Discours,1964 Mise à jour septembre 2020
Fil des révisions
  • septembre 2020
    Création de la page

Ouverture de la séance du 27 mai 1964

Source : Mémoires de l’Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse
Auteur : Emile Paloque
Allocution prononcée à l’hôtel d’Assezat a l’occasion des journées spatiales, le 27 mai 1964
Provenance : Bibliothèque nationale de France

Monsieur le Recteur,
Monsieur le Président du C.N.E.S.,
Mon Général,
Mesdames, Messieurs,

La période actuelle est assurément remarquable par les progrès des sciences et des techniques dont les possibilités sont chaque jour plus prodigieuses.

Parmi tant de réalisations étonnantes, le lancement d’un nouveau satellite de notre planète a vraiment marqué le commencement d’une ère nouvelle dans l’histoire de l’humanité.

Que d’efforts et de progrès réalisés depuis lors pour mettre au point ces énormes fusées, sans cesse plus puissantes, transportant avec elles de véritables bijoux de l’électronique.

Les extraordinaires performances obtenues par les Russes et les Américains, comme les vols audacieux de leurs cosmonautes sont encore dans toutes les mémoires; mais ce que l’on sait peut-être moins, c'est que la France n'est pas restée étrangère à ces recherches et que, dès le début de ces expériences, elle a participé activement à l’équipement électronique des satellites, son avance dans ce domaine étant universellement reconnue, aussi n'est-il sans doute pas inutile de rappeler en quelques mots les mesures qui ont été prises dans notre pays pour coordonner cette activité nouvelle.

En 1959, un premier organisme, le Comité d’études spatiales, prenait en main l’organisation de ces recherches sous la direction de M. Pierre Auger, qui est actuellement le directeur général du Centre européen d’études spatiales.

Une station destinée à centraliser tous les renseignements que l’on pouvait avoir sur la position des satellites dans l’espace et qui avait aussi pour but de les observer ainsi que de calculer leur mouvement était créée à l’observatoire de Meudon sous la direction de M. Müller.

D’autre part fusées et propergols furent l’objet d’importantes recherches dans tous les laboratoires et centres d’expériences de l’Aéronautique. les lancements ayant lieu à Cazaux, à Colomb-Béchar et aux îles du Levant.

Mais de leur côté les milieux scientifiques se préoccupaient principalement de l’utilisation de tels engins pour étudier cet espace resté jusqu'à présent inaccessible et devant lequel l’atmosphère constituait pour de nombreux phénomènes une sorte de bouclier infranchissable.

C'est encore M. Pierre Auger nui a créé en 1961 cet organisme central essentiel : le « Centre national d’études spatiales » auquel une impulsion décisive a été donnée par son président actuel, M. le professeur, ancien directeur général du Centre national de la recherche scientifique, que nous sommes heureux de saluer ici.

Ce Centre Coulomb a pour mission d’étudier toutes les activités réalisées dans ce domaine, de préparer des programmes de recherche et de participer à des entreprises internationales: il devait aussi former des chercheurs par un enseignement approprié et diffuser par des publications les bases didactiques de ces recherches ainsi que les résultats des diverses expériences.

Il ne s'agissait pas pour la France d’envoyer des hommes dans l’espace, ce qui aurait absorbé nos ressources sans grand profit pour la Science, mais par contre de réaliser des recherches de physique fondamentale dans la haute atmosphère et les espaces interplanétaires.

C'est ainsi qu'une extraordinaire moisson de renseignements nouveaux nous est apportée chaque jour par les ballons sondes, les fusées et les satellites russes ou américains, qu'elle nous sera apportée demain par les satellites français dont on prépare le prochain lancement.

Mais encore faut-il que ceux-ci soient munis des appareils de mesure les plus délicats et les plus variés, complétés par des dispositifs électroniques susceptibles de transmettre leurs mesures par T.S.F., ces signaux devant être reçus au sol, enregistrés et dépouillés tout à loisir. Aussi nos savants spécialistes doivent-ils créer de toutes pièces les dispositifs adéquats avant d’avoir la tache non moins difficile d’interpréter leurs résultats, ce qui permettra certainement de réaliser d’importants progrès dans la connaissance de tous ces phénomènes qui intéressent les parties les plus ténues de la matière.

C'est afin de recevoir ces signaux après les avoir considérablement amplifiés qu'a été créé le Centre de télécommunications de Pleumeur-Bodou et, comme les satellites survolent la Terre entière, tous les pays du monde se prêtent mutuellement assistance, dans la mesure de leurs possibilités, lorsqu'il s'agit de recherches purement scientifiques.

Une partie non moins importante des recherches porte sur la construction des fusées elles-mêmes et sur la mise en œuvre de ces forces colossales qui doivent les propulser. Mais après avoir pour ainsi dire atteint la limite de ce que l’on peut attendre des propergols, on en arrive à envisager maintenant les solutions les plus audacieuses. Enfin la détermination du mouvement de ces engins par de savants calculs de balistique et de mécanique céleste, comme les corrections qu'il convient d’apporter à leur vitesse et à leur direction, restent l’une des grandes préoccupations des chercheurs qui aboutissent dans la pratique à des solutions très différentes suivant les circonstances et les buts que l’on se propose, tels que la rectification d’une orbite, le voyage interplanétaire, l’arrivée sur la Lune ou sur une planète, le retour sur la Terre, etc. Mais encore faut-il connaître les positions successives des objets qu'on lance dans le ciel.

Leur observation très précise et le calcul de leurs orbites sont en voie d’organisation dans les observatoires astronomiques de Besançon, Strasbourg et Bordeaux, ainsi qu'au Centre d’études géophysiques de Garchy dans la Nièvre.

L’un dernier, le Centre national d’études spatiales était complété par divers comités spécialisés : Comité des programmes spatiaux, Comité scientifique, Comité technique, Commission permanente de l’enseignement spatial.

C'est dans le cadre de cette organisation que l’on a décidé la création :

Des enseignements sur les études spatiales sont donnés à l’Université de Paris, à l’Ecole supérieure de l’Aéronautique et à l’Ecole nationale des ingénieurs des constructions aéronautiques.

Le certificat de physique du globe de la Faculté des Sciences de Toulouse comprendra dès l’an prochain une option d’études spatiales qui sera professée par M. Cambou. C'est encore lui qui a été mis à la tête du Centre d’études spatiales des rayonnements dont la création a été décidée, il y a deux mois seulement, par le Conseil de l’Université de Toulouse et qui est déjà en pleine activité ; enfin est-il besoin de dire que M. Cambou se dépense sans compter comme secrétaire général de nos journées spatiales ?

Sous la haute autorité de M. Escande, membre de l’Institut, qui poursuit avec éclat l’œuvre de M. Camichel, on s'occupe beaucoup d’études spatiales à l’Ecole nationale supérieure d’électrotechnique, d’électronique et d’hydraulique de Toulouse où M. Lagasse va créer incessamment un laboratoire d’automatique spatiale qui dépendra du C.N.R.S. et où M. Nougaro applique aux fusées les savantes théories de la mécanique des fluides.

L’Etablissement de recherches aéronautiques de Toulouse, dont on connaît la haute compétence et les puissants moyens, poursuit aussi d’activés recherches aérospatiales.

La Société Latécoère, sous l’impulsion de son jeune vice-président, a proposé au C.N.E.S. d’orienter son activité vers la fabrication des pointes de fusées, et on sait que cette société a déjà acquis une grande expérience en ce qui concerne les engins balistiques.

Enfin on peut espérer que notre grande firme toulousaine de Sud Aviation pourra affecter quelques-uns de ses ateliers à la construction des fusées.

Si la ville de Toulouse jouit au loin de la renommée que lui valent ses constructions aéronautiques, on voit que sa vocation n'est pas moins justifiée pour les recherches spatiales, aussi était-elle toute désignée pour accueillir votre congrès.

Au nom des divers groupements invitants, nous nous faisons un devoir de saluer ici M. le Recteur de l’académie de Toulouse qui a présidé à l’organisation de ces journées spatiales et souhaitons une cordiale bienvenue à tous ses participants que nous sommes heureux de recevoir dans ce temple ancestral des sciences, des arts et du gai savoir qu'est l’Hôtel d’Assezat, et je ne veux pas retarder davantage le plaisir que vous aurez à entendre la voix de ceux qui vous ont conviés ici.

Ouverture de la séance du 5 décembre 1965

Source : Mémoires de l’Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse
Auteur : Emile Paloque
Discours prononcé à la séance publique, le 5 décembre 1965
Provenance : Bibliothèque nationale de France

Président,
Mesdames, Messieurs,

Nous déclarons ouverte la séance solennelle de l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse qui, restant fidèle à ses anciennes traditions, vous a aujourd’hui conviés pour vous mettre au courant de son activité, de ses joies et de ses peines, mais aussi pour fêter les lauréats dont l’Académie a cru devoir honorer par des prix les intéressants travaux.

L’an dernier, à pareille époque, notre distingué Président se réjouissait de n'avoir à prononcer l’éloge funèbre d’aucun de ses collègues; nous ne pouvons, hélas ! en dire autant aujourd’hui, notre Académie ayant été frappée par la perte de quatre de ses membres éminents : un dans la classe des Lettres et trois dans la classe des Sciences, dont nous nous ferons un premier devoir d’évoquer le souvenir.

Souvenir de Paul Dottin

Tout d’abord celui de M. le recteur Paul Dottin, décédé à Toulouse, en mai dernier, à l’âge de soixante-neuf ans, des suites d’une longue maladie. La haute estime et la grande sympathie dont il était l’objet avaient attiré une foule considérable à ses obsèques, au cours desquelles M. le recteur Loyen, M. le doyen Godechot et M. Pierre Billières ont prononcé d’émouvants discours, auxquels nous ferons quelques emprunts.

Breton d’origine, les études particulièrement brillantes de Paul Dottin, poursuivies à Rennes puis à Paris et couronnées par l’agrégation d’anglais, lui permirent de bénéficier d’un séjour de trois ans à la Fondation Thiers où il mit la dernière main à sa remarquable thèse de doctorat sur Daniel Foe.

Ce fut là le prélude d’une carrière d’angliciste qui devait faire de lui l’une des grandes figures du monde universitaire.

Maître de conférences à la Faculté des Lettres de Toulouse en 1924, il est resté fidèle à notre Université où il a été successivement professeur titulaire, doyen de la Faculté des Lettres en 1937 et recteur de l’académie de Toulouse en 1944.

Tous ceux qui suivirent ses leçons ont apprécié sa parole élégante et facile, mais aussi cette verve pleine d’humour qui rendait ses cours si attrayants et aidait à retenir sans fatigue les points essentiels de son enseignement, d’autant plus qu'il parvint à faire de ses étudiants une véritable famille en créant à la Faculté un club d’anglais où ceux-ci se réunissaient chaque jour pour prendre le thé, lire les journaux britanniques et écouter la radio de Londres, tout en profitant des leçons si spirituelles et enrichissantes de leur maître éminent. C'était là une grande innovation, alors que depuis lors ces méthodes sont devenues courantes dans l’enseignement supérieur pour l’étude des langues vivantes.

Sa carrière d’écrivain et de chercheur fut tout aussi brillante car ses travaux le firent considérer à juste titre comme le grand spécialiste de la littérature anglaise du xviiie siècle. Ses nombreux ouvrages, qui dénotaient l’ampleur de ses connaissances et la sûreté de son jugement, ont été hautement appréciés, non seulement par les spécialistes et les érudits, mais encore par le grand public, et beaucoup d’entre eux ont formé la bibliographie de base de bien des générations d’étudiants.

Son œuvre d’administrateur ne fut pas moins importante car c'est à lui que l’on doit la mise en train de cette entreprise gigantesque qu'est la construction dans la banlieue de Toulouse des facultés devenues trop exiguës pour le nombre sans cesse croissant de leurs étudiants et pour l’importance des recherches rendues nécessaires par les dernières découvertes de la science.

On lui doit encore la création de bien des organismes nouveaux dont nous ne citerons que les principaux : la section France-Grande-Bretagne, le sana des étudiants, l’université populaire, la cité Daniel-Faucher à Empalot, un centre destiné à l’instruction des enfants invalides, etc.

Mais on ne saurait oublier la protection qu'il accorda pendant la guerre aux clandestins et aux persécutés, ni le refuge qu'il procura, d’une manière souvent téméraire, à tous ceux qui étaient pourchassés par la police de l’ennemi, ce qui lui valut la médaille de la Résistance.

« Il défendit l’idéal universitaire qui est fait de culture, mais aussi de liberté et de justice », a dit M. le recteur Loyen, et je terminerai en citant une phrase prononcée à ses obsèques par M. le doyen Godechot : « Paul Dottin exerça sur tous ses collègues de la Faculté, jeunes ou vieux, novateurs ou traditionalistes, le même ascendant fait de science, de compétence, de conscience et de bienveillance » ; son souvenir restera donc vivace dans notre ville, notre Université et notre Académie.

Souvenir de Jean Salvador

Dans la classe des Sciences, nous avons eu à déplorer la perte de M. Jean Salvador, inspecteur général des Eaux et Forêts, décédé à Lunel en janvier 1964 à l’âge de quatre-vingt-six ans, et nous remercions M. Chabrol, conservateur des Eaux et Forêts du département de l’Aude, qui a bien voulu nous renseigner à son sujet.

Né au Vigan, élève à l’Institut agronomique puis à l’Ecole nationale des Eaux et Forêts, Jean Salvador commence sa carrière en 1902 comme garde général à Fréjus où il obtient les notes les plus élogieuses. Il est nommé en 1907 inspecteur adjoint à Nice où, malgré un service particulièrement chargé, il trouve le temps de poursuivre des recherches sur sa spécialité.

Placé en 1920 à la tête de l’Inspection de Valence, il y reste le travailleur infatigable, tenant à se rendre compte de tout par lui-même et traitant les affaires avec une grande sûreté de jugement.

Nommé en 1927 conservateur des Eaux et Forêts de l’importante circonscription forestière de Toulouse, il donne à ce service une impulsion nouvelle, tout en poursuivant au laboratoire forestier de l’Université de Toulouse des études personnelles à la suite desquelles l’Académie d’Agriculture lui décerne le prix Vieillard.

Nommé inspecteur général en 1938, il termine sa carrière comme adjoint au directeur général à Paris où l'attendait un travail considérable au cours des dures années de l’occupation ; mais une fois la paix revenue, ses efforts n'ont pas été moins importants pour la réorganisation des services.

Il fut donc un forestier remarquable, aussi brillant sur le terrain que parfait administrateur au bureau ; mais il fut aussi un homme de devoir juste et bienveillant qui a laissé à Toulouse de nombreux amis.

Souvenir de Paul Willemin

Nous avons eu encore à déplorer la perte de M. l’Inspecteur général des Ponts et Chaussées Paul Willemin, décédé à Soulac en mars dernier à l’âge de quatre-vingt-treize ans, et remercions MM. Vergé, Giorgetti et Dupouy pour les renseignements qu'ils ont pu nous donner sur notre regretté collègue.

Né à Saint-Nicolas-de-Port, élève à l’Ecole polytechnique puis à l’Ecole des ponts et chaussées, il est nommé en 1898 ingénieur des Ponts et Chaussées dans le Finistère où, pendant quinze ans, la liste des projets qu'il a établis et des travaux qui ont été exécutés sous sa direction est vraiment impressionnante. Signalons en particulier la construction de lignes de chemins de fer d’intérêt local avec leurs ouvrages d’art, le dérochage de nombreux ports, le balisage d’innombrables rochers isolés en mer, l’achèvement du phare d’Eckmul, la construction de môles, de digues, de brise-lames, de cales de radoub, de bassins d’échouage dans de nombreux ports de la Bretagne.

Déjà hautement apprécié par son énergie et sa compétence tout autant que par la réussite des travaux qui lui avaient été confiés, il est nommé en 1913 à la tête du service des Forces hydrauliques du Sud-Ouest à Toulouse où l’attendaient des préoccupations bien différentes, quoique ayant encore pour but de vaincre, ici comme là-bas, le terrible élément liquide de la nature.

Tout en continuant à résider à Toulouse, il dut faire face à une activité nouvelle quand il fut chargé en 1925 du contrôle technique des lignes de transport d’énergie électrique à haute tension, ainsi que des stations de transformation des chemins de fer électriques de la région.

Il avait donc acquis une grande notoriété quand il fut nommé en 1927 ingénieur en chef à Paris, chargé pour l’ensemble de notre pays de l’Inspection générale des Forces hydrauliques.

Ayant pris sa retraite à soixante-dix ans, il n'avait encore pas perdu toute activité à quatre-vingt-cinq ans, s'étant alors occupé de la défense des sinistrés de guerre du Médoc. Malheureusement sa vue avait beaucoup baissé et il a fini à peu près aveugle.

Paul Willemin, qui compte à son actif de si utiles réalisations, a donc bien mérité de notre pays.

Souvenir de Mario Marchetti

Nous avons encore le grand regret de vous faire part du décès survenu en juillet dernier de notre distingué correspondant étranger M. le professeur Mario Marchetti.

Les études qu'il a poursuivies avec de si brillants succès se rapportent à des questions théoriques et à des problèmes expérimentaux touchant l’hydraulique, tels que : siphons, canaux, conduites, coups de bélier, courants liquides, turbines, instruments de mesure, etc.; ils font l’objet de nombreuses publications dont il serait impossible de vous rendre compte avec quelque détail, aussi nous bornerons-nous à en signaler l’importance et la haute valeur.

Tout aussi impressionnante est encore la liste des comités, bureaux ou conseils dont M. le professeur Marchetti a fait partie comme spécialiste des adductions d’eau, des usines hydro-électriques et des mesures contre l’incendie.

Professeur titulaire de la chaire de Constructions hydrauliques de l’Ecole polytechnique de Milan et sous-directeur de l’Institut d’hydraulique de cette ville, après avoir occupé des fonctions analogues à l’Université de Rome, nous le saluons une dernière fois pour la contribution très importante qu'il a apportée à la science et à la technique de l’Hydraulique.

Hommage à Pierre de Fermat

Nous devons aussi rendre hommage à la mémoire de ceux qui ont jeté sur nous le plus vif éclat; or s'il est une grande figure de la science dont nous pouvons nous enorgueillir à juste titre, c'est bien celle de Pierre Fermat. Aussi la Fédération des Sociétés académiques et savantes de Languedoc, Pyrénées, Gascogne, sur l’initiative de son président M. le professeur Wolff, a-t-elle commémoré cette année le troisième centenaire de la mort de cet illustre savant qui a donné son nom à un lycée de notre ville et qui est toujours resté un symbole pour l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse.

Nous nous ferons donc un devoir de vous en entretenir et remercions M. le professeur Huron et M. le professeur Gilles d’avoir bien voulu nous communiquer les belles conférences qu'ils ont prononcées à. son sujet.

Pierre Fermat naquit à Beaumont-de-Lomagne en 1601, l’année même de la naissance de Louis XIII. Son père eut pour lui une certaine ambition car, après quelques classes faites au collège des Cordeliers de la localité, il lui fit poursuivre ses études à Toulouse puis à Orléans où il suivit pendant cinq ans — dit-on — les cours de la Faculté de Droit mii était fort réputée à l’époque; enfin il revint à Toulouse où il fut inscrit au barreau et fréquenta l’Université qui lui décerna en 1631 le titre de bachelier-agrégé.

C'est dans le courant de cette même année qu'il acheta un office au Parlement de Toulouse et qu'il épousa l’une de ses cousines, fille d’un conseiller. Assurant tout d’abord les fonctions un peu subalternes de commissaire des requêtes, il vendit cet office en 1638 pour en acquérir un autre plus honorifique de conseiller du roi au Parlement de Toulouse, ce qui, à diverses reprises, lui fit passer une année entière à Castres, comme délégué à la chambre de l’Edit qui était chargée de la bonne exécution de l’édit de Nantes.

Sa carrière de magistrat se poursuivit de la manière la plus honorable, soit à Toulouse, soit à Castres, car il fut désigné en 1652 pour siéger à la Tournelle, qui était la chambre criminelle du Parlement, et fit partie de la Grand-Chambre à partir de 1654, toutes charges dont il s'est acquitté avec honneur et qui passèrent toujours au premier plan de ses préoccupations, mais qui ne lui auraient certainement pas conféré la gloire posthume si elles ne lui avaient laissé quelques loisirs lui permettant de s'adonner avec passion aux mathématiques, qui constituaient son passe-temps favori.

Ce ne fut certes pas sans un extraordinaire succès puisqu'il fut apprécié de son vivant comme un mathématicien éminent et qu'il est encore universellement admiré de nos jours comme le précurseur des mathématiques modernes.

Il ne faudrait cependant pas considérer Fermat comme un mathématicien égaré chez les juristes, et l’on ne pourrait comprendre son œuvre sans évoquer l’ambiance des milieux scientifiques de cette première moitié du XVIIe siècle, au cours de laquelle la noblesse ne possédait en général qu'un bagage intellectuel fort restreint, tandis que les fils des bourgeois aisés, après avoir poursuivi de sérieuses études, achetaient des charges qui leur laissaient la possibilité de s'intéresser à des travaux intellectuels dont les principaux étaient la poésie, les mathématiques, la physique et l’astronomie.

Parmi ces érudits, Fermat n'était donc pas une exception, mais toute la difficulté pour les chercheurs de son époque consistait à divulguer leurs travaux et à connaître l’opinion que pouvaient en avoir ceux qui poursuivaient des études analogues.

Or deux personnes entièrement dévouées à Fermat s'occupèrent inlassablement de faire connaître ses découvertes, non seulement en France, mais aussi et surtout aux quatre coins de l’Europe.

Ce furent le père Mersenne, décédé en 1648, et après lui Carcavi, celui-là même que Colbert chargea d’organiser la nouvelle Académie des Sciences. On ne saurait omettre les noms de ces deux savants car on peut se demander si, sans eux, Fermat, qui n'a jamais rien publié, ne serait pas toujours resté dans l’oubli.

En quoi consiste donc l’œuvre mathématique de Fermat ?

A son époque, on commençait à peine à découvrir les travaux des géomètres grecs de l’antiquité, ou plutôt des fragments de ces travaux souvent incompris de leurs traducteurs. Le point de départ de Fermat fut une traduction parue en 1588 d’un ouvrage de Pappus remontant au ive siècle de notre ère. C'était une analyse succincte des travaux d’Apollonius de Perge datant du 11e siècle avant notre ère, dont Pappus ne donnait qu'une liste incomplète d’énoncés de théorèmes.

Fermat sut retrouver ceux qui manquaient pour reconstituer la suite logique des raisonnements, et il donna de chacun d’eux des démonstrations rigoureuses qui lui valurent à l’époque une certaine notoriété; mais la publication au xixe siècle du texte complet de Pappus, en faisant apparaître le merveilleux sens divinatoire de Fermat, laissa deviner la profondeur de son génie.

Son principal titre de gloire résulte cependant de ses recherches sur les extrêmes, c'est-à-dire, comme on l’exprimerait aujourd’hui, sur les maxima et minima des fonctions ainsi que sur la construction des tangentes de leurs courbes représentatives, même dans le cas de points singuliers, ce qui le conduisit à découvrir et à utiliser pour la première fois les dérivées, les intégrales et les développements en série. Pascal, qui était son contemporain, l’appelle le premier homme du monde et avoue qu'il ne peut pas toujours le suivre dans ses recherches; mais les plus illustres mathématiciens du xviie siècle : d’Alembert, Lagrange, Laplace, etc., l’ont considéré comme le précurseur du calcul différentiel et intégral et du calcul des probabilités.

Une application directe de ses méthodes lui a même permis de découvrir, par un simple raisonnement mathématique, les lois de la réfraction que l’on avait déjà obtenues par des méthodes empiriques. Il lui suffit de supposer que la lumière se propage avec une certaine vitesse, d’autant plus grande que les corps traversés sont moins denses et que la nature opère toujours par les voies les plus faciles et les plus aisées. Il ramène ainsi le problème de la réfraction à la recherche d’un minimum en déterminant, par les méthodes qu'il venait d’inventer, la trajectoire qui donnait lieu à la durée de trajet la moins élevée. N'est-ce pas là une géniale anticipation ?

L’œuvre arithmétique de Fermat ne fut pas moins remarquable. A cette époque où les nombres entiers ou rationnels étaient fort en honneur, il énonça et démontra quantité de théorèmes qui sont encore de nos jours à la base de la théorie des nombres; il en est un que l’on ne peut vraiment passer sous silence : après en avoir donné l’énoncé, il annonce qu'il en a trouvé une démonstration merveilleuse, mais que la marge de son cahier est trop petite pour la contenir.

Quoique l’exactitude de ce théorème ne puisse être mise en doute, personne n'a pu encore en donner la démonstration, de sorte que Fermat tient en échec depuis trois siècles tous les mathématiciens du monde.

C'était plus qu'il n'en fallait pour lui valoir une célébrité qui, loin de s'atténuer avec le temps. ne cesse au contraire de s'affermir de siècle en siècle et dont nous pouvons être fiers. Resté modeste dans sa gloire naissante, il n'a jamais fait d’éclat quand on lui a parfois adressé des brocards au sujet de ses travaux dont il connaissait la rigueur mathématique ; aussi restera-t-il pour nous un grand exemple.

Notre Académie

Est-il donc besoin de dire que l’Académie, forte de ses traditions séculaires, ne cesse de maintenir et de développer son prestige et son activité.

Celle-ci se manifeste de manières assez différentes. Tout d’abord par les séances ordinaires qui se poursuivent durant toute l’année à l’Hôtel d’Assezat et donnent lieu à des communications du plus haut intérêt littéraire ou scientifique, par les séances extraordinaires au cours desquelles nous recevons des personnalités françaises ou étrangères ayant déjà acquis une grande notoriété dans leur spécialité et que nous sommes heureux de compter désormais parmi nos membres.

Notre activité se manifeste encore par des contacts fréquents avec des missions culturelles étrangères venues dans notre pays pour y organiser des échanges de professeurs et d’étudiants afin que nos connaissances et nos découvertes réciproques franchissent plus facilement les frontières qui nous séparent, mais aussi et surtout afin de nous mieux connaître et de développer entre nos pays des relations amicales qui, espérons-le, seront les éléments d’une paix durable si nécessaire au bonheur et à la prospérité de tous.

Notre activité se manifeste encore par la publication régulière des Mémoires de l’Académie, qui rendent compte principalement des communications faites en cours d’année. Ce n'est, pas une innovation puisque, depuis le début du xviiie siècle, cette publication n'a été interrompue que par la Révolution française.

Le 127e volume de nos Mémoires a paru tout dernièrement et, chaque année, c'est un volume nouveau qui donne un témoignage concret de l’activité de l’Académie, de la qualité de ses membres et de l’intérêt de leurs travaux, tout en faisant connaître au loin le nom de notre belle cité.

Cette publication constitue cependant une lourde charge, à laquelle nos ressources régulières ne nous permettraient certainement pas de faire face si nous n'étions aidés par de généreux mécènes auxquels nous tenons à exprimer ici notre vive gratitude.

Ces mémoires sont adressés à un grand nombre d’académies et de sociétés savantes de la France et du monde entier; nous recevons en échange d’innombrables publications qui enrichissent principalement la bibliothèque de la ville dont les moyens puissants permettent l’inventaire et le stockage et où elles sont à la disposition de tous, ce qui ne nous empêche pas de conserver bien des ouvrages dans notre propre bibliothèque de l’Hôtel d’Assezat, dont M. Huron a bien voulu entreprendre la remise en ordre, tandis que M. Moulis se chargeait du classement de nos archives, tâches ingrates mais combien nécessaires dont nous tenons à remercier nos distingués collègues; nous remercions également notre trésorier perpétuel M. Marty qui dirige nos comptes avec tant de sagesse et de dévouement.

Mais nous ne saurions passer sous silence le rôle si important de notre secrétaire perpétuel M. Babonneau qui. avec un inlassable dévouement et une rare compétence, prévoit et organise toutes les activités de l’Académie.

Il en est une que nous n'avons pas encore évoquée, c'est l’attribution de prix aux auteurs qui par leurs travaux en ont été jugés les plus dignes. Ce sont des membres de notre Académie, spécialistes des sujets traités, qui ont assumé la responsabilité de ce choix : tâche délicate entre toutes pour laquelle nous les remercions très sincèrement.

Il serait superflu de faire l’éloge de cette institution, aussi ancienne que l’Académie elle-même, et dont M. Moulis va vous entretenir en vous mettant au courant des prix qui ont été décernés cette année, des noms de leurs lauréats et des sujets qui leur ont valu cette distinction.

Nous étant fait un devoir de parler avec quelque détail de la vie et de l’œuvre de Pierre Fermat, le temps nous manque maintenant pour rendre hommage à ceux de nos collègues qui ont été honorés au cours de l’année par de hautes distinctions, espérant qu'ils voudront bien nous pardonner si nous remettons ce soin à l’an prochain.