Une lettre de Anne en juin 2020 m'a donné l’occasion de sortir ces documents de leur carton.
Regardons maintenant ce qu'ils ont à nous apprendre.
Nouvelle-Orléans, Louisiane, 2 mai 1810
A M. Martin-Lamotte ainé, à Toulouse ou à Caraman
Je ne sais comment, monsieur et cher beau-frère j'ai tardé jusqu'à présent à vous informer de la triste nouvelle qui, depuis six ans, afflige mon cœur. Les événements ont été si désastreux pour les infortunés habitants de Saint-Domingue : nous avons tellement été poursuivis de colonie en colonie, par le malheur et les persécutions qu'à peine nous avons eu le temps de nous reposer, de regarder autour de nous, et de réfléchir sur notre situation.
Mon mari, mes enfants et moi, nous étions comme l’avez su par ses lettres, échappés de Saint-Domingue où nous laissions presque toute notre fortune que nous n'avons jamais pu recouvrer. Nous nous étions retirés à la Jamaïque où mon mari fis valoir dans le commerce le peu de moyens qu'il avait sauvés. Ses entreprises n'ont pas réussi. Pris après par les corsaires des différentes nations, allant plaider dans les cours d’amirauté, espagnoles, françaises, anglaises, le temps et les épargnes se sont consommés. Et mon mari, courant encore les mers, crût pouvoir réchapper quelques débris de sa fortune à Saint-Domingue et y retourna.
Le malheureux en a été la victime ! En mars 1804, il fut massacré par les brigands. J'ai fait constater sa mort par un acte notarié dont je vous enverrai copies légalisées.
Je perdis en ce digne homme un bon mari, un bon père et le soutien de sa famille.
Je restai avec trois enfants en bas âge, deux filles et un fils et nul moyen pour assurer leur sort. J'aurais pu, j'aurais dû sans doute vous envoyer mon fils âgé alors de dix ans et vous auriez eu la générosité de faire soigner son éducation, mais il était dans une des iles du Vent que son père avait parcouru, une de mes sœurs me le renvoyé et depuis ce temps, il est près de moi à la Nouvelle-Orléans où je lui ai fait donner l’éducation que j'ai pu, et où il s'occupe actuellement chez un négociant qui est à la veille de lui donner des appointements.
Je suis venue dans cette ville parce que celle de Kingston n'offrait aucune ressource aux malheureux français et que me trouvant ici parmi mes compatriotes dont les habitudes et le langage sont les mêmes, il m'a été plus possible d’y établir un petit commerce de marchandises sèches dont le bénéfice m'a fait vivre, mais assez misérablement jusqu'à présent.
Mes deux filles sont grandes. L’ainée est mariée à Baltimore ; mais elle n'y est ni riche ni heureuse. La cadette est avec moi, elle est âgée de quinze ans.
Voilà, mon frère, qu'elle est la situation de moi et de mes enfants. Si vous pouvez l’adoucir, si vous vous intéressez à mon sort, mes enfants recevront avec reconnaissance tous les bienfaits que les malheurs, leur jeunesse et leur bon naturel leur donnent peut-être le droit d’attendre de leurs parents.
Votre père vivait lors des dernières nouvelles que mon mari reçu de vous. Veuillez m'en donner de plus fraiches : parlez-moi de vous et des vôtres. Tout ce qui appartient à mon mari que j'ai tendrement aimé, et qui me comblait de ses tendresses a droit d'intéresser mon cœur.
Si mon mari a quelque patrimoine, quelque héritage à réclamer, ses enfants le représentent, et vous aurez surement la bonté de les respecter et de nous en faire part. J'ai leurs extraits de baptême, mon contrat de mariage, et tout ce qui peut prouver l’identité des individus.
Veuillez-donc servir de père à vos nièces et à votre neveu, l’attachement qu'ils lui portaient sera tout entier, ainsi que le mien, réversible sur vous ; et nos bénédictions seront vos récompenses. S'il y a des formalités à remplir, veuillez me les dicter ; une femme et des enfants ont besoin d’être guidés dans les affaires.
Tout ce que je sais, mon frère, c'est de respecter et d’enseigner à mes enfants à respecter le nom qu'ils portent. Sous ce rapport, vous partagez avec tous vos parents, les sentiments les plus tendres qui sont dans nos cœurs.
Veuve Martin-Lamotte
Nouvelle-Orléans, Etat de Louisiane, le 24 mai 1815
M. Martin-Lamotte ainé, à Caraman
Il y a cinq ans, monsieur et cher beau-frère que j'eus le plaisir de vous écrire par duplicata, pour vous donner des nouvelles de la famille de feu mon mari, votre frère. Aucune réponse de vous ne m'est parvenue. Je l’attribue à la difficulté des communications maritimes qui ont existé si longtemps entre l’Europe et l’Amérique. A présent que la paix rétablit ces communications, j'espère recevoir une lettre de vous.
La guerre n'a pas amélioré notre position. Le commerce, les propriétés en ont souffert partout. Vous avez eu votre attaque près de Toulouse : nous avons eu la nôtre près de la Nouvelle-Orléans, et cela par les mêmes troupes. Ceux qui avaient échappé à votre feu sont tombés ici sous le nôtre ; et ce qui est remarquable et malheureux, c'est que dans ces deux circonstances, la paix était faite lorsque les Anglais nous attaquaient.
Mon fils, devenu grand, a pris du service pendant la guerre. Il a obtenu une lieutenance dans le 44e régiment d’infanterie, troupes de ligne des Etats-Unis. Les régiments vont être réformés par l’état de paix pendant lequel le gouvernement ne peut pas avoir une armée sur pied. Ainsi mon fils se trouvera sans état. Il ne manque point de talents. Il sait la tenue des livres en partie double tant en français qu'en anglais dont il entend bien la langue.
Il a une fort belle main, et beaucoup de goût pour le dessin dans lequel il fait assez bien. Si, avec ces avantages, un heureux naturel et de bonnes dispositions, vous pouvez lui procurer en France un emploi lucratif, il s'y rendrait avec empressement, et je suis assuré que vous n'auriez que des éloges à en faire. Voyez, mon cher parent, à placer le fils de votre frère, le seul de votre nom en Amérique. C'est un jeune homme plein d’honneur et qui mérite d’être accueilli par sa famille.
Quelques soient nos propriétés à Saint-Domingue, j'y compte peu. Je ne m'abuse point sur la difficulté qu'il y a pour les colons de les recouvrer et d’en tirer parti. D’après cette opinion, je préfère voir mes enfants dans un sol moins dangereux à habiter ; et c'est pour cela que je réclame pour eux votre bienveillance et celle de leurs autres parents.
Adieu mon cher beau-frère. Recevez l’assurance de notre estime et de notre attachement.
Veuve Martin-Lamotte
Ma fille ainée est à Baltimore. Son mari navigue et elle n'a point d’enfants. Ma cadette est avec moi. C'est ma fidèle compagne et ma meilleure amie. Elle n'est pas mariée.
Etat ou inventaire estimatif… de tout ce qui a été livré à M. Solier, officier de la Légion d'honneur, ce jourd'hui, 15 novembre 1841, époque de sa prise de possession du domaine de Luy qui lui a été affermé par M. Martin Lamothe, chevalier de la Légion d'honneur.
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