1er janvier – Visite de tout l’Etat-major au général Grossetti qui nous offre le champagne. Il remarque qu’il n'en reste plus que quatre vieux de Poperinge : Teyssèdre, de Metz-Noblat, de Saint-Laussen et moi.
Dans les journaux d’hier a paru la réponse des alliés à l’Allemagne ; note… de forme et de ton, quelques phrases sont à souligner :
Les alliés s'élèvent contre les deux assertions des puissances ennemies qui prétend rejeter sur les Alliés la responsabilité de la guerre et qui proclame la victoire des puissances centrales.
Ce n'est pas sur la parole de l’Allemagne que la paix peut être fondée.
Les responsabilités de l’Allemagne qui a voulu, ..; et déclaré la guerre. La note allemande a pour objet de troubler l’opinion dans les pays alliés. Elle veut raffermir l’opinion publique de l’Allemagne et de ses alliés. Elle cherche à tromper l’opinion publique des pays neutres. Elle tente de justifier aux yeux du monde de nouveaux crimes ; guerre sous-marine, déportations,… violation de la neutralité. Aussi les Alliés refusent à faire état d’une proposition sans sincérité et sans portée. Ils affirment une fois de plus qu’il n'y a pas de paix possible tant que ne seront pas assurés la réparation des droits et des libertés violés, la reconnaissance des principes des nationalités et de la libre existence des petits états. Enfin, ils imposent les droits de la Belgique à des réparations légitimes et à des sécurités pour l’avenir.
D’autre part, Nivelle nous envoie ses vœux :
Soldats de la République, au moment où s'achève une nouvelle année de guerre vous pouvez considérer avec fierté l’œuvre accomplie : à Verdun, vous avez brisé l’effort le plus puissant que jamais l’Allemagne ait fait contre aucun de ses adversaires ; sur la Somme, rivalisant de courage avec nos alliés Britanniques cous avez, au cours d’une longue suite d’attaques toujours réussies, fait preuve d’une supériorité tactique qui ira toujours en s'affermissant. Jamais notre armée ne fut plus entraînée, plus vaillante, en possession de moyens plus puissants.
C'est sous ces brillants auspices que s'ouvre l’année 1917, vous en ferez une année de victoire.
Dans cette absolue confiance, je vous adresse à tous, officiers et soldats mes vœux de nouvelle année les plus affectueux.
L’Etat-major se compose : général Grossetti, et Saint-Laumer, officier d’ordonnance, chef d’E.M. Lieutenant-colonel Moreigne, sous-chef Hermictor, 1er bureau, commandant Mellot, capitaines Mendigal, Delmas, Officier d’ordonnance Teyssèdre. 2e bureau : capitaine Rivière, interprète Drefus, topographe sous-lieutenant Vergnes, 3e bureau : commandant de Lagonterie, capitaine de Metz-Noblat, Pamard, Roton, lieutenant Peyré, Q.G. : commandant de Vidé, capitaine de Langautier (courrier), lieutenant Cambes, capitaine Desonches (autos), lieutenant Charton, lieutenant Bazille (escorte).
Le temps est pluvieux, mou ; la boue, voilà l’ennemi, aucun froid, pas de neige mais les rivières débordent. Aujourd’hui, le capitaine Michel, ingénieur des ponts est venu faire une conférence ultra secrète sur la nouvelle arme de cette guerre, les tanks. Le général n'a pas cru de sa dignité d’y assister ?
Prochainement, nous devons en avoir plusieurs centaines. Il est probable aussi que les Boches s'en serviront également, mais n'avons-nous pas l’admirable 75 pour les arrêter ? À déjeuner avec nous, le capitaine Michel nous a entretenu de la désorganisation des milieux dirigeants qui par leur lenteur et leurs chinoiseries ont retardé d’au moins 6 mois la livraison de ce magnifique élément de rupture de front.
Il déplore aussi que l’initiative de la guerre passe aux Anglais qui avec Lloyd Georges en prennent réellement la direction.
3 janvier – N'ont-ils pas nommé Douglas Haig maréchal de telle façon que l’on ne puisse leur imposer un commandant militaire français !
Il est déplorable de voir qua par la veulerie de nos politiciens notre admirable effort qui nous avait permis bien avant les Anglais d’avoir la véritable direction de la guerre sur terre qui avait amené Briand en mars 1915 à faire la conférence des alliés, se laisse distancer par un effort plus puissant des Anglais qui leur donne la suprématie dans les conseils interalliés.
Il est aussi déplorable de voir que les Anglais malgré leur magnifique effort que nous commençons à connaître aujourd’hui n'avaient consenti à le donner aussi puissant qu’après 18 mois de guerre ?
Ce capitaine ayant longuement connu le général Lyautey à pleine confiance en son esprit d’organisation et en son énergie pour coordonner nos efforts et mettre un peu d’ordre dans les cercles de politiciens. Ayons confiance plus que jamais et préparons-nous à nos prochaines offensives.
4 janvier – Depuis quelques jours nous savons que le 16e C.A. ne participera pas à présent aux attaques des environs de Reims, soit parce qu’elles n'auront pas lieu, soit pour toute autre raison. Le général Grossetti est comme un ours en cage de n'avoir sans rien décroché dans cette distribution de commandements d’armées de ces jours-ci. Encore une fois sans raison il empêche de Metz-Noblat de partir en permission. Ce dernier est furieux.
5 janvier – Le brave commandant Vivié nous quitte pour passer dans l’infanterie sur sa demande. Nommé au 4e zouave, adjoint au colonel. Remplacé par le commandant Formas du GAE. Général de Cadoudal de la 81e nommé à la satisfaction de son E.M. au commandement du IIe C.A., remplacé par le général de brigade Martin.
En Roumanie…
J'apprends la mort devant Verdun de Jacques d’Himin le jeune mari de Jane Pichon, tué d’une balle dans la tempe.
La Gazette des Ardennes annonce au 15 décembre 355 000 prisonniers français.
Le commandant de Lagonterie qui rentre du cours de l’Artillerie de Vitry répète lui aussi que notre fabrication d’artillerie lourde est en retard de plusieurs mois et que c'est le gâchis dans les fabrications ! Que n'apprendra-t-on pars avec stupéfaction et indignation après la guerre !
6 janvier – Les Boches avec un petit ballon en papier nous ont fait passer plusieurs spécimens de la Gazette des Ardennes où très habilement ils fardent la vérité en… de nos journaux toutes les critiques qui s'y trouvent. Et insistant sur leurs victoires de Roumaine, sur l’effort impuissant des Alliés à les arrêter, ils créent une atmosphère de découragement. Dans le numéro du 14 décembre 1916, ils mettent en grosses lettres le premier pas vers la paix et reproduisent le discours de Bethman Hollweg du 12 décembre.
Je viens de lire La victoire de la Marne par Louis Madelin, livre à l’usage des gens du monde et facile à lire. À ce propos, je note les conversations de notre chef d’E.M. qui se trouvait à ce moment-là au gouvernement militaire de Paris. C'est le général Gallieni qui a nettement voulu engager la bataille sur la Marne. Joffre voulait reculer jusqu’à l’Aube et la Seine. C'est lui qui a vu clairement les armées de Von Kluck glisser vers le sud-est et qui a vu la manœuvre possible de Maunoury. C'est enfin lui qui avec les taxis autos a employé les dernières divisions qu’il avait disponibles pour soutenir l’effort de la VIe armée.
Enfin, il est à noter que les Anglais avec French ont hésité à poursuivre Von Kluck en retraite et qui ont peut-être empêché la victoire de la Marne de se changer en débâcle allemande.
7 janvier – Ce sont aussi les Anglais qui, ma-t-on dit étant relevé du front de Soisson ont permis par leur lenteur à se porter au Nord vers la mer, aux Allemands de prendre Lille et les charbonnages du Pas de Calais ! Peut-être l’histoire confirmera-t-elle ces renseignements qui se racontaient en octobre 1914.
8 janvier – Le capitaine de Metz-Noblat, ce brave ami est nommé à l’E.M. de l’armée Micheler. Cette nomination coïncide avec sa permission retardée exprès par le général. Perte regrettable pour l’E.M., remplacé par le capitaine d’artillerie Régis, stagiaire d’E.M. ayant suivi les cours de Senlis.
9 janvier – Au fond, la nomination de Joffre au maréchalat est la fin du dualisme entre le G.Q.G. et le ministère de la guerre. Le ministre reprend toute autorité sur la zone de l’intérieur et même Lyautey s'est réservé le droit de ratifier toutes les nominations des généraux. Les attributions du G.Q.G. sont limitées à la direction des opérations. Pour luis permettre de conduire ces opérations avec tous les moyens nécessaires, le gouvernement, par l’intermédiaire de ses délégués, ministre de l’Armement, ravitaillement, etc. organise la production.
Mais, pour assurer l’harmonie et la coordination entre le Q.G. et ces organes de production, le ministre reprend sur la zone des armées l’autorité que le règlement sur le service en campagne lui avait enlevé. Voilà le vrai sens de la direction prise par Lyautey et l’élimination de Joffre du commandement par le maréchalat.
10 janvier – Il parait que nous devons aller à Rampont pour remplacer l’E.M. du 31e corps, le général Delétoile qui vient d’être envoyé à Limoges à la suite du double échec du Mort-Homme et du 304. L’armée n'a pas confiance aux troupes de ce C.A. pour tenir ce soin délicat. En tout cas, si nous allons prendre ce secteur, ce sera peut-être jusqu’à la fin de la campagne car il ne semble pas que ni nous ni les Boches n'y tenteront quoique ce soit et ce n'est pas pourtant un secteur de tout repos que l’on peut donner à n'importe quelle troupe.
11 janvier – Arrivant à l’E.M., le capitaine Régis du 38e en remplacement de Metz et le commandant de réserve Gérard des chasseurs forestiers pour le Q.G..
…
12 janvier – Temps froid, neige depuis plusieurs jours. …
13 janvier – Le général Grossetti est parti à midi en auto pour Paris, pourquoi faire ? En son absence, le général Martin qui vient d’arriver commande le groupement. De passage, le général de Laguiche qui revenant de mission en Russie étudie la guerre sur le front occidental avant de prendre un commandement.
14 janvier - … Le temps se maintient au froid et à la neige. Les premiers éléments du 31e C.A. crottés et boueux traversent et cantonnent à Rarécourt. Le soir, à 10 heures, je déchiffre le télégramme qui dit que le général Grossetti tant mis à la disposition du ministre, c'est le général Herr qui prend le commandement du 16e C.A.. Herr est l’ancien commandant de Verdun, relevé après les attaques boches du 21 février.
15 janvier – Peu à peu se découvre la vérité sur toutes nos fautes gouvernementales. Le rapport Violetta sur les décrets lois soulève un coin du voile et nous apprend à notre grande stupéfaction et colère la situation en février 1915 sous le ministère Viviani-Briand lorsque le Parlement a pris par ses commissions, connaissance de la vérité :
les usines fermées pour la plupart et tous les spécialistes mobilisés ;
la fabrication des fusils - néant ;
munitions d’artilleries – 25 000 par jour pour 4 000 canons ;
explosifs – 10 tonnes par jour ;
les canons de gros calibre que par un parti pris invraisemblable on ne voulait pas utiliser presque tous enfermés dans les arsenaux ;
sur aucun point du front aucune réserve
Jamais réquisitoire plus accablant n'a été dressé contre des gens au pouvoir. Et quelques mois après nous nous étonnions que les Russes n'aient pas de fusils pour leurs armées et de munitions pour leur artillerie.
Et nous nous étonnions de notre longue stagnation ! L’on nous bourrait le crane avec les effets du blocus et la débâcle financière allemande. Les gouvernements se figuraient que cela suffirait pour abattre les Boches, quelle ignoble duperie !
Remplacement de Grossetti par Herr
16 janvier – Le général Grossetti rentre dans la nuit. Il va à Salonique commander un groupement de troupes françaises. Il se fait suivre de sa maison militaire, Vieu le cuisinier, Russel le chauffeur, Laurence son fidèle officier d’ordonnance, toujours lieutenant Avieux. Il nous parle de la mission difficile qui lui incombe et de la lourde responsabilité qu’il a assumée. Quelques Croix de guerre Laumser, Mendigal, Bazille. À moi, il me serre la main en m'appelant le vieux pilier du C.A..
Le général Herr ne fait qu’une très courte apparition, peut-être ne prendra-t-il pas le commandement du C.A.. En attendant, le général Martin fait l’intérim. Homme cordial et affable il prend ses repas avec nous.
Depuis ce matin il neige. Tout est blanc. Les liaisons deviennent très difficiles.
17 janvier – Le général Herr arrive à l’heure du diner et prend place à notre table. Homme paraissant âgé, quelque peu cassé, affable et courtois.
18 janvier – Un vent nouveau souffle à l’E.M., grâce à l’amabilité de notre nouveau général qui très simplement, sans nous ne gêner aucunement prend ses repas à notre table.
Aucun officier pressenti par le général Grossetti pour le service à Salonique n'a accepté. Commandant de Lagonterie, capitaine Rivière, Roton, Mendigal
23 janvier – Rarécourt – Le temps est très froid, le thermomètre a marqué cette nuit -10°
24 janvier – Ce matin par un froid de -13, le Q.G. déménage pour aller remplacer le 31e C.A. à Rampont. Les routes sont comme des patinoires. Champs de neige. On gèle. Rampont dans un trou donne un aspect de montagne. Bois sur la hauteur séparée par espaces neigeux. Q.G. à l’ancienne presbytère au pied de l’église. Vielles baraques pleines de rats. Nous couchons dans des baraques en bois perchées à flanc de coteau. Panorama pittoresque.
25 janvier – Rampont – Groupement ABC comprenant 3 divisions – 55 – 32 – 71. Je n'ai pas trop froid dans ma chambrette de bois. Il y a un bon poêle et du charbon. Mon fidèle Renier ordonnance modèle et débrouillard me l’organise assez bien. Grandeur : 3 m x 3m50.
26 janvier – Pour notre arrivée, les Boches attaquent tout le secteur au Mort-Homme, à 304, au bois d’Avocourt. Ils ne réussissent qu’au 304 où ils prennent 1 bataillon du 342 avec 500 mètres de tranchées qui formaient un saillant dans leurs lignes. Les tirs de barrage et de destruction s'entendent tout la journée sans discontinuer.
27 janvier – Le froid continue. L’huile gèle dans les moteurs d’auto et d’avion. Il fait plus de -15° la nuit et le vent souffle en tempête. La 32e D.I. se prépare à reprendre les bouts de tranchées perdus, demain dans l’après-midi.
28 janvier – La préparation de l’artillerie est insuffisante ; pas assez de munition et trop peu prolongée. Aussi à juste raison, les fantassins ne sortent pas. Régis du C.A. qui était allé sur place rétabli certains renseignements un peu exagérés dans la vérité des faits. Beau temps mais très froid. Toutes nos autos de liaison restent en panne sur les routes où dans certains creux le vent a accumulé la neige.
29 janvier – Toujours froid. Beau temps. Quelques traits pour illustrer la vie intime et faire mentir certains côtés du caractère du général Grossetti. Parti à Paris avec son auto, avait dans la capitale acheté un fanion tricolore avec la cravate en haut de la hampe qui est l’insigne des commandants d’Armée, et il s'est servi de cette voiture pour aller dans les restaurants chics avec sa femme le soir. Les chauffeurs militaires attendaient fort tard sa sortie. Cet homme avec ses goûts d’ostentation, d’orgueil et de vanité avait l’air d’un satrape. La roche Tarpéienne n'est souvent pas éloignée du Capitole.
30 janvier – Aucun indice sur les idées de l’ennemi au sujet de sa prochaine offensive. Les journaux parlent toujours d’une attaque par la trouée de Belfort et la suisse jurassique sur la haute vallée de la Saône de façon à prendre de revers notre système de défense actuel ?
30 janvier – En Roumanie, les Bulgaro-Boches sont toujours devant le Pirée. En Grèce, le roi Constantin ne voyant pas arriver à son secours son impérial beau-frère, se décide à nous accorder satisfaction en retirant ses troupes dans le Péloponnèse et en présentant des excuses officielles pour son attentat du 1er décembre.
31 janvier – Avec la neige qui recouvre le sol, les photos d’avion donnent les organisations ennemies avec une très grande précision car les tranchées occupées, les pistes remontent noir sur blanc. De même, le moindre travail devant un abri fait une tâche sur la neige. Dans les guerres futures, il y aura toute une théorie à faire et à créer contre la défense des photos aériennes.
1er février – Pour la 1ère fois, notre communiqué parle d’avions canon qui ont tiré 50 obus sur des bivouacs ennemis.
La 55e D.I. quitte notre groupement, remplacée par extension du front de la 32e. Nous devenons de plus en plus le secteur peu intéressant à qui l’on refuse troupes, munitions, matériel. Le secteur de Verdun a vécu jusqu’à nouvel ordre.
La capitaine Roton qui a visité les tranchées de 1ère ligne du Mort-Homme, du 304, reconnait qu’elles n'existent que sur le papier ; seules des patrouilles y circulent la nuit et quelques tirailleurs les occupent. Il y a loin de la réalité au bric-à-brac figuré sur le plan directeur.
Le froid continue fort vif.
2 février – Les Boches paraissent aux abois. L’initiative de l’Angleterre d’armer les bateaux de commerce et la note des Etats-Unis qui les admets dans leurs ports les a rendus furieux. En attendant, les prochaines offensives sur terre, il faut éviter l’enthousiasme des populations allemandes et les aider à rapporter les tiraillements de la famine par l’idée que les Alliés souffrent autant qu’eux grâce au blocus obtenu par leurs sous-marins. Aussi le chanceux Bethmann a-t-il envoyé aux neutres une proclamation d’une guerre sous-marine à outrance. L’Allemagne affamée prétend par le blocus, obliger l’Angleterre à la paix. Entre autres, Bethmann dit ceci :
Les intentions d’anéantissement de nos ennemis ne peuvent pas être exprimées plus fortement. Nous sommes provoqués à un combat à outrance. Nous acceptons la provocation. Nous mettrons tout en jeu, nous vaincrons.
Une guerre sous-marine nous rapprochera-t-elle ou non d’une paix victorieuse ? Tout moyen disais-je en mars qui pourrait abréger la guerre est le moyen le plus humain, même le moyen dépourvu d’égards, qui nous conduira à la victoire rapide doit être appliqué.
À l’automne dernier on n'était pas encore au point, mais aujourd’hui le moment est venu où nous pouvons risquer cette entreprise avec les plus grandes chances de succès. Nous ne pouvons attendre une époque plus tardive.
L’ensemble de la situation militaire nous permet et donc de prendre sur nous toutes les conséquences que pourrait entraîner la guerre sous-marine à outrance et puisque cette guerre, quoiqu’il arrive est le moyen de nuire de la façon la plus grave à nos ennemis, elle doit commencer.
L’amirauté et la flotte de haute mer ont la ferme conviction, appuyée pratiquement par les espérances de la guerre sous-marine de croisière que l’Angleterre pourra être amenée à fuir la paix par ce moyen. Nos alliés adhèrent à nos vues. L’Autriche-Hongrie se joint aussi pratiquement à notre action.
On sent dans presque chaque ligne de la longue déclaration de Bethmann le parti pris d’humilier l’Amérique. Les apparences ne sont même plus ménagées – et l’Allemagne – déchire les engagements pris le 4 mai 1916 envers les Etats-Unis. Que va répondre la pacifiste illuminé Wilson ? Ci-dessous, quelques extraits des principaux journaux américains, anglais, français.
3 février – Dans la nuit, -16° dans un endroit abrité du vent du Nord. Le capitaine Mendigal part pour suivre des cours et être nommé dans un 4e bureau d’armée. De même, Charton l’automobile va commander un parc de réparation à Charmesion.
4 février – Une circulaire veut que nous portions continuellement nos boites à masques à gaz pour parer à tout bombardement aux gaz.
Le froid se maintient très vif. Cette nuit, -17° à l’abri du vent. Au déjeuner, le vin était gelé dans les bouteilles.
À 18 heures, l’Armée nous apprend la rupture diplomatique entre les Etats-Unis et l’Allemagne. Tous nous réjouissons car c'est un grave échec pour les Boches et il faut qu’ils soient bien affamés par le blocus pour en arriver à ces positions extrémistes ? La déclaration de guerre s'en suivra-t-elle ? Les autres neutres suivront-ils cet exemple ? La baisse du Mark va s'ensuivre, n'étant plus soutenu par les financiers américano-boches. Tous ces jours-ci la crise ne s'est pas accentuée. Les neutres ont protesté pour la forme, mais aucun fait de guerre ni de rupture diplomatique n'a eu lieu. Les Boches au mépris du droit des gens ont retenu quelques jours M. Gérard, ambassadeur des Etats-Unis sans vouloir lui donner son passeport. Ils ne reculent plus devant aucune vexation, et ils entrent en lutte désespérément contre le genre humain. Par le déchainement de leur barbarie ils se mettent d’eux-mêmes au ban de l’humanité, et honnis de tous, la reprise de leur commerce sera d’autant plus difficile.
Tous ces jours-ci, le nombre de bateaux coulés a été assez considérable et cela gênera quelque peu nos trop grandes importations. Carte de sucre, suppression du pain, puis fermeture des pâtisseries, des théâtres, plusieurs fois par semaine. Aussi, prenons-nous quelques mesures de réglementation. Réduction de l’éclairage, limitations de même dans les restaurants, ne un mot, d’excellentes mesures qui feront sentir un peu au pays que l’on est en guerre.
C'est Herriot, député maire de Lyon qui dirige le ministère de l’Alimentation.
Aujourd’hui, j'ai parié avec Régis 10 bouteilles de Champagne que la guerre serait finie en décembre prochain. Je ne crois pas qu’elle puisse se prolonger au-delà de la campagne d’été ou d’automne. Un 4e hiver de guerre nous semble impossible, car alors, l’Europe serait bien bas au point de vue financier. Rien ne laisse encore prévoir de notre côté la reprise de l’offensive. Patientons et ayons confiance.
13 janvier – Le maréchal Douglas Haig interviewé a dit :
Je crois que l’année qui commence verra se produire militairement parlant, la décision.
15 janvier - Capitaine Desouches du service auto, camarade charmant, très serviable nous quitte pour Versailles, souffrant depuis longtemps d’une entérite. Remplacé par le capitaine Bernier-Texiet.
16 janvier – Je reçois une lettre de Denise me priant de lui apporter à ma prochaine permission du pétrole et du sucre dont on manque tout à fait à Villefranche.
16 février – Enfin le dégel commence et la neige et le froid disparaissent graduellement.
17 février – Le colonel Mochet remplace le colonel Beyrel à l’artillerie. Les Allemands prétendent dans leurs journaux avoir abattus à ce jour 1 000 avions alliés. Cela parait du bluff. La guerre à outrance sous-marine coïnciderait avec une attaque par terre et aurait pour but de supprimer aux Anglais tout ravitaillement en munitions. La guerre paraît de plus en plus inévitable entre Allemagne et Etats-Unis. Wilson demande à l’Autriche de préciser son attitude au point de vue guerre sous-marine. Deux navires américains, le Rochester et l’Orléans sont partis pour Bordeaux au su des Boches. Les torpiller ont-ils ? Les paris vont leur train en Amérique. Les journaux parlent depuis quelques jours de concentration de troupes et de matériel dans le Trentin ? Hindenburg projette-t-il une nouvelle offensive contre l’Italie ? En un mot, l’on ne sait rien. Les uns parlent de notre offensive avant la fin mars. D’autres pour Avril ou Mai.
La boue a succédé à la neige. Les secteurs du 304 et du Mort-Homme où les boyaux de communications n'existent pas sont impraticables de jour car les Boches tiennent les crêtes de ces deux positions et ont des vues sur toutes nos positions. La 71e va être remplacé par la 31e. La 132e D.I. va être en réserve de secteur.
27 février – Les Anglais enregistrent de beaux succès sur l’A… où inondés de gaz, dit-on, les Boches ont abandonné d’importantes positions sur 3 km en profondeur et 17 km de front.
D’autre part, l’Orléans est arrivé à Bordeaux où on reçoit avec éclat l’équipage. Est-ce reculade ou défaut de vigilance de la part des Boches ?
M. Teyssèdre passe à la Ve Armée à Jonchery. Je reste le dernier officier de l’E.M. du début.
12 mars – Retour de permission. Sept jours plus quatre jours de délais de route. Paris, Villefranche, Sète.
Réduction du nombre de trains. Le voyage Toulouse-Paris dure 3h de plus à 14h. Les express ne s'arrêtent plus à Villefranche, ce qui fait perdre quelques heures à Toulouse. Voyagé en venant avec notre député, Belinguier . Prétend que nous allons vers l’anarchie. Tout le monde dirige, commande ; personne de compétent ni de responsable.
Pierre Belinguier - Né le 24 juin 1870 à Villefranche-de-Lauragais, Décédé le 8 septembre 1926 à Renneville.
Source : Assemblée nationale
Grandes difficultés de ravitaillement en blé, car taxé à 33 Fr. alors que le maïs en vaut 40, le paysan nourrit ses poules avec le blé et ensemence plus de maïs.
La guerre sera finie à l’hiver, dit notre député, sinon, nous voterons pour la paix et je ne serais pas le seul de cette opinion, ajoute-t-il. Mais croit-il que la France soit isolée dans le monde et ne dépend pas un peu de ses alliés ?
Dans le midi carte de sucre, 750 gr par personne et par mois ; carte de pétrole. Les poulets se vendent 14 f. la paire, un pigeon 3 à 4 f. les œufs 2 f. 50 la douzaine. L’on en est au pain rassis.
La question des deux plats dans les restaurants n'a pas changé grand-chose, l’on est un peu plus exploité.
Paris, morne la nuit. Les magasins ferment à 6 heures. Peu de gens circulent le soir dans les ténèbres des rues très peu éclairées. Par pénurie de matériel, la compagnie du midi enlevait la 2ème voie sur sa ligne Toulouse-Bayonne pour l’envoyer aux Armées, sans doute pour l’AL VF.
13 mars – Les Anglais ont pris Bagdad. Belle revanche de leur défaite de Ctésiphon l’an passé. Les Américains font un pas de plus vers la guerre, Wilson ayant notifié aux ambassadeurs que les bateaux américains sortiront montés par des équipages de guerre. L’on prétend de plus en plus que c'est l’Italie qui recevra le choc Allemand cette année ! Mais pour cela, afin de pouvoir éviter une attaque sur le front franco-anglais, les Boches devraient reculer la plus grande partie de leurs lignes à 15 km en arrière ! Nouvelle attaque néanmoins contre Briand.
15 mars – Sur une question de l’aviation avec séance secrète, Lyautey donne sa démission. Regrets unanimes car il avait su résoudre habilement la crise du commandement. Comment va-t-on s'arranger si c'est un civil qui prend le ministère ? On parle d’une refonte du ministère Briand qui contenterait les mécontents les plus importants avec quelques portefeuilles.
Les Boches donnent de nos côtés l’impression d’un recul. Certaines positions comme la côte du Poivre ont été abandonnées.
16 mars – Ce matin, par un temps ensoleillé un avion boche nous brule trois saucisses. L’observateur de la 78e, le nôtre, est mort couvert par le ballon enflammé. Notre observation doit gêner fortement les Boches ? La Chine elle-même a rompu avec l’Allemagne. En Russie, la situation intérieure est mauvaise ; troubles à Petrograd ; Douma prorogée.
En ligne, la 32e D.I. qui a changé de général (Daydrein au lieu de Bouchez) est remplacée par la 132e général Rinault.
17 mars – La Révolution a éclatée en Russie, la Douma demande l’abdication du Tsar.
18 mars – Nicolas signe son abdication en faveur de son frère Michel ne voulant pas se séparer de son fils. Il reconnait en termes élevés que seul le salut de la Russie importe et qu’il s'incline devant la volonté nationale. Michel reconnait le pouvoir du nouveau gouvernement et soumet son élévation au trône au suffrage universel et demande l’élection d’une assemblée constituante.
Ce mouvement révolutionnaire nous semble favorable étant dirigé contre l’incapacité et les lenteurs de la bureaucratie et contre l’influence allemande des Sturmer, Protopopoff, Reinen Kampf, etc.
Dès les premiers jours l’armée et ses chefs avaient adhéré au mouvement.
En France, Briand démissionne. Les Boches commencent entre Avre et Dise leur recul vivement pressé, semble-t-il, par la Ière et IIIe armée. Nous prenons Roye, Lamigny, Noyon. Peu de prisonniers, avance de 8 km sur 20 km.
Sur notre front, vive attaque sur 304 et Avocourt avec gaz et flamenverfer. Nous reculons jusqu’au ravin de Béthincourt. Situation peu claire, peu de renseignements.
8 mars – Le recul Boche vers la Somme continue. Des éléments de cavalerie suivent la retraite ennemie. Le communiqué de la nuit parle d’un recul de 20 km au nord-est de Noyon. Les Boches vont-ils aller jusqu’à la ligne Hindenburg repérée par nos photos d’avion et faite par Laon, Saint-Quentin, Cambrai. Le recul atteint aujourd’hui les environs de Soisson, nos troupes occupent le plateau de Croÿ.
Hypothèses au sujet du recul :
Nous attendre sur des positions fortifiées à l’avance et nous attaquer avec des forces supérieures en plein mouvement.
Raccourcir leurs lignes pour se constituer une grosse masse de manœuvre qui leur permettrait d’attaquer l’Italie.
Crainte d’un enveloppement à la suite des offensives que nous préparions depuis plus de trois mois sur le plateau de Nourose, Craonne et le front de l’Aisne.
Reculs successifs pour éviter une décision sur notre front jusqu’à l’hiver
L’attaque d’hier n'a laissée qu’une centaine de mètres aux mains des Allemands du côté d’Avricourt. Nos feux de barrage et de contre-préparation leur ont laissé de grosses pertes. Le recul boche nous a livré hier Noyon – Péronne – Nesles – Chaulnes – 64 villages.
En Russie, Milioukov, le nouveau ministre des Affaires étrangères parle de guerre à outrance jusqu’à la victoire finale, fidèle au pacte qui l’uni individuellement à ses glorieux alliés. L’aube de la victoire commence à luire.
20 mars – Nous avons continué à progresser au nord de Ham, Chauny est à nous ainsi que la vallée de l’Ailette. La progression est plus lente. C'est un ministère Ribot qui est formé avec un ramassis de noms sans éclat. L’impression n'est guère bonne. C'est Painlevé à la guerre et cela repose la question de l’organisation du G.Q.G.
20 mars – L’attaque boche d’avant-hier nous a couté 25 officiers et mille hommes tués, blessés ou disparus. C'est beaucoup pour une crête dont nous n'avons plus que les contre-pentes. Des incendies nombreux en Woëvre semblent annoncer un futur repli boche au saillant de Saint-Mihiel.
21 mars – Le communiqué annonce ce matin une nouvelle avance. Nos armées sont à 7 km de Saint-Quentin et nos avant-gardes ayant pris l’important nœud de voies ferrées de… ont passé le canal de Saint-Quentin. Attention, nous approchons de la ligne Hindenburg.
25 mars – Malgré le Boches, notre progression a continué entre… et Somme où nous occupons les abords de la Fère inondée, au-delà de l’Ailette où nous atteignons la basse forêt de… et au nord-est de Soisson du côté de Verny – Margival.
Les Anglais ont atteint Roisel au nord-ouest et sont aussi en bordure de la ligne Hindenburg au sud-est d’Arras qui semble servir de pivot au recul Allemand.
En Russie, la révolution se stabilise quoiqu’on ait arrêté la famille impériale. Alexis est généralissime.
En Amérique, l’on se prépare ouvertement à la guerre. Ce pays nous fournirait l’appui de leur flotte, fabriquerait des munitions et nous ouvrirait un crédit de 5 milliards pour…
La crise du ravitaillement sévit de plus en plus en Bochie et les ministres eux-mêmes reconnaissent à la tribune du Reichstag la difficulté du moment.
26 mars – Aujourd’hui il fait froid, il neige abondamment. Tout est blanc, que de souffrances pour les troupes qui font mouvement et qui cantonnent dans les régions dévastées de Picardie.
Le bon ami Mendigal du 1er hussard part dans un 4e bureau d’Armée.
31 mars – Avant-hier, après une forte préparation d’artillerie nous avons essayé de reprendre des éléments de tranchées perdues le 18. D’abord succès, mais les Boches nous le reprend par une contre-attaque.
À Salonique, en Palestine quelques petits succès. En Russie, c'est Rousky au lieu d’Alexis qui serait généralissime. Les ouvriers russes font appel aux soins boches pour mettre fin à la guerre en renversant Guillaume. Nombreux manifestes parlant tous de la guerre à outrance.
Des gars parlent d’une offensive d’Hindenburg contre Petrograd pour profiter du désarroi causé par la révolution. Ne serait-ce pas au contraire intensifier l’effort russe ?
Wilson prépare un message de déclaration de guerre pour lire devant le congrès le 2 avril.
Le 27 mars 1917
Mon cher Langautier
Que devenez-vous ? Moi je suis dans la brousse sous la tente, mangeant peu et dormant mal, souffrant de tout… mais pleinement heureux de faire la guerre, la vraie guerre qui ne ressemble en rien à la monotone existence du front français. Bivouaqué devant le splendide panorama de l’Olympe sous le soleil torride ou dans un vent furieux, je fais des études de mœurs et de caractères en fumant mon calumet. Je ne regrette rien de la Meuse ou de la Marne. Je vous souhaite de venir nous retrouver, je vous sais d’esprit assez curieux pour supposer que ce pays-ci vous plaira. Peut-être rencontrerez-vous aux environs de Reims mon beau-père que j'ai laissé là-bas. Vous me ferez plaisir en me racontant ce que vous faites.
Cordialement
Cormouls
Etat-major de l’infanterie, secteur 515
Voici à titre documentaire la ration d’un Boche, et pourtant ils tiennent !
Devant le Sénat la question du resserrement du blocus est discutée. L’on apprend ainsi qu’en mars 1916, il n'y avait pas de service gouvernemental du blocus. ça marchait presque au petit bonheur, il n'y avait aucune coordination entre les alliés. Le Sénat invite le gouvernement à resserrer les fournitures livrées aux neutres : Suisse, Hollande, Danemark, Scandinavie. Enfin !! Et dire que dès 1915 l’on comptait sur les effets du blocus !
Enfin le Sénat se décide à flétrir les crimes boches et à voter des sanctions.
2 avril 1917 – Gustave Hervé dans La Victoire commence à demander la déchéance des Hohenzollern. C'est peut-être par-là que finira la guerre en même temps que la fin du régime militaire prussien !
Les Anglais continuent à progresser au-delà d’Hendicourt – Vernand, vers le Catelet.
Nous au sud de l’Ailette nous avons pris Vauxaillon avec une centaine de prisonniers et 5 mitrailleuses.
Jean Herbette dans l’Echo de Paris dit :
L’heure est venue pour les gouvernements alliés de déclarer solennellement qu’ils ne traiteront jamais avec cette dynastie criminelle et incorrigible. Peu à peu, cette idée se fera jour et nous arriverons à briser l’impérialisme prussien en renversant le trône des Hohenzollern.
Wilson a lu son message reconnaissant l’état de guerre entre l’Amérique et l’Allemagne. Il a surtout insisté qu’il luttait contre le régime autocrate qui régissait le peuple boche et non contre le peuple lui-même.
7 avril – C'est fait, l’Amérique est en guerre. Le Sénat et la Chambre américaine l’ont déclarée à une grosse majorité. La France pavoise. Ce nouvel allié entrant en guerre au moment où Hindenburg a rétréci son front par raison stratégique marque un véritable tournant dans la guerre. Dès à présent l’on peut envisager l’écrasement final de l’Allemagne et la fin de la dynastie prussienne. Encore quelques soubresauts de la bête aux abois ! Que peut-elle durer encore ? Un an, cela parait un maximum. Pourtant avant la dévastation de la Somme j'avais parié la fin de la guerre en 17 ; maintenant je crois volontiers que ce ne sera réellement fini qu’en 1918 ? Ne devons-nous pas compter avec la guerre sous-marine ! Les Boches disent dans leurs journaux avoir coulé en février 780 000 tonnes et toute la flotte allemande retenue dans les ports des Etats-Unis ne représente que 650 000 tonneaux !
Ces jours-ci, les Boches ont remporté un succès local en Russie sur le Stokolv avec 10 000 prisonniers.
En France, ils ont réussi quelques coups de main à Maisons de Champagne, au Govert près de Reims, à la cote 304. Opérant avec leurs troupes de choc, ils donnent encore l’impression d’une force redoutable. Mais je crois qu’à part ces troupes spéciales, l’ensemble de leurs troupes est un peu démoralisé. Attendons avec confiance nos attaques de grande envergure à Craonne, en Champagne, autour de Verdun et à Saint-Mihiel, et à ce moment-là, nous verrons où en est la véritable situation.
Voici quelques extraits de journaux sur la décision américaine. Dans toutes les opinions c'est l’optimisme qui est en faveur, et il y a de quoi.
8 avril – Le communiqué dit qu’à la suite d’une incursion dans les lignes ennemies sur notre front, nous avons remporté du matériel. Qu’en disent les poilus qui ont pris une pelle et quelques grenades !
9 avril – Le mauvais temps continue. Encore de la neige aujourd’hui ; cela ne favorise guère les offensives prochaines. Dans notre secteur, la 132e D.I. nous quitte, relevée par les troupes de la 32e qui employées à des travaux en première ligne n'auront pu avoir de repos. Ce n'est pas fait pour donner le moral aux fantassins !
En Prusse, Guillaume recule devant son peuple et promet des réformes électorales pour après la guerre. C'est peu. En Russie, la situation reste assez trouble. Le pouvoir exécutif et législatif est détenu par 4 groupes ; le gouvernement provisoire, le comité exécutif de la Douma ; le comité militaire ; le comité des délégués ouvriers et soldats. Ces comités empiètent les uns sur les autres et les éléments ouvriers voudraient entraîner les partis plus modérés vers des solutions extrêmes. C'est le parti rouge ou jacobin de la révolution. Pourvu que la discipline se maintienne dans l’armée ?
15 avril – Tous ces jours-ci, nous avons suivi avec joie l’avance anglaise autour d’Arras. Très fortement organisées, les crêtes de Vimy et d’Angres formaient le pivot de la position Hindenburg. À la 1ère attaque, les Anglais avaient entamé fortement les lignes boches. 10 000 prisonniers, 80 canons, 150 mitrailleuses, etc… mais les Boches résistaient encore sur la crête de Vimy. La ténacité anglaise eut raison de leur résistance opiniâtre. Retardés par le mauvais temps, les Canadiens après un arrêt de 3 jours reprennent l’attaque et culbutèrent dans la plaine les troupes boches. Douai était en vue, Lens fortement encerclé. 3 000 prisonniers, 100 canons, 84 mortiers, 100 mitrailleuses. Et cette offensive n'est pas isolée car les Anglais progressent aussi entre Arras et Saint-Quentin vers le bois d’Avricourt, pendant que nous attaquons vivement entre Somme et Vise et vers le massif de Saint-Gobain. Si le beau temps continue nous nous attendons à une offensive depuis Reims jusqu’en Champagne.
La Russie renoncerait à Constantinople, une délégation des ouvriers de Petrograd se rencontre à Stockholm avec Adler l’Autrichien et le Scheiderman le Boche social-démocrate. Voilà le danger de la révolution russe qui reste ouverte à la propagande allemande pour la paix et le démembrement russe en républiques indépendantes ?
16 avril – L’offensive française a lieu à 6 heures. Vers 10 heures de bonnes nouvelles arrivent. Juvincourt, Corbeny, Courtecon sont pris. Mais les Boches qui étaient préparés contre attaquent violement et reprennent ces villages. Voici le communiqué :
Entre Soisson et Reims après une préparation d’artillerie qui a duré plusieurs jours, les Français ont attaqué ce matin les lignes allemandes sur une étendue de 40 km. La bataille a été acharnée sur tout le front où les Allemands avaient groupé des forces très importantes et une nombreuse artillerie. Partout la vaillance des troupes françaises a eu raison de l’énergique défense de l’adversaire. Entre Soisson et Craonne toute la position allemande est tombée au pouvoir des Français. À l’est de Craonne nous avons enlevé la 2e position allemande au sud de Juvincourt. Plus au sud, les français ont porté leurs lignes jusqu’aux lisières ouest de Berméricourt.
De violentes contre-attaques déclenchées à plusieurs reprises au nord de la Ville au Bois ont été brisées par les feux des français avec des pertes considérables pour les Allemands. Plus de 10 000 prisonniers ; un important matériel.
La bataille semble engagée sur un terrain choisi par nous, et à notre heure ; les boches ne reculeraient que battus. Le mauvais temps poursuit nos offensives ; toute la nuit il pleut à torrent. Cela ne préparera pas l’attaque qui doit se déclencher en Champagne ces jours-ci.
17 avril – Hier, nous attaquons entre Auberive et Saint-Souplet-sur-Py à l’est de Reims et malgré le mauvais temps, nos fantassins s'emparent d’une partie des crêtes fortifiées du massif au sud de Moronvilliers (m… cote 257). 2 500 prisonniers, du matériel. C'est bien la grande bataille engagée. Le communiqué boche dit qu’en présence d’une pareille préparation d’artillerie (plus de 10 jours) qui nivelle les positions et transforme les terrains en vastes chaos d’entonnoirs profonds, la défense sur une ligne rigide n'est plus possible et qu’on ne combat plus pour une ligne mais pour toute une zone fortifiée par une série de retranchements.
Les Boches semblent abandonner leur ancienne directive qui consistait à prendre des gages à coups d’hommes ; leur mot d’ordre semble être devenu d’abandonner du terrain pour économiser des soldats.
18 avril – Le temps s'est légèrement amélioré. Nous avons réduit certains centres de résistance et occupé Vailly-sur-Aisne, Condé-sur-Aisne, etc… 17 000 prisonniers, 70 canons, voilà nos gains de 3 jours. Et pendant ce temps, des émeutes causées par la faim éclatent à Berlin, Leipzig.
19 avril – Dans un bois fortifié près La Ville au Bois l’on a fait 1 300 prisonniers et pris 180 mitrailleuses. Quelle débauche de matériel et que de difficultés à vaincre dans cette guerre de positions. Le 18 arrivée du capitaine Petit revenant du Corps de Salonique.
20 avril – Assisté à l’exécution d’un condamné de droit commun qui s'était révolté contre ses gardiens.
En ce qui concerne les bataillons d’Afrique, les "joyeux", les "bat d’aff", ils se composent de Français ayant eu des ennuis avec la justice ou ayant fait actes d’indisciplines à l’armée. Voilà comment les décrit le vétéran Jacques Péricard : "Les Joyeux, on le sait, est le nom populaire des soldats incorporés aux bataillons d’Afrique; ils sont uniquement recrutés, soit parmi les jeunes gens qui ont passé devant les tribunaux avant leur incorporation, soit parmi les soldats qui commettent des fautes graves contre la discipline. Nous n’irons pas jusqu’à dire, comme certains l’on fait, que les pires bandits furent les meilleurs soldats; c’est une mauvaise préparation au sacrifice suprême que cette inaptitude aux petits sacrifices qu’impose la vie de chaque jour. Disons simplement que beaucoup de fautes sont dues à la faiblesse et à l’étourderie, plus qu’à une volonté ferme; disons également que beaucoup d’hommes, gravement coupables devant la loi humaine, cultivent en un coin secret de leur âme des vertus qui pourraient faire honneur à plus d’un honnête homme."
Canonnade sur les fronts actifs franco-anglais. Contre-attaque boche repoussée, nous progressons du côté de Sancy (nord-ouest de Vailly-sur-Aisne). Coulé par sous-marins en mars, 850 000 tonnes disent les journaux boches. Joffre va en mission en Amérique.
23 avril – La brigade de cavalerie est mise à la disposition de la IVe armée nous revient. C'est donc que l’on renonce pour le moment à une percée en Champagne !
24 avril – Contre-ordre, cette brigade est dirigée sur Pierrefitte (environs de Saint-Mihiel).
But de ces notes
25 avril – Le but de ces notes, c'est de connaître l’état d’esprit dans lequel l’on se trouvait à cette date, à la suite de certains événements mondiaux ou à la veille de certaines offensives nationales. C'est de savoir aussi où j'étais et quels sont les grands évènements auxquels j'aurai participé ; de raconter succinctement ce que j'aurais vu et entendu pour fixer plus tard mes souvenirs et me remémorer certains faits ou mon opinion à telle date. Ce n'est pas tant une nomenclature de ma vie journalière forcément monotone pendant ces longues périodes de stabilisation, qu’un réseau de faits et opinions dans leur ordre chronologique.
Depuis huit jours nos communiqués sont assez vides malgré les luttes d’artillerie qu’ils annoncent sur nos fronts d’attaque. Les bruits courent que nous avons reçu une tape formidable du côté de Craonne. Tout le 1er corps aurait été amoché. Il est vrai que les Boches attendaient notre attaque et connaissaient nos méthodes, auraient cherché à en atténuer l’effet. Hier l’Œuvre disait dans sa manchette : Allons-nous avoir un autre maréchal ?
L’on parle d’une nouvelle crise dans le commandement Pour qui savait ce qui s'était passé à Verdun où Pétain ayant la haute main venait chaque jour diriger les opérations et prendre les décisions, où Mangin avait été l’habile exécuteur, Nivelle n'aurait pas dû en retirer cet éclat. Déjà le 13 décembre je disais en résumant les bruits en cours : Le choix aurait pu être plus heureux, Nivelle ne donnant l’impression d’une grande envergure. Il semble que ces évènements aient prouvés la justesse de ces prévisions. C'est Nivelle qui avait décidé où… (un jour à Berry-au-Bac en conférence sur le front avec Pétain) d’élargir le front d’attaque le trouvant trop étroit, et il l’étendit vers l’ouest devant ces crêtes et vallonnements, si durs pour qui les connait, du Laonnois. C'est sur ce front qu’aujourd’hui nous avons reçu la tape.
Enfin, autre tuyau : depuis le jour de notre offensive, deux conférences de généraux ont eu lieu ; non au G.Q.G. où Nivelle commande mais GAC à Chalon où aussitôt l’élève Nivelle comme un petit garçon fouetté est allé demander conseil à Pétain sur ce qu’il fallait faire !
L’on dit enfin que notre aviation a été très inférieure et que tous nos réglages n'avaient pu être faits soigneusement et cette infériorité de l’aviation est due pour beaucoup à la coterie d’un certain officier du G.Q.G., Barrès qui pendant de longs mois à su imposer sa suffisance et son incompétence.
Il semble que l’on veuille compter maintenant sur les effets du blocus et des mouvements ouvriers en Bochie. Quelques jours avant l’attaque Nivelle reconnaissait qu’il ne savait rien sur les intentions futures d’Hindenburg alors que les Boches savaient fort bien que nous allions les attaquer sur l’Aisne et en Champagne et cela depuis décembre 1916 puisque les préparatifs du repli datent de cette époque-là.
Enfin, dit-on, une vingtaine de nos tanks gisent éventrés entre les deux lignes ! Heureusement qu’il ne faut pousser les choses trop au noir et que si tout n'est pas parfait du côté Alliés, tout n'est pas rose en Bochie ou de plus en plus le peuple à l’air de s'agiter. Les Anglais ont repris avec leur offensive et malgré des attaques boches ont progressé sur la Scarpe et aussi à l’est d’Epechy où ils ont atteint l’Escaut près de Vendhuile. Cela inquiète les Boches et pour la 1ère fois leur communiqué dit :
L’allemand qui est au front sait qu’à l’arrière chacun fait son devoir et travaille sans répit pour la seconder là-bas, dans ce dur combat à la vie à la mort. Il s'agit d’être ou de ne pas être. »
En France, incohérence dans le gouvernement où Violette ministre du ravitaillement après avoir institué 2 jours sans viande, la supprime tous les soirs, mais rétablit des plats facultatifs. Pareil fait s'était passé au sujet des gâteaux frais. Toujours des règlements édictés sans étude préalable et sans entente avec les groupements compétents. Institution de la carte d’essence, mais l’auto du ministre et secrétaires n'est pas supprimée,… Et l’alcool donc, est-ce que l’on ose y toucher ?
26 avril – Il a fallu que les Etats-Unis entrent en guerre pour que l’on se décide à resserrer le blocus et hâter par la disette l’effondrement du militarisme prussien. Et sans doute les Etats-Unis vont poser ce dilemme aux neutres ; où bien ils cesseront de ravitailler l’Allemagne ou bien ils cesseront d’acheter outre-mer. Prenons par exemple la Hollande et regardons de quelles quantités elle a ravitaillé les Boches.
Grâce à notre double offensive franco-Anglaise, les Italiens se sentent à l’abri de l’attaque allemande sur le Trentin. L’an passé pour l’attaque du 14 mai on constate l’arrivée de l’infanterie et de l’artillerie autrichienne dès les premiers jours de mars. Tous ces préparatifs considérables entrepris cet hiver semblent abandonnés. Que va donc faire l’Italie ? Quelle rôle doit-elle jouer dans le plan de l’entente ? En Amérique, Joffre et Viviani sont reçus triomphalement.
28 avril – En Champagne et sur l’Asine nos pertes ont été de 15 000 tués, 60 000 blessés, 3 500 prisonniers. Ces chiffres qui n'ont rien d’officiel passent de bouche en bouche.
À Paris, gros mécontentement. Raffin-Dugens voudrait mettre en accusation Mangin ? Les parisiens et le 17e corps ont trinqué dur parait-il. L’on parle d’une nouvelle crise du commandement et Pétain serait enfin nommé maréchal !!
En tout cas, les journaux ont reçu le mot d’ordre et depuis deux jours ils cherchent à nous expliquer le but de nos attaques. C'est d’abord pour éviter l’attaque boche qui était prête. C'est qu’ensuite Nivelle espérait percer avec sa tactique d’artillerie d’arroser les 3 lignes de résistance à la fois. Ce n'était pas très nouveau, aussi les Boches semblent nous avoir attendus en partie au-delà de leurs premières lignes où ils avaient laissé peu de troupes avec beaucoup de mitrailleuses.
À New-York, Wilson recevant notre mission déclare que la paix ne pourra être signée par aucun Hohenzollern. Nous n'en sommes pas encore là ? Alors ! Les Anglais clament partout que les sous-marins menacent le commandement de la mer dans l’effet pratique qu’ils attendent, soit pour remplir les greniers, soit pour approvisionner nos usines de munitions, soit pour transporter leurs troupes et tout ce qui leur est nécessaire.
Aussi Lloyd Georges… des bateaux et encore des bateaux et c'est une des premières choses que l’on va demander à l’Amérique, la construction intensive de transports. Sinon, quand l’armée américaine serait prêt il n'y aurait plus de bateaux pour les transporter. C'est le dernier espoir des Boches et si l’on n'y prend pas garde, cette pénurie de bateaux pourrait compromettre la guerre. Voilà ce que Balfour est chargé de dire aux Américains pour leur demander le maximum de rendement. Lloyd Georges dans un discours où il parle de la guerre sous-marine et dit :
Nous devons procéder, si nous voulons assurer notre sécurité parfaite comme si nous doutions qu’il existait un moyen quelconque de nous débarrasser des sous-marins. Si l’Allemagne croit qu’en tenant jusqu’en 1918 il peut vaincre en nous affamant il tiendra mais s'il sait que plus il tiendra plus il aggravera sa propre situation, alors la paix arrivera beaucoup plus tôt. Pour cela, il faut que le public s'astreigne à se rationner, que les fermiers et les travailleurs cultivent la terre, que les chantiers de constructions maritimes fassent leurs meilleurs efforts pour augmenter le nombre de nos navires. Nous pourrons alors défier les plus grands périls.
29 avril – Pourquoi si les Anglais remportent des succès en Picardie ? Un député a dit à la chambre des communes :
La première semaine de la récente offensive a provoqué une dépense d’obus double de celle de la première semaine des combats de la Somme. La 2e semaine, celle des attaques sur Lens a couté 6 fois… plus de projectiles que la seconde semaine dans la Somme.
29 avril – Aux Etats-Unis l’on vote le service obligatoire. L’Œuvre a l’air de dire sous forme d’image que la France et l’Angleterre ont débarqué le roi Constantin. Le général Verraux dans l’Œuvre explique ainsi notre demi échec en Champagne et c'est une des formes de la vérité :
La tactique Allemande consiste donc cette fois à ne laisser qu’un rideau de troupes dans les lignes avancées, à attirer l’assaillant à la suite de ce rideau en retraite assez loin pour qu’il perdit l’appui de son artillerie au fur et à mesure qu’il pénétrait dans le rayon d’action de l’artillerie adverse. La résistance élastique opposée par l’ennemi jointe à la solidité naturelles des défenses occupées par lui n'a pas permis à notre progression de s'affirmer aussi rapide et aussi ample que l’opinion l’espérait
Il y a aussi que les Boches nous attendaient et qu’ils avaient reculé leur front pour qu’on ne puisse les attaquer que là où nos généraux l’ont fait. Qu’ils avaient pu avoir une quarantaine de divisions en réserve en arrière du front ; qu’enfin notre attaque n'a pu bénéficier de la surprise.
Dalbriz se propose d’interpeller au sujet de cette offensive ratée. Voici un extrait du Figaro assez caractéristique.
Le communiqué dit que nous avons fait des prisonniers à la cote 304, oui ; deux !
30 avril – Le général Pétain est nommé chef d’état-major général au ministère de la guerre. Agé de 61 ans, c'est assurément le plus clairvoyant et le plus génial de nos généraux. C'est une sorte de généralissime technique, sans commandement. Il coopérera à l’étude du tous les problèmes que soulèvent la préparation et la coordination des opérations militaires dont l’ampleur va toujours en croissant.
1er mai – Général Herr remplacé par le général Corvisart. C'est un homme extrêmement bon, affable et cordial avec tous que nous perdons. Il nous quitte avec le regret de tous, regrettant de n'avoir pas pu cueillir avec nous les lauriers que nous aurions préparé par notre labeur de cet hiver. Ainsi du général Pétain, ce dernier a dû l’appeler auprès de lui .
Pour le conseiller Pétain s'entoure de grands experts techniques : le général Herr pour l’artillerie, le général Estienne pour les chars d’assaut et le colonel, puis général, Duval pour l’aviation
Source : PEDRONCINI, Guy, Pétain général en chef, Paris, Publications de la Sorbonne, PUF, 1974
cité par Le processus d’évolution tactique de l’armée française pendant la Grande Guerre, auteur Michel Goya.
L’on ne dit pas autant du bien du général Corvisart, très bourru et gueulard d’après les on-dit. On verra bien ! Ce ne sera pas le premier au C.A..
2 mai – Un député demande à la chambre des Communes si les pertes infligées au trafic maritime augmentent ou diminuent. Elles augmentent répond sir Edmond Carson, premier lord de l’amirauté. Ainsi donc, voilà réellement le danger et Lloyd Georges l’a très bien senti en réclamant des bateaux et encore des bateaux. La situation est très grave et les allemands qui disent que lorsque les Etats-Unis seront prêts ils n'auront plus de bateaux pour transporter leurs renforts pourraient avoir raison si nous n'y prenons garde.
L’entrée en guerre de l’Amérique ne saurait modifier brusquement la question des transports maritimes. Leur flotte est de 5 000 000 de tonnes dont 2 200 sur les grands lacs. Il reste 2 800 000 tonnes dont au moins la moitié ne fait que du cabotage local. et vu la cherté des frets, tout ce qui peut être utilisé l’est. Les chantiers construisent environ en tout 200 000 tonnes par an, mais le programme 1917 (juin 16 à juin 17) prévoit 1 000 000 tonnes. La situation peut donc se résumer ainsi : le concours maritime des Etats-Unis n'est pas immédiat mais d’ici 5 à 6 mois peut devenir extrêmement puissant.
En Angleterre, l’on a construit comme flotte commerciale en 1915 580 000 tonnes, ce n'est guère en comparaison du tonnage coulé chaque mois. La guerre durera donc tant que les Boches pourront croire au succès de leur guerre sous-marine.
Du côté de Moronvilliers nous avons gagné quelques tranchées avec 500 prisonniers et quelques canons.
4 mai – Dans la nuit, chacune de nos divisions a fait un coup de main réussi. La 32e, 4 prisonniers, 31e, 6 prisonniers. Cela nous permet de savoir qu’un coup de main boche doit avoir lieu vers le 15 ou le 16. On y veillera.
Hier, arrivée du général Corvisart. Impression d’un homme qui veut être aimable. Doit être très emporté. L’on parle de nouvelles restrictions : la soudure en blé sera très difficile. Violette parle de fermer pour le 10 patisseries et biscuiterie.
Aujourd’hui l’Œuvre met en manchette :
Ce n'est pas que l’on fut encore inquiet sur le pain. Le gouvernement avait solennellement déclaré qu’on était abondamment pourvu de blé et que le pain quoiqu’il arrivât ne serait jamais rationné. C'était une imprudence comme le prouva bien la suite des événements.
Francisque Sarcey - 1871
La Russie malgré les paroles rassurantes de M. Milionkof qui dit que la Russie restera strictement respectueuse des engagements assumés vis-à-vis des alliés et sa volonté de mener la guerre mondiale jusqu’à la victoire décisive. La situation reste encore embrouillée. Les armées travaillées par les comités révolutionnaires, que pourront-ils faire ? Sur le front italien, l’on parle d’une offensive autrichienne ? Enfin, les Anglais ont commencé leur offensive au sud de Lens, jusqu’à Croisilles. La bataille bat son plein, les Boches contre-attaquent au nord de Lens, vers Lins.
Composition de l’état-major au 1er mai 1917
Général Corvisart – Capitaine Deveuf, officier d’ordonnance
Lieutenant-colonel Moreigne, chef – Hennetout, sous-chef d’E.M.
1er bureau – commandant Mellot, capitaines Delmas, Régis, officier d’admin. Gay
2e bureau – capitaines Rivière, Pamard, interprète Dreyfus
3e bureau – capitaines de Lagonterie, Petit, Roton, lieutenants Peyré, de Seroux, Gaudin
Q.G. – commandant Gérard, lieutenant Cambes
Section courrier – capitaine de Langautier
Automobiles – capitaines Texier, Bernier
Escorte – Lieutenant Bazille, docteur Brussel
On peut évaluer à 12 millions de tonnes la jauge totale des navires alliés et neutres qui fréquentent les ports anglais. Si le taux des pertes se maintenaient au niveau de la semaine de mi-avril, la diminution mensuelle serait de près de 1 million de tonnes. En un an, tous les navires à flot seraient détruits. Il faut donc on double le taux de destruction des sous-marins ou lancer au moins 4 millions de tonnes de constructions neuves (Student of War). Si l’Angleterre et les Etats-Unis ne donnent pas leur maximum de constructions de navires de commerce, c'est le désastre économique ou pis encore, dit le Daily Telegraph du 26/4.
5 mai – Nous progressons sur la crête du Chemin des Dames ; prenons Craonne, 5 000 prisonniers. Les Anglais attaquent furieusement les tranchées Hindenburg à l’ouest de Quéant. Ils ont pris Fresnoy.
Clémenceau inaugure le parlement interallié et prononce un magistral discours, plein d’aperçus virils. Pendant ce temps-là, en Allemagne, le polémiste Maximilien Harden publie un article qu’il est étonnant de voir laisser imprimer dans les journaux allemands !
6 mai – Au parlement interallié l’on s'occupe de la question ravitaillement et défense contre la piraterie sous-marine en multipliant les petites unités, chalutiers, canonnières, dragueurs de mines. Ribot y prononce un magistral discours dont voici les extraits.
Jacques Bainville dans l’action française dit que sans doute cette guerre prendra le nom de guerre de la Nourriture, ou guerre de la Faim, car toutes les nations du monde auront des restrictions à s'imposer à ce point de vue là, et le vainqueur sera celui qui aura su le mieux utiliser toutes ses ressources et les économiser aussi pour tenir quelques semaines de plus que son adversaire et nous permettre de continuer nos efforts.
Tout ceci était possible, la situation des puissances et des alliances ne changeant pas. Mais d’ici là que feront Russie, Turquie, Bulgarie ou même Autriche. Eléments qui peuvent bouleverser les plus surs pronostics.
7 mai – Q.G. à Rampont près Verdun – Milhaud dans le Rappe écrit un article très juste où il blâme nos méthodes de guerre et de gouvernement.
9 mai – La situation est toujours assez trouble en Russie où à Petrograd le gouvernement provisoire est en lutte avec le comité ouvriers et soldats. Ces derniers viennent de lancer aux nations alliées un manifeste un manifeste dans lequel ils prétendent finir la guerre sans annexion et sans indemnité. Ce manifeste voté par 1 800 votants sur 2 000 qui font partie de ce comité. Herbette dans l’Echo de Paris attaque vivement ce manifeste et demande les noms de ceux qui l’ont voté pour que l’on sache qu’elle était leur droit de le voter. D’autre part, l’Internationale fait un congrès à Stockholm et l’on vit beaucoup que nos socialistes minoritaires veulent s'y rendre et discuter avec les autres boches des moyens propre à terminer la guerre et faire la paix. Pendant ce temps, la lutte continue très âpre autour du Chemin des Dames et dans le Anglais ont reperdu Fresnoy.
En Amérique, Viviani et Joffre continuent leur tournée triomphale.
10 mai – En Russie, certains membres du comité ouvrier vont faire partie du gouvernement provisoire. La discipline étant relâchée, les armées ne sont nullement prêtes à l’offensive de printemps. Ce pays va-t-il trahir la cause de l’entente ?
12 mai – Nous recevons une proclamation de Nivelles, la voici :
Le commandant en chef a reçu de nombreuses municipalités de France des adresses de félicitations à l’armée, aux héroïques soldats qui, depuis la reprise de l’offensive, ont infligés à l’ennemi de sanglants échecs.
De tous les points du monde, pays alliés d’Europe, Etats-Unis, Brésil et autres états de l’Amérique du Sud, de vibrants messages d’admiration sont venus célébrer la vaillance de nos troupes. Le général en chef est heureux d’en faire part aux armées.
Officiers, sous-officiers et soldats, vous venez encore dans de nouveaux combats toujours plus rudes et plus glorieux, d’affirmer votre supériorité grandissante sur l’ennemi détesté.
Par les efforts combinés de nos fidèles alliés anglais et de nos troupes nous avons en moins d’un mois, fait à l’ennemi plus de cinquante mille prisonniers, pris 500 canons lourds ou de campagne, un très grand nombre de canons de tranchée, plus de 1 000 mitrailleuses. Nous lui avons fait subir des pertes considérables. Les réserves formidables, plus de 50 divisions, qu’il avait accumulé sur notre front pour nous attaquer se sont fondues dans la grande bataille.
Soldats de France, vous tenez à la gorge l’ennemi qui avait tenté d’échapper à votre étreinte par la retraite. Vous ne le lâchez plus. Au nom de la France, fière de ses enfants, je vous remercie.
J'ai l’absolue confiance que vous achèverez votre œuvre glorieuse comme vous l’avez commencée et poursuivie depuis près de trois ans sans défaillance.
Conservez intacte votre foi dans la Patrie et souvenez-vous que la victoire appartient au plus opiniâtre.
13 mai – Les Anglais ont repris Bullecourt. Le Frankfurter Zeitung dit que la guerre sous-marine a couté aux Anglais depuis le début 5 millions de tonnes sur 8 millions qu’ils possédaient. En avril, ils auraient coulé un peu plus d’un million de tonnes.
Un prisonnier ayant raconté il y a quelques jours que les Boches se disposaient à attaquer vers 14 heures, nous avons fait hier soir et ce soir des tirs de démolition sur leurs tranchées. Ils ont cru que nous allions attaquer et ont fait quelques tirs de barrage.
Puisque l’on reconnait la nécessité d’avoir la supériorité en aviation, pourquoi ne demande-t-on aux Etats-Unis de porter tout leur effort industriel sur la résolution de cette question. 10 000 avions américains seraient d’un gros appoint pour la victoire, et ce n'est pas infaisable. Un décret fixe ainsi qu’il suit les attributions de Pétain. C'est un véritable général en chef.
La 99e D.I. (général Lyaille) vient dans notre secteur. Combes passe à la gendarmerie des étapes. Lieutenant Gaudin demande à passer dans l’infanterie où on lui donne une compagnie de mitrailleuses à commander.
14 mai – Le chancelier Bethmann-Hollweg s'agite beaucoup. Il va du Q.G. allemand à Vienne. C'est qu’il doit prononcer un discours au Reichstag sur les buts de guerre allemands. Il ménagera la Russie car il espère la détacher de la cause des alliés grâce aux socialistes russes qui pensent plutôt à négocier qu’à vaincre. Les extrémistes russes veulent envoyer des représentants au congrès de Stockholm alors que la majorité socialiste française voudrait déposer devant l’internationale une demande de mise en accusation des représentants coupables et filous du socialisme autrichien et allemand.
Ces congrès socialistes représentent soi-disant la voix des peuples à condition qu’ils ne marchent pas d’accord avec leur gouvernement comme Scheidemann en Bochie. Quelle action ces pourparlers socialistes auront-ils sur la paix future ? L’avanceront-ils ? Pourront-ils exercer une pression suffisante sur leurs gouvernements respectifs ?
L’Œuvre hier citait cette phrase :
Le principal de tout travail consiste à se donner le temps de bien penser, et, quand on a bien pensé, à exécuter promptement.
Colbert
15 mai – À cheval avec Arveuf, un officier d’ordonnance du général Herr, je vais photographier les ruines d’Aubréville au sud de Vaucquois.
16 mai – Pétain est enfin nommé général en chef et non généralissime comme beaucoup de journaux le mettent dans les titres de leurs articles. Foch devient chef d’Etat-Major, et Nivelle prend un groupe d’armées. Peut-être celui de Franchet d’Esperey.
Le chancelier Bethmann ne veut pas indiquer son but de guerre mais néanmoins il doit rechercher une fin rapide et en même temps heureuse de la guerre et il espère que la Russie arrivera à la paix séparée.
Illusions peut-être car le comité de soldats a voté la participation au gouvernement et ils sont d’accords pour chercher une politique extérieure orientée vers une paix rapide sans annexion ni indemnité, mais la recherche de ces buts n'exclut pas le renforcement du front afin de sauvegarder la cause de la liberté, et il semble, d’après l’appel des délégués ouvriers, qu’ils ne veulent pas d’une paix séparée.
19 mai – Un nouveau cabinet russe est constitué par l’adjonction de six socialistes. La déclaration ministérielle parle de la fidélité aux alliés et de la continuation de la lutte. Les généraux Brussiloff , Dragomir, et… repartent pour leurs armées avec une autorité renforcée par le gouvernement. En un mot, la crise Russe semble s'atténuer.
En Italie, les troupes aidées par l’artillerie lourde anglaise attaquent sur l’Isonzo et font plus de 6 000 prisonniers.
Enfin, les Japonais ont envoyé des torpilleurs à Marseille pour rechercher et détruire les sous-marins et les Américains cherchent un port qui puisse leur servir de base. Violette déclare le lundi et le mardi jours sans viande. De même les pâtisseries ne peuvent plus faire de gâteaux avec de la farine de blé. Mais ils font des chouteries avec toutes sortes de choses.
Sur le Berliner Engblad on lit que les pays centraux ont 2 846 000 prisonniers, plus de 27 000 officiers dont 362 000 et 6 300 officiers français.
Dans une interview, le ministre de la guerre Painlevé dit que l’on n'entrevoit pas encore le moment de la fin de la guerre, et un député dans un article de revue espère que le blocus plus intensif que va commencer l’Amérique auprès des neutres européens réduira les Boches à la famine au printemps 1918.
Notre front de Mort-Homme et de la cote 304 est tout à fait tranquille. La 97e D.I. va relever momentanément la 31e. Notre ancien général Herr avait des vues très justes avant la guerre, ayant été dans les Balkans et ayant su en tirer quelques enseignements sur l’emploi de l’artillerie. Et il explique pourquoi il a cru devoir se renseigner lui-même car après la campagne de Mandchourie, il a pu se rendre compte de la façon dont les idées en vieillissant de quelques semaines seulement se transforment et dont les récits se modifient en se transmettant. Bientôt prend naissance une tradition qui ne repose plus que sur des faits dénaturés.
À interroger les acteurs du drame, non pas sur des théories générales et vagues, mais sur des faits précis avant que leurs impressions personnelles toutes récentes aient pu faire place à une mentalité d’emprunt ou de commande, on devrait mieux connaître la vérité qu’en la recherchant dans des documents officiels rédigés après la tourmente pour la plus grande gloire des belligérants.
Ainsi dès 1913, il prévoyait les mensonges ou l’exagération des communiqués officiels écrits spécialement pour le public. Il prévoyait aussi l’utilité de l’artillerie lourde à grande portée d’un calibre aux environs de 100 mm ; la nécessité d’en doter les corps d’armée, car il disait déjà que la lutte d’artillerie était obligatoire avant toute action d’infanterie et exclusivement affectés à l’artillerie ; réforme qui a demandé un an de guerre pour l’obtenir. Ce fut donc un précurseur qui avait vu juste dans son arme.
23 mai – Gaudin, l’agent de liaison du 3e bureau dans le secteur d’Avocourt – cote 304 nous quitte pour aller commander une compagnie de mitrailleuses du 15e. Je demande à le remplacer et faire des tournées dans les tranchées du secteur. Ce sera plus intéressant que de rester à s'abrutir au courrier pendant ces périodes de stagnation.
23 mai – Ce matin je l’accompagne dans le secteur du 15e où il va voir le colonel. Nous allons jusqu’à la tranchée Bouchez que l’on est en train d’améliorer. Un instant nous sortons du boyau pour éviter de la boue. Nous sommes aussitôt salués par des balles qui claquent autour de nous comme des coups de fouets et tapent sur les pierres. Nous ressautons dans la tranchée. Il est 8 heures ; l’artillerie se réveille dans le secteur ; pendant que nous rentrons à travers champs, des obus éclatent à notre droite sur les observatoires de Fuvry à 200 mètres. Nous nous couchons chaque fois car les éclats tombent autour de nous avec un bruit lointain de moteur d’aéro. La mort nous côtoie et pourtant nous sommes, ou plutôt je suis (ne sachant pas trop ce que ressentent les autres) gai, content de ne pas être angoissé par le danger, et parce qu’il fait beau et que l’on a plaisir à marcher en plein air.
Le 20 mai 1917
Mon cher capitaine,
Votre aimable lettre m'a fait le plus grand plaisir. Depuis un temps infini je vous avais perdu de vue. Mon mariage d’abord, un séjour de plus d’un mois à Toulouse, l’embarquement et la traversée ont été des préoccupations successives qui m'ont presque fait oublier les amis du front français ! Mais cet oubli n'était que passager et c'est avec joie que je constate qu’ils ont été moins ingrats que moi.
Que je vous raconte d’abord ce que je deviens. Débarqué à Salonique au début de février nous sommes restés au repos sur les bords du Vardar jusqu’au début d’avril. À ce moment-là, Sarrail ayant projeté une expédition contre Constantin, nous sommes partis à travers la Grèce, longeant la mer et passant au pied de l’Olympe dans la direction de Larissa. Expédition pleine d’impressions dans un pays où les routes n'existent pas, où il fallait réaliser pour avancer des efforts considérables et continuels à travers les marais, les montagnes, traversant les rivières à gué, n'ayant à notre disposition que des sentiers muletiers, étroits et abrupts.
Cette campagne de Grèce s'annonçait sous les plus heureux auspices et nous allions de triomphe en triomphe lorsqu’un contrordre nous atteignit, nous prescrivant de rebrousser chemin et nous diriger vers Monastir.
Crève-cœur puis nouvelles étapes, nouvelles difficultés et au total 300 km dans un pays de montagne, tantôt sous le soleil brûlant, tantôt dans une espèce couche de neige.
Mais quels merveilleux paysages sauvages sous des couleurs toutes orientales.
Depuis 15 jours nous sommes en réserve derrière les troupes d’attaque. L’offensive est déclenchée depuis plusieurs jours mais personne ne se prononce encore sur son résultat. Qui vivra verra.
Du front français, nous avons bien peu de nouvelles. Mon beau-père, toujours optimiste, m'écrit que cela va très bien – je me figure qu’il bluffe un peu, mais qu’avec de nouveaux atouts notre commandement arrivera à un meilleur résultat. Nous avons appris depuis trois ans à être philosophes et nous n'en sommes plus maintenant à quelques mois près !
Je me rends bien compte pourtant que la partie a dû être chaude là-bas et que ces secteurs d’attaques de l’Aisne que nous avons connu l’un et l’autre au temps de leur tranquillité ont dû être sérieusement secoués.
Ici, la guerre présente un aspect impossible à imaginer quand on ne l’a pas vu soi-même. Les troupes accrochées à des pentes raides et rocheuses. Les ravitaillements ont à franchir des ravins et des crêtes come il n'y en a même pas dans les gorges du Tarn. L’effort réalisé est immense… et les collections de photographies que nous rapporterons en France auront une valeur peu commune.
Ce Sète, j'ai bien peu de nouvelles. Lucien Benoit n'écrit pas. Ce doit être un principe chez lui. Dantheville doit me juger trop embusqué pour rester en relation avec moi. Warnery est en Orient lu aussi mais je ne sais encore à quelle unité.
Mon cousin Frisch m'écrit de temps à autre. Il est, malgré sa boiterie, interprète de la division Bazelaire quelque part du côté de l’Alsace.
Mon père qui s'est remis au travail avec l’acharnement dont il n'a jamais su se dispenser aurait grand besoin pour sa santé de prendre sa retraite. Je n'ai pas encore pu l’y décider.
On nous avait monté le coup en nous parlant du mauvais climat de l’Orient. Pour le moment, nous n'avons pas encore d’évacuations. Il est vrai que les sautes de températures sont fréquentes et qu’un jour nous avons 35° à l’ombre tandis que le lendemain au réveil, la terre est toute gelée. Mais nous sommes aguerris maintenant et nous supportons sous nos maisons de toile la chaleur aussi bien que le froid.
Adieu mon cher Langautier, écrivez-moi quand vous en aurez le temps et croyer moi votre affectueusement dévoué.
Cormouls
Caporal Etat-major infanterie.
Des équipes de brancardiers sont chargés de passer de maison en maison et de nettoyer et d’assainir. Dans le musée, nous entrons comme dans un moulin. Certaines pièces sont encore intactes, d’autres sont éventrées par les obus. Et pourtant c'était une charmante construction Louis XIV d’une belle architecture formant un ensemble délicieux. Dans la cathédrale un homme de garde empêche d’entrer ; devant nos brassards d’Etat-major la consigne est levée, l’intérieur intact n'offre rien de très merveilleux comme style.
Après une longue visite de plus de deux heures dans ce qui fut Verdun, nous repartons le cœur triste de tant de désolation et de ravages. C'est avec plaisir que nous retrouvons la campagne ; de loin nous contemplons les crêtes dénudées de Douaumont, Froideterre, Thiaumont, Côte du Poivre. Voilà une après-midi bien remplie.
Quelques photos du P.C. du colonel et des tranchées.
25 mai – J'ai une occasion de visiter Verdun accompagné par le frère d’un de mes camarades, le capitaine de Seroux, nous voyons la ville en détail. Personne ni dans les rues ni dans les maisons abandonnées dans un déménagement hâtif ou pillées par les nombreuses troupes qui pendant des mois ont défilé sous les obus à travers la ville déserte. Presque toutes les maisons portent des traces d’obus ; la rue Mazel, la place d’Armes, la rue Chevert n'existent plus ; le palais épiscopal et la cathédrale ont reçu de nombreux obus. Pas un bruit dans cette désolation. De nombreux chats fuitent à travers les ruines et les maisons ouvertes à tout venant. Partout ruines ou pillage. Dans plusieurs maisons où nous pénétrons et qui n'ont pas été déménagées, les meubles éventrés s'entassent pêle-mêle.
26 mai - Les Italiens à leur tour font une très belle offensive ; près de 20 000 prisonniers, beaucoup de matériel ; une avance sérieuse vers Trieste. C'est un succès.
Viviani et Joffre rentrent de la tournée triomphale en Amérique, sans incident. Peu à peu, l’on apprend de nombreux torpillages dans la méditerranée. Les sous-marins se ravitaillent très facilement sur les côtes d’Espagne où ils ont de nombreux complices. Le gouvernement espagnol n'est pas sérieux dans sa neutralité. Voici ce qu’à dit devant la chambre française les comptes rendus mensuels des boches au point de vue torpillage. La flotte commerciale mondiale était de 40 millions de tonnes. L’Angleterre en avait la moitié ! La France 2 400 000. Les sous-marins ont coulé…
Dans les 4 premiers trimestres de 1917, ils ont coulé 2 400 000 tonnes. La situation est donc grave. Lacaze répond que les prises et les constructions nouvelles égalent presque ce qui a été coulé et qu’en mai la moyenne tomberait aux environs de 500 000 tonnes.
30 mai – Les socialos ont décidé à leur congrès d’aller à Stockholm. Ils doivent s'y rencontrer avec des boches ; or c'est une race essentiellement menteuse et de mauvaise foi ; il est à craindre comme toujours qu’ils soient dupes. Or l’action des socialos ayant une influence sur le gouvernement, cela peut gêner la conduite de la guerre et gêner les bases de pourparlers futurs. Aussi Pugliesi-Conti, député de Paris, a déposé le projet de loi suivant, tout platonique sans doute :…
Dans les journaux on retrouve une tendance à protester contre la publicité faite aux aviateurs, aux as dans les communiqués officiels. En parallèle on cite l’anonymat de l’infanterie ou même de l’aviation anglaise qui pourtant fait du bon travail.
Premiers pourparlers avec les Boches. Echange de prisonniers par la Suisse ; sans condition de nombre tous ceux ayant plus de 48 ans, ou ayant plus de 40 ans et père de 3 enfants, en captivité depuis plus de 18 mois. Les autres, tête pour tête, grade pour grade. La France a accepté le projet Suisse.
30 mai – Ce matin, reconnaissance au nord d’Esnes. Départ à 2 heures 1/2 . Il fait nuit. Le petit jour se lève vers 3h 30 alors que nous arrivons dans les tranchées au pied de Mort-Homme. Visite de la tranchée Rascasse d’un bord à l’autre. Toute une partie vue des Boches, sans camouflage. Dans le ravin de la Hayette peu d’organisation ; quelques petits postes avancés qui se replient le jour, gardés par des mitrailleuses. Rentre par la coupure d’Esnes à 10 heures. Secteur calme, pas d’obus, traversé la nuit le village d’Esnes, éventré par les obus, saccagé de fond en combles.
Dans un coup de main, le 80e avait fait 7 prisonniers d’un corps nouvellement arrivé. Le C.A. donne 300 francs et quelques jours de permissions aux exécutants. Coup de main sans préparation d’artillerie ; aucune perte.
1er juin – Cette nuit, les Boches ont fait 11 prisonniers dans un coup de main fait au même endroit que le nôtre, tranchée Jauffet.
La motion socialiste d’aller à Stockholm agite le pays diversement. Les socialos prétendent qu’ils y vont pour empêcher les Russes d’êtres roulés par les Boches, disent-ils. Ils y vont aussi, ajoutent-ils, pour engager les sociaux-démocrates boches à renverser l’impérialisme, et à faire connaître leur opinion sur l’Alsace-Lorraine ! Jean Hennessy, le député, appelle cela la future diplomatie des peuples.
Actuellement ce n'est encore que la diplomatie du parti socialiste qui en somme se substitue à l’action gouvernementale. Demain un grand débat à la Chambre doit nous renseigner sur cette question.
La 97e D.I. ne relève pas une division mais entre en secteur à son tour à la place du 143e RI.
2 juin – Le communiqué dit :
Plusieurs tentatives contre les positions françaises de la cote 304 repoussées par les feux ont valu des pertes sensibles aux Allemands sans aucun résultat pour eux.
Or, ils nous ont fait plus de 20 prisonniers et nous ne leur avons commis que trois tués et un blessé ! Après enquête, l’on s'est aperçu que les boches avaient presque pu aller jusqu’au P.C. du chef de bataillon, à cause de la proximité des deux tranchées, du manque de fils de fer et de la défaillance de quelques-uns.
La Chambre a décidé que l’on en donnerait pas de passeports pour Stockholm. Ribot prononce des paroles rassurantes dont voici quelques extraits.
La formule la paix par la victoire est entendue la Chambre. Depuis le demi-échec de notre offensive d’avril, il y avait du flottement dans l’opinion, encore augmenté par les sourdes menées de la propagande boche fomentant des grèves et répandant des idées de paix prochaine. Malgré la défaillance russe momentanée, sans doute, notre situation est bonne ; mais la paix par la victoire ne peut plus venir pour cette année. Cette opinion se précise de plus en plus dans mon esprit.
3 juin – Visite dans le secteur d’abris blindés pour fantassins. Profonds de 40 marches avec couchettes aménagées, de 600 à 1 100 places. Beaucoup d’humidité. Quoique dans les bois, aucun camouflage et leur emplacement doit nettement apparaître sur les photos boches.
De même pour l’observatoire de Serbie d’où l’on a de magnifiques vues sur le Mort-Homme, le boyau qui y conduit cesse d’être camouflé 50 mètres avant l’entrée en forme de puits. L’on descend par une échelle dans une pièce qui sert de central téléphonique et l’on remonte par une autre cheminée à l’observatoire.
4 juin – Dans l’Œuvre, Gustave Téry, dans un article intitulé les principes et la méthode de la diplomatie secrète sont-ils conciliables avec les principes et la méthode de la démocratie ? La guerre comme la paix sous un régime républicain le peuple a-t-il voix au chapitre ? C'est toute la question. Elle est assez grosse.
Pendant ce temps-là, si le chancelier n'a rien dit d’officiel, par contre des réunions des conservateurs en Prusse mettent dans leurs revendications : Anvers, la côte de Flandre, les houillères belges, les mines de fer de Bruay. Les accords ne semblent pas encore possibles.
6 juin – L’on met à notre disposition les régiments de la 19e D.I. pour activer nos travaux. En Russie, le fameux Brussiloff devient général en chef. Est-ce une offensive en perspective ? Hutin dans l’Echo prétend que le front Russo-Roumain se réveillera avant peu ?
7 juin – Le Sénat à l’unanimité confirme les sentiments de la Chambre. Retour de l’Alsace à la France et paix par la victoire. Le bruit court que des soldats de la 71e se seraient révoltés à Ste Menehould et qu’ils se seraient même servis de leurs armes. Tel saint Thomas, je doute de la chose, ou alors, si c'est vrai, que l’on sévisse rudement sinon c'est l’anarchie à bref délai.
8 juin – Roton s'en va aux cours de Vitry, remplacé par Hahn. Un bon camarade qui s'en va. Le commandant Gérard aussi. Les Anglais font du bon travail au sud d’Ypres : 5 000 prisonniers et du matériel. Ah ! si les Russes pouvaient taper de leur côté !
9 juin – Dans notre secteur l’on travaille beaucoup. Abris cavernes dans la 2e ligne, communications téléphoniques, emplacements de batteries, réseau ferré, occupent une nombreuse main d’œuvre qui arrive de tous côtés. Nous sommes actuellement à 4 divisions : 31e – 32e – 97e – 19e. C'est la préparation de la future offensive sur 304 et Mort-Homme.
11 juin – Les Autrichiens ont annoncé ces jours derniers avoir fait 2 700 prisonniers aux Italiens. Ceux-ci n'en n'ont pas soufflé mot dans leurs communiqués. En Espagne, il y a scission entre l’armée et le gouvernement ; la crise est grave disent les journaux à mots couverts. L’Italie a proclamé l’indépendance de l’Albanie sous le protectorat Italien. C'est peut-être prématuré la moitié de l’Albanie étant aux Autrichiens.
Depuis quelques jours, il y a partout un léger malaise en France. Il circule des bruits sur des grèves à Paris réprimées avec mitrailleuses. Ces bruits ineptes sont répandus, dit-on, par des agents boches pour énerver l’opinion. Il y a trop d’étrangers en France, surtout à Paris ; et je finirai par croire la campagne de Daudet dans l’Action Française contre tous les embochés qui sont en France. En tout cas, le préfet de police Laurent est remplacé par Hudelo. Parmi les troupes la discipline semble plus relâchée et le commandement est nerveux. L’on prend des mesures d’ordre assez sévères : contrôle des correspondances pour savoir si l’esprit de la troupe n'est pas porté vers l’Internationale ; suppression des causes d’ivresses et de désordre en défendant aux débitants et aux coopératives de vendre du vin aux soldats isolés ; surveillance effective par de la troupe des gares de permissionnaires et même des trains où l’on a placé des gradés pour éviter certains désordres collectifs non réprimés.
Aujourd’hui, où les Boches disposent de nombreuses divisions de réserve, le deviendra lorsque les Alliés, attaquant sur tous les fronts à la fois les useront plus vite qu’ils ne s'useront eux-mêmes et la percée aura lieu et seulement à ce moment-là, malgré les régions organisées défensivement à la manière d’Hindenburg. Si les Russes attaquaient vigoureusement, l’on pourrait peut-être cette année l’application de cette doctrine, mais l’an prochain aussi des renforts américains, l’on verra certainement la rupture du front défensif, à condition toutefois que la Russie n'abandonne pas la cause des Alliés.
Epilogue de l’affaire du 143, un caporal 20 ans de travaux forcés, 2 soldats 10 ans de travaux forcés, à l’unanimité du conseil ou était représenté un officier du C.A.. Mais le recours en grâce fut signé aussi par tous les membres car l’un des condamnés avait fait un acte de courage et avait été cité quelques jours auparavant. Ceci démontre que ce refus d’obéissance est plutôt dû à une sorte de dégout et de découragement qu’à un mauvais esprit général porté par l’Internationale. C'étaient de brave gens qui en avaient assez d’être de toutes les corvées et dans les mauvais secteurs, aux lieu et place des troupes moins sures comme celles du 31e C.A. qui avaient perdu une partie de 304. Le général Daydrein avait mis en bas du rapport un codicille disant que c'était la première fois depuis deux ans que des soldats de la 32e D.I. méritaient une peine de travaux forcés. Le général Corvisart trouvait cette remarque idiote. Peut-être n'en saisissait-il pas tout le sens? Notre général est un caractère assez taciturne, causant peu à ses officiers, vivant à l’écart. Après le déjeuner, il vient pourtant prendre son café dans la salle commune; il entre, salue machinalement et après quelques instants, feuillète un journal illustré. De caractère assez fantasque, aussi aux estafettes qui l’accompagnent à chacune de ses sorties, tantôt il leur refuse de dire où il veut aller, tantôt il les attrape parce qu’ils ne savent pas où l’on va, tantôt il ne veut pas qu’on l’accompagne et le lendemain, il force une estafette à faire à pied 15 km pour rentrer sous prétexte qu’elle ne l’a pas accompagné. Cela me pousse à dire que la discipline qui fait tant la force des armées est en même temps une cause de faiblesse en ce sens qu’elle pervertit chez les chefs le sens de la mesure, de bon sens et de la justice. Celui qui a un galon de plus a toujours raison auprès de celui qui a le galon de moins et cette sécurité dans l’absolu de ses ordres l’empêche parfois de réfléchir et de se demander s'il a raison.
16 juin – Paris reçoit avec enthousiasme le général Pershing à la chambre, au sénat. Viviani prononce des discours admirables d’éloquence.
17 juin – Pomard dit le vieux Pom car il aime la bonne chair et le bon vin, nous quitte pour aller au G.Q.G. comme chef de service d’information de la presse française accrédité auprès du G.Q.G.. C'est une bonne truffe.
18 juin – Le général Guillaumat et à sa suite le général Corvisart auraient voulu que le comité de guerre se montra plus sévère; ils escomptaient une condamnation à mort. Aussi grande fureur du jugement. Demande par télégramme des noms des officiers composant le conseil de guerre. Et pourtant, trois ans de guerre pouvaient servir d’atténuation à leur faute et leur éviter la peine capitale.
19 juin – Des officiers des tanks viennent étudier l’emploi des chars d’assaut sur notre front. Leur groupement employé à l’est de Craonne. Les tranchées boches étaient à 8 km de leur point de départ. Ils attaquèrent en ligne de fille. Ils arrivèrent devant un fossé de quelques mètres de large sur 800 mètres de long creusé devant la tranchée boche; et aussitôt, ils furent pris à partie par des batteries spéciales qui se démasquèrent alors. Sur 42 chars, il en revint 6. Le groupement Bossut qui attaquait sur la route Juvincourt – Corbeny subit le même sort. C'est pour cela que dans l’Œuvre, Mortimer-Mégret écrivait qu’il fallait apprendre l’emploi tactique de ces machines et qu’il ne fallait les considérer que comme un auxiliaire à l’infanterie et non comme un organe principal.
19 juin – L’on a vu des tanks dans les lignes boches vers Arras, mais ils ne s'en sont pas servis.
20 juin – Les Etats-Unis voyant la réalité de cette guerre et voulant nous aider au plus vite, parlent de fabriquer ces 10 000 avions dont je parlais il y a deux mois à un aviateur et qui semblait trouver ce désir énorme; réalité demain.
En Russie, la discipline semble renaître peu à peu. Les comités d’ouvrier et soldats votent la continuation de la guerre à outrance, et le Suisse Grimem qui proposait aux gouvernement une paix boche se fait expulser. Le conseiller fédéral Hoffman promoteur de toute l’affaire est obligé de démissionner, et cela créé beaucoup de bruit en Suisse qui s'occupe de ce qui ne la regarde pas.
Le général Pétain accompagné du général Fayolle du GAC vient à Rampont. Malgré la difficulté car Pétain n'aime pas les photographes je prends deux vues lors de son départ.
Dressage de mon nouveau cheval Kiel, ancien cheval de Pomard, jeune cheval de 3 ans un peu lourd, alezan, très calme.
25 juin – La 73e D.I. relève la 32e D.I.. Depuis quelques jours il y a un peu plus d’activité d’artillerie ennemie sur les quartiers Permarieux et du Bec de la fameuse cote 304, et hier des Polonais ont jeté dans nos tranchées un papier nous avertissant que les Boches voulaient nous attaquer. Qu’y a-t-il de vrai. En tout cas, nous serons à l’éveil.
Le ministre socialiste Thomas qui revient de Russie est optimiste. Le gouvernement prend de l’autorité et l’emporte sur tous les éléments troubles et révolutionnaires. Le sentiment de fidélité aux Alliés reprend le dessus et il croit à une offensive prochaine.
De graves désordres et des actes d’indisciplines auraient eu lieu dans des trains de permissionnaires, chants séditieux, bris de vitres, arrêts de trains, pillages de trains de marchandise, etc.
Il est vrai que beaucoup étaient saouls. À Toulouse, ils y a quelques jours les ouvrières de la poudrerie ont envahi la gare en réclamant à grands cris une augmentation de salaires et leurs poilus.
Un vent d’indiscipline et de révolte souffle sur la France attisé par l’argent et les espions boches. Il faut que le gouvernement prenne des mesures énergiques, amélioration sociale d’un côté et dure répression de l’autre sans cela, l’hiver sera dur à passer.
La 63e D.I. arrive pour relever la 31e. La 32e est au repos dans la région de Wassy, assez loin du front pour ne pas subir les ennuis des villages détruits et des cantonnements peu confortables.
Dans les régiments, on retire tous les indésirables qui avaient obtenu des suspensions de peine et qui montreraient peu d’esprit de discipline. Excellente mesure.
En examinant les photos d’avion l’on s'est aperçu que les boches avaient creusé des tunnels sous le Mort-Homme, dont un commencé en sept. 1916 à plus de 1 500 m de long. L’on s'en est aperçu à une sorte d’éventail formé sur les photos par les déblais. L’on connait les entrées el les sorties de ce souterrain où ils ont dû accumuler des vivres, des obus et en faire une sorte de place d’armes. En Champagne, au Mont Couillet, ils avaient agi de même. Un de nos 340 étant tombé dans un puit d’aération avait asphyxiée toute la garnison (6 à 700 hommes) qui n'avait pas pu s'échapper, les entrées du tunnel étant bouchées.
28 juin – Dans l’après-midi, violent bombardement sur Pommerieux – Huguenot, etc. Tourtes les pièces boches disent le ballon et les observatoires sont en observation. Vers 18 heures, l’attaque est déclenchée ; notre tir, un peu long, à 21 heures, situation indécise et les Boches seraient à la tranchée Bouchez et Cannebière ; ce serait alors tout le Bec qui serait pris. Sur l’avis des polonais, l’on avait demandé un plan de concentration d’artillerie ; il était encore à la correction ? Pendant la journée et lors de l’attaque, le front était tenu par de nombreux avions boches qui formaient barrage et empêchaient les nôtres de renseigner le commandement sur la situation de l’infanterie !
En mai, tonnes coulées : 8 700. La navigation alliée aurait diminué, ce qui expliquerait la diminution du torpillage. Pour transporter 500 000 américains, le matériel, les vivres, etc. il faudrait disent les Boches, 300 vapeurs de 2 000 00 tonnes et ils prétendent que l’Amérique n'a pas assez de marin et de personnel technique pour tant de bateaux. Il faudrait environ 9 mois et Hindenburg aurait dit croit-on que nous attendrons le bon plaisir de nos ennemis ?
En Grèce, Venizelos reprend le pouvoir et forme un ministère.
28 juin – À Rarécourt a eu lieu ce matin exécution de 4 soldats qui s'étaient mutinés du côté de Ste Menehould.
Hier, Pétain a commencé à expliquer aux poilus pourquoi ils se battaient dans tous les journaux dans tous les journaux.
29 juin – Les Boches continuent les attaques sur Pommerieux et Huguenot, violents tirs d’artillerie sur tout 304 jusqu’à Avocourt, semblent annoncer et préparer de nouvelles attaques.
Vers 19 heures, les Boches attaquent de nouveau. Dans la nuit, situation très indécise. Des Boches arrivent jusqu’à l’Oratoire a-t-on dit ? Au jour, la situation semble plus nette et moins mauvaise. L’on tiendrait encore le boyau Z… et la tranchée Bouchez. Cette nuit, le commandant de Lagonterie a été alerté… à Jouy (73e D.I.). Le général Fayolle venu hier matin sur les lieux (à Jouy) donne l’ordre de faire occuper les organisations du plateau de Favrey par une garnison fixe, indépendante des troupes envoyées en renfort. L’on aurait fait dans la nuit au moins une cinquantaine de prisonniers.
30 juin – Finalement, l’on conservait une partie de la côte 304 – puis le Bec à l’autre extrémité sur le Mort-Homme. Les Boches ont pris la Croix de Fontenoy, position avancée en bordure du ravin de la Hayette. Les pertes sont assez élevées.
1er juillet – La 31e D.I. devait être relevée par la 63e D.I. mais, en raison des attaques des Boches, ce mouvement est retardé de 2 jours. Un des régiments de la 63e D.I., le 298 a fait circuler une pétition revêtue de près de mille signatures, disant qu’ils ne voulaient plus monter aux tranchées et qu’ils devraient être relevés par les Anglais et les Américains. Après arrestations des meneurs, ce régiment est monté aux tranchées à son tour.
Cette question du fléchissement de la discipline préoccupe beaucoup et à juste titre le commandement. L’on demande le nombre de déserteurs, l’on évacue les indésirables, l’on envoie les vielles classes en permissions agricoles de 13 jours et l’on évite les excès de vente de vin par les mercantis et les coopératives, l’on aménage enfin, après 2 ans, les gares de départ des permissionnaires avec réfectoires, dortoirs, salle de nettoyage, confiscation de brochures adressées à des popotes, …
2 juillet – Une nouvelle D.I., la 8e est transportée en camion pour relever la 73e fortement éprouvée par les attaques de la 304.
3 juillet – Nouvelle activité de l’artillerie ennemie sur la région de Esnes – Pommerieux – cote 310. Est-ce encore un nouveau coup de tampon en préparation ? En tout cas, cette fois, notre artillerie prévenue riposte durement.
Les troupes américaines débarquent à Bordeaux et doivent défiler demain à Paris pour la fête de l’indépendance.
L’attaque des Boches nous a coûté à la 97e D.I. 100 tués dont neuf officiers, 331 blessés dont 11 officiers, 131 disparus dont quatre officiers, à la 73e di 17 E les 170 tué dont 40 officiers 337 blessés dont 16 officiers 836 disparus dont 17 officiers. Total plus de 2 000 hommes !
6-17 juillet – Onze jours de permission de détente après quatre mois de front. Voyage compris c'est peu car cela n'est que cela fait à peine cinq jours à passer dans le midi au retour j'ai mis 32 heures pour venir à Rampont.
J'ai eu confirmation dans le train de désordres grave et des actes collectifs d’indiscipline qui ont eu lieu parmi les troupes de l’Aisne.
Dans certains régiments, il y a eu révolte armée et un commandant et un aumônier aurait été tués. De tous ces mouvements ayant t'éclaté en même temps l’on retrouve l’effet de la propagande et d’une action concertée. Et Clemenceau semble avoir raison quand il attaque le ministre de l’Intérieur Malvy de ne pas faire tout ce qu’il doit en ménageant certaines influences socialistes que l’on retrouve à la base de tous ses mouvements. Dans le Midi les agriculteurs se plaignent de plus en plus du manque de main d’œuvre. Les femmes et les enfants ont beaucoup travaillé mais cela ne suffit pas et l’année ne sera qu’une année moyenne.
Le gouvernement facilite pécuniairement l’introduction dans le pays des tracteurs mécaniques, mais ces instruments ne sont pas encore au point et ont besoin pour tourner d’un trop grand espace.
La taxe du blé a été élevée à 50 f. les 100 kg, mais cette mesure tardive ne comblera pas le déficit en blé et j'ai remarqué que dans le Midi l’on avait semé beaucoup de maïs qui lui n'a jamais été taxé et qui a valu la récolte dernière 45 f. alors que le blé était réquisitionné à 33 f. les 80 kg.
Enfin, causant de la guerre avec mon fermier député Bélinguier, ce dernier ne disait plus que malgré tout il demanderait la paix avant l’hiver, comme il se plaisait à le dire en février, mais il annonçait quand même avant la fin de l’hiver par la lassitude boche et la révolution boche. Tout cela parce que Bethmann-Hollweg avait cédé la place à Michaelis. Je crois qu’il prend ses désirs pour des réalités ; les pangermanistes n'ont pas encore le dessus en Allemagne.
Dans ces notes assez brèves au jour le jour, je vais pouvoir m'efforcer de donner l’état moral créé par les différents événements et l’état d’esprit qui évolue insensiblement. Les grands faits seront résumés dans tous les précis historiques ; les récits d’action et de combats feront l’objet de nombreux livres.
But de ces notes modifié
En plus de ce qu’il peut voir, la pensée d’un combattant bien placé pour saisir un petit ensemble pourra avoir de l’intérêt avec le recul du temps. Et en y joignant certains articles de journaux, l’on saura ce qui pouvait intéresser l’opinion aux différentes époques de ce grand drame.
Voici un extrait satirique du livre les rides du front par Gaston de Pawlowski, assez juste qui donne l’état d’esprit du permissionnaire et du soldat au front quand il lit tous les bourrages de crânes stupides des journaux :
Les amis de l’arrière n'entendent rien à la guerre. Si l’on est vivant, on est un embusqué ; si l’on est mort, on est un héros. Ils manquent de subtilité et ignorent les transitions. En permission, ils vous regardent avec des airs de vétérinaires satisfaits : Comme vous avez bonne mine ! Ils ne savent pas qu’en ce moment, avec les obus, on ne détaille pas. C'est quitte ou double.
Quand ils vous aiment bien, ils vous recommandent de mettre un foulard pour éviter les rhumes ; c'est très gentil, mais un peu disproportionné. Dans leurs lettres, avec la meilleure volonté du monde, ils sont jamais à la page : ils vous écrivent qu’ils partagent vos angoisses le jour où vous pêchez à la ligne dans un paisible ruisseau et qu’on ne trouve plus de sucre en poudre le jour où vous recevez cent cinquante marmites au coin d’une sucrerie. Ils ne savent pas qu’aujourd’hui, l’héroïsme est fait de passivité plus que d’action. L’ennui au front c'est d’attendre pendant des mois le projectile, venu d’on ne sait où, qui vous tuera.
17 juillet – En débarquant à Lemmes après 31 heures de chemin de fer et avait été bombardé à l’aller par des avions boches en gare d’Epernay, j'apprends le succès de la 73e D.I. qui vient de remporter à 304 où depuis le bois d’Avocourt jusqu’au Bec nous avons, non seulement repris les tranchées perdues le 28 juin mais toute la première tranchée boche. Le canon conquiert a dit Pétain et l’infanterie occupe. Tel fut le cas. Les Boches subirent un marmitage tel qu’ils ne purent être ravitaillés de trois jours et que les renforts que l’on voulait envoyer en 1ère ligne ne purent passer. Les tranchées n'existaient plus ; les abris effondrés sur les occupants ; ce n'était plus que chaos d’entonnoirs. Nos troupes y ramassèrent 500 prisonniers de nombreuses unités ; ce qui dénote la surprise des Boches qui ont pris des renforts de troupes n'importe où. Ils furent même étonnés de ne pas nous voir attaquer plus tôt car depuis longtemps ils considéraient cette position mure pour l’assaut , tout y étant détruit. Nos fantassins lors de l’assaut n'eurent presque pas de pertes, mais néanmoins en 3 jours nous eûmes plus de 1 200 blessés, sans compter les morts et les disparus. La préparation d’artillerie avait été énorme : du 11 au 18 l’on avait dépensé pour 53 millions de francs d’obus. L’on avait tiré 410 000 coups de 75 dont 125 000 le jour de l’attaque et en artillerie lourde, 120-155-220 plus de 140 000 coups.
Il n'y a rien à faire contre une pareille débauche de munitions et il semble que l’effort et la dépense aient été supérieurs au résultat obtenu. Le rôle du commandement n'était pas justement de proportionner les effets de l’artillerie avec le résultat à obtenir. Il semble que cette manière de faire tombe dans le gaspillage et que cela pourrait user trop vite les réserves françaises en munition et même en numéraire. D’autant plus que la contre batterie ne fut pas suffisante pour paralyser les effets de l’artillerie ennemie.
18 juillet – L’offensive russe de Brussiloff qui avait commencé par un succès vers Halisch a été arrêté et repoussé par les troupes allemandes de Léopold de Bavière qui ont opéré avec succès une contre-offensive.
Pendant ce temps-là, l’Ukraine semble obtenir son autonomie et des troubles éclatent à Petrograd où les révolutionnaires veulent chasser le gouvernement provisoire.
19 juillet – Ce matin, déjeuner avec le général Corvisart, ancien attaché militaire au Japon, le général Martin, ex-directeur de l’infanterie, le général Dupont, ex-chef du 2e bureau au ministère, qui n'avait même pas su que les Boches avaient tous leurs corps d’armées doublés par des C.A. de réserve. C'est l’arrivée au pouvoir des petites chapelles !
20 juillet – Le nouveau chancelier a parlé. Après le discours d’Eryberger au Reichstag, un vent de pacifisme avait semblé souffler sur l’Allemagne. Hindenburg et Ludendorff appelés à Berlin virent en particulier tous les chefs de groupe pour ranimer leur pangermanisme hésitant. Déjà nos socialos bêlant voyaient des chances de paix dans ce semblant de changement d’orientation de la politique allemande. Michaelis s'est chargé de les détromper : l’Allemagne n'est même pas mûre pour une révolution ; elle ne veut même pas se séparer encore du parti des hobereaux et de militaristes qui l’ont conduite à ce massacre épouvantable. Voici quelques passages du discours de Michaelis.
L’aide américaine ne semble pas les effrayer beaucoup. Il est vrai que la question du tonnage est assez critique pour les alliés et non encore résolue.
D’autre part, en France, l’on fait beaucoup de battage autour de l’arrivée des premiers contingents comme si le moral de la France pouvait être relevé que par l’espoir de cette aide qui ressemble plutôt, envisagé de cette façon, à un véritable secours de la dernière heure.
Tout ce bourrage de crâne intensif à l’air de dire aux poilus français : voilà les Américains, votre effort est fini, vous pouvez vous reposer, ce sont eux qui vont prendre votre place sur le champ de bataille ! or cette idée qui tend à s'implanter dans l’esprit simpliste des troupiers est archi-fausse et la France n'a pas fini de souffrir parce que l’Amérique entre dans la guerre.
Rampont est bombardé par du gros 210 – cinq obus : pas de dégâts.
L’on doit saisir le Journal qui parle de l’échec de l’offensive Russe et qui en donne les causes. Certains régiments auraient discuté les ordres reçus et finalement auraient décidé de ne pas les exécuter, d’où abandon des tranchées et recul des corps voisins. Mais le gouvernement semble vouloir sévir. Au lieu d’étouffer l’affaire, il désigne à l’opprobre le régiment qui a trahi. En France, il faut croire vraiment que l’on a peur de la faiblesse du moral de nos soldats. On les traite un peu trop en petits garçons.
22 juillet – Cette nuit, activité assez grande de l’artillerie boche sur 304. Le vent du nord nous apporte dans le calme de la nuit le bruit d’un roulement ininterrompu et multiplié. Nous passons ce secteur au 13e C.A. qui prend ainsi sous ses ordres le 97e et la 4e D.I., la 73e étant relevée. Il nous restera le secteur de Mort-Homme qui doit devenir notre secteur d’attaque : tenu actuellement par la 63e D.I..
23 juillet – En Russie, Kerenski devient chef du gouvernement provisoire à la place du prince Livof. Il semble que ce soit lui qui dirige la révolution et la défend contre les maximalistes léninistes et autres perturbateurs ou traitres.
Le général allemand Von Bilov a tiré des enseignements de la bataille de la Somme tout un gros rapport. Il reconnait que :
La supériorité énorme de l’ennemi en artillerie, munitions, effectifs ne nous permit de combler que peu à peu, jour par jour, les trous les plus dangereux qui s'étaient produits dans la ligne de défense allemande. La nécessité nous force à briser les liens tactiques es unités de renfort qui nous arrivaient afin de parer au danger d’une percée ennemie.
Plus loin, il reconnait que :
les causes des échecs du début sont moins imputables à notre infanterie qu’à l’action en masse de l’ennemi, surtout dans le domaine de l’aviation, action à laquelle nous ne pouvions répondre immédiatement dans la même mesure
et il reconnait enfin :
la nécessité d’échelonner l’infanterie en profondeur. Il faut que le tracé de la ligne d’infanterie soit fonction des postes d’observation de l’artillerie. La 1ère ligne de l’infanterie est bien placée si par suite de sa position à contre pente, elle échappe à l’observation terrestre de l’artillerie ennemie, et si elle est au contraire, complètement surveillée par nos observateurs d’artillerie placé au moins 500 m en arrière. De plus il faut que nos observateurs d’artillerie puissent voir au moins 200 m du terrain des attaques ennemies en avant de nos réseaux de fil de fer.
Le début et la première semaine de la bataille de la Somme ont été caractérisées par une infériorité absolue de nos forces combattantes aériennes. De là, l’artillerie ennemie domine la notre complétement, nos troupes furent démoralisées par les attaques par bombes et mitrailleuses à faible hauteur. Nos moyens d’information furent annulés, etc.
Aussi sur l’Aisne d’après ce que l’on m'a dit, ils eurent la supériorité en aviation, ils organisèrent leurs lignes en profondeur en garnissant peu leurs premières lignes, et ils avaient presque la supériorité en artillerie. De même, l’on dit qu’ils ont arrêté la construction de leurs dirigeables pour se consacrer plus exclusivement à l’aviation, essayant de parer par là à l’aide américaine.
En France, le général Percin qui été une des causes de notre défaite de l’AL adresse à tous les généraux de C.A. et autre un opuscule plaidant sa cause et où il essaie de démontrer l’inutilité de l’AL dans la guerre de position. Comme conclusion, il dit :
Pour vaincre, il faut revenir à la guerre de mouvement et pour revenir à ce genre de guerre, il faut détruire la tranchée. Il y a deux ans que faute d’un programme de guerre, faute d’une idée directrice on hésite sur le principe du canon Archer. On ne reproche pas à ce canon de mal se comporter sur le champ de tir ni sur le front où il est demandé par beaucoup d’officiers d’infanterie. On hésite par ce qu’on ne sait pas s'il faut tirer de loin ou de près ; s'il faut un canon lourd ou un canon léger. On s'obstine à vouloir tirer de loin avec un canon lourd parce que c'est ainsi que font les Allemands. On cherche à faire mieux qu’eux. Ils avaient du 420, on a créé le 320 dont le coup revient à 40 000 Fr. Or le canon Archer coûtant 1 200 fr l’un – 3 000 canons couteraient 4 millions (le coût d’une batterie de 420) et pourraient être prêts d’ici trois mois, détruire la tranchée sur un front de 200 km et permettre à l’infanterie de passer.
Seul le canon Archer au camp de Mailly avait détruit la tranchée en moins de 30 minutes, le seul qui ait nivelé le terrain au point qu’on le traverse avec des voitures légères.
Evidemment cette solution est un peu simpliste et le général Percin semble oublier que le rôle de l’AL c'est surtout la contre-batterie à longue distance de façon à avoir à un moment donné, après destruction de l’artillerie ennemie, la supériorité de deux armes contre une.
24 juillet – L’on travaille activement dans notre secteur aux nombreuses positions d’artillerie, aux lignes téléphoniques, aux observatoires, aux dépôts de munition, etc. L’on fait venir en renfort 2 régiments de la 32e ui étaient au repos dans la région de Wassy.
Relevé dans le Cri de Paris au sujet de la réserve.
Tout cela est vrai ; en principe même après 3 ans de guerre, l’officier de réserve n'est pas un type idoine ; en principe dans les spécialités ce n'est presque jamais un officier de réserve qui l’obtient. Dans les E.M. de C.A. ou d’Armée, la proportion des OR est infime et pourtant combien seraient à leur place. L’on oublie trop facilement que dans le civil certains officiers de réserve étaient gros administrateurs, industriels, directeurs et autres, et qu’ils y déployaient chaque jour plus d’intelligence qu’un simple capitaine ou même commandant à la tête de sa troupe. Le grand tort de l’armée actuelle, ce sera de n'avoir pas fait la part plus belle aux officiers de complément et de n'avoir pas voulu utiliser dans toutes les branches leur activité et leur intelligence.
Le sénateur Perchot a aussi traité de cette question dans la séance du Sénat du 22 juillet où il traite des questions repos pour la troupe dans les cantonnements aménagés. Il dit, entre autres, ce qui est vrai beaucoup trop souvent :
Les ordres apparaissent trop souvent comme des moyens employés par certains chefs pour se couvrir ; l’ordre donné, le chef est tenu pour quitte. Comme l’on conçoit la défaveur qui frappe de telles injonctions. Une forte proportion des ordres donnés ne sont point exécutés. Mais le plus extraordinaire, c'est que bon nombre d’ordres étant inexécutables, les comptes rendus également innombrables dans l’armée sont souvent erronés. La chose est comme admise et tout le monde se juge ainsi couvert. La peur des responsabilités sévit trop dans la hiérarchie militaire. Et cependant qu’on le sait, la responsabilité n'y existe guère, sinon au détriment des plus faibles.
C'est dans la même séance que Clémenceau accuse Malvy de ne pas être assez rigoureux dans la répression des menées pacifistes.
Il l’accuse d’avoir laissé les boches répandre des tracts pacifistes, de ne pas arrêter les militants socialistes comme Almereyda du Bonnet Rouge ni les espions qui circulent en France et que l’on trouve nombreux autour des gares et de presque tous les trains de permissionnaires déguisés en poilus.
29 juillet – À la Chambre Ribot a dit : Nous avons traversé la semaine dernière, la période peut être la plus critique de la guerre. À quoi veut-il faire allusion ? À la retraite russe et à la défection de certains de leurs régiments. Ou à une mésintelligence à la conférence des Alliés à Paris. Nous aurons sans doute beaucoup plus tard la gravité de tous ces dessous que nous ignorons totalement.
Nous recevons comme commandant du Q.G. le commandant Bard, active, infanterie. Il vient de l’intérieur de l’E.M. de la 9e région.
Les travaux dans le secteur se continuent activement. Le général désire que chaque officier de l’E.M. passe 10 heures dans le secteur . Ils trouvent que c'est exagéré et que cela confine à la brimade. Notre action d’artillerie est encore très limitée. On tire sur les batteries que l’on connait ; consommation 2 000 coups envisagée. C'est peu encore.
Visites du terrain en application des principes de Pétain concernant la transformation de l’outil militaire , à la mise en application détaillée dans une note du général Debeney dont voici un extrait qui explique la consigne de Corvisart déclinée dans son C.A. : Elle [la section d’instruction] visitera le front, les corps de troupe et les écoles. Elle recueillera les opinions et les desiderata des exécutants, puis elle établira les textes destinés à les guider.
Source : LAURE, commandant, Au 3e bureau du troisième G.Q.G., Paris, Plon, 1921
cité par Michel Goya – ibid.
31 juillet – Après une lutte d’artillerie qui dure depuis le 16 juillet, les Anglais et les Français ((1er et 33e C.A.) aidant les Belges ont attaqué dans les Flandres. Le 23 un journal boche le Rhein Welt Zeitung disait :
Nous pouvons nous attendre sous peu au déclanchement de l’attaque de l’infanterie anglaise. Le général Pétain entreprendra certainement quelque chose mais il a les mains liées. Mais il est douteux qu’ils puissent entreprendre encore une grande opération. Nous devons nous attendre à des attaques partielles sur les anciens champs de bataille de Champagne et de Verdun.
Ils s'attendaient donc à l’attaque que nous montons et saurons amener sur place une artillerie suffisamment forte pour arrêter une trop forte progression. De plus en plus l’avance ne sera possible que lorsque par de la contre-batterie, l’artillerie ennemie sera hors de combat en majeure partie ; alors seulement l’on devrait commencer les démolitions de fils de fer et d’abris d’infanterie. Car tant que l’artillerie ennemie n'est pas paralysée, nos troupes de 2e et même de 3e ligne souffrent trop des tirs de démolition et de harcèlement. Mais quelle supériorité en matériel il faudrait pour assurer…, la seule vraie pour qui réfléchit, et nous savons que nous ne l’avons pas. Alors on emploie ces demi-préparatifs qui, laissant intacte ou presque les batteries ennemies, n'aboutissent qu’à des demi-succès ou même des insuccès comme dans l’Aisne ou notre artillerie était dispersée sur un trop grand front.
Le tir de démolition des réseaux de fil de fer était rendu possible par la mise au point dès 1915 d’obus équipés de fusées à percussion adaptées aux sols mous des tranchées (IA français ou 106 anglais).
Source : PASSION & COMPASSION 1914-1918
1er août – À notre gauche le 13e C.A. reprend les éléments de la cote 304 que nous avions repris à la mi-juillet. Mais les Boches n'ont pas fait le même gaspillage de munitions que nous. Nous avançons 500 disparus ; les Boches parlent de 700 prisonniers. C'est encore à recommencer.
2 aout – Le général Echochard (63e D.I.) demande qu’en raison de l’activité de l’artillerie ennemie nous fassions beaucoup de contre-batterie. Mais nous manquons de moyen d’observation aérienne, d’où nous ne pouvons encore faire les réglages nécessaires pour obtenir l’efficacité voulue. Le temps très pluvieux depuis trois jours ne s'y prête du reste pas. L’on a l’impression par l’intensité des tirs boches que l’ennemi accepte la bataille sur ce terrain et s'y défendra violemment.
Les journaux sont pleins de discussions sur les buts de guerre dans tous les pays. Les socialistes français et anglais discutent à nouveau sur l’opportunité d’une conférence à Stockholm. Le nouveau chancelier Michaelis prétend à la tribune que nous avons des buts de conquête en plus de la restitution de l’Alsace-Lorraine et que nous avons discutés dans notre dernière séance secrète. Ribot répond que c'est faux et que nous voulons seulement créer une province tampon sur la rive gauche du Rhin pour nous protéger d’une nouvelle invasion. Evidemment au point de vue boche se sont des projets d’annexion. L’Œuvre qui fait en ce moment une violente campagne pour la paix et la conférence de Stockholm met en manchette ces phrases extraites de différents discours officiels et cela montre que les gouvernements ont à peu près les mêmes idées au sujet d’une paix qu’ils voudraient bien voir se conclure, chacun cherchant à rouler le voisin :
Si le peuple allemand comprenait que nous voulons une paix fondée sur les droits des peuples.
A. Ribot
La base de la paix doit être une entente perpétuelle entre les peuples.
Michaelis
Nous ne luttons pas pour l’amour de la lutte. Nous désirons la paix aussi ardemment que….
Balfour
La continuation de la guerre à l’heure qu’il est, est absurde…
Czernin
En juin, le tonnage coulé 700 000 tonnes et en France en discute à la Chambre pour trouver des moyens de construire des bateaux ! L’on en construit à peine 50 000 tonnes par an !
Voilà la réponse de Ribot à la chambre au discours de Michaelis.
Les députés interpellent à nouveau sur les buts de guerre et demandent s'ils peuvent aller à Stockholm. Ribot répond.
5 août – Les renseignements sur l’attaque boche du 1er aout permettent de savoir que leur préparation d’artillerie très courte mais extrêmement violente sur le point attaqué après un tir de préparation sur les secteurs voisins pour dissimuler le point d’attaque, l’attaque d’infanterie fut faite par des troupes spéciales séparées en groupes en 150 m d’intervalles et à attaques convergentes. Ces jours-ci, les Boches ont employé sur notre front des obus toxiques nouveaux au sulfure d’éthyle di-chloré avec acide cyanhydrique et tétrachlorure de carbone. Ce nouveau gaz se révélerait peu à l’odeur (légère odeur de moutarde) et ses effets se feraient sentir fort longtemps. Gaz incolore et lourd inonderait facilement les abris en contrebas. Effets de brulure sur la peau, même à travers les vêtements surtout autour de la partie sexuelle. Le masque protège contre ce gaz qui causerait à ceux qui le respirent de l’inflammation des voies respiratoires. L’autopsie a montré certaines parties de l’œsophage entièrement pelées. Les Boches se sont servis de ce gaz pour la 1ère fois contre les Anglais en Juillet et l’on parle de 2 000 évacués avec 30% de décès. Chez nous, il y a eu un pour un seul bombardement avec des obus qui éclatent sans bruits au milieu des autres, plus de 300 évacués, surtout parmi les batteries. L’armée a aussitôt fourni des bourgerons en toile imperméabilisées qui doivent protéger le corps des brulures de ce gaz. Voilà où en arrive le progrès de la civilisation aidée par la science !!
Quelques modifications dans notre gouvernement où Lacaze s'en va de la Marine et Cochin du Blocus. Malvy se fait porter malade. L’est-il des attaques de Clémenceau ? Qui s'en prend maintenant à Ribot pour avoir couvert son collaborateur Malvy.
6 août – En Russie, les armées russes ont en quelques jours évacuées sous la pression austro-boche toute la Bucovine et la Galicie. Le gouvernement est en plein crise. Kerenski ayant offert sa démission qui a été refusée.
Llyod George a dit à ce sujet
Il y a des hauts et des bas dans la route qu’il nous reste à parcourir et sans aucun doute l’effondrement de la Russie constitue plutôt une dépression profonde.
Et l’Œuvre met en manchette :
Nous ferions tort à notre propre cause si nous refusions de voir les choses de Russie telles qu’elles sont.
13 août – Malgré les orages continuels, nos postions de batterie sont organisées et les réglages pour tirs de contre-batterie commencent. Pétain est venu avant-hier en conférence avec les généraux qui commandent les troupes d’attaque de notre secteur. Les Boches semblent vouloir accepter le combat sur ces positions.
13 août – Ils font aussi de la contre-batterie ; hier avec du 150 il nous ont amoché 6 pièces de 75. De même en aviation nous n'avons pas la supériorité et nos avions doivent rester au-dessus de nos lignes s'ils ne veulent pas subir aussitôt les attaques ennemies. Mais nous connaissons les nids de batteries ennemies, les places d’armes, les deux tunnels du Mort-Homme et des Corbeaux et par un pilonnage savamment exécuté avec des moyens énormes nous devons détruire toutes ces positions ennemies et atteindre nos objectifs qui sont le Mort-Homme et les hauteurs qui dominent le ruisseau de Forges. Nous devons attaquer entre le ravin de la Hayette et la Meuse. Soit un front de 4 kl au début de l’attaque car après, ce front s'allongera le long de la côte de l’Oie.
Sur ce front nous aurons aussi 4 divisions échelonnées en profondeur ; à gauche 31 D.I. soutenue par la 32 D.I. ; à droite la division (général Degouttes) marocaine appuyée par la 48e D.I. (général Prax). Nos moyens d’artillerie sont parait-il sans précédent depuis le début de la campagne ; nous avons 240 canons de 75, 270 canons de 105 – 120 – 155 et 46 de 220 – 10 de 270 , 4 de 280 et 120 canons d’artillerie de tranchée. Ce qui fait une densité de 1 canon tous les 6 mètres, en admettant qu’on les mette sur une seule ligne hypothétique. Pour régler toutes ses batteries l’aéronautique nous fournit 4 ballons captifs et 4 escadrilles. L’on suppose que cela réussira sans coup et férir et toutes les contre-attaques supposées pouvant être faites par des moyens locaux doivent être annihilés par notre préparation d’artillerie qui doit enlever toute force morale aux défenseurs des régions attaquées. Quant à la contre-attaque en profondeur, nos troupes ne devant pas dépasser le ruisseau de Forges, on ne l’a pas envisagée.
À partir de demain, le P.C. du C.A. commence à fonctionner à Fromeréville-les-Vallons, ancien Q.G. de la division marocaine et qui possède des bureaux sans casemate. C'est donc que la préparation d’artillerie va réellement commencer. Malheureusement, il pleut beaucoup et les réglages par ballons et avions sont très gênés.
14 août – Un prisonnier boche fait ces jours-ci dit que l’attaque est attendue pour le 18. Ils savent donc que nous allons attaquer ; la seule chose qu’ils ignorent, ce sont nos objectifs immédiats, et encore ? Peut-on aujourd’hui cacher une préparation d’attaque avec tous les moyens dont elle a besoin ? Tout ce qui peut être caché, ce sont la capacité des moyens mis en jeu sur le front d’attaque en ne les dévoilant qu’au dernier moment, quand on va commencer les tirs de destruction.
Il semble que les Boches aient fait reculer leur artillerie sur certains points ; hier, certains secteurs étaient très calmes au point de vue des tirs d’artillerie ennemis. Nous, au contraire, nous commençons nos tirs de destructions et de contre-batterie. Hier nous avons tiré 20 000 coups environ dont 14 000 de lourde.
L’on se plaint de notre infériorité en aviation. Voici un fait. Une escadrille, la 234 a été mise à la disposition du général Degouttes de la division marocaine. Normalement sur le papier, elle possède 14 appareils. Or, à la veille d’opérations actives de réglage et pas bien loin du jour J, jour d’attaque (4 ou 5 jours), il n'y a que 4 appareils disponibles et encore, voulant être sûr d’en avoir 2 le jour J, il n'y en a que 2, 3 autres ne sont pas encore livrés et 4 sont en armement ! Les Boches réagissent par des obus toxiques sur nos positions de batterie et sur nos voies de communication ; mais assez peu en comparaison de notre activité. Hier, ils ont envoyé environ 300 coups contre nous alors que nous leur en envoyions 70 000. En face 304, toute une section constituée moins l’officier s'est rendu ce qui fait qu’environ 75 hommes de la 206e DR se sont rendus pendant que s'opérait la relève. C'est la 1ère fois que les Boches se rendent ainsi en corps constitué. Pendant que nous nous préparons à porter un rude coup aux allemands, les socialistes internationaux continuent à s'agiter à l’intérieur. Et pour la 3e fois, la question de savoir si nos socialistes iraient à Stockholm a été discutée et même approuvée en principe. Heureusement qu’à la conférence de Londres des gouvernements alliés, il a été décidé que l’on ne donnerait pas de passeports ; ce qui semble enterrer définitivement cette question de Stockholm. Henderson, le ministre anglais travailliste qui en était partisan a été obligé de donner sa démission de ministre, et a été fort malmené dans les journaux qui l’accusent presque de trahison. Et Albert Thomas explique que s'il voulait aller à Stockholm ce n'était pas tant pour discuter de la paix que pour parler des responsables de cette guerre. Comme si, d’innocence à candeur, l’on pouvait discuter loyalement avec les Boches, les hommes au chiffon de papier.
15 aout – Les effets des gaz se sont faits sentir violemment sur le corps voisin de gauche (13e C.A.) qui a eu 500 évacués Et dire que ces gaz au sulfure d’éthyle di-chloré ont été proposé au gouvernement français il y a plus d’un an ? Leur grand effet, c'est qu’ils sont nocifs par temps humide. Aujourd’hui, nos avions n'ont pu prendre des photos des destructions opérées par nos tirs d’artillerie à cause des orages violents et continuels. Ce n'est pas de chance pour notre préparation.
16 août – La conférence de Stockholm ne devant donner ce que les Boches attendaient, les empires centraux abandonnent l’idée socialiste de la paix et avec l’aide de l’Autriche mettent le Pape en avant pour proposer une paix sans annexion ni indemnités, paix devenue impossible pour nous après les pillages, incendies, destructions des Boches. Sans doute, les Alliés seront unanimes pour décliner les offres de médiation.
17 août – Nous continuons notre préparation très violente, très gênée par la pluie orageuse, tous ces jours-ci. Ce matin, il fait beau, aussi va-t-on en profiter pour se rendre compte par photos de l’avancement des destructions. Toutes les saucisses font des réglages d’artillerie. Monté sur le plateau de Nixéville, j'en compte une trentaine depuis l’Argonne jusqu’au sud de Verdun. De ce plateau d’où la vue s'étend sur un vaste panorama – côte du Poivre, Douaumont, etc… - l’on se rend compte de ce que c'est une préparation d’artillerie en apercevant les multiples et gros nuages qui semblent jaillir de terre un peu de tous côtés. Le vent est au sud et c'est à peine si l’on entend les grosses détonations des pièces de l’AL GP – entre autres une 400 que je vois tirer près du cimetière de Baleycourt. Les routes et les plaines paraissent désertes mais à la lisière de tous les bois, la jumelle décèle de nombreux rassemblements.
L’ennemi réagit peu pendant le jour ; il se réserve pour la nuit où les routes deviennent de véritables fourmilières de camions, autos, caissons de munitions, cuisines roulantes, voitures de ravitaillement, etc…
Heureusement qu’il ne peut pas régler son tir et qu’il tape le plus souvent à côté. Cela nous cause néanmoins une centaine de pertes, tués ou blessés, intoxiqués par jour.
Je travaille au 2e bureau ; bureau de centralisation des renseignements dur l’ennemi. Pour cela, l’on dispose de PV (pigeons voyageurs) qui rapportent les renseignements de l’infanterie lors de sa progression ; du PRA (service de renseignement de l’artillerie) qui au moyen de la SROT et observatoires, postes de recoupement au son, aux lueurs, etc… fixent l’emplacement des batteries ennemies et indiquent celles qui se montrent actives, de l’aéronautique avec ses ballons captifs et ses avions de réglage, de photos, de reconnaissance, de liaison d’infanterie, etc… de la radiotélégraphie qui capte les radios ennemies et suppléent au réseau téléphonique terrestre très important et très compliqué, enfin, l’interrogatoire des prisonniers, on fournit de nombreux renseignements sur les travaux et les intentions de l’ennemi. C'est par eux que l’on a pu avoir de nombreux renseignements sur les travaux et les intentions de l’ennemi. C'est par eux que l’on a pu avoir des précisions sur les tunnels du Mort-Homme et des Corbeaux. Tous ces renseignements sont mis en évidence par la STCA (Service topographique du corps d’armée) qui actuellement chaque jour dresse une carte de l’état des destructions et la carte des batteries vue en action, étudiant les destructions sur les photos prises par l’aviation.
Avec une longue pièce de 210, les Boches ont tiré sur nos cantonnements de l’arrière ; sur Blercourt et sur Lemmes où ils ont incendié 3 hangars d’aviation et brulé 7 appareils. Il y a eu rencontre dans les airs d’un avion avec un obus de gros calibre ; l’on a retrouvé que de vagues débris de l’avion et des deux aviateurs.
Dans la journée, l’activité de l’artillerie ennemie assez peu active, probablement à cause de contre-batterie assez efficace et de nos nombreux ballons en ascension qui repéreraient les batteries en action. La nuit, ils procèdent par rafales courtes et violentes. L’examen des photos montre l’avancement des destructions.
18 août – Le beau temps continue quoiqu’un peu plus nuageux qu’hier et moins propice aux réglages. Néanmoins nous tirons abondamment et aujourd’hui nous avons envoyé près de 90 000 obus dont les ¾ de gros calibre. Sous un pareil déluge de fer, jour et nuit, ce doit être un enfer, et par-dessus le marché, la DM fait des tirs de barrage avec la mitrailleuse pour interdire les entrées du tunnel des Corbeaux.
Je suis allé voir tirer une batterie de deux pièces de 400. C'est vraiment colossal. La terre tremble à chaque coup et l’on voit très nettement l’obus s'enfuir vers le ciel jusqu’au sommet de sa trajectoire. Cet obus qui est gros comme un homme est amené à la culasse par une petite grue mobile. Puis on visse les culasses et l’on redresse le tube énorme. Les servants se reculent vers l’arrière et le coup part en ébranlant le sol. J'ai pris plusieurs photos.
Cet après-midi vers 15 heures j'ai admirablement vu descendre en feuille morte un avion boche touché par un de nos obus de 75 contre avions. Tombant de 3 000 mètres environ, il a mis plusieurs minutes pour descendre ; il allait comme une feuille morte, virevoltant d’une aile sur l’autre. Je saute dans une auto pour aller au lieu de chute recueillir des papiers et des cartes. Quand j'arrive, il y a plusieurs milliers de poilus entourant l’appareil ; juchés sur les arbres pour mieux voir ; ils piétinent l’appareil se bousculant pour apercevoir l’aviateur tué, resté coincé sur son siège. Je fends la foule et avec d’autres officiers de l’aéronautique nous faisons former un cercle autour de l’appareil après maintes difficultés. Plus aucun papier ; tout a été pillé. L’observateur qui n'a eu que quelques contusions raconte que jusqu’à l’atterrissage ils purent causer entre eux n'étant pas blessés ; l’obus avait seulement faussé l’hélice. J'ai aussi pris quelques clichés.
19 août – Le temps se maintient au beau. Le jour J est demain. Je dois aller au P.C. à la pointe du jour à 4 heures ; l’attaque aura donc lieu de bonne heure ; je ne connais pas l’heure exacte.
20 aout – Dans la nuit je pars au poste de commandement du C.A. à Fromeréville. Les routes sont désertes, à peine quelques voitures de ravitaillement ou caissons d’artillerie. L’on entend dans le lointain comme un roulement de tonner et les nuages au ciel brillent par moments de soudaines lueurs. L’air est vif, il fera beau; un peu de brume dans les bas-fonds. Je m'arrête en haut de la cote de Sivry-la-Perche d’où le panorama s'étend sur tout le champ de bataille. Les batteries font rage; ce ne sont qu’éclairs et bruits d’éclatement dans l’aube naissante; tout là-bas dans la brume apparaissent comme de grandes flammes rouges; ce sont les Boches inquiets qui lancent des fusées rouges pour demander des tirs de barrage; mais les batteries boches très arrosées ne répondent presque pas. Le spectacle est tragique et grandiose en même temps. L’heure de l’attaque est proche sans doute, car le feu roulant augment encore d’intensité. Toute la nuit qui s'étend sur la brume des bas-fonds est illuminée de ces éclairs.
C'est à regret que je quitte ces hauteurs et je m'enfonce dans la plaine obscure, il est 4 heures. L’heure H est à 4h40, à peine au petit jour. Les saucisses font des tâches noires dans le ciel qui s'éclaire; c'est un bruit assourdissant de pièces de tous calibres; les vitres et les portes tremblent; l’heure H est arrivée. Le moment est angoissant; nous attendons les premiers renseignements.
À gauche, au Mort-Homme opère le 31e D.I. avec de gauche à droite le 122e, 96e et 81e; avec chacun un bataillon en ligne, sauf le 122e qui en a 2.
À droite, sur le bois des Corbeaux et la cote de l’Oie se trouve la division marocaine, de gauche à droite, e 7e tirailleur, 8e zouave, 4e tirailleur et la Légion Etrangère.
Les dernières photos ont montré que la préparation d’artillerie avait détruit les tranchées et ouvrages boches, surtout dans le secteur de la 31e. Dans celui de la DM, les destructions sont moins achevées, et l’on n'a pas de documents sur l’ouvrage de Pavie, dans le ravin des Caurettes où débouche le tunnel des Corbeaux. Quelle surprise réservera-t-il?
Voici les renseignements dans l’ordre où nous les recevons:
5 heures, la légion avance trop vite et est atteinte pas nos barrages qui doivent s'avancer de 100 mètres toutes les trois minutes. L’on ne voit pas l’attaque sortir des tranchées à cause de la fumée et de la poussière.
À gauche, la 31e a atteint à 3h30 ses premiers objectifs (renseignements par avion) et occupe la tranchée de Brandebourg, de Stessier, le tunnel de Bismark est dépassé; celui du Kronprinz à moitié.
6 heures, l’objectif atteint sur tout le front, jalonnement fait à 5h20. Les prisonniers affluent à l’arrière. La DM repartie à 5h40 après avoir atteint son objectif.
La côte de Talon serait franchie; la ferme de Moremont prise par le 15e C.A..
6h15, les 1ers objectifs du 15e C.A.… de la droite de la Meuse sont atteints; Neufville occupé. En marche vers le ravin d’Avricourt.
6h30. Les 2e objectifs sont occupés par la DM. À gauche, le 13e C.A. a pris le Crochet la tranchée Unruhn. L’on ne sait rien au sujet du 304 que l’on a voulu prendre par encerclement au lieu de foncer droit devant soi.
Les vitres et murs du P.C. tremblent ébranlés par les coups des batteries lourdes qui entourent Fromeréville et qui tirent sans relâche. C'est un martèlement continu où domine les détonations des grosses pièces de 240, 370 et 400.
7h30, visite du groupe de journalistes qui ont passé le début de l’attaque au fort du bois Burrus. Le lieutenant Serou qui les accompagnaient me raconte que jamais ils n'avaient été aussi près de la bataille et qu’ils étaient fortement impressionnés en passant la nuit au milieu de nos batteries des bois Burrus. Le commandant de Lanjoutrie du 3e bureau les reçoit et leur indique la situation en insistant sur le rôle glorieux des troupes du midi, de la 31e D.I. qui avait brillamment enlevé le Mort-Homme. Photo. Plus loin, on lit le récit de l’un d’eux, Tardieu de l’Echo de Paris.
8h10, progression de la DM à travers le bois des Corbeaux. Point noir vers 304 dont l’on n'a pas de nouvelles.
8h20, la toile d’Araignée, position derrière la 304 serait prise? La canonnade est moins intense; ce n'est plus le roulement continu comme tout à l’heure. Le temps est brumeux quoiqu’ensoleillé.
9h. Tous les objectifs du 16e C.A. sont atteints et dépassés par les reconnaissances offensives. À gauche, le 13e C.A. aurait pris la 304 ? La Légion a atteint le haut de la côte de l’Oie et progresse à la grenade vers l’ouvrage 265.
14h, de façon certaine l’on apprend que 304 tient toujours; cette trop belle manœuvre d’encerclement a raté; l’on tient seulement l’ouvrage de Vassincourt et le Crochet.
17h, la Légion a pris son dernier objectif, la cote 265 et l’ouvrage de la Fosse. Aucune réaction de l’ennemi qui a été surpris par la soudaineté de notre attaque bien que s'y attendant.
Prisonniers dénombrés à 14h au C.A., 1 800, pertes 1 600 hommes dont 800 blessés légers. Très belle victoire pour notre C.A. qui a atteint tous ses objectifs sans coup férir et pourtant les 2 tunnels dans l’esprit boche devaient former deux centres de résistances très importants.
21 août – Au matin, le 15e C.A. poursuivant ses succès s'empare de Parmrieux et du système de tranchée qui le défendait. La Légion s'empare de Regnéville, à gauche, le 11e C.A. n'a toujours pas 304. L’on va être obligé de remonter une attaque sur ce centre de résistance.
Pendant la nuit, en représailles de leur défaite, les avions boches jettent des grenades incendiaires sur l’hôpital 12 de Vadelaincourt; et pourtant ils en connaissaient fort bien l’emplacement car une photo d’avion prise par eux reproduisait très visible la croix rouge dessinée sur les toits. Le bombardement dura plus de 2 heures et à la lueur de l’incendie ils jetèrent plus de 200 bombes, tuant plus de 50 troupiers et blessant 200 autres. Dans les baraques incendiées, 10 blessés ont brûlé et une infirmière a été tuée.
Dans les tunnels, l’on a fait de nombreux prisonniers dont un état-major de brigade et recueilli beaucoup de documents. Le C.A. a fait 3 500 prisonniers dont 82 officiers, 28 canons, pris ou détruits plus de 100 mitrailleuses. Nos pertes sont de 390 tués et 15 officiers; 2 160 blessés et 47 officiers. Notre préparation d’artillerie a été formidable; en 6 jours nous avons tiré 750 000 coups de canon; ce qui fait environ 100 millions de francs sur notre front de 4 km. Le dernier jour de préparation, nous avons dépensé 125 000 obus de 75, 25 000 obus à gaz et 50 000 obus lourds de 103, 120, 155, 220, 270 et 280 sans compter l’ALGP qui dépend de l’Armée (240 – 370 – 400) sur voies ferrées.
Le total des prisonniers faits autour de Verdun est à ce jour de 6 100 dont 174 officiers, dont nous avons la plus grosse part à cause du rendement des tunnels.
Les Boches ayant 4 divisions en réserve à l’arrière vont peut-être essayer de monter de puissantes contre-attaques. Elles paraissent difficiles sur notre front car elles auraient à traverser le ruisseau de Forges avant d’aborder les pentes nord du Mort-Homme et de la cote de l’Oie que nous tenons. Cette offensive limitée avait pour but de prendre les forts points d’appuis de 304 et du Mort-Homme et du… qui rendaient impossible toute idée d’offensive.
22 août – Le beau continue très heureusement. Les hommes souffrent moins dans leur organisation de tranchées conquises.
Photo de la visite à Fromeréville du capitaine de Lagonterie à son bureau.
Voilà tout ce qu’ont vu les correspondants de guerre envoyés par les Journaux parisiens d’un grosse attaque; et pourtant on a fait tout ce que l’on a pu pour qu’ils voient et puissent raconter quelque chose à leurs lecteurs.
22 août – Les journaux nous bourrent le crâne avec les Américains; ils nous parlent de 10 000 avions arrivant au printemps prochain sur notre front pour nous donner une supériorité incontestée dans l’aviation. La vérité est toute autre; j'en parlais hier avec un de mes amis depuis longtemps dans l’aviation. L’industrie américaine est incapable en l’état actuel de construire les moteurs d’avions qui sont trop délicats à ajuster. Ce sont les fabricants français qui actuellement fabriqueraient les moteurs pour les américains; et ces derniers ne seraient prêts à construire eux-mêmes qu’à la fin de cette année. Et il ajoutait:
Ce serait très bien si au printemps prochain les américains pouvaient se suffire à eux-mêmes pour former l’aviation du corps expéditionnaire; car pour un appareil au front, il en faut 5 à l’intérieur. Ce n'est pas fait pour terminer la guerre l’an prochain.
24 août – Le 13e C.A. après une nouvelle préparation d’artillerie s'empare enfin de la cote 304. Il n'y avait presque plus personne et la 26e D.I. ne fait qu’une cinquantaine de prisonniers. La 31e D.I. en profite pour s'avancer jusqu’aux positions dominants le ruisseau de Forges et occupent le bois en T et les boyaux Brody, Tarnopol, Kovel et de la Hayette.
Les Boches ne réagissent que par quelques bombardements sur leurs anciennes positions et quelques fois avec des obus toxiques. Les Boches mentent effrontément dans leurs communiqués; ils parlent de pertes sanglantes, de reculs stratégiques, d’opérations faites sur l’ordre de l’Angleterre. Nos pertes ne sont pas énormes; ici à la 31e D.I., 167 tués et 13 officiers, 1 004 blessés et 31 officiers, 211 disparus. À la DM, 190 tués et 5 officiers, 850 blessés et 22 officiers, 350 disparus et cela comprend la période de préparation allant du 16 au 20 inclus. Ils n'ont pas reculé pour la bonne raison que nous avons tué ou pris toutes les troupes qui occupaient le terrain enlevé; enfin, ce n'est pas sur l’ordre de l’Angleterre car les projets d’opérations datent du mois d’avril 17.
De plus en plus la guerre gagne les airs. En dehors des combats d’avions isolément ou par escadrilles, en plus des bombardements des gares et cantonnements, les avions interviennent dans la bataille avec leurs mitrailleuses, en mitraillant les tranchées et sur les arrières, ils mitraillent sur les routes les convois, les troupes, les cantonnements. C'est la commencement d’une nouvelle phase de la bataille.
26 août – Cette nuit, ils ont bombardé le village voisin de Les Souhesmes. Il y a eu 10 tués et 40 blessés. Une seule bombe souffla entièrement une baraque d’aviation; il n'en restait que quelques vagues débris. Dans des trous de bombes faits dans un champ voisin, un homme à cheval aurait pu s'y dissimuler… voisines étaient criblées de multiples trous comme si elle avait mitraillé.
Notre secteur redevient de plus en plus calme; nous nous organisons sur la rive droite, il y a bien encore actions sur Beaumont où les Boches résistent avec acharnement et contre-attaquent violemment.
L’on sait maintenant que 13 divisions ont paru sur le front d’attaque en 5 jours, 8 de celles-ci sont usées et ont été relevées. Chez nous, la 31e organise le secteur enlevé par elle, ainsi que la division marocaine. Voilà de la bonne usure. Ainsi Pétain est-il fait grand-croix. C'est le succès de ses idées tactiques.
Je rentre de la revue passée par le président Poincaré aux troupes qui viennent de remporter les succès autour de Verdun. Il y avait de chez nous le général Martin qui présentait les troupes. La 31e D.I. et la DM. Il y avait aussi des divisions du 13e C.A., du 15e C.A., du 32e C.A.. Poincaré accompagné de Painlevé, ministre de la guerre, de Pétain, généralissime, des généraux Fayolle, Guillaumat, de Fouclare passe rapidement à pied devant le front des troupes rangées en quadrilatères autour d’un champ près de Souilly. Puis les drapeaux qui claquent sous le vent violent viennent s'aligner au milieu car l’on va en décorer quelques-uns. Le ciel est bas; les nuages noirs. Après les remises de grand-croix à Pétain et de croix à d’autres généraux, la revue commence. Poincaré, Painlevé et Pétain en avant des autres officiers généraux alignés derrière eux, voient défiler de glorieux régiment dont ils saluent les drapeaux. Je prends quelques photos malgré le mauvais temps. Le spectacle, dans la simplicité militaire est impressionnant.
Le général Corvisart fait un ordre général au 16e C.A.:
Officiers, sous-officiers, caporaux et soldats, sur un front de 8 km vous venez d’enfoncer les lignes allemandes formidablement organisées. Vous vous êtes imposés à l’admiration de tous en enlevant d’un irrésistible assaut le géant du Mort-Homme et le bois des Corbeaux, positions aux noms fameux claironnés dans le monde entier.
Vous avez fait 4 000 prisonniers appartenant à 4 divisions, pris ou détruits 50 canons dont 16 de gros calibre, capturé des centaines de mitrailleuses et de minenwerfer et un matériel de guerre considérable.
Une fois de plus, vous avez prouvé que la victoire appartient à celui qui veut vaincre. Honneur à vous, braves gens de toutes armes qui avez si hautement mérité de la Patrie.
Le général commandant le groupe d’armées, et le général commandant l’Armée dont je suis fier d’être auprès de vous l’interprête vous expriment leur satisfaction et leur admiration.
Je m'incline devant vos morts héroïques. Je salue vos glorieux drapeaux.
Ordre 11 921 du 29 août 17
31 août – L’on commence à avoir des renseignements détaillés par les prisonniers du 20 août:
Ils sont très impressionnés par le feu de notre artillerie. Nos obus de gros calibres peu efficaces contre l’infanterie lorsque celle-ci avait évacué ses abris ont eu des effets terribles là où elle est restée. Beaucoup d’hommes sont trouvés ensevelis presque tous tués dans certains abris. Même dans le fameux tunnel du Mort-Homme la voûte de terre qui avait pourtant plus de 20 mètres d’épaisseur avait été défoncée par nos obus de 400 et de nombreux cadavres intoxiqués encombraient le tunnel.
Le manque de liaisons, la fumée, la poussière qui empêchaient de voir les signaux par fusées ont empêchés le déclenchement des tirs de barrage ennemis.
La pénurie de munitions due au manque de matières premières deviendrait inquiétante. L’usure rapide du matériel nuit à la précision des tirs. Enfin, sur l’Aisne leurs pertes en artillerie auraient été très fortes.
La 31e D.I. est relevée par le 32e et la DM par la 48e D.I. (division Prax)
1er septembre – Les officiers du P.C. rentrent à Rampont. Les permissions supprimées pendant tout le mois d’août reprennent au taux de 13%.
Voici la réponse de Wilson aux propositions de paix du Pape.
La dépense d’artillerie du 14 au 28 août a été pour notre secteur qui pourtant n'a pas subi de contre-attaques, l’on a usé 1 million d’obus pour 125 millions de francs. Cela fait pour l’ensemble des 4 corps d’armées du secteur d’attaque 600 millions de francs, rien qu’en dépenses d’obus, sans compter les balles de mitrailleuses et de fusils. Les grenades, l’usure des tubes, le camouflage du matériel du génie pour abris, etc… En un mot, cette offensive coûte plus d’un milliard et l’on a avancé de 1 500 m à 3 km sur un front d’une vingtaine de km/
C'est de la prodigalité pour de un si petit résultat par comparaison à l’ensemble du front, et des officiers de la division marocaine nous on dit que la préparation d’artillerie n'avait pas été trop poussée.
Les Boches au contraire qui commencent à être gênés pour leurs munitions procèdent avec rapidité et escomptent sur la violence du choc comme éléments du succès. Ils l’ont prouvé dans notre secteur sur des points de la cote 304 où après une très courte préparation d’artillerie ils attaquaient et s'emparaient de leurs objectifs, alors que nous, pour reprendre ces éléments, nous avons dépensé plus de 50 millions de quelques jours après, le 13e C.A. à qui nous avions cédé la cote 304 se laissait reprendre ces mêmes tranchées qui nous ont tant gênées lors de l’attaque du 20 août, n'ayant pu amener des troupes dans la 1ère ligne.
De l’attaque boche du 31 juillet sur Cerny-en-Laonnois, voici les enseignements que l’on a tiré. Brièveté des tirs, 5 mn de préparation avec de gros moyens, et les Stormtruppen arrivent de la tranchée au moment où nos défenseurs s'enfoncent au fond de leurs abris.
2° Souplesse du dispositif d’attaque qui varie suivant les circonstances et les lieux.
3° Constitué de stormtruppen qui n'est qu’une avant-garde qui entraîne et qui éclaire.
4° progression rapide; 3 minutes de barrage sur chaque ligne de tranchée. Tout l’effet réside dans la violence des tirs et la rapidité d’exécution. Ils comptent sur la manœuvre de débordement et de dépassement.
2 septembre – Malvy donne sa démission de ministre de l’intérieur à la suite de la violente campagne de Clémenceau au sujet de l’affaire du Bonnet Rouge, journal révolutionnaire.
3 septembre – Cette nuit qui est très claire, les avions boches viennent bombarder les cantonnements de notre région.
Une centaine de bombes sur Souilly démolissent des maisons et tuent ou blessent des officiers de l’Etat-major de l’Armée à Vadelaincourt. Une trentaine de bombe causent peu de dégâts. Cela fait un drôle d’effet quand on est couché dans sa mince baraque d’entendre bourdonner au-dessus de soi ces terribles moucherons. L’on se demande s'ils ne vont pas lâcher leur bombe sur notre tête. Mais cela ne m'empêche pourtant pas de m'endormir tranquillement.
4 septembre – Cette nuit, bombardement de Rampont par une douzaine de bombes de gros calibres. Aucune n'atteint les cantonnements. Pourtant un homme qui se croyait plus en sécurité au milieu des champs a été atteint par un éclat qui lui a tranché la gorge. Un autre a été blessé à Vadelaincourt. Il y a eu cette nuit une quarantaine de bombes occasionnant de gros dégâts à l’hôpital d’évacuation. Deux chirurgiens tués, et une quinzaine d’infirmiers. Trois infirmières blessées, 40 hommes blessés.
6 septembre – Dans le nuit, reprise du bombardement sur Rampont. Encore une douzaine de bombes dans les environs de la maison du général. Pas de dégâts matériels. Les avions volaient pourtant très bas aux dires de ceux qui les ont vus. Ils sont revenus trois fois entre 9 heures ½ et 2 heures du matin. Par trois fois ils m'ont réveillé car je n'ai pas bougé de mon lit, à l’encontre de beaucoup d’autres qui faisaient le va et vient de leur lit aux abris et qui couraient les mêmes dangers car à moins de passer toute la nuit sans dormir, tassé et pressé dans un abri, l’on cour autant de risques à n'y aller que lorsque le danger est révélé par l’éclatement des bombes. Mais j'avoue que les minutes où l’on entend le ronronnement des hélices de l’avion survolant le village n'offrent rien d’agréable. Il y a eu un moment d’angoisse jusqu’au moment où entendant la cabane secouée par l’éclatement d’une bombe l’on se dit ce n'est pas pour moi cette fois-ci!
L’on parle de plus en plus de la relève du C.A. par le 2e et nous irions du côté de Vesoul. La 31e D.I. aurait été envoyée à Combles où elle était au repos sur Villersexel. Faire campagne en Alsace ne serait pas déplaisant. Le colonel Melot du 1er bureau, fatigué, malade quitte l’E.M..
En Russie, cela va de mal en pis. Riga qui avait résisté jusqu’à présent est occupé par les Boches. La discipline est longue à rétablir. Kornilov ne peut obtenir le rétablissement de la peine de mort. L’on en arrive à se demander si le fameux Kerenski, le sauveur de la Russie révolutionnaire, ne serait pas un utopiste, incapable d’avoir une saine appréciation de la réalité des événements et des mesures à prendre.
7 septembre – Cette nuit calme : combien de fois la chose simple de passer une nuit non troublée parait une chose exquise. Tout est une affaire de relativité dans les jouissances humaines.
Ribot à l’anniversaire de la Marne à La Fère Champenoise rappelle comment la paix pourra se faire par le retour de l’Alsace à la France, condition absolue et le paiement non l’indemnité mais des dommages causés. Enfin, il invite aussi le peuple allemand à devenir une démocratie ; mais pour cela, il faut arriver à le battre complétement et lui enlever sa foi en la force de son régime militariste.
9 septembre – Le ministère Ribot pour avoir voulu couvrir Malvy tombe sous les coups répétés de Clémenceau. Après avoir essayé de remanier son ministère complétement lâché par les socialistes et Albert Thomas lui-même, il abandonne complétement la partie.
Guillaume se réjouit bruyamment de la prise facile de Riga; il exalte le moral de ses troupes avec ce fait d’armes de peu de valeur.
Par contre, devant le grave danger qui menace la Russie, l’on rétablit la peine de mort aussi bien pour les civils que les militaires. Peut-être est-ce le commencement du rétablissement de l’ordre et de la discipline.
10 septembre – Les avions nous laissent tranquilles depuis quelques nuits et la nervosité de certains officiers disparait peu à peu avec le danger. Le commandant Baru, notre commandant du Q.G. qui pourtant vient de l’infanterie et devrait être accoutumé au marmitage n'osait plus rentrer chez lui le soir et restait calfeutré à l’E.M. jusqu’à, certains jours, 3 heures du matin se croyant plus à l’abri de cette maison qui a 2 étages. Le commandant Bloch du 1er bureau, le secrétaire principal… le payeur général Guillet (lui encore cela se comprend, c'est presque un civil), tous trois, ils se sont emparés d’un abri du génie prévu pour 60 hommes et d’autorité y ont installé des couchettes qui prennent toute la place! Quant au commandant Melot du 1er bureau qui avait reçu la croix de guerre pour ses bons services comme chef de bureau n'a pas hésité à se faire évacuer aussitôt profitant d’une faiblesse de sa vessie! La plupart des autres faisaient comme moi, couchant dans leurs cagnas, ils n'étaient pas très fiers pendant les bombardements mais attendaient bravement les évènements.
15 septembre – Nous avons un ministère Painlevé sans socialiste. Mais par contre, il y a 30 ministres ou sous-secrétaires d’Etat. Ribot reste aux affaires étrangères et Painlevé à la guerre. L’affaire espionnage boche semble se continuer par le scandale du député Turmel. On ne pourra donc pas nettoyer le pays de cette vermine. En Russie, c'est la guerre civile et le gâchis. Korniloff voulant rétablir la discipline et l’ordre marche contre Kerenski. Qu’en sortira-t-il?
Notre corps d’armée non encore relevé reçoit la visite d’officiers généraux chinois, américains, et même Clémenceau qui, malgré ses 75 ans passés, s'appuie à travers boyaux la visite du tunnel du Mort-Homme dans l’eau et la boue.
19 septembre – La guerre d’aviation s'augmente chaque jour. Tous ces soirs-ci la nuit est claire quoique sans lune, et tous les soirs, les avions boches bombardent nos cantonnements de l’arrière. Dans la journée, ils ont aussi bombardé la ligne de chemin de fer avec du gros calibre (240) et l’on entendait siffler les obus au-dessus de Rampont.
Painlevé a fait sa déclaration devant les chambres ; mêmes buts de guerre :
Si la France poursuit cette guerre ce n'est ni pour conquérir ni pour se venger, c'est pour défendre sa liberté et son indépendance avec, en même temps la liberté et l’indépendance du monde...
Désannexion, réparation des préjudices et des ruines causées par l’ennemi…
Conclusion d’une paix ou des garanties efficaces protègent la société des nations contre toute agression d’une d’entre elles.
Enfin, pour cela, il réclame la coordination des forces de tous les Alliés :
Il faut qu’ils agissent comme s'ils constituaient une seule nation, une seule armée, un seul front ; lis doivent mettre en commun leurs hommes, leurs armées, leur argent. Une telle politique permettra à la France de faire face à la fois, sans s'épuiser, à ses besoins économiques et à la guerre de ses frontières. Depuis août 1914, l’armée française a été l’invincible bouclier de la civilisation, son sang a coulé à flots, il importe pour l’heureuse issue de la guerre qu’elle garde jusqu’au bout sa plénitude et sa vigueur.
Quant à notre situation militaire, si le front russe nous a causé de pénibles désillusions depuis des mois, sur les autres champs de bataille, de grandes choses se sont accomplies dont les résultats plus profonds qu’apparents encore, se manifestent par leurs conséquences.
À la suite de notre offensive réussie d’août, tous les chefs de bureau ont été cités à l’ordre du C.A.. Pourquoi seulement eux et non pas leurs collaborateurs ; qu’ont-ils-fait de plus courageux ou de mieux que les autres ? Quand on prend un ruban, il est tout à fait naturel que les chefs commencent à se servir. Ont été cités à l’ordre du C.A. : lieutenant-colonel Henneton, commandant de Langonterie, Rivière, Mellot et qui aussitôt après sa citation réintégrera l’intérieur pour maladie des voies urinaires !
24 septembre – La relève promise du 16e C.A. est retardée de jour en jour. Les boches se montrent assez actifs vers Avocourt – 304 et sur la rive droite vers le bois de la Chausse ; aussi l’on ne parle plus de relève de la 32e D.I. et l’extension du front de nos deux voisins, le 2e et le 7e C.A..
25 septembre – Il fait un temps superbe ; les nuits sont claires, très favorables aux bombardements par avions. Les boches arrosent copieusement tous les cantonnements de l’arrière, les uns après les autres. Hier à Souhesmes à 2 km derrière Rampont, une bombe tua 8 soldats et en blessa 13 autres dont 5 grièvement. À Lummes, à Nixéville, à Souilly, il y a d’autres victimes. Ici l’on a fait construire u, abris qui n'est pas à l’épreuve des grosses bombes hautes de 1m40 dont ils se servent sur les maisons : mils il protège des éclats. Avant-hier, à peine avions nous terminé notre repas que les avions boches commencèrent leur sérénade. Nos mitrailleuses crépitaient, les obus de nos canons éclataient dans la direction des avions et ces derniers lâchaient leurs bombes un peu au-delà de la gare, à 200 m de notre popote. Pour éviter de pareils troubles de la digestion, l’on a avancé le repas d’une demi-heure et hier, nous sommes allés dans notre abris avant le crépuscule, mais il n'est rien venu ; les boches étaient occupés à leur attaque sur la rive droite.
Avant-hier, le roi de Belgique est venu voir le terrain de notre offensive du poste d’observation de Roumanie près de Livry-la-Perche, d’où la vue est très étendue. Le roi est très grand , très blond, très alerte et jeune ; plein d’allant, il paraissait heureux de vivre, de ce qu’il faisait beau et de ce qu’il voyait, de se trouver en compagnie des Pétain, Castelnau, Fayolle, Guillaumat, à côté de lui le président Poincaré avec son veston sombre et sans éclat, sa casquette plate de yachtman, son air taciturne et renfrogné avait l’air du précepteur baladant le fils de famille.
27 septembre – L’aviation ennemie continue à se montrer très active ; dans la journée ce sont des vols de 8 à 10 avions survolant les tranchées et mitraillant les occupants. La nuit dernière, ils ont bombardé les camps d’aviations de Doches, Lemme, Souilly. À Orches, deux hangars ont brulé avec 6 appareils, des voitures, des camions, quelques tués et blessés ; beaucoup de matériel détruit. Jusqu’à présent, l’on a rien fait pour essayer de démolir ces avions boches qui reviennent chaque soir. Si, la DCA tire des coups de canon au petit bonheur dans la direction où l’on entend le bruit du moteur. C'est enfant et dangereux ?
28 septembre – Cette fois, les bruits de relève se précisent et les officiers du 7e C.A. viennent prendre les consignes.
29 septembre – Le 19, je parlais des citations de divers chefs de bureau. Le chef d’E.M. vient d’être cité à l’ordre de l’Armée, voici le motif de lieutenant-colonel Moreigne :
Officier supérieur de haute valeur, à l’esprit net et précis, se consacrant à son devoir avec la plus intelligente activité et le dévouement le plus absolu. Comme chef de l’E.M. du C.A., vient, dans la préparation d’une attaque de donner de nouvelles preuves de l’étendue de ses connaissances militaires.
À largement contribué au succès par une attitude toujours en éveil portée sur tous les points du service, par son initiative, sa fermeté et son travail incessant.
Quand on compare cette citation avec ceux qui en gagnent difficilement une au milieu des dangers mortels journaliers, l’on ne peut s'empêcher d’en gouter l’ironie profonde, quand on y voit relater les connaissances d’un chef d’E.M., le dévouement, l’activité et le travail. Si un chef d’E.M. n'avait pas à son actif ces quelques qualités, serait-il digne d’avoir cet emploi et est-ce une raison parce qu’on le reconnait digne de son emploi de l’offrir en exemple à toute une armée ? Mais quand on sait la valeur d’une citation, cela n'a rien d’étonnant et confirme la règle ! Le même jour, le général Prax commande la 48e D.I. avait appuyé une demande de citation à l’Armée en faveur du capitaine Flin, depuis le début dans un régiment d’infanterie, 4 fois blessé, d’un courage et d’un sang froid remarquable, toujours au milieu de ses soldats au moment où elle tape le plus fort. Le général Corvisart a arrêté cette demande et mis de sa main. Proposition… à citation à l’ordre de la D.I.
En attendant l’armée américaine
Octobre 1917 – Avril 1918
Nous voici à l’entrée de l’hiver; le quatrième. Où en sommes-nous de la guerre? Partout les Allemands ont résisté sur le front occidental; grâce à la décomposition de l’armée russe ils ont pris Riga, la Galicie et la Bucovine. Ils ont pu envoyer au repos que le front russe les divisions amochées sur notre front, et ce système de bascule leur a permis de tenir devant nos efforts.
Et en même temps, ils essaient par tous les moyens de nous donner des idées de paix; ils voudraient bien liquider leurs victoires. Nous avons eu chez les Alliés de longues discussions au sujet de la conférence internationale de Stockholm; nos socialistes minoritaires voulaient y aller; finalement après entente, les gouvernements alliés ont refusé des passeports.
Stockholm ayant échoué, le Pape est intervenu en médiateur demandant aux belligérants leurs buts de guerre.
Les puissances centrales n'ont pas dévoilé leurs idées de paix. Wilson a répété qu’il ne traitait qu’avec le peuple boche débarrassé de son impérialisme. Et les Boches n'ont pas l’air de vouloir de sitôt se débarrasser de son empereur si on ne l’y force pas les armes à la main. Alors ! La France avec les affaires scandaleuses d’Almeyreida et le Bonnet rouge du député Turmel, du pacha de Bola et de l’affaire du Journal, l’on découvre la trame d’un vaste complot boche pour faire pression sur l’opinion et l’amener à la paix.
Berthou redevenu ministre emploi la formule vite et tout comme programme pour la lumière à faire sur toutes ces affaires ténébreuses.
À côté de cela, la situation économique n'est guère bonne. Notre récolte en blé est déficitaire de plus de 80 millions de quintaux et avec les moyens de tonnage très restreints dont on dispose, la soudure sera très dure l’an prochain. L’on demande aussi le retour à la terre des vieilles classes. Nous en sommes à plus de 100 milliards de dépenses, et la dette grossit de 3 milliard par mois !
En Russie, c'est un gâchis inouï ; Kerenski, plutôt avocat qu’homme d’état et manquant d’énergie parait incapable à rétablir l’ordre.
Voici ce que disait Pichon dans le Petit Journal… C'est donc l’anarchie qui peut laisser supposer à un moment donné l’abandon complet de tout effort militaire. Dès à présent nous comptons sur l’effort américain pour compenser cette défection. Mais alors, on peut se demander si en semblable occurrence nous serons capable de battre complétement les Boches l’an prochain avec les réserves libérées du front russe.
La guerre sous-marine très dangereuse dans ses résultats des premiers mois ne peut donner le résultat attendu par les Boches ; les constructions anglaises et américaines poussées à outrance doivent équilibrer les pertes. Les Boches ne peuvent donc espérer la famine en Angleterre et empêcher les Américains de débarquer leurs troupes en France. Alors, qu’espèrent les Boches ?
Notre lassitude, sans doute, pour énerver notre résistance et bâcler une paix blanche, où toutes les fautes seraient oubliées.
L’on nous raconte bien dans les journaux les difficultés de vivre en Allemagne et en Autriche leur situation financière désastreuse. Mais, en 1914, l’on racontait les mêmes choses, l’on parlait de famine future, et la guerre dure encore, 3 ans après.
Il est vrai que l’Amérique a resserré le blocus des neutres qui ne pourront plus ravitailler l’Allemagne ; mais cette dernière occupe d’immenses territoires dont elle accapare les ressources. Je crois donc qu’elle a de quoi vivre, mal peut-être, mais cela suffit pour résister.
Au fond, nous fondons notre dernier espoir de remporter la victoire complète sur l’aide américaine. Je crains bien que malgré leurs promesses et leur désir de faire grand et vite, leur effort ne soit assez puissant que fin 1918 et que par conséquent le Boche résistant encore, il ne soit nécessaire d’une autre campagne ne 1919. La France pourra-t-elle attendre jusque là ? Elle a versé tant de sang, donné tant d’argent depuis 3 ans que je crains bien qu’elle ne puisse encore continuer 2 ans de guerre. Puisse-t-elle avant, imposer sa paix aux Boches, car sans cela, l’on pourrait craindre un épuisement dont elle serait longtemps avant de se relever.
En attendant l’effort américain, les Boches intensifient la guerre aérienne ; c'est le commencement de la future guerre où l’on sera obligé de jour comme de nuit de vivre sous terre dans les cantonnements. Depuis un mois, toutes les nuits les avions boches sont venus bombarder nos arrières. Et un peu partout, il y a des victimes. Bar-le-Duc, Souilly siège de l’Armée ont été particulièrement bombardé. À ce qu’il parait que ce fut la même chose à Epernay, Chalons, Château-Thierry. Aussi, devant ce développement systématique du bombardement de nuit, le GAC a demandé des compte-rendu des incursions et des bombes de chaque nuit. Les Boches paraissent avoir sérieusement pris les devants et sur notre front, ils dominent notre aviation, survolant et mitraillant nos tranchées en escadrilles nombreuses. Et l’on parle d’écrasement futur par l’aviation américaine ? Ils auront du fil à retordre. Après 15 mois, nous sommes relevés dans cette région de Verdun ; nous la quittons sans regret, surtout si comme on le dit, nous devons aller dans les Vosges, à la VIIe armée avec le général de Boissourdy .
Que les Américains se hâtent, nous avons besoin de connaître leur effort et d’en apprécier les effets.
Pendant les mois qui vont suivre, ils doivent se révéler. Attendons et ayons toujours confiance au succès final.
3 Octobre 1917 – Rampont – Ce matin, prise d’armes pour remettre quelques croix et médailles. C'est entre nous ; c'est le général Corvisart qui passe la revue. Par extraordinaire, il pleut à torrents, alors que hier encore et depuis 15 jours il faisait un temps splendide.
Cette nuit encore les Boches ont survolé les cantonnements et lâché des bombes sur Livry, Brocourt, Souilly, etc… Toute la nuit, j'étais réveillé par le tir des mitrailleuses et des éclatements d’obus dans les airs. Ils n'ont rien lâché sur Rampont. Maintenant qu’il pleut, espérons pouvoir dormir tranquille.
4 octobre – Churchill à la suite d’un banquet déclare :…
Oui, la victoire ne viendra qu’en 1919 lorsque le plein effort américain s'ajoutant à notre suprême énergie brisera l’impérialisme allemand. À moins que d’ici là, les Boches sentant l’écrasement futur acceptent toutes nos conditions.
En attendant, en France le scandale Bolo pacha croit sans cesse ; l’on commence à saisir la trame de l’espionnage boche organisé par les Bolo, Margulies, Jellinek, aidés ou couverts par des de Joly, préfet des Alpes-Maritimes, des Malvy, ministre de l’intérieur qui se compromettent auprès de ces forbans, des Humbert qui ramassent des millions, des Almeyreida et compagnie ; et dans la coulisse, des Caillaux qui en 1913 permettait à la Banque Perrus un emprunt à Morvan de 100 millions et qui lui faisait remettre une amende de plus de 8 millions de francs.
Tout se tient dans un monde interlope d’affaires, de banque et de politique.
Espérons que l’on ira jusqu’au bout du nettoyage, sans pitié pour les gros qui ont tout couvert de leur haute personnalité.
Léon Daudet n'avait-il pas annoncé tous ces scandales dans sa campagne contre l’espionnage qu’il livre chaque jour dans l’action française.
Hier, grand débat à la chambre. Daudet avait écrit à Poincaré pour déclarer que son devoir de français l’obligeait à dire que Malvy était un traitre, à la tribune. Malvy associe son sort à celui de la République attaquée, dit-il par des forces réactionnaires. Mais finalement, il ne prouve rien et le blanc-seing de la chambre ne le lave nullement aux yeux du public des accusations portées contre lui. En tout cas, s'il n'y a pas eu crime réel, il y a tout au moins compromission ou incurie et en temps de guerre, c'est beaucoup trop.
Les journaux racontent, chose stupéfiante, que la sœur d’un préfet de Nice était secrétaire auprès de Jellinek, l’espion boche arrêté en Suisse ; le propriétaire de l’hôtel Astoria et de la marque Mercedes.
6 octobre – Les Anglais continuent leurs attaques avec un certain succès dans les Flandres ; aujourd’hui ils annoncent près de 5 000 prisonniers et la conquête de très fortes positions dominantes.
Les Allemands ont lancé dans le public les sept emprunts ; les journaux réveillent l’enthousiasme en parlant de leurs succès acquis et en dépeignant la situation désespérée des Alliés par suite de la guerre sous-marine. Les pertes totales se montent, disent leurs journaux à 6 300 000 tonnes, et en août, ils auraient coulé encore 800 000 tonnes. Aussi le critique militaire Moraht estime-t-il que le concours de l’Amérique ne doit pas préoccuper outre mesure les Allemands car il estime que pour transporter 500 000 hommes, il faudrait 750 vapeurs de 4 000 tonne, et que depuis longtemps, l’Entente ne possède plus autant de navires d’un pareil tonnage, et il ajoute que le général Pershing aurait reconnu que pour percer le front allemand il faudrait un effort titanesque de l’Union.
7 octobre – Nous quittons Rampont et revenons à Laheycourt où nous avions déjà cantonné en arrivant du Soissonnais dans la région de Verdun.
12 octobre – Par une pluie torrentielle, je pars en auto de Laheycourt pour aller à Vesoul. J'ai un vague aperçu de la belle route suivie par l’auto à travers la vallée de la Meuse et les monts de Faucilles. Je traverse Bar-le-Duc encore fumant des bombes incendiaires jetées par des avions boches et qui ont mis le feu à un grand nombre d’immeubles. Je passe à Domrémy, mais la pluie m'empêche d’aller faire un pèlerinage à la maison de Jeanne d’Arc. Déjeuner à Neufchâteau. Dans tous les villages environnants nous trouvons des camps américains. Les quelques troupes de nos nouveaux alliés que nous croisons le long de la route sont superbes malgré la pluie qui continue à tomber. Nous traversons Contrexéville, Bains-les-Bains, Saint-Loup-sur-Semouse où enfin la pluie cesse, la vielle citée moyenâgeuse de Luxeuil-les-Bains, et nous arrivons à la nuit à Vesoul où le Q.G. est installé dans une ancienne banque derrière la cathédrale.
13 octobre – L’on profite du repos pour activer les permissions. Je pars pour 10 jours avec 6 jours de délais de route pour Villefranche et Sète. Que dit-on et que fait-on à l’arrière Dans le Lauragais, la récolte est très mauvaise ; le rendement n'est que de 3 à 7 à la semence en blé dont le taux est fixé à 50 Fr. Comment fera-t-on la soudure l’an prochain. Le gouvernement vit au jour le jour en faisant procéder dans certaines régions à des battages hâtifs.
Mais par contre, dans tout le Bas Languedoc, l’or coule à flots. le vin dans l’Hérault apportera 4 milliards. L’on cite des propriétaires qui ont fait plus d’un million de bénéfices. Molé, l’avoué me cite un propriétaire des environs de Capestang, qui dans une toute petite propriété de 30 hectares, close de murs comme un parc, a fait 500 000 Fr. de bénéfices ! À Sète, l’armateur Puech a revendu un bateau acheté vieux déjà vers 1900, 110 000 fr pour 3 4000 000 Fr. à une société de Grenoble et je tiens le renseignement de Paris, directeur de la Banque de France. Enfin, j'ai rencontré Bélinguier qui m'a encore dit qu’il ne serait pas étonné que la guerre finisse avant la fin de l’année. À rapprocher de ce tuyau d’un radical-socialiste le motif d’un débarquement de Ribot remplacé par Barthou dans le ministère Painlevé, parce qu’une demande des Boches de traiter en acceptant toutes nos conditions, il aurait répondu que l’Amérique étant entrée en guerre, ce n'était pas le moment de parler de paix ?
Le 24 octobre, les Austro-Boches se ruent sur l’Italie et rompent le front? Les Boches atteignent aussitôt Lividale et entrent à Lidine où se trouvait auparavant le G.Q.G. italien. Ils annoncent 100 000 prisonniers et 700 canons ; mais ces chiffres paraissent exagérés à première vue.
Les Boches n'auraient envoyé sur ce front que 8 ou 9 divisions de très bonnes troupes, retirées en partie du front russe, et les Autrichiens auraient une quarantaine de divisions.
Les Alliés décident aussitôt d’envoyer des troupes et alors que les journaux ne parlent encore que d’une participation possible, l’on dit que sur le front que du matériel d’artillerie et plusieurs divisions seraient déjà en route pour l’Italie. Toujours la France mène la guerre et se dévoue pour la cause commune !
29 octobre – Je rejoins le corps d’armée installé depuis deux jours à Giromagny près de Belfort. En réserve de secteur, les bruits d’un départ pour l’Italie circulent avec insistance. La 31e D.I. qui devait s'intercaler sur le front entre les 33e et 40e C.A. voit son mouvement ajourné ? Et l’on apprend que l’AC 33 et un groupe de notre C.A. sont partis pour l’Italie (groupe Vésigné) ?
Une nouvelle fâcheuse pour moi m'est annoncée par le chef d’E.M.. Une notre du G.Q.G. signée Debeney a décidé que dans les Sections du Courrier d’armée et de Corps d’armée, il ne devrait y avoir en principe que des officiers fatigués ou blessés, inaptes à faire campagne dans leur arme.
Cette circulaire notifiée au C.A. délègue les généraux pour prononcer toutes affectations nécessaires. Notre général Corvisart ne veut prendre aucune décision et se contente de rendre compte simplement des officiers aptes ou non aptes. Au courrier du C.A., nous sommes trois officiers : deux de l’active le commandant Bard, apte, le capitaine Delmas inapte pour fistule à l’anus et moi qui doit être visité et contre visité ces journées. Que vais-je devenir ? Quel emploi va-t-on me donner après m'être spécialisé pendant plus de trois ans dans une fonction d’Etat-major.
Engagement dans la réserve en 1913
20 octobre – Je vais le matin jusqu’à l’armée à Lure pour voir mon ami le capitaine Delasalle. Je n'apprends pas grand-chose ; je sais seulement que je ne puis invoquer un engagement que j'avais signé en 1913 et par lequel je m'engageais pour entrer dans l’Etat-major à rester 5 ans de plus dans la réserve au lieu de suivre ma classe dans la territoriale.
31 octobre – Le matin, je passe la visite et contre visite et je suis reconnu en bonne santé donc apte.
Le soir je vais m'entretenir avec le lieutenant-colonel Moreigne, chef d’E.M. pour savoir ce que je dois faire. Le général, malgré l’invitation de l’Armée ne veut de son plein gré prononcer ma mutation. Il signalera simplement à l’Armée que je suis apte à faire campagne. Je demande qu’il ajoute que je suis spécialisé dans mes fonctions depuis le début de la guerre et que je suis territorial de la classe 1898. Le fera-t-il ? C'est pourtant bien peu de choses qui n'engage en rien sa responsabilité. En tout cas, le chef me conseille de ne rien demander de moi-même car il suppose que j'ai encore chance de conserver ma situation et qu’il faut s'imposer comme règle en guerre de suivre sa destinée ! Il m'autorise à aller à l’Armée demain pour savoir quelles sont leurs intentions.
1 novembre – Je reviens de l’Armée où j'ai été très cordialement reçu par le capitaine Davin. L’intention de l’Armée n'est pas de prononcer de mutation d’officier en ayant laissé le soin à chaque général de C.A.. Du reste, ils n'ont aucun compte rendu à faire au G.Q.G. et l’affaire semble classée. Un C.A., le 40e, a répondu : aucune mutation ne partait opportune ; le 35e et le 6e font de mutations d’un bureau à l’autre pour la forme. Seul notre C.A. a envisagé la plus mauaise solution en ne voulant pas prononcer de décision.
Mes certificats d’aptitude arrivant, et ainsi mise en face de cette situation : officier apte à son arme que va décider l’Armée ? Peut-être vont-ils répondre au général qu’il doit prendre une décision lui-même et Devigny, son officier d’ordonnance me dit que le général désirera alors me garder. J'ai donc encore l’espoir que tout s'arrangera.
2 octobre – Les nouvelles d’Italie ne sont guère rassurantes. En évacuant ses positions de l’Isonzo, Cadorna a laissé entre les mains des Boches : 180 000 hommes et 1 500 canons. 60 000 hommes disent les Allemands ont fait kamarade sans combattre.
Sur le front français, il est vrai, les Boches ont évacué le légendaire Chemin des Dames pour se retirer au-delà de l’Ailette. Mais ce léger succès pour nous ne compense pas les succès boches en Italie. Heureusement que cette fois-ci les Franco-Anglais ont compris le danger et qu’ils sont sans tarder envoyés au secours des italiens. L’on parle de reprendre la guerre de mouvement : pourquoi ne pas aller la chercher dans la plaine du Pô.
L’on dit que les Français ont envoyé déjà 7 divisions ? Et les Anglais doivent avoir agi de même ? Chez nous, l’on parle de Foch, Mangin et Duchêne comme généraux.
3 novembre – En Amérique, Roosevelt dans un discours se plaint de la lenteur avec laquelle ils préparent la guerre. Entre autres, il dit que dans les camps d’instruction il n'y a même pas de fusils pour instruire les recrues. Ils manœuvrent avec des bâtons dit-il car il n'y a qu’un fusil pour 5 hommes. Quant à l’aviation, elle est encore inexistante ! Nous sommes encore loin des 10 000 avions attendus et espérés ! Et pourtant les Américains commencent à prendre leurs tranchées ; ils ont même fait leur premier prisonnier.
Hier au sujet d’une fête pour les soldats morts, Barthou a prononcé à la Sorbonne un vibrant discours où il dit entre autres :
4 novembre – Ces jours-ci étant en réserve d’armée, nous pouvions espérer aller en Italie. Cet espoir est vain car la 31e D.I. entre en secteur au sud de Tham entre le 33e C.A. et le 6e C.A..
Ce secteur est si tranquille que les reconnaissances peuvent aller en auto jusqu’aux postes de commandement des chefs de bataillon à 400 ou 500 mètres des premières lignes dont les tranchées boches sont à 300 ou 400 mètres.
5 novembre – Le capitaine Delmas, l’officier de l’active inapte à faire campagne a fait aujourd’hui la liaison avec l’Armée . Au sujet de mon changement, il me dit que l’Armée va faire suivre mes certificats d’aptitude à faire campagne, au G.Q.G. en lui attirant l’attention que je suis officier d’Etat-major, ce qui me vaudrait sans doute une place dans un E.M. de division.
Cette solution m'étonne et je suppose que Delmas n'y est pas étranger. Aussi à mon tour je téléphone à l’Armée et je suggère que sans chercher bien loin, il y a une place disponible au 2e bureau du 16e C.A. et que je pourrais fort bien occuper cet emploi. Je vais essayer de suggérer cette idée au général, qui a refusé la place au chef de l’E.M. qui la demandait pour son fils !
6 novembre – La situation en Italie ne s'améliore guère ; les Austro-Boches auraient percés sur le moyen Tagliamento en faisant prisonniers quelques milliers d’Italiens. Ce serait donc le recul jusqu’à la Piave et peut être à cause d’une attaque possible du côté du Trentin jusqu’à l’Adige avec abandon de toute la Vénétie, y compris Venise.
Par contre, les journaux anglais pensent qu’une victoire décisive est proche, et l’opinion se confirme que les Allemands se retireront plutôt que d’affronter le risque d’un désastre et ce sera avant Noël si seulement on peut avoir une semaine de beaux jours (Daily News 13-10). Seuls le Daily Chronicle et le Glasgow Herald expriment quelques désappointements. On ne saurait nier, que même en dehors de la défection de la Russie, la campagne d’été et d’automne n'ait pas donné les résultats espérés. Ce n'est pas un secret que les opérations de juillet et d’août derniers dans les Flandres n'ont pas été un succès et que sur la partie essentielle du front, les attaques ont abouti à un sérieux échec. Sir Douglas Haig a dû faire appel à des hommes nouveaux et à des méthodes nouvelles pour rétablir la situation.
7 novembre – Les journaux boches exultent à juste titre de leur victoire italienne. Entre autres, la Frankfurter Zeitung dit :
Les Allemands, les Autrichiens, les Hongrois viennent de remporter une victoire telle qu’il y en a peu de semblables dans cette guerre, la plus formidable de toutes les guerres et de toute l’histoire universelle. La joie remplira tous les cœurs dans les royaumes du Danube et en Allemagne ; ils seront plein d’un enthousiasme reconnaissant pour les troupes qui depuis trois années ont tant souffert, ont accompli de si grandes choses et qui aujourd’hui encore ont la verdeur et la force nécessaire pour porter de pareils coups et pour remporter une victoire aussi grosse de conséquence.
Les puissances centrales, à dit récemment le bruyant anglais, le chef de tout le camp de nos ennemis, sont militairement dans une situation désespérée.
La bataille de l’Isouzo, la bataille du Frioul fera s'écrouler l’échafaudage fragile des mensonges destinés à tromper les peuples.
Evidemment les Alliés traversent une mauvaise passe ; les communiqués parlent de 20 à 25 divisions allemandes ayant pris part à l’attaque ? En tous cas, le succès de l’offensive est dû aux raisons avouées avec candeur et franchise par Cadorna lui-même quand il dit :
Une attaque violente et une faible résistance de certains éléments de la 2e armée ont permis aux Austro-Boches de percer notre aile gauche sur le front plein.
L’agence Havas publie dans les journaux un article semi-officiel sur les ressources en hommes de l’Allemagne, et l’on veut nous prouver ainsi que les Boches sont à bout et qu’ils ne pourront subir en 1918 la pression des Alliés ? C'est encore sans doute un bourrage de crâne officiel, pour réconforter l’opinion et lui démontrer par la puissance du chiffre que nous serons surement vainqueurs l’an prochain et que l’offensive italienne est peut-être la dernière carte jouée par les Impériaux. Voici les chiffres :
Les boches avaient disponible à la mobilisation 6 millions ½ d’hommes, six classes nouvelles (1914 à 1919 inclus) ont fourni 2 millions ½, ce qui fait avec les récupérés environ 10 millions ½.
Examinons l’emploi des effectifs : pertes : 4 millions, effectifs aux armées : 5 millions ½ dont reste dans les dépôts 1 million, auxquels on peut ajouter la classe 20 mobilisable en janvier 1918, ce qui fait 150 000 hommes environ.
Or les Allemands perdent 1 200 000 hommes par an. Si l’on considère qu’une grande armée ne peut vivre sans dépôts, pour que les Allemands puissent poursuivre normalement la lutte, une armée encore avec les effectifs actuels, ils devraient disposer d’un réservoir de près de 2 millions d’hommes. Ce chiffre n'est pas exagéré si l’on songe surtout à la collaboration de l’armée américaine qui amplifiera les actions de 1918 sur notre front et augmentera l’usure allemande. La situation parait donc grave pour les Boches qui n'ont que 1 500 00 hommes, y compris la classe 20, la classe 21 n'ayant que 17 ans dans le courant de 1918.
On voit donc combien est grave pour l’Allemagne la partie qu’elle a engagée en Italie, si elle veut se lancer maintenant dans une grande offensive où risquent de s'épuiser prématurément ses ultimes réserves.
Suivant l’ampleur que prendront les opérations dont il se peut qu’lle ne soit même plus maitresse s'il nous convient d’intensifier la lutte sur ce point, c'est peut-être la dernière carte qu’elle joue.
C'est peut-être vrai, mais c'est un rude atout qu’elle nous sort et jusqu’à présent nous ne savons comment cela tournera pour nous tous Alliés ?
8 novembre - Giromagny – Ma propre situation ne s'améliore pas. Le général tâté par Devigny son officier d’ordonnance lui a répondu non quand il lui a parlé d’une place au 2e bureau de l’E.M.. D’après le chef d’E.M., il réservait la place à quelqu’un. En tous cas, l’Armée lui a dit qu’il devait prononcer une mutation pour moi et voir s'il n'y avait pas de place soit à l’E.M. du C.A., soit de division, soit enfin dans mon arme. Le général absent ne peut se prononcer ; en attendant je demande à la Banque de France de me rappeler pour l’Emprunt ; si j'obtiens ce sursis de 2 mois, j'aurais le temps à l’intérieur de trouver un emploi. Ma Destinée va se modifier ; j'influe tant soit peu sur sa marche ; quel en sera le résultat ?
Les Anglais ont pris Passchendaele dans les Flandres, position dominante et très défendue par les Boches ; en Palestine, ils se sont emparés de Gaza.
Mais les Italiens continuent à battre en retraite en laissant des prisonniers et des canons aux impériaux. Les communiqués boches parlent de 250 000 prisonniers et de 2 300 canons. C'est beaucoup et cela implique beaucoup de défaillances encore ignorées. En tous cas, l’on prévoit encire un recul jusqu’à l’Adige, et peut être même la Mincie et le Pô !
9 novembre – La révolution maximaliste est vainqueur à Petrograd – Kerenski, ce bavard incapable de prendre une décision énergique et de bon sens est en prison. C'est Lénine, gorgé d’or allemand qui triomphe, quant à présent. Le programme maximaliste est bien simple : la paix sans annexion et tout de suite et le partage des terres ; réunion d’une assemblée. Espérons qu’avant cette trahison complète vis-à-vis des Alliés, une réaction salutaire se produira, et cette fois-ci, il n'y aura pas un Kerenski pour la faire avorter. Depuis plus de 6 mois, cet homme nous aura laissé espérer le rétablissement de l’ordre ; plutôt avocat qu’homme d’Etat, utopiste, il s'est laissé déborder par les éléments révolutionnaires payés par l’or allemand. Ne vaut-il pas mieux une situation plus franche que ce doute qui redonnait l’esprit de nos gouvernants de fallacieuses espérances ?
Les révolutionnaires étant maîtres du télégraphe, nous ne connaissons pas la réelle situation de la Russie, dominée semble-t-il par quelques centaines de factieux. Patientons encore quelques jours.
En France, le scandale augmente chaque jour ; voilà Leymarie, ancien chef de cabinet de Malvy est en chef de la Sureté, inculpé à son tour ; demain ce sera Humbert via président de la commission de l’armée au Sénat ; et une campagne de presse menée par Clémenceau, par Barrès, par Daudet, etc… Nous… derrière toutes ces turpitudes Caillaux le maître du bal qu’on se dépêche de faire la lumière : vite et tout , c'est trop écœurant, trop navrant de voir cette bande de profiteurs piller la France et la déshonorer.
13 novembre – La Banque m'a répondu qu’elle me réclamait.
Je devais aller à l’E.M. de l’artillerie de la 32e D.I. sous les ordres du lieutenant-colonel Gouvy et du général Daydrein qui m'avaient accueilli avec beaucoup de bienveillance. Je vais déjeuner demain avec le commandant Gouvy et je les remercierai. Si la place est encore libre dans deux mois, je pourrais la redemander.
En Italie les troupes continuent à reculer avec combats d’arrière-garde de plus en plus résistants. Débordés sur la Piave, ils vont être obligés d’abandonner toute la Vénétie et Venise, ce joyau de l’Italie. Si ensuite les Boches sont obligés de l’abandonner, ils sont bien capables d’en détruire les certains monuments pour punir l’Italie de sa soi-disant trahison. La France et l’Angleterre se sont portés très rapidement au secours des Italiens. L’arrivée rapide des renforts a produit un grand enthousiasme. Une fois de plus, les Français viennent soutenir la cause de la liberté en Italie, et ils y retrouvent les champs de bataille de leurs ainés, Solférino, Magenta, etc… Ce désastre italien nous vaut aussi un état-major interallié qui siégera à Versailles en permanence, avec Foch et Wilson (anglais), par encore d’Italien ni d’Américain désignés. Cela nous vaut aussi un grand discours de Lloyd Georges qui avec sa franchise habituelle nous a parlé des fautes passées au sujet de notre manque d’unité d’action et de front. En voici quelques extraits :
Les erreurs du passé sont dues uniquement au manque d’unité véritable de la direction de la guerre chez les Alliés. En dépit de quelques résolutions, il n'a jamais existé d’autorité chargée de régler la conduite de la guerre sur tous les fronts, et en l’absence de cette autorité, chaque pays a été laissé à sa propre initiative.
Il n'y a que des apparences de plan stratégique d’ensemble ; chaque général apportait son plan et le conseil de guerre des alliés ne faisait que coudre le tout ensemble. Les traditions nationales et professionnelles, les questions de prestige et les susceptibilités conspiraient toutes à rendre vaines nos divisions les meilleures. Le coupable, c'était la difficulté d’obtenir que tant de nations, tant d’organisations indépendantes fondent ensemble toutes leurs particularités individuelles pour agir ensemble comme si elles ne formaient qu’un seul peuple. Le conseil est créé. Il s'est mis au travail. Mais le particularisme s'affirmera encore parce qu’il représente des forces permanentes fortement retranchées de toute organisation politique et militaire. C'est l’opinion publique consciente du danger véritable qui doit empêcher ces instincts et ces intérêts étroits.
Nous vaincrons, mais je veux vaincre, mais je veux vaincre le plus tôt possible. L’unité, pas une apparence d’unité, mais une unité réelle est la seule route qui conduira surement à la victoire.
Cette franchise nous démontre pleinement qu’après l’héroïsme de l’armée si la guerre dure encore après 40 mois, la faute est à l’incapacité de nos gouvernements alliés qui n'eurent pas la grandeur de vues nécessaire pour conduite une guerre aussi mondiale.
En Russie, les dépêches sont contradictoires. Il y a lutte encore entre Kerenski et les maximalistes à Petrograd, à Moscou. La famine menace.
Que devient le front pendant ces luttes intestines ? Qui songe à le ravitailler ?
14 novembre – Chute du ministère Painlevé ! L’on demande des hommes de gouvernement et non des hommes de partis. L’on désire la fin de tous ces scandales et aussi l’on veut un président du conseil capable de soutenir les intérêts de la France aux conférences des alliés.
Sur notre front nous préparons activement un gros coup de main sur le Kalbert, position dominante tenue par les Boches près d’Anspach. L’on met à notre disposition de nombreuses batteries de lourde et d’ALGP. Avec de tels moyens, c'est trop peu comme but à se proposer. L’on va s'attirer des représailles sur un front tranquille depuis plusieurs années, où les villages sont pleins d’habitants, où il existe très peu d’abris à l’épreuve et pas de boyaux de communication avec l’arrière. Si l’on espère la surprise l’on aurait pu essayer d’aller jusqu’à Mulhouse ; cela aurait été une belle réponse aux revers Italiens, tandis que ce déploiement de forces pour un si minime objectif, sous prétexte d’attirer des forces allemandes, devient une opération qui semble mal conçue et semble-t-il inutile. Ce sont des coups d’épingle qui coutent très cher souvent et qui en général ne servent à rien. C'est ce qu’en termes civils l’on appelle s'agiter dans le vide.
16 novembre – Je reçois mon rappel par la Banque et suis mis en sursis de deux mois sans solde jusqu’au 18 janvier 1918. D’autre part, le général Corvisart me remet à la disposition du ministre avec une indication élogieuse pour un futur emploi dans un état-major. Après la période d’emprunt, nous verrons envisager une nouvelle affectation.