Bourg-Charente, 12 janvier 1940
Ma chère nièce,
je suis très sensible à tes excellents vœux et au souvenir sympathique de ton mari, je n'oublie pas non plus vos deux futures bacheliers auxquels je souhaite persévérance dans le travail, puis réussite et succès ; au lycée, mes condisciples étaient les uns travailleurs, les autres paresseux, or j'ai constaté plus tard que les premiers, seuls, se sont élevés sur l’échelle sociale (à bon entendeur, salut).
C'est pour la 3e fois que je subis avec la grande majorité de mes compatriotes la ruée sauvage des tartares boches ; esclaves de leur voracité séculaire, ils ont essayé de se ravitailler comme précédemment aux dépens de la douce France ; mais cette fois, ils se sont cassé le nez sur une nouvelle muraille de la Chines dénommé ligne Maginot.
Malgré mon vif désire de rester chez moi, sous la menace de privation de chauffage, d’électricité et de gaz, j'ai dû chercher un refuge d’abord aux environs de Paris, ensuite beaucoup plus loin dans la propriété Charentaise que Marie-Anne a savamment et artistement aménagée ; nous y sommes installés Marie-Louise et moi en compagnie de Mme Leduc mère et de Mme Ebeling ; à l’exclusion de cette dernière qui promet de rester jeune et active longtemps encore, nous constituons un très vénérable, vibrant à l’unisson, complété par une amie d’enfance de Mme Leduc qui en réalité, est l’âme de notre syndicat des aspirants à la vie éternelle.
Apports personnels = 79 + 86 + 93 = 258 années d’impressions diverses, bonnes ou mauvaises.
Il faut que Mme Ebeling soit intrépide ou qu’elle ait un cœur d’or pour résister à cette atmosphère surannée,
J'ajouterai qu’un climat fort humide et un peu débilitant complète le tourment qu’éprouvent ici les jeunes habituées de la grande fournaise, pendant la mauvaise saison, et tu t'expliqueras les fugues renouvelées que M. Leduc ne cesse pas de pratiquer pour conserver intactes les facultés morales et physiques qui lui restent. Mais voici du nouveau : pendant que nous nous prélassons dans les confortables fauteuils de Marie-Anne en face d’un feu d’enfer que de grosses buches ne cessent d’entretenir, une ennemie déloyale et sournoise vient s'avancer jusqu’au petit mur de la prairie, il s'agit de la Charente qui nous menace d’un déluge presque universel ; en conséquence, tu apprendras bientôt que nous avons été chassés de notre plantureux terrier par l’envahissement indomptable d’une eau traitresse qui guette les jambes un peu maigres du piano à queue.
Les impressions de vieillards déprimés par de nombreux hivers sont bien insignifiantes en face des maux que la guerre déchaine, je m'en excuse en souhaitant de tout cœur que l’année 1940 purge le monde du fou dangereux qui l’oppresse et en particulier qu’elle réalise l’accomplissement de vos aspirations les plus légitimes.
Ton oncle affectueusement dévoué
Paul Hamard de Parpigné.
Marie-Louise et Sabine étaient les cousines germaines de Marie-Anne et Geneviève Alfroy. Elles sont toutes les deux restées célibataires, la branche s’éteint donc avec elles.
Sabine avait la réputation d’être mystique, sans que l’on sache si c’était positif ou négatif.
Central hôtel – Bourges (Cher) – 3 août 1914
Ma chère tante Alice
Enfin nous avons un oreiller, ou plutôt un 1/2 oreiller pour poser nos têtes ! Notre exode de Paris a été tragique puisqu’à la dernière minute, nous avons cru ne pas partir ; impossible de trouver aucune place dans les trains jusqu’à la fin de la semaine ; encore les départs n’étaient-ils pas assurés. Nous avons donc décidé de… en auto. Là, difficultés… sans… jamais… aurions pu partir ; enfin, nous avons pu avoir avant hier mardi 2 autos, à prix d’or, qui nous ont emmenés avec les L. et Charbonniers à Gien. Là, nous aurions du coucher dans la gare ;… qui est marié là, nous a fait hospitaliser chez des amis. Hier, le voyage s’est continué, partie en auto, partie en chemin de fer. Nous avons laissé nos parents dans une auberge où ils avaient de bons lits et après avoir déposés les S. à Menetou où se trouve la propriété du père, nous sommes venues coucher à Bourges toutes deux. Cohue pareille. Heureusement nous avons une lettre de recommandation d’amis à eux – un avoué et sa femme. Ils nous ont couchées. Autrement, il aurait fallu dormir sur un fauteuil au salon. Ce matin, j’ai une chambre pour mes parents et viens de leur télégraphier d’arriver. Nous sommes parties presque sans bagages, les chauffeurs refusant toute surcharge. La cohue des émigrés ici est énorme. 1000 personnes ont couché dans la gare. Je t’ai télégraphié ce matin pour te donner notre adresse. On nous dit ici qu’il nous sera excessivement difficile d’atteindre Hendaye.
Aucune correspondance n’est assurée à cause de la mobilisation de la classe 1914. Nous risquons de coucher plusieurs nuits de suite dans les gares. C’est parce que je t’ai télégraphié que nous ne sommes pas pressées. D’ailleurs je crains bien que vous ne trouviez rien du tout. Tout va être bondé partout. Je me demande ce qui a fait.. votre voyage horrible à cause de la chaleur et l’arrivée, et ces pauvres gosses transplantés si brutalement. Nous attendons de vos nouvelles avec impatience. Je serai presque tentée de rester ici une quinzaine pour attendre la fin de la mobilisation et la couleur que prennent les choses au front. Je suis affolée pour Augustin qui a évacué Londres. Mais dès que j’ai su, j’ai télégraphié au concierge de lui indiquer 2 adresses pour aller. Il y avait 8 jours que je ne pouvais plus correspondre avec Fère d’aucune manière.
Mme Carrier qui partait avec res. a reçu contre ordre au dernier moment de son mari que veut absolument pour raisons d’intérêt, sans doute, qu’elle reste soigner ses beaux-parents. Elle pleurait ici nous voyant partir. J’attends de vos nouvelles et vous embrasse bien tendrement toutes.
Il parait que Saint-Jean-de-Luz est beaucoup plus frais. Je le préférerai s’il n’y a rien à Hendaye.
Dieu quelle chaleur vous devez avoir.
Mimi
(Marie Louise de Parpigné – source J. de Langautier)