Un grand-père chercheur d’or vers 1900, ça en jette ! Ses fils en parlaient, ses petits-fils les écoutaient, les arrière-petits-enfants l’ont rêvé aussi !
Ce grand-père, aux yeux du lecteur de 2018, est passé par toutes les mauvaises cases de ce qui s'appelle aujourd’hui le colonialisme, nous ne le défendront pas sur ce terrain, pas plus, ainsi que nous l'avons convenu avec Margaux, qu'il n'était pas non plus nécessaire d'en dresser un inventaire trop détaillé. Chacun se fera son propre avis.
Voyons aussi que ce grand-père fait aussi parti des victimes de la colonisation, il est parti chercher un avenir meilleur, il a peiné, souffert, il a mené la vie très rude des locaux y compris la sous-alimentation, et il est rentré parce que rien n'était possible, les poches tout aussi vides qu’à son départ.
Hubert, Janvier 2018
Nous savons :
que Louis se voyait avec un avenir modeste à la Banque de France où il était employé sans doute à Montpellier ;
que Louis est parti pour Madagascar en mai 1907 et en est revenu en février 1908 ;
que Louis nous a laissé 238 photos et 131 pages de documents, soit sous la forme d’un journal au jour le jour, soit sous la forme de lettres ;
Paris, le 19 septembre 1907
Par ta lettre du 15 septembre tu me demandais un conseil ou tout au moins une appréciation sur la détermination que tu es sur le point de prendre. Je laisserai de côté la valeur de l’affaire de mine d’or, mon gendre à qui tu as écrit te donnera des conseils que je ne saurais te donner. Cependant, si l’affaire est bonne, tu me demandes ce que l’on peut faire avec 50 000 Fr.
Si l’affaire est sérieuse et viable, il me semble qu’il faudra un capital beaucoup plus considérable pour permettre le développement normal de ce travail. En outre, ce n'est pas dans une ville comme Nevers que l’on vient chercher des capitaux. Lyon, Marseille, Lille, Paris, les centres financiers peuvent permettre de mener à bien cette entreprise ; et pour avoir, avec la première impression de ce début, cela me porte à dire ce ne peut être sérieux.
Il y a encore d’autres considérations : Madagascar comme les autres pays neufs offrent quand il s'agit de remuer le sol des dangers pour la santé. Les fièvres y sont fréquentes et j'y regarderais à deux fois avant de m'y risquer ainsi.
Tu ne m'as pas dit quelle était la valeur morale et pécuniaire de la personne qui cherche à t'entrainer avec lui. Peut-être un moment donné trouver a-t-il plus économique de partir avec les 50 000 Fr. et de ne plus revenir. Et puis quelles dépenses faudra-t-il faire pour produire 80 000 Fr. d’or ? Et s'il n'y a pas 80 000 Fr. d’or à récolter par an, est-ce la peine de faire les frais qu’exige une pareille industrie ? Tout cela mérite réflexion. Tu reviendras aux frais de la société, c'est entendu. Mais la société ne sera-t-elle pas ruinée avant ce moment-là ?
Et alors, si tu te trouves abandonné, avec quel argent reviendras-tu en France ? Je comprends qu’à ton âge, avec l’énergie que je te connais, tu sois fortement tenté de courir le risque. Mais tu m'as demandé un avis, je te le donne en essayant de te faire voir les côtés faibles et périlleux de l’affaire. Si la société était puissante, je comprendrais la tentation. Mais une société au capital de 50 000 Fr. pour une telle industrie !
Réfléchis et vois plus près que moi de celui qui lance cette affaire, tu es mieux à même de juger et de prendre une décision en connaissance de cause. Tiens-moi au courant et réfléchis bien.
Bien à toi, G. Vivent
Château de Graville, Saint-Mammès
21 septembre 1907
Mon cher Louis
Voilà bien longtemps que j'aurais dû répondre à votre lettre, mais Germain l’avait emportée comme ses papiers et ne l’ayant plus sous les yeux, je vous avoue que je l’avais oubliée.
Je comprends que la situation d’employé de la Banque de France avec un avenir modeste en perspective ne vous séduise pas énormément et que vous soyez un peu tenté par la vie d’aventures, mais je ne sais si l’affaire dont vous m'entretenez, vous offre de biens grands chances d'avenir.
Je ne puis me prononcer sur sa valeur intrinsèque puisque je n'ai aucun renseignement, mais d’une façon générale, les affaires d’or à Madagascar ont jusqu’à présent causé plus de déboires que de satisfaction. On n'a pas encore reconnu de filon pouvant soutenir une exploitation même importante ; on a bien trouvé quelques alluvions qui font vivre un prospecteur, travaillant lui-même mais dont le rendement serait insuffisant pour justifier une exploitation intensive. Il ne s'en suit pas qu’il n'en existe pas et qu’on n'en découvrira pas un jour, mais jusqu’à présent on ne l'a pas fait malgré les recherches incessantes et les nombreuses expéditions.
C'est pourquoi les récits des prospecteurs me laissent assez septique. À première vue, je crains que cette affaire ne soit comme celles que l’on a créé là-bas tant de fois. D’après ce que je crois comprendre on n'a encore que des espérances ; pour les vérifier, reconnaître la valeur des terrains prospectés, le capital de 50 000 Fr. sera vraisemblablement insuffisant et si vous allez là-bas, je crains que vous ne perdiez les quelques économies que vous voulez y consacrer. Je vous le répète, ceci n'est qu’une impression puisque je n'ai aucun renseignement sur la nature des terrains apportés à votre société ni ce qui a été fait, ni les résultats acquis sur lesquels on se base pour dire que le rendement est susceptible d’une plus-value fabuleuse.
Je comprends que la vie libre et un peu d’aventures vous tente mais je me demande s'il y aura au boit le résultat pratique que vous convoitez. Pour vous engager à aller là-bas, il faudrait sans doute avoir… de plus tangible que les espérances d’un prospecteur.
En tout cas, je reste à votre disposition pour vous donner tous les avis que vous jugerez bon de me demander.
En attendant, mon bon souvenir et amitiés.
G. Rouliot
Majunga, le 1er décembre 1907
Cher Monsieur,
J'ai reçu votre aimable lettre ici lors de mon retour de la Sofia où j'étais allé assurer les transports. Je serai très heureux de vous avoir comme collaborateur et je puis vous affirmer d’avance que nous n'aurons même pas un malentendu. Pourquoi ? J'ai fait part à monsieur Trinquesse dans un courrier précédent des aptitudes et surtout des qualités au point de vue santé que nécessitent l’existence d’un européen ici.
L’acclimatement a lieu d’une façon sure et vite sans maladie sérieuse sur le bord des côtes, surtout sur la côte ouest, Majunga par exemple où les fortes chaleurs sont toujours tamisées par les vents du large.
Mais dans l’intérieur, surtout où nous sommes, je n'aurais jamais accepté la responsabilité d’un Européen neuf à la vie colonial, dans la saison où nous sommes, cela aurait été courir au-devant d’une paludéenne ou d’une l…
Dans quelques mois quand l’installation sera terminée, que le confortable sera réalisé autant qu’il est possible de l’obtenir, vous pourrez affronter avec moins de crainte le climat. Le poste sera à environ 100 m d’altitude, c'est peu vous voyez.
J'envoie par ce courrier le croquis du poste à ces messieurs.
Je ne néglige rien au point de vue santé, pour moi, je n'ai pas besoin de tout cela, mais vis-à-vis de vous ou d’autres, je pense ma responsabilité engagée et je tiens à pouvoir parer en cas de maladie à toute éventualité. Quand tout sera installé, je vous enverrai les relevés météorologiques journaliers, cela vous donnera une idée de la douce température. Moi, je m'y suis bien porté, mais tout le monde n'a pas mon endurance, et puis cela fait ma neuvième année, je suis depuis longtemps acclimaté, il est vrai que je suis sobre en tout. Ceci est une condition essentielle, il faut savoir se contenter de peu au point de vue alcool et de très peu au point de vue fumée. Ce dernier article est le plus dangereux de tous. Je tiens surtout avant que vous vous engagiez à vous prévenir que vous aurez une vie peu gaie, je ne resterai pas au poste uns fois que vous serez au courant, il faut que je travaille toutes les montagnes environnantes rayon de 200 km et alors vous serez seuls avec une vingtaine de nègres. Je vous demanderai surtout à leur sujet d’être très énergique et ne pas avoir peur de leur caresser les cotes avec la trique, d’ailleurs je vous mettrai vite au courant.
Pour vous distraire hors les heures de surveillance, vous avez la chasse et la pêche. Je compte absolument sur votre énergie pour m'aider à mener à bien notre affaire, je veux qu’elle réussisse et bien secondé, je suis certain d’y arriver.
J'ai écrit à monsieur Trinquesse au sujet de votre départ de France. Je pense qu’il est inutile d’y songer avant le 10 avril, d’ailleurs je vous écrirai à ce sujet et répondrai avec plaisir à toutes les demandes que vous me ferez. Réfléchissez bien surtout avant de prendre une décision, examinez votre état de santé et votre énergie dont il faudra développer la dose maximum.
Veuillez agréer, cher monsieur, l’assurance de mes sentiments les meilleurs et croyez-moi votre bien dévoué.
Eudes
21 février 1908
Cher monsieur
En main votre honorée en date du 7 janvier 1908 :
au point de vue nourriture, habitat, les vivres sont assurés au point de vue farine et vins, quant à la viande, j'arriverai à faire tuer un bœuf toutes les semaines, au début ce sera toutes les quinzaines, d’où la viande de 2 jours pour 8 ou 15 jours. Dans l’intervalle, on aura des poulets, canards, pintades, lapins,… etc. en somme on variera la nourriture le plus possible. La chasse nous fournira un bon appoint, j'ai un boy qui sous ce rapport nous ravitaillera d’autant plus que j'ai amené les chiens que j'avais sur mes concessions ; d’où au point de vue nourriture affaire réglée.
Au point de vue pharmacie, j'ai apporté tous les soins pour qu’il ne nous manque rien, j'ai même un peu dépassé ce que l’on fait habituellement, mais j'ai une excuse, étant pharmacien…
Question hygiène, nous nous servons de la douche tous les jours, il y en aura une installée d’où vous pourrez conserver vos habitudes. Vous n'avez rien à apporter, vous aurez une moustiquaire pour la route et une à demeure dans votre appartement.
Armes, apportez votre fusil de chasse et c'est tout, pas de munitions car vous auriez des ennuis à la douane, sous ce rapport, nous en avons une large provision en calibre 24, 16 et 12.
Vêtements, il vous faut quatre complets blancs, six complets kaki et 3 culottes de velours. Ici on use beaucoup et nous n'avons pas de repriseuses. Deux paires de solides brodequins ½ semelles avec petits clous. Deux paires de guêtres en cuirs, une douzaine de chemises… une douzaine de chaussettes, une douzaine de mouchoirs de poche. Deux casques tout liège avec nos caoutchoucs et surtout pas de sureau à forme militaire.
Appareil photographique, vous pouvez apporter votre appareil ; quand le poste sera complètement installé il y aura une chambre noire pour développer les plaques, quant aux produits, vous trouverez tout ce qu’il vous faut à Majunga.
Courriers, deux fois, peut-être une fois par mois, car si cela est trop couteux je ne ferai qu’un courrier par mois, d’ailleurs, la correspondance de la société n'ayant lieu qu’une fois par mois, si nous voulons avoir deux courriers, un voyagera à nos frais. La date d’arrivée dans les places sera :
le courrier partant de France le 10 de chaque mois arrive à Majunga le 1er ou le 2 suivant le mois à 30 ou 31 jours. Ce courrier arrive à Port Bergé le 6 ou le 7 suivant le temps, ainsi le dernier est arrivé le 16, soit 10 jours de retard à cause des pluies. De Port-Bergé à l’Antombokazo, 2 jours.
le courrier partant en France le 25 de chaque mois arrive à Majunga (via l’annexe) le 18 ou 19 du mois suivant, et est à Port Bergé le 25 ou 26, à 2 jours près, nous pouvons l’avoir à l’Antombokazo en l’envoyant chercher attendu qu’il n'existe pas de service postal.
Correspondance de retour : les courriers devront être rendus à Port Bergé tous les 26 pour correspondance avec la malle du 1er ou du 2 et l’arrivée en France le 26. Tous les 16 pour correspondre avec la malle du 1er au 2 et l’arrivée en France le 26, tous les 17 pour correspondre avec la malle du 23 et l’arrivée en France le 16.
Quel éclairage ? La simple bougie dans un appareil dit photophore. La nuit ne commence nullement à 6 heures. Quant aux veillées, elles se passent dans son lit sous une moustiquaire.
Nous mangerons à 6h30 ou 7h au plus tard. On peut rester parfois jusqu'à 9 heures et on se couche, car le matin il faut être debout à 5 heures.
Les colis. Peu importe le poids de vos colis, je les ferais monter par mer jusqu'à Ambuvango et la pirogue viendra les chercher à ce point.
Le poste peut être à 100 mètres de la rivière et être à une altitude de 200 mètres, sans indiquer pour cela que nous sommes perchés sur une colline. Nous sommes à 280 km de Majunga, à 80 km de la baie de la Mahajambe, vous voyez, l’altitude est peu élevée. La région n'est nullement marécageuse et il est évident qu’en ce moment avec les pluies torrentielles que nous avons partout, vous ne voyez que de l’eau, c'est une mer sans fin. Tout ce que je puis vous affirmer c'est que le pays est très sûr, beaucoup plus sûr que bien des villages en France.
Quant au rôle de surveillance que vous me demandez de vous définir, du jour que vous serez arrivé sur les placers, je vous remettrais le tout en mains, comptabilité, correspondance, etc. M. Danielle vous initiera aux travaux en cours, c’est-à-dire aux… en marche, quant à moi, j'ai une tournée de prospection très fructueuse pour la société à faire ce que je ne puis remettre. J'ai des renseignements sur divers terrains que je dois aller sonder, car vous devez comprendre que plus nous aurons de postes, plus nous aurons de bénéfices. Je vise surtout à ce que mes commanditaires soient non seulement satisfaits mais très contents de ma façon d’agir. Je veux arriver à tout prix à ce que notre société soit prospère, d’ailleurs, je suis assez intéressé pour que j'y sacrifie toute mon énergie.
J'ai répondu à tous les points de votre lettre et je compte sur vous le 1er juin à Majunga. Je serai à vous attendre. Quelques visites à Majunga et en route. Je ne vous fais pas venir plus tôt car je ne serai pas prêt pour vous recevoir. Les pluies me font perdre deux mois, je suis désolé, impossible de pouvoir travailler, de mémoire de Sakalave, on avait vu pareil crue. Je termine cher monsieur en vous priant d’après l’assurance de mes meilleurs sentiments et de mon entier dévouement
29 février 1908
Cher monsieur
J'aurais désiré causer avec vous avant votre départ et vous donner communication du dossier complet mais je ne vois pas qu’il me soit possible d’aller à Paris au commencement de février, s'il vous est difficile de votre côté de passer par Nevers je vous tiendrais au courant par lettre des nouvelles qui me parviendront de Madagascar.
Je viens de recevoir un courrier de M. Eudes, il m'assure qu’il fera tout ce qui est en mon pouvoir pour vous rendre le séjour d’attente… supportable et qu’il a pris toutes ses précautions au point de vue sanitaire, mais il me répète que les Européens ne supportent pas toujours facilement le climat de Madagascar et qu’il nous faut fortifier notre organisme et éviter tout surmenage pour être en état d’affronter victorieusement le… climat et les fatigues qui vous attendent. Je ne crois pas que le séjour de Paris, très attrayant sans doute, soit une bonne préparation. Ceci est un conseil de père de famille, prenez-le en bonne part.
Notre installation avance péniblement, tout le matériel est parti et M. Eudes doit être arrivé sur les placers mais avec un retard de deux mois sur ses prévisions, aussi ne peut-il compter produire avant le commencement d’avril.
Un prospecteur du district de Port-Bergé (le nôtre) vient de rencontrer un riche filon sur ses concessions.
M. Eudes ne reviendra à Majunga que pour votre arrivée, il me prie de vous demander d’acheter chez Allez deux lits à 49 francs que vous apporterez à Majunga comme bagage.
Vous ferez établir la facture au nom de Eudes et Cie, je vous la rembourserais de suite.
Veuillez, cher monsieur, croire à mes sentiments bien dévoués.
Ps : nous avons assisté aujourd’hui au mariage de Mlle Hernmin ; informez-moi de son chargement d’armes pour que je puisse en cas urgent nous trouver surement.
1er mai 1908, Nevers
Cher monsieur,
Je n'ai pu répondre hier à votre dernière lettre à cause de la fin du moi, aujourd’hui encore une journée chargée mais au moins je puis profiter de ma soirée pour vous faire mes dernières recommandations avant votre départ. Vous trouverez ce pli 232.70 pour supplément les frais de voyage. Il est bien entendu que la société supportera seulement les 1000 francs que je vous ai adressés d’accord avec M. Eudes. Quant à votre traitement qui doit échoir le 9 juin, je ne puis vous l’envoyer parce-que je ne dois faire aucun paiement sur les fonds de la société. J'ai remis le solde de la commandite à M. Eudes conformément à la décision des commanditaires. Cela du reste n'empêche pas que lesdits commanditaires, comme c'est convenu, me garantissent le paiement de votre traitement dans le cas où la société ne pourrait le faire comme les statuts l’y obligent. Je conserve votre code et je vous en adresse un autre de ma façon, j'aurais le double de chacun d’eux, par conséquent vous pourrez faire usage de l’un ou de l'autre suivant les besoins.
J'avais bien l’intention d’écrire à madame votre mère chaque fois que je recevrais un télégramme de vous, c'est pourquoi dans ledit code j'avais prévu les nouvelles personnelles, lorsque vous retrouverez M. Eudes à Majunga, dites-lui que je suis en peine autant pour sa famille, s'il veut m'en donner l’adresse ; voici un résumé de la situation qui vous fera comprendre l’urgence de nous renseigner sur les résultats actuels et probables de l’exploitation.
M. Eudes est en possession de la totalité de la commandite ; les commanditaires avec lesquels j'ai eu une conférence, il y a 29 jours ne sont pas disposés à approuver une augmentation du capital social, opération qui du reste serait impossible sans la garantie de M. Eudes. Reste la possibilité de faire un emprunt au nom de la société, opération qui me parait difficile d’effectuer à Madagascar et qui serait onéreuse en tous cas. J'espère que les résultats de l’exploitation permettent la marche prospère de l’affaire, mais il faut prévoir le cas où les fonds disponibles ne permettraient pas d’établir une 2e ou 3e… et que cependant leurs établissements serait très avantageux. Dans cette hypothèse et si vous avez constaté un rendement non satisfaisant, c'est alors qu’un télégramme m'informant de la situation pourrait m'engager à procurer encore quelques fonds pour hâter le développement de l’entreprise.
Je vais donner à M. Eudes des indications précises pour lui indiquer la marche à suivre dans le cas où cette éventualité se produirait. À ce propos, vous voudrez bien le prévenir qu’il trouvera un courrier poste restante à Madagascar que je lui ai adressé à la dernière limite mais en temps utile pour qu’il prenne le paquebot qui vous amènera à Madagascar.
Je ne sais si je vous ai dit que mon neveu, celui que vous avez rencontré chez moi est à Madagascar depuis trois mois, il fait aussi de la prospection, il ne semble pas avoir trouvé rien d’intéressant jusqu’à présent mais les nouvelles de sa santé sont bonnes, vous voyez qu’en prenant des précautions on ne court pas de grands dangers.
La maison Allez ne m'a pas répondu. Je pense qu’elle a fait l’expédition des lits, autrement elle m'aurait avisé de l’impossibilité d’exécuter mes ordres, néanmoins je leur écris aujourd’hui.
Voudrez-vous passer à la poste restante à Marseille avant votre départ et de manière à pouvoir au besoin me répondre, je me suis un peu pressé pour écrire cette lettre que je ne veux pas tarder davantage à vous envoyer, aussi j'aurais peut-être quelques communications complémentaires à vous faire et je compte vous les adresser à Marseille.
Vous verrez par le… que vous trouverez inclus que
L’adresse Banque T. Nevers est suffisante
Inutile de signer le télégramme, le chiffre devant m'indiquer sa provenance et l’absence de signature confirmera qu’il est bien de vous
Dès votre arrivée sur les placers et après vous être assuré du fonctionnement et du rendement, vous poussez à la première occasion par Port Bergé faire remettre (par poste) un télégramme à expédier par Majunga.
Voilà une série de recommandations un peu confuses parce qu’écrites au courant de la plume. Je les consigne ici dans l’ordre où elles se présentent à mon esprit, vous aurez le loisir de les classer et si vous avez quelques éclaircissements à me demander, vous avez encore le temps de m'en faire-part.
Je vous recommande encore de contrôler avec la plus grande attention les renseignements que vous nous ferez parvenir et je vous renouvelle l’expression de notre confiance et mes souhaits les plus affectueux.
Carnet de route de Louis de Langautier
Notes très sommaires prises au jour le jour pendant mon voyage à Madagascar où j'allais pour le compte de commanditaires, MM. Trinquesse, directeur de la Banque de France à Nevers, Heurtault, ingénieur en chef des Ponts et Chaussée à Nevers, Dauphin, notaire à Nevers, surveiller les travaux de la société d’exploitation des mines d’or Eudes et Cie sur l’ÀLouis de Langautier
7 mai – Je quitte Villefranche ; ma mère et Denise pleurant un peu comme à beaucoup de mes précédents départs ; et il me faut un effort de pensée pour croire que je pars pour un aussi long voyage. Et à part le regret de quitter les miens, je n'emporte pas d’amertume de quitter les lieux qui m'ont vu naître. Il est vrai que j'y ai toujours vécu en congé, entre deux arrivées et un départ ; et tout dans ce départ continue à me paraître naturel.
Et puis, l’idée de toutes ces choses nouvelles pour moi, la pensée d’aller mener une vie que j'ignore dans un lieu sauvage, tout cela me donne un peu la fièvre et l’emporte sur mon émotion.
Le soir, le rapide de Toulouse m'emporte vers ma nouvelle destinée ; vers 11 heures, je retraverse ma ville natale ; je me penche à la portière pour un dernier cri d’adieu, mais tout dort déjà, et seul le sifflet strident de la machine pousse son cri sinistre, comme un cri de bête de l’apocalypse. Appel que j'entendrais si souvent de mon lit pendant que je lisais, et qui aujourd'hui marque pour moi le premier pas dans l’inconnu de mon voyage.
Le lendemain, le soleil d’une belle journée de printemps me réveille à Arles. Le chemin de fer longe la Crau, côtoie l’étang de Berre et puis voilà la mer, voilà Marseille.
Je n'y passe que deux jours et je les emploie à visiter la ville que j'ignorais encore. Si l’on enlève à Marseille son vieux port, la Joliette et ses docks, la corniche avec ses points de vue sur la mer, il n'y a pas de curiosité à proprement parler. Il est même curieux de constater que Marseille, vielle colonie grecque n'a plus un monument ancien d’une réelle valeur. Tout est neuf, sa cathédrale inachevée Notre Dame de la Garde, son palais de Longchamp, sa bourse. Tout ce qui est vieux comme les parties qui longent le Vieux Port est d’un aspect lamentable ; des rues sinueuses et très étroites ayant des allures de coupe-gorge.
Toute la vie est à la mer et vient d’elle ! Pour essayer mon pied marin, j'ai fait plusieurs promenades dans une légère embarcation à voile. Grâce à une mer splendide et à une brise favorable, j'ai pu faire l’excursion du Château d’If. De l’ile, l’on a un beau point de vue sur l’ensemble de Marseille. Le château en lui-même n'est n'offre plus de curiosité. Une suite de salles voutées et de cachots, autour d’une cour carrée ; et voilà ce que l’on montre.
Dans certaines salles cependant, l’on relève quelques inscriptions gravées par d’anciens détenus. La promenade vaut mieux que le but.
Naturellement, je profite de mon passage pour goûter au met marseillais, la bouillabaisse. J'en mange d’excellentes à la brasserie de l’Univers, chez Bassot, à la Réserve chez Roubion.
10 mai – L’heure du départ arrive ; pour m'embarquer je reprends Franceschi, mon pécheur des jours précédents et après avoir traversé le Vieux Port et le bassin de la Joliette, je m'embarque à bord de l’Oxus.
À 11 heures, on largue les amarres et la paquebot quitte lentement la terre. Mon brave Franceschi est au bout de la jetée, il agite son mouchoir, il m'envoie des vœux de santé, c'est l’adieu de France, à peine une larme, et l’attrait de l’inconnu me reprend, noie mon émotion.
À peine avons quitté l’ile d’If que la cloche du déjeuner nous appelle et le voyage commence. J'ai la chance de me trouver seul dans ma cabine de 1ère classe, j'y prends toutes mes aises. Après le déjeuner, l’on remonte sur le pont. La mer est sans ride, le ciel est serein. Le bateau glisse sans efforts et seul le bruit perpétuel de la machine trouble le silence. Le Polynésien, paquebot d’Indochine nous dépasse. Nous longeons la côte jusqu’au soir.
Puis tout à coup, vers 4 heures, nous entrons dans une brume épaisse. La sirène pousse de temps à autre ses sinistres rugissements. Mais la mer est toujours calme. La vie s'organise à bord ; les relations se créent et au diner du soir elles se nouent davantage.
Déjà, c'est l’inévitable bridge pour passer les longues après-midis et les soirées mortelles. Point de toilettes à bord de cette ligne, et mon smoking reste au fond de ma cantine.
Je vais me coucher à 11 heures ; il n'y a plus personne sur le pont ; demain matin à la première heure, l’on doit traverser le détroit de Bonifacio, et je veux prendre une idée du point de vue.
Lundi 11 mai – Le jour qui pénètre par mon hublot ouvert me réveille. Il est 4 heures, je m'habille sommairement et je monte sur le pont. Une brise assez fraiche me réveille tout à fait. Devant moi, les côtes de Sardaigne et de Corse détachent leurs dentelures sur le clair du ciel. À la jumelle, c'est à peine si l’on distingue quelque ville lointaine sur la Corse. Une bande de brouillard enveloppe la Sardaigne de sa ouate grise. De nouveau le brouillard gagne le bateau. Il fait presque froid et je regagne ma couchette. Le bateau stoppe, ne pouvant se diriger dans la passe à cause de l’intensité du brouillard. Mais vers 7 heures, il peut reprendre sa marche, et c'est à peine si l’après-midi l’on aperçoit encore au loin une légère bande de terrain de Sardaigne. Et la mer bleue et calme nous entoure de nouveau. La traversée s'amorce excellente. C'est un temps de printemps, le bridge continue à fleurir.
mardi 12 mai – C'est aujourd’hui vers midi que nous devons franchir le détroit de Messine. Dès le matin, l’on côtoie les iles Lipari à droite. Dans le lointain à gauche, le Stromboli dresse sa forme conique qui laisse échapper un léger nuage de fumée. Puis, c'est l’Etna qui apparait, fumant aussi et recouvert de neige. Bien que située sur l’autre rive du détroit de Messine, il se dresse majestueux au-dessus des montagnes de l’ile. La fumée de on volcan se confond dans la brume de l’horizon. Puis les côtes semblent se rapprocher et fermer complétement la mer. Le bateau parait s'enfoncer dans un golfe, terme de son voyage, mais à quelques encablures de terre, un coup de barre à droite et nous entrons dans le détroit de Messine. L’on passe assez près des côtes pour distinguer les villes et villages à l’œil nu ; nous croisons de nombreuses barques et bateaux. C'est l’Italie avec Reggio. C'est la Sicile avec Messine, son quai bondé des grands bâtiments des docks, son port avec de nombreux navires au mouillage.
Au-dessus, c'est la montagne qui élève ses pentes verdoyantes brusquement. Et puis la terre s'éloigne de nouveau, l’Etna s'évanouit dans la brume. L’Italie s'animait avec une bande qui disparait peu à peu. C'est la pleine mer et nous verrons plus la terre qu’en Egypte.
Mercredi 13 mai – Le temps se maintient au beau fixe ; pas un nuage ; le ciel bleu et une mer d’azure sans une ride. La chaleur augmente insensiblement. 23° ce matin au réveil. J'avance aussi ma montre d’environ 20 minutes chaque jour. Cela fait déjà une heure depuis Marseille, c'est à peine si dans la journée l’on aperçoit une ligne brumeuse à l'horizon.
C'est tout ce que l’on voit de la Crête. C'est toujours la pleine mer, d’un bleu azur que le bateau emplit de vagues et de remous dans sa marche régulière. Partout ailleurs à peine de légères rides.
Jeudi – J'inaugure aujourd’hui mes habits kaki. Le besoin commence à s'en faire sentir. Sur le pont, l’on met la double toile et les toiles sur les côtés. Hier soir, l’on fait l’essai d’un petit bal ; mais les musiciens et les danseurs étaient aussi mauvais les uns que les autres. C'est toujours l’éternel bridge qui rend plus courtes les interminables heures de traversée. Tout le monde fusionne maintenant et les groupes sympathiques se sont formés.
Il manque absolument d’éléments féminins et jeunes filles. À peine quelques dames mariées qui nous paraissent de plus en plus jolies à mesure que nous nous éloignons de tout point de comparaison.
Pour la première fois je mets mon smoking, car sur cette ligne l’on ne fait aucun frais de toilette.
Distance parcourue dans la journée, 302 milles.
Vendredi – Mer toujours calme ; distance parcourue 302. Le matin nous apercevons le phare d’Alexandrie à bâbord. Puis après déjeuner, vers 2 heures, nous arrivons en vue de Port-Saïd. Le pilote vient nous prendre et passant devant la statue de Lesseps, nous amarrons devant les principales rues de Port-Saïd.
Moyennant de 30, un service de barques bien organisé nous transporte à terre où aussitôt l’on est assailli par une nuée de marchands juifs, grecs, égyptiens qui vous proposent des cartes postales, des cartes à jouer, des cigarettes, du Rahät loukoum de Syrie, etc… Devant chaque magasin et la principale rue n'est composée que de cela, vous avez deux ou trois vendeurs qui vous invitent en vous criant aux oreilles. Tous ces marchands cherchent à vous voler le plus possible et d’un article dont on vous demande 2 Fr. vous pouvez aisément en offrir 0.50 Fr.
La ville indigène est extrêmement curieuse, par la bizarrerie de ses magasins en plein vent, par la forme des maisons, le grouillement des habitants qui remplissent le quartier arabe d’un mouvement incessant. À remarquer l’installation de la poste égyptienne admirablement aérée sur une cour intérieure, avec des couloirs spacieux. Les femmes indigènes sont voilées et portent sur le front une espèce de rond en roseau qui leur partage la figure ainsi la figure et sur lequel s'oppose le voile.
Enfin à 6 heures nous quittons Port-Saïd et nous nous engageons dans le canal. La lune merveilleusement lumineuse éclaire le désert et les lacs intérieurs d’une façon magique. Et nous vivons sur le pont pour jouir de la fraicheur, mais aussi redoutant pour un sommeil paisible le bruit de la chaine du gouvernail et des palans. Après nous être rangés plusieurs fois, nous arrivons à 12 heures à Suez.
Samedi – Nous mouillons à plus d’un mille de la terre et c'est à peine si nous apercevons les maisons de la ville. Nous repartons vers les 2 heures et nous nous engageons dans la mer Rouge bordée par de hautes falaises de sable. La chaleur augment tout à coup et de 27 le matin vers 11 heures arrive brusquement à 40°. L’on agite les pankas, L’on commence à avoir chaud. Qu’est-ce que ce sera les jours suivants. Pourtant, le soir arrive et de nouveau la brise de mer qui souffle dans le bon sens permet un repos paisible grâce à la manche à air qui m'inonde de fraîcheur.
Dimanche – Une semaine écoulée depuis Marseille et nous sommes en pleine mer Rouge. La veille au soir, éclairés par la lune, nous avons aperçu la silhouette du Sinaï, mais aujourd’hui, ce n'est plus que de l’eau à l’infini. Chose rare, le ciel est couvert et il pleut. La température reste clémente et ne monte guère qu’à 29°. Nous avons fait 298 miles.
Lundi 18 mai – La soleil qui tape sur ma couchette me réveille à 5 heures. Il fait déjà 30°. Cela promet pour l’après-midi. La matinée se passe assez bien grâce à l’action bienfaisante de la douche froide. Peut-être faudra-t-il en prendre une seconde. Le thermomètre ne marque que 35° à l’ombre et c'est à peine si je transpire. La nuit, grâce à la manche à air se passe paisiblement. Toujours mer des plus calmes. L’eau de tous côtés et le choc régulier des pistons qui nous entraine sans cesse vers des buts lointains. Distance parcourue, 308.
Mardi 19 – Même température le matin. Distance parcourue 294. Le soir, le vent se lève u peu et l’on tangue légèrement la nuit.
Mercredi – La mer continue à être houleuse. L’on approche du détroit où l’on doit passer dans l’après-midi. L’on aperçoit des chapelets de rocs dénudés surmontés quelque fois d’un phare. Le mal de mer gagne quelques passagers mais l’après-midi tout rentre dans le calme. Malheureusement depuis hier midi nous n'avons parcouru que 274 miles et nous n'arriverons en vue de Djibouti que tard dans la nuit. La chaleur de ma cabine depuis l’entrée de la mer Rouge se maintient, malgré le hublot ouvert et le manche à air aux environs de 30°. À minuit, nous arrivons en vue de Djibouti. Aussitôt l’on forme les sabords car l’on doit charger 600 tonnes de charbon et c'est une pluie de poussière noire. Tout le monde campe sur le pont.
Jeudi – Levé à 5 heures, nous nous faisons porter à terre, distance d’environ 1 500 mètres. Nous atterrissons à l’extrémité d’une longue jetée de 4 à 500 mètres. À l’entrée de la ville, à droite se trouve le palais du gouverneur, parc et bureau. Aussitôt après nous arrivons sur une place où l’on construit en pierre, 4 ou 5 maisons. Djibouti n'existe pas encore au point de vue ville européenne. Dès que l’on quitte cette place centrale, c'est le quartier arabe avec toutes ses curiosités et sa couleur locale. Les femmes qui sont d’un joli type s'enfuient en se voilant la figure lorsqu’elles m'aperçoivent avec un appareil.
Un abyssin qui avait une allure majestueuse et que le voulais photographier me demande 5 Fr. pour poser. Je vis tout un campement de Somalis ; des cabarets en plein air ; des restaurateurs où les portions cuisaient dans des petites marmites enveloppées de cendres chaudes. Toujours même nuée de vendeurs de cartes postales, de pantoufles, de sagaies, de bâtons pour les dents, etc… Ils n'ont pas le même esprit débauché qu’à Port-Saïd et ils ne veulent pas nous indiquer le quartier des femmes. C'est le hasard qui nous fait le rencontrer. La plupart des femmes qui nous virent étaient bien faites mais avec de gros nichons affreux et j'en ai fait quelques photographies nues moyennant une pièce de 1 Fr.
Vendredi – Dans la nuit, à minuit nous doublons le fameux cap Guardafui.
Samedi – L’on nous avait prédit de la mousson dans l’océan Indien, mais la mer continue à être calme. Voici les noms de quelques connaissances :
Lieutenant Bizon et sa femme,
Lieutenant Drouet
Docteur Barthe de la marine
M. Janssens de la faculté Franco-Malgache à Nosi Be
M. Boiron directeur de la Cie commerciale et minière de Madagascar à Tananarive
M. Boiron Eugène et sa femme à Analalave
M. Belot à Analalave
Mme Bovielle à Majunga
M. Grignon à Diego-Suarez
M. Peloux propriétaire d’une concession d’or de l’Andavorkere
M. et Mme Clément, professeur avec Paulette et Raymonde
M. Quarteron administrateur
M. Langlois agent des MM. à Diego-Suarez
MM. Artus et fils, sucre à l’ile Maurice
M et Mme Plaideau de Toulouse à Anjouan
M et Mme Dessnazes à Anjouan
M et Mme Saint-Germain, aspirant à Anjouan
Commandant Protée
Commissaire, docteur
Vernes, administrateur hors classe nommé ensuite gouverneur des Comores
Dimanche – La mousson commence à se faire sentir et l’on tangue fortement. L’on ferme les sabords et les cabines deviennent intenables.
Lundi – Un peu de mal de mer car la mer est mauvaise. Au fur et à mesure que l’on approche de l’équateur le ciel se couvre de nuages, l’on reçoit de forts grains, c'est le fameux pot au noir.
Mardi – Passage vers deux heures de l’équateur. Baptême de la ligne au champagne. La houle continue à être très forte. Mon mal de mer est terminé.
Mercredi 28 mai – Le vent contraire nous occasionne un jour de retard et ce n'est que demain que nous devons arriver à Mombassa.
Jeudi – Vers 10 heures du matin arrivé en vue de la côte verdoyante, entrée dans la rade de Kilindini en construction. Descente à terre ; magnifique route de 3 km très fraîche comme une allée de parc, petit tramway sur rail, vieux château fort presque en ruine. Trois heures d’escale soi-disant, mais nous ne repartons qu’à 5 heures.
Vendredi – Dès l’aurore, nous côtoyons les rives très vertes de l’ile de Zanzibar ; et à 7 heures ½ nous arrivons en vue de la ville, en face le palais du sultan. Très grande ville de 6 000 habitants avec des rues étroites, tortueuses. Le commerce est aux mains des hindous. Nous avons déjeuné à l’Afrikans hôtel – 110 Fr. à cinq personnes au champagne. Acheté canne en peau de rhinocéros, 5 roupies. Village indigène très animé, foule bariolée, femmes avec des lampas rouge brique, noirs, jaunes et bariolés d’étoiles ou d’arabesques. Les hommes, toques et lévite levantine, sorte de redingote ample qui leur tombe jusqu’aux genoux. Trouvé un faiseur de bonneteau dans la principale rue du village indigène et tout comme sur les boulevards, il se sauvait à l’approche du policeman pour aller recommencer plus loin. Grande propreté de la ville, pas de tas d’immondices ou d’ordures dans les rues, même dans les quartiers les plus pauvres. Nous avons manqué la promenade en chemin de fer aux environs. Départ le soir vers 5 heures après être resté toute la journée à terre.
Samedi 30 mai – Nous reprenons la pleine mer pour cingler vers les Comores où nous devons arriver demain de bonne heure pour gagner Mayotte avant la nuit. Aussi, pourrons-nous ne peut-être pas descendre à terre.
Dimanche – Après 46 heures, nous arrivons à Mutsamudu, capitale d’Anjouan. Par exception, nous pouvons descendre à terre vers les 4 heures. Réception de la population indigène amassée sur la plage. Cortège des enfants, cris. Visite du vieux fort, vielles couleuvrines dans les embrasures. Ville arabe, rues sombres, très étroites, palais délabré du sultan. Départ à 4 heures.
Lundi – Arrivé à Dzaoudzi, Mayotte vers 9 heures après un long circuit autour des ilots madriporaux. Ville administrative sur un tout petit ilot ; noyée dans la verdure. Visite en ¼ d’heure, peu intéressante.
Mardi 2 juin – Sept heures ½, arrivé à Majunga, Eudes sur le pont aussitôt, cordiale entrevue. Descente à terre dans le canot du commandant du port avec M. Bosvielle. Visite de la ville, calme et paisible malgré l’arrivée du courrier, aucune animation. Déjeuner dans le pied à terre de Eudes avec Tranquin et C. Nombreuses visites l’après-midi. Soirée au cercle. Fraicheur de la mer. Coucher sans oreiller, sommeil agité.
Mercredi – Réveil 5 heures, visite au bazar. Notre marché : poireaux en guise d’asperges, crabes énormes.
Nous devons partir pour Marovoay pour trouver des porteurs. Arrivé le matin de Perrier de la Bathie . Préparatifs du départ. Achat de couvertures. Ramatoa Zouma dans notre pied à terre et chez elle.
Zouma n'apparait pas comme un prénom malgache, il est possible que Zouma ne soit pas le prénom réel de ladite jeune femme.
Jeudi – Départ à 3 heurs pour Marovoay par le bateau à vapeur du commandant du batelage.
Disparition du boy Toussaint. Diner à bord, 13 à table. Peu de brousse dans la nuit. Arrivée à 8 heures ½ à Marovoay. Installation chez Franquin, dans le bureau.
Vendredi – Visite du village. Le marché du vendredi. Difficulté de recrutement. Gentille réception le soir par l’administrateur Leloup. Souper et déjeuner à l’européenne. C'est la grande… encore.
Samedi – Le matin, les bourgeanes sont trouvés, 19. Nous bouclons nos paquets, achetons pain, vin et conserves et 1 heure ½ nous partons. Nous arrivons à 4 heures à Ambodimanga, 10 cases environ. Nous dinons d’un poulet cuit à l’eau, écorché vif. Du bouillon de poulet, sardine, fromage. Pas d’eau potable, soirée fraiche, feu de brousse, beau coucher de soleil d’un rouge flamboyant, etc.… coucher dans la case du chef ou nous nous installons. Dîner sur une caisse d’emballage. Crépitement du feu de brousse, causerie.
Dimanche – Tsilakane 5h3/4 déjeuner, Bakoubaï 2h, Ambalabé 1h coucher. Toute la matinée plaine de… Inquiétudes sur les porteurs de la malle qui arrivent enfin avec 4 heures de retard. Nous retirons l’argent et les papiers et repartons. Nous n'arrivons qu’à 7 heures à Ambalabé après nous être perdus dans la nuit qui commence à 6 heures.
Lundi 8 juin – Befanjave 1h ½ Antaranabo 1h Besakoa 1h ½ Tsiponitoondake 1h ½. Paysage plus varié, nous traversons de nombreux marais, la plupart desséchés. Canards, sarcelles, perdrix, … Après Besakoa, nous nous perdons dans les marais et la bousake. Heureusement, c'est la région de M. Eudes qui dirige les porteurs après la traversée de la Mahoyambe dans une pirogue sans balancier. Nous arrivons à Esinyomitondrake, village régulièrement construit. L’après-midi, nous allons voir la forêt vierge et tirer sur les crocodiles. Nous en apercevons un qui dort sur le sable de l’autre côté de la rivière, mais nous ne pouvons l’atteindre. Notre équipe de Marovoay nous lâche et le chef en l’absence du gouverneur nous fournit à grand peine 5 hommes pour le lendemain matin. Nombreux moustiques, bananes délicieuses.
Mardi – Betoita 2h, Marolopoka 4h, Ampitilomeki 3h. Nous ne partons qu’à 8 heures et allons déjeuner à Betroka. Nous nous trouvons sur un sentier tracé jusqu’à Port-Bergé. Nous traversons la forêt. L’après-midi très longue étape. N'ayant que 5 porteurs, je marche souvent à pied. Joli coin de forêt dans la vallée de la Besaranda ; nous laissons Marolapontre à notre gauche. Arrivée à 8 heures ½ à l’étape en pleine nuit. Nous délogeons les arabes installés dans la maison des passagers. Diner à 10 heures. Pendant ce diner, rumeur, notre Antemoro porteur de lits a été attaqué et a abandonné les bagages.
Il mange et repart aussitôt accompagné du chef et de quelques hommes du village pour aller les chercher. Nous cherchons le sommeil sur la dure. À 2 heures ½ nos lits sont retrouvés.
Mercredi – Port-Bergé, 6 heure, chef-lieu du district. Etape dure. Belle vue sur la vallée du Bemarive. À midi, nous arrivons à l’étape. Savelli, chef de la milice nos envoie chercher. Nous déjeunons et dinons chez lui avec Christofari. Visite à Ratineau, justice sommaire de l’Antemoro. Malgré nos affirmations, sang et frousse de l’homme qui malgré sa fatigue de la nuit n'a pas quitté le convoi, il penche pour le mensonge et fait coffrer l’individu.
Jeudi – Il a plu. Après déjeuner avec l’administrateur, départ par le raccourci. Les eaux, cet hiver, couvraient de 3 mètres d’eau le chemin que nous suivons. Collines nombreuses. Coucher à Antafiandraka.
Vendredi 12 juin – Andjalave 5 h déjeuner, Marovale 1h sur la Sofia. À Andjalave, l’on nous offre du riz et des œufs en présent – refus. Nous repartons aussitôt après le déjeuner. Longue attente avant de traverser la Sofia. Le passeur ne pouvait pas se décider à venir nous chercher. Le gouverneur, nègre, saoul et hébété.
À 4 heures nous repartons pour l’Antombokazo. Vallonnements nombreux. Collines de quartz. À la nuit nous arrivons aux placers. Diner en plein air, coucher dans la forge qui n'a pas même de porte et est encombrée de caisses, de tables, d’armoires. La porte est à l’établi. Mes matériaux sont là, mais seule la cuisine où couche M. Doinelle est presque établie. Les hommes couchent à la belle étoile autour d’un feu près de la rivière.
Samedi 13 juin – Nous passons la matinée et la soirée à la bâtée. Elles nous donnent à peine 3 couleurs, quelques-unes sont molles. C'est la purée. L’homme qui nous servait de boy s'en va pour enterrer sa mère. Nous sommes seuls. Le soir nous repartons à la chasse n'ayant rien à souper et le matin n'ayant tué que 3 perroquets. Nous rapportons 3 pintades dont une que nous mangeons le soir même. Pour comble de malheur, les chiens nous en volent une.
Lundi – Pendant que j'écris à M. Trinquesse, M. Eudes fait des bâties, 1-2-3 couleurs.
Mardi – Départ à midi du courrier porté par M. Doinelle et moi. Nous avons acheté 10 poulets pour 4 Fr. 50. Promenade au village de Maroali, 20 km aller et retour. Tue une pintade sur le sentier. Fabrication du four dans le terre-plein.
Mercredi 17 – Nous ne nous occupons qu’à vivre. Faire le pain, déjeuner et diner. Menu déjeuner, pintade frites, bananes frites, vin, soupe à l’oignon, poulet frit, bananes, vin rouge exécrable.
Jeudi – Départ de M. Robert. Puisse-t-il arriver jusqu’à Majunga. Je tue deux éperviers.
Société d’exploitation des placers aurifères de la Sofia et de l’Antombokazo
Eudes & Cie
Majunga – Port-Bergé (Madagascar)
Antombokazo, mardi 16 juin 1908
Ma chère Sined
Me voici au terme de mon voyage. J'y suis arrivé en excellente santé, sans trop de fatigues, et si cela continue ainsi je vais fort bien m'acclimater.
Ma dernière lettre était datée de Majunga et je l’ai envoyée surtout pour vous rassurer sur mon collaborateur. Depuis que nous sommes en voyage, ma première impression n'a fait que se confirmer. M. Eudes est un homme très sérieux en qui l’on peut avoir entièrement confiance, d’une droiture et d’une honnêteté poussée jusqu’à l’excès, il a une grande habitude de la colonne qu’il a parcourue en tous sens depuis 10 ans. Il connait la brousse mieux qu’un vieux malgache et ses conseils que je suis à la lettre me sont précieux.
De plus, ancien pharmacien, un peu docteur, il connait suffisamment tous les médicaments nécessaires pour parer aux différents cas de maladie qui peuvent se présenter. Mais actuellement sans surmenage, il n'y a rien à craindre. La température actuelle est celle de France pendant le mois de juillet. Les soirées sont fraîches et l’on supporte fort bien une couverture. Tout contribue donc à un bon acclimatement, surtout dans le poste actuel situé sur un petit plateau qui domine la rivière et avec la forêt vierge à proximité. Air pur et vent rafraichissant par conséquent.
Je suis jusqu’à présent très heureux de cette vie tranquille de broussard, pleine d’imprévus, de choses toujours nouvelles, d’impressions neuves. Notre vie n'est pas encore très confortable mais je m'y suis fait tout de suite et je dors aussi bien maintenant sur
et devant aller le chercher dans le milieu de Juillet.
Après 4 heures de bateau sur un fleuve immense, comme la Gironde après Bordeaux, nous sommes arrivés à Marovoay. Naturellement il n'y a pas d’hôtel et nous sommes allés monter nos lits dans la maison d’un colon, M. Franklin qui est un gros entrepreneur de l’endroit. Le lendemain nous nous sommes préoccupés de trouver des porteurs avec l’aide de l’administrateur M. Leloup. Grâce à lui, le samedi vers deux heures nous avions 10 bourgeanes , et nous étions prêts à monter à filanzane, sorte de chaise à porteur portée sur deux brancards par 4 hommes. Nos repas, nous les avons pris chez différents colons, et même le vendredi soir nous avons été très aimablement reçus par M. et Mme Leloup, des amis de M. Eudes. Ils se sont connus alors que M. Leloup était administrateurs à Port-Berger. Le diner était fort bien servi, et si ce n'avait été le nègre qui faisait le service et les pankas qui s'agitait au-dessus de nos têtes, j'aurais pu me croire encore en France.
Bourgeanes
Porteurs de professions
Mais assez de réceptions, de fêtes, de champagne comme cela. Samedi 2 heures, départ, et ½ après nous voilà en pleine brousse, suivant un petit sentier à peine tracé. Après 14 ans d’occupations, il est étonnant de voir l’apathie administrative ; rien n'a été fait pour assurer les communications entre centres importants. Et l’on s'étonne en France que les colonies ne rapportent rien. Mais que fait-on pour les mettre en valeur. Pendant trois heures nous traversons une plaine, légèrement ondulée avec des bouquets de satre. Le satre est un arbre qui ressemble beaucoup au palmier, et qui pousse partout ici, même dans les mauvais terrains. L’on se sert de ses feuilles très larges et très résistantes pour faire le toit des cases. Vers les 5 heures, nous arrivons à Ambodimanga, tout petit village d’une dizaine de cases. C'est là que nous devons passer la nuit. Nous nous installons dans la case du chef et nous faisons préparer notre repas. L’on s'empare d’un poulet que nous payons 0.50. On l’écorche et on le fait bouillir dans la casserole. Menu : bouillon de poulet, poulet croque au seul, sardines. L’eau n'étant pas potable, nous buvons du thé. Ce menu va se répéter matin et soir jusqu’à notre arrivée, sauf quand le matin à déjeuner le poulet est sauté à la poêle et que dans certains villages nous trouvons d’excellentes bananes.
Nous mangeons en plein air, assis sur nos lits. Devant nous, à trois cents mètres, un immense feu de brousse illumine la nuit de sa ligne de feu et après une causerie, nous nous endormons sous notre moustiquaire, bercé par le crépitement des herbes qui flamboient. Le lendemain, nous partons au petit jour car nous avons une étape de 6 heures à faire pour déjeuner à Tsilakane. Pendant la route, c'est à peine si nous rencontrons un ou deux indigènes qui suivent le même sentier que nous, mais pas une case à l’horizon, rien que l’infini de la brousse. Nous déjeunons, mais nous ne pouvons repartir, les porteurs de ma malle ne sont pas encore arrivés. Nous sommes inquiets car nous avons mis l’argent dans la malle et nous craignons le vol. Nous envoyons un de nos porteurs en arrière pour prévenir l’administrateur. Enfin, après 4 heures de retard, voilà la malle. Nous enlevons argent et papiers et nous repartons. La nuit qui arrive à 6 heures nous surprend en route ; après le passage d’une rivière desséchée nous perdons le sentier.
Mais, nos porteurs, après quelques recherches, retrouvent le bon chemin et nous arrivons à 7 heures à Ambolabé. La case des passagers est en ruines. Le chef n'est pas là. Nous avisons un indigène assis sur ses talons et lui demandons une case propre. Il reste immobile et à l’air de ne pas comprendre. M. Eudes se fâche, lui promet une rossée, l’injurie et 5 minutes après nous nous installons dans une superbe case sur des nattes toutes neuves. La femme qui l’occupe est effrayée car on a dû lui dire que le waser est méchant. Nous la rassurons de notre mieux et la nuit se passe fort tranquille.
Le lendemain lundi, nous devons arriver pour déjeuner à Tsinjomitondraka sur la Majamba. C'est là que M. Eudes a ses concessions, 360 hectares. Mais le matin, nous traversons de nombreux marais en partie desséchés. Mais à d’autres endroits nos hommes ont de l’eau jusqu’au ventre. Nous rencontrons d’immenses troupeaux de bœufs en liberté qui paissent, des vols de canards et de sarcelles très nombreux, des perdrix, etc…
La paysage est beaucoup plus animé et nous traversons trois villages d’environ 1 heure les uns des autres. Après le dernier, ayant encore 1 heure de chemin à faire, nous nous perdons dans les marais, et dans la brousse haute de 3 mètres environ. J'en ai pris une photo et tu pourras juger toi-même de notre situation.
Mais M. Eudes connait très bien le pays qu’il a habité longtemps et nous arrivons sans encombre pour déjeuner à l’étape fixée ! Nous traversons en pirogue la Mahayambe ; pour la première fois j'utilise ces barques creusées dans un tronc d’arbre et dans lesquelles on doit se tenir accroupi sans bouger – ou gare la culbute et la rivière regorge de caïmans. Le soir pour la première fois aussi, j'aperçois de l’autre côté de l’eau, un énorme caïman qui dort au soleil sur le sable. Je tire un coup de révolver et l’énorme bête saute d’un bond dans la rivière. Nous passons l’après-midi dans ce village qui est assez important. Une centaine de cases. Nous nous installons dans l’habitation de M. Eudes ; c'est un peu délabré car voilà plus de deux ans qu’il n'y habite plus ; mais nous sommes chez nous.
Nous mangeons des bananes exquises, ayant goût de framboise, provenant de sa concession.
Mais dans la nuit, pour la première fois nous sommes dévorés par les moustiques qui s'étaient mis sous notre lit pendant le jour et que nous avions enfermé avec nous dans la moustiquaire.
Ici nous changeons de porteurs, ceux de Marovoay se disent fatigués, malades. Malheureusement, le commandeur du village à Port-Bergé et le chef ne peut se procurer tous les hommes qu’il nous faut. Tant pis, nous ferons une partie de la route à pied et vers 8 heures nous nous engageons dans la forêt. Nous partons en retard ce qui fait que l’après-midi nous avons une étape de 7 heures à fournir. Nous traversons des coins de la forêt de toute beauté avec des essences d’arbres gigantesques ; c'est la vraie forêt vierge avec ses lianes qui retombent, avec l’enchevêtrement de ses taillis. Les hommes sont exténués quand nous arrivons le soir à 8 heures à l’étape.
Vers les 10 heures pendant le diner, grande rumeur, le porteur de nos lits a été, d’après ce qu’il raconte, attaqué et il a abandonné le tout sur la route. L’on envoie le chef du village avec quelques hommes à la recherche de nos lits ; et nous nous installons sur la terre pour nous reposer un peu.
Nous supposons une blague de notre Antemoro qui fatigué sans doute a jugé bon de se débarrasser de son fardeau et de simuler une attaque. À deux heures du matin en effet, nos lits sont retrouvés, mais néanmoins nous sommes obligés de croire à une attaque car notre porteur a du sang dans le nez et sur le front.
Nous repartons au petit jour car nous avons 6 heures pour arriver à Port-Bergé où nous arrivons pour le déjeuner. Pendant plus d’une heure, nous marchons au milieu d’un vol considérable de sauterelles. C'est d’un effet bizarre ces milliers d’ailes qui miroitent au soleil.
Nous voilà arrivés au chef-lieu du district. Nous sommes très aimablement reçus par le chef de la milice, M. Savelli, et le lendemain, nous déjeunons chez l’administrateur, M. Ratineau. Encore deux jours de marche et nous arrivons à Marvale. Village de cinquante cases environ. C'est le plus proche de nos placers qui se trouvent à 2h de marche soit 10 km. Nous avons un pied à terre dans ce village, car tout et hiver c'est par là et la Sofia qui coule à côté du village que se sont faits les transports de matériel. Enfin, le 12 au soir, à la nuit tombante nous arrivons sur le poste d’Heurtault ville. Nous sommes reçus par M. Doinelle, le collaborateur de M. Eudes, un garçon de 25 ans environ, très travailleur et qui connaît la brousse aussi bien qu’un malgache.
La situation du poste est excellente ; sur un petit plateau, nous dominons la rivière de l’Antombokazo ; c'est une gentille rivière qui coule à travers un lit de rochers et de sable au milieu d’une abondante verdure qui pousse sur ses bords.
Autour de nous formant criques quelques mamelons rocailleux et plus loin, à 2 km, la Sofia dans le lointain, la grande forêt vierge qui recommence.
Je te remets la description plus détaillée de mon lieu de séjour à ma prochaine lettre ; aujourd’hui, je suis pris par l’heure du courrier qui va partir aussitôt après déjeuner.
Peut être le prochain courrier ne t'apportera pas de nouvelles, notre service postal n'étant pas encore complètement organisé ; je te préviens pour que tu ne te tourmentes pas si tu n'avais pas de lettres. Le mois prochain, je dois descendre à Majunga et je t'enverrai encore de nombreuses cartes postales et peut être des épreuves de mes très intéressantes photos. Ne sois pas préoccupées de mon sort ; ma santé malgré les fatigues du filanzane pendant 10 heures par jour est excellente.
Je dors bien et mange de même.
Je t'embrasse de tout cœur ainsi que ma chère maman. Combien il me tarde de recevoir de vos nouvelles, je ne sais rien depuis mon départ et attends avec impatience le courrier de la fin du mois.
Bien à toi
Louis
Heurtault ville, le 25 juin 1908
Ma chère Sined,
Voilà plus d’un mois et demi que j'ai quitté Villefranche et je suis toujours sans nouvelles. Vos lettres ont vraiment du mal à venir me retrouver dans mon petit coin de brousse.
Heurtault ville, quel nom pompeux pour le petit coin de terre que j'habite et qui est encore à organiser. Le site de ce poste futur, qui doit devenir le centre de nos exploitations aurifères a été bien choisi par M. Eudes.
Nous sommes sur un petit plateau qui domine la rivière de l’Antombokazo qui coule au pied. La vue s'étend sur une certaine étendue de plaines bordées à l’horizon par quelques légers mamelons. La situation élevée du poste nous fait profiter du moindre vent, et cela atténue beaucoup les ardeurs du soleil ou l’élévation de température. La rivière Antombokazo coule dans un lit de verdure ; son cours fait de nombreux méandres dans la plaine et l’œil suit facilement son cours qui fait une tâche foncée de verdure sur la brousse ensoleillée Son lit saute de cascades en cascades sur des petits rochers, avec des bancs de sables çà et là ; c'est en somme une gentille petite rivière, bien calme en saison sèche ; c'est elle que nous allons troubler dans sa solitude pour la bouleverser de fond en combles et extraire l’or qu’elle contient en paillettes fines. Son eau est excellente et nous fournit une eau fort potable et assez fraiche. Naturellement en cette saison, pas de crocodiles à redouter dans ses eaux transparentes et tranquilles ; à peine à 1 kilomètre et demi de là, elle se jette dans la Sofia. Là ce n'est plus la même chose, c'est le grand fleuve, comparable à la Loire par son étendue, ses iles, ses bancs de sable, le régime de ses eaux, basses en cette saison et qui débordent en la saison des pluies. À l’estuaire de l’Antombokazo dans la Sofia coulent ses eaux torrentueuses dans un magnifique amas de roches, jetées pèles-mêles dans un chaos indescriptible. Il y en a au moins cinq cents mètres comme cela et je t'en enverrais plusieurs photos qui t'en donneront une idée beaucoup plus exacte que toutes mes descriptions. Là le crocodile reprend ses droits et quoique je n'en ai pas aperçu encore dans ces parages, l’on est assuré de leur présence par les traces qu’ils laissent sur le sable lors de leurs promenades digestives au soleil.
Voilà a peu près la description d’un lieu où je dois séjourner quelques mois. Il n'a rien de déplaisant en lui-même. Le climat y est aussi salubre qu’il peut l’être à Madagascar et je crois m'y trouver à l’abri d’ennuis de fièvres ou autres. La température actuellement varie entre 32° à l’ombre à midi et 18° le matin avant le lever du soleil
Cela doit durer ainsi jusqu’à la fin septembre. C'est l’hiver ou la saison sèche. Le soleil se lève après 6 heures et se couche avant 6 heures. Le ciel est toujours serein, le jour et la nuit. L’air est extrêmement pur et lumineux et les étoiles brillent au ciel avec l’éclat qu’elles ont en France par les plus belles soirées d’été.
Ma santé est excellente, je ne souffre nullement de la chaleur et l’acclimatement se fait sans souffrance. Tous les soirs, vers les quatre heures, je prends un fusil et seul, ou avec un de ces messieurs, nous partons à la chasse, suivi de quatre chiens qui forment nos gardes du corps. Ils sont déjà fort habitués à moi et c'est par des cris et des sauts de joies qu’ils m'accueillent lorsqu’ils me voient équipé en chasseur.
Dès que l’on quitte l’emplacement du poste qui a été débroussaillé, le premier pas que l’on fait, c'est dans la brousse. La brousse, qu’est-ce donc ? C'est une suite ininterrompue d’herbes de toutes sortes et de différentes hauteurs. Il y a des endroits où cette herbe dépasse 3 mètres. Le plus souvent, elle atteint 1m50 à 2 mètres, quelquefois, mais c'est rare, 50 centimètres. Et l’on marche là-dedans en ouvrant l’œil pour éviter de tomber dans de petits ravins qui servent à la saison des pluies à l’écoulement des eaux, et qui maintenant, recouverts d’herbes s'ouvrent brusquement sous les pas. Mais ce danger n'est pas bien grand, car outre qu’ils n'ont pas plus de 3 à 4 mètres de profondeur, ils sont faciles à reconnaître à certains indices infaillibles.
Et revêtu de mes guêtres et mes bons souliers au pied, je me familiarise avec la brousse. L’on y marche sans crainte puisqu'en somme il n'y a pas d’animaux dangereux à redouter dans ces hautes herbes. Les serpents y sont rares et absolument inoffensifs quoique de belle taille ; je n'en ai pas encore rencontré. Du reste, dans les endroits qui sont suivis, de même que dans les environs du camp, l’on met tout simplement le feu à ces herbes gênantes et l’on est ainsi débarrassé jusqu’à la saison prochaine. Un de ces soirs, avec M. Eudes, nous avons rencontré une bousake (c'est ainsi que l’on dénomme en malgache l’herbe pourrie) très haute et très dense sur les bords de l’Antombokazo à deux kilomètres environ du camp.
Derrière nous j'ai mis le feu, et ce fut un véritable embrasement de tout le petit vallon. Le soir encore, après diner, l’on voyait au loin à travers les arbres les dernières lueurs du brasier qui s'éteignait. Ces jours-ci, je reviendrai de ce côté pour me rendre compte des effets du feu et voir si le chemin est devenu plus praticable. C'est un des amusements de la brousse que ces grands feux qui font pâlir nos plus beaux brasiers de la Saint-Jean. Et si tu entendais le crépitement des herbes encore vertes, c'est comme une véritable fusillade. En dehors de ces hautes herbes, il y a de nombreux petits bois, et la grande forêt vierge. Dès que l’on approche des taillis, il faut devenir plus circonspect car il a deux choses à redouter et à éviter. C'est le tankilout et les fanenty. Le premier est une liane qui s'entortille autour des arbustes et qui donne naissance à une espèce de gousse ayant la forme d'un haricot.
Si en passant, tu as le malheur de te frotter contre elle, ce sont aussitôt des démangeaisons terribles que l’on ne peut faire passer qu’en se frottant le plus vite possible, toutes les parties atteintes avec de la terre ou de sable. C'est le seul remède contre le tankilout qui traverses les habits les plus épais et qui n'est autre que ce qu’on appelle en France le « poil à gratter» . C'est ennuyeux mais ce n'est pas dangereux.
Les fanenty le sont un plus. Ce sont des sortes de petits nids de guêpes qui pendent au bout des branches. Ces nids, de la grosseur du pouce, contiennent de petites cellules de cire comme une ruche en miniature, et à l’intérieur vivent une demi-douzaine de guêpes. Gare au passant maladroit qui détruit leur nid ;
C'est une charge à fond contre lui et chacune lui enfonce son dard, absolument comme le ferait une abeille dont on aurait détruit la ruche. La piqûre, quoique cuisante n'en n'est pas plus dangereuse. Mais avec quelques regards circonspects avant de risquer un pas en avant dans les broussailles et tous ces légers ennuis sont évités. Jusqu’à présent du moins je n'en ai pas senti les désavantages tandis qu’au contraire Eudes et Doinelle ont ressenti les effets du poil à gratter. Maintenant, te voilà familiarisée un peu avec la brousse ; là le gibier y abonde. Chaque fois que je prends un fusil, je reviens avec une, deux pintades, des perroquets. En outre, l’on rencontre des perdrix, des aigrettes magnifiques, des vournons, sortes de hérons, des sarcelles, etc… enfin, tout ce qu’un chasseur peut désirer et c'est un véritable plaisir pour moi que de chasser.
Le matin de mon arrivée, un vournon est venu se placer sur un arbre à proximité de l’endroit où nous déjeunons. M. Doinelle d’un coup de carabine l’abat et voilà un excellent rôti pour le diner. La chasse nous fournit un gros appoint dans notre garde-manger et dans la variété de nos menus. Un bouillon de perroquet est ma foi, fort bon.
Je remets la suite de ma lettre à demain car voilà le soleil qui va se coucher, et je voudrais tuer une aigrette qui rôde depuis plusieurs soirs près du camp sur les arbres de la rivière.
Hier soir, je n'ai pas tué l’aigrette ne l’ayant pas rencontrée. Après diner, j'ai développé les photos prises pendant mes étapes en filanzane ; il y en a de réussies, et j'espère dans ma prochaine lettre t'en envoyer un choix. De même pour celles que j'ai prises dans mes différentes escales : Port-Saïd, Djibouti, Zanzibar.
Je termine là ma lettre pour cette fois-ci, car toujours comme l’on s'y prend à la dernière minute, l’heure du courrier vous presse.
J'ai encore une minute pour t'envoyer toute mon affection dans un baiser ; maman n'est pas oubliée dans ma tendresse et je l’embrasse ainsi de tout cœur.
Louis
Nous restons seuls au camp avec M. Eudes, Doinelle ayant accompagné le filanzane. Fuite du bœuf porteur qui nous fausse la compagnie. Le soir en l'honneur de la Fête Dieu, l'on prend du champagne.
Vendredi – Menus, déjeuner canard rôti, bananes, souper soupes, canard en sauce, banane. Tous les jours les indigènes nous apportent du riz au prix de 0.10 le kilo. Le soir, je vais à la chasse mais ne tue rien.
Samedi – Les journées se passent dans l'inactivité, tout notre temps étant pris par les soins matériels. J'apprends le malgache. Je lis, les quelques hommes que nous avons finissent de nettoyer l'emplacement du camp. Retour de Ranire d'Antsohihy. Sokolalabé est au service de M. Lesieur et ne peut venir. C'est la guigne.
Dimanche 21 juin – M. Eudes va prospecter l’Anbararatubé au nord de l’Antombokazo. Départ 1 heure avec deux bourgeanes. Retour du milicien de Port-Bergé avec le phono Pathé. Ratino doit essayer de faire revenir Farahala, sinon le coffre pour vol de vin. Les hommes ont l’après-midi à eux. Nous sommes seuls. Je vais à la chasse et j'explore les magnifiques rochers de la Sofia – tue une pintade.
Le soir, dans le silence, audition du répertoire Pathé.
Lundi – L’Antemoro. I. mis en prison par Ratino arrive frais et dispo. On le met au travail du jour. Enlever la bousake du camp et du potager. C'est fini aujourd’hui. Irebèse au besoin deviendra un boy. Développement des photos.
Mardi – Correspondance. Je repère le mamelon de la Sofia au moyen d’un grand feu qui brûle plus de trois heures. Quelques fanent me poursuivent de leur fureur. Sakaf toujours le même. Soupe, poulet ou pintade, dessert banane, confitures.
Mercredi 24 juin – Une heure, retour de M. Eudes avec Ranève de l’Anbararatubé. La prospection n'a donné aucun résultat appréciable, mais M. Eudes doit y retourner au plus tôt examiner de nouveaux points intéressants de la même région. L’arrivée d’un taratase qui va mieux à Ambuvango. La machine carrée a été retirée par nos matelots. Pas de boutres pour continuer le voyage. Ordre d’attendre un passage d’un boutre quelconque. Vérification de la comptabilité, difficulté pour retrouver quelques erreurs. Le jardin s'achève et l’on commence la case des hommes. Pour le Sakaf , toujours la même difficulté.
À 5 heures du soir, rien à manger, que faire ? On tue comme précédemment un jeune poulet et on tire de là. C'est la purée quand même !
Samedi 27 juin – M. Eudes est fatigué depuis sa rentrée de tournée. Avant-hier, il attrape un commencement de coup de soleil et comme cela ne va toujours pas, il se purge aujourd’hui. 38°8 à midi. On embauche un homme et un gosse. Je tue une pintade à la chasse et je fais un grand tour par les collines de la Sofia. En l’absence de M. Eudes qui est allé à Marvale pour faire porter du riz, je fais le pain.
Dimanche 28 juin – M. Eudes est allé à Marvale pour tuer un bœuf et le débiter au bazar. M. Eudes est toujours indisposé, à moi le Sakaf. Je fais le pain, chauffe le four et prépare un excellent poulet en sauce digne d’un Vatel. L’après-midi arrive 10 kg de viande, rognons, cervelle, langue, filet. Je taille, coupe, prépare le bouillon, les rognons, la cervelle. Je n'en n'avais jamais autant fait dans l’art culinaire.
Lundi 28 juin – Enfin ce matin nous recevons le courrier de Port-Bergé. Les larmes me viennent aux yeux malgré moi en lisant ces quelques lignes des miens et pour un instant je revis avec eux. Que cela fait du bien de ne pas se sentir seul dans la vie. Je continue mon métier de boy pour les mêmes raisons que hier. On fait construire une case en satre pour mettre les hommes à l’abri ; ceux-ci ayant couché jusqu’à présent à la belle étoile.
Mardi – Nous nous régalons encore avec le bouillon et la viande grillée. Mais c'est fini ; le reste, nous en faisons du masquit
Mercredi 1er juillet – Jour de paye. Nos hommes leur mois étant finis s'en vont. Ils sont reraka et nous laissent en plan. Que faire ! Le soir, monté sur un pari , je vais à Marovale ; je recrute une bande d’Antemoro qui doivent venir demain matin. M. Eudes a eu un fort accès de fièvre, 39°, M. Eudes est toujours fatigué, cela tourne à l’hôpital !
Jeudi 2 juillet – Coup de théâtre, vers huit heures, deux bandes d’Antemoro viennent pour s'embaucher. L’une de 15, l’autre de 10. Nos hommes qui nous avaient quittés hier reviennent pour travailler. C'est sans doute qu’ils ont appris qu’il n'y avait rien à faire du côté de Diego. Enfin, nous allons pouvoir commencer le travail. Nous leur faisons construire des cases en satre dans la plaine. Nous voici donc avec 35 hommes, c'est un commencement.
Vendredi 3 juillet – C'est une véritable avalanche de bras qui arrivent ce matin. Il y en a près de 50 au lieu des 15 annoncés hier. Nous en engageons 33 hommes et 3 gosses. Et aussitôt, nous les mettons à construire leurs cases. Nous traçons notre futur village avec des rues bien larges de 35 mètres et 10 mètres entre chaque case. C'est la concurrence pour Marovoay que les habitants fuient à cause du gouverneur saoul et prévaricateur. Ils vont venir avec leur panjak Mentrava que nous désignons comme chef de notre village. Fin du jour sous ma direction.
Entourage des jardins se continue par Irebèse. M. Eudes, toujours mal à la tête ne peut encore affronter les ardeurs du soleil.
Samedi – Quelle hécatombe de bois, si le gouverneur le savait. Mais du reste, c'est pour le bien être des indigènes et il ne pourrait rien dire. Ecritures sont d’accord, il ne reste que 200 Fr. en caisse pour juillet.
Dimanche – M. Eudes toujours mal à la tête, vomissements. Doit partir demain en filanzane pour Analalave.
Lundi 6 – M. Eudes part le matin pour Analalave et va déjeuner à Anonpaka. Nous envoyons chercher le courrier.
Mardi – Le matin, Doinelle va chercher tout ce qui reste à Marvale. L’après-midi se passe à terminer les cases et nettoyer le village.
Mercredi – Même travail. Je suis le seul blanc au camp. Je commence les travaux du barrage. Abattage des arbres, détournement de la rivière. Nous avons enfin embauché un menuisier (Louis) qui a l’air assez capable et qui va nous apporter un peu plus de confort dans nos habitations. Nos hommes ignorent tout d’un travail quelconque. Ils ignorent la brouette. Les arbres, ils les portent au lieu de les faire rouler sur des rondins et tout de même ; il faut tout leur montrer.
Vendredi – M. Doinelle prend plus de la moitié des hommes pour aller chercher le betsubtse . Cela arrête les travaux qui s'avancent lentement. L’on achète une vache 35 Fr. et 5 Fr. de lamba , un morceau d’os de porc pour la mangatake de demain.
Dimanche 11 juillet – Le matin, vers 10 heures commencent à arriver des villages voisins de longues théories de femmes et d’hommes parés de leurs plus beaux lamba, roses, blancs, imprimés, etc…
À deux heures, la mangatake commence. L’on amarre la vache qui ne doit plus vêler au milieu du village indigène. Face à sa tête, on place une natte sur laquelle on dispose une assiette et une bouteille remplie d’une espèce d’hydromel noirâtre dans un verre sous l’assiette et l’on y jette un morceau d’or. Le sorcier se place derrière la vache et la cérémonie commence.
Un indigène apporte sur une pierre un bout de bois fumant et il le promène tout autour des flancs de l’animal et lui encense longuement les naseaux. Puis on enterre cette braise dans la terre. Le sorcier, armé d’un long bâton s'avance ; c'est un vieillard à barbe blanche, il s'est enveloppé le corps avec la grand lamba blanc que nous avons spécialement acheté pour cette cérémonie ; il invoque les esprits et à chaque phrase, il tape un grand coup sur le ventre de la vache qui ne remue même pas la tête… Que ta mort amène beaucoup d’or au vazaha et lui donne la richesse… qu’aux femmes… et il frappe un dernier coup. Alors on arrache des poils à différents endroits de la vache et chaque foison les plonge dans l’assiette. Le sorcier s'assied alors sur la natte et plongeant ses mains dans l’assiette, il asperge la vache du liquide noirâtre. Se levant, il jette encore en différentes places du village ; puis c'est au tour du vaz.. qui prend l’assiette à son tour et qui en jette dans le camp. C'est la fin.
Les esprits invoqués doivent être favorables à l’entreprise. On tue la vache et les indigènes présents s'en disputent les parts auxquelles on a laissé la peau. Après nous être réservés les filets, cervelle, langue, côtelettes, on abandonne le reste. Cinq minutes après, il n'en reste plus rien, tout a été enlevé, jusqu’au tripes ont les Antemoro sont friands. Le betsubtse emplit les coupes et ce sont les chants et les danses qui vont commencer pendant que la marmite préparée cuite toute cette bidoche.
Dans la soirée, nous recevons notre deuxième courrier de France, et nous le dépouillons avec joie. Enfin, le soir au clair de lune, nous allons assister aux danses nègres dans le village. Tantôt une sorte de gigue exécuté par un seul, tantôt une ronde autour d’un qui est au milieu en tapant dans les mains et en exécutant une sorte de pas cadencé.
Dimanche – Tout le monde se repose et cuve plus ou moins son betsubtse. Mes hommes malgré cela travaillent le matin à nous faire un abri en faces les travaux du service.
Heurtault ville, le 14 juillet 1908
Bien chère maman,
Pendant que vous vous réveillez au bruit des bombes et que toute la journée vous allez être ennuyée par de la musique plus ou moins harmonieuse, je suis ici dans la solitude la plus absolue et le calme de la nature.
Enfin, j'ai reçu une lettre de vous, la première le 29 juin. Tu ne peux croire combien j'ai été heureuse de recevoir de vos nouvelles et de savoir que là-bas, bien loin, j'avais des êtres chers qui pensaient à moi et me gardaient leur affection la meilleure. La joie était si grande que malgré moi à la lecture de ces quelques pages, les larmes me venaient aux yeux toutes seules. Tu ne peux te faire à une idée de l’isolement de la brousse ; la vie extérieure et toutes les mesquineries de France qui suffisent à remplir bien des existences n'existent plus pour nous. Nous ne vivons que pour nous et entre nous.
Les nouvelles que nous recevons par le « Journal» que M. Eudes reçoit ne nous intéressent plus que comme un roman d’histoire ; ce n'est plus de l’actualité ; ce sont des évènements déjà vieux d’un mois.
Malgré tout, je ne me déplais pas sur mon petit coin de terre ; chaque jour l’esprit est obligé de travailler pour résoudre les difficultés qui se présentent ; l’initiative est pleine et entière ; et puis chaque jour c'est encore du nouveau et de l’imprévu. Si ne me sentais pas si éloigné de vous, je crois que je serais heureux au moins pendant quelques temps. Car malgré tout, ce qui rend mon exil moins pénible, c'est qu’il peut cesser du jour au lendemain et que je ne me crois pas obligé de vivre plusieurs années de suite loin de nos semblables. La vie en France a bien ses petits cotés ; mais il y en a tant d’autres qui rendent la vie agréable ; et en laissant les uns pour ne prendre que les autres ne peut-on y vivre très tranquille.
Ma santé est toujours excellente. Pas la moindre indisposition depuis mon départ de France. Actuellement, vous êtes en possession de toutes mes lettres de traverse et vous allez recevoir ma première lettre datée d’Heurtault ville.
D’après tous mes récits assez détaillés, j'ai fait un voyage des plus intéressants ; vous en avez eu un vague reflet par mes lettres, et c'eut été presque dommage de ne pas profiter de l’occasion de gagner de l’argent et de voir en même temps d’aussi intéressants pays.
Dans mes premières lettres d’ici, je vous ai déjà entretenue de l’ensemble de notre situation. Aujourd’hui, je vais te parler de ma vie plus intime et te dépeindre un peu les êtres avec lesquels je dois vivre quelques temps.
D’abord, M. Eudes. Le portrait que je t'en ai tracé brièvement à Majunga continue à être vrai. C'est un homme loyal, droit et honnête jusqu’à l’excès et en qui on peut avoir toute confiance. Pourquoi a-t-il quitté son ancien emploi de pharmacien pour venir à Madagascar. Chagrins intimes. Sa femme par son humeur acariâtre, par ses tracasseries de toutes sortes lui rendait la vie impossible et le brouillait avec toute la population de la localité où il se trouvait, avec toute sa famille.
Enfin, n'y pouvant plus, il partit ; et s'il travaille tant ici, c'est pour l’amour de ses enfants, un garçon qui se prépare aux beaux-arts pour la sculpture et une fille qui doit entrer, je crois, dans l’enseignement. Il voudrait leur gagner un petit patrimoine et les mettre pour toujours à l’abri du besoin. Il espère avec cette affaire être arrivé au bout de ses peines ; tant mieux si ses espérances se réalisent, j'en profiterai.
M. Doinelle, lui est le fils d’un entrepreneur ; étant de Bayeux, le pays de M. Eudes, cette famille est venue s'établir à Madagascar et très liée à M. Eudes, ils constituaient pour ainsi dire son foyer. Pendant 7 à 8 ans, ils ont travaillé ensemble dans de multiples entreprises et dans leur concession de la Mahajambe. Malheureusement cet hiver, M. et Mme Doinelle sont morts à peu de mois d’intervalle, l’un d’épuisement à 48 ans environ, l’autre, sa femme, de la poitrine. Ce fut un grand coup pour M. Eudes et le fils Doinelle. Ayant besoin d’une aide, M. Eudes le prit avec lui pour l’aider dans son entreprise ; c'est un garçon de 28 ans qui a déjà environs 8 ans de Madagascar. Il est très actif et est très utile à la Société. C'est un bon garçon franc, loyal, et d’une compagnie assez agréable. Assurément, ce n'est pas un homme du monde, mais ayant un bon caractère plutôt jovial, il est d’un commerce facile. Voilà donc le personnel Européen.
À mon arrivée, il y avait bien un petit jeune homme de 16 ans, fils d’un fonctionnaire de Majunga, mais nous n'avons pu le garder ; par suite d’excès antérieurs, sa santé était fortement altérée et réclamait des soins et du repos.
Quant à l’entreprise que je viens diriger, elle n'était pas encore au point à mon arrivée.
M. Eudes a manque de main d’œuvre au commencement d’avril au moment où il pensait commencer son exploitation. Depuis, cette situation ne s'était pas améliorée et au point de vue production, le résultat était néant le jour de mon arrivée. Mais depuis le commencement du mois, il n'en n'est plus de même ; tout à coup, il nous est arrivé une nuée de travailleurs et avec les fonds que nous avions disponible, nous n'avons pu embaucher que 60. Mais c'est déjà bien et avec cette équipe nous nous sommes mis aussitôt au travail.
Il s'agit de barrer entièrement l’Antombokazo et pour cela, établir un barrage de 30 mètres de long et 3 mètres de hauteur. C'est en somme moi qui dirige tous les travaux et il ne se fait rien que je n'ai indiqué. Me voilà donc passé ingénieur ; j'étudie, je nivelle, je mesure, je cherche à vaincre les difficultés au fur et à mesure qu’elles se présentent.
Tu vois donc le côté intéressant pour moi et l’initiative que je peux déployer. J'ai toute liberté pour faire ce que je veux. Je n'ai qu’à parler et les hommes exécutent.
Je pense avoir fini ce travail préliminaire vers la fin de ce mois et dans ma prochaine missive je vous en reparlerai. Après c'est la production qui va commencer. Que sera-t-elle ? C'est un côté très intéressant pour moi, car d’elle dépend le plus ou moins de durée de mon séjour ici. Mais le temps passe et il faut que l’œil du maître aille se rendre compte du travail fait.
Je te remercie de l’envoi du Lauragais ; cela me donne des nouvelles de la région ; c'est ainsi que j'ai appris la mort de M. Solier et que Alphonse n'est plus maire de Caragoudes. Mais tu serais bien aimable de m'envoyer aussi comme autrefois les pièces de l’Illustration. Je te conseille de les recommander pour 10 centimes, l’on est plus sûr de leur arrivée.
Tu m'as fortement étonnée en disant que le cadre était fait chez Gourmand ; ce n'est pas assurément moi qui l’ait commandé, car lorsque la première fois je suis allé voir chez lui des échantillons et les prix, je n'avais pas les mesures exactes et par conséquent, je n'ai pas pu les lui donner. Mais enfin, telle était notre intention, il n'y a rien à dire, mais il serait curieux de savoir qui lui a fourni les dimensions du cadre et aussi si elles sont exactes.
J'ai reçu le 11 juillet vos lettres du 6 juin. Les bonnes nouvelles qu’elles contenaient m'ont fait le plus grand plaisir.
Tu peux croire ma chère maman, que moi aussi je suis privé de votre affection et que j'ai un grand serrement de cœur à chaque fois que je songe à l’énorme distance qui sépare les deux coins de la terre où nous vivons. Mais le plus dur est passé, le moment du départ et la séparation. Déjà on peut envisager le retour, l’avenir plus souriant après réussite de mon affaire et de nos projets. Et alors, ce sera la vie de famille avec toutes les félicités qu’elle comporte.
Que Denise continue à travailler et à s'occuper gentiment comme elle le fait et qu’elle n'ajoute pas à la peine de l’éloignement le chagrin d’avoir des remontrances à lui faire. C'est beaucoup à cela que je pourrais voir la profonde affection qu’elle me manifeste et à un grand écho en mon cœur.
J'ai vu sur le Journal le mariage de Xavier de Villèle avec Mme Pina de Saint-Didier née Palluat de Besset . Est ici le frère d’Henri de Villèle de Mourvilles. En tout cas, j'ai beaucoup connu Mme de Saint-Didier à Montpellier et je pourrais dire que j'ai été pas mal amoureux d’elle.
Jeanne, née le 5 septembre 1877 - Saint-Étienne, décédée le 8 décembre 1940 - Mourvilles-Basses (31) à l'âge de 63 ans. Elle avait épousé en premières noces, Jean de Pina de Saint-Didier (1869-1901) dont elle aura 3 enfants, elle épousera en 1908, Xavier de Villèle dont elle aura 5 enfants. Ceci lui assure de nos jours une très nombreuse descendance dont un petit-fils Jean qui est devenu le beau-frère d'Arnaud.
Chaque fois qu’elle venait à mon guichet, c'étaient des plaisanteries de la part de M. Paulian. Elle n'était pas jolie, mais elle avait des yeux admirables et une distinction de grande dame dans ses gestes les plus simples avec une voix douce. Malheureusement, elle était en deuil à ce moment-là et jamais je n'ai pu la rencontrer dans le monde. Mais si j'attaque le chapitre souvenirs, je n'en finirais plus ; je m'arrête sur un gros baiser affectueux pour toi ma chère maman et à ma gentille Sined, ma plus profonde affection de frère ainé.
À bientôt d’autres nouvelles.
Louis
Lundi – Reprise des travaux. L’on débite les satre des environs et on les apporte sur place. Trois équipes y travaillent. Les autres continuent à creuser la tranchée, mais nous éprouvons des retards considérables et la difficulté augmente car l’eau envahit nos travaux et nous n'avons aucune pompe d’épuisement. Le travail au seau étant très long et enlevant peu d’eau à la fois.
Mardi 14 juillet – Même travail, la quantité de satre semble suffisante pour commencer la mise en place, c'est ce que nous commencerons demain à la première heure.
Mercredi – L’eau envahit nos tranchées au fur et à mesure que nous creusons. Impossible de l’épuiser malgré tous nos efforts. Nous commençons à placer des bois debout pendant qu’une autre équipe continue à apporter des satres.
Jeudi – Même travail, l’équipe de Echarrmek n'a rien fait. Je fais prendre le nom des hommes mais Echarrmek se fâche et quitte le chantier. L’on décide de le renvoyer.
Vendredi – Malgré le pardon qu’il implore, nous mettons à la porte Echarrmek lui disant de revenir à la fin du mois se faire payer. Il emmène avec lui une vingtaine d’hommes et quittant Maroule le même jour. Je crois qu’il ne reviendra même pas pour se faire payer. Les autres sont plus maniables, celui qui leur montait la tête étant parti et cet exemple ayant été salutaire. Tout cela s'est bien passé, sans à-coup.
Samedi – Malgré les difficultés le tiers du barrage a été établi. Lundi nous allons continuer encore de quelques mètres avant d’attaquer l’autre bout. La grande case est aussi terminée et demain nous allons faire porter de la terre et fermer.
Dimanche – Nous profitons du repos pour tuer un bœuf ; mais nous sommes de plus en plus dans l’anxiété, le peu d’argent qui nous reste diminue rapidement.
Le drapeau que nous avons hissé pour la mangatake flotte au vent et met de l’animation et de la vie dans notre camp silencieux. Notre cuisinier ne comprend rien à nos leçons. Tantôt il met le ragout dans la soupière, tantôt la soupe dans une cuvette ; et de plus, il est extrêmement paresseux. C'est en vain que nous en demandons au garde Savelli. Nos r… nous ont promis de venir, ce n'est plus qu’une affaire de jours et nous aurons des femmes. Toujours sans nouvelles de M. Eudes qui doit être à Majunga ?
Lundi – Nous continuons le barrage. Dans l’après-midi quand on reprend le travail à 1h ½ il fait jusqu’à 50° au soleil. Mais ici, nous avons beaucoup d’air, car le vent sud-est nord-ouest souffle continuellement.
Mardi – Nous écrivons à M. Eudes. Pénurie complète, nous n'avons peut-être pas entre tous 50 Fr.
Mercredi – M. O. est parti avec tous les hommes pour chercher en aval de Marovoay le persiennage arrivé d’Anburongo par pirogue. Je suis seul et par l’effet des circonstances l’on m'apporte ce matin du riz, des nattes. J'achète 30 kg de riz pour 3 Fr. et je refuse les nattes qui ne sont pas neuves. À midi, l’on apporte encore des poulets, des pikiki, mais je n'ai plus d’argent. N'ayant pas la clé de la caisse et j'oblige l’homme qui les porte à attendre le retour de M. Doinelle. C'est comme un fait exprès car souvent pendant deux ou trois jours, il ne vient personne.
Jeudi 28 juillet – M. Eudes ayant couché à Marovoay, n'y étant arrivé que hier soir, arrive à 9 heures. Il a essayé… Depuis janvier, ce n'était pas du luxe. Les hommes apportent du persiennage, mais nous en renvoyons une dizaine le jour même pour chercher ce qui reste.
Vendredi – C'est un fait exprès, plus d’argent en caisse, à peine 7 ou 8 Fr. et l’on nous apporte riz et poulets. Heureusement qu’on nous laisse le crédit, mais cela produit un mauvais effet sur l’esprit des indigènes.
Samedi 25 – Lettre de M. Viviè, administrateur d’Antsohihy avec dépêche de M. Eudes. Il va mieux et les fonds ont quitté Ana… vendredi. Plus de la moitié du barrage est terminée. J'espère finir de monter tous les bois à la fin du mois, car je redoute le départ en masse des Antemoro. La nuit dernière, pour la première fois je couche dans la nouvelle case. Ah ! cette fois c'est le grand luxe, nous avons des portes. Nuit, sinistres rêves. Il me semblait que ma mère me réclamait sur son lit de mort. Le rêve me poursuit toute la nuit, mais heureusement, ce n'est qu’un rêve.
Dimanche – L’on achève la route du barrage, et l’on prolonge celle de Marovoay. Nous nous installons plus confortablement et nous déballons quelques caisses. Depuis une semaine environ, nous sommes envahis par des myriades de puces. Le poulailler en regorge à tel point que nous coqs en ont la crête toute noire et qu’une jeune poule est morte d’épuisement, tuée par les puces. Nous nous livrons sur nous à de véritables chasses, ce sont de toutes petites puces, pour la plupart, et il faut gratter fortement l’endroit où elles piquent pour les arracher de votre peau. Ce sont les inconvénients de la brousse.
Lundi 27 – Hier et avant-hier je m'étais senti un peu las et courbaturé ! Cette après-midi la fièvre me prend et le soir je me couche sans souper, 38°9. Nous recevons un milicien d’Analalave, convoyé par Tale et porteur de nouvelles de M. Eudes avec l’argent. M. Eudes va mieux, c'est de l’anémie palustre qu’il a et il faut de longs soins. Il nous fait espérer son retour dans 20 jours.
Mardi 28 – Nous recevons le courrier de France. Je continue à rester couché ayant encore plus de 38° de fièvre.
Mercredi 29 – Je vais mieux et commence à me lever. Je ne sais à quoi attribuer cet accès de fièvre. Paludisme ? Nous n'avons pas ou très peu de moustiques en ce moment, et puis, j'arrive. Coup de soleil ? Peut-être par réverbération car vendredi, J'ai déjeuné sans casque à l’abri de la case et depuis ce jour je m'étais senti fatigué. Surmenage ? Un peu aussi car nous n'avions pas de temps de prendre une minute de repos avant de repartir à 1h et nous restions des journées entières en plein soleil à des températures de 50°. Et puis surtout le peu d’abondance et de variété de nourriture.
Grande surprise, Perrier de la Bathie ayant abandonné l’exploitation de ses piquets du Bemikong a eu l’amabilité de nous envoyer les hommes qui travaillaient à la bâtie chez lui. Ils arrivent avec une dizaine de femmes et enfants.
Ils s'installent aussitôt car une de leurs femmes accouche aussitôt en arrivant. Ils nous vendent pour 40 g. d’or environ qu’ils ont rapporté de Bemikong. Cet or est assez gros et me parait tout différent de celui que j'ai vu jusqu’ici à l’Antombokazo. Avec eux, je vais être tout de suite fixé sur la teneur or des terrains de la Cie . S'ils restent, c'est qu’ils font leurs frais et à plus forte raison un… les fera-t-il ?
Jeudi – L’appétit revient. Encore un peu de faiblesse. Quelques degrés de fièvre, mais c'est fini. Le soir, je vais jusqu’au barrage qui s'achève. Encore quelques bois en travers de la terre et l’eau ne pourra plus passer.
Vendredi 31 juillet – Fini de la fièvre, je vais m'occuper un peu du barrage ce matin et cette après-midi. Mais redoutant le soleil, je vais prendre verres fumés et ombrelle.
Samedi – La fièvre est finie. Le barrage aussi mais l’eau nous échappe de tous côtés, traversant les couches du dessous. Nous allons être obligés de rechercher les causes de ces fuites une par une, c'est huit jours de retard.
Dimanche – Nous continuons la route sur Marvale, repos hebdomadaire.
Lundi 3 août – Recherche des fuites aujourd’hui et les jours suivants. Nous mangeons du bœuf tué à Marovoay.
Mardi – Descente à Marovoay à pied. J'espérais y trouver Ramatoa et le reste. Mais elles sont parties hier pour Antsohihy à la foire du 8. À quand la partie sera finie ?
Mercredi – Les hommes de Périer ne trouvent pas suffisamment d’or à leur gré. C'est un mauvais son de cloche. Le s. que va-t-il donner ? Pour garder les hommes jusqu’au retour de M. Eudes, nous allons les faire travailler au slice et au mois. Leur installation augmente notre village de trois petites cases très propres et bien faites.
Jeudi – Ce matin, déception, le barrage s'est rompu. Notre réservoir a baissé d’au moins 20 cm, c'est encore un retard de 48 heures.
Vendredi 27 août – Enfin, voici des nouvelles de M. Eudes qui se remet lentement. Il va même aller jusqu’à Majunga voir le Dr Boisville, médecin par excellence des broussards. C'est aussi un cuisinier qui arrive mais M. ne veut faire que la cuisine et spécifie bien qu’il n'est pas boy. Je ne pense pas qu’il reste bien longtemps.
Retour de Esara de Sao bale où M. Robert est enfin arrivé chez ses parents. Cela fait plus de 10 jours d’absence.
Le barrage est complétement terminé et malgré quelques petites fuites inévitables, demain l’on va commencer à organiser la slice.
L’eau monte très lentement et je compte encore au moins huit jours pour que notre réservoir soit plein et puisse nous donner de l’eau en quantité suffisante.
Samedi – Travaux de préparation d’installation du slice. Cage à poules. L’eau monte e 15 cm.
Dimanche – Repos, paix. Nous préparons le courrier à envoyer à M. Eudes. Nous recevons quelques provisions de Port-Bergé ; enfin quelques boites de conserve mettront un peu de variété dans nos menus.
Lundi – M. Doinelle va chercher le chargement de la pirogue avec tous les hommes. Fin de la cage à poule. Ce matin, en me promenant, j'aperçois pour la première fois une compagnie de perdreaux sur le bord de la rivière. Très facile à tirer, mais je n'ai pas de fusil ni de munitions, inutiles regrets. Je continue à acheter du riz vendu sur place à 0,125 Fr. le kg, des canards de 1 à 1,75, des poulets à 0,40 Or un Antemoro pour se nourrir mange deux capoks de riz environ, 1 kg à peins. Il y mêle quelques patates ou bien des cœurs de satre et voilà son ordinaire. De temps à autre, 0.10 de masquit et c'est tout. L’on comprend aisément que ces gens qui vivent de si peu, qui ont pour tout vêtement un lamba dont ils s'enveloppent la nuit et un siki comme vêtement de travail n'éprouvent pas le besoin de travailler.
J'en ai revêtu un sari percé d’un trou pour la tête et pour les bras et serré à la taille. La plupart du temps, ils travaillent presque nus avec leur trousse-couille. Dans notre bande, nous avons des Antemoro de Taranfangane, des Hovas, des Sakalaves, des Symiètes avec leurs cheveux tressés, etc…
Mardi – Nous renvoyons la bande à Esiniane après les avoir payés. Nous terminons le barrage.
Mercredi – Essai de mine avec la poudre de chasse. Trou de 0.50 dans une roche de gneiss. Mais, n'ayant pas de mèche nous ne pouvons bourrer le trou car c'est de l’amadou qui sert à allumer la poudre. L’effet est nul ; la roche est à peine brisée. Aussi, l’eau ne montant presque plus de quelques cm par 24 heures. L’élévation est tombée à 0.70. Ne pouvant établir de slice à cause des roches, je décide d’établir une slice provisoire à même la roche, sans grille.
Jeudi 13 août – J'ai trouvé un endroit facile à barrer, des rochers en travers de l’Antombokazo nous aident. En trois jours le slice marchera après avoir élevé l’eau d’environ 1m20. Je suis heureux de recevoir un courrier très complet de France. Karcher, Rea, Tollette, Ratineau, il ne manque qu’une lettre de ces messieurs. D… ils ne doivent pas être très enthousiaste des résultats obtenus, d’autant plus que le neveu de M. Trinquesse, M. Legrêle, arrivé nouveau à Madagascar en avril a déjà installé une slice et va-t'en mettre en marche un second. Mais reste à savoir dans quelles conditions de mise de fonds et de contrée il a opéré !?
Vendredi – Le barrage de terre semble bien se comporter et dès demain nous établirons le slice pour pouvoir enfin commencer lundi. Hier, nous avons fait partir à 1 heure un courrier pour Analalave où se trouve encore M. Eudes. Lettre pour Aubry et les miens, il les mettra à la poste à Analalave.
Samedi – L’eau derrière notre barrage continue à monter très lentement. Il nous en faut encore environ 1 mètre 20 ce qui à 0,70 par jour fait au moins 18 jours. M. Eudes sera de retour pour la mise en marche après deux mois de travail ou d’attente, c'est que le débit de la rivière diminue de jour en jour, la pluie ne tombant pas depuis plus de 4 mois.
Autre inconvénient, le nouveau petit barrage en terre que nous venons de faire et qui est complétement étanche a arrêté l’eau depuis hier. J'estime qu’il faudra attendre jusqu’à mardi pour que l’eau atteigne environ 1m20. Ce n'est pas ce qui va avancer le remplissage de notre grand bassin.
Dimanche – Cet après-midi, je fais avec M. Doinelle une partie de chasse en remontant le lit de l’Antombokazo. Nous avons décidé de suivre le cours de la rivière et de traverser au besoin les trous d’eau qui s'y trouvent. Nous prenons ainsi souvent des bains de pied jusqu’à la cuisse, mais nous continuons quand même. Nous tirons deux maques, un coq des bois, des m., corbeaux et papangs. Je n'ai pu tuer un beau babakant blanc et brin et qui s'enfuyait dans les arbres pendant que je me débattais dans les lianes et les petits arbustes plein de tankilout. Nous avons acheté ce matin pour 1 Fr. 50 de magnifiques fards. Ce n'est pas cher. M. Doinelle achète des vaches et des bœufs en moyenne de 35 à 40 Fr. Une vache avec son petit coute environ 40 Fr., c'est donné aussi. La nourriture serait en somme bon marché si l’on n'était pas obligé de boire du vin et d’acheter quelques provisions d’épicerie. On a du mauvais vin pour 16 Fr. la dame jeanne de 20 litres.
Lundi – La slice est en place, mais la pente de 2-cm par mètre n'est pas suffisante. Je vais faire monter le barrage de 0.60 cm au moins.
Mardi – Du fait des transports de terre, mais malheureusement l’eau ne monte pas aussi vite que nous. Il faudra encore attendre.
Mercredi, Jeudi, Vendredi, Samedi – Les travaux du barrage étant plus que finis, nous attendons l’eau. Je fais enlever des stériles 0.80 de sable. Dépêche de Eudes. Deux colis doivent arriver par Antsohihy. Il demande trois filanzanes avec bourgeanes. Mais suivant les précédentes instructions nous avons envoyé 10 hommes à Majunga pour le chercher et nous sommes embarrassés pour trouver une solution. Par l’intermédiaire de M. Vivié nous transmettons une dépêche demandant un complément d’information.
Le soir, séance traditionnelle de phono avec assistance malgache.
Dimanche – La route est finie ce matin jusqu’au 1 raphia, environ 2,5 km. Il nous reste à faire établie 3 ponts pour éviter en saison des pluies de passer dans l’eau jusqu’à mi-corps, d’autant plus que tous ces cours d’eau sont infestés de crocodiles.
Le soir, nous allons à la chasse sur la Sofia. N'ayant pas pris les chiens à cause des crocodiles qui les mangent avec facilité et souvent, nous rentrons bredouilles ou presque. Pigeon vert, perruche, huppe. Nous avons aperçu deux tortues.
Les chutes de la Sofia à l’embouchure de l’Antombokazo sont d’une beauté sauvage et grandiose. Il y a de belles photos à faire. Et dire qu’à la saison des pluies, l’eau passe par-dessus les roches qui ont actuellement une différence de niveau de plus de 10 mètres. Au retour, nous avons fait connaissance avec la forêt vierge. L’homme qui nous accompagnait nous traçait le chemin avec son grand couteau à caoutchouc. Et le tankilout n'a pas fait défaut.
Nous avons fait partir le courrier de France. Karcher et Trinquesse.
Lundi – En allant surveiller les travaux, je tue une aigrette blanche de la petite espèce, la gazette.
Mardi 25 août – Jour de ma fête, le soir je me trouve tout seul car M. Doinelle est à Marovoay pour tuer un bœuf et demain avec tous les hommes qui restent et que je lui ai envoyés, cette après midi il doit aller chercher le dernier voyage de pirogues. Matériaux qui auraient dû être ici depuis avril et qui n'arrivent que fin août. 5 mois de retard. En réfléchissant et après examen des plans de concession, je me suis aperçu que nous ne travaillons pas dans notre périmètre, car nous n'aurions dû commencer qu’à 1 500 mètres de la Sofia et c'est à peine si nous en sommes à 1 km.
Ce matin, j'ai fait exécuter quelques batées sur le sable que j'ai fait enlever des jours-ci. Ces batées sont de bon augure. Les voici textuellement 2-6-0-0… mais l’or est extrêmement petit et doit peser fort peu. Je n'ai pu encore m'en rendre compte. M. Doinelle m'écrit de Marovoay que l’administrateur doit s'y trouver demain. Peut-être viendra-t-il jusqu’ici, quoique M. Eudes ne s'y trouve pas.
Mercredi – Toujours tout seul. J'ai mesuré la route qui est finie jusqu’au raphia, 2,250 km. Je soir, je reçois le courrier de France. M. Trinquesse me dit de lui dire la situation exacte afin de prendre des résolutions énergiques car les billets précédents ne sont qu’un expédient. C'est bien simple, plus un sou en caisse, ni dans nos poches et lorsqu’on nous apporte du riz, nous donnons des bons en échange à ceux qui en veulent. Mais naturellement, l’effet produit n'est guère bon. Donc, situation pécuniaire plus que précaire, désastreuse. Comme production, nulle encore. Ce n'est assurément pas de ma faute si le débit l’Antombokazo a beaucoup baissé et de ce fait nous fait perdre des jours précieux. Voilà plus d’une semaine que nous attendons et il nous faudra peut-être attendre encore huit jours. Quant à l’or, il y en a peut-être même beaucoup plus qu’on le pensait. J'ai fait exécuter d’autres batées dans le terrain que nous allons laver et j'ai eu : 6-12-8… Je ne sais ce que cela peut donner au total n'ayant pas encore pu le peser.
De plus, ce vieux Reinville, commandeur des hommes de chez Perrier s'est remis à la batée sur la Sofia, où du reste Toutouleai s'est aussi installé en disant que l’or est plus gros que sur l’Antombokazo. Ce matin dans un petit flacon, j'ai vu sa production de deux jours, il y en a plus d’un gramme m'a-t-il semblé. Mais je ne suis guère affirmatif car l’or étant très lourd je ne puis juger encore au coup d’œil ce qu’il y a d’or dans un flacon qu’on me présente.
M. Eudes nous ramène des femmes. Comment vont-elles être ? À Marovoay, il en est arrivé une dizaine cherchant mari et de fort bien d’après M. Doinelle. Ce serait dommage si nous avions de vieux trumeaux sur les bras.
Jeudi 27 août – Pas de réponse à la dépêche que M. Eudes nous a envoyé par l’entremise de M. Vivié. Mais à ce qu’il parait, l’administrateur est en voyage et probablement notre homme et la dépêche qu’il porte attendent patiemment son retour. Qu’à donc fait M. Eudes ? Revient-il avec les 10 hommes qu’on lui a envoyé à Majunga, où craignant un voyage aussi long en filanzane arriver a-t-il par Antsohihy avec les colis ?
Vendredi – Mes hommes sot allés chercher un nouveau voyage. Cela ne nous dérange guère tant que nous ne pouvons travailler. Il me semble que la température croit. Nous avons atteint 36° à l’ombre ; cela commence à compter mais pourtant, je ne suis nullement incommodé, et si ce n'était l’invasion de puces, je passerai des nuits tranquilles.
Je reçois une lettre de M. Vivié, sans réponse à la dépêche, c'est donc que M. Eude est parti le 26 avec les 10 hommes. Et alors les colis arriveront ils par la voie indiquée ?
Samedi, Dimanche 30 août – L’on établit un pont sur la rivière en allant à Marovoay. Pont sommaire, la moitié d’un arbre sur deux autres coupés et qui lui servent de pile; Cela évitera de se faire bouffer par les crocodiles à la saison des pluies, car l'on ou l’on va passer à gué aujourd’hui, il y aura 1m50 d’eau. Ayant toujours depuis plus d’une semaine mal à la cheville, je me dispense d’aller à la chasse. Mon écorchure se cicatrise et je ne veux pas que guêtres et souliers ne l’enveniment de nouveau. J'ai aussi sur la jambe des plaies comme des pièce de 5. Cela commence par un petit bouton rouge et cela gagne tous les jours. Il est vrai que je ne fais rien pour les empêcher. Mais comme cela à l’air de gagner et qu’actuellement j'ai eu 3 sur la même jambe, je vais essayer.
Lundi 1er septembre, Mardi – M. Eudes va arriver. Nettoyage du camp et du village. Nous hissons les drapeaux. Nous partons à midi jusqu’à Marovoay à la rencontre de M. Eudes. Fusils et chiens. En traversant la forêt, l’on tue 3 tsifakes blanc et roux sur les avant bras. Par le raccourci, nous arrivons à Marovoay en 14 000 pas. Grande fête donnée par Meurtrave panfak en l’honneur des mannes de son père; On tue 20 bœufs et je ne sais combien de pirogues de b… Et le village et les environs, parents et amis mangent du riz, canne à sucre, viande et s'enivrent d’alcool. Cela dure environ 15 jours.
Sous les grands mourabes du bord de la rivière sont dispersées les ossements de son père. Une grande tente toute blanche avec petits drapeaux rouges et jaune, à l’intérieur, une espèce ce catafalque sur lequel reposent les ossements recouverts de beaux lamba de soie. Autour, il y a une petite enceinte qui entoure complétement la tente. C'est réservé aux membres de la famille, à la veuve qui pleure près des mannes de son époux. Des femmes et des hommes sont couchés pêle-mêle sur des nattes. De temps en temps, deux violons, un tambour et les langoronce font le tour de l’enceinte en jouant sur leurs instruments en cacophonie informe. Enfin, à l’alentour sont des campements provisoires en plein air où couchent et mangent les invités. Cela à l’air plutôt d’une fête que d’une veillée du mort, mais c'est l’habitude d’accompagner de longues beuveries tous les magantakes que l’on fait en l’honneur des morts et même des malades.
Pour la première fois, au nord de Marovoay j'aperçois un immense vol de sauterelles couleur d’un énorme nuage de poussière. Elles passent assez loin de nous.
Enfin, ne voyant pas revenir M. Eudes, nous partons à 4h ½ de Marovoay non sans avoir peloté quelque Ramatoa.
Au retour, nous rencontrons deux magnifiques compagnies de pintade, une quarantaine environ ; nous en tuons six, mais vue l’heure tardive, nous en perdons 3.
Masi avec nos 3 singes et nos 3 pintades amarrés sur un long bâton nous avons une bonne charge, et ce n'est qu’à 8 heures, bien avant dans la nuit que nous rentrons au camp bien fatigués. Heureusement que la nouvelle lune nous a éclairée un peu au retour et nous a permis d’éviter les fondrières du sentier.
Mercredi – Nous attendons M. Eudes avec d’autant plus d’impatience qu’il doit apporter des provisions. Où est-il ? Quand va-t-il arriver, nous ne pouvons plus faire de suppositions. Nous n'avons plus de tabac, plus d’huile, de rhum, de vin, c'est le marasme et les privations qui commencent ou plutôt continuent mais pas encore avec une telle intensité. Et M. Eudes qui n'arrive toujours pas. Le soir un tour dans le village indigène me procure une feuille de tabac malgache que je fume avec délices. Ce que c'est que le besoin !
Je m'endors avec l’espoir que demain nous apportera un changement radical de situation car pour comble, il nous reste en tout et pour tout, 4 ou 5 sous . Depuis déjà huit jours, nous donnons des taratas à ceux qui nous vendent du riz. Drôle de société qui n'a pas un sou vaillant. Et pourtant, dans le courant du mois, j'ai pu lui avancer mes économies, soit 150 Fr. environ. Sans ce secours imprévu, où en serions-nous ?
Jeudi – Je mange le tisfaka (singe) tué mardi. Même goût que le maque (singe) mais un peu moins fin. Avec les 0,15 Fr. qui nos restent à nous deux, j'achète du tabac malgache. Donc, plus un sou dans le poste. Ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? Non, toujours rien, que se passe-t-il ?
Vendredi – C'est le jour des surprises. D’abord, je m'aperçois que l’eau ne monte plus derrière le petit barrage. C'est encore une tuile. La cause, je l’ignore. Je crois jusqu’à présent que c'est le volume du bassin qui a augmenté parce que l’eau a dépassé le niveau d’une petite chute qui était en amont et de ce fait, le volume à remplir a plus que doublé.
Nos hommes reviennent de Majunga avec des provisions. M. Eudes est à Antsohihy. Mais alors, pourquoi n'a-t-il pas reçu ma dépêche du 27 puisqu’il a quitté Majunga que le 1er ? Encore une des beautés de l’administration. Il n'apporte que 650 Fr. alors que pour la paye du 6 il en faut au minimum 700. Ce n'est pas encore que je pourrais faire sauter la caisse.
Samedi – M. Doinelle part avec 17 hommes pour Antsohihy pour chercher M. Eudes avec nos colis, dont Zouma, celle qui a déjà eu mon pucelage à Majunga. Je reste donc tout seul dans le farniente. C'est dommage que j'aie mal aux pieds car j'aurais pu explorer les environs.
Dimanche, lundi, mardi, mercredi 9 septembre – Seul, j'attends en lisant que ces messieurs veulent bien arriver. Je fais pas mal de courrier. En vain, j'attends toute la journée le retour de M. Eudes. Enfin, j'ai presque fini de diner, il arrive à 7 heures avec M. Compagnon, suite nombreuse, 25 hommes, interprètes, 2 miliciens, 10 filanzanes, etc… Grand remue ménage, l’on sort des nappes, des serviettes, verres, etc…
M. Doinelle est resté en arrière, pris par la fièvre et un commencement de bilieuse et n'arrive qu’à 10 heures avec nos Ramatoa qui arrivent en même temps, c'est le soir un effet bizarre que toutes ces moustiquaires tendues dans notre grand hangar qui nous sert encore d’habitation.
Heureusement que la salle à manger est presque finie, et elle est très confortable ; surélevée d’un mètre au-dessus du sol, avec virandak, plafond ; l’on a beaucoup d’air sans soleil. Il y a à peine 8 jours, l’on mangeait en plein air, et à midi, à l’ombre des tôles de la cuisine. Le confortable vient peu à peu mais lentement.
Jeudi – Visite aux placers. M. Compagnon très content de ce qu’il voit et nous félicite de l’effort accompli. J'en prends une bonne part car depuis deux mois c'est sous mon initiative que sont faits la plupart des travaux. Le soir, la route bien kilométrée, … avec son pont léger, jeté sur deux arbres campés à 2 mètres du sol. Les batées que l’on fait devant lui donnent ne moyenne 12 couleurs. C'est plein d’espoir pour l’avenir. Le déjeuner copieux est mangé de fort bon appétit. Salade pommes, betteraves, tomates, omelettes, choux au jambon, lapin sauté, asperges, cassoulet, crème renversée, bordeaux, bourgogne, champagne Heidsieck, fine Martel, Kemmel.
Vers 4 heures, nous accompagnons M. Compagnon jusqu’au bout de notre route, photos, salutations.
Vendredi – Nous causons et respirons. M. Eudes a diminué de plus de 15 kg et est encore très faible. Malgré cela, il va visiter un coin avec les hommes sur les bords de la Sofia, et trouve sur les flancs de la colline un gros grain d’or comme la moitié d’un grain de lentille et un autre encastré dans du quartz.
Sur un pareil résultat et à la promesse d’un beau cadeau, 13 hommes partent au Reinvele pour prospecter tous les environs ; ils comptent rester 15 jours absents.
Samedi – Visite de MM. Georges Scopelitis, Petrides, Pelidès qui viennent exprès d’Analalave pour voir comment est établie notre installation et comment se construit un slice.
Ils prennent même des mesures. Après déjeuner, ils repartent. Pélidès, grec naturalisé, surnommé l’homme des bois, a plus de 25 ans de colonies.
Dimanche – Repos et sieste. J'apprécie beaucoup la proximité de ma Zouma. Femme qui se tient très propre et qui par suite n'a pas l’odeur du nègre. Sa peau est même assez satinée et ne cause pas d’impressions désagréables.
Samedi 14 septembre – Nous sommes dans la purée et sans le sou pour changer. Nous envoyons une dépêche par Antsohihy pour demander 3 000 Fr. nécessité absolue. En même temps, M. Eudes envoie une procuration pour qu’on puisse faire une augmentation du fonds social de 15 000 Fr. Que vont-ils répondre à la demande de fonds puisque le précédent emprunt de 5 000 n'était d’après M. Trinquesse qu’un expédient. Quant au neveu, M. Legrêle, rien d’étonnant à ce qu’il ait pu annoncer de bons résultats de suite. Arrivé avec M. Bilion, coiffeur à Tananarive, ce n'est que la suite de l’exploitation qu’il continue. Et puis c'est dans l’E. où la main d’œuvre abonde et est intelligente et où aussi les moyens de communication son nombreux et en plus, il a de l’argent !!!
Mardi 15 septembre – Maisondieu, Boutrouille, Durand, Rouliot, Duparc. Je fais construire une cloison pour que Zouma se trouve chez elle et non pas dans le bureau que l’on est obligé de fermer à clef. De la sorte, le bureau sert de chambre à M. Eudes et rien n'empêche de le fermer à clef.
Mercredi, jeudi – Nous faisons partir des mines. Mais le trou n'a que 0m 40 à 0m 50 et les effets de la dynamite ne sont guère satisfaisants. Il est vrai que nous faisons sauter du gneiss et du quartz. Néanmoins des pierres vont jusqu’à 150 m de haut et retombent en gerbe jusqu’à 100 m environ.
Vendredi 17 septembre – Depuis mon arrivée, c'est la première fois qu’il a plu cette nuit. Comme une forte pluie d’orage sans tonnerre pourtant. Et cela tombe longtemps, nous arrosant par les trous des tôles. Ce matin le ciel est pur, radieux, soleil de nouveau, le varatras souffle avec violence. Sous cette avalanche, notre petit réservoir se remplit vite et l’après midi, l’eau est assez haute pour que l’on puisse passer la slice avec la pente définitive. Quand j'arrive, M. Eudes avait fait enlever les rifles en diagonal, sans m'avoir prévenu ni avoir fait un essai devant moi. Comme pour faire exécuter ces rifles à la hauteur de 0m 60 je m'étais basé sur la lettre de M. Moriceau qui indiquait que la terre devait suivre les sinuosités tracées par les rifles et non passer par-dessus. Je suis froissé de ce manque d’égard pour le travail que j'avais accompli et je fais procéder à un nouvel essai pour me rendre compte de la trop grande hauteur des rifles.
M. Eudes, vexé que je ne m'en sois pas tenu à sa parole quitte le chantier. Je fais l’essai et j'en conclus que la hauteur était juste suffisante pour que la terre chassée par la violence de l’eau puisse suivre le zig-zig et ne saute pas par-dessus les rifles. J'attends l’expérience définitive avec abaissement des rifles à 0.09 qui sans doute vérifiera mes prévisions.
Le soir, pour garder le plus d’eau possible, je laisse en place la vanen car étant allé assez haut en amont, l’Antombokazo m'avait paru assez calme et d’un débit restreint. Malgré que la vanne soit en place, l’eau avait pour s'écouler une hauteur de 4 à 5 cm.
Samedi 19 septembre – Que s'est-il passé dans la nuit. Nous n'en savons rien. Tout a été emporté, barrage, slice et une grande partie des terrassements que nous avions faits. Le désastre a dû se produire vers 5 heures car à 6 heures le ruisseau était plein d’eau alors qu’une demi-heure après, on pouvait de nouveau le passer à gué.
Par contre, le grand bassin est presque plein et continue à se remplir à vue d’œil. Le barrage a fort bien résisté à la poussée de l’eau, et ce matin, le niveau monte de 20 cm par heure. M. Eudes décide de faire marcher le grand slice. Avec deux mines, nous allons essayer de faire sauter le rocher qui nous gêne pour établir la pente du slice.
Nous travaillons toute la journée à établir la conduite d’eau et à protéger la sortie de l’eau du bassin par des planches. C'est à peine si le travail est fini le soir et c'est nous même qui mettant la main à la pâte achevons un travail provisoire. L’eau a l’air de s'être calmée et monte moins. En tout cas, elle pourra s'échapper si elle continue à monter.
Dimanche – L’eau monte légèrement et arrive à quelques centimètres à peine de la conduite d’eau. Nous travaillons encore à consolider nos ouvrages.
Lundi – Je devais partir à Antsohihy chercher la réponse de M. Trinquesse, mais je retarde jusqu’à demain afin que les quelques heures que nous avons puissent renforcer le barrage avec un peu de terre et éviter un accident fâcheux.
Le soir, grande explication, M. Eudes encore très énervé par sa maladie, par la malchance qui semble le poursuivre se monte dans la discussion et fait une grande sortie en disant qu’il est le seul maitre, que lui seul commandera et que ses commanditaires ne lui feront pas faire ce qu’il ne veut pas. J'essaie de le calmer en lui démontrant que jusqu’à présent j'ai commandé les hommes en son absence et que par conséquent j'ai été obligé de prendre la responsabilité de tout ce que je faisais. C'est pourquoi j'ai été aussi fort vexé de ce que sans me prévenir et sans en avoir fait l’essai devant moi, il ait fait enlever les rifles que j'avais cru devoir faire placer aussi haut pour me conformer à la lettre de M. Moriceau, parlant de ce genre de rifles.
Du reste, je suis très heureux qu’il reprenne la responsabilité de l’entreprise, car seul responsale comme gérant, il est tout naturel que seul, il puisse prendre les décisions importantes.
Enfin, content de cette explication franche qui met fin à la tension de ces jours-ci, tout semble rentrer dans l’ordre et l’on se quitte pour se mettre au lit.
Mardi 22 – Ce matin, à 6h ½ avec 6 hommes de filanzane, un porteur de bagages, je me mets en route pour Antsohihy. De plus, il y a 2 hommes porteurs de… que je dois vendre à Antsohihy pour le compte de M. Doinelle. Il reste au camp deux hommes qui vont travailler aux mines et qui pourront au besoin parer à toute éventualité. Les autres hommes travaillent à la batée et font des recherches du côté de Marovoay sur la grande rivière. Je pars avec 5 sous comme le juif errant.
Journal de route – Marovoay, à 10 minutes sur la route d’Antsohihy, monument funéraire pour des gens morts au loin et qui n'ont pas eu de sépultures ici. Un bois planté en terre, de deux mètres environ et chaque année, enveloppé d’un lamba neuf. Devant faire face à la route, une large pierre supportée par 3 autres pierres à une hauteur de 0,70 de terre.
Anompaka – 20 cases environ. La route dévale ensuite dans une succession de vallonnements qui me forcent de descendre 3 fois de filanzane pour gravir les pentes un peu raides. Dix minutes avant d’arriver à Amborokambo, l’on a vue sur un joli point de vue sur l’ensemble de la chaine du centre de l’ile.
Amborokambo – 25 cases, village sale, mal construit sur une espèce de mamelon qui domine le ravin. Seul le boucher et en même temps le marchand de lambas a une case assez convenable. Je la photographie avec une quantité de masquit qui sont à sécher.
Dans une case, je vois du maïs roux qui sèche, pour la première fois à Madagascar et malgré je songe au Lauragais et aux vers :
Qué d’aoutrés angen lenc cerca dé mirabilhos e dé lour terradou siosquen léou destacats. Moun cor al laouraguès ten ambé dé cabilhos .
Que d’autres aillent plus loin rechercher des merveilles et vite se détachent de leur terre natale. Moi, c'est au Lauragais que mon cœur est rivé.Prosper Estieux, 1895, Lé Terradou
Au départ, à 1 heure, le cuisinier malade que j'avais renvoyé à Heurtault ville ne veut pas y aller. Il a peur et voudrait aller à Antsohihy avec moi. Je le menace de 15 jours de prison s'il ne rentre pas. Du même coup, un de mes porteurs de peaux se sent malade et voudrais s'arrêter mais tsimanina, il marchera ; il devait me prévenir avant de partir et non pas après 4 heures de marche. Photo du pont d’Amborokambo.
Ambohimanary – l’on traverse là des plaines abondantes en riz.
Anjiamangokroka – Avant d’arriver à ce village, je traverse la vallée de la Droa avec une végétation intense et des arbres magnifiques. Photos. Dans tous les ravins se trouvent des raphias en grande quantité, mais le chemin assez bien tracé serpente à travers la brousse uniforme avec des arbres mal venus et des Sartres.
Andjénia ou Analamanahy – 25 cases assez bien alignées
Befassivana – 30 cases sur une hauteur, le chef me conduit dans ma case, l’a fait balayer et me mets deux nattes propres. Je dine d’une boite de petits poids. Il n'y a pas de bananes dans le village.
Dans la case à côté, deux de mes hommes ont fait cuire leur riz et mangent étalés sur la natte. Pendant ce temps, là l’indigène les regarde manger nonchalamment couché et la femme près du feu finit de manger en se coupant des tranches de viande dans un morceau cuit au bout d’un bâton.
À l’entour, suspendus le long des parois, soubiks, paquets de raphias, petite tortue vivante pour le gosse au fond d’un lit malgache avec moustiquaire.
Mercredi 23 – Départ 5h25
2h – Amboroko – 5 cases
1h – Andémanga – 15 cases dont une en torchis
0.30 – Masanpana – 20 cases, beaucoup de bœufs rencontrés dans la vallée de l’Antsinjomorona
1h15 – Antsohihy – Mes porteurs me conduisent chez Petridès où je rencontre M. Vivié attablés devant l’apéritif avec M. Dussol, vieux colon d’Analalave. Je vais m'installer dans ma case. Je fais demander au chef du village des nattes et je vais me rafraichir. M. Dussol parle avec admiration des plaines fertiles et non occupées qui sont au pied de la grande chaine du Tsaratanane. Tout y pousse, fraises, pêches excellentes, riz en abondance, climat d’Europe.
Le raphia vaut actuellement à Antsohihy 30 les 100 kg et les peaux 60.
Il y a à Antsohihy environ 15 commerçants grecs, hindous, syriens, etc… Il y a quelques années, Petridès vendait jusqu’à 100 à 150 caisse de 12 bouteilles d’alcool par mois. Aujourd’hui, à la foire dernière, c'est à peine s'ils ont vendu 1 barrique de vin alors qu’on a vendu jusqu’à 15 barriques de betsubtse. La licence de betsubtse coûte 300 Fr. et d’après la dernière circulaire d’Augagneur, il n'y aura au plus qu’une par 5 000 habitants. Vivié ne va en accorder que deux pour tout son district qui a un peu plus de 10 000 habitants.
L’administrateur ne m'invite pas aujourd’hui parce que, dit-il, il y a quelques weizas ic qui pourraient critiquer de ce qu’il m'accepte à sa table dès mon arrivée. Je crois que c'est plutôt parce que son déjeuner est un peu maigre. Je déjeune et je dine avec les frères Petridès.
Jeudi 24 septembre – Je déjeune chez M. Vivié et tous les matins je dois avoir mon couvert mis. Très aimable. Les après midi, il me prête des journaux illustrés et revues ; j'ai libre accès dans son bureau où je fais ma correspondance. Il possède un superbe jardin potager où poussent des salades, choux, aubergines, tomates, betteraves, céleri raves, radis, petits poids, haricots verts, etc… Aussi les quelques déjeuners que je fais avec lui, je me régale de salades de légumes.
Vendredi – Je fais quelques photos de la résidence et de M. Vivié au milieu de ses salades. Menu du déjeuner, salade de légume, omelette, rognons, vin, cervelle sauce tomate, chapon mais très dur, salade chicorée. Il y a beaucoup de moustiques à Antsohihy mais le soir grâce aux feuilles d’eucalyptus que je fais brûler, je ne souffre pas des moustiques.
Samedi – Le soir, je soupe de macavi, un potage Maggi, quelques bananes, du thé au rhum et c'est tout. Cela compense les débauches du matin. Chaque jour, matin et soir, je prends deux apéritifs avec MM. Vivié et Petridès. On joue à l’écarté roulant et je m'en tire pour tout mon séjour, 4 jours ½ qu’avec 14 consommations, ce n'est rien.
Dimanche 27 septembre – Après un dernier déjeuner chez M. Vivié, je monte en filanzane à midi.
C'est en vain que pendant ces quatre jours j'ai attendu une réponse au télégramme de M. Eudes. Même en admettant que ces messieurs ne veuillent pas envoyer d’argent, au moins ils auraient pu répondre quelque chose. Je crois qu’il est inutile d’attendre plus longtemps, et je repars sans le sou. Qu’allons nous devenir, et que va faire M. Eudes.
J'arrive le soir à 5h ½ à Befanivane. Pendant plus d’un quart d’heure un vol immense de sauterelles passe au-dessus de mon filanzane et tout autour de moi ; au loin, c'est un véritable nuage qu’elles forment. Sur ma droite j'aperçois une forte colonne de fumée et les sauterelles ont dévié vers le nord pour l’éviter. De même, le bruit leur fait peur et les fait partir.
Je dors mal car je suis dévoré par les puces, et aussi embêté par la situation difficile qui nous est faite par le manque d’argent et d’instructions précises. Aussi je repars.
Lundi – À 5h ½, lever du jour, je déjeune à Amborokambo où j'arrive à 10h ¾. J'ai faim et surtout très soif car j'ai marché 2h ¼ ce matin pour soulager mes porteurs qui ne sont pas plus que cinq et qui ont a porter environ 110 kg.
Au lever du soleil, je rencontre une nuée de sauterelles tombés de la veille ; le sentier en est couvert et les hommes marchent dessus. Les arbres sont rouge bruns et les moindres brins d’herbes en supportent plusieurs. Je comprends alors ce que cela doit être lorsque pareille nuée s'abat sur une récolte quelconque et je ne m'étonne plus qu’il n'en reste rien. Enfin, vers le soir, j'arrive à l’Antomobokaze.
Pendant mon absence, M. Eudes a continué l’installation du slice et a fait encore abaisser la conduite d’eau qui peut maintenant se régler par deux vannes superposées ; avec beaucoup d’eau l’on marche avec deux grilles ; avec moins d’eau une seule grille fonctionne. De plus, il a fait sauter plusieurs mines pour dériver les eaux, mais ce travail n'est pas encore fini, car la pierre très dure ne s'en va que par petits blocs malgré la puissance de l’explosif. Malheureusement, l’eau a cessé de monter. C'est la sécheresse la plus intense, car en amont, la rivière ne coule même plus. Peu à peu, les infiltrations qui se font sous le barrage vont mettre de nouveau le bassin à sec. L’on en profitera pour le rendre complètement étanche. Grand ennui pour M. Eudes et nous tous de la situation présente. Qu’allons nous devenir n'ayant aucun ordre et pas d’argent. Obligation sans doute de licencier la main d’œuvre qui pourtant était très bonne, car c'était le choix sur tous les hommes que nous avions employés.
De plus, comme M. Eudes ne sait plus que penser de l’attitude de ces messieurs et qu’il semble redouter les pires accusations, il a créé un journal de travail sur lequel au jour le jour on note le travail à faire et fait.
De la sorte, ces messieurs ne pourront pas dire que l’on a gaspillé la main d’œuvre.
Mardi 29 septembre – Que faire, nous buvons de l’eau en attendant que l’on puisse aller chercher la barrique que M. Eudes a acheté à Majunga et qui doit être à Amb., c’est-à-dire à 90 km environ. Nous en sommes réduits à manger des pommes de terre que j'ai envoyées d’Antsohihy en faisant un compte chez Pétridès, des pois du cap et les quelques boites de conserve que M. Eudes avait achetées à Majunga pour les grandes occasions. Nous n'avons plus d’argent et nous ne pouvons par conséquent acheter ni poulets, ni canards, no œufs, ni à plus forte raison du bœuf. Avec un pareil régime, c'est l’anémie à bref délais. Du reste moi-même j'en suis atteint déjà d’après M. Eudes et les plaies inguérissables que j'ai aux jambes viennent confirmer ses dire. Je prends du fer à chaque repas pour la combattre, mais une nourriture moins déprimante serait préférable. À quoi songent ces messieurs ?
Mercredi 30 septembre – M. Doinelle part avec 6 hommes à Port-Bergé et Amb… chercher du vin et savoir ce qu’il est devenu. Il doit examiner en même temps l’état de sa goélette échouée cet hiver et restée à A… Il ne nous reste plus personne pour travailler, sauf le menuisier qui continue avec mon aide.
Nous renvoyons ce matin un homme qui apporte du riz en lui disant que nous ne pouvons acheter n'ayant pas d’argent. L’effet produit va être déplorable sur l’esprit des indigènes et il faudra plusieurs mois pour regagner leur confiance. L’on ne va plus rien apporter, aucune provision et le vide va se faire peu à peu autour de nous.
L’après midi, une ffova que M. Eudes avait envoyé en prospection revient avec deux petits échantillons d’améthyste. M. Eudes si nous avions des hommes irait voir ce site qui peut être très intéressant et qui se trouve assez près d’Analalave. Mais impossible dans notre situation. De plus, cet homme qui a apporté ici un morceau de quartz avec 4 grains d’or et qu’il a ramassé près de Marovali ; cette découverte décide M. Eudes à placer un poteau de protection de ce côté à 1 600 mètres du village. D’autant plus que tous nos travailleurs à la batée sont en recherche de ce côté. Je ne peux pas y aller à cause de la plaie de ma jambe qui nécessite du repos. M. Eudes lui, n'est pas encore remis et assurément qu’avec le régime actuel et les tracas qu’il a, il lui faudra longtemps encore. Or, ce hova voudrait 50 Fr. n'ayant plus d’argent pour continuer ses recherches et se nourrir. M. Eudes lui a promis 100 piastres s'il trouve quelque chose d’intéressant. Ne pouvant les lui donner par d’avances, nous lui donnons du riz et du masquit.
Jeudi 1er octobre – Notre homme repart ce matin en tournée avec une batée et… ainsi que sa provision de riz. Il doit revenir dans 8 jours et M. Eudes doit l’accompagner pour aller voir le site d'améthyste.
Mais évidemment il doit attendre le retour des quelques hommes qui nous restent et qui sont avec Doinelle. Quand finira cette déplorable situation financière ! J'attends avec impatience le courrier de Port-Bergé, car c'est la réponse à ma lettre du 14 juillet dans laquelle je parlais déjà du manque d’argent et je poussais le premier cri d’alarme.
Tableau de travail du 20 août à ce jour. Au 17 août, le 2e barrage provisoire est terminé, le slice posé et en attendant que l’eau monte au niveau nécessaire je fais déblayer le terrain et enlever les stériles.
Nous avons 23 hommes.
Le 20, 10 partent pour Majunga chercher M. Eudes, ils reviennent avec des provisions le 4 septembre après midi.
Les 16 hommes pendant ce temps ont enlevé 0.80 de sable sur 15 mètres de long et 5 mètres de large et j'ai fait exécuter sur ce terrain de nombreuses batées.
Le 4 septembre, départ pour Antsohihy de M. Doinelle avec 17 hommes. Il ne reste personne. Retour le 9 au soir avec M. Compagnon, le 10 septembre, séjour de M. l’administrateur.
Du 11 au 18 septembre on fait des tranchées dans la rivière pour préparer la terre ; 6 batées marchent pendant plus de trois jours. 10 hommes nous quittent pour différents motifs.
Le 19 septembre, catastrophe, recherche des boxes.
Le 21, arrangement du grand barrage.
Du 22 au 29, mon voyage à Antsohihy pour aller chercher de l’argent. Il ne restait que deux hommes.
Le 30, départ de M. Doinelle pour Port-Bergé et Amb. avec 6 hommes, il ne reste personne.
« Je lis :
Marseille, 14 juin, une correspondance particulière de Madagascar arrivée ce matin à Marseille par le Melbourne apporte les nouvelles suivantes de Tananarive :
«… il a été procédé à l’adjudication des travaux à exécuter pour la construction du 18e et dernier lot du chemin de fer de Tananarive à Brickaville. Le point terminus récemment reporté jusqu’à Anjiro permet d’effectuer en deux jours le trajet de Tamatave à la capitale. Le général Boyer est parti le 13 mais en tournée d’inspection. Il a quitté Tananarive en auto, se rendant à Majunga par la route de l’ouest. De Majunga, il s'embarque sur le Persépolis à destination de…
Journal du 14 juin sous la rubrique courrier de Madagascar, en deuxième page
Or, c'est étonnant de lire des choses semblables quand tout le monde sait ici que la route Majunga – Tananarive ne commence qu’à Maevatanana, c’est-à-dire au 23ème km. Causant ces jours-ci avec M. Compagnon, administrateur en chef des colonies à Analalave, le lui demandais pourquoi l’on ne faisait pas de routes entre les chefs lieux des provinces. Il me dit : « la route d’Analalave à Befandriana coûterait environ 900 000 Fr. et 100 000 d’entretien chaque année ; or d’après une enquête minutieuse, cette route n'est suivie actuellement que par une moyenne de 17 indigènes par jour. Comme si avec l’organe ne se créerait pas des modes de transports inconnus dans les sentiers, comme charrette à bœufs, etc… et l’on ne verrait pas le riz valoir 0.20 le kg à Antsohihy alors qu’à Befandriana il vaut à peine 0,05. Et cette province fait environ 600 000 Fr. de recettes. Pour le chemin de fer d’un intérêt contestable, l’on n'a pas hésité à dépenser plus de 60 millions !»
Vendredi 2 octobre – Malgré mes jambes non encore guéries, je vais avec M. Eudes sur la Sofia à l’endroit où les hommes avaient trouvé leur grain d’or dans du quartz. L’endroit est sauvage et grâce aux chutes devient un joli site avec au fond les hautes montagnes du Youback au retour à travers des ravins très escarpés nous tuons une pintade et 3 macks. Voilà le Sakaf pour 2 jours. J'occupe l’après midi à faire de la photo.
Samedi 3 octobre – Nous n'avons pas encore reçu le courrier de France du 18 et cela par manque d’hommes. Nous l’attendons ce soir avec une bien légitime impatience. M. Doinelle a dû nous l’envoyer à son passage à Port-Bergé. Le courrier arrive et d’après la lettre de M. Trinquesse, c'est la fin de la société. Après la lecture de cette lettre je ne m'étonne plus de ne pas avoir reçu les fonds à Antsohihy. M. Eudes me dit : « Si le slice n'a donné n'a pas donnée de résultat appréciable, c'est la dissolution de la société» . Or non seulement le slice n'a pas donné de résultats, mais par suite d’événements étrangers à notre volonté, peste à Majunga, difficulté des transports pendant la saison des pluies, pénurie de main d’œuvre, maladie de M. Eudes, sécheresse, manque de fonds, la slice n'a pu encore fonctionner. C'est à donc à plus forte raison la dissolution ? À moins qu’après lecture de notre courrier de fin septembre, ces messieurs veulent bien faire une avance de nouveaux fonds d’une manière quelconque.
Cette lettre nous navre d’autant plus que nous sommes sans argent ; nous avons de la main d’œuvre à payer pour plus de 500 Fr. et différents petits comptes, Dalay, Pétridès, sans compter nos avances et nos appointements.
Rien dans les lettres précédentes de M. Eudes ne laissait prévoir une solution aussi radicale, car sans cela nous aurions mis de l’argent de côté pour continuer à vivre, car sans un sou, je ne sais quelles difficultés nous allons avoir à traverser. Jusqu’à une lettre précise de M. Eudes demandant soit la vente soit la dissolution, comment allons nous manger, car cette question peut demeurer pendante jusqu’à la fin novembre.
Dimanche – Je passe ma journée à m'abrutir à la lecture des journaux ; le temps est fortement à l’orage et pour la première fois le thermomètre marque 40°.
Lundi 5 octobre – Il a plus beaucoup dans la nuit avec des coups de tonnerre dans le lointain, ce qui laisse à supposer que le plus fort de l’orage n'est pas tombé ici. Du même coup, nous allons avoir de l’eau pour travailler. Vers les 8 heures, une nouvelle pluie torrentielle d’une heure suspend le travail. L’eau du bassin monte rapidement, aussi ce n'est que maintenant seulement que M. Eudes songe à faire creuser un canal de dérivation pour permettre à l’afflux d’eau de s'écoule. Mais, nous n'avons que 4 hommes et un gosse et le travail n'avance que lentement quoique se servant de deux grands trous où l’on avait déjà enlevé de la terre. À 10h, l’eau est arrivée au niveau de la caisse ; je ne sais comment ce travail a été fait, car la conduite d’eau a été posée pendant mon voyage à Antsohihy, mais ce que je constate c'est qu’aussitôt arrivée à ce niveau.
L’eau a filtrée de l’intérieur du barrage. Je fais remarquer à M. Eudes que son travail n'est pas étanche, je veux chercher mon remède à cette situation, alors il me dit brusquement, je m'en fous, le travail que j'ai fait est bien fait et j'en prends entièrement la responsabilité. Le la lui laisse entièrement cette responsabilité et je me tais.
Pendant le déjeuner, l’eau coule dans la slice par la conduite ; mais les infiltrations sous la boite continuent assez puissantes pour commencer à raviner à l’intérieur du barrage. Je m'enfonce même dans un trou d’un mètre de profondeur creusé par ces infiltrations. M. Eudes continue à faire creuser le canal de dérivation qui à l’heure actuelle aurait dû être fait s'il avait suivi les réflexions que j'avais faites à ce sujet avant mon départ pour Antsohihy.
Je voulais faire creuser à ce moment là un canal d’un mètre en dessous du niveau du canal d’écoulement et fermé par une vanne. Ce travail aurait pu être fait car M. Eudes avait gardé deux hommes et que je lui en ai envoyé deux autres d’Antsohihy. Mais il a préféré faire sauter des roches et faire creuser un canal pour l’écoulement des eaux sortant du slice. C'était secondaire. Si, à mon retour, je n'en n'avais pas fait la réflexion à M. Eudes c'est qu’il entendait seul diriger l’exploitation et être le seul maître responsable. C'est ce qu’il m'avait dit un peu brutalement avant mon départ à Antsohihy à la suite de l’explication que nous avions eu au sujet de l’enlèvement par les eaux du barrage provisoire.
Vers 4 heures l’eau monte plus rapidement, de 1 cm toutes les 3 minutes ; c'est la pluie de ce matin qui commence à se faire sentir. À 4h ½ c'est 1 cm par 2 minutes et le canal de dérivation ne fonctionne toujours pas. Les infiltrations sous la caisse et derrière les planches qui font corps avec elles continuent à creuser la terre du barrage et à l’emporter peu à peu. Je fais reboucher des trous, mais l’eau filtre toujours.
Cinq heures, la conduite d’eau coule à pleins bords de la slice avec un bruit de cascade ; et l’eau monte toujours, elle commence à dépasser le niveau prévu, c’est-à-dire qu’elle passe au-dessus des planches qui étaient de chaque côté de la conduite d’eau jusqu’à son niveau supérieur. Je le fais remarquer à M. Eudes et seulement alors l’eau commence à couler dans un petit canal de dérivation large de de 0, 70 à 0,80. Mais, derrière les planches, l’eau commence à trouver une issue déjà préparée par les infiltrations de toute la journée. Elle s'y précipite, le trou s'agrandi vite devant ce débit et cette pression formidable et à 9h45 le barrage cède. Des masses de terre s'effondrent ; les satres sont jetés à terre et emportés, la caisse de débouchage avec ses grilles est jetée de côté come un fétu de paille, les boxes s'en vont à vau l’eau et pendant ½ heure, c'est le bassin qui se vide en une masse d'eau énorme qui agrandit sans cesse le trou commencé.
Cette fois, c'est bien fini ; plus d’espoir, impossible en cette saison de songer à reconstruire un barrage, il faudra attendre jusqu’en mars. Mais assurément, nos commanditaires n'attendront pas jusque là et vont nous lâcher définitivement.
Mardi – L’on recherche les épaves utiles. Deux boxes perdus, sans doute dans la Sofia. L’on fait tout rapporter au camp, boxes, pelles, barres, brouettes, etc… C'est bien fini pour cette année. Je prends des photos de ce désastre et je suis heureux que M. Eudes ait bien voulu en prendre seul la responsabilité. Il en peut rien m'imputer de ce désastre dû en premier au manque de précautions car avec un canal de dérivation suffisant, l’eau aurait peut-être pu s'écouler et le barrage aurait résisté.
Mercredi 7 octobre – Nous voici dans la plus inquiétante des situations. N'ayant plus d’argent et n'en n'espérant guère, M. Eudes licencie tout le personnel en lui disant d’attendre au 20 pour se faire payer. Bien vague espoir d’argent ? Ainsi donc, plus un homme à notre service, pour comble le cuisinier et le boy partent eux aussi. C'est pire qu’aux premiers jours de mon arrivée. Pas même un gosse pour laver la vaisselle; Les hommes font patraques dans le village, mais d’un jour à l’autre ils vont partir et nous allons rester tout seuls dans notre coin de brousse, peut-être bientôt sans vivres.
En France, l’on ne peut se douter ce que sait que se sentir aussi loin de partout sans un sou en caisse et sans serviteurs. Ces messieurs encourent de ce fait de graves responsabilités.
M. Doinelle revient à pied de Port-Bergé. Il avait remonté la rivière d’Ambevorogo à Port-Bergé. Les matelots avec la pirogue reviennent avec 10 dames-jeannes de vin blanc, mais le difficile sera de le faire arriver jusqu’ici.
Jeudi – Savelli et Ratineau sont toujours à couteaux tirés ; quel exemple pour les indigènes. Et cela, à cause d’un grec qui a, par des racontars absurdes, pu mettre la discorde entre eux. Ratineau nous a chipé notre boy Tahrla, ce n'est guère chic, d’autant plus que nous l’avions chargé de nous le faire revenir. Le vieux Reinvele revient de prospecter la région de Marovale ; il a trouvé de l’or de tous les côtés, mais petits et en petites quantité. Ils rapportent environ 10 grammes d’or. Nous leur disons que c'est trop peu pour qu’on l’achète ; comme il faut qu’ils vivent, on leur donne un sac de riz et ils vont aller prospecter du côté des sources de l’Antombokazo. Il est évident que le malgache est routinier et peu travailleur ; ce serait bien étonnant s'il trouvait quelque chose.
Vendredi – Nous mangeons de la tortue à déjeuner. C'est un met excellent et cela a gout de blanquette de veau, avec chair blanche. Ce soir, c'est l’omelette d’œufs de tortue que nous lui avons trouvé dans le ventre. Il y en a une vingtaine environ. J'ai fait de la photo aujourd’hui, mais la chaleur est si grande que la gélatine du papier se décolle.
Beauvais, le 7 octobre 1908
Mon cher ami
Votre longue lettre qui m'a rejoint ici m'a beaucoup intéressée, mais elle m'a fait voir combien il y a loin de la coupe aux lèvres.
Si j'ai bien compris, votre administration vous a laissé dans l’ignorance la plus complète de sa véritable situation. Vous êtes arrivé en plein chaos, en plein début d’organisation et ce n'est pas cela que vous attendiez. En sommes, vous n'avez pas l’air ni enthousiasmé ni dans l’état de le devenir. On vous a indignement trompé et d’ici à ce que vous trouviez rémunération de vos peines, il y a encore loin.
D’ailleurs votre collègue qui m'avez-vous dit est là depuis 9 ans, ne semble pas non-plus avoir fait progresser l’affaire. Vos moyens comme les siens me semblent très limités et vous m'avez l’air l’un et l’autre d’enfants perdus dont on s'occupera quand ils auront fait parler d’eux. Cependant, je crois cette existence à la dure dont vous avez heureusement dépassé l’épreuve sera pour vous une excellente école. Vous vous portez bien, nous n'avez que peu de fièvres, faites beaucoup d’hygiène notamment pour l’eau et pour la nourriture, et avec cela, vous reviendrez aussi solide qu’au départ.
Maintenant, l’organisation de vos chantiers vous ménage peut être quelques agréables, je vous le souhaite, car dans ce pays, si le travail ne fournit pas quelques satisfactions, il devient insupportable. Je vous sais calme et tenace en présence de la difficulté, ce sont là deux qualités rares qui vous ont déjà servie et qui vous serviront encore.
J'ai en effet reçu vos cartes postales, sauf pourtant celle de Mombassa. Je vous ai d’ailleurs suivi dans tout votre voyage. Mon journal signale l’Oxus au départ de Port-Saïd, de Djibouti, son arrivée à Zanzibar, à Mayotte. Je l’ai même suivi au retour de la Réunion à Marseille. Le voyage a du évidemment vous intéresser et cela d’autant plus que vous n'étiez pas malade et que les escales étaient nombreuses.
Malheureusement, on s'y arrête trop peu pour y jouir du relief de chacune d’elle. Je comprends d’ailleurs que vous ayez eu hâte de gagner votre campement. C'était la fin du voyage et aussi le point d’interrogation effacé. Mais quel voyage à travers la brousse ! Il vous a étonné ; j'avoue que je m'attendais un peu à votre… ayant lu des fragments de rapports de Gallieni et de fréquents articles dans l’Illustration sur Madagascar. Des chemins de fer, des rats, il n'y en a pas de P… en Algérie, à plus forte raison à Madagascar. À part la route de Tananarive à Majunga, il y a peu de choses, cela coute si cher ! Il faut se contenter des pistes comme dans tous les pays neufs et élargir les pistes au fur et à mesure des besoins. Gallieni faisant cependant autour de Tananarive des excursions en auto ! J'ai vu des photos de son retour dans la capitale sur une Panhard. Je doute cependant que dans un pays montagneux et boisé comme à Madagascar, il y ait des possibilités de faire de l’auto bien longtemps. Mais en Algérie, sur les pistes des oasis, on pourrait faire de la bicyclette et de la motocyclette à petite allure mais à force puissance pour gravir les pentes. Combien d’officiers des affaires indigènes me l’ont affirmé. Si les mines d’or ne vont pas, montez une affaire d’auto !!!
Je ris, mon pauvre ami, et bien non, car je voudrais vous sentir plus content et surtout plus confiant dans l’avenir. Vous êtes bien isolé, la vie à deux devient bien vite monotone, aussi gardez-vous du spleen. Lisez, écrivez vos impressions, pour vous, ce sera fort agréable plus tard. Quelle guigne que votre appareil photographique se soit abimé, vous auriez pu non seulement nous donner des spécimens de votre entourage, mais vous auriez aussi pu mettre vos commanditaires au courant de ce qu’est l’exploitation à l’heure actuelle. Je croyais vous avoir aussi dit dans une de mes précédentes lettres que le seul appareil utilisable dans les pays chaud est la photosphère tout en métal, inoxydable et indéformable grâce à sa solidité. C'est l’appareil utilisé au Soudan, au Sénégal par les amateurs de photographie.
M. Eudes parle de l'ile de Nosi-Kibongo dans la baie de la Betsiboka. Cela ferait une belle concession pour l'élevage du bétail et la plantation de cocotiers…
10-11-12-13 octobre – Alphonse, Messaouda, de Verine. Tous ces jours-ci l'on attend, l'on flemmarde, on lit les journaux, on va à la chasse. Mes plaies de la jambe vont beaucoup mieux et vers la fin de la semaine je vais pouvoir aussi faire de grandes randonnées. Depuis deux jours, M. Dametrio, ancien commerçant de Port-Bergé, ruiné par Francopoulos, est ici. Il vient de louer la concession de la Mahayamba à ces messieurs, bail de… Il plantera mille cocos tous les ans et profitera sans redevance de tous les terrains et des bananiers qui s'y trouvent déjà. Hier, M. Doinelle a tué 3 pintades d'un seul coup de fusil. Ce n'est plus de la chasse. Nous recommençons à boire du vin que les marins apportent de Mahali où s'est arrêtée la pirogue V. de Port-Bergé. Nous n'avons plus de pain et vivons de riz en attendant une caisse de farine à crédit qui va venir de chez Dalay. Le thermomètre a atteint hier 42° à l'abri et ce n'est pas fini.
Après les pluies de ces jours-ci, c'est le printemps ici ; tous les arbres des bois reverdissent et sont en fleurs. La nature prend un très joli aspect vert qui change des bois brûlés des derniers mois.
Mercredi 14 octobre – Les hommes de Perrier sont revenus d'une prospection vers le nord dans les collines. Ils ont trouvé de l'or, mais tout petit. Ils préfèrent revenir sur la Sofia. À leur aise, mais M. Eudes ne leur donnera plus de riz.
Vers midi, un grand vol de sauterelles passe sur le camp. Beaucoup se reposent par terre. Nous en prenons quelques unes et nous partons à la pêche aux… sur la Sofia. Pas une prise pour notre sakaf. Cela ne veut pas mordre.
Plus de pain, plus de vin, Eau et riz, ce n'est guère la noce.
*Démétrio s'en va le matin accompagné par M. Doinelle jusqu'à Marovale. Comme vao vao Savelli part à Marovoay et la vente des bœufs et du mulet de Démétrio est fixée au 22 ; quel dommage de ne pas avoir d'argent. Le soir, grand orage avec éclairs et tonnerre. C'est une inondation pendant plus de deux heures. L'Antombokazo monte dans la nuit de 1m50. C'est bien le commencement de la saison des pluies.
Vendredi 16 octobre – Ce matin, nouveau vol de sauterelles. Elles passent sur le camp, poussées par le vent pendant une demi-heure. C'est encourageant pour ceux qui veulent faire des plantations ?
L'administrateur Vivié doit venir nous voir aujourd'hui d'après ce que l'on a dit hier à Doinelle à Marovale. Quelle tête il va faire de notre désarroi.
En effet, il arrive vers 9h 1/2 . Nous lui expliquons notre situation, notre attente de fonds ; il s'étonne, compatissant à notre égard. Il se met obligeamment à notre service. C'est à peine si nous pouvons le recevoir convenablement au déjeuner. Pas de vin, presque pas d'eau potable car il a plu et l'eau est toute rouge ; pas de pain, pas de riz.
Le soir, il est arrivé du vin blanc. Je fais une salade excellente avec du cœur de raphia, œufs, homard. Goys en matelote, poulet en sauce, salsifis frits. Le soir, séance de phonographe, danses avec Ramatoa, punch, soupe à l’oignon. C'est la noce jusqu’à 2h.
Samedi – Nous ne cherchons pas à retenir M. Vivié, n'ayant plus rien à lui donner à manger ; il part vers neuf heures. L’après-midi, ma jambe droite étant complètement guérie après 3 mois de soins, je vais à la chasse ; je marche deux heures pour ne tuez qu’un perroquet, c'est maigre.
*Dimanche – Avec Doinelle, je pars de grand matin à la chasse ; je tue un trifake et Doinelle trois aigrettes. Je tue un beau serpent de 1m80 trouvé sur les bords de l’Antombokazo. Le soir, nous repartons encore ; je retrouve un serpent pareil à celui du matin ; mais du gibier, point. Notre ordinaire s'en ressent, et nous mangeons du singe pour tout de bon ; ce n'est guère délicieux, mais il faut vivre.
Mardi 20 octobre– Aujourd’hui repos, Doinelle s'est foulé la cheville en passant un ravin. Nous sommes à la merci d’un accident plus grave qui nécessiterait un transport immédiat. Je fais sécher ma peau de serpent que je compte bien emporter : de belles couleurs noires et jaune.
Nous attendons impatiemment une lettre que Vivié doit nous envoyer, aussitôt rentré à Antsohihy, avec ou sans fonds.
Scène de Vaudeville. Frères de sang, administrateur frère de sang au grand chef. Chaque fois que l’administrateur va en tournée dans le village d’un grand chef, celui-ci le reçoit avec tous les honneurs dus à son rang et comme frère de sang il lui prête sa femme plusieurs fois. Un jour, grand chef s'en va au chef lieu et veut coucher avec la femme de l’administrateur qui est marié. Cruel embarras. On s'entend avec une créole qui joue le rôle de la femme de l’administrateur, bougies éteintes. Mais, la vraie femme de l’administrateur apprend les infidélités de son mari et obtient le divorce.
M. Vivié avait promis de nous écrire, aussitôt rentré à Antsohihy. Il tient sa promesse et un exprès posté hier à 9 heures d’Antsohihy arrive ici à 11 heures porteur d’un pli urgent qui nous annonce un envoi de fonds au comptoir à Majunga. Pourquoi pas à Antsohihy comme on l’avait demandé ! Ce sont des difficultés pour nous que de ne pas suivre à la lettre nos instructions.
Départ immédiatement à 12h30 avec 4 hommes de filanzane, pas de bagages, pas de lits ni boite de conserve, Maggi et boite de lait, fusil et Moïse, c'est encore la dèche.
Qu’allons nous manger ce soir me demande M. Eudes, nous n'avons rien et j'ai la flemme d’aller marcher 4 heures par 40° pour n'en rien tirer. Nous mangeons un potage Maggi et salsifis en conserve.
Mercredi – Je vais à la chasse de bon matin vers la Sofia : une pintade, perroquet, pigeon, bécassine. J'aperçois un superbe héron gris bleu mais trop loin pour le tirer. Les batées ne voulaient pas aller travailler du côté où M. Eudes les envoyaient parce qu’il y a des olos taloer très puissants qui retiennent l’or et qu’ils ont peur d’aller contre eux. M. Eudes promet de leur demander la permission afin qu'ils laissent aller l'or qu'ils gardent jalousement.
Jeudi, vendredi 23 – Mentrava tue un veau, pendant deux jours nous mangeons de la viande. Il y avait deux mois que je n'avais mangé de viande fraîche. Cela m'évite d’aller à la chasse, souvent peu fructueuse. Nous attendions Doinelle avec l’argent car il devait aller à la vente Demetrios à Port-Bergé le 23. Avec quatre hommes seulement, il n'aura pu forcer les étapes.
Samedi – De nouveau, je refais le pain .In nous est arrivé à 15 kg de farine hier soir d’Antsohihy. Ce n'est pas trop tôt car le riz n'est guère appétissant.
Quelques renseignements sur les permis de recherche :
Article 6 – Titre i. Le gouvernement général peut, dans l’intérêt de la sécurité publique, par arrêté pris en conseil d’administration fermer certaines régions à la recherche, soit pour une durée déterminée, soit sine die. Dans ce dernier cas, l’arrêté est soumis à la ratification du ministre des colonies. Tous travaux de recherche sont interdits dans ces régions.
Les travaux de recherche et d’exploitation sont en outre interdits à l’intérieur et dans une zone de 150 mètres à l’entour des propriétés closes, maisons, puits, lieux de sépultures, voies de communications et tout travaux d’utilité publique ou ouvrage d’art.
Mais cette interdiction peut être levée ou la distance de 50 mètres réduite de l’assentiment du propriétaire, s'il s'agit d’une propriété privée et du Gouverneur général ou de son délégué, s'il s'agit du domaine public.
Titre ii. De la recherche.
Article 9. Le permis de recherche donne le droit exclusif de faire, sous réserve des droits antérieurs et sauf les interdictions stipulées à l’article 6, tous travaux de fouilles et de sondages à toutes les profondeurs à l’intérieur d’un périmètre délimité par un cercle de 2 km de rayon.
Article 14. Le permis de recherche est valable pour un an à compter du jour de sa délivrance. La durée de sa validité peut être prorogée par période d’un an et deux fois au maximum, quelque soient les titulaires entre les mains desquels aura passé le permis, et moyennant le paiement d’un droit de 200 Fr. pour la première prorogation et de 500 Fr. pour la deuxième.
Article 15. La demande de prorogation doit être adressée au commissaire des mines dans les attributions de qui se trouve le périmètre de recherches et de façon à lui parvenir avant l’expiration du délai à proroger. Cette demande doit être accompagnée du récépissé attestant le versement dans une caisse publique du droit de prorogation.
Mention de cette prorogation est inscrite sur le permis par le commissaire des mines qui en donne immédiatement accès au chef du service des mines.
Article 16. Le titulaire d’un permis de recherche peut être autorisé à disposer du produit de ses recherches moyennant paiement d’un droit de 7% ad valorem, dont le montant et la base de perception seront réglés par arrêté du Gouverneur général.
Article 17. Le permis de recherche peut être cédé à toute personne ou société se trouvant dans les conditions indiquées aux articles 2,3,4 ci-dessus. La demande de mutation doit être adressée au commissaire des mines. La mutation est soumise à droit fixe de 100 Fr. et n'est valable que du jour de son acceptation par le commissaire des mines.
En cas de décès du titulaire d’un permis de recherche, les ayants-droits devront satisfaire aux articles 2,3,4. La mutation à leur profit ne sera pas soumise au droit de 100 Fr.
Extraits du décret du 23 mai 1907
…
Samedi 24 octobre – Il est l’heure de déjeuner et Doinelle n'est pas arrivé, nous ne comprenons plus rien à un retard aussi prolongé. Il arrive pour diner porteur de 2 000 Fr seulement au lieu des 5 000 demandés. À Antsohihy, il avait été obligé d’attendre que la ligne télégraphique soit rétablie car une dizaine de poteaux avaient été brûlés par des feux de brousse.
Dimanche – Nous payons nos hommes et ils en profitent pour partir aussitôt après. Nous restons presque seuls attendant avec impatience le courrier du 27 qui doit contenir des instructions précises.
Lundi, mardi – Nous avons du lait ce matin car le troupeau a été enfermé dans le parc, c'est à peine si sur nos 100 têtes nous pouvons avoir 4 bouteilles de lait.
Les hommes de Perrier nous apportent ce matin une superbe anguille de 1m de long et 30 cm de tour. Ils en prennent dans la Sofia, tous les jours de semblables.
Zoma Tzaï Tistia, voilà sa réponse habituelle et qui résonne à mes oreilles comme un refrain obsesseur.
M. Eudes veut emporter les lapins si l’on quitte ici. Nous avons eu à ce sujet une petite discussion. Inutile lui dis-je de prendre… de manger tout le monde, car c'est un homme qui monte comme une soupe au lait. Heureusement qu’il se calme quand même.
Mercredi 28 octobre – Hier soir, nous avons reçu le courrier ; d’après la lettre de M. Trinquesse, 3 000 Fr. sont par lettre à Analalave. Cela fait donc 5 000 Fr. et ces messieurs ont l’air de vouloir avancer de nouveaux fonds pour continuer l’entreprise. En attendant cela nous permet de respirer.
Jeudi – Les fonds annoncés sont à Analalave à trois jours de filanzane. Or, nous avons demandé hier des porteurs au gouverneur indigène de Marvala, car ici, nous n'avons plus le nombre d’hommes suffisant. Nous devions en recruter ce matin, mais naturellement nous n'en recevons aucun. M. Doinelle va partir à pied avec 2 porteurs pour aller chercher les fonds. Mais, ayant eu un accès de fièvre, il ne peut partir immédiatement. À midi, nous envoyons un matelot pour porter notre courrier à Antsohihy.
Vendredi – Doinelle part ce matin pour Antsohihy. Il doit prendre l’argent disponible ou aller jusqu’à Analalave. Il doit aussi recruter des hommes pour la batée et un cuisinier. Naturellement, n'ayant pas de porteur, c'est à pied qu’il effectue le voyage.
Samedi, Dimanche 1er novembre – Rien de nouveau. L’ennui de faire une partie de la cuisine, le pain, etc… Je vais à la chasse, mais trouve difficilement des pintades. Les hommes à la batée doivent venir aujourd’hui. Doinelle nous apportera les résultats de leur travail de deux mois au moins. Que va-t-il être ? Ils nous auront volé de plus de la moitié, mais que faire ? Impossible de les surveiller de trop près sinon ils s'en vont. Il faut s'en remettre à leur bonne volonté ! Ils nous apportent 20 10 d’or. C'est fort peu et nous en profitons pour mettre à la porte tout homme qui n'apporte que 2.35 depuis trois mois qu’il travaille.
Lundi 2 novembre – Dans le journal du 8 septembre 1908, je lis :
M. Augagneur poursuit avec activité la réalisation du programme de grands travaux qu’il a élaboré !
Le chemin de fer est aujourd’hui en exploitation depuis Manyakandriana jusqu’au canal de Pangalunes. De Manyakandriana à Tananarive, les travaux demeurant à accomplir dureront une année ; l’année prochaine, la gare de la capitale de l’ile sera inaugurée : du canal de Pangalunes à Tananarive on pense que le rail sera totalement installé d’ici un an à dix-huit mois.
Le gouverneur général pousse activement à la construction des canaux ; le canal de Vatemandry est ouvert à la circulation et on commence à travailler au canal de Beparasy – Ambodilke.
Pour les routes M. Augagneur les fait construire avec beaucoup d’ardeurs. La route de l’Ouest qui va de Tananarive à Majunga a été en grande partie refaite et sur cette partie de son parcours sillonnent déjà des automobiles qui font le service du courrier postal.
M. Augagneur donne d’ailleurs tous ses soins à la réalisation du plan du réseau de routes qui doivent toutes converger vers Tananarive et permettre de drainer tout le trafic de l’ile vers la tête des lignes de chemin de fer que sera la gare de Tananarive.
Alors pour être mises en valeur sérieusement toutes les richesses de l’ile, richesses qui sont considérables.
Sans commentaires pour qui habite le pays. C'est aujourd’hui jour de deuil et de souvenirs en France. Le plus souvent, il fait froid, pluie ou vent, quelque fois, de la neige.
Ici, c'est le printemps ; tout ce qui était desséché pendant la saison sèche repousse avec une rapidité inouïe ; toutes les forêts reverdissent et les arbustes sont en fleurs. Le soleil brille tous les jours en nous donnant des chaleurs de 40 à 42°. L’on ne sait plus comment on vit ; depuis juin mon arrivée, c'est le soleil tous les jours.
Mardi – Toutoulelai mis à la porte pour vol d’or revient à la charge plusieurs fois pour rester sur les placers sous différents prétextes. Nous refusons, inutile de garder un homme voleur. D’après sa production, il n'aurait gagné que 0.10 par jour. C'est impossible et il n'aurait pas tant d’insistance pour rester.
À la chasse, je tue 2 maquis ; hier une pintade. Vie toujours calme dans le farniente. J'étudie le malgache et je fais le boulanger.
Mercredi 4 novembre – Je tue un martin-pêcheur ; un des plus jolis oiseaux de la faune de Madagascar : tout petit il a le ventre orange, les ailes bleues et noir, le dos bleu avec reflets dessus, le dessus de la tête une huppe blanche, bleue et noire. M. Eudes me le naturalise.
Jeudi 5 – M. Doinelle arrive à 2h ½ du matin avec 4 porteurs de filanzane que Vivié lui a trouvé à grand peine le jour de son départ. Il est resté une après midi de plus et est parti seulement à 10 heures du soir . M. Vivié enguelait le chef de ne pas avoir d’hommes et enfin de compte, il ajoutait : « surtout ne les force pas» . Sa situation est très fausse à cause de toutes les réclamations dont il pourrait être l’objet de la part des commerçants d’Antsohihy, de certains surtouts. Lui-même, deux de ses filanzanes lui ont dit qu’ils ne voulaient plus le porter ! Rien à faire sous le régime Augagneur. Lesueur fait ses affaires avec ses poteaux à ce qu’il parait ? On parle d’une option avec vente de 600 000 Fr. Il a des poteaux à 40 K au nord de notre concession, du côté de Befamivana.
L’homme qui était venu offrir ses services à M. Eudes vers la fin de septembre et qui avec notre permission avait prospecté la région, a fait placer à un turc Raggi d’Antsohihu deux poteaux sur l’Anksaomahitsy, au nord de l’Adolambo, à peine à 15 km au nord de nos poteaux.
Vendredi – Notre nous donne un melon gros comme la ½ orange, mais très parfumé ! Nous nous régalons de l’odeur et du goût un peu trop succincts.
Samedi – Mentrave tue un petit veau, je prends quelques photos.
Dimanche, lundi – Nous avons besoin de quelques hommes pour nous débiter du bois. Impossible d’en trouver. Il en est venu un avec un toutelaï qui moyennant 0.80 nous débitait des planches de 4 m sur 0.30. Mais ne voulant pas garder le voleur d’or, Toutoulelai son compagnon prétexta ne pas trouver de pierre pour faire couper ses instruments de travail.
Hier, Louis, le menuisier allant chez lui à Andjeclave, nous promit des hommes. Il nous répond ce matin que tous les Sakalaves qui possèdent quelques bœufs ne veulent plus travaille. Ils ont de quoi vivre et payer leur tête, que voudraient-ils de plus ?
Mardi, mercredi, jeudi 12 novembre – Rien de nouveau ? Plus de travail, n'ayant plus que Mamoudji et un autre que Vivié a forcé sous menace de prison et d’amendes à travailler pour nous ; il devait encore sa tête et ne voulait rien faire. C'est un ancien sergent de milice. Il connait le coin. Depuis lundi nous n'avons plus de pain et nous attendons aujourd’hui jeudi leur retour d’Antsohihy avec impatience. Ils sont partis samedi après midi et ils auraient dû en temps normal être la mardi soir ou mercredi matin au plus tard ! Ils en prennent de plus en plus à leur aise.
À partir d’aujourd’hui, plus de vin et je ne sais comment nous allons nous en procurer n'ayant toujours pas d’hommes pour effectuer les transports. Notre hivernage ne s'annonce guère favorablement.
Louis met la dernière main à notre salle à manger, beaucoup trop fignolé pour la brousse ; avec ses panneaux mobiles et des plaintes à moulure. Aussi a-t-il fallu trois mois pour l’achever. Elle a été commencée aux environs du 15 août.
À ce qu’il parait, que de 1899 à 1902 ce fut, du moins à Madagascar un véritable pillage des deniers publics – régime de pots de vins, de fausses factures, d’adjudications majorées ; c'était une entente entre fonctionnaires des travaux publics ou de l’intendance et les adjudicataires. Combien de factures furent signées et les fournitures fictives qui il n'y figuraient jamais livrées. L’on parle d’un crédit de 6 000 Fr. affecté à la route de Majunga à Ambrovi et qui a disparu on ne sait à quoi ; pas même un tas de cailloux ne fut disposé pour l’aménagement de cette route future qui est à faire encore aujourd’hui.
À côté de cela, l’honnêteté d’alors n'est guère récompensée. L’on charge un garde du milieu, Savilli, d’aller recruter du côté de Sacilale pour 3 000 Fr. d’impôts. Il en rapporte 31 000. Comme à cette époque là, en 97, l’on ne délivrait pas de reçu extrait de carnet à souche, il aurait fort bien pu escamoter 28 000 Fr. Il en donne la totalité, qui probablement n'arriva jamais dans la caisse publique et s'égarera avant d’y être versé, dans la comptabilité de la résidence. Ce garde si honnête n'a que de mauvaises notes et peu d’avancement.
Discussion nouvelle.
Les porteurs arrivent avec farine après déjeuner. Joint une lettre de M. Vivié disant que si l’on veut de la main d’œuvre Antemoro il faut aller vivre à Antsohihy où elle est abondante Je fais remarquer à M. Eudes qu’il est inutile d’aller si loin et qu’à Marovale on peut trouver des Antemoro tant qu’on le désire ; en effet depuis juillet où j'ai embauché 40 hommes, et il en était venu plus de 60 et même septembre, il en est venu une centaine
Ce n'est que depuis que nous avons licencié le personnel et que nous avons dit que n'embauchions plus cette année qu’il n'en vient plus.
M. Eudes, devant la difficulté croissante à trouver de la main d’œuvre ne se sent pas le courage de faire marcher industriellement son affaire, renâcle devant la tâche de construire de nouveaux barrages pour des sluices et veut mettre son affaire avec des chefs de postes à la batée.
Je lui dis que puisqu’il en est ainsi il doit avertir ces MM. et refuser une augmentation de capital qui a été faite avec d’autres expériences. Ce qu’il m'a dit devoir faire par prochain courrier. En effet, je lui fais remarquer qu’il ne peut pas comparer son affaire à celle de Suberbi puisqu’il n'a encore eu aucun résultat, et qu’il ne trouvera pas avec les résultats obtenus jusqu’à ce jour des chefs de poste qui veuillent se charger d’une exploitation.
Il est évident que dans ce cas, il n'aurait plus rien à faire à Heurtault ville et qu’il pourrait prospecter tout à son aise ce qui est son désir le plus cher.
Sur six mois de séjour ici, pendant 4 mois nous n'avons pas eu de boy. Il fait très peu de choses pour en avoir et il semble attendre qu’ils lui arrivent envoyés par le hasard. Il ajoute même qu’il va demander que l’on alloue à chacun une certaine somme pour sa nourriture et qu’il se débrouillera pour vivre. Il me reproche même de ne faire que le pain et de ne pas m'occuper davantage de la cuisine : « En tout cas vous n'avez rien à dire, vous qui ne f… pas le cul à la cuisine !»
Or la Ramatoa de Doinelle touche 5 Fr. par mois pour laver la vaisselle, mettre la table et nous servir, ce qu’elle fait assez médiocrement.
Il reste donc M. Doinelle et M. Eudes, si je m'en mêlais, je ne sais ce que j'aurais à faire car nos repas sont des plus simples comme préparation, pintade à l’eau, masquit, poulet à l’eau. Le plus souvent, c'est moi… qui remplit les bouteilles (6) d’eau et de vin à la dame jeanne.
Or, je suis venu ici avec promesse d’une vie confortable et non pour servir les autres. Enfin, comme nous n'avons rien à faire, il dit vouloir proposer la suppression des appointements pour tout le monde ce que je ne dis pouvoir accepter.
Sur ce, je dis que dans ces conditions futures de l’exploitation, je préfère demander mon rappel. M. Eudes a du reste un caractère trop difficile, très emporté, qui s'emballe aussitôt, et il est difficile surtout en ce moment de discuter sérieusement avec lui. Il en arrive à vivre dans des extravagances. Exemple, des lapins qu’il voulait emporter à Antsohihy en cas de dissolution de la société plutôt que de les manger ou de les tuer. Dépenser 50 pour en conserver 10.
Vendredi – M. Doinelle continue acheter des bœufs pour son troupeau. Pour 15 Fr. il a un voustre de plus de 2 ans, 10 Fr. un petit taureau de 2 ans, 30 Fr. une vache suivie de son petit, enfin, pour 45, il avait acheté il y a un mois une… la vache suivie de son petit ; et cette vache vient de lui faire un autre veau ces jours-ci, ce qui lui fait 4 têtes pour 45 Fr. Se livrer à l’élevage c'est une des meilleures affaires de Madagascar. Pas de frais pour les pâturages.
Un gardien pour 100 grosses têtes suffit. On lui paie sa tête, soit 22 plus 2 lambas par an d’une dizaine de francs et une vache chaque année ; quelque fois, 5 F. de cadeau par mois.
Du côté de Madagascar, les belles bêtes valent jusqu’à 60 Fr. et 70 Fr. et nous n'en sommes qu’à 240.
Samedi 14 novembre – Courrier. Trinquesse démissionne. Karcher, Rea, Carte du… MM. Trinquesse, Robin, Provost, Gay, Raffit, de Chelle, Denise L.
Demain, je dois partir avec les matelots jusqu’à Ambuvango où M. Doinelle me rejoindra car il passe par Port-Berger pour faire partir le courrier.
Dimanche 15 novembre – Je pars d’Heurtault ville à pied, vers 8 heure du matin. Arrivé à Marovale, je déjeune. J'y rencontre Tchaschoreng et Toutouelelais. N'ayant pas de montre, c'est le soleil qui réglera mes étapes, mais je ne serais guère exact pour enregistrer les différentes étapes. Le gouverneur vient me saluer, m'apporte une chaise. Je l’engueule de ce qu’il ne peut nous donner les hommes qu’on lui demande. Il m'assure qu’en prévenant 48 h. à l’avance, il pourra nous en procurer. Tscera ne peut trouver un poulet, et c'est le gouverneur qui s'en occupe. Dans son faucontana, il y a à Marovale 63 hommes, à Manary 93 hommes, à Amborokambo 45 hommes.
Nous appareillons vers 1 heure, de nombreux Antemoros qui ont déjeuné sur le bord de l’eau de se baignent sans souci des… Une bande de gosses partant à la pêche traverse la Sofia à gué. Dix minutes après le départ, on commence à toucher. Les hommes se mettent à l’eau ; un coup d’épaule de 20 m et on repart. Il fait chaud, même répétition 200 m plus loin. Enfin, encore quelques cent mètres et c'est tout un banc de sable qui couvre la rivière ; les matelots ont à peine de l’eau au mollet sur toute la largeur. Impossible de passer. J'aborde après de pénibles efforts et j'abandonne la pirogue tout près de 4 ou 5 cases. Il est environ 2h ½ et nous sommes assez près d’Anternanabe. Les matelots reviendront demain chercher les dames-jeannes que je laisse aussi ; je pars à pied vers Ankazomène où, dit-on, l’on doit retrouver de l’eau en quantité suffisante. Je passe devant un fabricant de betsubtse, alcool de canne à sucre. Je regarde son broyeur très primitif, un rouleau de bois qui presse la canne à sucre. Il m'en offre quelques morceaux, un goût sucré assez rafraichissant. Nous marchons pendant ½ heure dans les bancs de sable de la Sofia. Le sable où l’on s'enfonce brûle à travers les semelles, on étouffe. Enfin, l’on se retrouve dans des hautes futaies et dans d’immenses plaines couvertes d’une herbe très touffue qui sent la menthe, et qui nous dépasse. La nuit tombe quand nous arrivons à Ambartobe.
Je remets à demain ma marche vers Ankazomène ; il faut encore plus de deux heures, et sans sentier, la nuit, cela ne me tente guère. Je suis éreinté par la chaleur. Ambatobe – propre – 20 cases, eau de source, pas de moustiques. Je couche dans la case d’une mure ramatoa – au viol – j'oblige deux matelots à coucher dans la case.
Lundi – Je repars avant le lever du soleil, traverse la Sofia à gué, parcourt d’immenses pâturages pleins de bœufs et de pintades. Mais avec mon vieux flingot de 16, je ne peux les tuer à distance.
J'arrive à Ankozomena – 25 cases – très propre. Le chef m'offre du lait ; j'habite chez lui. Je renvoie aussitôt les matelots pour chercher les dames-jeannes ; mais je vais attendre leur retour. Après déjeuner, je fais l’ascension d’une colline au-dessus du village. Vue superbe sur un demi-cerle de plus de 180° avec un rayon de 100 km. Fermant tout l’horizon, la grande chaine centrale de l’ile, fortement découpée et qui s'estompe en gris clair jusqu’à une plaine immense à peine mamelonnée semble-t-il. Plus près, la Sofia avec ses bancs de sable et le lac d’Anikazomène dont l’eau miroite au soleil. Enfin, en bas, le village qui est devenu lilliputien. A la saison des pluies, l’eau couvre une grande partie de ces plaines immenses qui sont couvertes d’une abondante végétation. Le village lui-même doit être entouré d’eau et difficilement abordable. Vers le soir, je fais un tour près de l’étang et je vois des quantités d’oiseaux aquatiques : vivi ou sarcelles, tsivongo ou canards à bosse, combabe, tsikiranda, tehouia,…
Mardi – 6 heures, on repart avec une pirogue de 8 à 9 mètres. Je charge quelques régimes de bananes que je revendrais à Ambevongo. Quantité de Tsivongo et de vivi. J'en tue 3, en blesse 2. Mes matelots se jettent à l’eau et ont vite fait de les rattraper à la course sur les bancs de sable ou même sous l’eau si elles plongent. Nous nous ensablons assez souvent ce qui retarde notre marche en avant. À un endroit, l’on ne peut s'en sortir et descendons de la pirogue. Jambes nues, je mets la main à la pate. Nous tirons, nous poussons et enfin repartons. Cette manœuvre se répète assez souvent malgré les zigzags que nous faisons pour suivre le courant.
Onze heures, mon ventre crie famine. La brousse partout. J'avise un groupe d’arbres ombrageux et je fais préparer mon succulent déjeuner : omelette, sarcelle en sauce. Pendant que je m'installe, passe au-dessus de moi, un vol d’une centaine de perdrix qui vont boire à la rivière. Royalement, je donne un vivi à mes hommes et j'en garde 3 pour le soir. Je ne sais jusqu’où nous pourrons aller ! Jusqu’à présent, je n'ai vu qu’un seul caïman dormant à fleur d'eau.
Il essuie quelques coups de revolver et disparait dans la rivière. Enfin, en pleine nuit nous arrivons Antafia à pied de Betsitendry. La pluie commence à tomber et nous nous hâtons vers ce village formé seulement de quelques cases assez misérables. J'ai attrapé un coup de soleil sur mes jambes. Elles sont rouges homard et me cuisent douloureusement. Il pleut toute la nuit et je suis content d’être dans une case.
Mercredi – Nous repartons de bonne heure, je ne sais l’heure car le temps est couvert. Je vois des grandes quantités d’oiseaux… se laisse très facilement approcher et ne part même pas au coup de fusil. J'en tue un.
Vers 9 heures, j'aperçois sur le bord une douzaine de petits caïmans. Mes matelots avec un lamba en prennent 5 que nous mettons dans une dame-jeanne. Nous arrivons à 10 heures en face de Mahali. Nous perdons au moins ½ heure à nous faire un passage en creusant un chenal dans le sable de la rivière. Midi ½ sakaf, voronebanga, vivis, omelette, riz. 2 heures, nous repartons, nous rencontrons, plantés dans la rivière une quantité très grande de satres creux. L’on croirait d’immenses canons braqués sur un ennemi invisible. Au même endroit, sur le bord gauche, je fais une provision d’excellents citrons dont je me régale.
Six heures, la nuit tombe dans le silence de la brousse qui succède aux nombreux cris d’oiseaux de toutes sortes. Les matelots ne trouvent plus leur chemin et n'hésitent pas, malgré les caïmans, à chercher dans l’eau un passage sur toute la largeur de la rivière. Enfin, ne pouvant aller plus loin, nous abordons en pleine nuit, et à ce que les matelots me disent, le village d’Anketoke n'est pas bien loin. Je suis mon porteur de bagages avec les yeux de la foi car il m'est impossible de distinguer le sentier que nous suivons. Dix minutes après nous sommes au village et nous nous installons dans une case. Le chef m'apporte un cadeau que je refuse quoique mon nègre me dise que la poule est bien grasse et le riz bien blanc. Village sale, disposé sans symétrie.
Jeudi – Nous repartons à 5 heures avant le lever du soleil car je veux aller coucher à Ambevongo. ½ heure après, nous j'arrive au confluent du Bemarivo au pied d’une grande colline. En face, la rivière Mabongo. Sept caïmans dorment sur l’eau, d’autres plus loin. Sept heures, enfin on navigue à la rame et l’on n'a plus l’ennui d’entendre le crissement du sable qui arrête la pirogue.
La Sofia prend un peu plus d’ampleur et de majesté. Plusieurs centaines de vivi sur les bancs de sable. 8 heures, Antanamora sur la droite au pied de collines dénudées.
9 heures, Ambatole, quelques cases tout à fait sur le bord de l’eau au pied de très hautes collines.
Midi, Sakaf où l’ombre d’un s… gigantesque qui surplombe la rivière de ses énormes racines ; 2 hommes en font à peine le tour. Beau papillon, vert clair et noir.
1 heures, nous repartons. Les matelots chantent un refrain, toujours le même ; cela les entraîne et nous filons.
2 heures, Empani, arbres couverts de chauve-souris.
2 heures, Verambo, l’orage menace, puis tombe à flots pendant plus d’une heure. L’on ne voit plus les rives. Nous abordons enfin, sous la pluie qui se calme, et je retrouve M. Doinelle encore plus trempé que moi car il revient de la chasse. Nous dinons chez Mercier, créole très blanc, ancien employé de Christofari. Riz-poisson-poulet rôti. Il n'y a rien à Amberogo. Pas de boites de conserves chez les commerçants de l’endroit, impossible d’acheter un poulet ; les indigènes ne veulent pas les vendre. L’on est obligé de traverser la rivière pour aller en acheter à Antsira. Le village est assez grand mais disposé sans symétrie. Le nouveau chef, Raingitra fait refaire une quantité de cases qui étaient trop sales et en profiter pour les aligner. Belle case du Fangakane.
Vendredi – Nous passons la journée sur place. Il nous faut un porteur et nous ne l’aurons que ce soir. Vilo part à la chasse et tue d’un seul coup de fusil, 8 sarcelles. L’après midi nous allons aux pintades avec Mercier. Nous n'en trouvons pas, il fait trop chaud et elles sont dans les arbres. Nous tuons 4 pigeons verts, 1 pigeon bleu, 1… Nous prenons l’apéro chez le grec Demitri et zieutons la belle Kalou. Visite nocturne à la nièce de Raingit dans une toute petite case, 1 piastre et cela sent le nègre, je m'enfuis.
Samedi – 7 heures, nous finissons par partir après avoir embarqué les matelots. Nous emmenons avec nous tsimardi, excellent chien pour le sanglier. Il y a environ 30 km à faire.
À 11 heures, nous déjeunons à Andraomène, 6 cases, village tout nouveau au centre de rizières. Raphias abondants. Nous repartons en pleine chaleur à 2 heures et après 5 heures de marche, nous arrivons à la nuit tombante, assoiffés, à Port-Bergé. Nous nous précipitons vers l’apéro sans saluer le garde que nous ne connaissons pas et nous buvons ½ litre de Pernod. Cela va mieux et je mange d’un excellent appétit ayant trouvé du bon pain chez Salariadès, Seringa. Le soir, champagne chez Dalay.
Dimanche – Repos, toujours manque d’hommes. Des Antemoros qui doivent venir avec nous ne pourrons prendre leur carte que demain matin.
M. Daguerre de Bayonne visite un garde qui nous invite à déjeuner et à diner. Chants et danses au bazar l’après midi, procès-verbal chez le grec.
Lundi 23 novembre – Nous partons vers 9h avec nos Antemoros, 10h Sakaf à Ambordimanga. Je me mets en lamba à la mode malgache, mon pantalon en velours m'entamant les fesses. À deux heures, départ sur une fausse piste. On rebrousse chemin et nous gagnons la bonne voie pour Autafialaka où par une chaleur étouffante nous arrivons à 4h. Je passe la rivière sur le dos d’un malgache qui a de l’eau jusqu’aux hanches en certains endroits.
Une demi-heure d’arrêt buffet. En route pour Antaka. Nombreux sentiers s'entrecroisant rendent le chemin difficile à suivre. Antaka se trouve derrière une colline qui s'avance en éperon dans la plaine. En venant de Port-Bergé, il faut passer à droite au pied de la colline.
Une heure, nous arrivons à la nuit tombante. Village à 7 ou 8 cases qui se construit. Pas de chef. L’orage gronde au loin et n'éclate que vers neuf heures à grand fracas. Il pleut sur mon lit et j'y mets mon caoutchouc. Je m'endors malgré tout.
Mardi – 5 heures, départ, M. Doinelle allume selon sa noble habitude, l’on dirait qu’il a le feu au derrière… 0.30 Anpialare, Sakaf j'ai mal dans les cuisses et je m'étends sur mon lit. Encore un petit effort et nous sommes arrivés, ¾ d’heure de Sofia.
À Marovale nous rencontrons Mirieux qui vient louer la Mahajamba à M. Demitrio ne marche plus. 1 ¾ Heurtault ville, bain de rivière qui me repose et je mange avec appétit.
Mercredi 25 novembre – Salle à manger non finie, Louis fait les buffets. M. Eudes emploie les hommes à faire clôturer le camp par une haie de pignons d’inde. Cela pousse comme du chiendent.
Mamondji creuse un grand trou dans un petit filon de quartz sur la colline qui domine le parc à bœufs. Toujours pas de cuisinier. Doinelle a son passage à Port-Bergé avait envoyé le cuisinier de Savelli, ancien milicien. Il arrive et nous prétexte qu’il n'était pas allé trouver Eudes de suite, il le reflanque à la porte sans l’avoir même payé. Ce n'est guère comme cela que nous aurons un cuisinier.
Nous avons deux hommes de plus que Doinelle a envoyé de Port-Bergé, ce sont nos anciens ouvriers.
Pas de courrier par Antsohihy. Lasser a été envoyé à B et n'a pu recevoir la lettre que Eudes lui adressait pour faire passer tout notre courrier par Antsohihy. On va l’envoyer chercher à Port-Bergé.
Doinelle a un accès de fièvre avec maux de foie, toute la journée. Et lui qui ne veut jamais prendre de la quinine préventive. Mercredi, repart dans l’après midi pour Amberongo.
Jeudi – Temps nuageux et frais, je commence mon courrier. À ce qu’il parait, Tschachouny, ancien ouvrier de nos placers était à Marovale et racontait à tout venant que M. Eudes était machieck et que la société ne payait pas ses ouvriers. Il est vrai que M. Eudes engueule un peu trop ses hommes et que la société a payé en octobre avec un mois de retard, mais, elle a payé. M. Eudes a porté plainte contre lui pour le tord qu’il nous causait auprès des ouvriers qui passaient, à M. Vivié. Celui-ci lui a répondu que d’après le nouveau code de l’indigénat, il n'avait aucune prise sur lui ; et qu’il devrait le poursuivre devant les tribunaux en dommages et intérêts !!! Sans blaguer, ajoutait-il
Vendredi 27 novembre – Cartes, Denise 2, Fourgassié, Boutrouille, Trinquesse, Frère, Gougnon, Giber, Pallain, Baron, Duparc.
Samedi – Le courrier arrive de Port-Bergé après deux jours ½. Bonne nouvelle de mariage possible : je peux mettre une carte postale pour maman au courrier et lui dire toute ma joie. Toujours pas de journaux, donc pas de nouvelles. Je prends pour 2,50 un abonnement à la bibliothèque d’Analalave contenant plus de 800 volumes.
À Port-Bergé, j'ai acheté pour 8,75 un filtre. Dès qu’il pleuvait, nous n'avions plus que de l’eau trouble, toute rouge. De plus il y avait assez souvent des tsingalles, sortes de petites bêtes lilliputiennes qui remuent extraordinairement dans l’eau. C'est une bête très dangereuse car elle donne des abcès au foie. L’on va vu des bœufs énormes mourir pour avoir bu de l’eau contenant des tsingalles.
Manuel du prospecteur – par J. Anderson, Librairie Tignol, 53 quaid des Grands Augustins.
Dimanche 29 novembre – Depuis mon arrivée à Heurtault ville, je jouis d’une excellente paillasse en raphia ; ce n'est pas trop tôt depuis 6 mois que je couche sur la dure.
Autsoura a été piqué par un scorpion, piqure imperceptible au pied mais aussitôt sa jambe enfle et en quelques instants cela gagne la hanche avec une forte douleur. On applique de l’acide phénique pur. Elle gigote fortement le bas de la jambe. Elle pleure et se lamente toute la nuit sous la souffrance. Le matin, l’enflure a un peu disparue et elle ne souffre presque plus. Le lendemain, il n'y parait plus.
Nous autres sommes moins atteints par ces piqures et si nous pouvons cautériser de suite, nous n'avons aucune souffrance.
Un mètre cube de terre pèse environ 2 400 kg.
Le temps est orageux depuis plusieurs jours, mais il ne pleut pas sur le poste. Pourtant cela tombe partout dans les environs car l’Antombaze et la Sofia coulent assez fort.
Hier, Doinelle a tué sur sa table à toilette un petit serpent de 0.60 de long. Et ce matin, un autre dans la pièce attenante à la cuisine. C'est la saison qui les forcent à se cacher dans les appartements ou un abri quelconque.
Lundi 30 novembre – Dans l’après midi, je vais à la Sofia photographier les chûtes. Il a plu sur le haut cours et c'est un débit considérable d’eau jaunie qui se précipite en tourbillons rebondissants avec un fracas énorme. Dans la solitude de la brousse ce spectacle inédit est très imposant.
L’on mange un petit lapin de 6 mois, cela fait le deuxième depuis mon arrivée, ce n'est guère pour le soin qu’ils nous coutent.
Les matelots arrivent le soir dans la nuit, ayant mis 10 jours pour revenir d’Ambakongo. Ils ont pu arriver jusqu’à Marovale car la Sofia a beaucoup plus d’eau. Ils me rapportent mes cinq petits crocodiles.
Mardi 1er décembre – Voilà les pluies qui commencent sérieusement. Toute la brousse reverdit. Notre jardin potager est fini. En voilà encore un qui nous a demandé beaucoup de soins sans rien donner. Nous n'avons même pas eu de radis, de salades, de choux. C'est Doinelle qui s'en occupait et le résultat n'a pas été brillant. Je crois qu’il manquait un peu de fumier. L’Antombokazo devient infranchissable, d’autant plus qu’il cache dans ses eaux limoneuses quelques caïmans qui ont fuit la trop rapide Sofia.
Doinelle plante quelques grains de maïs dans un coin du potager, à ce qu’il parait que cette plante pousse très rapidement ici.
Mercredi, jeudi 3 décembre – Doinelle repart avec les matelots pour Majunga. Ils doivent calfater tant bien que mal la goélette a Amberongo et essayer en rasant la côte de gagner Majunga. Le fondi avait demandé 750 Fr. pour la réparer. Il y avait du Gasparoski là-dessous, car d’occasion, la goélette n'avait coutée que 500 Fr. et Doinelle ne pouvait dépenser 750 F. à la réparation. Dans l’impossibilité de la réparer, Gasparoski pensait pouvoir l’acheter. Mais Eudes préférerait la donner plutôt que de la vendre à ce grec qui l’hiver dernier n'a pas voulu prêter son boutre inactif pour faire les transports de la compagnie.
Nous entrons bien dans la saison des pluies. Depuis mon retour d’Ambakongo, le temps est constamment à l’orage et il pleut un peu chaque jour.
Réponse de Vivié, Tchaschouny est à la boite parce qu’il n'a pas payé sa tête. Il nous reparle du M. comme l’ami et peut être le complice d’un voleur de bœufs qui possède plus de 3 000 têtes.
Vendredi 4 décembre – Il a plu très violemment dans la nuit pendant plusieurs heures. L’Antombokazo est monté de 3 mètres inondant la plus grande partie du village indigène. Louis commence à couper et débiter des bois pour établir les futurs barrages. De la construction de notre case, il n'en n'est plus question ; c'est remis à une date ultérieure. Et pourtant, nous sommes loin d’avoir le confortable ; cette nuit, la pluie chassée par le vent a inondé une partie de mon lit.
Prix de la main d’œuvre. La… avait fourni 6 000 hommes à Suberbie au prix de 0.30 centimes. Galliéni avait fixé le prix d’un filanzane à 0.60 Augagneur l’a porté à 1 + 0.50 de vatsi et même à ce prix là, on ne trouve plus d’hommes.
Samedi – Tsi-madio, le chien pour sanglier que nous avions emmené d’Amberongo est reparti le matin du départ de Doinelle. Depuis, on ne l’a plus revu. Il devait s'ennuyer ici car depuis son arrivé il n'était pas allé une seule fois au sanglier.
Dimanche – Ce matin, j'ai fait une grande promenade sur le bord de la Sofia. J'ai escaladé les sommets qui les bordent et j'ai joui de vues sur l’ensemble de ce fleuve. Depuis qu’il a plu, tout son lit est rempli d’une eau limoneuse qui fait un énorme fracas… précipitant sur les rochers qui… son lit pendant un parcours de 99 km. J'ai l’intention d’y revenir pour prendre plusieurs photos. Mais le temps sera-t-il propice à la saison des pluies l’on ne peut plus rien projeter pour le lendemain.
Je n'ai rien tué pendant mon excursion à travers plateaux et ravins ; mais par contre, j'ai rencontré, mort su les bords de la Sofia un coléoptère genre rhinocéros, splendide par ses dimensions énormes. Pas abimé du tout, je me suis empressé de le mettre dans l’alcool phénique. Voyon a tué un tandrake, sorte de hérisson ; mais je l’ai laissé sur place, quoique Eudes dit que cela se mange faute d’autre chose. Je préfère bouffer du pain sec.
Hier, j'ai tué un tsirara que Eudes a naturalisé aussitôt. S'il se conserve bien, je compte le ramener en France pour Denise.
Eudes a abandonné le projet un peu excessif d’entourer le camp et le village. Il s'est rendu à ma critique et se contente d’entourer ce camp-ci qui est largement suffisant. Il foulait empêcher les indigènes de traverser le village, comme si sa barrière de pignons d’Indes allait être infranchissable en tous points. Et puis, c'était un travail beaucoup trop considérable et qui n'avait pas raison d’être.
Eudes, pendant mon séjour à Amberongo, avait fait de la bière ; 30 bouteilles environ. Mais comme il avait perdu la formule exacte, sa bière est imbuvable et bonne à jeter.
Ce matin, dans ma promenade j'ai rencontré le vieux Rainvile à proximité des chutes de la Sofia. Il avait de la terre recueillie sur le plateau qui longe la rivière et a trouvé dans sa butées un beau grain d’or. Il devrait faire un trou profond pour essayer de trouver quelque chose d’intéressant.
Quatre heures du soir, Vivié nous envoie un courrier avec le gramophone. Point de gramophone et aucune lettre pour moi, c'est à n'y rien comprendre. Mon courrier doit être passé par Port-Bergé. Pas de journaux depuis un mois. Et mon colis postal dont je n'ai aucune nouvelle et qui est arrivé à Majunga depuis le 1er novembre ?
M. Vivié nous apprend que M. Compagnon est nommé à Antsirabe dans l’emprise au sud de Tananarive. C'est un veinard d’après Vivié.
Lundi – Nous allons Eudes, moi et Mamoudji prospecter les ravins des bords de la Sofia. Batées superficielles donnant peu de résultats. Un petit grain par-ci par-là. Moïse prend une pintade femelle à la course et j'en tue une autre.
Il fait chaud aujourd’hui et le temps est à l’orage. Il me tarde de recevoir mon petit baromètre pour voir les dépressions barométriques.
Les après midi sont interminables, aucune distraction, ni journaux ni livres. J'attends avec impatience le courrier de France.
Mardi – Dans la nuit, le tonnerre et la foudre tombent à 2 à 300 m du poste. La pluie dure plusieurs heures en rafales. Les ruisseaux débordent. C'est bien la saison des pluies.
Nous recevons dans la matinée le phonographe. Précieusement nous gardons certains journaux qui l’enveloppent, l’Echo de Paris du 11 et 18 octobre. Et c'est ainsi que nous apprenons que la guerre est sur le point d’éclater dans la péninsule des Balkans. Or, il y a près de deux mois de cela. Que se passe-t-il aujourd’hui ? C'est assurément ce qui m'est le plus pénible, le manque de journaux et par conséquent le manque de nouvelles depuis plus d’un mois.
J'ai appris aussi qu’à cette date Wright enlevait à chaque vol un passager de marque avec lui. Et ainsi équipé il était resté pendant plus d’une heure en l’air, que de progrès en si peu de temps !
Les hommes de Perrier semblent vouloir cesser le travail à la batée. Ils nous demandent de les embaucher au mois. Eudes refuse, leur propose de débiter des planches à la tâche. Ils y renoncent et vont aller prospecter du côté du village Antombokazo.
Mercredi – L’homme envoyé à Antsohihy chercher provisions et courrier revient sans rien. Vivié écrit un mot sans accuser réception des 22 de la tête de Reinzanabel. Petridès fait dire qu’il a de nouvelles marchandises et n'accuse pas réception de l’argent, ni n'envoie la commande . Que s'est-il passé ?
En tout cas, nous allons encore une fois manquer du nécessaire. Demain plus de pain, de vin, de rhum, de café, même avant la fin de la semaine.
Et pas d’hommes pour envoyer chercher des provisions.
Mamoudji est utile pour ces fameux lapins dont on s'occupe toujours sans profit. Il connait aussi le fourbi du camp et nous est utile. Un homme avec Louis débite des planches.
Et puis, ce fameux Ralai qui s'acquitte si bien des commissions dont on le charge ? C'est donc la pénurie complète. Quant à moi, je laisse faire maintenant sans dire ni m'occuper de quoi que ce soit. Je ne tiens nullement à entrer en discussion avec M. Eudes et surtout d’user de ses moyens un peu vifs et de mauvais ton.
Il a été élevé à coups d’enguelades, même une fois marié. Il a été marié par son père et le résultat n'en a été guère heureux ; alors il lui reste dans l’esprit une manière brusque de trancher les discussions ; caractère très vif, emporté mais par compensation, heureux, très droit de caractère. Ne veut malheureusement pas reconnaître ses tords.
Eudes reçoit dimanche une lettre de Dauphin lui disant que le capital est augmenté de 15 000 .. mais il doit céder deux parts qui me sont réservées. Ce qui fait que le capital est divisé en 130 actions de… On lui donne un an pour payer les 5 000 de sa souscription.
Or, il n'en pas… et ne peut pas accepter cette combinaison car dans un an, il ne sera pas plus riche.
Je crois qu’il résultera alors une dissolution de la société actuelle, rachetée peut être par Legrêle.
Ces messieurs ne me parlent plus des droits spéciaux qu’ils m'avaient réservés en cas d’augmentation de capital. En l’occurrence, après ma décision de quitter la société, je m'en f… mais je saurai à l’occasion en toucher deux mots aux commanditaires.
Jeudi 10 décembre – Nous envoyons Reinzai à Antsohihy pour savoir ce qui s'est passé avec Ralai et Rekouto pour chercher le courrier et provisions à Port-Bergé.
Hier après midi, une lettre de Doinelle qui va partir avec la goélette en partie seulement calfeutrée. Il n'a mis qu’un jour pour aller à Amberongo, alors que 15 jours auparavant, par manque d’eau, j'en ai mis 4 en pirogue. Il peut être le 15 à Majunga.
Eudes naturalise 3 petits caïmans. On leur enfonce une épingle à chapeau dans le crâne. Quelques minutes après, comme ils remuent encore on leur ouvre le ventre et leur enlève les entrailles. Quand tout est enlevé, ils marchent encore, ouvrent la gueule, remuent la queue. D’après cela, on peut juger l’endurance d’un caïman de 3 ou 4 mètres.
Vendredi – Ce matin, au réveil, un brouillard intense. L’on ne voit plus les collines avoisinantes. Dans la nuit, je me suis levé pour tirer sur une chienne de brousse qui vient dévaster notre poulailler. À ma stupéfaction, j'ai vu un voyou accouplé avec elle. Elle a essuyé un coup de feu quand l’opération fut finie.
Vers 4 h, Mentrave vient nous dire qu’une vache de Doinelle a été tuée par les caïmans dans l’Antombokazo. Je prends la carabine et j'y vais accompagné de Ranoir. C'est exact, une belle vache flotte sur le bord de la rivière. Des caïmans, points. Ils plongent au moindre bruit. Je reviendrai demain pour essayer d’en tuer.
Samedi 12 décembre – Il a plu une grande partie de la nuit, depuis huit heures du soir. L’Antombokazo est trop plein. Impossible d’aller ce matin à la chasse aux caïmans. Je blesse une aigrette à la patte, malheureusement elle s'envole. Dans l’après midi, un beau caïman de 3 mètres dort sur un banc de sable au bas du camp. Un coup de la carabine Lebel le fait gagner le fond de l’eau.
Dimanche – Louis est fatigué et n'est allé selon son habitude à Anjialava. Il vient nous emprunter un fusil pour aller à la chasse. Je lui prête le mien avec 5 cartouches. Il rapporte 3 pintades. Il a plu aussi une grande partie de la nuit. Dans la journée, le temps est assez nuageux avec quelques coups d’orage sur la Sofia ; puis le soir arrive, le ciel se couvre d’épais nuage noirs et les éclairs sillonnent le ciel de tous cotés. Et ceci, régulièrement tous les soirs depuis le 1er. Tantôt il pleut, tantôt non, mais les orages n'en n'existent pas moins aux environs.
Trois heures, grande joie enfin, voilà le courrier de Frances, lettres, journaux, tout abonde.
Cela vous fait vraiment plaisir, il n'y a pas à dire, l’on est heureux de lire ces lettres de famille et d’amis qui semblent venir d’un pays de rêve, où l’on a vécu, mais qui est si loin que l’on ne doit plus le revoir.
Nouvelles excellentes pour Denise. Allons serait-ce un peu de bonheur enfin !
Chère Denise,
Je réponds à tes lettres du 21 octobre et du 7 novembre. J'ai reçu l’Illustration qui parle de mines d’or. Une carte de Marguerite. J'en ai déjà renvoyé une à son père, et une autre à elle cette fois-ci. J'en envoie aux Gallié, tante Amélie, Mme Martrin, j'ai aussi envoyé un mot à Raffit.
Les plumes d’aigrette ne se trouvent pas sous l’aile mais au bas du dos de l’animal. Je commence à en avoir un petit piquet et si je puis en tuer encore 2 ou 3, je t'en rapporterai une jolie touffe.
J'ai aussi tué un atsirara (oiseau du tonnerre). Il est naturalisé au sublimé et sur un chapeau ou une toque il fera peut-être bien. Le ventre mordoré avec des reflets changeants. Le bec jaune. Le dos et les ailes marrons avec nuances vertes. L’extrémité des ailes bleu foncé. Enfin la queue vert tendre. C'est un des plus beaux oiseaux d’ici.
Trois crocodiles de ma capture sur la Sofia sont aussi naturalisés et prêts à être emportés.
J'ai aussi trouvé dans une de mes promenades sur les bords de la Sofia un magnifique coléoptère, genre rhinocéros. Gros comme un verre à bordeaux, il a sur le nez une corne d’au moins 5 centimètres.
Eudes n'en n'avait jamais vu de semblables ; c'est une véritable trouvaille et j'en suis très content ; c'est une magnifique pièce de collection.
J'ai reçu les trois dernières pièces de l’Illustration, merci. En recevant cette lettre, tu pourras cesser les envois de pièce jusqu’à nouvel ordre, car je pars en février, ils pourraient très bien ne pas me parvenir.
Reçut une lettre charmante de Rouliot ; ce qui m'a fait le plus grand plaisir, c'est qu’il m'a dit avoir songé à maman pour lui envoyer des produits de sa chasse. Peiné de la mort de ce pauvre Galinier. Je le regrette bien sincèrement.
Je ne sais si vous faites très nettement le cachet de vos lettres, mais, toutes, sans exception me sont arrivées avec l’empreinte semblable à l’échantillon que je vous envoie. Il reste entendu que tous mes cachets sont intacts au départ de ma lettre et très visibles.
Depuis le 1er décembre, c'est le commencement de la saison des pluies. La température comme moyenne est un plus élevée, dans le jour en ce moment la moyenne est de 35°, pendant la nuit de 26°. Il y a des orages presque toutes les nuits. Dans le jour, le soleil resplendis de nouveau, avec un temps nuageux. Mais, dès le coucher du soleil, le ciel se charge de nuages, et en avant les orages de tous cotés à la fois. Il pleut à torrent pendant des heures entières. Aussi le moindre ravin, le moindre torrent devient parfois impraticable. L’Antombokazo a des crues subites de plus de trois mètres.
Heureusement que l’eau s'en va aussi vite qu’elle est venue. Pourtant dans les bas-fonds, il reste de l’eau et cela rend les communications beaucoup plus difficiles. Ainsi ta dernière lettre qui est arrivée le 2 à Majunga ne m'est parvenue qu’hier après-midi. Il se pourrait fort bien qu'un de mes courriers ne vous parvienne qu’en retard. Ne vous en émotionnez pas trop.
Si je pars en février, vous saurez le jour du mois de mon départ par une dépêche qui vous donnera le nom du bateau. J'y ajouterai le nom de la première ville que je devrais visiter, ou du moins, le nom de la ville où vous devrez immédiatement m'adresser mon courrier, poste restante. Ce sera probablement au Caire, mais rien n'est définitif encore. N'oubliez pas non plus que dans les pays étrangers il faut affranchir à 0.25.
Ci-inclus, tu trouveras un grand nombre de photos de mon dernier voyage sur la Sofia. Avec les explications contenues dans ma dernière lettre, elles pourront te distraire un instant.
J'en arrive enfin à la question qui doit t'intéresser le plus en ce moment et à laquelle tu dois penser sans cesse.
Les renseignements obtenus de K. sont très bons au point de vue militaire aussi qu’au point de vue moral. La situation de famille même sans fortune ne peut qu’être honorable. Ce Raffit, même aussi négligent, peut le savoir sans peine.
Ainsi donc, ma chère petite Denise, en dehors des chances de bonheur inhérentes au caractère du conjoint futur, à sa bonne humeur, à sa bonté, tu as ce que tu désirais et qui n'est pas à dédaigner non plus, la particule.
Grâce à elle, même sans trop de fortune, l’on est admis dans toute la bonne société. Il suffit que vous l’ayez pour que beaucoup de salons réputés très fermés vous soient ouverts. Dans une vie de garnison, c'est beaucoup.
D’un autre côté, l’armée offre des avantages qui compensent un peu le côté pécuniaire de la situation. Ce M. de K. est un officier d’avenir, en tout cas, sorti de Saint-Cyr et ayant de nombreuses campagnes à son actif. Au Tonkin, il était chef d’une mission géographique où il a été apprécié. Il se pourrait fort bien qu’il rentre au service géographique de l’armée à Paris et alors c'est un peu de l’existence parisienne qui, même modeste, a ses charmes.
De plus, je te répète ce que j'ai déjà écris à maman, la question d’âge en pareil cas n'est pas un obstacle. Un homme actif et vigoureux comme on l’a dépeint est encore très bien conservé à plus de 55 ans. Cela fait 15 ans de jeunesse pour ainsi dire. À ce moment, tu auras 40 ans environ et assurément tu trouveras encore fort bien ton mari, et la différence d’âge sera beaucoup moins sensible entre vous deux.
Si tu peux réussir dans ce mariage : si tes charmes, ta situation de fortune conviennent au prétendant, fais-le. Je ne crois pas que tu puisses trouver mieux. Bonne situation, gaité, santé.
En tous les cas, je ne le mets même pas en ligne de compte avec le fils Mabric qui n'a pas de situation, pas de fortune, pas de nom. Il n'a que la jeunesse pour lui, et à mon avis, si peu de différence d’âge; c'est souvent la brouille et les discussions plus tard. L’on n'a pas encore passé l’âge des folies.
Je ne dis pas pour cela qu’il ne fasse plus y songer ; si, une fois rentré en France, je pourrais discuter la chose avec vous, si le … échouait, mais de beaucoup de K. est préférable.
Voilà, ma petite Sined ce que mon affection pour toi me conseille de t'écrire. J'ai toujours cherché à faire ton bonheur. Je crois que tu y touches, tu brûles, comme l’on dit quand on est gosse et que l’on joue à certains jeu d’objets cachés.
J'espère que la prochaine lettre va m'annoncer l’heureuse issue de votre première rencontre et si vous vous plaisez mutuellement, allez-y carrément sans toutefois en faire grand éclat ni l'annoncer sur tous les toits tant que tout n'est pas entièrement fixé. Nous avons tant de jaloux.
Je t'embrasse bien affectueusement et suis heureux de penser qu’en avril au plus tard je serais de nouveau dans notre petit coin de Villefranchois.
Il est entendu que tu me gardes la plupart des timbres de Madagascar. Tu peux en donner quelques uns, ceux en double ; mais n'abuse pas. On peut faire des heureux. D’autant plus que vient de paraître une nouvelle collection de timbres de Madagascar et que par conséquent les autres deviendront plus rares.
Par le même courrier une carte postale en couleur.
J'oubliais de te dire que par le même courrier j'enverrai un article à l’Illustration avec quelques photos. J'ai donné mon adresse à Villefranche ; vous pourrez décacheter la lettre et me l’envoyer après avoir vu quelle suite ils donnaient à mon article.
Heurtault ville, le 14 décembre 1908
Bien chère maman
Je suis très heureux de toutes les bonnes nouvelles que j'apprends. C'est à peine si dans le dernier courrier j'ai pu t'envoyer quelques mots à la hâte sur une carte postale. Mais quoique laconique, c'était t'indiquer que ces pourparlers m'enchantaient et que je serais heureux de les voir aboutir.
Cette fois-ci, en même temps que ta lettre, je reçois un mot du commandant Karcher, avec tous les renseignements sur le bonhomme, il a du te les faire parvenir.
C'est fois-ci on ne peut plus l’accuser de parti-pris et de jalousie. Je me souviens de ces propos tenus par Denise au sujet de mauvais renseignements obtenus sur certain candidat, qui pourtant n'était que roturier. Je suis heureux de voir aujourd’hui que c'était l’exacte vérité, telle qu’un ami peut l’obtenir d’un autre ami.
Il est même à se féliciter d’avoir un ami aussi dévoué qui puisse nous donner d’aussi précis renseignements. En tout cas, cette fois-ci, tout s'y trouve, moral, physique, santé, caractère. Tout est excellent et ces renseignements ne font que corroborer ceux du général Marin.
La question d’âge n'en n'est pas une. La différence n'est pas tellement exagérée qu’elle soit un obstacle à une semblable union. Une femme a du reste beaucoup plus de chances de bonheur avec un mari qui est son ainé de quelques années. D’abord elle trouve en lui un homme qui connait la vie qui peut la diriger et la protéger. Et puis à cet âge là si un homme fonde un foyer, c'est pour être heureux chez lui avec sa femme et ses enfants. Dans ce cas là, il faut bien peu de chose à la femme pour se faire adorer, pour être maîtresse incontestée, surtout comme Denis on a quelques atouts dans son jeu.
En un mot, ce parti me sourit beaucoup et si l’entrevue marche à souhait, je désire du fond du cœur la réussite de ce projet. J'y souscrit des deux mains et je serai en France pour accompagner Denise en cette douce circonstance.
Enfin, voilà un peu de soleil pour toi ma chère maman, j'espère que cela va être l’ère d’une série de joies bien méritées.
Je t'embrasse profondément du fond du cœur avec toute mon affection.
Louis
Ps: je trouve le receveur des finances un peu trop mûr et pas même bon pour la soif.
Lundi 14 décembre – Reinzai arrive d’Antsohihy avec courrier et provisions. Je ne peux pas comprendre comment la lettre de M. Trinquesse ne me parvient qu’aujourd’hui car Ralai nous avait déjà apporté le courrier de France le 9 décembre. Enfin, il ne faut s'étonner de rien. C'est comme Vivié qui nous dit ne pas avoir reçu le 22 de la tête de Reinzanabel et pourtant on les a envoyées par plis spécial. D’autre part, Petridès a bien reçu me règlement d’une facture. Alors ? Compagnon m'avertit que mes livres sont en route. Il ne me parle pas de son changement, n'aurait-il pas lieu ?
Galand faisant fonction de notaire refuse de faire l’acte notarié sans comparution ; c'était à prévoir. Eudes ne va pas à Analalave espérant que ces messieurs se contenteront de l’acte sous seing privé envoyé précédemment.
Un milicien nous apporte l’argent envoyé par lettre à Antsohihy, retiré par Petridès en présence de Vivié qui a mission d’ouvrir l’enveloppe. Roulai va partir avec lui pour s'expliquer avec le fauyakan sur la disparition mystérieuse des 22 hommes. Il ne nous restera que deux hommes et Louis, ce n'est guère.
On a reçu l’officiel ; ce qu’on va rigoler.
Mardi 15 décembre – Courrier que Rakoto va porter à Port-Bergé. … Trinquesse, Karcher, Illustration maman, receveur des postes, Duparc, Rouliot, Martens, Maisondieu, Hippolyte, Pauletti, Denise, Gallié, Gay, Georges Aubry, Deslys, du Verne, Trichard, Marchés, Poisson, Durand, de Louvemecourt.
Eudes envoie sa démission de gérant. Cette fois, c'est la fin. Il se pourrait que cette décision retarde mon départ d’un mois ou deux, on verra bien. La société ayant déjà avancé 6 000 sur 15 000 ne tient plus à notre disposition que 4 000 plus les 5 000 soi-disant de Eudes. Voilà le pourquoi de la démission et puis aussi Eudes serait heureux d’avoir sa liberté pour aller de nouveau prospecter dans le nord et trouver mieux sans doute. Mais ce sera toujours la même chose, il faudra de nouveaux capitaux pour exploiter les nouveaux terrains, et si riches soient-ils, c'est difficile à trouver. Lesueur dans cette région là fait une bonne trouvaille mais rien ne le confirme encore. On parle de vente de 500 000 francs ?
Nous avons de nouveau du pain un peu meilleur que le précédent. Et du rhum itou.
Je me plonge dans la lecture de journaux de toutes sortes.
Mercredi 16 décembre – Dans la nuit les chiens tuent un fouza, sorte d’animal à poil gris, au museau allongé de la fouine avec une énorme queue assez longue. Les Malgaches le mangent avec plaisir.
À la chasse, je tue deux pintades et prend des photos de la grande chute.
Le milicien qui a apporté les fonds repart avec Ralai qui s'expliquera à Antsohihy sur la disparition des 22 hommes. Il ne nous reste plus que deux hommes et Louis.
Dans l’après midi, le directeur de la … reçoit un pli du chef de canton lui disant qu’il avait appris que de nombreux hommes qui travaillaient ici n'avaient pas payé leur tête et qu’il fallait les lui envoyer à Marovale. Or ce la ne le regarde pas puisque ces hommes ne sont pas de son canton. C'est simplement pour nous embêter. Eudes va envoyer la lettre à Vivié avec une plainte.
Encore une vache et un veau pris sur la Sofia où les hommes travaillaient à la batée. La vache est à Mentrave et il est plus contrarié que si c'était l’un des siens qui fut mort.
Histoire d’un vol de bœuf
Vers le 13 novembre, Louis et Mentrave vont passer une semaine à Antsohihy pour faire la noce. Eudes avait dit à Mentrave de lui ramener des hommes s'il en trouvait et il avait mis sur le passeport l’objet de son déplacement. Or à Antsohihy ils n'ont fait que boire et se saouler. Aussi, quelques jours après Vivié nous en averti et ajoute que nous devrions avoir moins de confiance en Mentrave car il y avait eu un vol de bœuf dans la région de Marovale et que le nommé Amboalahay, le voleur en possédait plus de 3 000 cachés aux environs de Mangok et Antonanabi ; qu’il se pourrait bien que Mentrave fut son complice, qu’en tout cas, il nous avertissait.
Eudes raconte le cas à Mentrave qui lui répond que c'est sans doute le chef de canton de Marovale qui a de faire de semblables insinuations à Vivié pour détourner de lui l’attention de l’administrateur. En effet, il procède alors à une enquête et par ses nombreux amis de Marovale il apprend que Tivoana, le chef de canton, a reçu de nombreux bœufs en paiement de ses complaisances.
Bien plus, il apprend que Tivoana disait se faire frère de sang avec le voleur Amboalahay, et que ce dernier lui avait donné des bœufs en échange de la permission de faire traverser à plus de 80 bœufs la Sofia sans passeport.
Et l’on se plaint qu’il y ait beaucoup de vols de bœufs dans nos parages. Si le chef de canton fait alliance avec les voleurs, il n'y a rien d’étonnant. Nous avons communiqué ces renseignements à Vivié qui n'aura qu’à se débrouiller. Il a des débuts d’une piste à suivre et d’une enquête à faire. Voilà ou en est l’affaire.
D’où une grande colère de Tivoana contre Eudes? Ce denier a l’intention de lui taper dessus à la première occasion. Heureusement que 8 km les séparent car sans cela, ce serait déjà fait.
D’où aussi cette lettre un peu insolente de la part d’un nègre qui donne des ordres.
L’affaire en est là.
Depuis 5 jours le temps s'est remis au beau, soleil radieux, les rivières baissent. Il peut en être ainsi jusqu’à la Noël où la pluie reprend avec rage. Et je lis qu’en France la neige a fait son apparition fin octobre, même dans le midi.
Jeudi 17, vendredi 18 et samedi 19 décembre – Réquisition n° 175, l’état immatricule au nom de Marguerite, une propriété consistant un terrain de culture et de rizière située… à proximité de Marovoay.
Cette propriété occupant une superficie totale de 1 275 ha est imitée, au nord…
Dimanche 20 décembre – On tue un veau de 12 Fr., mais les hommes le tuent dans la brousse et n'achètent pas de viande, ce qui fait qu’il en reste pour 2 Fr., la prochaine fois, on tuera dans le parc.
Lundi – Dimitrion d’Amparihy envoie deux hommes pour chercher lambas et 115 Fr. que je lui devais pour deux lambas achetés lors de sa visite ici. Je remets l’argent au porteur en présence de M. Eudes devant qui je compte l’argent.
Mardi, mercredi – Renzai revient d’Antsohihy avec provisions, livres et colis postal. Enfin ! Ralai arrive avec lui. Vivié avait reçu l’argent mais l’avait mis en poche sans plus y penser. C'est un peu raide quand même ! Il n'est pas content de la lettre de Eudes qui lui cherche, écrit-il, une querelle d’Allemand au sujet de Eurvoana. Renzai ne rapporte pas du tout de courrier ? Pourquoi encore ce retard ? Négligence de Vivié ou le Persépolis est en panne !
Jeudi 24 décembre – Les hommes de Perrier partent travailler du côté d’Ankazomahitsy. Si d’ici fin janvier ils n'ont pas trouvé un coin pour y faire suffisamment d’or, Eudes les remercie définitivement. Aujourd’hui, ils nous apportent à trois 1g60 d’or, c'est ridiculement peu. Il y avait plus d’un moi et demi qu’ils n'avaient pas donné d’or.
Le soir, Mentrave revient de Marovale avec une bande de 14 Antemoro. Comme je l’avais déjà dit, il était inutile d’aller à Antsohihy pour recruter des hommes, il passe suffisamment de bandes d’Antemoro à Marovale qui est sur la route directe d’Antsohihy à Port-Bergé.
Vendredi 25 décembre – Noël ; le temps est au beau. Soleil radieux. Température 23° au lever du soleil. Ici c'est un jour comme les autres et le travail continue.
Nous embauchons toute la bande pour débiter du bois, ce qui fait qu’à la fin janvier, il y en aura suffisamment pour faire la case et les barrages. Prix… c'est Louis qui va les surveiller ; ils doivent faire en moyenne chacun 1 bois ½ tous les deux jours.
Deux hommes partent pour Antsohihy chercher vin, farine, rhum et notre courrier.
Samedi 26, dimanche 27, lundi 28 – je tire tous mes clichés sur papier, je lis aussi les romans de la bibliothèque d’Analalave et les journées passent monotones.
Mardi 29 – Les hommes font une moyenne de huit planches par jour…. les gosses continuent le mourabe du camp. Cette nuit, violent orage avec début de vent très violent, éclairs sans discontinuité mais tonnerre sourd et lointain, c'est l’Otroko des malgaches.
Mentrave devient de plus en plus l’homme de confiance indispensable. Mentrave, j'ai besoin de poules, voilà 20, Mentrave, je veux des bananes, un petit veau pour tuer et chaque fois nous avons ce que nous avons demandé. Cette fois-ci, il doit nous faire avoir une tonne de riz car notre provision devient de plus en plus réduite, 300 ou 400 kg environ.
Ces jours-ci Ranève apporte un échantillon de roche, très lourde, fortement minéralisée, pris sur les collines qui bordent la Sofia au nord du camp. Après de nombreux essais de classification et comparaison avec des échantillons on reconnait que ces roches contiennent une grande quantité de fer titané.
Mercredi 30 décembre – Enfin voilà le courrier du 18 décembre. Nouvelles de mariage qui m'enchantent. Pourquoi pas de lettre de Rea ? Trinquesse pas content des récriminations d’Eudes, lui en fait part. Eudes ne demande qu’à s'en aller. Ma lettre de démission n'aura pas arrangé les choses.
L’on abat le satre du bas du camp. Il avait 20 m de haut et l’on pouvait craindre qu’il n'attire la foudre.
Jeudi 31 décembre – Le mourab est fini, les gosses font des trous pour planter des patates, du manioc, des bananiers.
Vendredi 1er janvier 1909 – Grande fête au camp. Distribution de viande, du…, du betsubtse. Des hommes de Marovale sont venus et ce soir l’on doit danser. Les Rematoas ont fait venir une bouteille d’eau de vie anisée et vont certainement se saouler convenablement. C'est leur plus grand plaisir.
Mentrave apporte un cadeau, 2 coqs, reçoit 5, Madmouji, Rananatsalana chacun un reçoit un. Chaque homme reçoit ½ litre de rhum et de la viande. Plus deux dames-jeannes de betsubtse.
Echange d’un cadeau contre 2 à l’heure du déjeuner arrive Toussaint, il a passé par Amberkongo où il n'a pas trouvé sa pirogue. Ici, sa malle, au lieu de linges et effets ne contenait qu’une pierre et un morceau de nois. Les serrures n'étaient pas forcées. De rage, il l’a brisée à coups de haches, quoique neuve.
Nous l’engageons à 30 Fr. par mois avec promesse de 5 Fr. d’augmentation dans deux mosi.
Il dit que de 23, Doinelle partait de Majunga en attendant le boutre de Gasparosky.
Samedi 2 janvier – Tout s'est bien passé sans abus de cris ni de souleries.
Ce matin, Eudes fiche à la porte Reinzai des hommes de Perrier ; il s'était dis par fanfaronnade présenter ses vœux.
Le vieux Reinvile demande de faire du caoutchouc. Il a abandonné l’or. Depuis presque deux semaines qu’ils étaient partis, ils n'ont rapporté à 3 hommes que 10 centigrammes. C'est de la paresse je crois.
Il est probable qu’ils vont partir aussi.
Hier, les Antemoro m'ont donné 6 sous d’étrennes. Je leur en rends 40. Ralai, Ramamatsalema sont malades aussi nous envoyons chercher le courrier par un ami de Toussaint, Mafoutah. J'écris à Vivié, bibliothèque d’Analalave et à M. Leloup à qui j'envoie six vues de Marovoay.
Dimanche – Coup de balai général. Ramamatsalema est malade et on le met à la porte. Les hommes de Perrier, Eudes les invites à porter leurs pénates ailleurs.
Lundi – Nous accompagnons en filanzane Mamoudji sur l’Andanpy. Eudes pique dans l’après midi un fort accès de fièvre et c'est moi qui finalement choisi l’emplacement du trou à creuser à mi-coteau au milieu du graisseux en décomposition. Je fais faire quelques batées superficielles dans l’Andanpy et je trouve 2 ou 3 couleurs dans chaque batée. Les Antemoro construisent un abri au-dessus du futur puits. Nous rentrons le soir à 8 heures assez fatigués par la chaleur.
Mardi 6 janvier – À 10 heures Doinelle arrive de Majunga. Il a remonté tous les colis sur le boutre de Gasparoski jusqu’à Ambevongo. De là, à pied jusqu’ici. Beaucoup d’eau sur la route. Deux matelots l’on quitté à Majunga et Veto ne restera guère.
Leloup a quitté Marovoay pour Majunga (affaire Billaud – Augagneur)
La rizerie de Marovoay fait de très belles affaires et envoie du riz jusqu’à Djibouti. L’on doit pousser la route de l’ouest jusqu’à Ambato, et tout le courrier de Tananarive doit passer par cette route avec des autos. À quoi sert le chemin de fer ? Majunga a fini d’établir sa canalisation pour de l’eau de source. Augagneur est venu en faire l’inauguration fin octobre. Il a voulu voir par lui-même tous les travaux.
Perrier a refusé 40 000 de son herbier dit-il.
Mercredi 7 janvier, jeudi – J'attends avec impatience le courrier. Je commence à croire que la camarade Mafouteh restera à Antsohihy. Voilà la fin du troisième jour et toujours rien à l’horizon. C'est énervant. Hier soir, j'ai dévoilé à Eudes que les 5 parts ne m'étaient pas données définitivement et que par conséquent je n'avais aucune raison pour rester à la compagnie dans les circonstances actuelles. Je ne pense pas que ces messieurs fassent une objection à ma demande de rappeler. En tout cas, fin avril, il ne me restera pas un sou, et ils ne pourront m'obliger à rester sans me payer mes appointements.
Enfin, le courrier arrive. Comme ce créole n'avait pas pu porter le bagage de 15 kg, il avait pris un homme de Befariva pour 2 Fr. 50 et lui est venu les mains dans les poches. Trinquesse se plaint à Eudes de sa manière de faire et de ses récriminations.
Vendredi 8 janvier – Doinelle repart pour Ambevongo faire un transport avec Vela et 2 piroguiers à 15 Fr.
Nous allons le soir montrer à Louis l’emplacement des chutes de l’Antombokazo où l’on doit installer la 2ème slice. Quelques photos. Pas beaucoup d’eau dans la rivière que nous pouvons suivre jusqu’à l’ile des singes.
Samedi 9 janvier – Il a plu toute la nuit assez fort mais par intermittence. Cela faisait plus de 10 jours sans une goutte. Si c'est cela la fameuse saison des pluies, il n'y a rien d’excessif.
M. Eures a reçu une lettre de Machecourt garde milieu dans la Valafohy. À ce qu'il parait que l'affaire Bilion – Legrêle ne marche guère ; ils manqueraient eux aussi de main d'œuvre.
Dimanche – Je vais le matin à Marovale en filanzane pour voir le trou de Mamoudji sur l'Andampy. Il en est à 2m50 dans des gneiss décomposés, mais aucune trace d'or dans les batées.
Le soir, vers 5 heures un très violent orage qui dure une partie de la nuit.
Lundi – Les hommes emportent leur riz pour huit jours. Ils vont rester à la chute qui est à environ 1 heure d'ici. Mamoudji vient chercher son riz. On lui donne un gosse pour l'aider dans son travail.
Mardi 12 janvier – C'est un Antemoro qui veut porter le courrier. Il demande un fusil pour passer les cours d'eau car il a peur des caïmans ! Mais alors, veux-tu une femme aussi lui réponds Eudes !
Mercredi 13 janvier – Le gosse revient de Marovale ; Mamoudji a mal aux yeux et ne peut pas travailler. On lui fait dire de revenir.
Jeudi – Toussaint avait disposé un piège à caïman avec de la corde raphia. Ce matin, plus de viande et la corde coupée. Nous mettrons une chaine la prochaine fois.
Vendredi 15 janvier – Il pleut à torrent de 3 à 4 heures sans tonnerre. Une heure après, l'Antombokazo grimpe de plus de 3m50 au-dessus de son niveau habituel. Il est devenu torrent et transporte dans ses eaux limoneuses des arbres entiers comme des fétus de paille.
Toussaint est allé à la chasse et rapporte 3 pintades après s'être perdu dans la brousse. J'avais commencé à lire un gros bouquin de Thackeray « La foire aux vanités ». Quelle compilation, que de personnages qui n'ajoutent aucun intérêt au livre, que de disgressions en prenant le lecteur à témoin. Et ma foi, je n'ai pas eu le courage d'en lire la 10e partie, c'est du mauvais Balzac .
Thackeray « La foire aux vanités » - aujourd'hui considéré comme un des grands classiques du roman anglais du xixe. L'avis tranché de Louis n'a pas fait autorité !
Samedi 16 janvier – Toute la nuit il a plu tout doucement, et toute la matinée itou ; une bonne pluie bien tranquille qui ne mouille qu'à la longue ; cette bonne pluie de France qui fait germer le blé et qui grossit les sources. Et j'attends toujours cette fameuse pluie qui tombe comme vache qui pisse selon Doinelle. C'est une nappe à ce qu'il parait et l'on n'y voit pas à quelques mètres devant soi.
Nous attendons en vain l'Antemoro et nous manquons de vin, de café et de pain depuis quelques jours.
Dimanche 17 janvier – Rien de nouveau, nous attendons toujours nos provisions, cela fait 5 jours, c'est excessif.
Lundi 18 janvier – Doinelle hier soir à 7 heures. Il a mis 7 jours pour revenir d’Amberogo et a reçu pas mal de pluie, quoiqu’ici le temps a été assez beau. Il rapporte quelques provisions mais il reste encore 3 voyages de pirogue à faire pour tout apporter. Les Antemoro sont allés à Marovale chercher dames-jeannes et caisses de farine et ils recommenceront demain. Les temps est au beau depuis hier matin.
Mardi 19 janvier – Le soleil radieux autant que chaud continue sa clarté. Nous nageons dans l’abondance. Farala est arrivé hier venant de chez Ratineau qu’il quitte parce que ce dernier l’avait puni de prison. Affaire d’amour propre ! Deux boys sachant faire la cuisine, c'est trop beau.
Le vin, auquel je n'étais plus habitué me donne des lourdeurs de têtes et des faiblesses étranges dans les jambes. C'est la vraie g. et b. avec une usine à poudrette dans la bouche.
Toutes les provisions ont plus ou moins pris d’eau dans la pirogue. Tous les châssis de… sont dans un fichu état, étant arrivés tout mouillés. Comment seraient arrivés nos malles si j'avais demandé qu’on les apporte ? Et mes vêtements de drap.
Mercredi, jeudi – Le caïman n'est pas encore resté au bout de notre piège, il ne restait plus que la chaine ce matin.
Vendredi – Le beau temps continue ! À 9h, un milicien arrive avec 1 000 Fr. et le courrier. Je n'ai aucune lettre mais j'ai 1 200 Fr. qui m'attendent à Antsohihy. C'est sans doute mon rappel et je pars lundi sans retard. Je reçois une lettre sans retard. Je reçois une lettre de Denise me fixant son mariage pour2 ou 3 mars. Quelle rapidité ? J'ai juste le temps de rentrer. Mais quelle joie aussi. Toutes les bonnes nouvelles à la fois. Comme tous ces faits se coïncident pour nous mener à travers quel chemin vers notre destin.
Si je n'avais pas envoyé ma démission par le courrier du 23 novembre alors qu’aucun projet n'était sous roche, je n'aurais pu arriver à temps, même en demandant un congé par dépêche. En effet, pour être chez moi le 2 mars, il faut que je prenne le paquebot du 2 à Analalave et j'en suis à 4 ou 5 jours. Si je le manque, je manque aussi le mariage et cela m'ennuierait.
J'ai une lettre charmante de de Dewuns ! J'envoie demander 8 bouyeanes à Marovale ; les aurais-je pour lundi ?
Samedi 23, dimanche – Je fais mes préparatifs de départ. M. Eudes se fait charmant et veut me faire oublier ses mauvais jours. Il me donne une peau de serpent, des pierres, des défenses de sanglier. Pour ne pas être en reste, je lui laisse un baromètre dont il avait forte envie, ma lanterne de laboratoire, produits, thermomètre, etc… Un peu stupéfait de me voir partir aussi vite sur ma simple demande, il espère aussi me voir à la tête de son affaire. Maintenant que je m'en vais, il n'y a pas mieux que moi pour la diriger. Les jours se suivent et les opinions diffèrent ; d’autant plus qu’il avait écrit il y a deux mois auparavant à Vivié : « Je vais expédier M. de Langautier» . Cette manière d’expliquer les choses ne m'a guère enchanté et j'ai remis les choses au point auprès de Vivié, en passant à Antsohihy.
Il voudrait refondre la société Eudes & Cie dans une société anonyme au capital de 150 000 Fr. Je ne sais ce que décideront ces messieurs.
Les 8 bourgeanes arrivant le dimanche soir, donc demain manin akoho en route.
Lundi 25 janvier – 6 heures, je pars par le raccourci soi-disant avec Ranève pour guide. À travers la brousse, sans chemin marque, j'arrive à 10 heures à Antazomahity, village… de peu d’importance. Les hommes voudraient s'arrêter pour déjeuner mais je donne l’ordre de repartir pour Ambodimanary où j'arrive après deux heures de marche. Je rejoins la route d’Antsohihy. ½ heure avant d’arriver à ce village très important. Farhalala n'a pu suivre avec son bagage. Il pleut à torrent. Ranève achète pour six jours une cervelle et un excellent filet. Je m'amuse à regarder la multitude d’enfants et de chiens qui grouillent dans le village.
Enfin, Tarhalala arrive avec ½ heure de retard. À l’avenir, je prendrais un homme pour lui porter son bagage jusqu’à Analalave.
Trois heures, départ. ½ heure après, nous arrivons devant la Droa, qui inonde toute la plaine. Des hommes vont en reconnaissance et une heure après, tout le monde passe avec de l’eau jusqu’au ventre.
Betsuka rano, me disent les hommes. Mavandianario, je réponds « zaho maheu lalane chichi rano» et en effet, j'avais raison. Aussitôt après, il se met à pleuvoir averse jusqu’à 7h 1/2, heure à laquelle on arrive à Aujénia pour coucher. Cases petites, puces, le chef m'apporte poulet et riz.
Mardi – 5h40, départ avant d’arriver à Befaniva je perds une demi heure pour traverser un ruisseau. Arbre jeté en travers. Pour montrer l’exemple, je m'aventure sur cette planche et m'en tire sans trop d’embarras. Les bagages et filanzanes traversent par la pirogue que manie Tarhala.
9h40, j'arrive devant l’Antiaijoudrone, de l’eau partout. Je m'embarque seul avec mon filanzane dans une toute petite pirogue. Et en avant. Quelques minutes après, au milieu des arbres et arbustes, la pirogue ne peut plus avancer ; je descends dans l’eau jusqu’au genou et je suis le piroguier.
Dix minutes de marche et j'arrive au bord de la rivière qui roule des flots d’une boue jaunâtre. On hèle une autre pirogue et je traverse le fleuve. Nouvelle halte sur le bord de la rivière, les pieds dans l’eau, avant de continuer, je veux attendre mes bagages. Enfin de ¾ d’heure en ¾ d’heure je vois arriver filanzane, malles, colis. Une nouvelle pirogue me conduit enfin sur la terre ferme au pied de Marsampane. Il est 2 heures et je n'ai pas encore déjeuné. Quelques bourgeanes arrivent, je leur promets une bouteille de toc et je repars à bonne allure pour Antsohihy où j'arrive à 3 heures. Le ventre creux ; mais je n'ai plus faire et je cours chercher le pli de Trinquesse. Il contient mon rappel pur et simple avec de l’argent. Vivié m'invite à diner – champagne. Mes bagages sont arrivés à 5 heures. Farhlala comme par hasard est saoul comme un tonneau.
Mercredi 27 janvier – J'ai pu réunir mes bourgeanes et malgré la pluie je repars. J'avais fait prévenir la veille qu’on prépare des pirogues, aussi je n'attends pas à Antsongo où j'arrive après 2 heures. On s'embarque dans 6 pirogues et je navigue 1h40 au milieu des palétuviers, paysages superbes de forêt vierge, entre deux eaux, car la pluie ne nous ménage pas. Je déjeune rapidement à Ambique et je repars à 1 heure, j'ai hâte d’arriver à Analalave. Route très bien tracée ce qui me permet de laisser mes bagages en arrière et de pousser mes bourgeanes qui marchent bien.
Route très pénible, sol glissant, montées et descentes rapides. Enfin, après 6 heures de marche, j'arrive à 7 heures chez Scopelites, qui, prévenu par télégramme m'attendait pour diner.
Jeudi – Cordial accueil de M. Compagnon. Je lui fais une visite le matin, à sa femme l’après midi ; je ne rencontre pas cette femme autoritaire ; je trouve Lesueur dans sa confortable demeure ; il me raconte des choses invraisemblables sur ses poteaux qui ne lui appartiennent pas ; me montre un échantillon superbe. Je retrouve Mme Bellot, sa belle sœur ; Boiron et sa jeune femme ; le soir, je prends les consommations à la manille avec Finesse, Nicolaï de la Marseillaise, Galland, Compagnon.
Vendredi, Samedi – je devais aller avec Compagnon voire une plantation de coton. Mais la maudite pluie qui ne cesse pas depuis mon arrivée m'en empêche. Le matin, je vais à la bibliothèque et mes journées se passent en lecture. Je ne puis même pas faire de photos, le temps est trop gris.
Analalave, village perdu dans les arbres. Le centre, avec la résidence, les bureaux perdus dans d’immenses manguiers, la poste, la T.S.F. et quelques cases de colons et de commerçants a seul un aspect un peu ville de brousse. Le reste est bien peu de choses. Ses paillottes entourées de mourabes avec des cocotiers, des manguiers. Du large, l’on n'aperçoit rien que de la verdure.
De mon hôtel situé en face le tennis, j'aperçois la mer et en face, l’ile de Nossi-Lava. Au café, jamais personne, le commerce languit en général et cette année particulièrement. Les exportations sont en baisse ; cela du principalement à l’avilissement des prix.
Zouma habite la case de Sabotsi et je vais lui rendre visite tous les soirs. Je lui paie en guise de souvenir une machine à coudre Jones.
Dimanche 31 janvier – Invité à déjeuner par la Marseillaise : Finesse, Nicolaï. J'y retrouve Jammes, inspecteur de milice et Compagnon le sympathique administrateur chef. Malheureusement, il n'y en a pas beaucoup comme lui qui savent appliquer le règlement avec esprit.
Ainsi, vers fin janvier, Analalave devait être attaquée par une bande de Sakalaves révoltés ; ils disaient venir délivrer un voleur de bœufs Ambolahay des environs de Maroab. M. Compagnon avait été prévenu par une lettre anonyme. L’administrateur Lasalle prend peur ; le capitaine de la compagnie de tirailleurs, encore plus ; il fait fortifier son camp. Lasalle qui fait une petite tournée dans le courant du mois part avec 8 miliciens, baïonnette au canon. Prend même un village d’assaut. L’attaque d’Analalave devait se faire le 20. M. Compagnon avait simplement dit à l’inspecteur de milice devant Ambolahay de brûler la cervelle à ce dernier au moindre attroupement devant la prison. Le gouverneur était inquiet malgré les lettres rassurantes de M. Compagnon, parce qu’il en recevait de pessimistes du capitaine. Enfin, il n'y eut rien, tout resta calme puisque j'y suis arrivé le 27 et que je n'ai rien vu de suspect à travers la brousse.
Autre fait : en 1905, arrêté d’Augagneur supprimant le cabotage. C'était la ruine d’Analalave. Compagnon suspend de sa propre autorisé l’arrêt pendant 24 heures et télégraphie à Augagneur l’absurdité d’un tel arrêté. Ce dernier le suspend pour la province d’Analalave sur les réclamations immédiates d’un Compagnon. Ce n'est que quelques semaines plus tard qu’il annulât cet arrêté pour tout le reste de Madagascar.
De sa propre autorité, il forme sa milice de Rovas qu’il fait venir d’E. au lieu des gens du pays comme le prescrit le règlement, etc…
Il a plu à torrents toute la nuit et la journée, le soir je dine à la Marseillaise. Finesse a sa cuite complète. Il m'invite à toute force pour le lendemain, j'accepte. Le jour du départ, je déjeune chez M. Compagnon avec le nouvel administrateur chef Arglave. Enfin, à 4 heures, accompagné des ramatoas je m'embarque sur le Persépolis avec M. Compagnon. Pendant le déjeuner, Madame Compagnon nous avait fait admire des dentelles de Tananarive et à la délicate attention de me céder un… de mouchoirs.
On part vers les 5 heures à bord du Persépolis. Il n'y a personne comme passager. Je retrouve à bord le lieutenant Germain qui fait le service de la ligne comme lieutenant.
1er février – Nossi-Bé, le lendemain à 7 heures, en rade, on voit le Vaucluse et la Surprise qui sort en mission hydrographique sur les côtes de Madagascar. Mais voilà plusieurs mois que ces bateaux sont à l’ancre à Nossi-Bé attendant on ne sait quoi pour accomplir leur mission. Je descends avec Finesse.
En ville, nous rencontrons le prince Saïdina, chevalier de la Légion d’honneur, gouverneur indigène en grand costume d’A.
À bord, monte le docteur Moitron et sa femme, quelconques et un capitaine au long cours, créole, qui habite Mahé, M. Joannis. Il est venu conduire un remorqueur qu’on lui a acheté pour ravitailler les phares que l’on va construire sur la côte. À Analalave, par exemple, cela coutera 100 000 et servira à quoi ? Puisqu’il n'y a pas de port à Analalave et qu’aucun bateau n'y entre la nuit, pas de commerce.
Nossi-Bé, très jolie rade au pied de hautes montagnes boisées. La ville apparaît par tâches blanches au milieu des arbres. Je vais faire une visite à Jansen, directeur de la Franco-Malgache. Il vient me recevoir à 9 heures en pyjama et avec d’extraordinaires pantoufles de grue, aux nœuds roses noirs ; d’un grotesque fini.
On repart dans l’après midi ; la mer devient mauvaise et le bateau tangue fortement. J'ai le mal de mer ; cela tient plutôt à la bile qui me travaille depuis quelques temps. Cela me purgera.
2 février – Le lendemain, de bonne heure c'est Diego. La malle n'arrivera que le lendemain, elle est en retard.
Nous laissons nos bagages à bord du Persépolis et nous débarquons. Je retiens une chambre à l’hôtel de la métropole (bon lit et grande chambre pour 8 Fr. par jour). Grossberger, gérant sa femme de midi me soigne tout particulièrement.
Je retrouve le docteur Barthe, médecin major de la marine. Il m'invite à sa popote pour le soir.
Visite au bassin de radoub, photos de torpilleurs. Le bassin construit à sec a été mis à l’eau le 25 janvier. L’on commençait à l’emplir de béton mécanique. Il y en a 60 000 m3 à mettre, et l’on compte 8 mois avant son complet achèvement.
Le soir, promenade avec Barthe à T. où nous voyons des Ramatoa, kalou, torbon.
Diner à la marine avec les enseignes Mercier, Robin, Delaunay, commissaire Baudry. Après diner, apéritif chez Maria, une ex-grue ; j'y fais connaissance avec Boyer, ingénieur du bassin, Barriquand, associé de Kikerman Serbos et leurs maitresses.
J'y parle de mines avec Barriquaud, Mortages a fait du 1er au 20 janvier 185 kg d’or; l’achète à 0.80 et le revend à 2.20, gagne 1.20 par gramme en moyenne.
Leur usine, se monte en ce moment, tout leur matériel étant sur place. Cela leur reviendra à près de 800 000 Fr. Grignon est en France pour se marier avec une nièce de Boyer, l’ingénieur.
De Chenneillé est sur les placers, Mortages aussi – mines d’Andavakoera – au comptoir, le directeur me dit avoir reçu d’eux pour le mois de janvier, 298 kg d’or.
C'est la fièvre de l’or qui règne ici, quoique Mortages soit le seul qui ait réussi.
L’on se plaint de l’apathie de l’administration qui laisse commettre des pillages à main armée dans les environs.
8 février – Le lendemain, la malle n'arrive qu’à 4 heures avec 12 heures de retard. Elle fait du charbon et impossible de monter à bord. Avec Finesse, nous vadrouillons un café japonais et enfin place Kabou où nous trouvons un gîte. Le lendemain, quelques emplettes, quelques photos et on s'embarque.
9 février – Départ à midi seulement, rade magnifique et fortement découpée en une série de baies. Passe très profonde, 60 mètres qui rend impossible un embouteillage.
En route pour Mahé.
L’on y arrive le 3e jour dans l’après midi. Temps couvert, impossible de prendre une photo. L’on mouille à près de 2 milles des terres. Mer houleuse. Ville qui s'étend au bord de la mer, dominée par la montagne verdoyante qui s'élève à pic. Ville propre et très coquettement située. Jardin d’essai pittoresque et avec des plantes grasses de toute beauté. Visite en pousse-pousse.
La Bourbonnaise absente.
Coco double et mouche feuille.
L’on repart dans la nuit, 10 heures, mer un peu houleuse ; nous recevons à tribord la mousson. On ferme les sabords. Je résiste fort bien et évite le mal de mer. Quatre jours après Aden. On arrive après diner. Isthme qui ressemble à une montagne surgie de la mer. Se découpe en sombre, sur la luminosité du ciel éclairé en jaune par le soleil couchant. Puis, c'est la nuit avec les milles feux du port et de la ville qui semble s'étager sur la montagne. Des projecteurs électriques inondent le port de leurs feux puissants.
J'achète des plumes d’autruches qui me semblent de bonne qualité. Je regrette de n'avoir pu voir les citernes, ni la ville arable Aden valait la peine d’une visite de jour.
Avant de remonter à bord, nous visitons le P. qui fait le service d’Aden à Bombay. C'est d’un luxe épatant. L’on se croirait, non à bord d’un steamer, mais d’un hôtel des mieux achalandés. Enfin, aujourd’hui, c'est Djibouti, nous y passerons la journée, me voici de nouveau dans un endroit que je connais. Fini la nouveauté et l’imprévu.
14 février – Nous avons mis 9 heures d’Aden à Djibouti. Nous ancrons vers 10 heures et aussitôt une nuée de marchands envahit le pont. À ce qu’il parait l’on peut avoir de belles plumes d’autruches pour une livre. J'ai donc été refait de 50% hier soir à Aden. Après déjeuner, je descends à terre par un soleil torride qui me fait peu d’effet en comparaison de celui de Madagascar.
Je trouve la ville embellie, plusieurs maisons de style arabe étalent leurs maisons vers la mer. Nous allons avec Finesse et Gay voir les bas quartiers. Cases très délabrées faites de débris de toiles d’emballage et de caisses blanchies à la chaux.
J'y fait la connaissance de Fatua Djama, n° 5 qui me montre des papiers forts en règle. Jolis seins, croupe rebondie et onduleuse.
J'achète quelques sagaies, l’on m'offre une perle pour 250 Fr. ; quand je pars, on me la laisse à 45 Fr. Quels voleurs ! où plutôt quelle astuce pour profiter de notre bêtise et de notre ignorance.
Quelques passagers
Famille Thérond, secrétaire général de Madagascar, leur fille Renie, 18 ans, drôle, enfant, flirteuse, paroles inconséquentes, femme despotique
Capitaine Gray, anglais, Lac Victoria à Nyanja
M. Collins, agent de la société des Câbles à Mahé
M. Kilby, rentier
Capitaine Joannis, prospecteur à Mahé
M. Esnouf, rhumatisant, ex-agent des Messageries à Zanzibar
M. Thorny d’Arifat et sa famille, créole et planteur de Maurice
Docteur Moitron et sa femme, quelconques
M. Sescau, prospecteur à Madagascar
M. Finesse agent de la Marseillaire
M. Merven, planteur à Maurice
M. et Mme Durand de Mazamet chez M. Bessières
Proté, commandant
Valentin, commissaire docteur
Malocéna Lieutenant
Le Flahec, lieutenant, 23 rue Pierre Dupré à Marseille
Miss Sfrickland
À 4 heures en route. Le vent d’est nous fait danser et le soir les passagers sont rares sur le pont. À 10 heures l’on aperçoit dans le noir de le nuit quelques points brillants. C'est Périne.
15 février – Ce matin, c'est un roulis très fort que je supporte allégrement. L’on met même les violons à table.
Pourtant, l’après midi, les vagues s'apaisent et l’on rouvre les hublots. Sur le pont, l’on bostonne fort. Le soir, sous la férule directrice de Mme Thérond qui veut tout régenter et qui se fait rabrouer. Je bostonne surtout avec sa fille, toute menue (une fausse maigre à ce qu’il parait) qui se laisse conduire assez légèrement. Dans la journée, c'est le bridge auquel je pers assez régulièrement.
M. Klay m'offre des poils d’éléphant. On peut les faire monter en bracelet et cela ne manque pas d’originalité. Je lui donne un porte monnaie malgache.
16 février – L’on nous avait promis un abaissement de la température après Périne. C'est le contraire qui se produit. Hier, c'était 28° dans la journée ; aujourd’hui ce sera davantage. En effet 31° est la température de l’après midi.
17 – Pourtant graduellement nous sentons la fraicheur qui commence. Hier soir, avant diner, 26° aujourd’hui, c'est la température de la journée.
Ici, ce place l’incident du chien de la femme du gouverneur et du singe de la femme d’un docteur militaire. Suivant le règlement, le commandant avait exigé que Mme Moitron, la doctoresse enlevât son singe de sa cabine pour le mettre à l’avant. Elle le fait sans récriminer. Pourtant, comme Mme Thérond semble ne pas se plier aux exigences du règlement et qu’elle garde son chien gipsy dans sa cabine, elle se plaint au commandant de cette double interprétation du règlement. Je ne sais ce que ce dernier lui répond mais elle lui répliqua : « Eh bien, puisque vous le voulez, ce sera la guerre jusqu’à Marseille ». Cette réponse un peu déplacée dépeint assez le degré de distinction de cette femme irascible qui n'avait qu’à demander le cahier des réclamations. D’un autre côté, ni la gouverneure est étonnée qu’on puisse exiger d’elle un pareil sacrifice et ne s'exécute qu’après une nouvelle intervention du commissaire. C'est au moins le 3e rappel au règlement. C'est une distraction à bord que ces jalousies, ces hautaines prétentions, ces sentiments d’égalité.
18 février – L’Oxus regagne le temps perdu grâce à un excellent vent arrière et aux escales qui sont écourtées. Hier nous avons fait 317 miles ce qui fait plus de 13 nœuds. Nous arriverons ce soir vers 7 heures à Suez. La température faiblit et de plus en plus le thermomètre marque 20°.
Les vêtements de laine font leur apparition. Mon vieux costume de flanelle fait merveille et je suis un des plus élégants ! Le ciel depuis ce matin est d’un gris clair et c'est à peine si nous apercevons, perdus dans la brume, le fameux Sinaï et le mont Horeb qui lui fait face. Le bridge constitue notre principale distraction ; le soir danses, boston… et dans 8 jours, c'est Marseille.
Avec le commandant Gray, l’amitié augmente, c'est échange de cartes, de photos, d’objets divers, … C'est un très charmant garçon et je regrette de ne pas connaître l’anglais pour mieux converser avec lui. Ce sera peut-être la cause qui va me décider à sérieusement apprendre cette langue, et déjà je prévois un séjour en Angleterre.
Le brouillard nous empêche d’entrer à Suez et nous mouillons à deux miles environ. Le temps est froid ; une pluie de poussière s'abat sur le pont ; l’on se couche de bonne heure.
19 février – Une magnifique matinée printanière succède à la tourmente d’hier. Nous entrons en rade à la 1ère heure du jour. Il y a beaucoup de paquebots en stationnement et j'en compte jusqu’à 16. L’on ne sait quand le départ aura lieu. À ce qu’il parait, une Autriche est échouée dans la canal et interrompt la circulation.
Je profite de notre arrêt et du magnifique beau temps pour monter au mât de misaine pour prendre quelques photos. L’après midi, nous apprenons qu’on ne partira qu’à 9 heures. Aussitôt s'organise une bande pour descendre et nous voilà partis pour 2 Fr. aller et retour.
Nous passons à la santé puis à la police ; enfin nous abordons. Le train de Suez nous fausse compagnie deux minutes trop tôt. Heureusement, nous nous procurons des voitures et, en route pour Suez tout le long d’une digue où passe le chemin de fer.
Suez, ville arabe, très sale, maisons délabrées, pas de jolis magasins… Visite à une maison, sujets horribles, pourtant un homme marié du bord M. D. y trouve son compte. Quelle perversité !
La ville administrative en bordure du canal est assez jolie avec des maisons bien construites et peintes avec des couleurs vives. Le palais du canal est très majestueux. Une heure de barque dans la nuit qui tombe et nous voilà sur l’Oxus. On par vers 10 heures par un froid de 14° au-dessus, mais avec le vent et pour des coloniaux on gèle, surtout sur le gaillard d’avant où nous allons tous pour voir l’effet du projecteur dans le canal.
Nous sommes un convoi de 8 paquebots et nous n'aurons pas besoin de nous ranger.
20 février – J'ai très bien dormi malgré le bruit de la chaîne du gouvernail. Le temps est splendide ; soleil doux de printemps – à l’ombre il fait froid. Je suis vêtu comme en hiver. Je profite de mes bonnes relations avec les officiers du bord pour monter sur la passerelle d’où je jouis d’une très belle vue sur le canal et le désert.
Sur le lac de Mangazeh, je vois des vols innombrables de mouettes, de sarcelles, de pélicans blancs. Quelques photos seront je crois intéressantes. Nous arrivons à midi à Port-Saïd au milieu d’un mouvement de port considérable. Je trouve que la ville s'est embellie sont plus beaux . Je me laisse tenter encore et je délie ma bourse. Une visite en voiture du jardin botanique ne donne aucun résultat, pas plus qu’au fanal rouge.
Enfin, à quatre heures, l’on entre dans la Méditerranée ; l’on remue un peu ; il fait froid. Je continue à bien me porter. Encore un peu d’espoir, c'est la dernière étape. L’on se couche de bonne heure. Neuf heures, il n'y a plus personne dehors, d’après l’heure de départ, nous devons passer Messines de nuit, car de Port-Saïd à Messine il faut 78 heures, c’est-à-dire trois jours pleins plus 6 heures. Nous passerons donc vers 10 heures du soir et nous ne verrons rien, à moins que nous ne rattrapions quelques heures pendant ces trois jours.
21 février – Ce matin, la mer est calme. Nous avons beau soleil et vent arrière ; c'est le temps de rêvé ! Température, 15° mais l’on commence à s'y habituer et l’on grelotte moins.
22 février – Vers 3 heures de l’après midi par une belle journée ensoleillée nous apercevons les côtes de l’Italie avec ses hautes montagnes de la Calabre qui se découpent légèrement blanches sur les sommets. Peu à peu on se rapproche et tout le monde, lorgnettes en main, scrute l’horizon pour se donner une idée du désastre qui a mis tant de deuils sur cette côte qui parait si riante.
Vers cinq heures, nous côtoyons assez près la côte d’Italie, pour apercevoir les premières ruines, dans des villages de peu d’importance. Ce sont des toits effondrés, des maisons détruites en grand nombre. On peut les distinguer fort bien à la longue vue.
Enfin, nous entrons dans le détroit, mais le soleil qui avait éclairé ce paysage endeuillé disparait derrière l’Etna et c'est la nuit qui tombe pour nous empêcher de voir Messine et Reggio.
À six heures, nuit noire, nous passons en vue de Messine, quelques lumières percent l’obscurité, mais l’on ne sent plus l’activité d’une ville importante. Tout semble mort en effet. Le vent froid qui souffle violemment nous oblige à nous réfugier dans la salle à manger où nous nous mettons à table.
23 février – La température baisse de plus en plus ; malgré le temps qui semble rester au beau. Il fait froid, et tout ce monde apparait emmitouflé de manteaux avec des cols relevés. C'est demain vers quatre heures que nous devons arriver à Marseille.
24 février – Dans la nuit, nous essuyons une tempête terrible de neige et de mistral. Il gèle à plusieurs degrés en dessous de zéro… Moi, je suis obligé de me coucher avec un fort accès de fièvre qui dure toute la journée. Impossible avec ce mauvais temps et ces rafales de neige d’arriver aujourd’hui à Marseille. Souvent, nous sommes obligés de stopper et nous n'avançons que très lentement. Enfin, le soir vers 10 heures, nous sommes en vue de Marseille et nous attendons le… pour entrer dans le port.
25 février 1909 – Enfin, à 7 heures, appareillage et ½ heure après par un froid glacial, mais un beau temps, nous entrons dans la Joliette. C'est fini ce beau voyage qui malgré moi me laisse un peu de tristesse qui domine presque la joie de revoir la France.
Un soir de veillée, après 33 ans, je relis ces notes hâtives. Beaucoup de souvenirs inscrits sur ce carnet ont quitté ma mémoire. Ce sont surtout ceux des mauvais jours et des heures difficiles. Mais à la lecture, je m'aperçois que beaucoup d’autres faits ou remarques sont restés vivaces dans ma mémoire ; c'est pourquoi pour rendre plus lisibles certaines notes de ce carnet, je vais les consigner à nouveau, dans une série de notes numérotées afin que ceux de mes descendants qui liront ce carnet puissent trouver plus d’intérêt et de satisfaction à le faire.
Ces notes au jour le jour étaient surtout faites comme aide mémoire des travaux entrepris pour la compte de la société et ne visaient pas le pittoresque.
Je le livre telles qu’elles ont été écrites avec simplement quelques explications pour permettre de comprendre certains passages.
Elles seront illustrées par les nombreuses photos rapportées de mon voyage et qui ont été reproduites et agrandies par mes propres soins ; elles figurent toutes dans mon grand album sur Madagascar.
Quelques explications sur certains souvenirs de mon voyage à Madagascar
1 – À bord de l’Oxus, comme passagères de 2ème classe, nous avions embarqués à Marseille une demi douzaine de jeunes anglaises dont nous ne savions pas le but de leur voyage. Pourtant, ce que nous avions pu remarquer pendant la traversée, c'était leur goût prononcé pour le flirt ; certains soirs où la chaleur des cabines rendait le sommeil difficile, on les revoyait monter sur le pont du bateau après l’extinction des feux, avec leurs paillasses et couvertures, et elles se couchaient, pêle mêle, à même le pont dans une obscurité propice avec quelques jeunes anglais.
À peine l’Oxus amarré aux quais de Kilindini, nous voyons toutes nos anglaises débarquer. Un pasteur protestant entouré de quelques jeunes gens les attendait. C'étaient les fiancés qui s'étaient engagés par correspondance et sur photo, prenaient livraison de leurs futures épouses.
En effet, le pasteur formait les couples et les emmenait aussitôt pour les unir !!!
Drôles de gens que ces Anglais – Cynisme et respectabilité.
2 – Par une claire matinée tropicale, l’Oxus longeait les côtes basses et verdoyantes des cocotiers d’ilots des Comores. La brise assez vive faisait moutonner la mer bleu foncé. Nous regardions ces côtes sauvages où tout semblait désert. Tout à coup, à l’avant du navire, l’on vit de petites pirogues à balancier se détacher du rivage poussé à vive allure par la brise qui gonflait les voiles quadrangulaires de ces frêles embarcations.
Minces et rapides, elles sautaient sur les vagues en laissant derrière leur sillage un petit banc d’écume. Les nègres qui les montaient se tenaient droits sur leurs pirogues en équilibre sur les balanciers pour contrebalancer l’effet du vent qui risquait de les faire chavirer. C'était une lutte de vitesse à qui arriverait le premier auprès de l’Oxus. Première vision de jeux sauvages dans la beauté d’un ciel lumineux, d’une mer profondément bleue, d’un air vivifiant, joies naturelles de nègres vigoureux et habiles dans la nature et la liberté.
3 – J'étais attendu à Majunga par M. Eudes, le directeur de la société. Je l’avais déjà rencontré, l’hiver dernier, lors de sa visite à Nevers aux futurs administrateurs de la Société Eudes et Cie . C'était un vieux colonial depuis une dizaine d’années à Madagascar et qui comme beaucoup d’autres avait essayé d’un peu tous les métiers. D’abord, colon, il avait une concession sur le Mahajambe, puis commerçant et enfin prospecteur. Dans ses recherches, il avait cru trouver sur l’Antombokazo des placers contenant suffisamment d’or pour être exploités. C'est dans ce but qu’il était venu en 1907 en France pour trouver des commanditaires ; il les avait trouvés à Nevers où il connaissait M. Heurtault, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées avec qui il avait autrefois de bons rapports lorsqu’il fournissait les Ponts et Chaussées de pavés de grés dont il exploitait une carrière en Basse Normandie. C'était un petit homme, sec et maigre, assez frustre d’aspect, sérieux, avec une mine assez grave qui se déridait rarement.
Il était venu m'attendre à Majunga pour nous rendre aussitôt sur les lieux de l’exploitation, en pleine brousse. Nous débarquons et sommes accueillis par un douanier qui me demande si je n'ai pas de tabac, de poudre à déclarer. Ce premier contact avec l’administration, ces questions mesquines ma causent une impression assez désagréable.
Mon séjour à Majunga doit être très court. 48 heures, juste le temps de faire quelques emplettes indispensables, de trier mes affaires, car de deux malles, je dois en laisser une que l’on viendra reprendre plus tard, car pour notre voyage à travers la brousse, avec des porteurs nègres, nous ne devons pas nous encombrer de trop de bagages, par économie, pour ne pas grever de trop de frais le budget de la société.
Comme à Majunga nous ne pouvons trouver des porteurs (bourgeanes) car un voyage dans la brousse porté en filanzane, nous décidons d’aller à Marovoay (qui en malgache signifie beaucoup de crocodiles), important centre de riz sur la Betsiboka, et où nous espérons trouver les porteurs nécessaires. Nous devions emmener avec nous un boy pour nous faire la cuisine à l’Antombokazo mais au moment du départ, notre boy Toussaint, peu enthousiaste de quitter la ville pour la brousse, nous fausse compagnie et nous partons sans lui.
Nous passons deux jours à Marovoay à chercher des porteurs et faire des provisions et le samedi après midi, quatre jours après mon arrivée, nous quittons le monde civilisé pour partir vers l’inconnu pour moi de la brousse malgache.
Je vais connaître la vie sauvage à travers un pays inconnu dont je ne me fais aucune idée ; transition brusque entre la vie civilisée, car hier soir le diner chez l’administrateur Leloup et sa charmante femme avait tout l’attrait d’une table bien servie avec des domestiques nègres stylés ; et ce soir à Amboudimanza, village misérable d’une dizaine de cases, nous dinions sur une caisse d’emballage d’un poulet écorché et cuit à l’eau. La bonne vie libre de broussard commence. Le case du chef où nous nous étendons sur nos lits de camp entourés chacun de notre moustiquaire, et une petite paillote avec une porte étroite et basse. Une photo fixe se premier contact avec la brousse.
4 – En principe, les porteurs de filanzane sont 8. Ils avancent rapidement à petits pas cadencés et en marche normale, ils font de 4 à 5 km à l’heure. Tous les 150 à 200 m, ils se relaient sans pour cela arrêter leur marche. Les porteurs au repos se placent derrière chacun de ceux qui portent le brancard sur leurs épaules ; ceux-ci s'effacent sur le côté en leur laissant le chemin libre. C'est un mode de transport assez agréable ; l’on se trouve mollement balancé et ainsi perché, l’on domine le paysage. De temps à autre, de légers repos quand on traverse un ruisseau et les nègres en profitent aussitôt pour se rafraichir et se laver dans l’eau. J'apprends aussitôt les quelques mots nécessaires pour diriger mes hommes. On veut s'arrêter « ambasse» , on veut repartir « Ambousse» , on veut hâter leur marche « malaka, malaka» .
5 – D’après les renseignements que nous avions reçu en France de M. Eudes qui nous entretenait dans ses lettres de l’organisation et de l’installation des placers qui avait duré tout l’hiver et qui avait retardé mon arrivée jusqu’à ce jour, je m'étais figuré arriver dans un camp organisé avec tout au moins de quoi se loger à l’abri des intempéries. Pendant notre transport à travers la brousse, M. Eudes ne m'avait pas parlé de l’état d’avancement des travaux d’installation. Aussi, malgré moi, j'avais eu un instant de désillusion et de désappointement devant le manque d’abris ; même pas une case comme celles qui nous avaient hébergés pendant notre voyage. Tout était à faire. À part le tas de matériaux qui jonchaient le sol, il n'y avait presque rien de construit. Tous les mois d’hiver avaient été utilisés au transport par boutsie de Majunga d’abord par mer, puis en remontant la Sofia jusqu’à Marovale, puis à dos d’homme de Marovale au camp (10 km environ). Une photo donne exactement la vue du camp à mon arrivée et mon installation de fortune dans la forge.
C'était bien le commencement de la vie du broussard faite d’inconfort, de débrouillage et d’optimisme.
Je trouve là, le bras droit de M. Eudes, Doinelle, qui avait surveillé tous les transports. Brave type, vieux colonial lui aussi, de caractère franc et joyeux. Il avait avec lui un certain Robert, jeune garçon qui l’avait aidé dans le transport et qui devait quelques jours après repartir pour Majunga.
Nous nous trouvions donc tous les trois sans boy pour nous défrayer des soucis de la vie quotidienne. Doinelle s'occupait en attendant que nous trouvions de l’aide, de la cuisine avec Eudes et moi je ferais le pain avec notre approvisionnement de farine. Notre conseil à Nevers se figurait que les travaux d’exploitation seraient déjà entrepris avant mon arrivée. Quelles illusions !! Il me fallait au plus tôt les informer de la situation actuelle en même temps de la valeur des placers.
C'est ce que je fais dès le lendemain de mon arrivée ou Eudes fait quelques batées en ma présence.
La batée est un récipient en bois ou de métal de 50 cm de diamètre et de 10 cm de profondeur en forme conique dans lequel on lave les sables aurifères. On met dans la batée le sable et on le lave avec de l’eau en imprimant à la batée un mouvement giratoire ; petit à petit la terre et le sable s'éliminant et il reste dans le fond un résidu noirâtre que l’on continue à laver plus soigneusement ; enfin, parfois s'il y a de l’or on aperçoit dans le fond de la batée une parcelle d’or de grosseur différente que l’on appelle une couleur.
Dès mon arrivée nous sommes aux prises avec les difficultés d’assurer notre propre existence, car il n'y a plus de provisions dans notre futur camp. Nous sommes dans un coin de brousse loin de tout village nègre. Le plus proche, Marovale est à 10 km. Notre camp est sur le bord même de la rivière Antombokazo où nous devons établir notre exploitation, à 1 200 mètres environ, notre ruisseau se jette dans l’eau de la Sofia, fleuve majestueux comparable en importance à la Loire.
Le pays est formé de petites collines boisées qui entourent notre camp de tout cotés. La brousse est uniforme et n'offre pas les points de repère que j'étais habitués à trouver en France. Aucune maison ni sentier. Il faut se faire une vision de sauvage qui se repère sur la forme d’un arbre, sur la disposition d’une broussaille et avoir une sorte de sens de la direction d’après la position du camp par rapport au soleil dès qu’on s'éloigne pour aller à la chasse. Aussi, les premiers jours, je m'éloignais que prudemment du camp en fixant avec attention les moindres indices particuliers. Quand je m'aventurais dans le creux du vallonnement, je marchais en examinant avec beaucoup d’attention la couleur des hautes herbes qui recouvraient le sol et qui cachaient parfois sous leurs enchevêtrement d’assez profondes fissures de quelques mètres de profondeur, creusées par les pluies torrentielles de l’hiver, et sous lesquelles on disparaissait tout à coup. Ce n'est qu’au bout de quelques jours que je reconnaissais une fissure par la couleur plus foncée, par la broussaille plus haute qui les cachait. C'était tout un apprentissage de la vie sauvage que je devais apprendre. C'était le côté sportif et intéressant de mon aventure.
6 – Notre camp se trouvait à deux jours de marche d’Antsohihy, chef lieu de district dont nous dépendions. L’administrateur M. Vivié était le seul blanc français qui se trouvait dans nos parages. À Antsohihy, le commerce était aux mains des grecs, indiens ou indigènes. Nous nous trouvions à égale distance de Port-Bergé, chef lieu de district de la province d Majunga.
Antsohihy dépendait de la province d’Analalave – dont nous étions à 3 jours de marche – et à 5 jours de Majunga. Nous étions dans la région Sakalave, peuplée d’indigènes se livrant surtout à l’élevage des bœufs dont chaque village possédait des troupeaux plus ou moins importants. Cette région était maintenant pacifiée. Néanmoins moins de trois ans avant mon arrivée toute la région s'était soulevée contre les français et avaient assassinés tous les blancs isolés dans la brousse. Aussi, les autorités de Majunga avaient fourni à M. Eudes un vieux chassepot, une carabine de cavalerie avec de nombreuses cartouches pour pouvoir nous défendre quelques temps en cas d’attaque.
7 – J'écrivais plus haut que le brousse était pleine d’embûches pour celui qui ne la connaissait pas. Ce jour-là, je suis poursuivi par des fanenty. Ce sont des sortes de frelons qui établissent leurs nids, faits de terre agglomérée, de la grosseur d’une petite pomme de terre sur les branches des broussailles. Malheur à celui qui en passant ne fait pas attention et frôle un peu trop fortement la branche qui supporte le nid. Les frelons sortent en furie et vous piquent cruellement.
Autre inconvénient que l’on arrive plus facilement à repérer, c'est la liane du poil à gratter qui pousse autour des buissons à certains endroits. Cette liane produit des fruits comme de gros haricots dont la gousse est recouverte de petits poils. Dans cette gousse est sèche, en passant en dessous du buisson qui la supporte on la secoue par mégarde, une pluie de poils se répand sur vous et une pluie de poils se répand sur vous et pénètre même à travers vos vêtements de toile jusqu’à la peau. Se sont des démangeaisons insupportables. Un seul remède pour se débarrasser de ces milliers de dards piquants, se mettre à poil et se frotter énergiquement le corps avec de la terre. La souffrance intolérable cesse aussitôt.
8 – Le magatake est une sorte de cérémonie de consécration pour rendre favorables les esprits de la brousse à la nouvelle exploitation. Vis-à-vis des indigènes de la région, très superstitieux comme tous les êtres primitifs le sorcier en invoquant les esprits la recherche de l’or doit être plus abondante. Sans ces précautions les futurs travailleurs nègres se seraient figurés que les esprits empêchaient l’or de sortir de sa cachette et n'auraient pas voulu travailler pour nous.
9 – L’animal dangereux à Madagascar est le caïman. J'en ai vu de plus de 4 mètres de long, armés d’une mâchoire puissante de plus d’un mètre d’ouverture. Il peut y en avoir partout, dans la moindre rivière. Près des gués où les troupeaux
ont l’habitude de venir boire ils restent à l’affut des heures entières, ressemblent à un vieux tronc d’arbre moussu. Souvent, quand sans méfiance, un bœuf vient se rafraichir, il le saisit au museau et l’entraine dans l’au où il ne tarde pas à le noyer. Puis après l’avoir laissé se décomposer quelques jours, il s'en régale alors.
À Marovoay, lors de mon passage dans ce village, près mon débarquement, l’on m'avait raconté le fait suivant. Le village est sillonné de petits ruisseaux, larges de 5 à 6 mètres à peine,
et traversés par des petites passerelles sans parapet. Au moment de la saison des pluies, l’eau est trouble et les caïmans s'y cachent volontiers malgré leur peu de profondeur. Un jour une bande de nègre traverse sur une des passerelles. Tout à coup, un cri déchirant ; c'est le dernier nègre de la troupe qui vient d’être saisi par un caïman à la jambe. L’homme se raccroche désespérément au bord de la passerelle. Les camarades viennent à son secours et le tire par le bras. Lutte désespérante et vaine. Le caïman, de forte taille, finit par emporter sa proie sous le regard terrifié de ses camarades.
Quand les eaux sont basses et claires, les caïmans restent dans les fleuves ou les lacs assez profonds pour les dissimuler. Mais dès que la saison des pluies trouble et gonfle les rivières, ils quittent les grands cours d’eau et se réfugient dans les petits affluents.
À la saison des pluies, des caïmans avaient peuplé l’Antombokazo et la nuit, ils venaient roder dans notre camp pour manger les déchets de la cuisine.
C'est en vain que j'ai essayé d’en prendre avec des appâts de viande fixés sur des pieux pointus attachés en crois et reliés par un gros câble à un arbre. Chaque fois, le câble était rompu et l’appât emporté.
Heureusement, le caïman a peur du bruit et n'attaque jamais une pirogue qu’il renverserait facilement ; il suffit de crier pour le faire fuir.
Sur les bords de la Sofia, j'ai vu un jour un chien aboyer longuement à un endroit puis courir à toute vitesse 200 m plus loin, et s'élancer dans l’eau pour traverser le fleuve. Son manège s'expliquait ainsi : le caïman est très friand du chien. Ses aboiements avaient pour but d’attirer les caïmans du fleuve à l’endroit où il aboyait ce qui lui donnait plus de sécurité pour traverser l’eau quelques centaines de mètres plus loin.
Il est impossible de tuer dans l’eau un caïman car s'il est touché, il se laisse couler dans l’eau et on ne le retrouve pas.
Si du haut d’une berge l’on regarde l’eau, on aperçoit parfois au raz de l’eau un triangle. Ce sont les deux yeux et le bout du museau d’un caïman qui émergent. Il suffit de viser au centre de ce triangle pour atteindre l’animal à la base de son cerveau dans sa partie peu protégée ; mais cela ne veut pas dire que l’on pourra s'emparer de sa dépouille.
Dans mes notes, j'ai indiqué la vitalité de ces animaux dont j'ai un exemple lorsque j'ai voulu en naturaliser quelques petits exemplaires que j'avais pris dans la Sofia. Malgré leur cervelle transpercée par une pointe et leurs entrailles enlevés, ces petits caïmans vivaient encore et se sauvaient à travers la pièce où je me trouvais.
10 – Mentrave était notre chef de village nègre. Nous le retenions à notre service par de nombreux cadeaux. Nous l’avions engagé car c'était un ancien chef nègre du temps de la reine Ranavalona et qu’il avait gardé beaucoup d’influence sur ses anciens esclaves et sur les nègres de la région. À voir sa taille svelte et élégante, son visage fier et énergique, l’on sentait que ce n'était pas un simple nègre comme les autres et il y avait en lui une certaine réserve distinguée.
Il était riche par la quantité de bœufs qui lui appartenaient dans la brousse. La fête qu’il donnait à Marovale pour les mânes de son père était une marque de puissance et nous devions le ménager quoique vis-à-vis de l’administration française, il n'avait aucun pouvoir. Le représentant de l’administration à Marovale était un gouverneur nègre sans dignité qui était presque toujours saoul et qui n'avait que peu d’influence sur ses administrés. C'était lui qui était responsable de l’impôt vis-à-vis de l’administrateur d’Antsohihy, chef lieu de district.
11 – Le Persépolis qui fait le cabotage et le courrier le long de la côte ouest de Majunga à Diego-Suarez par Analalave et Nossi-Bé a jeté l’ancre à quelques encablures du rivage.
Pour nous embarquer, nous sommes portés à bord au moyen de filanzane à dos d’homme. Finesse, de la Marseillaise part aussi en congé. Sans façon les Ramatoa nous accompagnent à bord et ne gênent en aucune façon l’administrateur chef qui est venu nous faire ses adieux.
Pendant que nous devisions à bord en prenant l’apéritif sur le pont, en attendant que les marchandises soient embarquées, nos Ramatoa se réfugient dans le bar du Persépolis où elles boivent forces liqueurs.
À un moment, Zouma vient une dernière fois me taper de quelque argent pour payer des tournées à ses amies. Je préfère cette joie exubérante à des pleurs et des regrets inutiles et sans doute peu sincères. Du reste pour elle, je pars en congé pour quelques mois et doit revenir prochainement.
12 – J'avais connu le docteur Barthe sur l’Oxus lors de mon voyage d’aller. Charmant garçon, plein d’entrain. Je suis très aimablement reçu par les jeunes marins pour qui je fais figure de broussard qui connait la vie sauvage de l’ile. Ils me posent un tas de question sur la flore, la faune, comment on vit dans la brousse, etc… C'est que pour eux, ils ne connaissent de Madagascar que Diego et sa rade. Hier la ville et ses faubourgs, c'est la brousse sans aucune route praticable.
La vie coloniale dans ces conditions manque de charme et d’imprévu.
La malle arrive en rade et je reconnais l’Oxus, le même bateau qu’à l’arrivée. Aussi, suis-je amicalement reçu par le commandant et le commissaire qui me donne une bonne cabine où, comme à l’aller, je suis seul ce qui rend le voyage beaucoup plus agréable.
Je ramène en France, un couple de crocodiles, de ceux que j'avais pris sur la Sofia. J'ai fait confectionner par notre menuisier d’Heurtault ville une petite boite de 50 cm percés de trous et pendant mon transport à travers la brousse, je plongeais la caisse dans l’eau à chaque traversée de rivière. Je vois le commissaire et lui annonce gravement que je rapporte en France deux crocodiles. Il me regarde un peu effrayé, craignant quelques difficultés. Mais, tendant à bout de bras ma boite, je le rassure sur les risques à courir pour les passagers. Il rit et m'autorise à les confier au cuisinier qui les gardera et les nourrira jusqu’à Marseille. On les met dans un seau et comme ils ouvrent une gueule affamée, on les régale de déchets de viande qu'ils engloutissent avidement.
13 – Catastrophe, à mon arrivée à Marseille, au moment de débarquer je vais retrouver le cuisinier du bord pour lui reprendre mes pensionnaires. « Ils ont gelés » me dit-il. Je ris et lui répond qu'en effet il fait bien froid pour eux. Mais non, me dit-il, ils sont réellement gelés et il me montre le seau dans lequel ils étaient et qu'il avait laissé la nuit sur le pont, et je vois un bloc de glace qui emprisonne mes caïmans. J'étais furieux car je voulais en faire cadeau au jardin botanique de Toulouse où, si jeunes, ils auraient peut-être pu s'acclimater.
14 – À l’aller, j'avais déjà noté quelques aperçus sur les mœurs anglaises. Au retour, il m'a été donné également d’observer ce qui suit sans autre commentaire. À Port-Saïd était monté à bord une jeune anglaise, très belle, d’un caractère enjoué et rieuse. Elle était la fille d’un général anglais en Egypte. Avec le capitaine Gray avec lequel je sympathisais, nous l’entourions de nos prévenances, assez vagues pour moi, car elle ne parlait et ne comprenait que l’anglais. Lorsque la mer devint houleuse et la température plus fraiche, on ne la vit plus sur le pont. Ayant sans doute le mal de mer, elle restait dans sa cabine. Le capitaine Gray lui fit demander la permission d’aller prendre de ses nouvelles auprès d’elle. Il l’obtient, et depuis lors, je ne vis plus jusqu’à Marseille, ni miss Strickland, ni le capitaine Gray. Avant de débarquer, je faisais mes adieux à Gray et il me dit qu’il descendait à Marseille et partait pour Londres avec la belle anglaise !!
Les voyages forment la jeunesse, dit-on, c'est vrai : je rentrais l’esprit mûri de la vie rude que je venais de mener pendant dix mois dans la brousse, et enrichi de tout ce que j'avais vu et entendu tout au long de mon voyage. Je me sentais plus fort, plus aguerri, plus maître de mes décisions.
Dès mon retour, je voyais mes commanditaires à Nevers et à Paris. Je leur expliquai la difficulté de l’entreprise qui à mon avis ne deviendrait jamais productive, l’or étant trop rare et disséminé sur les terres de l’Antombokazo. Il valait mieux liquider. Ils ne me crurent pas tout d’abord ; grâce à Heurtault, ingénieur des Ponts, ils purent faire envoyer par l’administration V. Tomanarive, un ingénieur qualifié qui les renseignerait sur la valeur des placers. Ils essayèrent même par la suite, malgré mon avis, d’y mettre de nouveaux capitaux. Comme l’expérience me l’avait indiqué, leurs efforts furent vains et l’entreprise Eudes et Cie continua à péricliter sans résultats ni bénéfices.