Lillette marchait bien et aimait marcher. Elle tenait cela de sa grand-mère Thérèse Tailleur à qui elle ressemblait tant.
Prosper était aussi très bon marcheur, mais il n'a pas randonné avec ses filles depuis Formiguères. Sans doute la guerre l'a empêché et ensuite, à 50 ans passés il était trop tard. Dans ses dernières années, il s'est seulement contenté d'aller pêcher à Camporeils.Devenu veuf, Bernard m'avait raconté un jour où nous rentrions d’achats à Saillagouse, leur rencontre avec Lillette. Leur goût commun pour la montagne apparaissait clairement comme un critère majeur dans l'intérêt qu'il lui portait.
A la suite de leur ainé Jean Lacombe, Yves et Bernard abordaient la montagne sous un angle très sportif. Lillette pris, dans la haute montagne et les longues randonnées, le pas de Bernard et ne le lâcha plus. Avec lui elle apprit à marcher avec un piolet et utiliser des crampons sur la neige dure. Elle avait la volonté, l'endurance, ne lâchait ni ne se plaignait jamais.
Je peux témoigner avoir fait en sa compagnie la montée à Bayssellance sous la pluie, dormi par terre dans l'entrée et continué le lendemain jusqu'au Vignemale sous un soleil de plomb à ne pouvoir manger autre chose que des tomates.
En raison du mauvais temps, le refuge était au grand complet. Nous étions une vingtaine à dormir par terre dans le sas d'entrée, la tête en dessous de nos sacs accrochés à des porte-manteaux. A peine nous avions éteint, un premier et large ronflement se fait entendre. Dans le même souffle Bernard chuchote à sa façon, c’est-à-dire avec une voix sonore qu'il ne savait moduler : Que ce passe-t-il ? Je ronflais ? Il avait certainement dû recevoir un coup de coude de Lillette qui connaissait les bonnes manières des baflancs.
Sur ce plan là au moins, Lillette se montrait très moderne à la façon dont elle s'était ouvert ce monde d'hommes.
Capcir et Cerdagne composent le pays de Lillette, c'était connu au début et cela ne changera pas.
Il n'empêche que cette montagne ne ressemble en rien aux Pyrénées que Bernard aime à parcourir, il ne changera pas d’avis non plus.
Un bon compromis a été trouvé avec au moins une fois par an une vraie randonnée là où la montagne est haute et le reste de l’été à monter comme ici à Camporeils. Pour emporter le morceau Lillette avait consenti à Bernard un usage illimité du qualificatif montagne à vaches. Comme à son habitude, Bernard nous l'a servi sur tous les tons, tous les modes, toutes les formes.
Il y eut aussi des arrangements de circonstance. A l’été 1987, été où nous attendions Grégoire, Bernard a négocié une sortie dans de la vraie montagne. Nous avons filé tous les deux en direction de Germ où nous avons fait le Hourgade.
Je ne saurais mettre les mots justes sur la relation qui unissait Bernard à Jean Lacombe.
Quand Bernard parlait de lui, c'était toujours pour l’évoquer en termes élogieux ou rappeler un bon souvenir en sa compagnie. Je citerai l’excursion-commando au Mont-Perdu mille fois racontée, la fanfaronnerie de Jean qui descend 150 mètres dans la nuit en bas de Tuquerouye pour aller chercher de l’eau pour Lillette, ses qualités athlétiques qui l’avaient fait sélectionner après la guerre dans je ne sais plus quelle équipe de France, sa longévité dont nous avons la trace dans ces photos.
Je ne sais pas non plus ce que fit Bernard pour que devenu veuf et diminué, Francis et sa femme qui étaient aussi rue des Pyrénées fassent preuve à son égard d’un dévouement et d’une fidélité sans faille.
Les sorties de Lillette et Bernard avec leurs enfants puis leurs petits-enfants sont dans la partie privée de ce site.
Bernard et Lillette avaient convenu qu'à la retraite de Bernard, ils iraient tous les deux se confronter à l’Himalaya. Lillette en décidera autrement en choisissant d’organiser rue des Pyrénées le quatrième âge de Marie-Louise qui à la suite d’une attaque avait perdu la raison. L’occasion ne se représentera plus et Bernard se plaindra souvent de n'avoir pu réaliser ce projet.
Bernard, tout comme Jean Lacombe avant lui, marchera jusqu'à un âge avancé. Il avait 80 ans dépassés pour sa dernière sortie à l'occasion d'un pique-nique à l'étang du Laurenti.
Fidèle à ses habitudes, il ne manqua pas d’évoquer la partie de pêche avec Bernard Faucher à l’occasion de laquelle les truites en grand nombre passaient directement de l’eau du lac, à l'huile de la poêle qui attendait sur le bord.
Ensuite, toujours pour respecter le rituel, il a proposé du pastis à la ronde en expliquant l’intérêt pour se désaltérer, intérêt qu'il a démontré en égrenant la liste des noms de ceux qui avaient partagé son avis dans d'autres occasions.