Eglises préromanes autour de Lodéve
1969 Création février 2021

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Source : Revue du Rouergue, janvier-mars 1969
Auteur : Emile Paloque
Provenance : Bibliothèque nationale de France

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Nous avons poursuivi la recherche des églises préromanes de la région de Lodève, recherches qui ont été grandement facilitées par un texte en latin connu sous le nom de Testament de Saint Fulcran dans lequel cet évêque de Lodève donnait en l’an 987 la liste de toutes les églises de son diocèse.

De nos jours leur découverte reste cependant difficile car un grand nombre des noms de lieux cités dans ce texte n'ont pu encore être identifiés. Quand l’emplacement de l’une de ces églises ne peut être mis en doute, il peut arriver que leurs ruines aient complètement disparu, ou bien qu'une simple croix en commémore le souvenir, ou bien encore que l’on retrouve à leur place une église romane ne laissant apparaître aucun vestige de l’église primitive; ce sont là des cas très fréquents dont nous ne parlerons pas dans le présent article.

Les églises préromanes que nous avons pu effectivement retrouver restent donc peu nombreuses, elles mériteraient toutes, par suite de leurs petites dimensions, la qualification de chapelles plutôt que d’églises, nous avons tenu cependant à leur laisser cette dénomination car à l’époque lointaine de leur construction où la plupart des villages d’aujourd’hui n'existaient encore pas, où les propriétés avaient souvent la superficie de ce qui représente le sol de toute une commune et où les paysans étaient répartis dans la campagne sur les terres mêmes qu'ils cultivaient, ces petites églises champêtres furent leurs premières paroisses et non des lieux de culte secondaires.

La plupart d’entre elles ont un chœur rectangulaire de 3 mètres de largeur sur 3 à 4 mètres de longueur, chœur qui est séparé de la salle des fidèles par un arc de maçonnerie souvent outrepassé, ce qui dénote une influence byzantine, la salle des fidèles ayant 4 mètres environ sur 7 à 10 mètres. Ces églises nous paraissent pouvoir être attribuées à l’époque carolingienne tandis que quelques rares églises dont les vestiges nous paraissent plus anciens et qui ne comportent qu'une salle rectangulaire sans chœur apparent pourraient être attribuées à l’époque mérovingienne. Ce sont justement celles dont nous allons tout d’abord vous entretenir.

La Gleia Liona

C'est là le nom d’une ancienne ferme, de nos jours ruinée, qu'il faudrait traduire du vieux français par « l’église éloignée ». Comme nous l’apprenons par le dictionnaire topographique de l’Hérault, cette ferme était voisine de l’église préromane Notre-Dame de Prunet mentionnée sous le nom de Prunetum • dans le Testament de saint Fulcran, à un kilomètre environ du village du Cros (canton du Caylar), ancienne agglomération citée dans les textes dès l’an 804 et dont cette église était en effet un peu éloignée.

Nous avons retrouvé facilement les ruines de la ferme qui sont marquées sur la carte d’Etat-Major et non loin de là les vestiges de l’église préromane dans une région assez fertile qui semble avoir été occupée à une époque très ancienne car on y retrouve des tessons de tuiles romaines. Les murs de l’église dépassent à peine le niveau du sol et ils disparaissent dans les broussailles, leur appareil est très grossier, mais leur identification ne peut cependant pas faire de doute car ces murs ont un mètre d’épaisseur et ce sont les seuls qui soient ourdis au mortier, le bâtiment est dirigé vers l’est et, à l’endroit même où devait se trouver la table d’autel, on a érigé dans une niche une statue de la Vierge. C'est encore de nos jours un lieu de pèlerinage fréquenté qui a conservé son nom primitif de Notre-Dame de Prunet.

Les vestiges de cette église forment un rectangle de 6 mètres sur 17, c'est là le plan des églises les plus anciennes, toutefois cette grande longueur semble indiquer que l’édifice primitif trop petit pour le nombre des fidèles a dû être allongé par la suite, ce qui n'a rien d’étonnant car ce fut sans doute l’unique église du village du Cros, jusqu'au moment où on y construisit l’église romane actuelle, également vouée à la Vierge, mais qui n'apparaît dans les textes qu'à partir de l’an 1230.

A ce moment on a dû abandonner non seulement l’église préromane mais aussi les habitations gauloises de Prunetum alors que l’on savait édifier des maisons solidement maçonnées. La ferme voisine n'a dû être construite que postérieurement, peut-être l’a-t-elle été avec les matériaux de cette église qui tombait en ruines, mais dont les vestiges n'apparaissent pas sur le sol, ce qui pourrait expliquer le nom qui lui a été donné.

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Sainte-Pauline

Cette église nous a été signalée par M. le Curé de Loiras, elle est située à 800 mètres au sud de Saint-Jean de la Blaquière dans un tènement qui porte son nom et figure sur la nouvelle carte de France au 25.000e avec la mention Sainte-Pauline, ruine. Nous ne l’avons retrouvée sur aucun texte, ce qui laisse croire qu'elle était déjà abandonnée à l’époque de saint Fulcran car celui-ci signale à Saint-Jean de la Blaquière, qui s'appelait alors Plénis, l’église Saint-Jean que l’on peut supposer avoir été reconstruite à l’époque romane sur le même emplacement. C'est celle qui subsiste de nos jours sous le même vocable, mais on n'y retrouve aucun vestige de l’église préromane signalée par saint Fulcran, église qui aurait elle-même succédé à Sainte-Pauline.

Cette dernière semble remonter à une époque très ancienne car d’une part elle contient un sarcophage de pierre monolithe situé dans le chœur, d’autre part son plan est encore un rectangle ayant environ 5 mètres sur 10, ses murs ont 90 cm d’épaisseur, ils atteignent encore 2,50 m de hauteur dans la partie antérieure du chœur mais nulle part ailleurs ils ne dépassent le sol de plus d’un mètre, leur construction a été soignée car elle est faite d’assises régulières. Du côté sud on devine l’emplacement de la porte qui est marqué par un remplissage de pierres sèches et on retrouve des bases de contreforts semblant indiquer que l’église était recouverte par une voûte de pierre dont l’effondrement a laissé sur ces ruines un énorme amoncellement de décombres qui en cache la plus grande partie mais sous lequel on ferait peut-être d’intéressantes découvertes.

Saint-Nicolas

Cette église est située à 800 mètres au nord, nord-ouest du hameau de Taillevent sur la rive gauche de l’Orb, à peu de distance du Bousquet d’Orb, ses ruines figurent sur la carte d’Etat-Major et sur la carte au 25.000e; elle nous a été signalée par M. Arnal, avoué à Lodève. Elle est mentionnée sous le nom de Ecclesia sancti Nicolai dans une bulle du pape Innocent II datée de 1135 et dans un acte de vente des terres avoisinantes de 1209. Son plan dénote une origine antérieure à ces dates, mais comme elle a toujours appartenu au diocèse de Béziers et non à celui de Lodève, elle ne pouvait figurer sur le Testament de saint Fulcran.

Le docteur Brunei, actuellement décédé, qui a consacré une partie de sa vie à fouiller le sol de la région et dont la maison du Bousquet d’Orb est un véritable musée, avait découvert au voisinage de ces ruines une nécropole antique qui a fait l’objet de publications et que les archéologues font remonter au début du ve siècle.

Ce grand chercheur considérait les ruines de cette église comme remontant à l’époque préromane puisqu'il a écrit que celle-ci, probablement un des plus anciens édifices religieux de la région, devait servir aux premières agglomérations chrétiennes des environs. Nous nous contenterons de la considérer comme étant d’époque carolingienne, elle serait donc moins ancienne que les deux églises précédentes ; en effet, son chœur est un carré de 3 mètres de côté, la salle des fidèles ayant 4,25 m sur 6,80 m, plan et dimensions qui sont sensiblement ceux de Saint-Sauveur de Soulages. De nos jours il n'en reste debout que les murs nord et ouest. Bien que ceux-ci soient construits avec des moellons non taillés, leur appareil nous paraît plus récent que celui des autres églises préromanes, aussi nous ne pourrions affirmer qu'ils n'ont pas été relevés au cours des siècles à leurs emplacements primitifs.

Attenant à ces ruines on voit la base d’un petit édifice de forme carrée, ayant extérieurement 5 mètres de côté, dont les murs de 1,10 m d’épaisseur sont construits en blocage avec des parements extérieurs et intérieurs faits de pierres soigneusement taillées. A l’intérieur on trouve une petite pièce de 2,75 m de côté recouverte par une voûte en plein cintre reposant par ses deux retombées sur une frise élégante en damier. Ce ne peut être que la partie inférieure d’un clocher remontant sensiblement au xiie siècle. Si l’épaisseur des murs et le soin apporté à la construction laissent deviner que ce monument devait être à la fois haut et beau, il ne faut pas s'étonner si toutes les pierres et sculptures de sa partie supérieure ont été enlevées pour être réemployées ailleurs, quant à la petite salle inférieure qui en reste le seul vestige, elle semble avoir été utilisée plus tard comme monument funéraire.

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Saint-Pierre du Cros

Cette église nous a été signalée par le révérend Père Dom Fulcran Hébrard, elle est mentionnée sous le nom de S. Petri de Crozo dans un texte de l’an 1123 et figure comme église ruinée sur la carte de Cassini, sans doute fait-elle partie des églises non identifiées du Testament de saint Fulcran ; elle est située dans un site sauvage sur les pentes du Larzac, le long d’un ancien chemin qui rejoignait la voie romaine de Cessero à Segodunum. On peut arriver à cette église en auto si l’on ne craint pas de rouler sur la pierraille de cette piste abandonnée qui a dû pendant longtemps relier Lauroux au col du Perthus.

En arrivant à ces ruines l’attention est attirée par une croix de fer moderne dont l’axe est enfoncé dans une colonne de marbre blanc. Il est facile de constater que la base carrée de cette colonne, le fût et l’astragale ont été tirés du même bloc de marbre, il ne semble donc pas douteux que cette colonne ne soit antique ; quant à la pierre rectangulaire sur laquelle repose cette colonne, il est probable sans que nous puissions l’affirmer, qu'elle ait été la table d’autel retournée à l’envers mais qui devait être primitivement soutenue par la colonne antique enfoncée dans le sol du chœur. Cette table à 1,20 m sur 75 cm, elle est actuellement supportée par un massif de maçonnerie moderne qui est suffisamment ancien cependant pour que personne dans le pays n'ait pu nous renseigner sur l’époque de l’érection de ce petit monument.

Ces ruines dominent d’une quinzaine de mètres le lit d’un torrent qui passe à ses pieds, or celui-ci ayant peu à peu miné le sol, la salle des fidèles a fini par être complètement emportée ; il ne subsiste donc de nos jours que le chœur où il est d’ailleurs assez difficile de pénétrer car il est entouré de tous côtés par des pentes abruptes. Ce chœur est un carré de 3 mètres de côté dont les murs ont 85 cm d’épaisseur, leur construction très primitive est faite de moellons irréguliers ; on y voit les fenêtres en meurtrières des faces est et sud ainsi que les pilastres nord et sud qui, surmontés par des chapiteaux très archaïques, supportaient un arc aujourd’hui effondré mais dont on aperçoit encore les bases outrepassées. Au centre de ce chœur il y a une excavation résultant sans doute de l’arrachement de la colonne qui supportait la table d’autel. Cette église parait être contemporaine de Saint-Georges de Lunas qui présente avec elle d’importantes ressemblances.

Le Père Dom Fulcran Hébrard nous a écrit à son sujet : N'avez-vous pas vu dans les parages immédiats de ces ruines un bloc parallélépipédique de 50 cm de hauteur environ mouluré et creusé qui a dû être le coffret à reliques d’un autel antérieur. » Quoique lourd, il était transportable et a sans doute été enlevé car nous ne l’avons pas retrouvé, toutefois cette nouvelle de la dernière heure laisse désormais en suspens la question de la table d’autel primitive de cette église.

Saint-Pierre de Boubals

Cette église qui est située sur la rive gauche de 1'Orb entre le hameau de Boubals et le village de La Tour-sur-Orb nous a été signalée par M. Caylar de Lodève, elle a toujours appartenu au diocèse de Béziers et non à celui de Lodève, aussi n'avons-nous pu retrouver aucun texte concernant ce petit édifice qui est marqué sur la carte de Cassini et sur la carte d’Etat-Major. Il semble qu'il n'ait jamais cessé d’être voué au culte, sa construction primitive ayant été régulièrement entretenue et sérieusement complétée au cours du Moyen-Age, ce n'est donc pas une ruine.

La construction préromane qui paraît avoir subsisté jusqu'à nos jours comporte un chœur rectangulaire de 3 mètres sur 3,35 m et une salle des fidèles de 4,30 m sur 9,80 m; le crépi dont les murs sont recouverts ne permet pas d’en voir l’appareil.

Il ne semble pas douteux que cette église ait été tout d’abord construite sur un sol horizontal, mais des terres d’alluvion s'étant accumulées du côté sud sur une hauteur qui atteint actuellement 3 mètres, son accès par la porte qui se trouve de ce côté dans toutes les églises de cette époque a certainement été rendu difficile et il a fallu en ouvrir une nouvelle du côté ouest, on a dû également surélever le bâtiment afin qu'il ne disparaisse pas sous les alluvions, ce qui a nécessité la construction de pilastres intérieurs et la réfection des voûtes. Il faut sans doute rapporter à la même époque la construction du nouvel arc séparant le chœur de la salle des fidèles, ainsi que l’édification d’une sacristie et d’un logement pour le prêtre, car ces pièces sont recouvertes par des voûtes d’arêtes semblables à celles de l’église. Toutes ces transformations semblent remonter au Mie ou au XIIIe siècle.

La toiture ayant été récemment refaite, il semble regrettable que l’on ait recouvert par une toiture à pente unique une moitié de l’église et les bâtiments adjacents, ce qui, en nécessitant la surélévation de certains murs, a modifié le caractère de la construction au point que ce bâtiment vétuste a maintenant l’aspect d’une bergerie.

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Saint-Martin d’Aurelles

Cette église assurément préromane est particulièrement intéressante car elle nous fournit des renseignements nouveaux sur ce genre d’édifices. Elle nous a été signalée par M. Arnal de Lodève, ses ruines figurent sur la nouvelle carte de France au 25.000e; elle est située entre Brignac et Ceyras, à quelques kilomètres à l’est de Clermont-l’Hérault sur un petit mamelon qui domine de 20 à 30 mètres la plaine de l’Hérault.

Le dictionnaire topographique de ce département nous apprend qu'elle dépendait de Saint-Guilhem-le-Désert, il ne faut donc pas s'étonner si sa construction a été particulièrement soignée. Il en subsiste de nos jours les bases des murs est et nord ainsi que la partie arrière des murs latéraux dont on a fait par la suite une maison rurale qui a conservé certaines parties de l’édifice primitif. Le chœur est un rectangle de 2,90 m sur 4,10 m, la salle des fidèles ayant 4,45 m sur 9,25 m. Le mur est du chœur a 1,10 m d’épaisseur, son mur nord 90 cm, le mur sud de l’église 1 mètre, le mur nord 85 cm seulement mais il est vrai que celui-ci était consolidé par deux contreforts extérieurs ; on ne devine pas la raison de cette dissymétrie. Tous ces murs sont construits avec des moellons qui sans être taillés sont cependant disposés en assises régulières.

La maison rurale a conservé dans son mur du côté sud une moitié de la porte primitive de l’église dont l’ouverture de style roman est faite de pierres taillées ne portant aucune ornementation. Son mur sud a 1 mètre d’épaisseur sur toute sa hauteur qui est de 4 mètres, on est donc assuré que le mur de l’église préromane avait au moins cette hauteur car, s'il avait fallu surélever ses anciens murs, on n'aurait pas donné une aussi grande épaisseur au mur d’une si modeste construction rurale.

Nos recherches se poursuivent dans la même région car le sujet est loin d’être épuisé.

EMILE PALOQUE