Dossier du père au fils dans lequel Marcellin a fait reconnaître que la répression subie par Jules lui avait causé un préjudice tel qu'il devait être réparé par une rente.
La ficelle était un peu grosse et Marcellin s'est fait taper sur les doigts.
Hubert (2024)
Mémoire pour servir aux descendants de Pebernad Langautier Jules, à obtenir une pension sur le crédit de 6 millions alloués par le gouvernement de la république aux victimes du coup d’état de 1851, en vertu de la loi du 30 juillet 1881.
Nota : Tous les renseignements ci-dessous ont été puisés en 1878 par le fils de Pebernad, alors chef de cabinet du préfet du Finistère, aujourd’hui sous-préfet de Quimperlé (Finistère) dans un très volumineux dossier concernant son père, qui lui a été communiqué aux archives de la préfecture de la Haute Garonne grâce à l’obligeance de M. Tenaille-Saligny alors Préfet à Toulouse, et dans lequel le commissaire de la Haute Garonne pourra vérifier l’exactitude des faits avancés dans le présent mémoire.
Marcellin (1881)
Pebernad Langautier, Jules, riche propriétaire dans la commune d’Auriac, canton de Caraman, arrondissement de Villefranche Lauragais (Haute Garonne) fut nommé en 1848, sous commissaire du gouvernement (sous-préfet) à Villefranche Lauragais et installé à la sous-préfecture le 26 février 1848
– Voir le procès-verbal d’installation et sa proclamation aux habitants de Villefranche dans le dossier déposé aux archives de la préfecture, où l’on trouve aussi les renseignements confidentiels suivants fournis par la police « sur les démagogues poursuivis par la justice comme ayant pris part au mouvement du 2 décembre 1851 et jours suivants ».
« n° 78 – Pebernad, propriétaire (bonne moralité, riche (ceci est écrit à l’encre rouge)), propriétaire à la Salvetat, près Villefranche, habite alternativement Toulouse et sa propriété. Il est beau-frère de M. Vivent. C’est à cette parenté et aux suggestions de l’ex-proconsul Joly, qu’il doit le désagrément d’avoir abandonné son existence heureuse pour se jeter dans les aventures du républicanisme outré. Il dirigea, en 1848, l’administration de Villefranche et personne n’a eu à se plaindre de lui lorsqu’il était aux affaires publiques ; les habitants de son village affirment aussi qu’il a de très bons rapports avec eux et qu’il est très serviable.
À part l’exagération de ses opinions et son antipathie pour le pouvoir actuel, Pebernad est un citoyen irréprochable.
Toulouse, le 21 janvier 1852, Le commissaire central de police
Cazeaux, signé
Ce rapport de police constate que Pebernad est un citoyen irréprochable, et cependant quelques jours avant il était traqué comme un malfaiteur dangereux ! C’est ce qui résulte du procès-verbal de gendarmerie suivant :
Toulouse le 14 janvier 1852
Monsieur le préfet,
Le maréchal des logis et les gendarmes de Toulouse, chargés hier au soir d’aller faire des recherches dans la commune de la Salvetat, canton de Caraman, sont rentrés à 5 heures du soir.
Les mesures avaient été si bien prises qu’ils étaient parvenus à cerner pendant la nuit la maison de campagne de M. Pebernad sans qu’aucune alerte ait pu être donnée. Ce n’est qu’à la naissance du jour que les chiens ont commencé à aboyer ; mais alors personne ne pouvait plus fuir. Toute l’habitation et les bâtiments en dépendant ont été scrupuleusement fouillés ; mais le maréchal des logis Leclerc a été bientôt convaincu qu’il n’y avait personne de caché, car les chambres étaient froides, les lits faits et froids, enfin aucun dérangement n’annonçait la présence des habitants.
En se retirant, le maréchal des logis a eu une assez longue conversation avec le maire de Caraman, homme d’ordre s’il en fut, ancien militaire très disposé à favoriser les vues du gouvernement de M. le président de la République. Il a assuré que si M. Pebernad avait paru à sa campagne, seul ou avec des étrangers, il en aurait été aussitôt informé. M. le maire de Caraman a promis de faire surveiller le retour de M. Pebernad et même de le faire arrêter, s’il reparait dans le pays.
M. le maire a remis au maréchal des logis la note de quelques personnes d’autres communes du département avec lesquelles M. Pebernad a des relations assez intimes pour y trouver un asile. Je vais donner des ordres pour qu’il soit recherché dans ces lieux-là.
Agréez, etc.,…
Le chef d’escadron, commandant de la gendarmerie de la Haute-Garonne
Déavonny ( ?), signé
Le 17 janvier 1852,Les rapports se succèdent sur Pebernad ; en voici un qui a bien sa valeur :
Sous-préfecture de Villefranche
Monsieur le préfet
Conformément à vos instructions et après m’être entouré de renseignements sérieux, prudemment contrôles, je puis vous adresser le tableau indiquant les noms des personnes compromises et sous le coup d’un ordre d’arrestation…
Agréez,… le sous-préfet, Gally signé
Canton de Caraman
Pebernad-Langautier, Jules, ancien sous-commissaire de l’arrondissement, demeurant à Auriac. Le sieur Pebernad a été, pendant, trois années, le chef avoué de l’anarchie dans l’arrondissement : l’esprit de désorganisation n’eut pas d’agent plus actif, et c’est surtout dans son canton (Caraman) qu’il s’exerça avec le plus d’ensemble et de succès.
Le sieur Pebernad, signataire de la proclamation incendiaire de Toulouse, sous le coup d’un mandat d’arrêt, a jusqu’ici échappé aux poursuites.
Dans l’intérêt de la paix publique, il me parait indispensable que le sieur Pebernad soit compris dans la catégorie des hommes dangereux que le gouvernement doit éloigner au moins momentanément de France. Seul de l’arrondissement, il me paraît devoir encourir cette grave mesure.
… La flèche, pharmacien à Caraman, font partie des individus détenus à la maison d’arrêt. Ces deux lieutenants de Pebernad dirigeaient el mouvement à Caraman et y répandaient la terreur parmi les hommes d’ordre.… La Flèche et Germier doivent être momentanément éloignés du département… Pénavayré, instituteur révoqué, de Loubens (actuellement en fuite) doit subir le même sort. Séide de Pebernad, il s’est montré depuis 3 ans fougueux propagandiste, et nul plus que lui n’a contribué à pervertir les esprits…
En me résumant, je crois que l’intérêt de la paix publique, exige les mesures suivantes :
À éloigner momentanément de France : Pebernad Langautier, Jules, propriétaire à Auriac, canton de Caraman
À éloigner du département : La Flèche,… Germier,…
Le sous-préfet Gally, signé.
Ainsi donc, très connu pour ses opinions républicaines et redouté à cause de l’influence qu’il exerçait dans une partie de la Haute-Garonne, Pebernad fut traqué après le Coup d’Etat, désigné pour la déportation, arrêté, et finalement condamné par la commission mixte de la Haute-Garonne le 24 février 1852, à l’internement avec surveillance ; voici le texte :
Préfecture de la Haute-Garonne
Commissions mixte.
Procédures relatives aux insurrections d’octobre 1851
Étaient présents : MM. le général de division Reveu ; Dufresene, Procureur général ; Pujol, conseiller de préfecture, secrétaire général, remplissant la fonction de préfet par intérim.
Page 19 – Séance du 23 février 1852
Décision concernant le sieur Pebernad. Attendu qu’il résulte de l’information que Pebernad, propriétaire, a signé avec parfaite connaissance de cause la proclamation du 3 octobre et qu’ainsi il peut être considéré comme ayant pris part au complot dont cet acte a manifesté l’existence ;
Que d’ailleurs cet inculpé, par l’exaltation de ses opinions politiques et la propagande à laquelle il se livre, exerce une regrettable influence sur les habitants de la campagne, voisins de sa propriété.
Arrête qu’il sera interné et mis sous surveillance de M. le ministre de la police générale.
Reveu… Dufresne… Pujol signés
Plus tard, on a écrit en marge de cet arrêté : « Loge à Toulouse, 7 rue des Fleurs », Pebernad y logeait en 1859 seulement.
Sorèze, petit bourg dans le Tarn, lui fut assigné pour résidence, et, s’étant rendu quelque fois dans la commune voisine pour y régler des affaires personnelles urgentes, il fut, chaque fois, arrêté par la police, enfermé dans le chambre de sureté du lieu, comme un malfaiteur, et amené à Toulouse, de brigade en brigade, par la gendarmerie devant le préfet :
Gendarmerie,13e Légion
Compagnie de la Haute-Garonne, ordre de conduite.
Le maréchal des logis, commandant la gendarmerie de Revel (Haute-Garonne) ordonne aux gendarmes Balix et Méry, d’extraire de la chambre de sureté de cette ville et conduire de brigade en brigade à Toulouse, devant M. le préfet du département, conformément à la réquisition de M. le commissaire de police du canton de Revel, de dénommé Pebernad (Jules), condamné politique en surveillance à Sorèze (Tarn) pour être mené dans le département de la Haute-Garonne (qui lui est interdit) sans autorisations légales.
La plus grande surveillance est recommandée aux sous-officiers et gendarmes chargés de l’escorte de Pebernad Jules.
À Revel, le 21 avril 1855, Hyenn (signé)
Ordre de conduite rédigé d’après la réquisition suivante du Commissaire de police :
Revel, le 21 avril 1855
Monsieur le Préfet
J’ai l’honneur de vous transmettre ci-joint un procès-verbal constatant l’arrestation de M. Pebernad et sa mise à votre disposition.
D’après les instructions que j’ai reçues de M. le sous-préfet de Villefranche en date du 19 juin 1854 et 18 avril courant, j’ai dû me livrer à des investigations pour m’assurer qu’il ne circulait pas dans l’étendue du Canton, sans y être autorisé ; je l’ai arrêté aujourd’hui sur la place du marché où il parlait d’affaires d’intérêt avec un individu du pays.
Je suis avec respect…
Le commissaire de police de Revel.
Michel (signé)
L’an mil huit cent cinquante-cinq, et le 21 avril à 3 heures de l’après-midi
Nous, commissaire de police du canton de Revel (Haute Garonne) agissant en vertu des instructions que nous avons reçues de M. le sous-préfet de Villefranche en date du 19 juin 1854 et du 18 avril 1855, concernant la surveillance à exercer sur le sieur Pebernad-Langautier Jules, condamné politique en surveillance à Sorèze (Tarn), nous trouvant aujourd’hui sur la place de cette ville, avons remarqué que le dit sieur Pebernad parlait avec un marchand de grains et paraissait avoir des affaires commerciales à traiter avec lui.
Nous l’avons invité venir au bureau de police où après lui avoir demandé s’il avait l’autorisation de circuler dans le département de la Haute Garonne.
Il nous a répondu que M. le préfet du Tarn lui a promis d’écrire à son collègue de Toulouse pour lui faire obtenir la permission de circuler dans le dit département.
Mais attendu que le dit sieur Pebernad-Langautier n’a pas pu nous présenter aucun titre qui l’autorise à s’absenter du lieu où il est en surveillance et qu’étant venu à Revel sans permission préalable, nous lui avons déclaré que nous allions le faire conduire devant M. le préfet de la Haute-Garonne pour être mis à disposition…..
Le commissaire de police, Michel (signé)
Ce dernier coup fut si violent pur Pebernad qu’il ne put y résister : aux questions posées par le préfet, il répondit par des phrases incohérentes : Pebernad était fou !…
Cependant son état mental nécessitait les soins de médecins spéciaux et éclairés ; le malheureux Pebernad fit une demande en grâce afin de pouvoir soigner sa santé si terriblement ébranlée, et le sous-préfet de Villefranche consulté sur l’opportunité de cette demande, donne l’avis suivant :
Sous-préfecture de Villefranche, Cabinet du sous-préfet
Villefranche, le 9 septembre 1854
Monsieur le préfet
En me communiquant le 4 de ce mois, la demande en grâce adressée à sa majesté l’Empereur par le sieur Pebernad-Langautier, vous me faites l’honneur de me demander mon avis sur la suite à donner à cette demande.
Je regrette de ne pouvoir que persister dans l’appréciation politique que je vous ai transmise sur le sieur Pebernad-Langautier que je vous ai transmise alors, je le tiens comme un homme dangereux pour l’arrondissement de Villefranche dans lequel il le serait plus que jamais. Je lui connais les mêmes sentiments d’hostilité contre le gouvernement et contre l’empereur, la même résolution de le combattre aujourd’hui mystérieusement, plus tard, audacieusement, si les circonstances le permettaient. Je suis fermement convaincu d’ailleurs que la générosité ne produirait sur lui aucun retour de reconnaissance et s’il m’était possible d’avoir le moindre doute sur ce que je viens d’exprimer, les termes réservés et équivoques qui terminent la demande elle-même du sieur Pebernad, ne pourraient qu’éloigner, pour moi, toute hésitation.
J’estime donc, M. le sous-préfet, que la demande en grâce du sieur Pebernad doit être rejeté et qu’il est indispensable que le gouvernement conserve une action directe sur lui, et le tienne éloigné de l’arrondissement.
J’ai l’honneur d’être…
Le sous-préfet Dumas (signé)
Néanmoins le préfet n’ayant désormais plus rien à craindre d’un adversaire dont la raison était fortement altérée, écrit un an après, le 10 octobre 1855, au ministère de l’intérieur pour transmettre le demande en grâce de Pebernad ; ce n’est que 3 ans plus tard, en 1859, qu’on autorise enfin Pebernad à rentrer à Toulouse, mais à titre provisoire seulement ; c’est que l’on voulait pouvoir encore exercer contre lui, si sa santé s’était améliorée, les rigueurs d’un internement nouveau et sans fin.
Hélas, il n’en fut par ainsi ; cette victime de la liberté mourrait à Toulouse, deux ans après, en 1861, âgée de 50 ans à peine.
Par suite de toutes ces vexations, Pebernad qui avait une très belle fortune territoriale (sept métairies importantes dans le Lauragais valant plus de 400.000 francs) ne pouvant s’occuper de son exploitation agricole, a été littéralement ruiné ; c’était le but que cherchait à atteindre le régime inauguré par les commissions mixtes !
Ses biens ayant été expropriés, et n’ayant pu suffire à éteindre les dettes, sa femme n’a pas hésité, lors de la liquidation, à sacrifier une grosse part de sa dot pour désintéresser tous les créanciers.
Bien plus, elle n’a pas voulu mettre son mari dans une maison de santé, ni s’en séparer, elle qui l’avait suivi dans toutes ses disgrâces politiques ! Elle l’a gardé chez elle, le soignant avec la plus grande abnégation et le plus sublime dévouement.
Par les plus louables efforts, elle est parvenue, malgré une position pécuniaire des plus gênées et souvent des plus critiques, à donner à ses enfants une éducation qui leur permette d’occuper un rang dans la société et de se rendre utiles à la Patrie
Septembre 1881
le 2 octobre 1882
Certificat d’inscription pour une rente annuelle de 400 francs pour Marcellin Pebernad de Langautier,
Cependant, ceci est apparu discutable à la Représentation Nationale et a été évoqué à l’Assemblée :
Annales : Débats parlementaires, Volume 9 – 1884 : « Un sieur Langautier qui a une pension de 400 Fr, et qui a été nommé préfet par-dessus le marché »
Les finances de la république : les chambres prodigues – 1885 : « Quelles sont les victimes intéressantes qui imposent cette surcharge à notre budget ? …du sieur Langautier (33 ans) sous-préfet de Quimperlé »
Le Correspondant, Volume 139 – 1885 : « … on se trouve parfois en présence de victimes singulières. Ainsi le sieur Langautier, sous-préfet de Quimperlé, pensionné comme victime personnelle avait deux ans au moment du coup d’état qui n’a pu briser sa carrière ».
Sa position a dû devenir intenable pour qu’il y renonce en 1889 :
Paris, le 24 février 1889
Monsieur le ministre,
Inscrit pour un titre de 400 Fr, de rente annuelle comme fils d’une victime du Coup d’État et désirant – pour des motifs soumis à l’appréciation de M. le Directeur du Personnel au Ministère de l’Intérieur, qui les a approuvés – renoncer au bénéfice de cette pension que je n’ai pas touchée depuis le 1er septembre 1887, j’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien me faire rayer définitivement des listes des pensionnés et de provoquer l’annulation de ladite pension.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, etc.,
M. Pebernad de Langautier