Source : Mémoires de l’Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse
Auteur : Emile Paloque
Communication faite à l’Académie dans sa séance du 10 octobre 1962
Provenance : Bibliothèque nationale de France
L’intérêt du grand public s'attache chaque jour davantage à la science des astres, tandis que les recherches spatiales lui donnent de nouveaux moyens d’investigation et que les cosmonautes se préparent à réaliser le grand rêve de toujours : « Quitter la Terre pour s'élancer à la conquête du ciel. »
Il ne faudrait cependant pas en conclure que l’astronomie ne présentait jusqu'alors qu'un intérêt secondaire, aussi rappellerons-nous qu'elle est la plus ancienne de toutes les sciences, que son influence sur le développement de nos connaissances a été décisive dans tous les domaines et que, depuis les temps les plus reculés, elle n'a cessé de rendre d’inappréciables services à l’humanité.
Dès son apparition sur la Terre, le retour des jours et des nuits, de l’hiver et de l’été, ont déterminé l’activité de nos ancêtres en assurant un juste équilibre entre leur travail et leur repos, tandis que la régularité de ces phénomènes astronomiques leur permettait d’évaluer numériquement le temps écoulé et leur laissait une impression d’ordre, d’équilibre et de sécurité.
Les phénomènes terrestres, dans leur inextricable complication, ne pouvaient encore faire de leur part l’objet d’une véritable recherche, les uns parce qu'ils leur étaient trop familiers, les autres parce qu'ils leur paraissaient étranges et surnaturels; aucun d’ailleurs ne se prêtait à cette étude quantitative qui est à la base de toute science.
Bien au contraire, et comme le prouvent les vestiges qui nous ont été laissés par les plus anciennes civilisations, les mouvements simples et réguliers des astres furent étudiés avec un soin et une méthode qui sont les caractéristiques d’une véritable science.
Si cette étude, souvent liée à la sorcellerie et inspirée par de naïves superstitions, n'a pas dévoilé aux hommes tous les secrets qu'ils prétendaient y découvrir, du moins leur a-t-elle donné des enseignements profonds. Devançant de cinquante siècles l’éclosion des autres sciences, l’Astronomie a préparé leur prodigieux développement en apprenant aux hommes à observer et à mesurer.
Les phénomènes célestes dans leur grandiose simplicité ont été pour la première fois représentés par des symboles rigoureux, des chiffres et des formules. Les méthodes des sciences expérimentales qui devaient plus tard changer la face du monde étaient découvertes et comme l’a dit Henri Poincaré « L’Astronomie a donné à l’homme une âme capable de comprendre la nature. »
Elle nous a enseigné pour la première fois que les phénomènes naturels obéissaient à des lois et celles-ci ont tout d’abord été considérées comme infiniment précises, immuables et universelles; mais ce n'étaient en fait que des hypothèses dont la justification résultait seulement de la manière dont elles représentaient les observations.
La connaissance de telles lois dans tous les domaines des recherches expérimentales constitue le principal facteur du génie inventif de l’homme qui peut, grâce à elles et suivant ses besoins, prévoir et calculer d’avance une combinaison judicieuse des forces de la nature.
Or contrairement à ce que l’on pourrait supposer les lois astronomiques sont de toutes les plus simples. C'est là le grand privilège de l’Astronomie sur toutes les autres sciences expérimentales; elle donne lieu à des problèmes qui permettent une analyse rigoureuse de tous ses éléments.
Ainsi, lorsque après de longues années d’observations les astronomes grecs de l’antiquité s'avisèrent de représenter les mouvements des astres du système solaire, considérant que le ciel devait donner l’exemple d’une perfection matérielle, ils adoptèrent le principe d’après lequel les déplacements astronomiques ne pouvaient s'opérer que suivant des circonférences décrites d’un mouvement uniforme, et cette théorie des épicycles, dont le fondement paraît aujourd’hui puéril, a permis cependant de dresser d’avance pendant mille ans des tables faisant connaître les positions du Soleil, de la Lune et des planètes, et elle a été enseignée pendant quinze siècles dans toutes les universités.
Cependant ses imperfections apparaissaient chaque jour davantage et il devenait impossible de représenter des observations sans cesse plus précises.
A ce principe empirique s'est substitué au xviie siècle la loi de l’attraction universelle qui a permis de comprendre les mouvements réels des corps célestes dans l’espace et de calculer leurs positions avec une remarquable précision.
Encore a-t-il fallu déduire mathématiquement de ces diverses lois les positions apparentes des astres et les dates des phénomènes; c'est ainsi que de tout temps l’astronomie a puissamment contribué au développement des mathématiques. Par exemple, les astronomes de l’antiquité ayant eu à résoudre des triangles tracés sur la sphère céleste ont établi, deux siècles avant notre ère, les théories de la trigonométrie sphérique dont notre trigonométrie rectiligne n'est qu'un cas particulier.
Mais quel extraordinaire essor l’astronomie n'a-t-elle pas donné aux mathématiques modernes, quand la détermination du mouvement des corps célestes, d’après la loi de l’attraction universelle et le principe d’inertie, a nécessité la création de ces grands chapitres des mathématiques : le Calcul différentiel et intégral et la Mécanique rationnelle, qui ont rendu depuis lors à l’humanité d’inappréciables services.
Il eût été impossible de vérifier en toute rigueur par des expériences terrestres les théories de la mécanique toujours faussées par le frottement, tandis que l’astronomie nous donne l’exemple de mouvements sans frottement auxquels la mécanique s'est appliquée d’une manière à tel point rigoureuse que la précision des positions d’astres calculées longtemps à l’avance dépasse la précision de observations elles-mêmes.
Quelle plus grande satisfaction pouvait recevoir l’esprit de l’homme que de voir se vérifier dans le ciel la logique de ses raisonnements !
Grâce à des observations poursuivies sans relâche avec une précision toujours accrue, les astronomes modernes sont parvenus à mesurer le monde matériel en prenant comme terme de comparaison des unités choisies par l’homme à sa propre mesure. Positions, distances, dimensions, vitesses, masses, volumes, densités, sont désormais connus dans les espaces célestes et cela nous apprend quelle est la place de l’homme dans l’univers matériel des astres, non seulement dans le système solaire, mais aussi dans le système infiniment plus vaste des étoiles dont on est parvenu à déterminer les distances et les mouvements malgré leur prodigieux éloignement.
On a ainsi reconnu que les étoiles ne s'étendaient pas indéfiniment dans l’espace; elles forment une gigantesque nuée cosmique, la Galaxie, au milieu de laquelle le Soleil et l’insignifiante poussière de ses planètes ne sont que de bien modestes éléments.
Or cette galaxie d’une si extraordinaire étendue n'est encore pas l’ensemble de l’Univers. Bien au-delà de ses limites une multitude d’autres galaxies présentent une constitution et des dimensions analogues; elles semblent s'étendre indéfiniment dans les profondeurs de l’espace et leurs distances dépassent toute imagination. L’Univers nous apparaît alors d’une ampleur vertigineuse.
La connaissance des distances et des vitesses a permis de calculer la valeur des masses susceptibles de provoquer par leur attraction réciproque de tels mouvements; ainsi l’observation précise des astres du système solaire conduit à la détermination de la masse des planètes, l’étude des étoiles doubles à celle des étoiles, tandis que les déplacements des étoiles dans la Galaxie ont fait connaitre sa masse totale y compris les étoiles, les astres obscurs et la matière interstellaire. Ne semble-t-il pas incroyable que l’on soit ainsi parvenu à peser le monde ?
L’astronomie a donc singulièrement élargi le domaine de nos connaissances, mais pour en revenir à des résultats plus directement utiles à l’humanité c'est elle qui a permis de donner une définition concrète du temps dont la mesure précise présente d’innombrables applications industrielles. On doit encore aux astronomes de connaître la forme et les dimensions de la Terre comme d’avoir déterminé les longitudes et les latitudes des lieux, données indispensables aux géographes pour dresser des cartes, aux aviateurs et aux marins pour diriger leurs appareils et leurs navires; mais la grande victoire de l’astronomie est assurément le calcul très précis du mouvements des corps célestes en appliquant avec la plus extrême rigueur des théories mathématiques à un petit nombre de principes dont la valeur se trouve démontrée par une remarquable concordance entre des quantités mesurées et des quantités calculées.
Mais ces principes eux-mêmes peuvent-ils être considérés comme des vérités absolues qui se trouveront vérifiées à n'importe quel degré d’approximation? Assurément non, car certaines expériences ont démontré leur imperfection, ce qui a nécessité l’introduction de principes nouveaux qui échappent à notre intuition, mais qui cependant représentent mieux que par le passé l’ensemble des phénomènes.
C'est ainsi que la théorie de la Relativité a supplanté les lois précédentes en modifiant les notions classiques de masse, d’espace et de temps, ce qui a bouleversé sans retour nos conceptions du monde, aussi bien celles du philosophe que celles du savant; mais qu'importe puisque, dit M. Paul Couderc, cette théorie si controversée jadis est devenue aujourd’hui l’instrument de travail quotidien pour l’instant nécessaire et sans rival de tous les physiciens qui dissèquent l’atome, déchiffrent les spectres, calculent les énergies, et sans elle aucune recherche atomique ne serait aujourd’hui possible.
Cette savante théorie n'intéresse cependant pas que les savants car ses applications peuvent être mises à profit par l’ensemble de l’humanité, toute matière étant avec elle l’équivalent d’une certaine énergie d’ailleurs formidable car suivant la formule d’Einstein un kilogramme de n'importe quel corps représente une puissance de trente millions de chevaux s'exerçant pendant une heure; mais il est fort difficile de mettre en œuvre cette énergie colossale dont chaque parcelle de matière contient une immense réserve, car il s'agit de désintégrations atomiques et les atomes fort heureusement pour nous présentent une remarquable cohésion.
On est parvenu cependant à les disloquer en les soumettant à un bombardement de corpuscules extrêmement rapides qui ont provoqué ces fameuses réactions nucléaires accompagnées d’un effroyable dégagement de chaleur. Tel est le principe de la bombe atomique, mais tel est aussi le phénomène qui donne chaleur et lumière au Soleil et aux étoiles dans lesquels une agitation corpusculaire intense due à la température provoque ces collisions de particules.
Les astronomes ont été les premiers à découvrir dans les astres ces désintégrations atomiques qui, en nous procurant de nouvelles sources d’énergie, peuvent modifier profondément notre vie économique et industrielle, par cela même les conditions d’existence de tous. Plût aux cieux qu'elles contribuent au bonheur de l’humanité alors que leur effroyable puissance serait capable d’en consommer la destruction totale et définitive.
Or l’Astronomie vérifie de nombreuses manières la théorie de la Relativité qui est. à la base de ces extraordinaires découvertes. Pour ne citer que la plus immédiate, l’observation des étoiles doubles, par exemple, prouve d’une manière péremptoire que la vitesse de la lumière est indépendante de la vitesse de rapprochement ou d’éloignement de la source lumineuse, contrairement à nos anciennes conceptions sur la composition des vitesses.
L’Astronomie a aussi puissamment contribué au développement de la Physique, le Soleil et les étoiles étant d’immenses creusets où la matière est soumise à des températures et à des pressions formidables qu'il serait impossible de réaliser à la surface de la Terre, ce qui a singulièrement élargi le domaine de notre expérimentation. Ainsi les températures envisagées en astronomie, peuvent varier entre le zéro absolu et le milliard de degrés.
C'est aussi une Chimie nouvelle née de la fission des atomes que. l’on peut étudier tout à loisir dans les spectres stellaires. Ces spectres si nombreux et si divers, mais toujours mesurés avec des appareils qui décèlent leurs plus infimes particularités, permettent chaque jour de réaliser d’importants progrès dans la connaissance de tous ces phénomènes atomiques intéressant les particules les plus ténues de la matière, et c'est ainsi que des résultats purement astronomiques sont constamment mis à profit pour l’étude et la production de l’énergie thermonucléaire, grande question d’actualité qui a fait sortir l’Astronomie de son isolement de jadis.
Il y a lieu toutefois de tenir compte d’une donnée qui n'intervient généralement pas dans les expériences de physique, mais qui s'introduit souvent quand on passe de l’infiniment petit a l’infiniment grand : la durée des phénomènes; les durées envisagées en astronomie étant tellement grandes que, par rapport à elles, toute la vie de l’humanité n'est plus qu'un moment passager.
On a pu ainsi acquérir des idées précises sur la naissance. la vie et la mort des étoiles, comme sur l’évolution générale de l’Univers en chiffrant même les durées de ces prodigieux événements beaucoup plus caractérisés par de grandes lois d'équilibre que par des cataclysmes pouvant mettre fin à nos jours d’une manière prématurée, et il est assez consolant de constater l’harmonie qui règne dans le monde; enfin l’infinie variété des conditions physiques de la matière dans les espaces célestes permet d’espérer qu'elle pourra nous fournir un jour des éléments nouveaux en ce qui concerne l’apparition de la vie.
En somme la science astronomique apparaît comme un élément très important de la connaissance humaine.
C'est aussi une science désintéressée dont toutes les recherches sont entreprises suivant les directives de commissions internationales et réalisées grâce à une étroite collaboration entre les astronomes des divers pays, la plupart se connaissent et sont liés d’amitié, si bien que l’Astronomie plus que toute autre science contribue à l’union des peuples.
Encore connaît-elle en ce moment un regain d’actualité alors que les futurs navigateurs de l’espace s'entraînent pour atteindre la Lune ou les planètes, tandis que les engins spatiaux réalisent chaque jour de nouvelles performances nous procurant d'importantes données sur les conditions physiques de la haute atmosphère et des régions interplanétaires.
Il va sans dire que l’application des principes classiques de la Mécanique céleste permet de calculer très exactement leurs trajectoires, mais il faudrait se garder d’un optimisme exagéré en supposant que nous pourrons goûter là-haut d 'un bonheur ineffable.
Chacun sait qu'une telle expédition loin d’être une partie de plaisir constitue au contraire pour les passagers une terrible épreuve qui peut fort bien leur coûter la vie, mais qui représente assurément une dépense considérable et d’immenses difficultés matérielles.,
Comme ces tentatives sont toujours minutieusement préparées, beaucoup d’entre elles seront couronnées de succès; mais pouvons-nous espérer beaucoup d’agrément ou de profit d 'un séjour dans la Lune ou dans quelque autre planète?
L’élément essentiel de la réponse est sans doute que nous ne pourrons jamais vivre librement ailleurs que sur la Terre.