Les Nicolas ont été colons en Algérie.
Anaïs épouse Claude alors qu'elle a tout juste 16 ans ; Claude, en dépit de ses 30 ans, n'a pas assez de revenus pour envisager de loger une famille. Ils vont suivre l'exemple des frères ainés de Claude et, en 1851, partir à leur tour pour l'Algérie où ils pourront travailler la terre d'une concession, c’est la seule chose qu'ils savent faire.
Hubert, 2018
- « Madame Nicolas, on ne vous a pas vue à la messe dominicale, ce dimanche ! »
- « Monsieur le Curé, vous oubliez les charges de la marche de la maison, la cuisine, le ménage, la lessive, les enfants ! »
Ce dialogue que ma mère rapportait par ouï-dire, résume peut- être ce que fut la vie quotidienne, c’est à dire toute la vie car elle ne connut aucune rupture dans son déroulement domestique, d’Anaïs Faivre, épouse de Claude Nicolas auquel je dois mon prénom.
Le travail ménager, les grossesses répétées, le poids d’une famille nombreuse firent en effet son lot et les seuls évènements marquants de son existence se réduisent à deux départs coloniaux, audacieux pour l’époque.
Des naissances, il y en eut quatorze, mais neuf enfants seulement dépassèrent la tendre enfance ; sept atteignirent l’âge adulte et firent souche à une exception. Deux garçons seulement sur le nombre : Eloi, mort d’une fièvre typhoïde a douze ou treize ans et Marcelin que j’ai bien connu, père d’Edmond et grand-père de Simone (Cabut). Pour les filles : Victoria, morte à seize ans, sans alliance, avant 1872, Olympe, l’aînée, mariée à un colon, Léon Lacour, Lucienne, épouse de Joseph Gérardin, morte jeune, comme son mari en laissant des enfants en bas âge pris en charge par le clan Nicolas, Alphonsine, épouse de Jean Loubaresse, dotée d’une famille nombreuse, Elisa, épouse du malchanceux Albert Garrigou, Cécile qui n’eut pas d’enfant de son mari, Louis Touche (c’est la seule que j’ai connue), enfin la dernière, Hermance, ma grand-mère. Cette fécondité n’a rien d’exceptionnel pour l’époque et le milieu, mais en l’occurrence, la tradition familiale affirme qu’elle reflétait une jalousie maladive de Claude qui, par ce moyen occupait en quelque sorte le terrain et paraît au danger d’une très improbable infidélité de sa très jeune épouse.
Deux phases très contrastées marquent le destin des Nicolas-Faivre : la pauvreté de la jeunesse en France, l’aisance de l’âge mur puis de la vieillesse en Algérie. Sur les deux, je ne possède que très peu de documents ou d’informations ; seulement quelques détails invérifiables transmis oralement par ma grand-mère, ma mère et ma tante.
Les Faivre, comme les Nicolas ne sont que de tout petits paysans sans terres du Jura, des cultivateurs, presque des journaliers, des ouvriers agricoles. Maïs, disait ma grand-mère, serait née à Gevingey. C’est peut-être faux ! Son contrat de mariage prétend, lui, que c’est à Géruge (à 5 km de Gevingey) qu’elle vit le jour, le 20 Janvier 1835 (1833, ai-je lu ailleurs) fille de Claude Faivre (parfois orthographié Fèvre) et de Louise Joséphine Guichard ; mais la mairie de Géruge que j’ai sollicitée n’a pas trouvé trace de cette naissance sur ses registres d’état civil.
Le couple Faivre-Guichard comptait au moins trois autres filles dont je ne connais que les noms maritaux : Fontenoy, Vernier et Bégon. De Madame Vernier, je ne sais absolument rien. Les Fontenoy avaient la réputation d’être aisés. La plus misérable était Madame Bégon. Grand-mère pleurait sur son triste sort et maman affirmait que sa sœur Anaïs lui venait en aide et lui envoyait régulièrement quelques subsides.
Claude Nicolas, quant à lui, aurait eu de nombreux frères et sœurs dont certains l’avaient précédé ou suivi dans l’expatriation en Algérie. ils y avaient eux aussi fait relativement fortune. Il semble que les relations entre les Nicolas se soient cependant distendues, sans qu’il y ait eu, pour autant, rupture conflictuelle. Ma mère se rappelait avoir connu de leurs descendants dans des rencontres cérémonieuses que ne marquait aucune intimité familiale.
C’est en 1851, le 8 du mois de février que Claude et Anaïs se marièrent à Frébuans, commune du canton de Lons-le-Saunier où habitaient les deux familles (Saint-Georges, hameau de Frébuans, plus exactement). La mariée n’était alors âgée que de seize ans !
L’acte de mariage apporte un certain nombre de renseignements sociaux significatifs. Les mariés et leurs parents sont qualifiés de « cultivateur » et de « cultivatrice » ; les témoins sont : Jules Nicolas, instituteur, vraisemblablement un parent du marié et Claude Guillemin, domestique, d’une part, Émile Clavier, cordonnier et Gabriel Petit cultivateur, de l’autre côté.
L’acte m’appris, par ailleurs, l’existence d’un contrat de mariage que j’ai pu me procurer. Établi par maître Baiily, notaire à Lons-le-Saunier, la communauté réduite aux acquêts qu’il retient, trahit également la pauvreté du milieu. Des « hardes estimées à cent francs » constituent l’apport de la future épouse. Celle-ci recevra en outre, par avancement d’hoirie, au choix des futurs époux, soit un trousseau estimée à la même valeur de cent francs, soit cette même somme en liquide.
Claude, fils de Philibert et Françoise Prost n’était guère plus riche. Dans le contrat, Philibert s’engage à recevoir dans sa « communion » le jeune couple et leurs éventuels enfants qui y seront logés, nourris, chauffés et entretenus à charge pour eux d’y conférer seulement leurs soins et travaux, ce qui est estimé à cinquante francs annuellement.
Cette pauvreté et cette dépendance sont sans nul doute, la cause de l’exil colonial et du départ pour l’Algérie. Entre les servitudes du foyer parental, la misère et ses déchéances toujours menaçantes et le saut dans l’inconnu, Claude et Anaïs n’ont pas hésité longtemps.
Quand ont-ils franchi le pas ? Je ne le sais pas exactement, mais une piste nouvelle nous permettra peut-être de le découvrir ou du moins de le situer approximativement : les dossiers de concession de terres en Algérie, relevés par l’association GENOM et déposés aux Centre des Archives d’Outre-mer à Aix en Provence. Je n’ai pas pu les dépouiller à ce jour et l’ordinateur ne permet pas de remplacer la lecture directe, mais j’ai pu cependant y trouver trace de nombreux bénéficiaire du nom de Nicolas, sans prénom et de trois Claude Nicolas, installés dans le département d’Oran en 1862 et 1863. Ils pourront nous dire peut-être, combien d’années après le mariage, le couple Nicolas s’est exilé.
Quinze jours de traversée de la Méditerranée en voilier (dixit ma tante) et les voilà en Afrique !
Après la révolte de la Mitidja en 1871, pris de peur ou s’imaginant riches, les Nicolas réalisèrent les quelques biens qu’ils avaient pu acquérir et regagnèrent la France. Ce fut pour peu de temps très rapidement ils retournèrent en Algérie pour ne plus la quitter. Ils retrouvèrent leur propriété du Tessalah (où était née Hermance en 1872) et bénéficièrent peut-être, en 1874, d’une nouvelle concession à Lamtar, toujours dans le département d’Oran. Du moins ils la sollicitèrent (cf. les dossiers précités).
Je tiens le récit de ce retour avorté de ma mère. La demande de concession de 1874 semble le confirmer. Quel sentiment, quelle illusion ou quelle peur fut à l’origine de ce va-et-vient ? La seule crainte l’insécurité ? Le mal du pays ? L’impression d’avoir assuré l’avenir et de s’être arraché à la misère latente d’origine ? Les problèmes de réinsertion en Métropole ?
Quoiqu’il en soit, le pas franchi une deuxième fois, ils s’installèrent définitivement dans leur situation de colons aisés. Claude disparut à 70 ans, en ; Anaïs a 69 ans, le 24 Décembre ; tous deux à Sidi-Bel-Abbès.
Riches colons ? Ma grand-mère affirmait qu’ils auraient pu l’être bien davantage si à l’instar de beaucoup d’autres, Claude avait pratiqué le prêt usuraire. Il se contenta de travailler. Dur ! Peut-être par manque d’audace, plus que par vertu.
L’acte de partage anticipé de leurs biens établi le 9 décembre 1895 par maître Goulot, notaire à Sidi-Bel-Abbès que je possède me donne des indications sur l’état de fortune à laquelle ils étaient parvenus en fin de course. Elle n’est pas énorme, bien que non négligeable. Mais n’y avait-t-il pas eu un premier partage après la mort de Claude en 18 ?
Mais Anaïs dans tout cela ? Peu de traces personnalisées ; peu de choses spécifiquement révélatrices ! Il s’agit du couple. De la personne, elle-même, de l’épouse puis de la veuve que peut-on saisir ? Peut-être son courage : n’est-elle pas restée longtemps seule sur la propriété avec sa dernière fille, Hermance, après la mort de Claude ? Peut-être aussi son bon sens ; pour conseiller notamment à sa seule fille encore célibataire de sages placements en terre ? Le refus de ma grand-mère, sa phobie à l’égard de la terre et de la vie de colon ne révèle-t-elle pas la dureté de celle que connut sa mère ?
Le portrait d’Anaïs que je détiens – un fusain, très proche d’une photographie de la même époque signé G. Cocquelet – ne nous livre pas grand-chose de cette ancêtre. Vieillissante, elle y apparaît sans caractère très marqué, avenante et douce plus qu’énergique ; ce qu’elle devait être pourtant. En regard, celui de Claude, dû à la même main, bien que ne montrant en rien une apparence sociale médiocre, me paraît négativement plus suggestif : bel homme, malgré l’âge, mais les yeux enfoncés et sans éclat ne suggèrent pas une très grande intelligence. Mais peut-on se contenter d’une image pour formuler un tel jugement.
Claude Gour, repris à Toulouse en Janvier 2010