Antoine et Pauline Paloque
1830-1860 Création mai 2021

« Mon père » par Jules Paloque en 1937

Antoine Paloque, mon père, naquit à Douzens (Aude), le 7 octobre 1809, quelques semaines après la bataille de Wagram, d’une famille de petits propriétaires dont la bonté et l’honnêteté étaient proverbiales dans le pays.

Sa jeunesse fut heureuse en un temps et dans une région où la simplicité de condition et la modicité de fortune n’étaient nullement pénibles.

Il fut un garçon bon et doux, très affectueux pour les siens, adroit manuellement et des mieux doués intellectuellement.

Se sentant de médiocres dispositions pour la culture du sol et beaucoup de goût, au contraire, pour les études littéraires, il s’imposa de travailler avec l’aide du curé de Douzens, et fit d’excellentes humanités qu’il couronna, grâce à d’opiniâtres efforts personnels par le diplôme de Bachelier es-lettres.

Après un essais d’entrée dans les ordres, tenté sous l’impulsion de son curé et de prêtres du voisinage, mon père, qui ne cessa jamais d’être croyant, mais qui resta, sans effort et sans violence, un esprit libre et indépendant, renonça à l’état ecclésiastique et prit une chaire de répétiteur d’abord, puis de professeur au collège de Carcassonne, se vouant désormais à la noble tâche de l’enseignement, vers laquelle l’orientaient nettement ses aptitudes.

Peu avide des situations officielles et des honneurs et privilèges qu’elles peuvent procurer, en échange de certains renoncements, il ne rechercha jamais l’accès aux fonctions publiques ; non point que son esprit, très enclin aux méditations philosophiques, le rendit indifférents aux choses de la politique, mais parce que toutes ses tentatives pour échanger des idées sur ces sujets, le mirent trop rarement en présence de sincères comme lui-même et trop souvent d’ambitieux et d’intéressés, prêts à changer d’opinion, au moins autant de fois que le pays changeait de régime, ce qui ne manquait pas alors d’arriver fréquemment.

Mon père a vu neuf régime : Napoléon 1er, Louis XVIII, les Cents Jours, la Restauration, Charles X, Louis-Philippe, la République de 1848, Napoléon III, la Troisième République et combien de périodes depuis les journées de juillet 1830 jusqu’à la Commune de 1871, troublées par des émeutes, insurrections, coups d’États.

Très imprégné des Encyclopédistes, il se crut un moment acquis à la nécessité d’une réorganisation sociale et pensa trouver peu après des croyances analogues aux siennes dans les doctrines des Saints Simoniens qui le remuèrent profondément ; mais il ne tarda pas à découvrir ce que ces idées avaient d’artificiel ; elles n’entraînèrent chez lui aucune conviction définitive.

La maturité venue, se sentant de plus en plus attiré vers l’enseignement, il consacra toutes ses facultés à sa mission de professeur et d’éducateur, se bornant, dès lors, à ne penser que par lui-même et à demeurer, suivant ses impulsions naturelles, l’homme d’ordre et de devoir, respectueux des lois, sans rien abdiquer, d’ailleurs, de ses convictions intimes, toujours libérales et généreuses, autant que désintéressées.

Il avait une telle soif de la justice, une raison si nette et si vive pour la découvrir, une force de persuasion si intense pour y rallier les esprits et les cœurs ; il possédait à un si haut degré l’art de trouver la solution équitable et exacte dans toutes les questions difficiles, telles que la vie en faisait surgir soit dans sa famille, soit dans son entourage, que son renom de jugement, de pondération et de droiture éclairée, franchit bien vite les limites de la ville de Narbonne, où il était venu professer, et devint régional.

Il ne manquait ni de volonté, ni d’énergie, mais, malgré ses aspirations, et quoique éclairé sur sa propre valeur, un sentiment fait plus de modestie que de timidité, l’eût retenu dans le rôle de professeur en sous-ordre, sens lui faire ambitionner la première place dans la direction d’un établissement d’instruction, si sa bonne étoile n’avait placée sur sa route la femme supérieure, incomparable d’affection, d’énergie, de volonté, d’intelligence, de clairvoyance et de noblesse de sentiments que fût ma mère.

Pauline

Née et grandie insouciante et pleine d’enjouement, n’ayant jamais envisagé, dans son esprit d’enfant, (17 ans), l’éventualité de devenir la femme d’un pur intellectuel, elle le devint !

Elle comprit bien vite toute la grandeur de la mission ; elle discerna les rares aptitudes de celui dont elle devenait la compagne et la doublure.

Elle le sentit très au-dessus de la masse des hommes, aussi riche en bonté, en valeur morale et en instruction, que doué pour infuser ces qualité à d’autres. Elle eut l’ambition, poussa vaillamment et détermina le succès.

Pension Paloque à Narbonne

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Le collège de Narbonne, dont mon père prit la direction, devint rapidement le centre d’instruction et d’éducation le plus réputé de la région et, en fait, fournit au pays, durant de longues années, des hommes aussi remarquable par le caractère que par le savoir et qui s’acquirent un nom.

Rien ne saurait donner une idée de l’effort prodigieux et inlassable que mon père et ma mère firent pour s’élever d’une marche sûre guidés par ces infaillibles flambeaux qu’illuminent le sentiment du devoir, la stricte probité et l’amour du travail, et pour rehausser sans cesse en leurs quatre fils la situation intellectuelle, morale et matérielle de la famille, ainsi que son renom.

Toutes les difficultés que la vie se plait à dresser en obstacles furent vaincues et rien n’égale l’imagination féconde et l’esprit pratique que mon père mit en jeu pour entretenir la prospérité, la belle tenue et l’ascension de la famille, citée comme un modèle de travail couronné de succès, d’intelligence, d’élévation de sentiments, de fidélité aux bons amis et de parfaite union entre ses membres.

Par un illogisme des choses de ce monde, mon père, dont la sobriété était incomparable, fut atteint d’une maladie de vessie, lui qui n’entrait jamais dans un café, ne se livrait à aucun excès, et dont la boisson consistait en grands verres d’eau, teintés par deux doigts de vin, aux repas.

Cette maladie l’enleva à notre affection le 5 octobre 1878, à Paris, où il était venu pour la première fois, à l’occasion de l’exposition universelle.

Perte déplorable pour tous les siens et particulièrement pour moi même, le plus jeune de ses quatre fils, qui, en recueillent son dernier soupir, mesurais le trésor d’affection, de conseils et de précieuses directives qui allaient me manquer à l’entrée de la vie.

Le Messager du Midi du 8 octobre 1878

« Sa vie privée, disait, en annonçant sa mort, le journal le plus populaire de la région, peut-être citée comme un modèle des vertus domestiques. Indifférent à tous les plaisirs, il n’eut qu’une ambition, celle de donner à ses enfants un rang honorable dans la société. Cette ambition était satisfaite, le but de sa vie était atteint et c’est au moment où son dernier fils venait de sortir de l’École Polytechnique, en qualité d’officier d’artillerie qu’il a été enlevé par les atteintes d’une douloureuse maladie à l’affection des siens.

L’église de Saint-Sébastien était trop petite pour contenir la foule d’amis qui avait tenu à lui rendre les derniers devoirs.

La vie de labeur et de dévouement de M. Antoine Paloque explique les sympathies qui lui ont fait cortège.

S’il est une consolation qui puisse adoucir la douleur de sa famille, elle est certainement dans les regrets universels que M. Antoine Paloque a laissés après lui et dans cette foule nombreuse qui, par son attitude recueillie, disait assez quel homme de bien nous avons perdu. »