Bayon regorge de blessés que l’on évacue par des autos sur… De même, nous avons une quarantaine de prisonniers allemands.

27 août – Nuit troublée par officier de l’E.M. de l’Armée qui n’a pas trouvé dans la nuit le Q.G. à Clayeures. L’ordre d’opérations porte que nous restons sur place et que nous nous y retranchons. Je crois que les allemands sont en critique situation et il me tarde des nouvelles sur les mouvements des corps voisins, renseignements très difficiles à savoir et à coordonner. Étant à la permanence, je prends sur moi d’envoyer à Rozelieures la seconde compagnie pour relever les morts et je pousse jusque-là le convoi automobile qui les apporte.

Je rejoins le Q.G. à Clayeures. Porte des ordres à Remenoville. Obus qui sifflent sur le village. La canonnade continue timidement. Nous ramassons les morts et nous nous reposons en fortifiant nos positions. Il reste surtout dans les bois des quantités de cadavres qui empuantent l’air. Cadavres d’hommes et de chevaux et l’on n’a rien ni goudron ni essence pour les brûler. Les ordres pour demain, c’est la continuation du mouvement en avant sur la Mortagne.

28 août – À 6 heures, la canonnade reprend. Le temps est à la pluie, triste et froid et n’ayant rien en pour me couvrir, j’ai eu froid sur mon matelas de garde. Je reste à la permanence et le P.C. va à Moriviller. Le canon fait un bruit sourd et continu toute la journée. Les réserves arrivent et sont de suite dirigées vers le champ de bataille. Je revois de Rodez, sergent au 81e. Le frère de de Castelnau, fils du général, accompagné d’un officier d’E.M. recherche son frère blessé à Remenoville a-t-on dit. Il n’a aucun renseignement malgré ses recherches. Il a déjà eu un frère tué à Bisping. Dans l’après-midi, mauvaise situation du 8e qui demande renfort. Impossible de rien lui donner car nous-mêmes nos régiments mal encadrés n’offrent aucune résistance et se débandent sur l’arrière au premier coup de canon.

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L’ordre de l’Armée est pourtant d’une marche en avant, mais je crains que lorsque le général ne rentre, ce soit plutôt un ordre de retraite qu’on élabore.

La nécessité de faire de nombreux exemples se fait sentir de plus en plus.

Six heures, le Q.G. reste à Clayeures, nous attendons l’E.M. qui n’est pas rentré encore et la nuit tombe. Le bruit du canon a cessé. Un aéroplane allemand a visité nos lignes.

J’ai reçu de bonnes nouvelles datées du 23 août et l’on sait où nous opérons.

24 août – Repos jusqu’à midi, l’attaque ne devant commencer qu’à cette heure-là. Cela pour éviter la contre-attaque du soir arrivant sur des troupes fatiguées. Nous partons pour le poste de commandement à Moriviller, mais à 500 mètres du village un obus à la mélinite tombe sur des fantassins et artilleurs à 100 mètres de nous. Débandade et sauve qui peut. Le général s’arrête et nous rameutons les hommes du 56e et du 53e. Puis quand la canonnade semble s’arrêter ¼ d’heure plus tard, nous repartons en avant et arrivons sans encombre au poste de commandement. La vingtaine d’obus a tué trois hommes que nous trouvons couchés sur la route et deux autres blessés dont un officier. Il fait très beau. La canonnade est furieuse sur la position de Fraimbois où sont signalés des obusiers allemands. L’infanterie progresse lentement et gagne les bords de la Mortagne.

Le combat se termine à la nuit et l’on aperçoit parfaitement les lueurs des pièces allemandes. Nos troupes couchent sur leurs positions qu’elles ont ordre de protéger et de fortifier. Le Q.G. reste à Clayeures.

30 août – Je reste à la permanence. L’attaque doit recommencer sur toute la ligne au lever du jour. Comme tous les matins, du brouillard. J’ai pigé un fort rhume mais à la guerre se sont des choses qui ne comptent guère. La journée s’écoule paisiblement pour moi. L’on s’est enfin emparé de Fraimbois et l’on a pris de nombreux obus d’artillerie lourde aux Allemands. Un obus éclate au poste de commandement de la 31e et tue un cycliste et blesse l’interprète Frisch à Moriviller.

Le soir, l’E.M. rentre à la nuit et a décidé du repos pour demain.

31 août – Réveillé à 3 heures par une contre-attaque allemande de nuit. Préparatifs de repliements. Mais l’heure après, tout rentre dans l’ordre et je rendors jusqu’à 6 heures où couchant dans la salle à manger avec Caze sur un matelas nous sommes réveillés par le général. Le commandant Dupré me dit que le général est satisfait de mes services. Aucun mouvement du Q.G., par conséquent repos, saut pour moi et les bureaux qui expédient les affaires courantes. Vers 2 heures, Meunier m’envoie sur la ligne de feu vers Seranville et la ferme de la Hongrie rejoindre le 2e bataillon de chasseurs. Le motocycliste porteur de l’ordre n’étant pas revenu. Un peu de retard dans les préparatifs. Le porteur revient, contrordre, je ne pars pas. La situation reste stationnaire, les hommes n’ayant plus beaucoup d’offensives, dépression physique et morale. L’on se retranche de part et d’autre sur toute la ligne.

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Les prisonniers nettoient chaque matin le Q.G. et sont très heureux de leur situation.

1er septembre – Clayeures. Rien de nouveau cette nuit. Demain nous continuons à attendre l’ennemi en nous retranchant davantage. C’est à droite le 8e et à gauche le 15e et le 20e qui vont s’efforcer de repousser les Allemands au-delà de leurs positions. Aussi la journée est calme et c’est à peine si tout au loin, vers Lunéville l’on entend le canon. Par contre, nous commençons à mieux concevoir notre rôle de guerrier. Nous rendons responsables les villages de la destruction de nos fils, nous faisons garder les clochers avec défense de sonner les cloches, nous arrêtons tous les civils qui circulent dans nos lignes et nous brisons leurs bicyclettes. À la fin de la guerre, nous saurons ce que c’est que faire campagne. Voilà un mois de mobilisation dont 20 jours de combat. L’Allemand a fourni son principal effort contre nous et le résultat n’est pas décisif. En 1870, il allait y avoir déjà Sedan. Et pendant ce temps, les Russes envahissent leur pays. Les cosaques menacent Berlin où ils seront dans quelques jours. Notre rôle unique n’est plus l’offensive mais résister sur place jusqu’au bout. Ce n’est plus une question de jours pour l’Allemagne et dans un mois, le gros des résultats obtenus permettrons de juger de l’issue finale de cette bataille gigantesque. Le beau temps continue.

2 septembre – Clayeures, même situation, quelques défaillances, commandant Wolff 36e… fusillé. Mutilés volontaires, coups de fusils au doigt. Je revois le rapport d’un médecin constatant le suicide d’un conducteur d’artillerie. L’on fait un grand mouvement secret que tout le monde ignore. Journée tranquille. L’on s’organise pour rester longtemps. Plan du cantonnement, lits pour l’E.M..

3 septembre – La 74e s’est glissée derrière nous et nous-mêmes nous repartons demain pour Bayon pour la 3e fois. P.C. de Belchamps, nous recevons de l’artillerie lourde – 120 courts. Que se passe-t-il dans le nord ? Aucun bruit de canon. Nous nous organisons dans la maison de campagne. Belle vue, beau temps.… qui organise le champ de bataille. Nombreuses nominations pour boucher les trous. Le 15e vers Vézelise de l’interprète de la 74e DR : ceux de nos détachements qui ont les nuits dernières occupé les tranchées de l’autre côté de la Mortagne disent qu’on entendait toute la nuit travailler, abattre des arbres, crier des commandements dans les bois. L’artillerie allemande tirait sur nos tranchées mais pas l’infanterie. Notre sorte de trêve permettait aux corvées des deux camps de circuler en sécurité à 2 ou 300 mètres les unes des autres.

Se méfier des feintes, une voix à crié à plusieurs reprises des tranchées allemandes à moi, au secours avec un fort accent germanique.

La 74e occupe le sud de la forêt de Vitrimont et se rattache à la 32e vers Landécourt. Journée normale et les bureaux fonctionnent à Belchamp. Beaucoup de travail pour moi qui suis seul à la section du courrier.

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Le soir, vers 9 heures, j’ai repris la liaison du téléphone. Coups de canon, fusillades vers Lunéville qui contrastent avec la tranquillité de la belle nuit et du beau clair de lune de Belchamp.

3 septembre – Alerte à 1 heures. Je téléphone que la canonnade a cessé depuis 10 heures et cela évite un déplacement du Q.G.. Rehainviller a été enlevé à la 74e pendant cette nuit et ils ont ordre de la reprendre. Je rentre à Bayon me reposer. Beau parc au Gauthier – château en carton-pâte. Q.G. chez un habitant sur le mur duquel il y a froussard et fuyard . Il est en Suisse et pourrait pourtant être à la frontière. Aujourd’hui, la canonnade est active et aussitôt l’on voit parmi ces services de l’arrière qui paraissent plutôt en manœuvre qu’en guerre des figures inquiètes de gens qui se sentent trop près du canon. L’on a reculé légèrement dit-on (histoire des 300 allemands prisonniers) à Lanceth. Deux français égarés sont pris par les Allemands, questionnés ils répondent que les Français ont des égards pour les prisonniers et ne les fusillent pas – chargé d’être l’agent de transmission pour reddition – et les Allemands se rendent.

6 septembre – Nous avons hier soir réoccupé nos positions après avoir tué beaucoup d’Allemands dans leur attaque d’avant-hier soir. Nous reprenons du poil de la bête. Nous allons à Belchamps où nous passons une journée très calme. À partir de 7 heures le général qui a fait le tour des cantonnements a donné 15 jours d’arrêts à un colonel pour désordre dans ses troupes. De plus, un décret rétablit les cours martiales. Le général a déféré au conseil de guerre deux cyclistes pour abandon de poste. Toutes ces mesures sont un peu tardives et il a plus de 15 jours que je les réclame et les désire.

Le soir vers 5 heures, la canonnade reprend, vive, du côté de Mortagne et du bois de Ma. Je passe ma nuit à Belchamps. Que se passe-t-il dans le nord d’où nous ne savons presque rien. Les Allemands laissent Paris à leur droite, que cherchent-ils ? Un enveloppement comme à Sedan ? Le gouvernement depuis avant-hier est à Bordeaux et cette nouvelle ne nous émeut guère.

Amabilité de M. Maurier qui nous envoie des victuailles et du tabac ? Félicitations pour cette belle défense à Taverna et à son 16e - Commandant Dosse.

Bayon

7 septembre – Bayon – Un soleil radieux me réveille à 5 heures ? La situation est très bonne vers Trainbois d’où les Allemands semblent s’être retirés. L’on entend le canon très loin vers le nord de Nancy.

Le 20e a repoussé les Allemands, chez nous la situation reste inchangée.

8 septembre – Bonnes nouvelles officielles de l’Armée et il semblerait que l’on déborde l’aile gauche à Clermande. Coup de téléphone à Dosse Famille va bien, nuit bonne, matinée excellente. À Verdun une cuisinière est prise. Un aviateur allemand laisse tomber dans nos lignes un Fleiger Meldung noir blanc rouge nous annonçant que le grand fort de Manonviller est pris et que leur canon Krupp ne faisait pas d’aussi mauvaise besogne que nous nous plaisions à le dire.

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Que les soldats de Manonviller avaient dû avoir mail aux dents et les nerfs excités, que Maubeuge avait subi le même sort et ils terminaient en disant – elle est verte celle-là.

Essai dans la matinée des échelles d’observation pour artillerie. Aucun bruit de canonnade à l’exception du côté de Nancy. De ce côté-là la défense du 20e est héroïque. Il résiste à l’effort de deux C.A. au moins et au feu terrible d’une puissante artillerie avec pièces de siège depuis la prise de Manonviller. Les cadres sont décimés et l’on a réduit l’E.M. au minimum pour les remplir. Hier dans la nuit du côté des Champenoux il y a eu 4 attaques à la baïonnette. Feu de l’artillerie allemande très démoralisant mais peu meurtrier. Six bataillons battent en retraite sous feu des canons et infanterie n’a eu que quelques blessés et chevaux tués ! Faire des tranchées étroites parce que l’obus éclate avec un angle obtus et frappe dans le dos. Se coucher quand on entend l’obus siffler.

Le soir, je reprends mon service à Belchamp où je sers de liaison entre les divisions et le corps d’armée. Je couche seul dans cette grande maison où il n’y a plus de portes. Calme dans la campagne, clair de lune.

Attaque générale à 2 heures 30 du 16e, 8e, 13e C.A. sur tout le front.

9 septembre – Je rentre au matin à Bayon. Repos, belle journée. Pas de nouvelles. Correspondance à 3 heures officiellement. Nous apprenons par le général en chef à général corps d’armée :

Situation générale satisfaisante, notre armée de gauche maintient l’ennemi devant elle, l’armée anglaise franchit la Marne pour permettre à cette armée de se porter en avant. Sur tout le reste du front nos forces ont maintenu partout leurs positions pour refouler l’adversaire. Effort offensif sera continué avec toute énergie et rapidité nécessaire. La bataille est engagée dans de bonnes conditions. Elle doit conduire à un résultat décisif. Le général en chef compte que chacun fera plus que son devoir.

C’est bien vague et peu rassurant encore. Voilà de nombreux jours que l’on nous répète la même chose. Il est vrai que le temps combat pour nous.

10 septembre – À 10 heures du matin, attaque générale sur toute la ligne et il semble que nous progressions tant soit peu. Par contre, j’apprends que Nancy a été bombardée cette nuit par des canons à longue portée et je sais qu’une dizaine de maisons ont souffert et que des femmes et des enfants ont été tués ou blessés. Les Allemands font la guerre à la sauvage et furieux de la résistance du 20e sur le Grand Couronné de Nancy, ils bombardent la ville qui est pourtant ville ouverte.

Du reste, ce sont des barbares, ils achèvent les blessés qui ont des objets Allemands. À Gerbéviller, ils ont commis des atrocités – maisons brulées et pillées – enfants tués – vieillards fusillés sans prétexte plausible – femmes violées. Tout cela, attesté par des réfugiés qui passaient à Bayon.

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Admirable conduite des sœurs de l’hôpital de Gerbéviller qui, sous les obus et au milieu du village en flammes, ont continué à soigner les blessés et n’ont pas voulu abandonner leur poste. Elles ont été citées à l’ordre de l’Armée.

11 septembre – Bayon – Je passe ma journée à Bayon – intrigue de Devic contre carrée par Dupré.

Le soir, officiellement le général nous lit l’annonce d’une victoire française. Pas de champagne, il ne veut le boire que lorsqu’il aura un succès dans son corps d’armée. Mais Béziat, notre excellent popotier obtient un repas chaud pour le déjeuner au lieu de notre médiocre repas froid que le général nous imposait depuis notre installation à Belchamp. Enfin nous tenons un réel succès et les visages s’épanouissent, courage et bon espoir.

Voici le message du G.Q.G. :

La bataille qui se livre depuis 5 jours s’achève en une victoire incontestable. La retraite des Ier, IIe et IIIe armées allemandes s’accentue devant notre gauche et notre centre. À son tour, la IVe armée ennemie commence à se replier au nord de Vitry et de Sermaize. Partout, l’ennemi laisse sur place de nombreux blessés et des quantités de munitions, partout on fait des prisonniers. En gagnant du terrain nos troupes constatent des traces de l’intensité de la lutte et de l’importance des moyens mis en œuvre par les Allemands pour essayer de résister à notre élan. La reprise vigoureuse de l’offensive a déterminé le succès. Tous, officiers, sous-officiers et soldats vous avez répondu à mon appel, tous vous avez bien mérité de la Patrie

12 septembre – Il y a dû bon dans la pipe. Cette bonne nouvelle pour nous a dû jeter du désarroi chez les Allemands, aussi espérons nous aujourd’hui les rejeter au-delà de la Meurthe. Je suis au P.C. et je saurais ce qui se passe et la progression de l’attaque.

Vers 9 heures, toutes nos troupes progressent car les Allemands ont évacué dans la nuit leurs tranchées. Patrouille à Lunéville, bois de Fréhaut et abords occupés, bois du Fay et des Rappes aussi. Dans le bois du Fay l’on trouve beaucoup de munitions et 80 fusils abandonnés. Grands dégâts causés par notre artillerie. Caron envoi directement ordre aux avions à la disposition de l’artillerie de rechercher la ligne de retraite des ennemis coûte que coûte et au besoin de voler bas. Caron, caractère rude et énergique, ancien chef d’escadrille n’aimait pas commander à une troupe qui avait si peu de déchets.

Hailliot dit que le 8e corps a de la peine à déboucher de Vallois et que le plateau de Moyen est encore fortement tenu. C’est peut-être que les Allemands ayant de l’artillerie lourde sur cet emplacement, ils ne peuvent l’évacuer qu’avec de grandes difficultés à cause du mauvais temps et de la pluie depuis deux jours.

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Peut-être pourrions-nous les tourner vers Vathiménil et Flin ?

Le général est parti lui-même en tournée à ses divisions pour les pousser en avant. Dans la matinée, les renseignements de fuite de l’ennemi se confirment et les grosses positions de Fraimbois, le bois de Fay, de Trehaut sont abandonnées. Nos troupes sont arrivées à Lunéville aux premières heures de l’après-midi. La retraite de l’ennemi a commencé à 9 heures jusqu’au petit jour.

Avec le chef de l’E.M. nous allons faire le tour du champ de bataille. Nous repartons par Clayeures et Moriviller. C’est bien calme maintenant. L’on continue vers Gerbéviller. Quelques cadavres vers Haudonville qui est en partie en décombre – maisons fumantes encore – odeur de brûlé et de chairs décomposées. C’est le vrai champ d’un carnage. Le pont démoli est à peine rétabli. En avant du bois de Fay, trois lignes de tirailleurs français fauchés ensemble, parfaitement alignés. Nombreux cadavres partout. Trous d’obus. Visite du bois de Fay. Nombreuses tranchées en avant de la crête avec cloisons étanches. Peu de fil de fer. Beaucoup de cartonades abandonnées dans les tranchées Épars fusils, vêtements, linge, sacs, sacoches donnant l’impression de mort et de dévastation. À Fraimbois, aux Abouts pas de cadavre, tranchées, peu de maisons détruites. En route nous rencontrons le 36e colonial qui est en position de combat à flanc de coteau, exposé au feu éventuel de batteries allemandes, n’établissent pas de tranchées. L’officier attendait des ordres de son chef ! Hériménil détruit, face à l’ouest cadavres dans les champs. Nous rentrons à Belchamp où je couche la nuit. Tempête de vent et de pluie.

de Chateaubourg au milieu de la nuit apporte un ordre allemand disant à leurs troupes qu’ils abandonnaient leurs positions pour mieux nous attendre. C’est un prétexte pour expliquer leur recul.

13 septembre – Bayon – P.C. à Xermanénil. Le pont de Lamoth coupé. Je reste à la permanence à Bayon. Où vas-t-on transporter le Q.G.. Vers 10 heures, je vais solliciter des ordres. L’on doit aller à Dombasle. Le Q.G. part à 13 heures et je reste seul jusqu’à 5 heures. L’on veut me faire passer la nuit à Belchamp. Je m’informe et apprenant que les relations téléphoniques existent entre l’Armée et le C.A. par Dombasle, je repars en auto pour le P.C. et delà je rejoins Dombasle où j’arrive à la nuit. Le Q.G. est dans une usine Solvay. Les Allemands ont bombardé le village, les conduites de gaz crevées et il fait nuit noire. L’on aperçoit d’immenses cheminées de fours à chaux immenses. Nous logeons dans la villa d’un ingénieur, complétement vide. Avec Cave, nous trouvons deux lits confortables.

Dombasle

14 septembre – Dombasle – P.C. côte 253… Le matin avec Devic, nous partons en auto chercher un P.C.. Nous visitons ainsi le champ de bataille du 20e corps et j’ai l’impression que partout il y a eu une lutte acharnée.

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Partout villages détruits, Vitrimont, Anthelupt, Lermont, le ferme d’Einville à Lunéville. Nombreux morts français et allemands en complète putréfaction et remplis de vermine, figures noires et boursouflées. Derrière Leomont, une batterie allemande a dû écoper car nous voyons une dizaine de chevaux qui répandent une odeur pestilentielle qui vous donne des nausées. Un pauvre cheval a le train de derrière brisé est debout sur ses jambes de devant, le cou et la tête tendu en l’air dans une rigidité de cadavre. Les houblonnières sont couchées par la mitraille. Le long des routes et des chemins ce ne sont que tranchées, arbres coupés, trous d’obus et certains champs labourés par les projectiles.

Temps gris et pluvieux, nous établissons le P.C. à 1 km de Lunéville dans une ferme au sud de Trisacati.

Comme renseignement, l’ennemi continue à fuir. Il se retire sur la frontière où il va fortifier et nous attendre, dit-on. Pas de canon ni coups de fusils, rencontre de patrouille d’avant-garde qui gardent le contact avec l’ennemi du côté de Laneuveville au sud et Coincourt et Parroy au nord. Nous nous retranchons aussi.

Nous quittons la IIe armée dont le 20e corps est retiré pour aller sur Commercy et vers le Meuse. À partir de demain, nous sommes sous les ordres de Dubail. Adieux de Dosse. Rencontre le soir de Bertrand du 53.

Il ne reste rien de Manonviller qu’un cratère d’une profondeur de 7 à 8 mètres remplis de décombre. D’après les habitants, le fort n’aurait tenu que deux jours à peine sous l’effet du bombardement.

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C’est ainsi que les Allemands écrivent l’histoire.

15 septembre – Le P.C. reste à Dombasle. Repos pour moi. L’on forme le groupement de Nancy avec G.Q.G.… Le IIe armée est allée vers Commercy et nous semblons voués à la garde de la frontière avec rideau de troupe de Pont à Mousson à Belfort. Pas de canon au lointain.

Le groupement de Nancy fonctionne avec Meunier, Wary et Devic. Visite de Dubail accompagnée de Messimy en commandant de chasseurs à pied. Dubail air rageur et hautain. La première parole qu’il m’adresse : " Qu’est-ce que l’on attend pour me conduire auprès de général !" Il aurait voulu que l’on attende son arrivée devant le perron. Je me précipite et du même coup je bouscule l’ancien ministre de la guerre qui n’est pas habitué à pareil traitement.

Bain excellent au carbonate de soude dans l’établissement ouvrier de l’usine Solvay & Cie.

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Pas d’action au contact de l’ennemi qui semble lui aussi peu nombreux et en état de recul.

17 septembre – À 1 heures, je suis réveillé. Grand branle-bas de combat. Tout est changé, démoli. Nous devenons C.A. de réserve et nous devons nous rassembler sous Nancy et nos lignes défensives seront tenues par la 70e DR et 74e DR que nous abandonnerons. Nous quittons Dombasle à midi pour Nancy où s’établira le Q.G.. Emery, notre nouveau chef s’occupe du logement.

Le Q.G. part à 12 heures, je reste à la permanence. La 32e communique un ordre d’attaque allemand qui semble important et qui jette un peu d’émois à notre Q.G. quand j’apporte la nouvelle à Nancy. Je reviens en auto à Dombasle sous une pluie torrentielle et j’y reste jusqu’à 6 heures. Les routes sont changées en lacs de boue liquide et je plains les fantassins qui font des km dans cette pluie.

Le Q.G. est établi à l’institut Math et Physique. Beau bâtiment neuf bien aéré. Cela me cause un drôle d’effet de revoir cette ville où j’étais venu il y a trois ans voir les K. La pluie continue torrentielle toute la nuit.

18 septembre – Nancy – Je ne suis pas de service ce matin et j’en profite pour faire quelques courses 9 rue de Moulin. R… mesures contre les isolés et certains régiments qui marchaient un peu comme des gardes nationaux, s’arrêtant dans les villages par groupes aux portes du débit, portant des couronnes de pain au bout de leurs fusils, etc.

Nancy, inviolée, n’a pas eu à souffrir du bombardement. La vie y est à peu près normale, sauf le soir à 6 heures, toutes les brasseries et cafés sont fermés.

Les nouvelles générales sont stationnaires et les Allemands sur la ligne Paris-Verdun par Reims semblent s’être fortement retranchés avec de l’Artillerie Lourde difficilement décrochable. C’est leur dernière résistance car s’ils sont battus, ils sont du même coup rejetés hors de France.

Notre popote est très confortable et l’on ne se croirait plus en guerre dans cette grande ville et loin du bruit des camps. Ce sont les délices de Capoue.

19 septembre – Erreur, nous retombons dans la vie de caserne. Le colonel nous colle un abatage en règle sur nos irrégularités. À l’avenir, le repas froid le matin ne souffrira aucune exception. Les heures de bureau sont fixées par circulaire. Je proteste pour la section du courrier dont les heures de services sont fixées par le livret de mobilisation (24 heures de service de nuit) et j’obtiens raison. Je proteste aussi pour le visa des pièces par le colonel. J’ai encore gain de cause. Et pour nous, la vie ne change pas. Il pleut toujours à torrent.

20 septembre – Nancy – Le colonel ne décolère pas Je ne sais pourquoi Cave et Braquet de Mits en prennent chacun pour leur grade. Cela devient de la brimade. Les jours d’arrêts et de prison pleuvent drus. Moi je conserve mon calme dans tous les cas de figure. Le séjour de Nancy devient insupportable.

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Les journaux depuis deux ou trois jours ne disent rien ; que la bataille continue sur tout le front avec des reculs et des avancées, c’est tout. C’est peu. La campagne semble devoir se prolonger et nous ferons bien de nous préparer pour cet hiver.

Gondreville-sur-Moselle

21 septembre – Gondreville – Changement de front, nous quittons Nancy pour aller d’abord vers Gondreville et ensuite probablement vers Metz. Je suis de permanence et cela semble devoir se prolonger toute la journée. Je profite de la présence de Wi. pour aller déjeuner chez Walther avec de Grave et j’y retrouve de Rodez. Rencontre de Bouglon, de Ronceray, Croix Rouge. Son frère, 2e hussard par de nouvelles depuis 1 mois.

Sur le front Aisne – Verdun, progrès peu sensibles. Les sales boches bombardent la merveilleuse cathédrale de Reims. Quels vandales ! L’on a pris hier aux environs un aspirant officier, professeur de grec et de latin à Francfort. La foule nancéenne s’avance, curieuse autour de l’autre qui va l’emmener à Épinal. Il connaissait les revues allemandes devant Paris et les menées Russes sur les Autrichiens. Il appartenant au 49e bataillon de réserve d’un corps Hessois. Après être resté tout l’après-midi en attente d’une communication, je reçois à 8 heures 30 l’ordre de quitter Nancy et de rejoindre le Q.G. qui de Gondreville sur Moselle s’est porté à Francheville.

Je pars et au sortir de la ville, je commence à rencontrer les Territoriaux de la 32e, puis l’artillerie puis l’infanterie qui marchent depuis le matin sous la pluie et vont dans un véritable lac de boue.

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et vont dans un véritable lac de boue. Difficulté d’un passage sur les ponts de la Moselle et du canal. Peu de largeur de route encombrées de troupes. Arrivé à 1 heures à Francheville ou je m’endors tout habillé sur la paille de la salle du courrier au milieu d’autres officiers. Pas de manteau encore, nuit froide.

22 septembre – Francheville – Je me réveille à l’annonce au téléphone que l’aile droite allemande a enfin reculé. Départ pour le P.C. à Manoncourt-en-Woëvre où nous nous installons chez l’institutrice. Nos troupes fatiguées progressent lentement, et pourtant la canonnade n’est pas vive du côté allemand et donne l’impression d’un retrait vers Lérouville – Thiaucourt-Regniéville.

Le général Dubail vient lui-même surveiller le mouvement d’attaque et pousse en avant l’attaque molle de la 71e DR à notre droite.

À 16 heures, la pluie reprend et la canonnade aussi avec rage. Nous semblons pousser une attaque à fond et du côté de Domèvre-en-Haye. Nous entendons les coups sourds de notre groupe d’artillerie lourde. À 7 heures, nous avons peu progressé vers Lironville et le bois de la Voisogne. Je porte l’ordre de la 1re armée à Domèvre-en-Haye. Général Lebuc. Routes encombrées par convois et embouteillées par artillerie sur deux lignes de front. De Domivre, je suis obligé de prendre par la vielle route défoncée et de faire le détour par les Quatre vents et le pont de Jaillon. Je rentre seulement à 21 heures et je me précipite manger un morceau. Vers 0 heures ½, j’allais m’étendre sur mon lit de paille quand la 73e DR téléphone une contre-attaque de feu de mitrailleuses ayant jeté le désarroi dans leurs troupes à l’attaque de Lérouville et me demande de les aider par notre attaque. Avec Caze et le colon nous faisons un ordre de nuit et je le fais partir à 2 heures. C’est la 32e qui va attaquer le bois de la Voisogne appuyée par artillerie dès le lever du jour.

Je me couche enfin sur notre lit de paille commun, nullement incommodé par le bruit de moteur électrogène du ronflement du capitaine Faure, du bruit du téléphone et de la lumière électrique. Ce que c’est que la fatigue et l’habitude.

23 septembre – Francheville – P.C. à Minorville. Je reste à la permanence et dans le froid du matin, une magnifique journée s’annonce. Serait-ce le soleil d’Austerlitz ou de Valmy ? Vers midi, je vais à cheval à Manoncourt-en-Vermois et je vois une violente canonnade vers le bois de Voisogne.

À 3 heures 1/2, ordre de transporter le Q.G. à Royaumeix. J’apprends que 2 compagnies du 81e se sont rendues et Dubail furieux a prescrit à Laverne de se porter avec son E.M. sur le front. Le P.C. va à cheval à Ansauville où ils sont fortement arrosés d’obus. Pas de blessés. C’est encore moi qui reste en liaison à Francheville. Je vais en auto jusqu’à Royaumeix où je déjeune.

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Aucun ordre encore et je retourne à ma permanence. Enfin, à la tombée de la nuit, je reçois l’ordre de rejoindre. Q.G. au château des Raguet-Brancion, jolie maison de campagne Louis XIV, galerie d’ancêtres moche. Je couche dans le salon tapissé de bleu sur un canapé immense, veillé par une galerie de tableaux de famille fait récemment et d’un assez mauvais gout dans l’ensemble.

Royaumeix

25 septembre – Royaumeix – Beau temps, réveil à 5 heures. Belle journée s’annonce. Départ pour le P.C. à Ansauville. Nous attaquons de bonne heure et dès le matin les bonnes nouvelles affluent de tous côtés. Nous entrons dans le bois de Voisogne et dans le bois de Hyelle où nous trouvons des cadavres, des prisonniers et de nombreuses munitions. C’est le 96e qui est entré en avant à la Hazelle. Vers 14 heures, nous nous préparons à attaquer le bois de Mort-Marc, fortement occupé par l’ennemi et nous l’arrosons copieusement. L’ennemi riposte par quelques projectiles sur Noviant et environs. L’ennemi semble se retirer sous la protection des forts de Metz et dans sa précipitation semble avoir abandonné quelques éléments avancés à la côte 292 près du bois de Jury que nous occupons entièrement. Des prisonniers disent que le bois de Mort-Marc est occupé par une division. La côte 292 qui d’après les dires du 1er Hussard était occupée ce matin que l’on pas voulu croire toute la matinée à cause de notre situation dans le bois de la Hazelle, était bien occupé.

Le colonel furieux de son démenti est allée reconnaître ce point lui-même et a eu un cheval tué sous lui. De toute la journée l’on a peu canonné ce point que l’on croyait occupé par nous. Beaumont par contre, où se trouve notre artillerie avec canon est fortement arrosé.

26 septembre – Royaumeix – P.C. Ansauville. Je reste à la permanence. Très belle journée, chaude même. Le matin à la 1er heure, l’on apprend que la 293 a été occupée par nos troupes ainsi que Puichepo.. L’ennemi ayant évacué la position pendant la nuit. Nous recevons aussi un ordre du général en chef disant :

La bataille décisive est engagée et dans des conditions qui nous sont favorables. L’ennemi a poussé tous ses corps en ligne et va chercher par de violents efforts à échapper à l’étreinte de nos armées. Le général en chef compte qu’à cette heure d’où peut dépendre le sort de la bataille, chacun mette une fois de plus une énergie indomptable à refouler l’ennemi, le chasser de ses lignes et assurer la victoire de nos armées.

Tout va donc bien car Joffre est avare de bonnes nouvelles. Je profite de mon repos pour aller me promener à cheval dans les bois de la Reine. Jolie pièce d’eau au milieu de la forêt – canards sauvages. L’après-midi, je vais en auto jusqu’à Ménil-la-Tour.

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Et la matinée jusqu’à 11 heures, le canon au loin ressemblait à un orage de grêle quand le tonnerre résonne sans interruption. Ce sont des grosses pièces de 200 qui tirent ayant été amenées et les allemands ripostent vigoureusement. Dupuis souffrant reste au lit. L’on a décidé une attaque de nuit appuyé par l’artillerie dont le tir n’avait pas été repéré dans le jour (impossible dit Caron perdu aux moineaux).

27 septembre - Royaumeix – P.C. Ansauville – temps gris – L’attaque n’a pas réussie et nos troupes n’ont pas débouché du Flirey et de Seicheprey où elles sont feu à feu avec l’ennemi. Le 122 n’est plus commandé que par un capitaine, le commandant ayant été blessé. L’on préparait une attaque de tout le front pour 13 heures quand Dubail a téléphoné : ordre d’attaquer immédiatement (9 heures ½) et d’appuyer l’attaque 64 sur Lahayville et Saint-Baussant.

À 8 heures, le curé Bigot d’Ali qui suit le C.A. a fait une messe pour les soldats morts. Petite église pleine de soldats et d’officiers, tous les soldats chantent en cœur au son de l’harmonium. Et je ne sais pas quel sentiment l’on voit des larmes dans beaucoup d’yeux qui s’attendrissent en pensant dans un instant de répit à la petite patrie lointaine et aux êtres chers qui y sont restés. La grosse voix du canon très proche accompagne les chants religieux dans cette petite église de campagne aux murs blanchis à la chaux et dont le porche a été détérioré par les obus allemands. Moi-même, je me laisse gagner par cette émotion qui plane sur l’assistance. Je pense à tous ces pauvres héros déjà morts pour la patrie et qui sont couchés un peu dans tous les champs d’un sol qu’ils ont arrosé de leur sang et des larmes coulent dans mes yeux.

Mais je quitte l’église et je reprends mon impassibilité et remet de côté ma sensiblerie.

Nos troupes progressent très lentement car nous savons par un prisonnier que les allemands ont reçu l’ordre de tenir coûte que coûte et ils le prouvent. Leur artillerie fait rage et quelques obus tombent non loin d’Ansauville. Nous avons peine à déboucher du bois de Jury fortement battu par artillerie. Le général Sibille est tué et Poli a son cheval blessé du côté de Beaumont. Hier nos artilleurs ont tiré 4 700 coups, cela fait une moyenne de 130 coups par pièce.

Le soir, nous ne sommes pas encore à Saint-Baussant et nous devons profiter de la nuit et du brouillard de demain pour essayer de progresser.

28 septembre – Royaumeix – P.C. Ansauville – Très fort brouillard ce matin. Le canon gronde avec intensité. Je rentre à la permanence. Reconnaissance à cheval vers Minorville pour retrouver équipements abandonnés dans un champs. Je le retrouve. Je téléphone à Gray pour avoir nos manteaux dont je n’ai aucune nouvelle depuis le 15. Nous recevons d’excellentes nouvelles de l’Armée et le centre allemand ayant été complétement repoussé, nous sommes libres de porter notre offensive où nous le voulons et non comme les allemands le voudront.

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Je retrouve mon camarade de Janson Thièbauld, capitaine E.M. à la 7e DC et fait la connaissance de Cochin, officier d’ordonnance de Dubail.

La canonnade continue même dans la nuit et à la tombée de la nuit le 31e s’empare du bois de Reunières et doit pousser au-delà. Nous allons recevoir demain des boucliers pour fantassins. Le commandant Cortedoat évacué pour traumatisme testiculaire . Nous nous perfectionnons un peu tous les jours et à l’avenir, notre artillerie ne devra tirer que sur des objectifs précis et qui auront été désignés par le commandement. À droite, les fantassins de la 64e ont pu progresser à un certain moment grâce à un certain mouvement en avant de l’artillerie qui s’étant approchée des tranchées ennemies a pu les canonner utilement.

29 septembre – Royaumeix – P.C. Ansauville. – C’est mon tour, temps humide et pluvieux. Hier 28 septembre le G.Q.G. a communiqué le renseignement suivant :

On sait maintenant que les combats livrés depuis six jours sur tout le front constituent un gros effort d’ensemble effectué par les Allemands par ordre supérieur. Il a abouti à un échec complet. Devant le centre de nos armées, les pertes ennemies ont été terribles, prisonniers et canons pris. Le 24 colonial a pris un drapeau. Je viens de voir à l’ambulance un gosse de 16 ans nommé Léon qui depuis le 15 août à Lunéville avait suivi le 143e et avait été adopté par la 8e compagnie. Il avait pris un fusil allemand et faisait le coup de feu à côté des nôtres. Il a été blessé à la cuisse et au pied et on l’évacue comme blessé militaire. Il montre une bravoure de vieux grognard et ne dit rien.

L’attaque se continue, violente, toute la journée, avec des arrêts et des reprises et le soir vers les 5 heures, la canonnade fait rage. Nos troupes progressent lentement et ont ordre de se retrancher sur les positions conquises. Le bois de la Voiroque est fortement organisé. Beaumont est détruit, son clocher en ruines, d’autres villages brûlent. Les Allemands résistent furieusement et répondent sans trop d’efficacité aux tirs de nos grosses pièces de 120 – 155 et 220.

Depuis trois jours en somme, nous nous battons nuit et jour et le bruit des mitrailleuses et du canon a un peu cessé.

Nous avons reçu 300 boucliers, sorte de cuirasse assez épaisse recouverte de cuir et qui peut protéger la partie centrale du corps et au besoin servir de bouclier pour protéger la tête lorsque l’homme est couché à terre.

30 septembre – Royaumeix – Ansauville P.C. Journée plus calme, peu de canonnade plus lointaine. Pourtant nous recevons des obus aux environs de Royaumeix où je suis resté. Nous recevons des réserves en hommes et chevaux, mais j’apprends que dans les dépôts il ne reste presque plus personne. Au 19e dragon à Castres, il reste 1 cheval par 10 hommes pour faire l’instruction.

1er octobre – même lieux – Je vais au P.C. et démolit le garde boue de la Renault. Belle journée, nuit froide, mais avec mon gros manteau que j’ai reçu hier, je ne sens rien. Situation toujours semblable et nous sommes devant Seicheprey et les Bois de Mort Mare. Dans le centre et gauche nous progressons lentement, ou du moins, nous repoussons les attaques allemandes.

Copie du carnet d’une sœur de Saint-Charles à Gerbéviller

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21 août – les munitions qui étaient conduites à la frontière reviennent, 400 voitures, défaite de 3 régiments à Rorbach.

22 août – depuis le matin, un corps d’armée, le 16e venant de Sarrebourg est passé devant la maison, les blessés abondent, ceux qui peuvent supporter la voiture sont dirigés sur Charmes, les plus malades sont à la maison, tous les lits sont occupés. De 7 heures du soir à 2 heures du matin, les voitures de blessés s’arrêtent devant la porte. Sœur Rosalie donne à manger et à boire du lait à ceux qui réclament. Nous continuons les pansements.

23 août – tous nos blessés veulent partir à 4 heures du matin. On cherche des voitures pour les conduire, on ne trouve pas facilement, les chevaux étant réquisitionnés pour la troupe. Les gens de Gerbéviller s’affolent et s’en vont à l’aventure ; on vient supplier de garder ici des vieillards hommes et femmes. Il y a dû monde partout, mais les boulangers n’ont plus de pain, que faire ?

23 août – dimanche, on ne sonne plus les cloches pour les messes. 8 heures 1/2, le canon gronde du côté de Remenoville, on dit que le fort de Manonviller est pris par l’ennemi. La gare est déserte, la gendarmerie aussi, nous nous confions à la bonne Providence.

24 août – 9 heures, l’ennemi bombarde la ville de Gerbéviller sans défense de 9 heures jusqu’à 5 heures ½ du soir. Les maisons flambent par l’explosion des obus. Entré en musique, on s’arrête à la mairie déserte. On vient jusqu’à l’hôpital, demande s’il y a des soldats français. Oui mais des blessés sans armes. Les chefs parlementent et visitent nos malades auxquels ils parlent durement. Le soir les soldats incendiaires pillent et mettent le feu. Quel moment à passer, mon Dieu, est-ce un rêve ? Je demande à ce qu’on épargne notre maison et offre de soigner de notre mieux les militaires blessés. Le lendemain, les blessés allemands arrivent. On se méfie des sœurs et on prend des airs menaçants – canonnade aux environs de Rozelieures – 250 blessés environ aujourd’hui soir – quelle fatigue car il n’y a pas de major, ce sont les sœurs et quelques infirmiers qui pansent.

25 août – bataille. Nous sommes entre deux feux : tout le monde dans les caves, point de nourriture, nous manquons de pain depuis lundi, tout étant incendié. On prend 21 otages personnes de Gerbéviller même le curé Vernat est accusé injustement d’avoir installé des civils au clocher pour tirer sur l’ennemi. Depuis on ne l’a plus revu. Son église est brûlée, les cloches tombées sur le portail.

27 aout, jeudi – Feu nourri d’artillerie de 9 heures du matin à 8 h du soir. Les blessés abondent, les personnes sans asile se réfugient à l’hôpital, il y en a certainement plus de 200. Le Dr Labreuvoir s’offre de panser les malades à notre grand contentement ; il succombe à la fatigue vers minuit. Nous continuons le travail pour tout le monde.

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28 août – Les obus allemands ne cessent de tomber, plus de vitres aux fenêtres. L’artillerie française est près de Haudonville, les Allemands à 10 heures environ : le soir les français arrivent avec de nombreux blessés : quelle boucherie humaine, tout le monde se met à l’œuvre pour les pansements ; hélas, l’ennemi a déjà employé la presque totalité de nos provisions d’ambulance. À minuit, les pansements sont terminés. Nous allons voir ce que devient le Saint Ciboire, Mr le curé aura-t-il eu le temps de l’enlever avant l’effondrement du clocher. Mr l’abbé Bernard, deux militaires arrivés et moi allons essayer de préserver Notre Seigneur de la profanation. Le tabernacle a été percé de 15 balles, la porte n’avait pas cédé à cause du contrefort. Il a fallu une heure pour ouvrir la porte. Le ciboire est troué, les Saintes hosties sont cassées par les balles, du reste le ciboire était renversé. Quel travail lugubre mon Dieu ! Quelle peine, l’orgue détérioré, une cloche à demi fondue est tombée sur le portail. De grosses pierres de la voute sont dans toute l’église, les bancs sont intacts, la sacristie aussi. Notre Seigneur est renfermé dans une armoire au réfectoire de la Compagnie.

29 août – 8 heures du matin, la canonnade commence d’une façon formidable, notre artillerie est placée sur le haut de la ville, c’est un duel d’artillerie, que de sang aura été répandu aujourd’hui et quelles angoisses de se trouver ainsi au milieu de la mitraille. Nos gens sont évacués dans les caves voutées du château qui n’est plus qu’une ruine ainsi que la chapelle. On leur portera à manger ; l’hôpital est affecté aux militaires par ordre de l’autorité militaire. Les chefs sont très reconnaissants des soins que reçoivent les malades. On fait la soupe à la buanderie. Aujourd’hui on a pu cuire du pain dans notre chambre à four avec un peu de farine échappée aux incendiaires ; chacun en aura un petit morceau. Voilà un obus qui vient de tomber sur le toit des écuries en démolissant un coin de toit.

30 août – Dimanche à 4 heures ½, messe à notre chapelle sous les obus, en voilà un qui éclate sur la porte, 8 personnes sont blessées. Aussitôt après avoir reçu la Sainte Communion, nous quittons la chapelle et nous rentrons dans les caves ; notre dernière heure est-elle arrivée ? On prie avec ferveur. Je ne sais que faire avec notre personnel, où aller ? On ne trouve plus de chevaux ni plus de voitures pour nous transporter ; il nous faut donc rester ici bon grès mal gré. Le lundi 24 en voyant les monceaux de ruine s’amonceler, un instant nous avions quitté la maison. Forcément nous y sommes revenues ne pouvant traverser les postes allemands ni emporter quelque nourriture.

31 août – Le canon recommence à 2 heures du matin ; il passe au-dessus de nos têtes – passage de nos troupes – cela voyant, l’ennemi nous envoie une dégelée (sic) de mitraille ; panique de tout le monde, on passera la nuit dans les caves ; Le Saint Sacrement sera avec nous, confiance !

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1er septembre – Le canon gronde à 3 heures du matin ; il semble plus éloigné, si seulement notre artillerie quittait ses positions près du château, nous ne serions plus sous la mitraille ; hier, deux obus sont tombés dans la cour de l’asile. Plusieurs sœurs sont souffrantes de la fatigue et des émotions.

2 septembre – 1 heures ½ du matin, la bataille commence, nous préparons des bandes ; il en faut beaucoup, on évacue nos blessés vers Charmes – Bayon.

3 septembre… Un aumônier militaire vient prendre des informations sur le fonctionnement de la maison et s’intéresse à nous faire ravitailler. Il est surpris que nous fassions tous les frais de nourriture et de logement. 5 heures du soir, qu’elle journée terrible. Les obus ont plu sur le parc de M. de Lambertye. L’ennemi croyant que nos troupes s’y sont cachées ; à 11 heures, un obus tombe sur notre hôpital à côté de la chapelle, en arrière sur le jardin. Je prends le parti de quitter Gerbéviller avec tous nos gens, mais que cela me parait difficile, il y a tant d’infirmes et qu’en faire ? 6 heures, Mr Liégey appelé vient nous voir ; il m’engage à rester. 6 heures ½, Saint-Louis est incendié, un vaste brasier le dévore, quel gros malheur. Deux factionnaires sont de planton pour nous éviter que les flammes n’atteignent l’hôpital. Quelles angoisses.

4 septembre – 1 heures du matin, les blessés abondent ; les mêmes sont depuis 3 jours sur le champ de bataille – affaiblis, on les panse et leur donne de bons cordiaux. Nos gros canons tonnent et effrayent tout le monde. Personne pour faire la cuisine de 250 personnes et autant de passants militaires qui ont faim. On tombe de sommeil. De jour il faut se dévouer au milieu des obus, le soir les malheureux blessés arrivent et implorent secours. Nous avons deux décès. Qu’elle providence d’avoir avec nous l’abbé Bernard de Gex. Il remplit son ministère auprès de tous. Cinq heures, nous recevons la sainte communion, c’est notre force et notre consolation.

5 septembre – 1 heures du matin. Une bataille s’engage, les balles sifflent dans la cour, le canon tonne de part et d’autre. Notre dernière heure est-elle arrivée ? Nous prions dans les caves où tout le monde se réfugie en pleurant. 5 heures, M. l’abbé nous communie après avoir fait la préparation à la Sainte Communion. De 7 heures à 8 heures, un peu d’accalmie dans la lutte qui reprend vivement à 8 heures ½ jusqu’à 10 heures ½. Quel fracas – tout croule autour de nous. Tout cesse, nos pauvres blessés se trainent pour venir à nous demander secours. Quelle boucherie, du sang, du sang partout. L’ennemi avance, nos troupes repassent devant l’hôpital ; dans quelques minutes peut être l’ennemi arrivera-t-il et que va-t-il se passer ? Notre infirmier prêtre veut rester au poste pour accomplir son ministère près de nos mourants qui sont nombreux et dont les membres sont hachés et pantelants par ces engins meurtriers.

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Il panse aussi les plaies avec un de ses camarades. Nous attendons les évènements en tremblant. La journée est terrible – duel d’artillerie qui actionne au-dessus de Gerbéviller – à 5 heures du soir, l’ennemi entre de nouveau ici : je demande qu’il ne nous soit fait aucun mal. Il me demande des œufs, de la viande, etc. Je donne volontiers, affolement des habitants de Gerbéviller, ils veulent tous rester auprès de nous. Notre sœur de cuisine est malade, je fais la cuisine à sa place, je croyais reposer quelques heures au réfectoire, mais il est 9 heures du soir et voilà déjà le canon qui se fait entendre si la fusillade nuit comme hier, nous n’aurons plus le temps de courir en cave à cause des balles qui sifflent dans la cour.

6 septembre – Dimanche, 5 heures, messe et communion. La nuit relativement calme, on a pu dormir. 48 blessés gravement, les provisions d’ambulance s’épuisent – Duel d’artillerie toujours ; c’est terrible – notre maison est relativement bien conservée ; cependant les tuiles sont un peu brisées ; Depuis 2 heures du soir, un peu d’accalmie, on respire, l’ennemi refoulé à 4 ou 50à mètres. 11 heures du soir, les voitures viennent chercher les blessés/

7 septembre – Nous remercions la bonne Providence de nous avoir jusqu’alors préservées.

1er octobre – À 15 heures, attaque générale – artillerie appuyant l’infanterie. L’on doit aussitôt s’organiser sur le terrain conquis. Les brigades s’organisent avec des éléments de réserve et de combat par période de 24 heures. L’on progresse de 200 mètre par jour, véritable guerre de sape et de tranchées. Nos tranchées sont à 200 mètres de celle de l’ennemi.

2 octobre – Nancy – Journée d’achats où je vais avec l’auto du général avec Caze et Nalmers.

3 octobre – Nous avons été canonnés à Royaumeix toute la nuit par intervalles réguliers. L’on demande à l’armée télégraphiquement les noms des officiers de réserve de l’E.M.. Pourquoi ? Il est vrai que l’infanterie manque de cadres. La 31e D.I. manque de 150 officiers environ dont 100 lieutenants et 40 capitaines.

Aujourd’hui, aucune attaque prévue, chasse d’aéroplanes – 30 coups pour rien, il est vrai qu’il est très haut et que des observations qu’il peut faire à cette hauteur ne sont guère efficaces et les fusées qu’il lâche doivent être difficilement repérables. Il fait très beau temps. L’on a occupé une tranchée et l’on y a trouvé de la Landerer de la Garde Prussienne, des hommes de 50 à 60 ans. Les Allemands canonnent chaque soir depuis deux jours ; c’est en réponse à nos attaques de nuit des jours précédents. Un obus tombant à Noviant-aux-Prés sur une grange a tué 13 soldats et blessés 10 autres, c’est désastreux.

14 octobre – Royaumeix – Ansauville – Temps gris et brouillard. Ce matin, attaque générale sur tout le front.

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à 8 heures – Le résultat de tout un beau déploiement de force, c’est l’occupation de quelques tranchées et la prises de quelques prisonniers que l’on envoie immédiatement à l’arrière. Il est vrai que l’ennemi nous fait aussi quelques prisonniers. Récit du caporal Gilles, ancien légionnaire qui a fait trois prisonniers en tournant une tranchée allemande. Décodé de la médaille militaire. Il s’était servi de son bouclier placé sur sa poitrine et il a relevé la trace de 17 balles. L’on se sert aussi depuis deux jours de grenades à main avec une fusée et un… Certain danger pour celui qui les lance s’il se trouve trop près. L’on va confectionner des lances de cavalerie pour les lancer plus facilement. C’est de plus en plus la guerre de sape et la fin de la guerre ne pourra venir que de l’épuisement complet des munitions de l’un des adversaires. Chez nous, 10 coups seulement par 75. C’est ce que j’avais prévu dès le commencement de la guerre : gaspillage des munitions. Promenade au bois de la Reine à Cheval.

5 octobre – même situation – Temps doux et gris, nuit tranquille. Les nouvelles de la Russie commencent à être bonne du côté de la Prusse. C’est peut-être par-là que viendra la fin de la guerre ? C’est la stagnation, situation inchangée. Le génie travaille à la sape pour gagner les tranchées ennemies. L’on aménage des lances grenades. Quelques coups de canon de temps à autre nous rappelle que nous sommes en guerre. Je rencontre Ducos. Dans l’après-midi, un peu de remue-ménage. L’on met la 32e et l’AL en réserve d’Armée. Est-ce un embarquement futur ?

6 octobre – Le P.C. reste à Royaumeix – Ducoin remplacé par Barquat au commandement d’un bataillon. de Remefort passe à la D.E.S. Vers midi, l’ennemi semble redoubler d’activité et l’on rappelle un peu d’AL pour appuyer Vidal. L’on a même saisi un radio annonçant une attaque, mais tout cela n’est rien et la journée s’achève dans l’inactivité totale.

7 octobre – Royaumeix – L’on apprend dans l’après-midi que le C.A. s’en va. Où ? Mystère ! Pourtant, dans la nuit, j’apprends que l’on va à Mézy-Moulins, près de Château-Thierry. Je suis désigné pour partir au 3e échelon avec Devic, Delmas et les grands Ducs.

8 octobre – Le réveil est pour 3 heures. Les premiers éléments s’embarquent à Toul et partent à 10 heures. Nous autres, nous partirons vers 17 heures. Journée splendide. Je quitte sans regret ce pauvre pays de la Woëvre dont les villages sont sales, miséreux et où l’on trouve difficilement à vivre. Pas même d’eau pour se laver. L’embarquement se fait sans difficulté et sans heurt. Je dors fort bien tout seul dasn mon wagon coupé de première et me réveille à Épernay. À Château-Thierry je retrouve Poli et de Widerspach qui nous dit que nous allons à Neuilly – Soleil radieux, temps splendide.

Soisson - Château d’Écuiry

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9 octobre – Débarquement à Neuilly vers midi sans difficulté. Les anglais viennent de quitter le pays quelques heures auparavant. Nous sommes fort bien accueillis dans une ferme voisine où nous mangeons la soupe et l’inévitable plat de pommes frites. Fertile région, villages propres. Les maisons sont finies, mes meubles faits. Certains champs même sont ensemencés ; l’on en dirait pas que la guerre a sévi dans cette région où tout est paisible dans une campagne riante et ensoleillée. Le Q.G. est à Oulchy-le-Château et avec Devic nous faisons une agréable promenade à cheval de 10 km. Nous retombons dans l’agitation sans raison. Le Q.G. est chez le docteur Lamoureux, petit intérieur bourgeois de mauvais goût. Nous venons pour remplacer les anglais qui vont aller vers Arras. Les Allemands sont à 20 km d’ici autour de Soisson et sur les hauteurs du nord de l’Aisne. Repos en attendant que le C.A. soit au complet.

10 octobre – Nous nous transportons au Château d’Écuiry. Le Q.G. part vers 11 heures. Je suis de permanence et ferai vers 1 heures ma ballade en auto. Ce matin nous avons reçu la visite du général Anglais, chef d’État-major. Tenue de campagne d’une couleur tabac-vert, pratique et de bonne tenue. Je passe en auto par Chacrise où se trouve la brigade anglaise. Nombreuses sentinelles à travers les rues du village. Ils me présentent les armes par un mouvement d’armes sec, très militaire en portant la main libre sur la crosse de leur fusil. J’arrive à Écuiry, beau château 18e, dans un beau parc avec pièce d’eau sur le devant. Fond d’un vallon couvert de bois, beau tiré de faisans. Le château appartient à M. Lagarde, agent de change, intérieur luxueusement meublé, belles collections de gravures, de cartes Vernet gravées par Debucourt, beaux meubles, tableaux ; boiseries Louis XIV tapisseries.

Le soir nous mangeons dans de la belle porcelaine genre chêne de Menton ; je couche sous les toits avec Cave, mais le lit est bon. Salle du courrier, tableau de Fromentin.

11 octobre – Il fait très beau et je monte à cheval. La vie de château qui commence et il faut faire un effort sur soi-même pour se douter pour quelles raisons l’on se trouve en pareil lieu. Les environs boisés offrent d’agréables promenades à cheval, bon déjeuner, bon gite… Il ne manque que le reste. Le soir le général nous fait prendre le café dans son cabinet.

12 octobre – Nous prenons à tour de rôle le service 24 heures de suite – et nous avons alors 24 heures de liberté. J’en profite pour faire ma promenade tous les jours et je suis très content de ma nouvelle jument qui était autrefois au lieutenant-colonel Chaumette. Légèrement peureuse et un peu chatouilleuse, elle est agréable à monter.

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Dans la soirée, l’on nous amène 6 prisonniers allemands qui erraient dans les bois depuis 3 semaines. L’on trouve sur eux de nombreux objets volés à des Français : montres, porte monnaies, objets divers. Ils font l’objet d’une information, inculpés de vol et de rapines en bandes armée. Discussion à table à leur sujet.

13 octobre – Écuiry –  Le temps de se gâte, promenade à cheval interrompue par la pluie. Lecture de la Dame de Saint-Leu par Gyp . À 8 heures, forte attaque allemande. Bruit très vif de fusillade et du canon. Vers 9 heures cela cesse et l’attaque a dû être repoussée par la 5e GDR aux environs de Cuffies.

Calmann-Lévy, 1914 – Louis lisait la production récente et à la mode

14 octobre – Écuiry – Il pleut, je suis de service jusqu’à midi. Beaucoup d’agitation, on part demain pour relever la division anglaise. Je ne sais encore où.

15 octobre – J'apprends au réveil que je pars avec le convoi. Tout cela parce que le commandant Maure est absent et que le prévôt étant nouveau l’on a besoin m'as-t-on dit de quelqu’un de sérieux pour le suppléer. 25 km au pas et il pleut. Château Louis XV appartenant au Daviger. Quelques jolies choses, vielle famille qui semble vouloir faire remonter ses origines à la famille royale de Saxe par les d’Esclignac. Grand parc. Nous avons rencontré des anglais et j'ai pu admirer leurs beaux chevaux très bien tenus et soignés, gras et luisants. L’impression est que les Anglais savent prendre leurs aises. Ils chassent, jouent au football. Je couche sur un matelas.

16 octobre – Aujourd’hui, l’on juge les 9 allemands pris en arrière après 3 semaines de maraude. Peyronnet… avocat du gouvernement un peu faible. Devic plaide qu’ils n'ont fait que leur devoir de soldat. C'est l’acquittement presque sûr. Le jeune de Maillé frais émoulu de Saint-Cyr arrive du dépôt du 1er hussards et est mis à la disposition du commandant le 15e. Cela ne lui sourit guère. L’on chuchote de nouveau un départ, mais vers le point d’où nous venons et où est restée la 31e enfin débarquée. C'est un indice de flottement dans le commandement et ce sont encore les Allemands qui vous imposent leur tactique.

Temps gris, aucune nouvelle depuis longtemps et cela m'attriste un peu. J'apprends la nouvelle de la mort d’Yves et je pleure ce cher disparu que je regrette comme un frère et reste accablé sous cette fatale nouvelle.

Sucrerie de Noyant

17 octobre – Le Q.G. va aujourd’hui à la sucrerie de Noyant au sud de Soisson. Je pars vers 8 heures avec l’échelon convoi et n'arrive qu’à 16 heures. Temps gris et froid, mais très couvert. Je n'en souffre pas. Je suis sous le coup de l’émotion de hier et je songe à cette chère Denise qui avait préparé son existence pour continuer son bonheur et qui se retrouve avec le vide devant elle. Pauvre petite sœur. Le général m'adresse quelques paroles compatissantes, tout ce qui touche mon E.M., heureux ou malheureux, je le ressens et je participe à votre chagrin actuel.

18 octobre – Q.G., sucrerie de Noyant où avec la 32e est mise en réserve d’armée. Rien à faire, lecture, temps brumeux.

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19 octobre – Sucrerie de Noyant – Temps brumeux, l’on s'ennuie dans l’inactivité, lecture.

20 octobre – Temps gris et humide, promenade à cheval, maisons jolies dans les bas-fonds boisés et qui font opposition aux grands plateaux couverts de champs de betteraves. J'ai un peu de fièvre et de rhume. Je reçois me seringue et du sérum anti tannique. C'est la stagnation et pourtant cela n'empêche pas les coups de gueules . L’on dit que la 31e va s’embarquer pour le Nord. Cette désorganisation des formations des corps est pour troupes… petits moyens.

21 octobre – Je reste dedans tout aujourd’hui pour me soigner. Nous sommes entassés dans la salle du courrier où l’on étouffe et où je dors tous les soirs. Il n’y a rien d’étonnant à ce que l’on s’enrhume. Rien à signaler d’intéressant, vie monotone. Les journaux parlent d’actions importantes dans le Nord et nous nous croisons les bras.

22 octobre – Les deux grammes de quinine que j’ai pris sans le savoir avant-hier soir m’ont arrêté ma grippe et je me sens de l’appétit. L’on parle de nous faire diriger l’exercice des secrétaires chaque matin grande partie de tennis dans l’après-midi et cela me secoue un peu et me sort de la torpeur des bureaux. Le soir, grande activité dans le personnel. Cela sent le départ. Le 1er hussard nous devance et va s’embarquer au sud de Compiègne. Nous suivrons demain sans doute.

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23 octobre – Sucrerie de Noyant – L’on part pour Vivières. Je lâche le convoi et pars avec la colonne légère que je dirige. Beau temps et belle promenade à travers la belle forêt de Villers-Cotterêts, aux hautes futaies colorées de tons chauds d’automne.

Arrivons à 1 heures. Comme d’habitude, habitons le château bien placé à l’orée de la forêt et assez belle vue sur la campagne. Propriétaire Henri Bataille qui y fait de nombreuses réparations. Assez de recherche dans l’ameublement mais manque d’unité et mélange de moderne, d’exotique et d’ancien. Belle installation de cabinet de toilettes. Jardin à l’italienne avec terrasses, pièces d’eau et pergola. Les prussiens ont habité 11 jours le château transformé en ambulance et sur les portes on lit peint Kranzen… Plusieurs Allemands sont enterrés dans le parc. Couchez sur un sommier les pieds devant la cheminée Louis XIV en pierres dans le salon en boiseries 18e non terminé.

24 octobre – Vivières – La 63e brigade va jusqu’à Compiègne, nous ne resterons donc pas longtemps. Depuis plusieurs jours entendons aucun coup de canon. Et pourtant la bataille est vive dans le Nord. C’est le nœud Gordien de la situation actuelle. Si l’on enfonce les Allemands sut cette aile ils reculeront sur tout le front. L’on dit qu’ils sont fortement organisés à Saint-Quentin qui deviendrait alors le centre de résistance pour protéger leur retraite. Je quitte le service à midi et le payeur général Firmin m’emmène à Compiègne par Pierrefonds et Vieux Moulin et je revis des souvenirs heureux.

Très beau point de vue sur la forêt, du jaune clair au rouge sombre en passant par toute la gemme de tous. Retrouve Sarrazin très affectueux qui se trouve à l’ambulance de la 61e D.R., commandant d’un groupe de brancardier. Champenois, frère de son principal tué à Vassogne le même jour qu’Yves, bizarre coïncidence. Retour par Verberie, la vallée de l’Automne et Villers-Cotterêts.

La rivière Automne, que l’on devrait orthographier Autonne par ses racines Altona, sa dénomination d’origine, a donné son nom à cette vallée. Elle prend naissance près de Villers-Cotterêts et se promène pendant 35 kilomètres, à travers le canton de Crépy-en-Valois, avant de rejoindre l’Oise en amont de Verberie.
Source : Roches et Carrières.

25 octobre – Vivières – Beau temps, on dit que l’on reste quelques temps encore ici et pourtant cela manque de confortable.

Je vais à Villers faire des commissions et conduit l’auto. Grande assurance de la direction et je conduits sans accros malgré les routes qui glissent beaucoup et l’auto qui dérape. J'achète enfin une lanterne électrique, objet que je cherchais depuis deux mois.

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26 octobre – Vivières – Nous allons à Pierrefonds, je suis de permanence. Il fait beau et je cause avec le secrétaire de Bataille. Le bassin et la pergola datent de cette année et dans l’Étreinte, la pièce qui devait être donnée à la rentrée au Français. Il est beaucoup question de cette pergola dans le 1er acte. Sur la terrasse, jolie vasque florentine. Salle à manger achetée en Auvergne un peu sombre et triste. Bataille aime beaucoup la lumière mais tamisée. Un dernier tour dans la maison et je pars le matin. Des aéros allemands ont été salués de coups de fusils et jusqu’à Wary qui a tiré sa douzaine de cartouches sans résultat. Vers 3 heures, je lève la permanence et en route pour Pierrefonds.

27 octobre – Pierrefonds – Nous sommes logés au-dessous du château et à côté de l’église chez le carrossier Mühlbacher . Belle propriété mais meublée avec mauvais goût, du tape à l’œil. Grands vases de chêne imitant cloisonné en zinc peint. Salle à manger plafonds à cloisons bleu, murs gris, rideaux et chaises rouges, quelques jolis bronzes. Beau parc. Logé à l’hôtel des étrangers. Je peux prendre un excellent bain. Quels délices. Rien de nouveau, l’on parle de futurs déplacements en auto.

La maison Mühlbacher est qualifiée par le guide du carrossier en 1889 comme la maison la plus ancienne…. la plus grande de Paris . Elle fut créée en 1797 par Godefroy Mühlbacher, né à Strasbourg en 1767, d’une famille originaire du duché de Wurtemberg. Il s’installa à Paris comme charron, au 14 rue de la planche, à partir de 1814. Pendant près de 120 ans, cette maison fut un des fleurons de la carrosserie parisienne.

Source : Attelage-patrimoine

29 octobre – Pierrefonds – Nous partons à midi pour nous embarquer à Compiègne. Billet de logement chez M. Flamand. Chambre de jeunes filles avec Cave, 11 rue d’Alger. Je ne pars que demain vers 15 heures dans le 3e train avec l’intendant Roy. Diner à l’hôtel de la cloche, très médiocre en comparaison de notre popote faite par Vieu.

30 octobre – À partir de 9 heures je reste seul dans Compiègne. Le 2e train s'embarquant, rien à faire. 13 voitures sur l’état, 20 voitures arrivent à quai. Tout se tasse et l’on part à 16 heures par Creil, Amiens, Etaples, Calais où l’on devait être à 2 heures et où l’on arrive à 8 heures. Voyage avec Roy, Bastide, Corbier. Bridge. Voyage sans arrêts prévus, comme un colis.

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31 octobre – De Calais, en route pour Hazebrouck par Saint-Omer. Arrivée à 12 heures 30, on débarque sans incident. Quai non préparé pour troupes. Avons rencontré un peu partout Anglais, Belges, Indiens tirailleurs, etc. Nous cantonnons à Poperinge en Belgique. C'est à 25 km environ. Heureusement il fait beau. Routes pavées. La propreté des maisons est remarquable. Rideaux aux estaminets et les maisons peintes. Arrivons à la nuit. Logé avec Cave dans la même chambre dans maison toute peinte au ripolin blanc. Trop reluisant. Très bon lit et très propre.

1er novembre – Poperinge – Beau soleil, beaucoup d’animation sur la place de l’hôtel de ville où nous avons établi Q.G. dans la mairie. Vers 9 heures, un taube laisse tomber une bombe qui éclate à 50 mètres de la place pleine de monde. Carreaux cassés, un garçon blessé, peu de dégâts. On le chasse vigoureusement et l’on en démolit deux, dit-on. Sur la place, les Anglais nous encombrent de leurs convois qui circulent sans ordre et avec sans gêne. Beaucoup de cavalerie, va et vient incessant. On dit qu’il y a des cavaliers démontés dans les tranchées. Dans la journée, arrivent de nombreux renforts sans ordre un peu au hasard. Le poste de commandement est à Dickebusch où les officiers couchent. Beaucoup d’agitation là-bas. Pas d’officier du courrier, heureusement Cave part pour le P.C. à Dickebusch.

Dickebusch

2 novembre – Enterrement du colonel Duruy avec un certain décorum, cuirassiers, tirailleurs, municipalité en…, sapeurs-pompiers en grand uniforme. Toujours attaques furieuses repoussées. Le P.C. ne rentre pas et fait demander des repas froids.

3 novembre – Même situation, je vais au P.C., agitation extrême ? Je proteste de mon rôle de postier et de secrétaire. Je ne m'endors qu’à 3 heures ½ du matin et suis réveillée à 5 heures ½. Les Allemands ont organisé 3 centres de résistance sur lesquels nos efforts sont arrêtés. Château Hollebeke, Wytschaete, l’Enfer avec sa triple rangée de tranchées en étage. Le parc du château est fortement organisé, mitrailleuses installées aux fenêtres du château. J'apprends que Bertrand du 53e a été blessé le 2, du côté de Saint-Eloi.

4 novembre – Même situation, il pleut, fatigué je me repose, toujours grand mouvement de troupes.

5 novembre – Le P.C. reste toujours à Dickebusch sans désemparer. Il fait beau, heureusement car déjà les routes sont défoncées par les gros camions anglais et l’on enfonce de 20 à 30 cm sur les bas-côtés. Des fantassins anglais venant de Bailleul défilent en troupeau, le fusil crosse en l’air, ne donnant pas l’impression d’une troupe capable d’un effort. Canonnade très intense. Pas de progrès dans l’offensive, à 15 heures, attaque générale sur les 3 points d’Hollebeke, Wytschaete et Enfer. Pas de préparation et ne parait pas devoir réussir sur des points aussi fortement tenus.

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Sans gêne anglais qui ne lâche jamais le milieu de la chaussée. Le chef de l’E.M. fait interdire à la population toute circulation et les gendarmes, fidèles serviteurs font rebrousser chemin aux gens qui vont aux provisions de 15 à 17 heures. La canonnade est effroyable et à la même heure les Allemands déclenchent une attaque générale. Wury dit folie d’attaquer avec un cordon. Vers 6 heures, premiers renseignements bons. Olleris a pris dit-il pied dans parc de Hollebeke mais … a lâché prise et peu à peu l’on apprend que le front a légèrement cédé vers Wideschathe. Meunier part pour Rousbrugge. Vers minuit l’on apprend que les boches sont infiltrés par la Kapellerie et s'avancent entre Vormezeele. Instants d’affolement, on plie bagage, l’on selle, l’on veut replier le groupe électrogène, etc… pendant ce temps, Taverna délibère et revient vers 1 heures en disant qu’on lui prépare un topo de la situation pour l’Armée où il va le lendemain à 5 heures ½. On se calme, douche sur les plus bouillants, chacun va se coucher à 2 heures. Seul je veille et j'attends des nouvelles de Ruinat et Duvic qui sont partis vérifier les travaux du groupement Bouchez. 3 heures, je me prépare à m'endormir pendant que défilent dans la rue des fantassins des convois anglais encombrant la route et qui vont vers Bailleul. C'est dommage que l’on ne s'en servir. Des prisonniers allemands que l’on a pris au château d’Hollebeke racontent qu’il n'y a que des cavaliers dans le parc, c'est à croire qu’on leur a fait la leçon et qu’ils sont chargés de nous donner de faux renseignements.

6 novembre – Clair de lune superbe, nuit claire et froide. Je ne dors pas un instant. Au matin, l’on apprend que la fameuse attaque allemande ne doit être qu’un détachement français qui privé d’officiers a dû attaquer Vormezeele dans le brouillard. De nouveau, il y a un ordre général d’attaque pour reprendre les positions perdues. Mais les troupes sont fatiguées et incapables d’une offensive vigoureuse. Je rentre me reposer, forte canonnade toute la journée. L’on a perdu du terrain à ce qu’il parait.

7 novembre – P.C. toujours à Dickebusch jour et nuit sans désemparer depuis 8 jours. Nous avons perdu du terrain autour de Klein Zillebeke et il faut le reprendre par ordre de l’Armée. Les Anglais qui sont à gauche de Moussy ne veulent pas quitter leurs tranchées. Tout le monde y va de Meunier à Ruinat, mais cela ne rétablit pas la situation. Les hommes sont exténués, partout grande lassitude se révèle de 8 jours de canonnade et de fatigues physiques. Ravitaillement difficile et confection de repas. Partout on recule quelque peu, mais le point faible est devant Hollebeke où les Allemands se sont infiltrés entre Moussy et Olleris. Des renforts sont pourtant arrivés la nuit précédente. Malgré l’ordre formel de l’Armée de reprendre les tranchées perdues, l’on n'y arrive pas. Les grosses marmites tombent drus du côté d’Ypres et de Zillebeke et de Saint-Eloi à Vormezeele. Situation critique qui empire de jour en jour.

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8 novembre – À 0 heures 10 un ordre de l’Armée donne ordre à la 31e D.I. de reprendre la position perdue en appuyant le groupement Moussy. À 2 heures, contrordre, la 31e établira une ligne de replis solidement organisée, aidé par des compagnies du Génie. L’ordre arrivé à 2 heures 30 n'est prêt à partir qu’à 6 heures. C'est beaucoup de temps pour peu de besogne. Un autre ordre l’Armée nous annonce que Grossetti remplacera Taverna. Il vient de la 42e D.I. et a été cité avec sa division à l’Ordre de l’Armée. Meunier aussi s'en va. Adieux touchant et le général avec des larmes dans la voix nous fait ses adieux. Je quitte le P.C. passablement abruti par ma nuit sans sommeil. L’attaque de la nuit n'a pu progresser sur certains points. La situation du côté de Moussy continu et la situation n'est guère bonne avec nos troupes fatiguées. Le général vient déjeuner avec nous à notre table. Part pour Boulogne et n'a pas oublié la lettre d’hier d’Urbal félicitant le 15e C.A.. Le chef le suit et quitte le C.A.. Il attribue sa disgrâce au manque d’activité du corps anglais qui ne l’a pas soutenu à gauche et qui n'a pas voulu attaquer.9 novembre – P.C. de Dickebusch

Q.G. Reminghelot. Beaucoup plus de calme, Grossetti et Jacquet font bonne impression. Général Grossetti très calme, peu emballé. Colonel Jacquet fume la pipe et cause posément. Le général va chaque jour faire sa tournée sur un des fronts pour se rendre compte de la situation. Il n'emmène pas son officier d’ordonnance mais un officier de l’E.M..

Meunier part dans l’après-midi. La canonnade est excessivement forte et les boches continuent à s'infiltrer vers Zillebeke le long de la voie ferrée. Au soir, quelques grosses marmites tombent près de Dickebusch. Chevaux tués. Je passe seul la nuit au P.C.. Pas trop d’agitation.

10 novembre – Q.G. Reminghelot dans la mairie. – Mauvais cantonnement car nous avons le reste des autres. P.C. toujours Dickebusch. Canonnade très violente dès le petit jour. Nous recevons de nombreux renforts et je ne crois pas que les boches puissent prendre Ypres ; pourtant ils progressent chaque jour au sud du côté de la fissure de Zillebeke. Caze n'est plus officier d’ordonnance, ne sait pas trop ce qu’il va devenir. Avant de partir, Taverna, sur ordre de l’Armée et pour parer à certaines défections (4e compagnie du … avec le lieutenant Mathieu) avait fait la Note du 6 novembre :

Prévenir les troupes jusqu’au dernier homme que des ordres sont donnés : 1° aux Bier pour arrêter tout mouvement de recul si certaines unités, mal commandées, en faisaient un de ce genre. 2° aux cuirassiers placés derrière le front, de concourir à ces arrêts. Il sera donc plus dangereux d’aller en arrière qu’en avant.

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11 novembre – Q.G. de Reminghelot – P.C. de Dickebusch – L’attaque allemande continue toujours très fort vers sud-ouest d’Ypres (groupement Vidal). Les troupes sont éreintées mails il faut qu’elles tiennent coute que coute. Notre général n'hésite pas à se porter sur le front pour rétablir les situations critiques. Ne redoute pas la mitraille. Il a dû reste fait blesser plusieurs des officiers de ses anciens États-majors. Ce matin, le 19e Bataillon de chasseurs ayant flanché a été dans les tranchées pour les rencontrer et a été très près des lignes allemandes. Il fera démolir ainsi quelques officiers.

Canonnade très violente toute la matinée. Quelques obus éclatent à proximité. Le corps Anglais à notre gauche vient savoir où en est la situation de Vidal obligé de se replier quelque peu n'étant pas appuyé par eux qui ne sortent pas volontiers de leurs tranchées. C'est vraiment le très gros effort allemand qui reçoivent de nombreux renforts dit-on.

Le prince Louis d’Orléans qu’accompagne un major anglais qui venait souvent demander la situation.

Je dors mal, tempête de grêle, bruit de la canonnade, vent très violent qui détruit nos lignes téléphoniques. Si Vidal est pressé, je dois déclencher comme renfort après interprétation du télégramme, toute la 10e DC et cette initiative, grave à prendre me tient longtemps éveillé. La nuit s'achève sans incident, le mauvais temps n'étant guère propice à une attaque.

12 novembre – Le Payeur Principal va à Dunkerque. Je pars avec lui après avoir cherché une autre chambre car j'habitais dans un grenier chez le maréchal ferrant. Je trouve libre la chambre du commandant Wary et quoique sous les toits, cela me parait un palais car il y a de quoi se laver.

Dunkerque, ville intéressante. J'y revois d’Assigny, directeur de la Banque où je trouve André et Dupary, inspecteur. Notre popote devient plus confortable encore sous l’impulsion du lieutenant Laurence, officier d’ordonnance et chef de la popote à la place de Béziat.

Nous recevons des renforts en masse. Plusieurs bataillons de Chasseurs alpins. Près de nous, cantonnent des spahis aux manteaux rouge écarlate. Situation toujours inchangée. Avec les renforts, nous allons relever les troupes de 1ère ligne qui depuis deux semaines combattent avec fureur. Les cantonnements deviennent difficiles.

12 novembre – Ce matin, en arrivant à Dickebusch, je trouve le 11e bataillon de Chasseurs avec René. Nous causons quelque peu et je dois diner le soir avec lui. Il arrive des quantités de chasseurs… de même des renforts anglais sont arrivés en auto londoniennes. Pas beaux d’allure avec d’allure avec leur plate-forme entourée de toiles toutes noires. La canonnade est assez violente. Vers 2 heures le 11e part étant remis à la disposition de Bouchy. Je dine le soir avec Cros-Mayrevielle de Narbonne. Mahuzié des hussards (20e dragon) de Castres. Nous avons progressé quelque peu, quelques prisonniers, une dizaine nous sont amenés mais cela ne compense pas les compagnies du 19e chasseurs disparus.

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Ces jours-ci Caze passe au 3e bureau. Pluie toute la journée. Boue intense.

14 novembre – Pour la première fois depuis notre arrivée dans le pays, les 4 secteurs nous téléphonent : Nuit calme, sans changement . En effet pas de canon de toute cette nuit. En effet, pas de canon de toute la nuit. Je crois que leur effort annihilé de ce côté, ils vont taper ailleurs, à moins que les Russes ne continuent leurs succès en avant et alors selon moi, ils réduiraient leur front sur la ligne Anvers-Bruxelles-Saint-Quentin.

Journée de rencontre, frère de Deveu, annonce du mariage Hautecloque. Retrouve mon camarade de Janson Lalande, capitaine à la 3e division de…

15 novembre – Reminghelot – P.C. de Dickebusch – L’on parle de nouveaux changements. Le corps anglais de gauche devant être relevé. Nos effectifs réduits – 16e chasseurs, compagnies réduites à 130, 90, 40. Nos régiments de 1 400 à 2 000. L’on a besoin de se refaire. Pourtant l’on retire la 10e DC et d’autres qui vont s'embarquer. …poste de commandement les obus passent en sifflant au-dessus de la maison. Ce ne sont encore que des 77. Hier l’on a fait sauter le clocher du village qui servait de point de repère. Les habitants sentent le bombardement et parlent de s'en aller. Il neige. 16e bataillon de chasseurs – 140 disparus dont 4 officiers (sous-lieutenants).

L’après-midi est meilleur, pas d’obus. On téléphone à l’Armée le soir situation inchangée et pourtant l’on apprend dans la nuit que le bois 40 a été perdu.

16 novembre – Reminghelot – P.C. de Dickebusch – Dans la nuit, attaque Allemande entre 2 heures et 2 heures ½. Mais notre canon l’arrête. Ces gens qu’on dit démoralisés ont du cran et pourtant la saison ni le terrain ne se prêtent à des attaques. Il faut voir nos fantassins sortir des tranchées, couverts de boue. Les routes sont impraticables dès que l’on quitte la chaussée. 250 Belges essaient de les retaper, mais ils ne vont pas assez vite. Canonnades furieuses dans la matinée et dans l’après-midi et le son nous en arrive tout proche, porté par le vent d’est glacial. Nous reportons notre Q.G. à Poperinge où nous avons beaucoup de difficultés à nous installer car les Anglais ont tout pris. Heureusement qu’ils vont quitter notre région et que nous relevons le corps qui est à notre gauche. Ce sera peut-être fini du cauchemar anglais sur les routes. Difficultés du cantonnement, le 9e corps, le 20e,… les Anglais occupent déjà à Poperinge. Enfin à 10 heures, je trouve une chambre.

18 novembre – P.C. de Vlamertinghe – Q.G. de Poperinge – Nous occupons la mairie de Vlamertinghe, et la journée nous nous occupons de la relève de divers régiments pour reformer la division et nous relevons les Anglais. De 12 heures à 21 heures grande bousculade devant la mairie, malgré les coups de gueule du général Dubois. Pas de lumière, pas de lit. Tout se tasse finalement, je m'endors. Coup de téléphone. Les Allemands ont pris pied dans le bois au sud de verdammollen, mais Vidal ayant été lui-même sur les lieux a rétablit la situation. Je demande des précisions, les Allemands ne tiennent plus que la corne sur du bois.

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Nombreux prisonniers. Au matin les boches sont encore au centre du secteur et il n'y a que 2 prisonniers ?

18 novembre – Des renforts arrivent avec des éléments de la jeune classe. Du les incorporer au feu et à mesure des relèves de leurs unités et en avant sur le front. L’on reconstitue les régiments à pleins effectifs.

19 novembre – Q.G. Poperinge – P.C. de Vlamertinghe – Temps neigeux, elle tombe tout l’après-midi et cela rend le paysage encore plus triste et le chemin plus boueux. À chaque instant des autos en pannes. Toujours occupés aux relèves et changements de secteurs. Les Anglais de gauche passent à droite en face Messine. Situation de fin de journée, rien à signaler sinon bombardement ennemi sur le centre mais pas de mouvement d’infanterie. Avec le temps qu’il fait cela n'a rien d’étonnant. Nuit également calme.

20 novembre – Il gèle. Les champs et toits sont blancs de neige. Paysage d’hiver. Soleil resplendissant dans la journée. À 11 heures, bombe devant le porche de l’église, 44 blessés. Hécatombe de vitres pulvérisées. Cave évacué ayant eu le pied meurtri par un camion anglais. Je m'installe à l’estaminet du coin de la grande place.

21 novembre – P.C. de Vlamertinghe – On change de local sur la demande au G. C.A.. Nuit calme, sans changement. Il gèle fortement. Journée calme aussi. Le G. C.A. daigne nous donner le local des Anglais à Poperinge. Nous quittons la… où nous étions trop à l’étroit.

22 novembre – L’on dit que les Allemands ont retiré 2 Corps devant nous. Il faut de nouveau économiser nos munitions de75 et tirer plutôt du 90. Caron, colonel d’artillerie nommé général à la 1ère Armée, nous le regrettons.

23 novembre – Foulure du poignet. L’on craint une fracture et évacué sur Dunkerque. Je profite de l’auto de l’Armée qui m'apporte jusqu’à Dunkerque au lieu du train qui n'arrivera qu’à 3 heures du matin étant parti à 20 heures.

24 novembre – Radioscopie, rien de cassé. Je rentre à la maison de santé du docteur Devinche à Petite-Synthe où il n'y a que des officiers. Bon lit, bonne nourriture, bridge.

27 novembre – Je vais mieux et demande à retourner sur le front, accordé, je pars demain.

30 novembre – Je n'ai pu partir qu’aujourd’hui avec Corvisart, de Brauer, Deschamps. On les évacue par le… qui doit partir dans deux jours pour Cherbourg. Après deux bons repas avec les camarades, je rejoins. Nuit à l’hôtel de ville de Lille tenu par Valentine Demarais. Le… auto de liaison nous conduit à Rousgrugge où une auto du corps vient me chercher.

1er décembre – Me voici rentré. Rien de nouveau sur le front depuis mon départ. L’on continue à organiser des lignes de repli. Les avions font des photos de la région et l’on connait ainsi la forme et l’emplacement des tranchées Boches qui se croisent et s'entrecroisent de façon invraisemblable. Se sont de terribles remueurs de terre. Les succès russes annoncés à grands fracas dans les journaux et qui faisaient notre bonheur à l’Institut D… ont été exagérés. Nous supportons toujours le gros effort Allemand et il y a eu en France 45 corps d’armée Allemands répartis en 9 Armées.

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22 novembre, certificat d’origine de blessure reçue en service commandé

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Nous soussignés, Paul Lacombe… Gabriel Amalou… Antonin Coste… certifions que le lieutenant P. de Langautier le 22 novembre 1914 à une heure, étant en service commandé à Vlamertinghe (Belgique) poste de commandement du 16e corps d’armée et allant porter un ordre a glissé sur la terre verglacée et est tombé. Dans sa chute, sa main droite ayant porté à faux sur le sol, il s'est plaint de ressentir une vive douleur au poignet droit. Le lendemain, il ne pouvait plus se servir de sa main et il a dû être évacué sur l’hôpital de Dunkerque.

Trois témoins, le médecin, un officier, un sous-intendant.

Fait à Poperinge le 22 novembre 1914.

Lacombe, Amalou, Coste

Nous, soussigné Duchêne Mamblay Henri, médecin major de 2e classe, certifions que le lieutenant P. de L, le 22 novembre… a été atteint d’entorse du poignet droit avec gonflement, douleur très vive, déformation du poignet, arrachement ligamentaire probable. Fracture possible des os du carpe.

À Poperinge, le 22 novembre 1914

Duchêne Mamblay

Nous, Dupré Léon, chef de bataillon du génie, commandant du quartier général du 16e corps d’armée en guerre, certifions que les signatures apposées ci-dessus sont bien celles de : Lacombe… Coste… Duchêne Mamblay… et confirmons l’exactitude des faits rapportés par les témoins.

Fait à Poperinge en Belgique le 22 novembre 1914

Dupré

Vu, le sous-intendant militaire

Poperinge

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2 décembre – Poperinge – Vlamertinghe – Bien accueilli par Bertha, je retrouve mon ancienne chambre. Je reprends aussitôt mes fonctions au poste de commandement. L’on entend plus de canonnade. C'est très calme et seules les troupes de relève circulent sur les routes. Du côté de Saint-Eloi l’on signale des tranchées boches et françaises entremêlées de bizarre façon. Certaines ne sont qu’à 5 mètres les unes des autres.

3 décembre – Nuit calme, sans changement. Visite au parc aviation. Beaucoup d’appareils M. Farman biplans, quelques Blériot parasols. Le meilleur est le Voisin du 130 cher.

4 décembre – Dans la nuit, les Boches ont repris des tranchées au 80e en face du château d’Hollebeke. Ils attaquent avec bombes et boucliers. L’on parle de deux compagnies tuées, blessées ou disparues. Le soir, l’on doit contre-attaquer. Enfin de journée, bombardement intense sur la droite du secteur…

5 décembre – Il pleut affreusement. La contre-attaque d’hier soir n'a rien donné. Nous recevons une brigade Marocaine à la place d’un bataillon de chasseurs. Plus de foin pour chevaux, on leur donne du son à la place. C'est bien une guerre d’usure. Le succès sera à celui qui durera le plus. Vu à Reminghelot, des homes marchant en troupeau derrière le drapeau. Poli les engueule.

6 décembre – C'est bien 500 hommes disparus dans l’attaque du 4. Chaque nuit, un officier de l’E.M. va aller s'assurer du travail fait dans la nuit. Emery commence la série et trouve des tranchées mal organisées avec des hommes y travaillant peu. L’on distribue des boucliers et des bombes. Le fil de fer est même gaspillé car au lieu de le tendre, on forme souvent de sphères qui ne doivent pas arrêter grand-chose. Deux aviateurs se sont télescopé bêtement sur le champ d’aviation. Grossetti veut en finir avec les racontars et demande des renseignements précis aux officiers qu’il envoie en liaison.

7 décembre – Pluie et vent toujours. L’on avait ordonnée d’arrêter les journalistes qui sans autorisation venaient dans la journée aux renseignements. Un gendarme arrête un marchand de journaux… Dupré revenu des tranchées du bord du canal près de Saint-Eloi a constaté l’état marécageux des tranchées et aussi l’abattement des hommes qui y sont restés 11 jours dans la boue et l’eau. Nouveau glissement vers l’ouest. Notre front se réduit à celui de la 32e avec Q.G. à Boeschèpe. Beaucoup vont regretter Poperinge

8 décembre – Poperinge – P.C. Vlamertinghe – Proclamation française envoyée aux Boches pour les inviter à se rendre, ils seront bien nourris dans un pays doux et ensoleillé. Quelques heures après 1, 4, 10, 40 Boches viennent sans armes dans les tranchées du 80e. On cause, on fraternise. Pendant ce temps, tranchée cernée et les faux prisonniers empêchent nos soldats de se défendre et de se servir de leurs armes. Dans les renseignements du G.Q.G. allemand il est dit que les Russes ont été battus à Lodz et que le mouvement en avant continue. Alors, qui a raison ?

9 décembre – À midi, Q.G. à Boeschèpe, P.C. de Reminghelot – Il pleut abondamment et nous allons trouver dans ce petit village de quoi patauger copieusement.

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ça est vrai. Savez-vous ça ? ça c'est sûr disait le bon vieux belge de notre popote de Vlamertinghe.

Je quitte le P.C. à 1 6 heures pour Boeschèpe. Rencontre avant Poperinge Mlle Curie. Boeschèpe, petit bourg plein de boue.

10 décembre – Q.G. de Boeschèpe – P.C. de Reminghelot – Deux heures le matin, pour aller au P.C. Embourlogue et embouteillage. Revu de Rodez. Nuit calme, pas d’attaque.

11 décembre – Près de deux heures pour aller au Q.G.. Distance 12 km environ. Décidément le circuit inventé par l’armée n'active pas les communications. Brouillard. Rien de nouveau. Le Q.G. est installé dans une école. Flourienne du train est remplacé.

12 décembre – Réunion des grands chefs, on prépare quelque chose.

13 décembre – Du repos à Boeschèpe. Je me prépare à partir demain à 11 heures pour Dickebusch. J'y prépare le P.C. et y prend la place du général Vidal.

À 7 heures, l’artillerie déclenche l’attaque par un arrosage des positions ennemies. À 7 heuraes 45, l’infanterie entre en action. Dès le début de l’attaque, les français et les anglais prennent quelques tranchées de 1ère ligne. Les Anglais, le petit bois en face de Wydecharte. Les français près du bois 40. 9 heures, léger arrêt par tir de mitrailleuses. La canonnade continue abondante de notre côté. Peu de riposte allemande. 60 prisonniers faits par les Anglais. Midi, nous avons gagné quelques mètres en avant des tranchées mais, l’action enrayée par des tirs de mitrailleuses et le terrain bourbeux où les soldats marchent difficilement. Enfin, par le réseau de fil de fer construit sur plusieurs mètres d’épaisseurs et que le génie n'arrive pas à démolir. Les P.C. des divisions ont été bombardés, trois majors tués, deux blessés. Quelques chevaux tués. À la tombée de la nuit, nouvelle attaque précédée d’une très forte canonnade. Terrible spectacle de voir toutes ces lueurs dans la nuit naissante et le claquement sec des 75. La riposte allemande est faible.

Fin de journée, notre avance est peu considérable et l’on doit recommencer le lendemain. On a tiré 80 coups par pièces.

15 décembre – Contre-attaque Allemande. La canonnade reprend au jour. Et la nuit les Boches se servent de fusées éclairantes pour surveiller le terrain. Journée pluvieuse. Ordre de s'emparer de la ferme de Piccadilly et progresser vers bois 40. Aucun progrès à la fin de la journée. Piccadilly est démolie mais les Boches y résistent dans les tranchées.

16 décembre – Même ordre d’attaque. Pas de résultat le soir. L’on va s'avancer à la sape et à la mine. C'est donc la négation du coup de force général sur toute la ligne. Cela a couté 200 tués et autant de blessés. De Gironde, jésuite tué en priant sur un mort. De simples soldats avaient été nommés sous-lieutenant. D’après un rapport, à l’aile droite, les Anglais n'occuperaient pas le petit-Bois. Un officier ira cette nuit pour s'assurer de la chose.

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17 décembre – La ferme de Piccadilly a été détruite par l’artillerie, mais position défendue par fil de fer. Première tranchée avec quelques très bons tireurs et des boyaux de communication pour des tranchées très abritées où se tiennent de grandes forces. Très difficiles à prendre étant flanquées de mitrailleuses.

Plus d’hommes dans les dépôts. Peu de munitions, l’usure commence et la lassitude aussi de cette stagnation perpétuelle. Les Boches tirent sur les blessés qui tombent entre deux tranchées jusqu’à qu’ils ne remuent plus.

18 décembre – P.C. à Reminghelot de nouveau – Je pars à 6 heures pour assurer l’allumage des feux. Un sous-officier suffirait à mon avis. Toujours la pluie. Frégouls évacué pour maladie, Béziat grand chef des autos. Situation sans changement. Les Allemands ayant attaqués sont repoussés et perdent 40 hommes environ.

19 décembre – Deux cent cinquante hommes environ par jour évacués pour maladie et autres causes. La voilà l’usure. Bombardement du côté anglais. C'est excellent pour notre cause car les Anglais vont peut-être se décider à envoyer quelques renforts. Pichon fait campagne dans les journaux pour l’intervention japonaise.

20 décembre – P.C. de Reminghelot – Q.G. de Boeschèpe – Très belle journée. Soleil, pas de vent. L’on continue à améliorer les tranchées et à pousser des travaux de sape vers l’ennemi. Joffre trouve que

le moment est venu de profiter des faiblesses… par l’ennemi alors que nous sommes renforcés en hommes et en matériel. L’heure des attaques a sonnée. Après avoir contenu l’effort des Allemands. Car il s'agit maintenant de le briser et de libérer définitivement le territoire national envahi. Soldats la France compte plus que jamais sur votre cœur, votre énergie, votre volonté e vaincre à tout prix. Vous avez déjà vaincu sur la Marne, l’Yonne, en Lorraine et dans les Vosges ! Vous saurez vaincre encore jusqu’au triomphe définitif.

Je crois que par la complicité tacite des généraux en chefs qui ne veulent pas voir la vérité sur le moral des troupes et sur le physique affaibli, Joffre ne se leurre sur l’efficacité d’une offensive générale, à moins que comme à Fraimbois, les Allemands n'évacuent leurs tranchées pour des raisons autres que l’attaque française, surtout dans nos contrées inondées.

21 décembre – Rien à signaler, nuit calme. Pluie et neige. Mentalité française. Des Boches veulent se rendre et se dressent en avant de leurs tranchées. Venez sans armes et les mains en l’ai dit le capitaine. Aucun ne s'avance, c'était une ruse pour venir nous surprendre dans nos tranchées. Pourquoi n'avez-vous pas tiré demande le général, cela aurait été un assassinat répond-il.

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Alors que font les Boches quand devant leurs tranchées ils achèvent les blessés.

23 décembre – Visite au monastère du Mont de Kats. Les pères trappistes, construction récente, vie monacale. Canonnade du côté de la 32e.

24 décembre – Le temps s'améliore, rien à signaler. Nuit de Noël à Reminghelot. Messe de minuit, militaire, chantée et dite par des soldats. Calme sur le font, il gèle.

25 décembre – Un très beau temps se prépare. Le ciel est pur. Pas de brouillard… Vers 9 heures le brouillard se lève jusqu’à la nuit. Vais à cheval à Bailleul et reviens par le M. Noir. Traverse région des Anglais, tous les mêmes dans leurs uniformes kaki. Quelques-uns ivres. Beaucoup nous saluent, peu de coups de canon.

26 décembre – Il gèle, neige, dégèle. Nuit calme rien à signaler.

2è décembre – Pluie, un peu de canonnade dans l’après-midi. C'est le bruit d’une contre-attaque car le 142e s'est laissé prendre en plein midi une ligne de tranchée avec deux mitrailleuses. Le général couche au P.C. à Reminghelot avec quelques officiers de l’E.M..

28 décembre – Les tranchées ne sont pas reprises. La perte de ces tranchées cause un grand émoi à l’Armée. D’Urbal propose un ordre de blâme pour le 142e et demande s'il n'est pas nécessaire de débarquer certains chefs. Il est à remarquer que dans ce secteur de Saint-Eloi, à chaque relève par les C.A., l’on perd quelques tranchées. Le 32e C.A. nous relevant en a perdu. Cette fois, le 16e C.A. prenant la place du 32e C.A. en a perdu aussi. Les chefs de corps diton sont dégoutés de la paperasserie énorme demandée chaque jour par l’armée : croquis des travaux, compte rendu de situation, des relèves, des effectifs, etc. etc.

Les relèves sont longues et difficiles. D’Urbal les veut toutes les 24 heures et envoie sans consulter son 3e bureau comme d’habitude, un ordre en ce sens. C'est une chose impossible car il faut toute la nuit pour faire une relève à cause de l’état des routes et des boyaux de communication. Ce serait… vouloir deux nuits blanches pour une nuit de repos.

29 décembre – Belle journée, à cheval à Waton. Le 32e C.A. s'en va et nous étendons notre secteur autour d’Ypres. Le général trouve nos tranchées conçues dans un mauvais esprit. L’on s'est installé sur le terrain conquis, chose très bonne si l’offensive devait continuer le lendemain, mais mauvaise si la défense doit s'y prolonger. Il était partisan de choisir une ligne en arrière à 150 mètres environ, d’où l’on aurait des vues. Envoi au général d’Urbal de tout un plan excellent d’améliorations Réponse : quand ces prescriptions auront reçu exécution se sera parfait.

30 décembre – Beau temps, soleil radieux. Enfin, rien à signaler.

31 décembre – Q.G. est transporté à Poperinge, P.C. à Reminghelot. Souhait de fin d’année : La gloire que vous avez acquise sur la Marne s'est changée ici sur l’Yser en renommée a dit Jacquet à Grossetti. Champagne, cigares pour la première fois depuis le début.